La Quinzaine littéraire n°22 du 15 février 1966

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Numéro 22

15 au 28 février 1967

Inédit

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D par Claude Roy

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et e marxIsme Robbe-Grillet et le cinéln& Sch"\Varz-Bart .Un art «dégénéré» .Galilée

Novalis L __ ._ --.- - __ ~--

.Casanova

Les nazis ·

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SOMMAIRE

a

LB LIVRE DE LA QUINZAINB

6

ROMANS FRANÇAIS

ROMAN ÉTRANGER

Le petit Livre rouge (citations du Président Mao)

par Roger Parret par Maurice Nadeau

Roger Bordier

Un plat de porc aux bananes vertes Un âge d'or

Brigid Brophy

La Boule de neige

par Marie-Claude de Brunhoff

L'art modern e est-il dégénéré?

par Dieter E. Zimmer

Simone et André Schwarz-Bart

par Maurice Chavardès

'1

LETTRE D 'ALLEMAGNE

8

ROMAN ÉTRANGER

Hector Bianciotti

Les Déserts dorés

par Claude-Michel Cluny

9

HISTOIRB LITTÉRAIRE

Casanova Casanova J. Rives Ch ilds Charles-Vincent Aubrun Novalis

Histoire de ma vre Mémoires Casanova La Comédie espagnole L'Ency91opédie

par Samuel S. de Sacy

Profil gauche de Roger Vailland

par Claude Roy

10

par Jacques Fressard par Alain Jouffroy

12

INÉDIT

14

POÉSIE

Pierre Morhange Paul Nougé

Le sentiment lui-même L'Expérience continue

par Claude-Michel Cluny par Pierre Dhainaut

18

.ART

Peter Frank~ et Max Hirmer Jacques Lavalleye

par Marcel Marnat par Jean Selz

Hélène P armelin

La monnaie grecque Lucas de Leyde et Peter Bruegel l'Ancien Les plus beaux Dessins espagnols Les plus beaux Dessins français Catalogue raiso';'né de l'œuvre gravé d' Aristide Maillol Picasso dit

F .-J. Sanchez Canton Jean Valler y-Radot Marcel Guérin

par Françoise Choay

18

.JEUNBSSI:

J . Larner et R . Tefferteller Philippe Robert

Les Drogués de la rue Les Bandes d'adolescents

par Roger Dadoun par Dominique Desa~ti

19

PHILOSOPHIE

Galilée Alexandre Koyré

Dialogues et Lettres choisies Etudes galiléennes

p ar Jean-Toussaint Desanti

&0

SOCIOLOGIE

Jean Cazeneuve Georges Gurvitch

Bonheur et civilisation Les Cadres sociaux de la connarssance

par AnoU/ir Abdel-Malek par Jean Cazeneuve

21

PAYS

A. Pierrard et M. Watrin

V ivre en Sibérie

par Victor Leduc

21

PSYCHOLOGII:

C.-G. Jung

Ma vie

par André Akoun

24

HISTOIRE

Alain Michel

Tacite et le destin de l'Em pire

par Jacques Perret

25

POLITIQUE

Edouard Calic Werner Klose

par Roger Errera

Michel C. Vercel

Himmler et son empire Histoire de la jeunesse hitlérienne Les rescapés de Nuremberg

François Truffaut

Le cinéma selon Hitchcock

par Claude Pennec

21

CINÉMA

18

QUI NZE .JOURS

Trans-familial-E xpress

par Pierre Bourgeade

18

PABIS

Robbe-Grillet

par Madeleine-Chapsal

Direction : François Erval, Maurice Nadeau Conseiller:

Joseph Breitbach

Direction artistique : Pierre Bernard Administration: Jacques Lory Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Gilbert Walusinski.

La Quinzaine littéra ire

Secrétariat de la rédaction: Anne Sarraute Informati'ons: Marc Saporta Assistante: Adelaïde Blasquez Documentation: Gilles N adeau Rédaction, administration : 43, rue du Temple, ,Paris 4 TéléphoI).e : 887.48.58 .

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Directeur de la publication: François Emanuel. Imprimerie: Coty S .A . 11, rue F.-Gambon, Paris 20. Copyright: la Quinzaine littéraire.

Crédits photographiques : Fayard éd.

p.

3

p. p. p.

5 Jean-Pierre Ducatez 0 'Droits réservés

p. p. p. p. p. p.

7 8 9 11 13 15 16

p . î~ p. 18 ~: 19 , p. 19 p. 21 p. 21 p. 23 p . 24 'P. 24

André Bonin Droits réservés Roger Viollet Roger Viollet Pupier Garanger Doc. éd. de la Connaissance Flammarion éd. Doc. Club des Libraires t)oc . Club des Libraires tan Berry, magnum Bruce Davidson, magnum Roger Viollet Cartier-Bresson, magnum P.U.F. éd.. Cartier-Bresson, magn um Roger Viollet Roger Viollet


LE

LIVRE

DE

LA

QUINZAINE

Le livre rouge de la scolastique Le petit Livre rouge (Citations du président Mao Tsé-toung) Coll. « Politique » Le Seuil éd., 347 p.

Des choses simples, il convient d'écrire simplement. De ce livre où tout, composition, formules, contenu théorique, tend à la simplicité, il convient donc en premier lieu de donner une définition simple : c'est un catéchisme, c'est-à-dire, pour reprendre les mots mêmes de Littré, une exposition abrégée de ce qu'il faut savoir, de ce qu'il faut croire, de ce qu'il faut faire. Le genre catéchétique a ses règles, qui sont rigoureuses; dans les ouvrages de ce type, il ne saurait être question d'établir par démonstration les points majeurs d'une doctrine ou d'une théorie; il s'agit à l'inverse d'énoncer des propositions qui sont tenues à la fois, paradoxalement, pour apodictiques et pour assertoriques, puisque la nécessité ne s'y

Le petit Livre rouge publié sans publicité préalable et distribué avant même que ne soit fait le service de presse, a été épuisé, en France, en trois jours, malgré un tirage de 30 000 exem· plaires. Un nouveau tirage de 30 000 exemplaires était déjà sous presse pendant que la première édition faisait son apparition en librairie. Cette opération a été menée dans le plus grand secret. L'ouvrage avait été d'abord publié en Chine (dans une traduction dont semble-t,il chaque terme a été longuement pesé) puis expédié en France, depuis le mois de janvier surtout, par petites quantités chez un dépositaire qui les confiait à quelques libraires choisis (notamment Maspero), qui d'ailleurs en manquaient régulièrement. Le Seuil s'est contenté de réimprimer le texte établi à Pékin. C'est un beau succès pour la collection c( Politique » que dirige Jacques Julliard, assistant d'histoire à la Sorbonne, ancien normalien et ancien attaché de recherche au C.N.R.S., qui prépare actuellement une thèse sur le syndicalisme révolutionnaire, sous la direction du professeur Ernest Labrousse.

distingue pas du fait. Le petit Livre rouge est conforme à cette loi du genre; il est moins destiné à convaincre ceux qui ne sont pas « maoïstes » qu'à confirmer dans leurs certitudes ceux qui ont déjà reconnu et expérimenté la vérité; il est un recueil d'évidences. Or l'évidence ne se discute pas. Elle est précisément, selon la vieille logique que vient ici fondamentalement rejoindre « la . pensée de Mao Tsé-toung », cette clarté, enfouie dans les choses mêmes, avec laquelle le vra~ s'impose à l'adhésion de l'intelligence. Elle est la simple lecture des lois de la nature et de l'histoire, elle est le monde déchiffré, rendu comme limpide à soi-même dans le regard de l'homme enfin redevenu libre. Le petit Livre rouge, pour ceux qui l'ont composé et pour ceux qui le récitent, est sans nul doute ce miroir universel où les hommes libérés

des vieilles oppressions et des vieilles croyances doivent se reconnaître en reconnaissant l'ordre véritable des choses. Qui ne s'y reconnaît pas ne peut être qu'un « réactionnaire », car refuser l'évidence c'est s'exclure soi-même de l'ordre 'humain. Que la vérité se désigne soi-même inéluctablement, que la nature vraie du monde soit perceptible immédiatement à tout esprit qui n'est pas abusé, ce sont les thèmes mêmes des philosophies scolastiques ; dans le petit Livre rouge, on les retrouve, non point atténués, mais au contraire portés à leur plus extrême rigueur. « Dans la société de classes, chaque , homme occupe une position de classe déterminée et il n'existe aucune pensée qui ne porte une empreinte de classe. » Mais la « classe d'avant-garde », le prolétariat, par cela même qu'elle supporte le poids écrasant d'une exploitation totale et qu'elle se trouve en quelque sorte expulsée de l'univers faussement cohérent des exploiteurs, redécouvre et peut seule redécouvrir - une vérité qui n'est plus seulement la sienne, mais celle de l'humanité tout entière, celle de l'histoire elle-même. Ainsi naissent les « idées justes », qui sont au départ l'apanage du prolétariat, mais qui, reprises par la masse des hommes, doivent devenir « une force matérielle capable de transformer la société et le monde ». L'évidence par là tout à la fois se fonde et se prouve soi-même. Le prolétariat est la vérité de l'histoire; la vérité de l'histoire est la liberté des hommes; rejoindre le prolétariat c'est reconnaître la vérité de l'histoire, ne pas le rejoindre c'est refuser la liberté des hommes. Or le prolétariat en tant que classe est porteur d'une philosophie « juste », qui est le matérialisme i dialectique ; le matérialisme dialectique s'exprime dans « la pensée de Mao Tsé-toung » ; donc refuser ou contester ou seulement ne pas pleinement assimiler cette « pensée », c'est s'opposer au prolétariat, ' c'est refuser la vérité de l'histoire, c'est aller contre l'évidence. Mais, pas plus qu'elle lie se discute, l'évidence ne se peut expliquer. Elle est, c'est vraimen,t-" tout ce qu'on en peut dire. De là , le caractère indéfiniment répétiti,f des textes réunis dans le recueil des « citations ». Quatre cent vingtsept extraits des œuvres de Mao Tsé-toung, répartis en trente-trois chapitres, qui sont une paraphrase inlassablement reprise des deux propositions par lesquelles débute le t:ecueil : « Le noyau dirigeant de notre cause, c'est le parti communiste chinois. Le fondement théorique sur lequel se guide notre pensée, c'est le marxisme-léniiâsme » Sans doute y peut-on trouver une définition des objectifs primordiaux de l'action révolutionnaire, qui doit permettre « de conduire la classe ouvrière et les grandes ,masses populaires à la victoire dans leur lutte contre l'impé-

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La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

« Etudier les œuvres du président Mao,

suivre ses enseignements et agir selon ses directives. » (Epigraphe de Lin Piao calligraphiée par lui et reproduite dans l'édition chinoise du petit Livre rouge. )

rialisme et ses valets », afin que la Chine puisse « conquérir son indépendance, obtenir sa libération, réaliser son industrialisation » et « moderniser son agriculture ». Mais, cela posé qui n'est que tactique ou au mieux stratégie, tout le reste, tout ce sur quoi se fondent précisément cette tactique et cette stratégie, n'est que tautologie. A coup sûr il faut ne jamais oublier que ce petit opuscule est tout le contraire d'un traité théorique, qu'il est un instrument de lutte, au sens le plus profond du mot un livre de guerre, où tout est agencé méticuleusement en vue du combat, où tout est subordonné à la nécessité de préparer chaque responsable, chaque militant à la pratique de « l'héroïsme révolutionnaire ». L'ordonnance du recueil répond à ce souci pédagogique, qui, de section en 'section, reprend avec une insistance croissante et comme obsessionnelle les thèmes primordiaux : la lutte des classes, l'édification du communisme, la solution des contradictions, la fonction essentielle de la guerre dans le proCouverture d'un roman policier qui vient de paraître ...

cessus révolutionnaire et dans le mouvement général de l'histoire, l'organisation de l'a r m é e, la conduite des opérations, la formation des cadres. Cela cependant ne suffit pas à rendre compte du caractère scolastique des « citations ». Cela n'explique pas que ce livre, à force de répéter, ne « dise » rien. Il ne faut pas se méprendre. Ce qui est ici mis en question n'est pas la conception qui a conduit - au choix des textes, et pas davantage la philosophie politique en fonction de laquelle ils ont été rassemblés. Le petit Livre rouge à cet égard est adéquat à son objet : il est l'expression la plus nue, la plus intransigeante, d'une pensée révolutionnaire qui veut « transformer l'homme ». Ce qui est en question, en revanche, ce qui ne peut pas ne pas être mis en question, c'est le niveau idéologique où se situent ces écrits, la structure qui se révèle être celle' de cette cc pensée ». Un texte, entre vingt autres, illustre la confondante sommarité de cette c( philosophie », extrait du traité De la contradiction, tenu pour l'une des plus importantes contributions de Mao Tsé-toung au progrès du marxisme-léninisme : c( La dialectique matérialiste considère que les causes externes constituent la condition des changements, que les causes internes en sont la base, et que les causes externes opèrent par l'intermédiaire des causes internes. L'œuf qui a reçu une quantité appropriée de chaleur se transforme ' en poussin, mais la chaleur ne peut transformer une pierre en poussin, car leurs bases sont différentes. » Il n'est guère contestable, on l'accordera, qu'un tel énoncé représente l'expression achevée d'une philosophie dogmatique, qu'il est le type même de ces textes destitués de toute pensée vivante contre lesquels se sont acharnés les initiateurs de la « civilisation » moderne, depuis Galilée et Newton jusqu'à Marx lui-même. Tout est de cette force. Citons au hasard. « Toute action d'un parti révolutionnaire est l'application de sa politique. S'il n'applique pas une politique juste, il applique une politique erronée; s'il n'applique pas consciemment une politique, il l'applique aveuglément. » Ou ceci, non moins digne que la phrase précédente d'être placé sous les auspices de Joseph Prudhomme: cc Nous devons soutenir tout ce que notre ennemi combat et combattre tout ce qu'il soutient. » Et ceci encore: « Il n'est pas dilficile à un homme de faire qy.elques bonnes actions; ce qui est difficile, c'est d'agir bien toute sa vie_ 'sans jamais rien faire de mal. » Ce n'est plus le matérialisme dialectique, c'est « la sagesse des nations ». La forme même des extraits choisis, leur extrême simplicité, la , sommarité itérative des définitions qu'ils contiennent et à quoi pour la pl'Upart ils, se réduisent, tout ~ 3


• Le livre rouge de la scolastique concourt à faire de ce recueil un méthodologique qui est tout à la manuel catéchétique, au reste admi- fois sa fin et ses moyens. Elle se rablement conçu pour l'usage au- proclame irréfutable et elle l'est en quel il est .destiné : fournir ·à ceux effet, mais parce qu'elle se situe en qui doivent l'étudier jour et nuit, quelque sorte elle-même hors de l'apprendre par cœur, « s'en péné- tout débat. Close en soi, trouvant trer », des clichés propres à tenir son achèvement dans sa propre orilieu de système universel d'explica- gine, elle se révèle très rigoureution. A cet égard, il n'est pas erroné sement contradictoire à ce qu'elle d'affirmer que « la pensée de Mao prétend être; massivement, elle est « l'anti-dialectique ». Tsé-toung résout toutes les diffiMais par son outrance même cultés » : elle les « résout » en effet, au sens ancien du terme, elle elle contraint à poser une question les fait disparaître, elle les abroge. majeure. Ce qui, dans « la pensée Elle est l'expression d'un monde de Mao Tsé-toung » se révèle de la d'où toute problématique a été éli- sorte à la fois contradictoire et indéminée, d'un monde dans lequel, en effet, « l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résouÉDITEURS dre » - et ne s'en pose plus aucun. De cette pauvreté, dont le schématisme puéril répond au souci, fondamental au point de n'être plus La librairie Hachette, fondée en conscient, de rendre impossible 1826 par Louis Hachette, bénéficia, toute mise en question, la défini- pendant toute la seconde moitié du tion de l'histoire est un exemple XIX· siècle, de l'établissement en de l'enseignement obligatoire. privilégié, compte tenu de l'histo- France Le succès de ses manuels scolaires ricisme explicite de ce qui fut la lui permit rapidement de multiplier théorisation marxiste : « Lutte de ses activités: édition du Littré, colclasses - certaines classes sont vic- lection des classiques latins, grecs et français, collections d'histoire, torieuses, d'autres sont éliminées. collection des grands écrivains de Cela, c'est l'histoire, l'histoire des France, collections scientifiques, etc. civilisations depuis des millénaires. Plutôt qu'une politique de collecInterpréter l'histoire d'après ce tions ou d'auteurs, c'est par une polipoint de vue, c'est ce qui s'appelle tique de sujets que l'on pourrait matérialisme historique; se placer caractériser les activités actuelles de la maison Hachette. Ainsi, on nous à l'opposé de ce point de vue, c'est annonce, pour février, une Histoire de l'idéalisme historique ». mondiale de l'aviation par le colonel A qui s'efforce donc de consi- Petit. Abondamment illustrée, elle dérer ce « bréviaire » (au sens sera présentée hors collection. Dans la collection. les Grands Problèmes - , étymologique du mot, sommaire, paraîtra un ouvrage d'un des gr':lnds abrégé, réunissant des textes qu'il cancérologues français, le professeur est tenu pour utile ou obligatoire de Mathé: le Cancer, et une étude de lire. tous les jours) sans aucun parti Anne-Marie Raimond : les Bons Plapris, sans aucun présupposé idéolo- cements immobiliers. Dans la collection • la Vie quotigique, ce qui en apparaît le trait dienne", qui a reçu un excellent principal est la platitude. Au reste, accueil avec des ouvrages tels que peut-être est-ce cette platitude même la Vie quotidienne des Français penqui confère aux textes rassemblés dant l'occupation de Jacques Meyer, dans le petit Livre rouge cette sorte on compte beaucoup sur un nouveau livre de cet auteur: la Vie quotidienne de puissance dont chacun peut ob- des soldats pendant la grande guerre server, à Paris, qu'elle s'exerce jus- et l'on nous promet deux autres que sur des esprits par ailleurs titren: la Vie quotidienne en Belgidéliés et rompus aux exercices d'une que sous le régime françaiS par J. Cathelin, la Vie quotidienne des culture dont la complexité semble paysans sous l'ancien régime. au reste leur peser, au point qu'ils Arts la ressentent comme une marque de culpabilité. Pour les jeunes intelParmi les livres d'art, figurent le lectuels « chinois » d'Occident, pour troisième tome des Splendeurs de tes « gardes rouges » de la Sor- l'Ermitage, consacré aux collections bonne et de la rue d'Ulm, la « pen- du célèbre musée de Leningrad . Un sée maoïste » qu'elle soit ou Michel-Ange en coédition avec l'Italie, non mise en rapport théorique avec ouvrage collectif dû aux meilleurs critiques italiens, contient un catala « relecture » althussertienne logue chronologique très complet. Un semble représenter, au moins impli- ouvrage contiendra les premiers docitement, le seul déchiffrement rece- cuments publiés sur les fouilles vable du marxisme, dans la mesure récentes faites en Israël, à l'occasion de . la découverte d'un château-fort même où, si elle demeure (ou pré- d'une grande valeur archéologique: tend demeurer) la totalisation du Masada. Dans un livre de Pierre savoir historique de l'homme euro- Mauzé sur l'art nègre, l'auteur s'est péen, elle affirme plus encore en attaché à analyser les arts africains dans leurs origines et, plus particuêtre la radicale répudiation. Mais lièrement, dans leurs relations avec cette « rigueur » - pour reprendre les arts primitifs occidentaux et égypun mot à la mode - n'est que d'ap- tiens. parence, cet énoncé des « lois objectives » de la nature et de l'histoire n'est que tautologie. La « théorie Dans la collection • B 24 -, on nous révolutionnaire marxiste-léniniste » annonce un cinquième titre: Reines ainsi systématisée renvoie indéfini- sans couronnes de Anny Latour où, ment et exclusivement à ses propres de Ninon de Lenclos à Gertrude Stein. en passant par Madame Dudeffand, présupposés. Elle est l'infatigable l'auteur étudie la vie et l'influence écho d'un postulat philosophique et des égéries célèbres.

finiment identique à soi-même, estce seulement une « dévj.ation » du marxisme? La dialectique est-elle compatible, sous quelque forme que ce soit, avec l'esprit de système? Ou, plus radicalement, la notion de « système dialectique » n'estelle pas incohérente? ~n d'autres termes, Mao Tsé-toung n'est-il pas en effet, ainsi qu'il l'affirme et que l'affirment ses adeptes, le plus fidèle et le plus scrupuleux « lecteur» de Marx? La pensée marxiste peut-elle être (a-t-elle même jamais été) autre chose qu'une litanie indéfiniment répé-

titive, qui ne fait et ne peut faire référence qu'à soi-même, où la dialectique sacralisée en idéologie n'est rlus mouvement mais immobilité? Ainsi resurgit la scolastique. « Il n'y a point de hasard dans le gouvernement des choses humaines » : ce n'est pas une phrase de Mao Tsé-toung, mais une citation de Bossuet. Il est vrai qu'entre la Politique tirée de l'Ecriture sainte et le petit Livre rouge, si grande soit la différence des temps et des lieux, un trait fondamental se révèle commun : l'interprétation « totalitaire » du monde. Roger Paret

INFORMATIONS

Hachette Dans la collection • Plaisir des Images -, où ont déjà paru des ouvrages très illustrés tels que le Mobilier français au XVIII< siècle, un livre de Claude Fregnac: les Bijoux. Dans la nouvelle collection • Soirées du Luxembourg", petite collection de luxe consacrée à des essais critiques sur des thèmes littéraires, paraîtra un livre de A. François-Poncet: Stendhal en Allemagne. Dans la série • les Ecrivains par l'image -, Bernard Shaw par M. Shenfield et dans la série • Histoire par l'image -, ' le Deux Décembre par R. Arnaud ainsi qu'un autre livre d'histoire hors collection: Hannibal de Gilbert"Charles Picard. La collection • Aventure de la vie ", consacrée à des livres de vulgarisation scientifique, les Surprises de la nature par Jacqueline Beaujeu-Garnier, qui traite, à partir des formations géologiques naturelles, de la morphologie du monde minéral. Dans la collection • Génies et réalités» paraissent des ouvrages collectifs, confiés à des spéCialistes, sur de grands artiste<; . ,.lA n""..,-1" p.~rl­ vains ou des personnages historiques: On attend un Victor Hugo et un François 1er. Dans la collection «Age d'or et réalité»: Rome au temps d'Auguste. Enfin, toujours dans cette politique des sujets qui domine actuellement aux éditions Hachette, un ouvrage de Pierre Lazareff et d'Yves Grosrichard sur la seconde guerre mondiale. Son originalité sera de nous présenter un ensemble très complet de documents à l'état brut. Un essai historique de F. Mallet-Joris: Trois sorcières, une Marie-Stuart de Ph. Erlanger, le tomme III cres Mémoires d'Adenauer. .Les • Albums littéraires », consacrés aux étapes de la vie d'un écrivain dans une région donnée, illustrés par de nombreuses photographies, le texte étant confié au plus grand spécialiste de la question, nous proposeront un Baudelaire à Paris par Claude Pi chois.

Guides Le département des • Guides Bleus -, dirigé par FranciS Ambrière, fera paraître en février un ouvrage de Jean Richer, préfacé par Michel Butor: Géographie sacrée du monde grec. L'auteur, professeur de françaiS à l'université d'Athènes, y développe une théorie nouvelle sur l'implantation des temples grecs à partir des croyances ancestrales des Anciens. Enfin, les éditions Hachette compte beaucoup sur leur collection de disques : • l'Encyclopédie sonore ", qui, outre les disques destinés à l'enseignement, diffuse des disques consacrés au théâtre, à la littérature et à la poésie.

Littérature clandestine La revue Grani (publiée en langue russe à Francfort-sur-le-Main) nous communique qu'un nouveau recueil vient de paraître en clandestin U.R.S.S., sous le titre Phénix 1966. Il comporte 376 pages et a été confectionné par le jeune poète Youri Galanskov, qui avait déjà attiré l'attention en manifestant silencieusement devant l'ambassade américaine à Moscou, le 11 juin 1965. Phénix 1966 contient notamment 'un article de Siniavski qui prend à partie Evtouchenko, défenseur inconscient - des camps de concentration, une lettre à Ehrenbourg, accusé d'avoir donné • un verdict d'acquittement à Staline ", et surtout un article trouvé dans les archives de l'éminent économiste E.S. Varga, où celui-ci écrivait: «Le communisme est avant tout le triomphe de l'esprit socialiste démocratique et d'une activité civique libre des masses, fondée sur '('autogestion des travailleurs dans tous les secteurs de la vie. Tant que l'on ne commencera pas à surmonter progressivement et consciemment les graves déformations de la démocratie socialiste qui sont l'une des particularités essentielles de l'ordre social en U.R.S.S. aujourd'hui , ce pays ne pourra jamais atteindre aucun communisme, que ce soit dans vingt ou dans cent ans." Youri Galanskov vient d'être arrêté avec trois autres jeunes poètes.

Prix Le prix Hermès, décerné par les élèves de l'Ecole supérieure de Commerce assistés des lauréats de l'année (Goncourt, Renaudot, etc.), a été décerné à notre collaborateur Pierre Bourgeade pour les Immortelles.

Conférence Notre collaborateur Jean Chesneaux, directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes-Etudes, prononcera une conférence sur les Idées politiques de Jules Verne, le samedi 18 février à 15 heu· res, à l'Institut national pédagogique, 29, rue d'Ulm (5'), sous les auspices de l'Union rationaliste .

Paris t'Hôtel de Ville a commandé à vingt-cinq historiens une monumentale histoire de la Ville de Paris. Chacun des auteurs est un spécialiste et ne traitera qu'une période relativement courte. La plupart sont des professeurs. En marge du déroulement historique, une série d'ouvrages concernera certains grands problèmes généraux: architecture, urbanisme, etc.


ROMANS FRANÇAIS

La fin du voyage Simone et André Schwarz-Bart La Mulâtresse Solitude 1. Un plat de porc aux bananes vertes Le Seuil éd., 224 p.

Après les Juifs, les Noirs. Après le Dernier des Justes, la Mulâtresse Solitude, « geste » qui comprendra sept volumes et pour laquelle André Schwarz-Bart a requis l'aide de sa femme , Guadeloupéenne. Quelle est la part de chacun dans cette vaste entreprise ? En dépit des explications données par André Schwarz-Bart à la presse, on ne le sait guère et cela importe peu : l'important est que l'entreprise soit menée à bien. Si l'on en juge par cette première pierre d'angle, solidement posée, il y a toutes les chances pour que l'édifice tienne bon. Non qu'on en voie déjà les proportions ou l'aménagement futur: Un plat de porc aux bananes vertes est en soi une œuvre complète, édifiée autour d'une vie qui s'achève, celle d'une vieille Martiniquaise, pensionnaire d'un hospice parisien, et qui relate dans des cahiers d'écolier sa vie quotidienne. Le récit est entremêlé de souvenirs d'enfance, de rêves, d'hallucinations, d'anticipations à courte échéance, si bien que la geste est déjà préfigurée dans ce premier volume où sont évoqués les spectacles qui seront montrés par la suite: « l'Afrique précoloniale, la traite, l'esclavage, la condition des Noirs aux Amériques, l'Afrique de la conquête et l'Europe contemporaine ». Pourtant, Solitude, qui fut un personnage historique, n'est qu'à peine évoquée. On sait, par les historiens de la Guadeloupe des extraits de leurs œuvres sont donnés en exergue au livre - que la mulâtresse Solitude se battit avec acharnement contre les conquérants (anglais ou français), qu'elle fut arrêtée, emprisonnée et, après qu'on lui eût donné le temps d'accoucher, suppliciée le 29 novembre 1802. Pour les partisans de l'indépendance des Antilles, elle fait aujourd'hui figure d'héroïne nationale. Mais ce n'est pas d'elle qu'il s'agit ici. La récitante, ou « l'écrivante » d'Un plat de porc ... se nomme Marie, ou Mariotte, et on ignore le détail des tribulations qui l'ont fait échouer dans un hospice pour vieillards dans le quartier de Vaugirard. Est-elle venue de la Martinique à Paris pour se « placer » comme domestique, ou pour y continuer ses études ? Etant donné le joli brin de plume que les auteurs lui prêtent, on pencherait pour cette dernière éventualité. Que lui est-il arrivé au juste? Nous le saurons vraisemblablement plus tard, si elle réapparaît. Pour le moment, et bien que presque aveugle, elle passe ses journées à noircir du papier. Dans ses moments de dé-

Simone et André Schwarz-Bart.

faillance, ou pour respecter une vraisemblance qui aurait eu besoin d'être plus solidement étayée, les auteurs saisissent la plume échappée de ses doigts et racontent pour elle. Elle est bien vieille en effet et, hormis sa lucidité, sa faculté de se remémorer un passé lointain avec précision et nostalgie, elle partage tous les maux de son état. Voyez-la se hisser sur son lit: cc Il me suffit, à l'ordinaire, d'un saut infime, précédé d'une sorte de trémulation incantatoire, pour projeter - d'un seul coup d'un seul la masse de mon fessier gauche sur la barre d'encadrement du lit. Un court trait de feu; un cliquetis dans la hanche droite; la douleur ne dépasse jamais les limites du cri... » Le triste courant de ses jours est fait de ces efforts héroïques et de ces souffrances pour la peinture desquels les auteurs disent s'être inspirés d'un officiel cc Rapport national sur la vieillesse », alors qu'il leur aurait peut-être suffi de lire Beckett. Au fait, ne l'auraient-ils pas lu, et d'assez près? On ne peut pas ne pas penser à l'Innommable, à Fin de partie, et si la comparaison penche en faveur d'un de nos plus grands écrivains vivants, du moins ne se laisse-t-elle pas oublier au long de ce voyage dans l'horreur. Marie assiste à la lente décomposition de la vie en elle, à la défaite, quartier par quartier, d'un corps qui lui refuse, l'un après l'autre, tous les services qu'elle n'est plus en droit d 'en attendre et qui ne réagit plus que par saccades aux sournoises agressions du temps. Elle voit ce corps promis à l'ordure, à la poubelle. Il y a pis : elle vit en communauté avec d'autres vieillards, comme elle, elle se voit sous leurs traits, elle mesure leur affaissement progressif, la lente montée du squelette sous les peaux qui se désquament et se parcheminent, commencent par endroits à pourrir. Elle sera, elle commence à être cette Mlle Giscard qui ne peut plus maîtriser son intestin, ces marionnettes à ressort aux yeux exorbités et à

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

l'esprit battant la campagne qui ne gardent une étincelle de vie que pour surveiller la croissance d'un haricot qu'elles ont mis à germer sur leur table de nuit. Tous, hommes et femmes, que rien ne distingue plus, pas même le sexe, et qui se jalousent, se disputent, se tendent des pièges, font assaut, entre eux, de méchanceté, anticipent la mort du voisin pour bénéficier d'un infime avantage, ressemblent assez à des cc concentrationnaires » d'un nouveau genre, jetés dans ce qu'ils appellent le Trou et dont ils ne sortiront que cc les pieds devant ».

ge, va rôder du côté d'un restaurant martiniquais dont elle a connu autrefois la jeune patronne, imagine les délices d'un nouveau cc plat de porc aux bananes vertes ». Hélas! Nous le savons avec elle : il est trop tard, elle ne poussera pas la porte de l'ancien paradis. cc Et sous les étoiles invisibles nébuleuses constellations du Chien sans parler de tout le reste fit à peine une centaine de pas que tomba dans la neige et pour le coup, se dit-elle alertée, ça y est enfin cette fois : oh oui ça y est je la sens qui monte dans mes jambes et tellement heureuse de m'en aller comme ça dans ces lumières moi qui ai toujours Que faire en ce Trou, sinon se vécu dans la nuit... » remémorer le passé et rêver, se raLe soliloque de la vieille Marie conter des histoires ? Marie se re- se déroule, on le voit, sur plusieurs voit petite fille, à la Martinique, plans et le difficile, pour les au~ auprès de sa grand-mère mourante, teurs, était non pas de passer de Man Louise, qui veut être enter- l'un à l'autre, mais de les marier et rée dans une chemise de coton de les confondre, de telle sorte que propre, blanche avec des filets · soit évoquée une existence dans sa rouges au col et aux poignets. Pour totalité : vie quotidienne, souveacquérir cette chemise, il faut sai- nirs, rêves et hallucinations mêlés, gner le maigre cochon, aller en sans pour autant tomber, à l'égard vendre les morceaux loin, à la ville, du lecteur, dans l'informe et la visiter en passant Raymoninque, le confusion. Ils y sont pleinement cc Nég' Brave», emprisonné pour parvenus : par une transposition avoir tué un contremaître blanc et qui situe le récit à mi-chemin entre qui aura droit à sa part du festin un réalisme atroce et une évocation sous la forme de ce fameux cc plat rêveuse cependant fort précise elle de porc aux bananes vertes » que aussi. A la création de ce climat lui porte l'enfant accompagnée de très particulier contribue une autre sa cc Moman ». Moman a couché transposition à partir d'un langage avec Raymoninque comme avec qui garde la saveur et le pittoresbien d'autres. Qu'importe s'il n'est que du patois créole tout en respas père à part entière de la petite tant intelligible et en donnant l'imcc Mariotte-enfant Câpresse » ? p.ression - comme il se doit pour Toutes deux sont fières de lui et un langage d'écrivains d'être l'admirent : il a refusé l'esclavage nécessairement inventé à mesure. et ira à la guillotine la tête haute. C'est à cette pierre d'achoppement Le fumet de ce plat de porc, sa qu'on attendait l'auteur du Dernier saveur devinée hantent l'esprit de des Justes, livre sincère, émouva!lt la vieille Marie, font saliver son et d'une profonde humanité, mais VIeux palais. Noire parmi des qui ne faisait pas tout à fait la Blancs et secrètement méprisée par preuve d'autre chose que d'un eux, elle connaît cette revanche de grand talent. Avec l'aide de sa moments heureux dans une enfance femme Simone, André Schwarzmisérable certes, mais par é e Bart, romancier à succès, passe au d'amour, de fierté, de communion rang des auteurs qui comptent. On profonde avec les gens de sa race, s'en réjouit pour lui et pour la de ce pays paradisiaque que les suite d'une œuvre dont on salt déBlancs n'ont pas tout à fait réussi sormais que l'ambition ne sera pas à transformer en enfer. Elle seulement soutenue par le courage. Maurice N adeau s'échappe de l'asile un soir de nei5


Un combat désespéré Roger Bordier Un âge d'or Calmann-Lévy éd., 376 p.

dépit des circonstances non moins singulières où il s'obstine à vivre, qui d'autre l'eût entrepris dans ce monde soumis et grégaire? Une à une, toutes les familles de Chailly Au siècle de la conquête de l'es- ont quitté le village perdu dans la pace et de la domestication de forêt, trop loin de la ville, oublié l'atome, quel sort réservera-t-on de l'administration. Plus de maire, aux petites unités d'économie et de plus de curé. Légalement, Chailly culture? Le mouvement qui pous- est rayé de la carte de France. On se l'homme vers les collectivités, devine la suite: le délabrement nivelant les particularismes, subor- des maisons et des édifices publics, donnant l'individu à la masse et l'envahissement par la forêt, les m ême aux objets, pose des ques- herbes, les animaux ... Usure, après tions auxquelles s'intéressent non tout, universelle. Simplement plus seulement les sociologues, mais rapide ici, où tout devient « brèaussi les romanciers, comme on l'a che, miasmes, terreau, rouille, vu avec les Choses de Georges croupissement» à vue d'œil, ou Perec et les Belles Images de Simo- presque. ne de Beauvoir. En choisissant pour . Couvret, témoin unique, confronsujet de son dernier livre le com- te ce qui est avec ce qui fut. bat désespéré d'un homme ' contre Il est cet « homme qui se souvient l'abandon d'un village, Roger Bor- qu'il y eut des murs et d'autres dier a tenté d'illustrer un nouvel hommes, des nuages de fumée, des aspect du problème. Il courait, ce odeurs de grillade, des allées fleufaisant, le risque du roman à thèse ries, des cris d'enfants. » Dans un aggravé du genre paysan. Grâce à incessant monologue intérieur où la personnalité de son héros et à le passé investit le présent comme la force d'un style chargé de poésie la végétation investit le village, il il a, par bonheur, évité le double devient en quelque sorte le héraut piège. d'humbles faits, de vertus ou de vices modestes qui expliquent, en Si Georges Couvret, vieil insti- la contredisant parfois, la désertion tuteur de campagne, a la vraisem- collective. De temps en temps, les blance de tant de ses pairs, derniers voix éteintes renaissent en des diahéritiers de l'humanisme laïque, logues qui tiennent autant de la il est d'une trempe singulière: ce parlerie que du chœur antique, qu'il entreprend, à cause ou en tragédie et insignifiance mêlées.

Roger Bordier

Désapprouvé de tous et de sa propre fille, Couvret entend redonner au village au moins les apparences de la vie. Il dégage les chemins, nettoie, lave, repeint, se multiplie, redevenant tout à la fois le sujet et l'objet, la victime et le bourreau de soi-même. L'idée qui l'a longtemps soutenu celle d'une résurrection du village - est peu à peu devenue, du fait de la civilisation nouvelle, un paradoxe : l'unité !:>ociologique ne renaîtra éventuel :ement que sous forme de caricature, vidée de son âme. Livré aux promoteurs - ces techniciens pour qui l'anticipation tient lieu de métaphysique le village mourra à jaDiIais, pense le vieil homme, car il ,ne suffit pas d'être capable de construire Ides planètes de fer ni de jongler avec la cybernétique pour préserver, là où elle est à sa place depuis des siècles, « une solitude d'herbes et d'espace »••• L'absurde tue quelquefois : pour s'être contre lui battu jusqu'à la folie . Couvret perdra sa vie, volontairement ... L'amère leçon qui se dégage de ce livre situe 1 romancier parmi les moralistes saus illusions. La retenue du ton, l'émotion dépouillée de tout faux lyrisme, une écriture de bout en bout maîtrisée font de cet Age d'or le meilleur ouvrage, assurément, de Roger Bordier. Maurice Chavardès

ROMAN ÉTRANGER

Le raffinement de l'humour Brigid Brophy La Boule de neige suivi de Pour couronner le tout traduit de l'anglais Gallimard éd., 236 p.

Lorsque l'opéra commence, Don Juan vient-il réellement de séduire Donna Anna? Elle s'en défend, mais est-ce vrai ? Voilà là question que se posent les invités d'un grand bal XVIIIe donné à Londres le soir du Nouvel An . Brigid Brophy, la plus baroque et la plus sophistiquée des romancières anglaises, mozartienne jusqu'au fond du cœur (elle a du reste publié un essai : Mozart, the ~iramatiÏSlJ) a placé ce bal et ce roman, la Boule de neige, sous le signe de Mozart. Le bal est ravissant et cocasse : des danseurs, parmi lesquels on reconnaît Voltaire et Lady Hamilton, sautillent sur des rythmes modernes; les portes s'ouvrent soudain pour que puisse entrer une chaise à porteur dont le toit brille sous des flocons de neige. La neige est un présage de mort, aussi mélancolique que la statue du gros Cupidon joufflu encore peinturluré et piqueté de trous de vers, qui bande éternellement son 6

are dans un recoin du grand escalier. Les symboles cliquettent constamment, les images sont fouillées ju!!qu'à une signification amusante mail; désenchantée. Tout passe, tout lasse. Amour et mort sont ici les leitmotive de cette romancière anglo-irlandaise. Son héroïne, Anna, une amie de la maîtresse de maison (elles ont eu l'une après l'autre le même homme comme mari) est déguisée en Donna Anna. Elle rencontre un mystérieux Don Juan masqué. Son premier réflexe est' la fuite, puis, maquillée comme u~e cantatrice ou une danseuse avec un soin extrême, elle part à sa recherche, et nous assistons à un charmant pas de deux verbal. Leur humour, leur amour pour les opéras de Mozart, leur ironie qui s'entrouvre pour laisser apparaître leur sensibilité profonde jusqu'à leur sensualité, montrent qu'ils sont faits l'un pour l'autre du moins pour le temps d'une nuit. . Ce ballet Donna Anna-Don Giovanni, tout chatoyant de romantisme intellectuel, est entrecoupé par la vision sèche et cynique d'une petite jeune fille déguisée en Chérubin, qui se précipite toutes les demi-heures dans la salle de bains pour écrire son journal. Elle est

fiancée à un garçon déguisé en Casanova et vulgairement va connaître sa première expérience sexuelle au .fond de la voiture de son père. Un consciencieux Chérubin de pacotille ... Brigid Brophy est bas-bleu jusqu'à l'insolence, c'est avec un sourire qu'elle claironne que Casanova a assisté à la première représentation de Don Juan le 29 octobre 1787, et cela au cours d'un dialogue tendre... Elle jette ainsi du poivre au nez de ses lecteurs, mais éternuer a toujours été fort agréable. Ces vagues de sophistication intellectuelle ne durent jamais longtemps, Brigid Brophy a trop de choses à dire pour cela: son esprit acéré la pousse à faire des piques et, psychologue sensible, ele aime aller jusqu'à l'absurdité de la tristesse. Brigid Brophy collabore comme critique et essayiste au New States man et au Sunday Times, elle a aussi écrit des pièces de théâtre et, contrairement à ce que son amour, ses pirouettes pourraient laisser croire, c'est une amie de l'imposante Iris Murdoch. Ce volume contient aussi Pour couronner le tout, un divertimento mené sur un ton vif et dont la drôlerie repose souvent sur des

mOIties de phrases laissées en suspens, des détails: dans une institution très sélecte sur la Riviera, deux Anglaises l'une à la voix de baryton et l'autre délicieuse evanescente, parachèvent l'éducation de jeunes filles bien. Les passions, secrètes ou pas, auraient continué à brûler tranquillement sous la canicule si soudain une redoutable guêpe du Midi et la gorge d'une princesse du sang ne s'étaient rencontrées ... Et nous éclatons de rire devant le seul scandale auquel nous ne nous attendions pas. La satire perlée de Brigid Brophy ne transforme pas les personnages en caricatures, ce ne sont jamais des pantins, ils sont seulement encore plus « vrais )J. Il est dommage que les subtilités de la langue anglaise ne puissent toutes passer à la traduction, Mme Brophy s'amuse très souvent à des jeux de mots ou à des attitudes verbales. C'est une affectation joyeuse qui, comme ses étalages culturels, peut agacer ceux que le raffinement dans l'humour irrite et qui préfèrent, comme exportation anglaise, la métaphysique de Saunders. Et pourtant la Boule de neige est dédiée à Charles Osborne ... Marie-Claude de Brunhoff


LETTRE

D'ALLEMAGNE

L'art Dloderne , , 'rn est-il d e'g'enere Pour le critique, l'histoire de la littérature allemande contemporaine se présente comme une succcssion de « cas » : le cas Rochhuth, le cas Peter Weiss, le cas Ludwig Erhard et les c( petits roquets » (pour reprendre le mot profond du chancelier sur les écrivains don t le sens critique est trop poussé), le cas du Groupe 47. De façon générale, un événement littéraire devient un cas lorsque, quittant le circuit fermé des gens de métier pour faire irruption dans la vie nationale, il mobilise brusquement l'opinion. Il apparaît alors que l'état léthargique vers lequel la vie littéraire allemande tend trop souvent n'est qu'une apparence. Le dernier de la série est le _cas Emil Staiger. Professeur de littérature allemande à l'université de Zurich, Emil Staiger jouit d'un prestige et d'une considération inégalés par aucun autre germaniste vivant. Son œuvre principale, une trilogie sur Gœthe, fait autorité. Plus encore que le biographe de Gœthe, on salue en lui sinon le créateur, du moins le défenseur le plu~ brillant de la méthode dite « werkimmanente Interpretation » (interprétation du texte par le texte qui rompt avec les biographies traditionnelles et les divagations de l'esprit historisant). Transmise par les disciples de Staiger dans les universités allemandes, la « werkimmanente Interpretation » est aujourd'hui en honneur jusque dans l'enseignement secondaire. Elle se propose de comprendre les œuvres d'après leur valeur immanente, leurs modalités propres et croit pouvoir, en conséquence, renoncer à tout apport biographique ou sociologique, à tout ce qui est adjacent ou sous-jacent à l'œuvre. Ceux qui trouvent la méthode insuffisante ou hasardeuse conviennent qu'il faut être Emil Staiger pour la manier avec une parfaite virtuosité. Le 17 décembre dernier, au cours d'une soirée organisée en son honneut au théâtre municipal, Emil Staiger re'c avait le prix de littérature de la ville de Zurich. Des discours furent prononcés en l'honneur du lauréat; la présence de hautes personnalités de l'intelligentsia suisse ' ainsi que du monde militaire et politique fut commentée dans . la presse; on joua du Mozart, et Staiger prononça luimême une allocution qui allait faire couler beaucoup d'encre. Au nom d'une liberté culturelle dont il avait appris à évaluer à leur juste prix les aspects négatifs dans la littérature moderne, au nom de ce « sens originel de la mesure à qui nous devons que l'homme existe » et que, en tout état de cause, la plupart des écrivains contemporains avaient perdu de vue, il se proposait de régler une bonne fois son compte à la littérature contemporaine. Ce qu'on s'était contenté de .murmurer jusqu'ici sous le manteau à savoir que

la littérature moderne était par trop En 1890, le préfet de police de aucun argument, aucune précision . négative, par trop nihiliste, par trop Berlin faisait interdire une pièce aucun nom nouveau. En quoi il eut sordide, par trop destructrice - , de Sudermann sur ces mots : « Il peut-être raison. Car la seule alluvoici qu'un des universitaires les y a là toute une tendance qui ne sion contenue dans son discours plus en vue l'exprimait à haute ~t nous plaît guère. » Par la suite, les est celle qu'il fait à la pièce de intelligible voix dans la langue ma- bûchers de Staline faisaient bonne Peter Weiss sur Auschwitz. Que jestueuse et châtiée des grands clas- mesure de cc genre de « ten- l'on conteste la valeur du montage siques allemands. Ce que les intel- dance ». en tant que forme théâtrale, soit ; lectuels allemands nommaient avec Vingt années d'après-guerre ont que l'on réprouve la composition mille pudibonderies et réticences fini par familiariser le public avec d'une pièce qui présente Auschla saine réaction de la sagesse po- les fameuses « tendances » mais witz d'après les seules minutes d'un pulaire trou vait pour défenseur c'était là une chose dont personne procès, fort bien. Mais il faut un homme dont l'élévation mo- n'a jamais voulu convenir. Le n'avoir ni lu ni vu la pièce de Peter rale, la haute culture et l'hono- traumatisme de douze ans de ré- Weiss pour accuser celui-ci, comme rabilité offraient tontes les ga- gime hitlérien pesait encore si fort il ressort du discours de Staiger, ranties. Le très circonspect N eue que certains préféraient déguiser d'avoir tablé sur la fascination de Ziircher Zeitung était si impres- leurs sentiments. Vont-ils pouvoir l'horreur. C'est là le langage même sionné que, paraphrasant Goethe, parler ouvertement ? de l'ignorance et du parti pris. il n'hésita pas à parler d'un nou« Enfin nous allons pouvoir à Mais à quoi bon démontrer, veau « Valmy» et à déclarer que nouveau le dire ouvertement : la comme le fait Max Frisch, que la la littérature moderne était « dans littérature moderne est dégéné- littérature moderne est loin d' « être les choux ». rée. » Ces mots ironiques de dans les choux » et que ce qui est De la littérature engagée, Staiger ne fit qu'une bouchée. « Elle ne peut rien apporter de bon à quiconque a vraiment le goût de la littérature pour la littérature. Trop directement attachée à la défense de prétendues idées humanitaires, sociales et politiques, elle aliène sa liberté, elle perd le sens d'un langage authentique, persuasif, capable de franchir les fluctuations du temps. C'est pourquoi la « littérature engagée » apparaît comme une dégénérescence de cette volonté de participation qui animait en d'autres temps le poète. ») Une telle mise en garde est anachronique dans une époque qui tend précisément à cerner de près ces problèmes dans leurs incidences politiques et sociales ct, en particulier, à contester la possibilité même de « l'indépendanC'e » et de « l'immédiateté ». Ce n'était là qu'un début. Le monde occidentaL ajouta encore Staiger, était ravagé par une prolifération d'écrivains « qui ont pour vocation de remuer l'ordure P.t de se prélasser dans l'horreur ». Et que dire des préoccupations du nouveau roman et du théâtre d'avant-garde! « C'est le règne des psychopathes: toutes les existences qu'on nous y propose sont un danger public, l'atrocité y fait l'objet Max Frisch où, sous le badinage, en jeu ici c'est tout autre cho~'t!. d'exercices de virtuosité. Tout y perce la colère, donnent le ton gé- à savoir le « prestige de l'Univerbaigne dans une atmosphère trou- néral de la riposte au discours de sité »? Le prestige du professeur ble et dans l'abject. L'imagination Staiger, qui fut ainsi définitive- d'université ne sera pas ébranlé de des auteurs ne connaît pas de limi- ment élevé à la hauteur d'un sitôt et on voit bien à quoi peuvent tes. Si ces écrivains croient que événement. Il ne s'agissait pas, de aboutir toutes ces discussions : le le cloaque qu'ils nous proposent est la part de Frisch, d'une position réquisitoire de Staiger fournira un un miroir fidèle du monde, que ces tactique, mais d'une véritable op- aliment à la rancune de ceux qui prostituées, ces maquereaux, ces position de la littérature actuelle n'ont jamais et ne seront jamais alcooliques sont les représentants aux rêves d'un « règne de la grâce d'accord avec ces « tendances » de l'humanité véritable, dépouillée et de l'amour » chers à Staiger. mais qui, jusqu'ici, devaient se contenter d1exprimer leur dépit de son masque, je ne peux que « A chaque poussée de fascisme, leur demander : croyez-vous vrai- la littérature qui ose appeler un dans le sous-monde de la littérament que toute dignité, toute dé- cloaque un cloaque est et sera ture. Le 17 décembre dernier, la cence soient mortes, qu'il n'existe toujours taxée de « nihilisme ». colère bien-pensante mais malplus d'hommes capables de senti- A chaque poussée de fascisme, la pensée des petits-bourgeois recevait ments élevés, d'actions désintéres- littérature n'est et ne sera tolérée ses lettres de noblesse. sées, de mères capables de faire qu'en tant que réceptacle des sen« Où irions-nous - disait Goethe leur devoir en silence, jour après timents nobles et élevés, bastion de à Eckermann, deux ans avant sa jour, d'amants capables de courage la dignité et de la fidélité. Mais ce mort - si les livres commençaient et de grandeur, d'amis èapables n'est pas tout : pour défendre ce à devenir plus immoraux ét plus d'une fidélité sans phrases? Tout genre ,de cause, il se trouvera tou- dangereux que la vie même... » cela existe aujourd'hui ni plus ni jours quelque intellectuel ingénu Dieter E. Zimmer (traduit de l'allemand par moins qu'autrefois. Simplement, ce et facile à abuser. » n'est plus de mode. » Adelaïde Blasquez) Staiger répliqua. Mais il n'ajouta

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

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ROMAN ÉTRANGER

• • Un beau nurolr Hector Bianciotll Les Déserts dorés traduit de l'espagnol par Françoise-Marie Rosset Coll. « les Lettres nouvelles ." Dem>ël éd., 250 p. Quelque part au sud de Los Angeles, le long des côtes de la Basse-Californie, la milliardaire Consuelo possède une île un peu montagneuse, un peu sablonneuse, avec une source, une belle maison mOISIe, style colonial américain. Elle règne, sourcilleuse, exclusive nous dirions, pour un peu, paternaliste ! sur la demidouzaine d'amis qui ont accepté ces vacances tropicales, ce farniente, cette vie calme dont les efforts sont les nuances qu'on apporte dans. la conversation, les sourires, les éloges minutieusement pesés... . Pourtant, un ver insaisissable ronge le paradis, les heures de vent, les heures de soleil. Inquiétude mal définie (la présence d'un yacht inconnu), ou malaise qui . sans . cesse remonte du passé: la mort (ou la fuite?) du fils très aimé de Consuelo, Raoul... En fait, il ne se passe rien, ou à peu près rien. Et j'ai déjà commencé de trahir ce livre, remarquablement traduit de l'espagnol par Françoise-Marie Rosset, et qui pourrait être un roman anglais, pour son charme, pour une subtilité tout oxonienne - traversé par des dialogues, des sous-conversations qui, effectivement, ne sont pas sans évoquer l'art de Nathalie Sarraute. L'un des invités de Consuelo ' est écrivain: il nous tend une clé, que naturellement on saisit: « ... le personnage se brise, n'est pas ce qu'il est, et ses actes ne sont pas ce qu'ils sont ... Ce que je veux dire, c'est que si j'accepte cette façon de voir les choses, j'écrirai un roman comme tant de romans à la mode, dans lesquels il ne se passe jamais rien, dans lesquels l'auteur se borne à faire des allusions, à noter des nuancell, à essayer de fondre, pour ainsi dire, dans un moule plus ou moins poétique, les détails triviaux de la vie quotidienne ... Oui, j'écrirai un livre dans lequel il y aura probablement un écrivain qui exposera ces mêmes problèmes... et je noterai ses paroles d'une manière ambiguë, avec un certain recul, une certaine ironie, mais sans le critiquer ouvertement ... ». Jeu de glaces - on songe à ces toiles dans lesquelles le peintre apparaît dans un miroir, dans un reflet - qui nous li vre le sourire narquois d'Hector Bianciotti. C'est la fiche de contrôle: l'œuvre est datée, cataloguée, on reconnaît sa manière, ses intentions, les influences qui l'ont marquée... L'auteur se donne les gants d'offrir sa recette: c'est celle de tout le monde, ou quasiment. Il n'y a que le talent qui ne se partage pas, qui ne se réduise pas à des formules. Bian8

Hector Bianciotti

ciotti n'a pas recherché l'originalité, puisqu'il l'a trouvée. D'un coup, avec une très grande sûreté d'écriture. Modestement, il n'a pas fait tout dire à son porte-parole: par exemple, que son roman serait d'une grande et profonde séduction. Séduit, le lecteur l'est immédiatement par la musique des mots, leur couleur, le ton du récit, qui expriment avec une rigoureuse simplicité l'évidence des choses, leurs rapports, le jeu lent des jours, les mouvements de l'eau et du ciel, l'insistance de la pluie, le poids d'une robe. Sans éclat de style, sans application. Cela est d'une belle pâte, chaude et déliée, sensuelle mais transparente. Parée, sans excès, de ce rien d'amoureuse complaisance nécessaire pour faire valoir, faire vivre une étoffe, un joyau, la lumière sur le sol: les valeurs tactiles, eût dit Berenson ! Les êtres se déplacent, se frôlent, s'approchent sans un désir très vif, apparemment, de se connaître mieux , pris dans ce réseau de perceptions sensibles, sensorielles, animales. Ces mondains, ces artistes, célèbres ou pas, ou qui le furent, comme Clara, comme Consue-

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sont gouvernés, semble-t-il, par une sorte d'instinct: ils flairent la vie pour la suivre jusqu'au bout, et craignent, par-dessus tout, de perdre sa trace d'être soudain abandonnés, seuls, rejetés sur le bas côté de la route. « On peut se passer de tout, sauf de certains êtres irremplaçables ... Et encore, et encore, on continue à vivre ... L'homme est un pauvre animal sentimental... Plût à Dieu que nous eussions la sagesse des bêtes ... » Par moments, ce contact passe, ils se rapprochent, ils tentent de se fondre les uns dans les autres : il faudrait, on devrait « se comporter avec les gens qu'on aime comme si on les voyait pour la dernière fois. » Cela se retourne en égotisme. Le plus vif, c'est aussi le plus indépendant (celui à qui rien ne peut arriver), le plus seul mais sans doute le seul sincère et celui qui est encQre pur: Alberto, l' a dol e s c e n t, le petit-fils de Consuelo. A l'occasion d'une sonee en costume, voilà ce qu'ils redoutaient (se trahir) qui les menace brusquement: « Tous s'immobilisent, étonnés, interloqués. ouvrant de grands

yeux comme s'ils assistaient à l'apparition terrifiante du véritable Moi de Rawicz, ou de n'importe lequel d'entre eux ... » Ils sont ensemble, à la seule mais nécessaire condition de respecter les règles du jeu de société. Ensemble alors, ils accéderont peut-être à ces Déserts dorés, cette « plate-forme dorée du monde», où ne parviennent que les privilégiés, les élus - semblables à ceux qui étaient reçus chez la duchesse de Guermantes, à ceux qui étaient admis, choyés et captivés par le Paris des Ambassadeurs, à ceux qui tentaient, confortablement, de mener à bien une longue interrogation, qui tentaient la Traversée des apparences, ou ceux encore qui firent et défirent un livre: les Fruits d'or! Elus de l'argent, du vice, de l'art, des titres, de l'amitié ... Un noyau pour survivre! Ce roman, qui est un beau miroir, a su capter les -reflets des littératures les plus subtiles, celle de Henry James, dc Nathalie Sarraute, de Virginia Woolf, ct les séductions les -;--lus sensorielles. En quelque sorte. un poème. Et un écrivain . Claude-Michel Cluny

ÉDITEURS

Flammarion Le premier livre édité par Ernest Flammarion, libraire sous les arcades du théâtre de l'Odéon, fut, en 1878, l'Astronomie populaire par Camille Flammarion. Ce fut un succès et bientôt la maison s'agrandit, acquit l'immeuble actuel de la rue Racine ainsi que de nombreuses librairies dans toutes les grandes villes de France et le dépôt des livres dans les gares (qui, par la suite, passa entre les mains de Hachette) . Les grands auteurs de l'époque, Courteline par exemple, donnèrent alors aux éditions Flammarion l'autorisation de publier leurs œuvres dans les fameux fascicules à cinq francs qui furent un des nombreux ancêtres du livre de poche. Entreprise familiale, aujourd'hui dirigée par Henri Flammarion , la maison est également un organisme de distribution qui , outre un fonds important de littérature générale, diffuse des livres de médecine, des livres d'enfants tels les c Albums du Père Castor ", des livres d'art, des livres de cuisine qu'il est intéressant de signaler à cause de leur tirage qui atteint parfOiS un million d'exemplaires, des livres en format de poche comme la collection c J'ai lu " ou les classiques c Garnier·Flammarion " , des . livres techniques, etc. -

Bientôt : Françoise Bagan Depuis l'arrivée à la direction littéraire d'Etienne Lalou, il y a deux ans, beaucoup d'efforts ont été faits

pour attirer de nouveaux auteurs. Ainsi, on attend beaucoup de la collaboration de Françoise Sagan lorsqu'elle aura achevé le roman qu'elle doit encore à Julliard. On nous promet, pour février, un premier roman de Claude LanglOis : la Dissection (la dissection des hommes par une femme), un roman d'Escarpit : Honorius pape, un roman de Guy Mazeline : Un amour d'Italie. Gabrielle Roy, romancière canadienne qui obtint il y a quelques années le prix Fémina pour Un bonheur d'occasion et qui peut être considérée comme la première de cordée des romanciers canadiens que la dernière saison littéraire a révélés, publiera en mars un recueil de trois contes intitulé Route d'AltaJ11()nt.

Collections historiques Cette volonté de renouvellement se marquera surtout sur les grandes collections et, en particulier, sur les collections historiques dirigées par Henri Noguères et qui sont au nombre de trois : • Argus ", qui se propose d'étudier les dessous de l'histoire contemporaine et annonce pour la fin de janvier les Franciscains de Bourges de Marc Toledano; c Histoire • où seront réédités de grands claSSiques tels ,que, récemment, la Fumce de Louis XIII à Richelieu par Victor Tapié et, enfin, une collection que l'on prépare pour la rentrée 67 et sur laquelle on fonde beaucoup d'espoirs : c l'Histoire dépasse la fiction ".

Grâce à la documentation fournie sur une époque donnée par le Centre permanent de Documentation historique Flammarion dirigé par Marc Ferro, elle permettra à de grands romanciers de se pencher sur les époques qui les intéressent particulièrement.

Sciences et poésie Dans la c Nouvelle Bibliothèque scientifique dirigée par Fernand Braudel et qui a publié la Mort de Jankélévitch, l'Homme en évolution de Dobzanski, on annonce la sortie d'un ouvrage de Pierre Fougeyrollas : Modernisation des hommes, l'exemple du Sénégal. Dans la collection c l'Age d'or ", d'une orientation très littéraire et dirigée par Henri Parisot (y ont été publiés notamment la Vie des fantômes d'Alberto Savinio ou l'Anthologie de la poésie fantastique, on annonce pour mars les Contes de Grimm, édition intégrale, traduction et présentation d'A. Guerne. La nouvelle collection de poésie, c Poésie Flammarion " , dirigée par Marc Alyn, publiera en mars un recueil de poèmes de Robert Graffin : le Versant noir. Signalons enfin la suite des œuvres complètes de Chestov dont on nous annonce pour février le tome Il et pour mars le tome III. Un pamphlet sur une question à l'ordre du jour : le Complexe de gauche par Jean Pluymène et Robert Lassiera.


HISTOIRE LITTÉRAIRE

Le vrai Casanova Casanova Histoire de ma vie préface d'Emile Henriot Club français du livre éd. Casanova Mémoires Commentaires et éclaircissements de Gilbert Sigaux et Jean Savant Cercle du bibliophile éd. J. Rives Childs Casanova trad. de l'anglais par Francis-L. Mars J .-J. Pauvert éd., 450 p.

Il passe pour un hâbleur, et romancier plutôt que mémorialiste. De fait les Mémoires (dont le titre original est Histoire de ma vie, sous les deux titres il s'agit du même ouvrage) fleurent bon le roman. Un roman à multiples épisodes, d'une variété indéfiniment renouvelée, fort constant néanmoins dans la liberté du ton et la rapidité de l'allure, un peu longuet par endroits mais, je ne sais comment, sans jamais atténuer sa vivacité ni ses couleurs. Un merveilleux rajeunissement du genre picaresque. Et cependant les casanovistes protestent que dans ce débridement du romanesque (jouons sur les deux sens du mot romanesque) tout est vrai ; ou, du moins, presque tout. Les casanovistes sont les gens les plus sérieux et les plus savants ' du monde. D'ailleurs l'austère érudition fait toulours bon ménage avec les écrits libertins. Les découvertes qu'elle a accumulées pour éclairer les Mémoires ont quelque chose de prodürieux . Vous le constaterez en feuilletant les notes qui abondent dans toutes les éditions actuelles ; et en lisant, de près, la biog-raphie de M. J. Rives Childs, parue en 1961 à Londres, en 1962 à Paris. Cet écrivain est un chercheur patient, il l'a montré avec sa monumentale bibliographie de Restif de ~a Bretonne; c'est aussi, singularité plus rare, un chercheur qui trouve. Et, comme il arrive souvent dans la critique anglo-saxonne, il sait parler même des choses ardues avec agrément. Au demeurant, ce fougueux défenseur de l'historicité des Mémoires doit aussi passer beaucoup de temps à en relever les erreurs et les prétéritions. Disons que les doctes ont si souvent pris Casanova en flagrant délit de véracité que nous devons bien admettre, par extrapolation, le principe de sa sincérité. Selon M. J. Rives Childs, les aventures d'amour occupent environ un tiers de la volumineuse Hi.~toire de ma vie. C'est moins qu'on ne croit d'ordinaire. C'est déià beaucoup, - étant donné que . J.es amours casanoviennes ont uniformément, ou presque, la struc-

ture d'amours toutes simples. Une seule expérience ' de pédérastie ; par devoir, dirait-on : cela n'intéressait pas notre Vénitien du XVIIe siècle. Quelques touches d'exhibitionnisme, de travestissement. Un peu d'inceste : il se flatte d'avoir pu, par hasard, coucher avec l'une ou l'autre de ses filles ; rien de comparable, toutefois, à la complaisance maniaque de Restif de La Bretonne, chez qui on croit deviner l'obscure obsession de ressusciter d'une certaine manière la semence perdue (rappelez-vous le complexe, balzacien un peu, baudelairien surtout, de l'être essentiel qui s'écoule). Pas d'érotisme à proprement parler; Casanova ignorait cet aspect-là de la spiritualité, comme il en ignorait les autres aspects. Et rien, même en filigrane, qui évoque pour nous Laclos ; ni, à plus forte raison, Sade. Le libertinage, poussé à l'extrême, et parce qu'il tend à annihiler ce qu'on est con-

Portrait de Casanova par son frère

venu d'appeler l'âme, conduit inéluctablement à une escalade de la destruction ; Casanova s'arrête audessous du point critique. Il se contente de s'amuser, et d'amuser les femmes innombrables qui acceptent de se faire complices de son jeu, de ses jeux. -nont la narration aurait bientôt fait de devenir fastidieuse. Pour en relever le goût, le mémorialiste a trouvé des moyens de surenchérir dont je ne puis me défendre de

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

tisme et la magie le crédule Siècle des Lumières, agent secret, agent double parfois, maître chanteur sur les bords. (Je ne crois pas en remettre, j'en oublierais plutôt.) Et toujours avec grâce. Libéralement accueilli par les meilleurs esprits, comme par les ministres, comme par les souverains eux-mêmes. Les barrières sociales étaient infiniment plus élastiques que dans la société balzacienne ; les relations maçonniques et rosicruciennes y aidaient. M. Gilbert Sigaux, dans sa préface, qui est juste, pénétrante, vigoureuse et de grand style, a raison de repro-duire . une jolie page de Paul Hazard sur les aventuriers cosmopolites du XVIIIe siècle. Un peu trop jolie, cette indulgence souriante ne va pas sans raboter les beaux et inquiétants reliefs de la truanderie. Après avoir dilapidé des fortunes fabuleuses, il termina sa vie (17251798) dans l'effacement, d'une manière minable sinon misérable, au château d'un mécène autrichien, comme bibliothécaire. C'est là qu'il écrivit ses mémoires. En français. Et le manuscrit à son tour subit toutes sortes d'aventures. Je n'en retiendrai, non sans tricherie, que ce qui peut concerner le lecteur français d'aujourd'hui. Ce manuscrit fut acheté en 1821 par l'éditeur allemand Brockhaus. Lequel ne voulut pas le publier tel quel ; non pas par un scrupule de moralité, mais parce qu'il était écrit dans une langue mal assurée. (Il est d'ailleurs abusif de parler à ce propos, comme on l'a fait, d'un « sabir» franco-italien : nous avons maintenant, vous allez le voir, les moyens d'en juger.) Brockhaus chargea un Français, Jean Laforgue, qui enseignait le français à Dresde, de. mettre le texte au point. La version Laforgue parut de 1826 à 1838. Elle fit foi, bon gré mal gré, jusqu'à ces dernières années. On l'améliora : on y incorpora des pages resurgies on ne sait d'où (il y a toujours du mystère autour de Casanova), on l'enrichit des annotations dont nous parlions tout à l'heure, - on la conserva comme base. On savait cependant que le manuscrit authentique - ou l'un des manuscrits authentiques, là encore il y a du mystère - demeurait dans les coffres de la maison Brockhaus, d'où l'on ne parvenait pas à le faire sortir. Cette réticence étrange renforçait les suspicions, le discrédit. « Jacobin et athée, écrit brutaletruand. Fin, non seulement insment M. J. Rives Childs, Laforgue truit mais cultivé, spirituel, amudéforma la pensée de Casanova au sant en un temps où le pire des point de le faire apparaître irrélivices était d'ennuycr : un truand gieux, en même temps qu'il élutout de même. Non pas tueur ; dait ou atténuait ses commentaires peu bretteur; en revanche, joueur, défavorables sur la Révolution tricheur sans doute, maquereau à française... Il dédaigna de conserl'occasion, fraudeur, faussaire, cour- ver maints détails sur les lieux et tier marron, escroc inépuisablement l~s personnages ... : pour lui l'intriinventif, grand organisateur d'af- gue était tout et les précisions mifaires mirifiquement douteuses, nutieuses sans intérêt. Si Laforgue cynique exploiteur de l'engoue- sauta quelques épisodes qu'il jugea ment que montrait pour l'occul-

croire qu'ils sont d'ordre littéraire. Ses performances amoureuses, par exemple ; encore avoue-t-il avoir su faire un bon usage d'une particularité naturelle qui lui permettait de différer longuement ses propres conclusions ; cependant, si nous devons en croire tant dè témoins de l'époque qui se donnent pour acteurs, ces hommes-là étaient doués d'une constitution inépuisable; quelque physiologiste-historien pourrait, en élucidant ce point, éclairer tout un secteur de notre littérature du XVIIIe siècle. Et surtout, d'aventure en aventure, Casanova s'attache si attentivement à changer les circonstances, les décors, les costumes et les accessoires qu'on soupçonne en lui la constante arrière-pensée de masquer la monotonie du principal : souci de romancier, même si, sans inventer, il se contente de trier parmi ses souvenirs. Ce séducteur et ce charmeur était, de son .propre aveu, un

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suprêmement li,cencieux, à d'autres endroits il a défiguré la prose de Casanova, en général pudique, par l'ad jonction de détails volontairement croustüleux... L'opinion publique sur Casanova ... . s'est formée d'après un texte altéré qui, à tant d'égards, est une caricature. » Hé là, hé là! Et d'abord, connaissons-nous l'inventaire des documents que Laforgue eut à manier ? Il se trouve qtie les archives casanoviennes de la dynastie, Brockhaus échappèrent à la guerre, aux bombardements, aux pillages. Si bien qu'enfin, de 1960 à 1962, on a pu voir paraître simultanément chez Brockhaus à Wiesbaden et chez Plon à Paris le texte de l'Histoire de ma vie authentique, intégral. exactement établi, minutieusement annoté. C'est cette édition qu'a entrepris de reproduire, en douze petits volumes précieux, le Club français du · livre. Cependant le Cercle du bibliophile n'hésite pas, de son côté, à entreprendre une reproduction de la version Laforgue. Il n'y a pas si longtemps que nous manquions en librairie d'un Casanova complet ; actuellement, ces deux souscriptions de clubs venant s'ajouter à la Pléiade de Gallimard (avec la version Laforgue comme base) et au Plon/Brockhaus, nous avons du choix. Que choisir? Je répondrai à la normande. En faveur du texte des archives Brockhaus les arguments sont évidents; aucune objection ne saurait tenir en face de l'authenticité. Mais le pauvre Laforgue mérite-t-il tout le mal qu'on a dit de lui ? Les publications récentes, l'une et l'autre à leur débuf il est vrai, permettent, par sondages, des recoupements: ù semble en résulter que, contrairement à l'opinion admise, l'adaptateur a, pour le moins, suivi au plus près l'esprit d'un style dont la lettre était trop souvent incertaine et flottante. Un historien, un érudit se doivent, certes, de rejeter Laforgue. Un simple lecteur devrait s'associer à la répudiation s'il s'agissait réellement de la « caricature » dont parle notre ·spécialiste. Mais la question ne nous paraît pas encore tout à fait tranchée. Et, après tout, qui sait si Casanova lui-même ne se fût pas déclaré très content du secrétaire imprévu dont le munissait sa destinée posthume, vraiment plus plaisant à lire, et tellement plus aisé ? Oui, je sais : voilà une orientation qui conduit à des abus scandaleux. Notamment à ceux que nous voyons tous les jours se perpétrer dans notre presse et chez certains de nos éditeurs. Mais je ne puis oublier non plus qu'au siècle dernier on a pu quelque temps regarder l'Histoire de ma vie comme des mémoires apocryphes attribuables à Stendhal ; l'hypothèse n'a pas tout de suite paru absurde : n'est-ce pas une fameuse note pour Laforgue? Samuel S. de Sacy 10

La comédie espagnole

Le vrai Casanova Charles-Vincent Aubrun La Comédie espagnole (1600-1680) Coll. « Etudes et Méthodes » P.U.F., 160 p.

Avec un total d'environ dix mille ' pleces, sans compter les œuvres allégoriques religieuses « auto-sacramentales» montées en plein air chaque année pour l'exaltation de la foi et du sacrement de l'eucharistie, la comédie espagnole du siècle d'or représente une production qui', par sa masse et sa diversité, par l'ampleur de son public, par ses implications sociales et son rôle dans la vie quotidienne, fait irrésistiblement songer, mutatis mutandis, à notre cinéma contemporain, ' tel qu'il régnait, du moins, sans partage, avant l'hégémonie de la télévision. Entendez ici, bien sûr, sous le terme de comédie, un genre spécifique, tout à fait étranger à la stricte démarcation du tragique et du comique établie par notre classicisme, différent aussi du théâtre élisW;;thain, lequel ne mêle ces deux tonalités que pour mieux basculer vers l'une ou vers l'autre au dénouement; une véritable tragi-com~die, en somme, où tous les dosages sont licites, mais qui se maintient comme telle de la première à la dernière scène. Aucun ouvrage de synthèse ne lui avait été consacré en France depuis celui de Morel-Fatio en 1885, réédité en 1923. Encore l'étude magistrale du grand hispaniste n'était-elle qu'une introduction, grevée dans ses jugements de valeur - fort sévères - par une adhésion plus ou moins consciente à la dramaturgie de son époque. D'autre part, ce théâtre qui a inspiré Corneille et Molière, où Claudel et Montherlant ont puisé, qu'un Camus n'a pas dédaigné de traduire, reste eneore aujourd'hui, en dépit de quelques reprises réussies, le parent pauvre des adaptations étrangères sur nos scènes. A vrai dire, ses immenses ressources demeurent souvent inconnues de ceux-là mêmes qu'elles devraient intéresser au premier chef, comédiens et animateurs, et c'est un des mérites du livre que voici d'en proposer l'inventaire systématique et cohérent. Il y avait deux façons d'aborder un tel sujet: partir des cimes les plus célèbres, de Lope de Vega à Calderon en passant par Tirso de Molina, ou bien s'attaquer de front à l'énorme massif, pour en mettre au point la topographie d'ensemble, çt nous permettre ainsi de circuler à l'aise dans toute son étendue. C'est cette seconde voie, la plus ardue mais aussi la plus neuve, que l'auteur a choisie, dans une double perspective, sociologique et structuraliste. Théâtre et société donc, analyse du conditionnement concret de la « cOllledia » sous tous ses aspects, mais qui se garde bien

d'utiliser l'histoire littéraire comme science ancillaire de l'histoire tout court. Ce théâtre ne constitue nullement un reflet de la société qui l'a vu naître. Il en est, au mieux, la projection déformée. Il nous la dépeint telle qu'elle se voit, peutêtre, telle qu'elle se veut, plus exactement, et à travers les modèles qu'elle a décidé de se donner. Le décalage entre réalité vitale et réalité scénique ne laisse pas, pour autant, d'être fort significatif. Révélateur des contradictions internes de l'époque, il nous fournit aussi la clé de bien des éléments du spectacle lui-même, dont on trouvera ici un examen d~taillé, depuis l'aménagement , du lieu théâtral et l'emploi des costumes ou du décor, jusqu'à la technique de l'acteur, les relations que celuici entretient avec le public, et la situation morale du dramaturge, ignoré fréquemment par la foule, au profit des « vedettes» et du chef de troupe. La deuxième perspective adoptée reprend le problème du dedans, dégageant, textes à l'appui, les schèmes fondamentaux du genre, le réseau de conventions qui les articule et la logique souterraine qui les sous-tend. Il y a là un monde clos, polarisé autour de quatre thèmes majeurs: la foi, l'ordre social, l'amour, l'honneur et sa subtile casuistique. A chacun de ces thèmes correspond un certain nombre de mobiles, qui gouvernent des personnages au tempérament déterminé d'avance, et sont les véritables moteurs de l'action. Une action fertile en rebondissements, mais conduite par un système causal rigoureux, à l'issue de laquelle l'équilibre, de toute manière, doit se rétablir entre les diverses composantes du microcosme édifié pour un soir sur les planches. On conçoit donc que ce théâtre se soit vu souvent reprocher ses faiblesses sur le plan de la psychologie. Le reproche n'est fondé, cependant, que si l'on refuse de juger ces œuvres selon les lois qui leur sont propres. Considérées, au contraire, à partir de leur cohérence intime et des multiples virtualités de sens qu'on y découvre, elles manifestent bien cette jeunesse et cette actualité dont parlait Camus dans la préface qu'il écrivit pour sa traduction de la Dévotion à la croix, et sur quoi l'auteur de cette étude insiste encore, au terme de son travail: « Si, fidèle au seul texte, l'interprétation en soulignait la structure et la dégageait du clinquant éteint de ses atours premiers, la « comedia» pourrait connaître un regain de faveur, non certes comme un nouveau caprice de la mode littéraire, mais simplement parce que, comme le théâtre élisabéthain ou le théâtre de notre grand siècle, elle redeviendrait utile. et elle aiderait les hommes à mettre de l'ordre, un ordre « tragi-comique», dans leur chaos intérieur. » Jacques Fressard

Novalis L'Encyclopédie traduit par M. de Gandillac préface d'Ewald Wasmuth Coll. « Arguments » Minuit éd., 436 p.

Entre 1798 et 1799, trois ans avant de mourir, à l'âge de 29 ans, Novalis voulut tout encyclopédiser. Toutes les idées, toutes les intuitions, tous les commentaires que lui inspiraient la lecture des livres et sa propre expérience d'écrivain, il en chercha l'ordre, et pour cela tenta l'impossible établir un « système scientifique» qui lui permettrait d'opérer une révision de toutes les pensées. Démesurée, cette entreprise constitue, pour un poète comme Novalis, l'horizon à partir duquel il faudrait interpréter toute son œuvre. Bien qu'il l'abandonnât presque complètement les deux dernières années de sa vie il les consacra à son roman, Henri d'Ofterdingen, lui aussi inachevé - , ce projet d'Encyclopédie est la réponse « romantique » la plus importante qui ait été donnée aux encyclopédistes français. Tout entier tourné vers le futur, la littérature future et le livre à venir, Novalis a voulu y semer « le germe de tous les livres» , et pour cela présenter la nature elle-même comme un « index, ou un plan encyclopédique. systématique, de notre (fragment 1682).

Le livre des livres Ce livre des livres, dont tout poète est sans doute l'auteur potentiel, il a fallu la patience de Paul Kluckhohn, qui reproduisit le « chaos naturel» des cahiers et des manuscrits de Novalis dans les Schriften en 4 volumes (Leipzig, 1928), pour qu'Ewald Wasmuth, auquel nous devons le classement des fragments selon un plan qui correspond au schème de l'Encyclopédie rêvée, puisse nous en dévoiler l'ampleur. La lecture d'une telle « utopie », sauvée de son désordre et de son abandon, suscite un certain vertige. Dans cette masse organisée par W asmuth selon les trois stades qu'il reconnaît dans l'œuvre de Novalis: « systématique, encyclopédique, prophétique», nous sommes submergés par le désordre d'un esprit génial, assoiffé de toutes les connaissances, et qui passe de l'éclair intuitif le plus révolutionnaire à la nomenclature la plus fastidieuse. Ces mille huit cent trois fragments sont les traces de pas d'un homme qui s'égare volontairement dans la totalité, et qui, pour lutter contre le rationalisme français, et pour illustrer ses conceptions d'un Etat « idéal» qui serait à la fois une république et une monarchie, se forgea une « méthode de génie divinatoire»


Novalis dont le moins qu'on puisse dire des droits de l'auteur»: c'est le est qu'elle n'était pas infaillible. paradoxe du monde logique que de Mais fallait-il qu'elle le fût? L'er- ne pas préciser « logiquement » reur lui était aussi nécessaire que tous les moyens d'accès et de perla vérité, ce fut même l'un des fectionnement logiques, dont la premiers penseurs occidentaux à lecture fait évidemment partie. dénouer ces sclérosantes antino- Lire Novalis, c'est se confronter au mies de la logique, celle du corps génie et pour s'y confronter vraiet de l'esprit en premier lieu De ment, il faut devenir génial soitoutes les oppositions celle du corps même. Oui, Novalis condamne son et de l'esprit est l'une des plus lecteur au génie, à l'ouverture, à remarquables et des plus dange- la totalité. Mais le génie lui-même, reuses », fragm. 1658), l'un des dont tout semble dépendre, n'est premiers penseurs occidentaux à rien s'il n'est divinateur, s'il ne reconnaître la nécessité d'une re- rend pas possible l'impossible, s'il fonte complète de l'entendement n'est pas « le seul expérimentateur humain, d'un surrationnalisme valable », c'est-à-dire s'il ne fait scientifique. Pardonnons-lui donc du lecteur d'un livre chaque certaines confusions non moins livre étant « la représentation d'un dangereuses que la logique gros- génie» la personne synthétisière, puisqu'elles s'inscrivent dans que, celle qui est à la fois plusieurs un projet où le futur est privilé- . personnes, dont il précise que chagié par rapport au présent, et que que individu est la possibilité. Lire nul n'a pu mener à terme depuis. l'Encyclopédie de Novalis, c'est Entre Schelling et Fichte, Novalis donc .devenir soi-même plusieurs a vécu la pensée préhégélienne lecteurs face au germe de tous les avant tous ses amis, et s'il n'y livres, et cela n'est pas le cas de avait eu l'exception de Holderlin, l'Encyclopédie française, qui conil serait le seul poète d'Occident tient, dit Novalis « un très grand à avoir osé affirmer que la « phi- nombre d'articles non digérés» et losophie ne sera jamais achevée », « vaut parfois pour une consultaqu'elle va « du futur et du néces- tion rapide, mais seulement lorssaire à l'effectivement rée{ » qu'on est assez instruit pour ne pas (fragm. 149) et que « pour appren- se laisser conter des sornettes» dre à bien connaître une vérité, il (fragm. 22). faut d'abord avoir également polémiqué contre elle (Méthode grandiose») (fragm. 205). Une théorie de l'éoriture Dans Grains de pollen, qui est sans doute son chef-d'œuvre aphoC'est, à nos yeux, cette insistance ristique, quelque chose comme l'équivalent de la Préface à un sur le pouvoir du livre lui-même, livre futur, de Lautréamont, Nova- cette volonté de « tout forcer à lis déclare que « l'art d'écrire des s'imprimer, se silhouetter, se chiflivres n'est pas encore inventé », ·frer acoustiquement », cette « absomais qu'il est « sur le point de lutisation », cette « universalisal'être ». L'Encyclopédie, ou « bible tion », cette « classification» de scientifique », telle qu'elle fut pen- l'élément individuel, de la situasée pendant deux ans, était sans tion individuelle (qui définissent, doute le livre qui exigeait, par selon Novalis, la doctrine de l'art excellence, une invention révolu- et l'art du roman), qui font de son tionnaire: le classement de Was- Encyclopédie, non pas une « bible muth, à cet égard, est contradic- scientifique », comme il le souhaitoire avec l'ambition qui sous-tend tait, tant ses aperçus sur les sciences sont naïfs, ou caducs, ou tous ces fragments : aberrants, mais une théorie de « Si nous avions une fantastique comme nous avons une logique, on l'écriture. Car « le monde de l'écridécouvrirait - l'art de découvrir » ture, dit-il, est la nature potentialisée, ou monde technique » (fragm. (fragm. 1466). 395). En une seule phrase, il réC'est en effet cette fantastique, qui permettrait au lecteur de dé- sume ainsi sa pensée et son projet : écrire, pour lui, c'est encyclopécouvrir l'art de découvrir, qui est l'ordonnatrice future de l'Encyclo- diser le monde au futur et, de ce pédie inachevée, et c'est faute de fait, rendre « technique» notre cette fantastique qu'elle n'a pas été usage même du monde, tout orienachevée. L'ordre imposé aux frag- ter selon les axes préparateurs ments: Philosophie, Sciences ma- d'une volonté de transformation, thématique, les Sciences de la créer une machine qui nous rapNature, Théorie de la Naiure et proche de l'âge d'or, ce temps où du Vivant, les Sciences philologi- « l'histoire deviendra le rêve d'un ques, Histoire et Science de l'Etat, présent infini, qui remplira tout Anthropologie, Cosmologie et Reli- l'horizon ». Nous sommes loin, dans cette gion, est un ordre logique, non un ordre « fantastique ». Il facilite perspective qui est celle d'une certainement la lecture de ces fragpraxis révolutionnaire, des louanments, mais il en déforme souvent ges insupportablp.ment flatteuses le caractère multilatéral, ambigu, adressées par No".ùis à Frédéricoscillant, ou, pour mieux dire, Guillaume III dans Foi et Amour, basculant. Car, Novalis l'avait noté, et dans la Chrétienté ou l'Europe ... il est « étrange que l'on ne possède Peut-être ne pouvons-nous comaucune doctrine logique des de- prendre, aujourd'hui, l'espoir invoirs du lecteur et aucune doctrine sensé qui fut celui de ces jeunes

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La Quinzaine littéraire

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Novalis

Allemands au lendemain de la Révolution française, pendant les canonnades et les claquements de drapeaux aventuristes de Napoléon: le « mysticisme» politique et son revers, l' « idéalisme magique», furent pour Novalis, comme pour F. Schlegel, qui bientôt devait se convertir à son tour' au christianisme, les garde-fous de la confusion idéologique inévitable engendrée par les contradictions des révolutionnaires français euxmêmes, de Robespierre à Babeuf, de Saint-Just à Marat. Leur nationalisme aussi nous choque, alors que tous les mouvements révolutionnaires n'ont jusqu'à présent fait cause commune avec la Nation où ils ont cru pouvoir triompher : nous vivons aujourd'hui encore dans une « chrétienté » européenne où le nationalisme, le mysticisme politique sont nostalgiques, entêtés, virulents, la volonté encyclopédique n'a toujours pas achevé son mouvement de révision générale, le grand basculement n'a pas eu lieu, la pensée en est encore à polémiquer contre une vérité qui se dérobe depuis deux siècles, et c'est pourquoi, devant les confusions politiques de Novalis, nous devrions d'abord nous demander si elles ne correspondent pas, dans le langage philosophique qui fut celui de ses contemporains, à celles qui font de nos « humanismes» contradictoires les survivants dérisoires d'un romantisme qui n'a plus lieu, puisque son avenir même a été trahi. Cet homme qui affirmait: « On peut tout écrire avec des mots, toute activité s'accompagne, ou peut s'accompagner de mots », que « la poésie est la représentation du fond de l'âme, du monde intérieur dans sa totalité», qui pressentait donc la découverte de l'inconscient, ,et qui, dans la sérénité, osait écrire que « les plus hautes œuvres d'art sont purement et simplement déplaisantes» (fragm. 1493), que l'art « est entièrement à venir» (fragm. 1496), cet ' homme qui identifia Sophie, une jeune fille

de 14 ans, à la gardienne du Mystère et dont on sait qu'il inventa le mythe de « la Fleur Bleue», mais qui disait de l'écrivain que « c'est la parole et l'écriture mêmes qui' doivent l'inspirer en le poussant à écrire et à parler», voilà qu'il nous parle de nouveau. Son Encyclopédie nous pose la question que pose le Sphinx à Fable, dans Henri d'Ofterdingen: « Qui frappe plus soudainement que l'éclair? ». « La vengeance », dit Fable. » Aujourd'hui que répondrions-nous? Puisque « le penseur est capable de tout faire à partir de tout», n'est-ce pas la pensée même qui frapperait plus soudainement encore? Elle n'est pas encore inventée, on le sait. Malgré tous ses défauts, l'Encyclopédie de Novalis est l'exemple même, exceptionnel dans son siècle comme dans çeux qui allaient lui succéder, d'une volonté d'écriture totale, qui changerait vraiment le penser authentique en un « faire», sans lequel « les affirmations de l'homme génial ne sont rien que des -pnncipes critiques sans corrélation entre eux. » La « praxis » de l'écrivain, horizon de son Encyclopédie potentielle, est aussi sa seule justification. Mais cette « praxis» ne consiste pas seulement à prévoir, comme Novalis, des machines à répandre la pluie sur les régions sèches, ou même à se demander: « Comment peut-on faire de quelque chose un organe?», elle ne consiste pas seulement à le rendre capable d'administrer des mines de sel mais à entreprendre au niveau de l'écriture même le changement radical de point de vue sans lequel la notion même d'individu est un obstacle: « Nous ne sommes absolument pas moi - mais nous pouvons et devons devenir moi. Nous devons tout transformer en un toi. » Ou, plus brièvement, de manière décidément beaucoup plus positive que Rimbaud: « Je suis toi ». Alain Jouffroy 11


INÉDIT

Claude Roy: Profil gauche de Les Œuvres complètes de Roger Vailland vont être incessamment publiées par les Editions Rencontre. En préface au premier volume Claude Roya parlé de son ami. Nous avons tiré de ce texte le passage suivant. Je ne tente pas un portrait en pied de Roger Vailland: mais 'seulement, d'un ami qui a tenu dans ma vie une place rare, j'esquisse un portrait de profil, le profil gauche si on veut. Je dirai je pour aller plus vite, comme nous nous disions tu. Les analyses méthodiques de Roger, son souci d'organisation rationnelle de la vie, le goût de se donner des règlements comme le militaire dans sa citadelle, le moine dans sa cellule, ou le marquis de Sade dans son château, sa passion de la stratégie: il y avait d'abord en lui le souci' obstiné de se cuirasser, d'organiser un système de défense, et de se tenir, comme dans un corset de fer. Le grand reproche qu'il me faisait, c'était d'être vulnérable. Lui se voulait blindé, d'acier, à toute épreuve. Mais il avait assez de feu , de folie, de violence et de fragilité pour que la cuirasse ne devienne jamais une coquille, ni les contreforts défensifs une prison. Heureusement Roger n'était pas cet homme de fer qu'il ambitionnait d'être. Il aurait fait mourir d'ennui ses amis, et de froid ses lecteurs. Le prix de son œuvre, sa qualité singulière, c'est d'être une entreprise de lucidité soutenue par la passion de l'utopie. Soutenue ? Et, aussi, contredite, menacée, avivée par elle. L'utopie : un état merveilleux qui soit le contraire de tout ce qui nous entoure. Thomas Morus, Campanella, les inventeurs d'îles de la Félicité, décrivent un état de grâce commun aux membres d'une société, cet état de grâce que les réformateurs, les despotes éclairés, les révolutionnaires victorieux tentent de réaliser. Mais la démarche qui conduit li concevoir cet etat de grâce partagé par tous, c'est toujours dans un projet individuel qu'elle prend son essor. Vailland finira sa vie athée~ comme il l'avait commencée dès « l'âge de raison ». Mais il aura beau multiplier, comme nous tous, les affirmations sans relâche, qu'on n'entre pas au Parti pour faire son salut, que c'est seulement « une tâche concrète, un boulot, cela ressemble au travail du mineur, du métallo, du soldat », qu'il s'agit de transformer le monde, et « c'est souvent ennuyeux, cela fait

De l'Inde au Maroc, du Congo au Liban, de la Chine à l'Argentine: 2 milliards d' humains, 90 pays et des milliers de/angues et de religions ... Autant de cultures, d'arts, ! d'économies, de techniques et de problèmes ... Une richesse ancestrale qui remonte à l'origine des temps et qui est, encore, inconnue à 99 %! En France SEUL c Jeune Afrique :. peut vous faire découvrir toute cette culture. · Spécialisé dans les questions du Tiers Monde, c1eune Afrique:. les étudie de l'intérieur mais avec un éclairage et une méthode modernes. 1

Devenir Dieu Mais quoi: Vailland à dix-huit ans, et jusqu'à la fin, même dans les distances, la distance et la froideur appliquée, préférant être spirituel que spiritualiste, l'ambition de son départ le tenaillait toujours: « Nos parents ne nous donnaient pas assez d'argent pour que nous puissions emmener à l'hôtel la vendeuse des Grandes Galeries. Tant pis. Nous allions devenir Dieu. De dix-huit à vingt-cinq ans, je n'ai eu pour ambition que de devenir Dieu. Cela m'évitera bien des impairs.» Le goût qu'il avait des bolides, la voiture de course que nous avions ramenée d'Allemagne, plus · tard la Jaguar, le recours à l'alcool, l'envie furieuse, un jour (déçu, désabusé) de ne plus tirer le diable par la queue puisque, tiré par la barbe, Dieu n'avait · rien répondu, tout cela: des ersatz. Roger voulait devenir Dieu, tout de suite, et totalement. Mais qui désire moins? Il me disait que sa fierté, c'était d'avoir toujours su se désintoxiquer à temps: de ses passions, de la morphine, du communisme stalinien. Je lui répondais que prendre ses distances, pas celles des précautions mesquines, mais celles de la lucidité, du relatif dans l'absolu, ce n'est pas forcément rejeter, se retraire, et qu'à cinquante ans il continuait à croire à la poésie, sans la mystifier, à aimer totalement Elisabeth, sans la diviniser, à croire qu'on peut (lentement, patiemment) « changer la vie », sans en faire une affaire re]'gieuse ... Religieuse ? Le mot le rendait . furieux.

«Je suis athée» Vailland refusait d'établir une corrélation quelconque entre l'aventure individuelle « des étudiants de notre génération, qui redécouvraient la métaphysique, les mystiques », ce qu'il appelait en 1956, furieusement, « tous les hideux délires de la déraison», et l'épopée collective des hommes démunis de la planète, des vrais pauvres, ceux pour qui la révolution socialiste n'est pas un rêve métaphysique, mais une nécessité immédiate, qui n'ont lu ni Sade ni Lautréamont, mais qui seulement ont faim, travaillent des champs dont le fruit leur . est dérobé par leurs maîtres, et veulent que ça change, pas dans le ciel des poètes pareils à 1'Albatros, mais sur la terre des paysans. - Je suis athée, disait-il, je le suis en tout et partout. Je soutenais que, pour lui, aussi bi~!l que pour moi, le communisme ne nous "laissait, après l'écroulement en 56, aussi blessés (le mot sonne geignard, mais je n'en trouve pas d'autre) que dans la mesure justement où nous avions cédé, malgré nous, à quelque religiosité dans notre engagement. Eh bien! ajoutai-je, pour provoquer Roger, le communisme en 1942 était devenu la religion de notre guerre sainte contre le malheur

- Je ne crois en aucun Dieu, disait-il. Je n,'ai jamais prétendu sauver mon âme! Il m'en soupçonnait. - Nous avons été communistes ... disait-il. Je l'interrompais: - ... et nous le restons malgré tout ...

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Il ne m'écoutait pas: - ... nous avons été communistes, parce que c'était la forme contemporaine de la lutte de l'homme contre la nécessité, une réflexion et une science, une pratique et une technique. Pas parce que c'était une entreprise religieuse. - C'était(, répondais-je, pour toi comme pour moi, la suite, qui nous semblait logique, et refroidie, de notre fureur de changer la vie à vingt ans, ce que tu appelais « l'entreprise démesurée ». La poésie, les transports de l'inspiration, de l'automatisme, du rêve, des drogues, de la révolution, c'était toujours fondamentalement, dans nos vies, ce que Marx décrit quand il parle de la religion : « La réalisa.tion fantastique de l'essence humaine; d'une par l'expression de la misère réelle, et d'autre part la protestation contre la misère réelle; le soupir de la créature accablée, le cœur d'un monde sans cœur, l'esprit d'un temps sans esprit. » - Et tu oublies la fin de la citation, disait Roger: « La religion est 1'opium du peuple. »

partie de la vie de tous les jours », il y avait dans son engagement (notre engagement) quelque chose de religieux. Quand il parlait de sa jeunesse, de ses inoubliables amis des premiers feux de l'esprit, Roger oscillait entre la dépréciation sarcastique (de lui-même surtout) et l'exaltation lyrique de leur projet commun. Cette enfance de petits-bourgeois-pauvres-mais-honnêtes, voués à Baudelaire, Rimbaud, Breton, il croyait y voir du dépit, des ambitions dissimulées.

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Roger Vailland d'exister. N.ous avi.ons devant n.ous le nazisme, l'h.orreur injuste, et l'injustice h.orrible, et n.ous av.ons fait du c.ommunisme n.otre ({ protestation contre la misère réelle, le cœur d'un monde sans cœur, l'esprit d'un temps sans esprit ». Au lieu de n.ous en tenir à t.out ce qui, en Marx, est critique et méth.ode, démarche t.ouj.ours .ouverte et c.ontestati.on t.ouj.ours rec.ommencée, qui ne peut s'arrêter, n.ous av.ons tr.op privilégié le Marx messianique et pr.ophétique, les m.oments de sa pensée .où il devient le saint Jean-Baptiste d'un Sauveur abs.olu. Al.ors que Marx a c.onstamment c.orrigé s.on ({ pr.ophétisme» par l'esprit critique, et s.on ut.opisme par l'analyse c.oncrète, n.ous l'av.ons lu c.omme une Ap.ocalypse de l'espérance immédiate : ({ Le communisme est la véritable solution de l'antagonisme entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'homme. Il est la vraie solution/ du conflit entre l'existence et l'essence, entre, la liberté et la nécessité, entre l'individu et l'espèce. Il est l'énigme résolue de l'histoire et il sait qu'il est la solution. » - Oui, disait R.oger, nous pensions en 1945 que « l'homme nouveau» serait créé dans les dix années qui allaient suivre. - Et même si nous ne le pensions pas, nous avions trop besoin de le croire: ce que nous avions vu à la guerre nous rendait très nécessaire de croire qu'à l'homme actuel, qui avait inventé les bombardements, les camps et les chambres à gaz, succéderait un jour très proche l'homme de la paix, de la liberté et de la raison. Le Parti est devenu l'Eglise dérisoire et admirable, héroïque et illusoire, sordide et fanatique, de cette pr.omesse. Mais si nous avions mieux lu Marx, nous n'aurions pas, malgré nos serments de ne jamais faire de la politique l'instrument de n.otre salut, malgré nos appels à démystifier le travail du révolutionnaire, à en faire un « boulot» comme d'autres au besoin égoutiers de l'histoire comme il y a des égoutiers de la voirie - nous n'aurions pas, dis-je, oublié qu'une communauté « démocratique» peut facilement devenir une mystification religieuse. Marx a fait la critique de cette aliénation-là: S'émanciper p.olitiquement de la religion, ce n'est pas s'émanciper d'une façon complète et harmonieuse de la religi.on, étant donné que l'émancipation p.olitique n'est pas le mode complet et harmonieux de l'émancipation humaine. Et on peut sans fausser le sens de la réflexi.on de Marx remplacer dans son texte le mot Etat par le mot Parti, puisqu'un parti est un Etat dans l'Etat, un Etat assiégé et assaillant au cœur de l'Etat. Quand même l'homme se proclame athée par l'intermédiaire de l'Etat, c'est-à-dire quand il proclame l'Etat athée, il reste toujours sous l'emprise de la religion, précisément parce qu'il ne se reconnaît lui-même que par un détour, grâce à un intermédiaire. L'Etat (ou le Parti, aj.outerai-je) est le médiateur entre l'homme et la liberté de l'homme.

Budapest: le dernier choc Budapest fut pour n.ous le dernier ch.oc, la goutte de sang qui fait déb.order le vase. Je fus exclu bien vite, et pas déc.ouragé de me battre à la f.ois c.ontre mes amis abusés .ou malh.onnêtes, et mes ennemis qui espéraient bien me « récupérer ». R.oger me jugea s.ot : il calculait, bon stratège, le « rapp.ort des f.orces », et me pr.omettait d'être écrasé si je j.ouais les Davids imbéciles devant un G.oliath t.out-puissant. Il La Quinzaine littéraire, 15 au 28 févri~r 1967.

Roger Vailland

avait bien rais.on. Il av~it bien t.ort. Ecrasés, n.ous le s.ommes. Mais il n'y aurait pas de b.onheur à vivre sans avoir lutté. R.oger s'éloigna sans mot dire, .ou quasi, ce dont les c.ommunistes lui surent gré. Ils préféraient en ce temps-là la neutralité d'un apolitique (ce que Roger n'était d'ailleurs pas) aux critiques d'un des leurs. Ils avaient plus d'indulgence et de c.omplaisances p.our les spectateurs indulgents .ou distraits, et qui ne les sifflaient pas trop, que p.our ceux des leurs qui ruaient passi.onnément dans le brancard. C'est une l.oi c.ommune à tous les rapp.orts humains : .on préfère un étranger indifférent à un frère qui se cabre. un ennemi in.offensif à un ami trop exigeant, et la distracti.on aux repr.oches. R.oger me jugea benêt, j.ocrisse sentimental, Don Quichotte sans armure, et t.ouj.ours mon frère. N.ous avi.ons un dial.ogue de s.ourds: « Tu perds ton temps », répétait-il. « Tu perds le tien à ne pas le perdre », rép.ondais-je. Aujourd'hui je cr.ois que n.ous avi.ons t.ous deux rais.on, lui de recharger ses accus, et d'essayer de retr.ouver s.on calme, m.oi de décharger mes rais.ons, et d'essayer de retrouver la r.oute. Sa fureur giclait sur le masque de la sérénité détachée. Dans s.on j.ournal, il injurie Th.orez mort: c'est de la passi.on inversée. Mais quand je repr.ochais autref.ois à Th.orez sa fidélité « inc.onditi.onne\le» à l'U.R.S.S. de Stal~ne, ce que R.oger lui ieprochait c'est d'av.oir été tr.op m.odéré « et changé les bolcheviks en petitsbourgeois ». Peu à peu, cependant, la passi.on rév.oluti.onnaire refleuriss~it en lui: c'était la reprise du s.ouffle. Le m.oade avait changé, n.os illusi.ons décru, mais le f.ombat c.ontinuait. « S.ous d'autres f.ormes», c.omme .on dit. Qu'est-ce qui c.ontinue sans changer de f.orme ? Il avait beaJ.1 être excellent botaniste, le jardin de Candide ' n'était pas le lieu .où .on imaginait R.oger Vailland vraiment à l'aise, s'il avait dû s'y c.onfiner. Il n'y c.onsentit pas l.ongtemps. Quand la maladie m.ortelle le c.oinça

dans un pIege, il repartait déjà, dans t.ous les sens du m.ot, départ intérieur et départ en v.oyage. Il examinait depuis un m.ois la carte du monde: .où la lutte était-elle la plus brûlante, sin.on la plus visible ? Où est-ce que les peuples étaient les plus impatients? Où allaient surgir sur la planète les pr.ochains f.oyers de c.olère? Après av.oir beauc.oup réfléchi, s'être l.onguement inf.ormé, Roger avait jeté s.on dév.olu sur l'Amérique centrale. Il était excellent voyageur: rêvant très f.ort à ce qu'il allait déc.ouvrir, méritant ses déc.ouvertes, mariant le plaisir g.ourmand des f!illeurs et l'intelligence pénétrante de l 'hist.oire étudiée dans l'espace. Une saison nouvelle s'.ouvrait. N.on. La m.ort était là. Je la hais. Mais j'aime mon ami, qu'elle l'ait surpris déjà sur le pas de sa p.orte, et déjà s'él!lnçant, p.our retr.ouver les h.ommes, à la renc.ontre des esclaves qui veulent devenir s.ouverains. Le mardi 23 a.oût, sans nous être c.oncertés, ni nous sav.oir dans la même ville, n.ous marchi.ons du même pas à R.ome, Roger et m.oi, dans le fabuleux c.ortège qui c.onduisait T.ogliatti m.ort vers la piazza San Gi.ovanni, .où n.ous l'avi.ons écouté ensemble en 58. R.oger avait roulé j.our et nuit depuis Meillonas p.our être là, et j'avais r.oulé une partie de la nuit depuis la T.oscane, dans un car frété par les communistes du village où je travaillais. J'ign.orais que Roger était à cent mètres de m.oi, en rencontrant, dans la f.orêt des drapeaux r.ouges, un camarade égyptien qui me parla de lui, évoquant l'année où Vailland avait été arrêté au Caire. Toutes les églises de Rome étaient fermées sur le parcours du c.ortège, qui laissait sur les avenues un lit d'œillets r.ouges piétinés. Nous suivi.ons le c.onvoi funèbre de n.os espoirs im· patients, de nos illusions superbes et imbéciles. d'une époque d.ont Togliatti, avant de m.ourir. dans s.on testament, avait dressé le bilan lucide. Mais les centaines de milliers d'Italiens, venus de t.oute la péninsule, et qui levaient, le poing sur le passage du cercueil, ces paysans et ces .ouvriers, ces pêcheurs et ces intellectuels, c'était le c.ombat qui c.ontinuait, « sous d'autres formes ». R.oger était c.omme m.oi perdu dans cette f.oule, retrouvé en elle. Je suis t.ouché que le dernier grand v.oyage de R.oger Vailland, il l'ait fait pour aller saluer le vieux chef c.ommuniste italien, dans cette Italie qui lui avait fait d.on de la femme de sa vie.

En lui

un animal de proie

Tentati.on de finir mes souvenirs de R.oger sur l'image du b.on petit garç.on revenu au bercail, le ret.our de l'Enfant pr.odigue. « l'ai fait une fugue, j'ai un peu boudé, mais je suis toujours le même, vous pouvez compter sur moi. » Il ne fallait pas tr.op c.ompter sur lui, et .on pouvait c.ompter s.olidement sur lui. Il ne fallait pas le prendre t.ouj.ours au m.ot, mais ses m.ots aussi étaient lui. Il y avait en lui un animal de proie qu'il excitait, et un , sentimental qu'il rabr.ouait, mais c'était le jeu des deux qui le définissait. En définitive, malgré les prodigieux eff.orts, d.ont le j.ournal tém.oigne, p.our redresser la barque, retr.ouver l'équilibre après la crise de 1956, R.oger ne l'a jamais t.out à fait digérée .. Cela lui est resté en travers des p.oum.ons. M.on idée, peut-être absurde, c'est qu'il en est m.ort. On meurt t.ouj.ours de quelque chose. Ou bien de vieillesse? R.oger n'était pas vieux. S.on œuvre reste ét.onnamment jeune, juvénile. Il n'avait peur de rien, quc de se laisser avoir. Ce n'était pas avarice du cœur, mais s.ouci de maîtrise.

Claude ' Roy


: POÉSIE

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Une voix de notre temps Pierre Morhange

Le Sentiment lui-même Pierre-Jean Oswald éd., 214 p.

On connaissait l'intention de Pierre-Jean Oswald d'ouvrir à la poésie contemporaine une collection dite de poche, et de combler ainsi, au moins pour quelques-uns des auteurs vivants, le fossé trop souvent creusé entre le lecteur et la poésie, soit par le prix élevé de l'ouvrage, soit par son manque de diffusion. En ce qui concerne les poètes déjà « classiques », les éditions Gallimard ont lancé, avec succès, la très agréable collection de poche « Poésie NRF ». Le premier livre avec lequel P .-J. Oswald ouvre la sienne est· un recueil de Pierre Morhange, qui reprend des plaquettes épuisées depuis longtemps, augmenté de textes inédits, et précédé d'une étude de Valentin Nikiprowetzky. Il entre, dans cette initiative, comme une juste audace, à laquelle on est heureux de rendre hommage. Pour les jeunes générations, le nom de Pierre Morhange n'est pas inconnu, mais l'œuvre est inaccessible. Après avoir publié La vie est unique, en 1933, et s'être ainsi fait reconnaître comme l'un des meilleurs poètes qui écrivaient alors en marge du surréalisme, Morhange .s'est tenu de plus en plus à l'écart de la vie littéraire. A part deux plaquettes publiées par Seghers, Autocritique (1951), et la Robe (1954), reprises dans le présent recueil, il avait donné à ses rares publications un tour LE LIVRE DES CHANTS (Maurice Fleuret). • confidentiel. Pourtant, l'intérêt susGUERRIERS ET AMOUREUX • cité par sa poésie ne faiblissait pas, est, de son propre aveu, le sommet de l'art du • maître de Crémone, car l'œuvre dont nous pré• même si les interprétations critil'enregistrement intégral est une antho• ques qu'on pouvait en proposer ne sentons logie de Monteverdi composée par lui-même, choisissant "ers la fin de sa vie dans son abon• semblaient pas toujours satisfai• santes dante production de "madrigau x" ceux qu'il Le grand public redécouvre a u - ' Re' dul're une œuvre a' quel juge dignes de passer à la postérité. jourd'hui Mont everdi et s'aper• ques données simples est l'irrésisL'ENREGISTREMENT çoit avec surprise qu'il a affaire •• tible tentation de toute critique : il c'est celui du premier ensemble monteverdien à un g.éant de la musique. Est·il du monde: la' Societa Cameristica de Lugano univers musical plus parfait que • était tentant de faire de Morhange dirigée par Edwin Lôhrer avec le célèbre claces madrigaux dont le contenu 'olutI'onnaI're- t'emOln. d eémotif vous laisse le souffle cou• u n poe'te -rev veciniste Luciano Sgrizzi. Sur les 22 pièces qui C' . composent ce livre, plusieurs parues séparépé? Les mots manquent pour • ·son-temps. est vraI ; et ça ne ment ont déjà obtenu les plus hautes récomdécrire de tels chefs-d'œuvre. • veut pas dire grand-chose. Il est penses et un accueil enthousiaste de la critiMUSICA - Monteverdi n'a pas pré• que (voir ci-contre):Pour cette Intégr~le, elles sentement de ses "Madrigaux" moins aisé de démontrer pourquoi ont été rééditées en gravure universelle (à la de plus bouleversants interprè: un accent est inimitable. Pierre fois stéréo et mono), en même temps que 12 tes. ARTS (Jacques Bourgeois) M h f . 1 Pages merveilleuses ... interpté• or ange, qui aIt corps avec a autres pièces qui complètent le LIVRE et qui, tations idéales.. . tout ici est • tradition poétique française, chez en disque, sont pour la plupart inédites. exemplaire. FIGARO LITTERAIRE UNE OFFRE EXCEPTIONNELLE (Claude Rostand) - Un disque • qui on retrouve le tour des villaexceptionnel. REVUE DES DEUX • nelles du Moyen Age ou la gouaille Cette merveilleuse Intégrale qui vient de paraÎtre au début de l'année Monteverdi est com- MONDES - C'est la musique •• un peu mélancolique et sans illuposée de 4 microsillons 30 cm, "gravure unimême. LA CROIX. verselle", abondamment commentés et présen• sion de Rutebeuf ou . de Marot, ne tés dans un luxueux coffret. Ce coffret dont le • ressemble qu'à Morhange. prix normal sera celui de 4 disques stéréo ar• . Le poète s'est parfois expliqué tistiques, soit 139,60 F, vous est offe.rt pour quel9,ues Jours par Discopilote au prix de souscrlp• sur sa conception de la poésie, sur tlon de 99 F, livrable immédiatement franco de Monteverdi le plus moderne des • d' d musiciens PARIS-MATCH. De la • sa manière écrire: certains e port et d'emballage, payable à réception du coffret ou en 3 mensualités de 33 F sans autrès grande musique et le plus • ces textes se retrouvent dans le cune majoration. Tout disque qui présenterait la beau des instruments: la voix second volume de « Poètes contemmoindr.e imperfection étant aussitôt changé, PANORAMA CHRETIEN - Un dis• n'hésitez pas à commander, dès aujourd'hui, que d'une richesse inépuisable • porains en poche» que publie pour profiter de ce prix exceptionnel, ces "enETUDES - Comblera les méloma• Pierre-Jean Oswald: l'Enterreur et registrements de base de toute discothèque" nes les plus exigeants DIAPASON. (La Revue des Deux Mondes). • autres poèmes, d'Oliven Sten - ce - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - • qui relie ces deux livres. Ecartant BON à adresser à DISCOPILOTE (Librairie Pilote 22 , rue de Grenelle - Paris le). • le travail de lime et d'aJ'ustement Veuillez m'adresser le coffret Le Livre des Chants Guerriers et Amoureux. Je vous- • . réglerai dès réception 0 comptant 99 F 0 la première de 3 mensualités par 0 chèque • d'un La Fontaine ou d'un Valéry, o chèque postal à VI CCP Discopilote 4015.34, Paris • méfiant à l'égard de la coulée • Nom .. . ........ . .... .. .... .. ........ . ... 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GALL·IMARD

CHANTS GUERRIERS ET AMOUREUX

Le Shakespeare de la Musique (1567-1643)

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moule préconçu. Cela peut justifier les insuffisances formelles qu'on rencontre. Mais, plus sûrement. encore, on peut y discerner la raison, la cause profonde de ce qui fait ce lyrisme si personnel : le poème est directement lié à la respiration même de l'homme, au mouvement de son émotion. La musique des mots y est souvent brisée, elle dispense moins d'apaiseme:qt que d'inquiétude, fidèle à ce qui, pour Morhange, est la vocation de la poésie : dire ce qui manque. {( Il est, écrit M. Nikiprowetzky dans son excellente préface, l'avocat de l'homme des douleurs, de l'homme en procès à la fois contre Dieu et contre Satan » . Cette vocation à la contestation, à la dénonciation de la misère et de la souffrance, ce regard posé SUl' les choses et qui les fait vivre, sur les êtres pour les louer' de l'amour qu'ils donnent font de Morhange, pour reprendre un beau titre d'Eluard, le poète de la vie immédiate. Et si, pour lui, la poésie peut être justifiée, ce n'est pas tant pour la sereine beauté d'un chant que parce qu'elle est un combat (entendons-nous, il ne s'agit pas d'écrire des pièces de circonstance ni de propagande !), le témoignage lucide d'une conscience d'être. La fragilité de la vie, du bonheur et des amours, Dans un vague soleil soudain levant Où toutes choses humbles Les saluent comme les branches des contes Et les présentent dans la main de la vie populaire

ce .ne serait que l'expression d 'une inquiétude ou d'un désenchantement assez communs si, en se reconnaissan t irrigué par cette « artère juive » qui traverse toute une part de notre littérature (mais pour lui sans aucune attache confessionnelle), Pierre Morhange n'avait su leur donner un accent fraternel. Voilà qui lui assure de pouvoir parler au nom de tous. Que ce soit la révolte inutile : Juif ou pas il y aura toujours la mort, ou la révolte contre nos crimes. Le poète a su inscrire, au camr d'une tradition lyrique qui ne se fonde pas sur des modes formels, mais sur le sentiment lui-même, une œuvre originale et généreuse. Il est difficile de définir quelle place et quelle importance seront siennes, quelle influence également - le long silence de Morhange, et le fait qu'il n'ait pas encore publié des manuscrits dont on nous dit qu'ils sont considérables commandent d'attendre. Ce qui est plus essentiel que ces travaux de classi.fication, assez vains quand on les pratique le nez sur l'actualité, c'est bien de permettre aux lecteurs de retrouver, ou de découvrir des œuvres qui sont la voix de notre temps . Claude~Michel Cluny


Un surréaliste belge Paul Nougé L'Expérience continue Les Lèvres nues éd. 5, rue Philippe-le-Bon, Bruxelles. 440 pages

Clarisse Juranville s'était délivrée de toute vanité littéraire; elle répugnait aux facilités du plaisir; elle n'eut pas admis que l'on écrivît à la légère et, comme iL arrive, sans l'ombre d'une nécessité. Mieux que tout autre commentaire, ces lignes, extraites d'un des textes de présentation de Clarisse Juranville : quelques écrits et quelques dessins (1927), permettent d'abord de comprendre pourquoi; malgré la fascination qu'il exerça constamment sur de rares esprits l , Paul Nougé se trouve aujourd'hui si peu connu. Bien qu'elles le citent - mais à peine les histoires et les anthologies de surréalisme n'ont jamais pris le soin de situer exactement Nougé, de définir son rôle. On sait toutefois que, dès 1924, à Bruxelles, en compagnie de Camille Goemans et de Marcel Lecomte, un peu plus tard avec :Magritte et André Souris, Nougé fonda un groupe à la fois fermé et diligent qui se manifesta par l'envoi de tracts à l'enseigne de Correspondance. Avec Breton et les surréalistes, certains contacts furent pris, interrompus au moment de la guerre, puis définitivement brisés après la Libération pour des motifs politiques : Kougé voulait rester fidèle au P .e. Il n'entre point dans mon propos de raconter par le détail cette activité foncièrement polémique, parfais solidaire de Paris, en dissidence le plus souvent. Jamais, de toute façon, Nougé ne fut un homme public : ses livres sont peu nombreux, ses contributions aux revues très espacées. Il fallut par deux fois que Marcel Marien le sollicitât avec empressement pour qu'il accepte qu'enfin soient réunis l'ensemble de ses articles critiques (Histoire de ne pas rire 2 ) et, aujourd'hui, la plupart de ses poèmes dans l'Expérience continue. Ce mépris à l'égard de toute carrière, cette volonté constante d'effacement ont de quoi faire rougir maints littéraires, certes, et quelques anciens surréalistes aussi . Ces ouvrages, quoiqu'ils présentent des poèmes de formes et d'époques diverses ou des textes de circonstance (réponses à des enquêtes, préfaces d'exposition, etc.) ne sont point disparates3 au contraire. Ils révèlent la même démarche de l'esprit, la même attitude à l'égard du langage. Les échos que l'on surprend, ici ou là, tantôt de Valéry, tantôt de Paulhan, ne réduisent aucunement l'originalité de Nougé. Fort tôt l'attention de Nougé se porta sur l'écriture, mais ce ne fut point comme chez Breton pour s'en remettre surtout au hasard. Je ne crois pas qu'il fît sienne la définition du surréalisme que l'on trouve dans le premier Manifeste .

Ne déclarait-il pas en 1929 : « ALlons-nous, comme certains nous le proposent, renoncer à toute action délibérée ( ... ) pour demeurer immobiles, penchés sur nous-mêmes comme sur un immense gouffre d'ombre, à guetter l'éclosion des miracles, l'ascension des merveilles? » (La conférence de Charleroi.) Refus de l'automatisme assurément, mise en garde contre le mythe romantique de l'inspiration. Pour Nougé il convenait d'intervenir sans cesse et par tous les moyens : poète, il se plut à le faire dans le domaine des mots, d'une manière volontiers insidieuse. Les exemples sont innombrables de cette activité critique autant que créa-

c~re

cils

= silence

sirène

Les résolutions peuvent être nombreuses et N ougé en donne trois; voici la première qui indiquera le fonctionnement du procédé : « Un silence de cire a scellé / les ciLs des sirènes. » On le remarque: nous retrouvons dans cette démarche expérimentale les jeux de mots de Duchamp, de Desnos et de Leiris, mais N ougé me paraît plus rigoureux, ou du moins plus systématique : n'annoncerait-il pas également certains travaux récents ce l'ouLIPO? 3. Les poèmes-affiches (ou slo-

Le surréalisme en Belgique, 1926. Debout de g. à dr.: E.L.T. Messens, René Magritte, Louis Scutellaire, Alldré Souris, Paul Nougé. Assises, de g. à dr.: Irène Hamoir, Marthe Nougé, Georgette Magritte. (Doc. extrait de Chemins du surréalisme de Patrick Waldberg. )

trice . En ce qui concerne l'Expérience continue, on pourrait les classer sommairement en trois groupes : 1. Les collages écrits : en modifiant quelques phrases, parfois quelques simples signes de ponctuation, on transforme un texte quelconque en poème. Ainsi sont apparus, à partir de la Conjugaison enseignée par la pratique de Mme Clarisse Juranville, les poèmes de.. . Clarisse Juranville. Les illustrations grammaticales deviennent des jeux de miroir : « Le matin si j'étais raisonnable / m'ennuierais-je s'il fait beau / si vous sortiez irais-je à la promenade / ni trop bas ni trop loin 1 au bord des dents 1 je parle sans perdre de· temps. » Ce moyen, qui mériterait une longue étude, permet encore de saisir puis d'exploiter certains « ressorts » du langage.

2. Les manipulations directes, phonétiques ou sémantiques: Nougé proposa « d'établir des s:stèmes d'équations de plus en plus complexes par le choix et le rapport des éléments ( ... ) et ensuite de résoudre ce système en poèmes ». Soit l'équation (simple, celle-ci) :

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

gans ou proverbes) : il s'agit de poèmes rapides d'une ou deux phrases d'apparence très simple, voire banale. Ils sont transfigurés par une typographie quelquefois incohérente, toujours frappante : certains furent proposés directement au public à l'occasion de spectacles ou promenés à travers Bruxelles, d'autres illustrèrent , la revue les Lèvres nues. Quel est leur but? Inquiéter, provoquer : ils y parviennent d'emblée. Bien qu'ils soient de 1925 pour la plupart le temps ne les a point émoussés et on ne les oublie pas aisément. On en jugera par ce seul extrait LA

VILLE TOUT ENTIÈRE

est moins lourde au creux de votre main que la plus légère d'entre vos pensées Sans doute l'œuvre de Nougé relève-t-elle de cette critique du langage ouverte par Dada, poursuivie par le surréalisme. Aragon a pris soin de rappeler, avec le sens publicitaire qu lon lui sait, l'importance

pour lui du collage : la réédition des A ventures de Télémaque le prouve; Eluard, dans Proverbe, revue qu'il dirigea, ainsi que dans les Conséquences des Rêves, avait déjà ouvert la voie de ces textes brefs où les mots sont mis à l'épreuve, discrètement sans doute, jusqu'à ce qu'ils obtiennent une évidence nouvelle. Nougé a fait de même, qui avouait : « Je procède par éclats ». Pourtant, se limitcr à ces considérations techniques ou historiques serait le trahir. Il prend place parmi ceux qui ont contribué à libérer l'instrument poétique et chez lui morale et poésie vont de pair : au nom de la liberté Nougé refusa l'automatisme; ce que toujours il mit en avant, ce fut l'autorité de l'esprit : jamais il n'accepta les demi-mesures, le recours aux magies . Mais qu'on ne fasse pas de lui un être sec, de son intelligence une force qui pétrifie : elle multiplie les pièges à travers le langage et le réel4, tend des miroirs, interroge les reflets bouleversants. Le merveilleux vient ici d'un paradoxe que l'on pourrait définir par cette formule: « Je montre ce que je cache. » Et le secret qui continue d'entourer sqn œuvre comme sa personne, la vanité d'artiste ou le goût du mystère, ne l'ont point commandé; par lui Nougé préserve l'esprit des compromissions et des mensonges de toutes sortes, il maintient la poésie d~ns une zone dangereuse. Avait-il tort de rester à l'écart, de parier autant sur le silence que sur l'action poétique '? On voit trop maintenant ce qu'est devenu le mot « Surréalisme » ( au moins le mot ...). Pierre Dhainaut 1. Ponge est de ceux-là, qui n'hésite pas à qualifier ~ougé de « forte tête», l'une des plus fortes têtes de ce temps. 2 . Les Lèvres nues éd., 1956. 3. « Ses écrits Ile prenaient corps, à l'en croire, que si les circonstances les venaient· 'édamer, et qu'ainsi, il leur fût donné de s'accomplir. A l'installt choisi, elle savait les tirer d'ull univers de Ilotes et d'esquisses, d'un mOllde quasi virtuel où elle les gardait dissimulés et à demi détendus. » (Clarisse Juranville) 4. Comme c'est le cas chez Magritte dont Nougé fut longtemps le témoin lucid...

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ART

L'Univers courbe Jacques Lavalleye

Lucas de Leyde et Peter Bruegel l'Ancien Œuvre gravé complet, 491 ilL Arts et Métiers graphiques, 352 p. F.J. Sanchez Canton

Les plus beaux Dessins espagnols 102 pl., 142 p. Jean Vallery-Radot

Les plus beaux Dessins français. du xve siècle à Géricault

Monnaie.• grecque...

102 pl. Ed. du Chêne, 142 p. Peter Franke et Max Hirmer

La Monnaie grecque traduction de Jean Babelon 218 p. dc planches en noir 20 p. de planches couleur relié sous jaquette Flammarion éd., 155 p.

Pour être mal connu plus encore que celui du vase grec le domaine fascinant de la monnaie ancienne n'en aura pas moins inspiré cet étonnant ouvrage allemand, ouvrage limité mais qui, par son importance artistique et critique, ne manquera pas de susciter des entreprises complémentaires. Par-delà tout ce que l'on a pu dire ou imagine. . sur le cc miracle grec» , l'un de ses _aspects les plus infiniment divers restait donc inconnu du public alors même que sa générosité pullulante (on a retrouvé près d'un million de pièces) aurait dû éclipser la plupart des manifestations parallèles du génie méditenanéen. Par les contraintes mêmes nées de l'exiguïté des surfaces et de leurs limites courbes, l'univers de la monnaie est pourtant celui où l'invention plastique sera la plus manifeste, tant par ses renouvellements constants que par la variété du ton: hiératiques ou drôles, étranges - voire surréalisantes ou d'une objectivité presque sèche.

cçs pleces expriment sans détours unc totalité spirituelle que l'étude trop exclusive de la statuaire ou de l'architecture tend à masquer, traitant de formes plus admises pour ne point dire officielles. Par sa mouvance même, l'art de la monnaie (varié de surcroît par le nombre impressionnant de points d'émission : plus d'une cinquantaine retenus ici et ils ne figurent pas tous dans ce livre) offre donc une image exceptionnellement mobile d'un art traditionnellement figé dans une réputation de classicisme et d'équilibre. Par ailleurs, l'art numismatique permet, par d'ingénieuses interrogations de la technique qui nous sont exposées ici, des datations dont la précision est relativement très grande. La proportion des mythologies représentées ou des effigies, des événements historiques voire des scènes familières, enfin des allégories plus ou moins abstraites constitue donc une véritable analyse thématique de mentalités locales, variant à leur tour, infiniment, les nuances techniques et les tours de main artisanaux exigés par ces chefs-d'œuvre d'une beauté d'exécution jamais égalée. Répertoire de formes dont l'ébullition perpétuelle semble déferler ici, sous nos yeux, l'art numismatique fascine, enfin, par la confluence que l'esprit actuel peut y trouver entre des tentations

abstraites (auxquelles encourage la surface circulaire) et une nécessaire obligation de signification immédiate. Cette dissonance au niveau du signe colorera toutes ces créations, si belles et si conscientes que le graveur, bien souvent - fait exceptionnel au sein d'une industrie à première vue utilitaire et anonyme - , y aposera son nom ... Et c'est ne rien dire des influences lointaines, de la diffusion extraordinaire que purent avoir ces orgueilleux modèles, dès le VIle siècle avant J .-C. La formidable générosité documentaire de cet ouvrage posait, en outre, de redoutables problèmes de mise en livre: éviter qu'une monotonie naisse de ces quelque 1 500 images circulaires admirablement photographiées - et donner simultanément une idée exacte des diamètres, des valeurs respectives, voire des poids et de l'aspect du métal. Il semble bien que ces questions aient été affrontées avec lucidité: pour la premlere fois cette série c( grecque» de Hirmer Verlag trouve un style adéquat et significatif. On y passe des heures, sans ennui et sans saturation, tant le présence donnée à chaque pièce renouvelle chaque fois la fascination qu'exerce cet univers enfermé dans une courbe et qui, par son rayonnement tentaculaire, intéresse tous les domaines de l'esprit.

Marcel M arnat

Picasso pour idolâtres Hélène Parmelin Picasso dit Gonthier éd. 151 p .

Picasso dit: « Il faut tuer l'art modeme... Ça veut dire aussi qu'il faut se tuer soi-même si on veut continuer à faire quelque chose ». Ou dit encore: « Et à la fin quand l'œuvré est là, le peint,.e en est déjà sorti ». Ou encore: « La peinture est plus forte que moi. Elle me fait croire- ce qu'elle veut ». Il dit aussi: « Raphaël, s'il revenait maintenant avec exactement les mêmes toiles. personne ne lui en achèterait une seule ». Et aussi: « Cézanne, Van Gogh, pas une seconde ils ne voudraient faire ce qu'on voit aujourd'hui dans Cézanne et dans Van Gogh ». Et encore: « Personne ne voudrait faire du Matisse, personne d'autre que Matisse ». Picasso dit :

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« [La peinture d'aujourd'hui] est bonne

ou elle est mauvaise. Peu importe. Mais elle est sans défaut ». Et il dit encore : « 1 magine encore un chasseur qui serait abstrait, qu'est-ce qu'il peut faire le chasseur abstrait? En tout cas, il ne tue rien ». E,t Picasso ~onstate qu~ « ce qui compte c est ce qu on veut fatre et non pas ce qu'on fait », et que « Jacqueline dit que quand on parle c'est comme si on semait des graines ». Hélène Parmelin dit que: « La vie de Picasso aimante autour de lui les choses et les gens », que « Picasso cumule dans l'intelligence de ses mains la science de toutes les civilisations », que « ses moyens ... décuplent le pouvoir de la peinture ». Hélène Parmelin révèle que « si sa peinture s'arrêtait de battre il mourrait », que « pour Picasso l'avant-garde est toujours en avant ... là où personne n'est allé ", que « Picasso c'est un guer-

rier de fer, un homme de fer, un peintre de fer. Et [que] pourtant tou.t le blesse, tout l'accable, -et cent mille fois le dégoût lui monte au cœur », que, au Salon de Mai « il se considère cOlnme un peintre invité au m ême titre que les autres. Et ne veut pas d'exception ». Hélène Parmelin décrit l'atelier « phénoménal », et le restaurant, la plage, la corrida avec Picasso, elle raconte le chien de Picasso, la maison de Picasso, la femme de Picasso, « son imaginaire vérité, bien connue, bien vivante, bien ex plorée, bien méritante, bien aimée, bien aimante ». Les idolâtres auront compris. Qu'ils se jettent incontinent sur le livre de Mme Parmelin. Quant aux autres, ceux qui s'interrogent sur la peinture de Picasso, son sens et sa place dans l'art contemporain - qu'ils continuent à chercher. Françoise Chouy

Marcel Guérin

Catalogue raisonné de l'œuvre gravé d'Aristide Maillol Tome 1. Les bois. 2:54 il!. Pierre Cailler éd.,. Genè,;-e. 344

p.

Le grand intérêt des livres cansa-crés à des œuvres graphiques, gra-vures ou dessins, tient d 'abord il: la fidélité des reproductions qui ne peut jamais être aussi bien assurée avec la peinture. De plus, ils nous: permettent de contempler des estampes dans leur format originaL. comme c'est le cas avec le grand ouvrage de Jacques Lavalleye sur l'œuvre gravé intégral de Lucas de Leyde et de Peter Bruegel l'Ancien où, seules, quelques planches plus grandes que le format du livre ont dû être réduites. Le trait de burin ou, pour les bois, le trait de gouge_ conserve ainsi à nos yeux toute l'ampleur du mouvement que la main du graveur lui a donnée. De Lucas Hugenszoon, qui prit le nom de la ville de Leyden où il naquit en 1489 ou 1494 et où il mourut en 1533 , nous avons eu l'occasion , l'année dernière, de voir une douzaine de gravures à l'exposition de la Bibliothèque Nationale Les plus belles Gravures du monde occidental - et à celle de la collection Edmond de Rothschild au Louvre où figurait la si curieuse Marie-Madeleine se livrant aux plaisirs du monde. Devant l'ensemble de son œuvre gravé nous pouvons suivre Lucas de Leyde sur un chemin qui traverse ['univers spirituel du Moyen Age pour déboucher sur l'aube d'une Renaissance plus frivole. Le côté mystique et mystérieux de ses compositions, où les scènes inspirées de l'Ancien et du Nouveau Testament se déroulent dans de beaux paysages hérissés de collines rocheuses et de châteaux austères, disparaît peu à peu au profit d'un esprit plus théâtral, plus romantique, où le souci d'une recherche décorative porte déjà, discrètement, la marque de ce qui fera le maniérisme du XVIe siècle. Le caractère dominant de son admirable travail de graveur pourrait être défini comme une nervosité maîtrisée, dont il s'est servi pour briser constamment les lignes, rendre tout tracé sensible, jusque dans les plis des robes aux cassures encore un


L'art du trait peu gothiques et aux retombées; -chiffonnées. Si l'influence du Dürer est parfois visible dans certaines pllmches. de Lucas de Leyde, celle de ]érôme Bosch est encore plus appll!l'ente dans une partie - la plus fa:ntastique de l'œuvre de Bmegel l'Ancien. Il n'est pas possible de parler de Bruegel graveur ,. car c'est à d'autres artistes que luimême qu'il appartint de graver sur cuivre ses dessins, mais il composait ceux-ci avec une précision si minutieuse, prévoyant tous les: effets. que le burin pourrait obtenir dans la répartition des noirs et des blancs, que le graveur trouvait dans sa fidélité au modèle une simplification de sa propre tâche. De Bruegel on ne connaît qu'une seule eau-forte qui puisse être reconnue comme son œuvre personnelle, une Chasse au lapin sauvage, où se montre bien sa maladresse à faire usage d'une technique qui ne lui fut jamais familière. Parmi les graveurs de son œuvre et de son temps, celui qui joua le rôle le plus important dans la diffusion de ses dessins fut son propre éditeur anversois, Jérôme Cock, pour qui Bruegel travailla dès 1553. De son voyage en Italie et de sa traversée des Alpes, vers 1552, Bruegel rapporta un grand nombre de (( vues d'après nature» qu'il utilisa dans la belle série de ses Grands Paysages. A partir d'un premier plan, précisé par un arbre et quelque silhouette humaine, s'étend un espace immense où l'œil se perd à suivre les fleuves qui s'insinuent entre de hautes montagnes et à découvir dans les lointains les minuscules scènes paysannes dont tout dessin de Bruegel ne saurait se passer. Mais son extraordinaire dynamisme graphique se révèle dans les planches où sa liberté d'imagination entraînait dans un monde fabuleux les thèmes religieux aussi bien que profanes. Tout objet, toute architecture s'y ani-

maient d'une vie animale, souvent monstrueuse, et toutes les folies des hommes s'y trouvaient dénoncées avec une fureur joyeuse et diabolique. Ses compositions s'intitulaient alors les Sept Péchés capitaux, la Fête des fous, le Combat des tirelires et des coffres-forts, et ces Proverbes flamands où, en fils de paysan et en observateur malicieux de la vie rurale, il mêlait à ses visions délirantes des scènes villageoises saisies avec réalisme. Jusqu'à sa mort, en 1569. Bruegel resta, dans le style de ses dessins, un artiste essentiellement nordique. La puissance de rayon· nement qui émanait de l'art italien au XVIC siècle ne pénétra que lentement dans les Flandres. Il est très frappant de comparer aux œuvres de Bruegel des dessins faits en France ou en Espagne à la même époque. Cette comparaison nous est facilitéc par la publication de deux ouvrages: les Plus Beaux Dessins français du XVIe siècle cl Géricault, de Jean Vallery-Radot, et les Plus Beaux Dessins espagnols, de F.J. Sanchez Canton. ~ous voyons ainsi combien les contem· porains de Bruegel - en France. les Clouet et Jean de Gourmont : en Espagne, Berruguete et Juan de Navarrete étaient déjà gagné~ aux tendances italianisantes. Que Berruguete ait été, avant tout, un sculpteur-, cela se sent dans la façon dont ses beaux lavis de sépia mettent en relief ses pero sonnages. Ils nous font regretter qu'on connaisse si peu de dessins de lui. Il en est malheureusement ainsi avec beaucoup d'artistes espagnols. Si Goya, pour qui le dessin fut un moyen d'expression complet et dont la personnalité domine tout ce recueil, devait laisser des cen· taines d'œuvres à la sépia ou à l'encre de Chine, on ne connaît que fort peu de dessins de Velasquez et du Greco, et il n'en est pas un seul qu'on puisse attribuer à Zurbaran avec certitude. A côté des dessinateurs ano-

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

(;ravures de Maillol

pOILr

Daphnis et Chloé de Longus.

nymes qui, du XC au XIIIC siècle, tère fondamental du dessin . Ce illustrèrent des manuscrits dans un charme d'une œuvre toute linéaire, style d'une audace surprenante, nous n'aurons plus souvent l'occades noms fort peu connus en sion de le rencontrer au cours du France nous révèlent des œuvres dernier siècle. Aussi trouvons-nous d'un grand interet: Francisco heureuse l'idée d'avoir réuni en un Pacheco, qui fut le maître et le précieux catalogue raisonné l'œubeau-père de Velasquez et qui vre gravé d'Aristide Maillol. Le laissa de beaux portraits tracés à premier tome, présenté par Marcel la plume d'oie; Alonso Cano, au- Guérin, est consacré aux bois et teur d'un Art de la peinture publié contient toutes les suites remarqua· à Séville en 1649 ; l'Aragonais bles que Maillol grava pour illusJusepe Leonardo, etc. Quant au trer les Eglogues de Virgile (que projet de retable dessiné avec une le comte Kessler en mécène admiprécision d'épure par Churrigera, rateur du sculpteur fit éditer à il nous donne le plaisir de com· Leipzig en 1926), les Géorgiques, prendre comment naissaient ces l'Art d'aimer d'Ovide, les Pasto· chefs-d'œuvre de complication et raIes de Longus et les Chansons d'équilibre que sont les grands pour elle de Verlaine dont les bois autels baroques. gravés traduisent, sans pudeur mais L'ouvrage sur les Dessins frannon sans pureté, l'érotisme. Les çais, dans la même collection 1, nous dessins d'étude de ces bois sont donne en un nécessaire raccourci souvent reproduits auprès des xylolIIais avec une égale qualité de graphies, nous permettant de voir n'production, un panorama de comment Maillol partait d'une es(platre siècles de dessins. Nous y quisse hésitante et parfois même trouvons tous les grands noms qui . maladroite pour aboutir à une dévont de Clouet à Claude Lorrain, cantation graphique où le trait, par de WaUeau à David, mais égale- le seul contour des formes, sans lnent, et c'est plus encore à ceux-ci hachures, donne toute sa plénitude que notre curiosité s'attarde, quel- à chaque composition. Peu connus. ques inconnus du Moyen Age parmi car les éditions pour lesquelles ils lesquels l'auteur d'un chef-d'œuvre furent exécutés étaient limitées à à la plume et au lavis représen- un petit nomhre d'exemplaires, les . tant Trois Dames, joueuses inno- bois d'Aristide Maillol nous décou· ccntes, pleines de mélancolie. vrent un aspect de sa sensibilité qui Après l'abus de la sanguine, des ne fut pas toujours aussi apparent trois crayons et du pastel dont les dans sa sculpture. Jean Selz Français firent un usage quasi pictural durant tout le XVIIIe siècle, 1. Un nouveau volume vient de s'y 1 ngres nous restitue avec la netteté ajouter sur les Dessins persans. Le Chên .. de son crayon ce qui fait le carac- éditeur. 17


JEUNESSE

Constat d'échec d'une société J. Lamer et R. Tefferteller Les Drogués de la rue traduit de l'américain par Nicole Tisserand Dossier des « Lettres nouvelles » Denoël éd., 304 p. La toxicomanie est peu répandue en France, où l'alcoolisme se porte bien ; aussi les rafles de police dans les milieux beatniks et les gros émois de la presse ne sont que ri· deaux de fumée et gesticulations arbitraires. Aux Etats-Unis, en revanche, on parle d'un « fléau social » ; on trouve dans les Drogués de la rue quelques repères : Dom Abruzzi évalue à quarante mille le nombre des drogués new-yorkais, mais Henry Muller affirme que « rien que dans la partie noire de Harlem, il y a probablement cinquante mille drogués ». Le trafic

Les témoignages convergent dans la description de l'univers de la drogue - un univers sinistre, où règnent le malheur, la souffrance, une terreur permanente coupée d'incertains « voyages» dans l'audelà de l'hallucination. Pour ache. ter l'héroïne, il faut presque toujours voler, n'importe quoi, n'importe où Dom Abruzzi vole de la viande dans les grands magasins : « .. .le samedi, il fallait que je fauche deux fois plus... il fallait que je me procure pour cent vingt dollars de viande. Ça faisait le double de travail et croyez-moi, la viande c'est très lourd ... Ce que je ne peux pas oublier c'est en hiver, quand je portais ces filets pleins de viande. /'avais froid, j'étais gelé et j'étais au bord des larmes ». Le vol conduit en prison, qui signifie un sevrage brutal, dans des conditions épouvantables, qu'évoque Henry Mul-

Le récit de Carmen Sanchez, la seule femme droguée du groupe, se distingue par son exceptionnelle richesse. Elevée dans un puritanisme moral par un père qu'elle admire, elle contraint son fiancé à avoir avec elle « le rapport 's exuel » afin de précipiter le mariage; son mari l'initie à la drogue, et elle en arrive, pour avoir sa « dose », à se prostituer: « Qu'est-ce que je peux faire? Il faut que j'aille quand même dans la rue avec ce froid terrible, avec ces frissons, avec la nausée. Je ne peux pas prendre de bain, je peux même pas me laver les dents. Peux pas me peigner... » Ses derniers mots, réponse faite à un flic, résument la perspective du drogué : « ... et il m'a dit, que je ne te voie plus traîner dans la rue, sinon ça ira mal. Et je lui ai répondu, alors qu'est-ce que je dois faire ? Aller me jeter à l'eau? »

La piqûre.

de la drogue est une entreprise florissante, du big business : autant dire qu'il est à l'abri de la justice. Les victimes, à tous ~es points de vue, ce sont les « drogués de la rue» ; sous ce titre (The Addict in the street), un jeune écrivain américain, Jeremy Larner, et le directeur d'un centre d'assistance sociale, Ralph Tefferteller, ont réuni les témoignages de dix drogués, enregistrés au magnétophone; ils ont respecté leur langage spontané, maladroit ou pédant, les mouvements affectifs de ces confessions, les accents et tournures dérivant de l'origine ethnique et du milieu (les frères Abruzzi sont italiens, Rodriguez et Carmen Sanchez portoricains, Danny Stern et Larry Greenberg juifs, etc.); ils versent ainsi au dossier de la drogue un document saisissant, dont les aspects divers - le tragique, la violence, l'humour, le désespoir - ont été remarquablement rendus en français grâce à la traduction, mieux, la transposition de Nicole Tisserand. 18

1er : « La prison grouille littéralement de rats. On en voit courir partout. Des bandes entières. Il arrive fréquemment qu'une cinquantaine de rats traversent votre cellule. En général c'est le drogué qui couche par terre avec ses couvertures. Parce que vous êtes privé de drogue du jour au lendemain, vous avez des convulsions terribles, avec des vomissements et de la diarrhée. Il vaut m ieux que le drogué ne soit pas sur la couchette parce qu'il risque toujours de tomber et de se fracasser le crâne sur le ciment... V ous passez entre quinze jours et un mois à vous rouler par terre, le plus souvent sans manger. » L'existence devient un enfer, sans issue. Pour Dom Abruzzi, « ce sera toujours la même vie, sans arrêt : se faire arrêter, aller en prison, être relâché, se piquer, les crises,.; voler, passer des hivers atroces, à geler, à crever de froid ». Tommy Blake dit: « Je tombe en ruine. Je slLis un squelette ambulant. Il ne faudra qu'un seul croquemort pour me porter... »

Les « drogués de la rue » ne s'en prennent au système social que dans la mesure où il les frappe dans leur univers de drogué : répression policière, sévérité de la justice, scandale du big business de la drogue. Leurs témoignages n'en sont que plus éloquents comme' constat d'échec d'une société qui secrète l'ennui, la violence, et multiplie les frustrations pour n'offrir que d'illusoires compensations. S'il est aisé, après coup, de distinguer les motivations psychologiques de la toxicomanie, il reste que l'appel de la drogue retentit dans un certain espace social, celui que dessinent les frénésies du travail, des imageries collectives pléthoriques et fallacieuses et l'extrême pauvreté des échanges affectifs et intellectuels. La drogue apparaît comme une tentative désespérée pour remplir, un vide grinçant et misérable; il est simplement crapuleux de réserver ses coups aux drogués, alors que c'est sur ces grincements, cette misère, qu'il faut porter l'attaque. Roger Dadoun

Philippe Robert Les Bandes d'adolescents Ed. Ouvrières, 388 p.

Le grand Pan est peut-être mort au siècle dernier. Aujourd'hui, c'est l'adulte qui meurt. L'image de l'adulte une fois pour toutes épanoui, arrivé à son achèvement. L'archétype du père. offert au fils, pour qu'il s'y identifie ; l'archétype de la mère, heureuse dans sa .m aturité. L'adulte meurt. Tout domaine. d'action ou de pensée, tout métier, toute technique se transforment. Le spécialiste est, en peu d'années, dépassé. ' Qu'il soit médecin, cinéaste, professeur, radioélectricien ou mineur de fond, il est prié de se « recycler » s'il veut continuer. Autrement dit de s'adapter: d'apprendre. Comme l'adolescent. Faute de quoi il perd son emploi. Comme on est recalé au bac, ou au C.A.P. La malléabilité ou la mort. Le contraire de l'autorité adulte : l'immaturité pour tous, l'adolescence permanente. Alors, sur quel modèle désirerait-il prendre exemple, au sortir de l'adolescence, le plus-deMIS ans? Le livre de Philippe Robert a le . mérite de poser ce problème nouveau. Il ne traite pas de la crise d'adolescence éternelle. S'il examine l'influence, sur l'adolescent, de l 'habitat, du foyer désuni ou de la désadaptation professionnelle, il ne cesse de situèr ces éléments dans un ensemble social, qui réagit. Spécialiste de sociologie criminelle, l'auteur travaille de seconde main. Il offre ainsi un . tableau plus vaste, où s'insèrent les expériences directes d'éducateurs admis à l'intérieur d'une bande, les enquêtes de sociologues, les comptes rendus de psychothérapeutes. Il situe groupes et mouvements de jeunes dans leur constante relation avec une société qui passe d'un stade à l'autre de la civilisation industrielle. Un garçon sort de l'adolescence. L'entourage attend qu'il « prenne ses responsabilités », qu'il adopte « une attitude adulte ». Travaillez, prenez de la peine ... Et: bifteck d'abord, et le plaisir après. Voilà qu'il demande un sursis. Mieux: voilà que la société de consommation, la publicité, les « groupes de pression » l'engagent à exiger ce sursis. On lui offre vêtements, disques, publicatio'n s, idoles, on le convie à faire corps avec, à s'ag-. glomérer à un ensemble spécifique: les jeunes. On en fait une classe sociale. Transitoire, fluente par définition, mais nombreuse, sans cesse renouvelée. La société elle-même engage le jeune à refuser la loi de l'adulte: par exemple la primauté du logement-nourriture. On le pousse aux dépenses « jeul!es », on rend nécessaire ce superflu en faisant appel à la conscience qu'il a de son âge. Mais en même temps, contradictoirement, le jeune veut compter dans la vie


PHILOSOPHIE

Le ·ciel est un objet

L'adulte est Dlort Galilée Dialogues et Lettres choisies Traduction de P.-H. Michel Hermann éd., 432 p. Alexandre Koyré Etudes galiléennes Hermann éd., 344 p.

louer de l'orgue ne s'apprend pas de ceux qui font des orgues, mais de ceux qui en jouent. Galilée.

née), un choix des Lettres les plus significatives. Deux introductions, l'une aux Dialogues, due à P.-H. Michel, l'autre aux Lettres, due à G. de Santillana, situent les œuvres traduites et en facilitent l'accès. La puhlication de ces textes a été précédée de peu par la réédition chez le même éditeur du travail, aujourd'hui classique, d'Alexandre Koyré, Etudes galiléennes, épuisé depuis des années. Le public peut ainsi s'initier directement à l'œuvre de Galilée et, s'il le désire, en approfondir l'analyse.

Que sait de Galilée le. bachelier Le 16 mai 1611, eD! présence moyen? Qu'il est l'inventeur de du cardinal Bellarmin, la Congréla « lunette», ce qui est faux; gation du Saint Office décide en qu'il a été condamné par l'Inqui- grand secret l'ouverture d'une ensition en 1633, ce qui est vrai; quête. « Rechercher, disait la note qu'il aurait, en cette occasion, pro- produite à cet effet, si dans le prononcé une forte parole: Eppur cès du docteur César Cremonini · si muove»), tradition qU'aucun n'est pas prononcé le nom de Gali: document ne confirme; enfin, lée, philosophe et professeur de qu'il a découvert quelques lois mathématiques ». Pendant dix-huit fameuses: chute des corps, oscil- ans, de 1592 à 1610, Galilée avait lations du pendule, mouvement enseigné les mathématiques à Pades projectiles, découvertes qui doue. Cremonini y avait été son marquent pour toujours sa place collègue et, en matière de physique au panthéon de la science, c'est-à- et d'astronomie, son adversaire. dire dans les manuels de physique, Aristotélicien « progressiste » aux côtés d'Archimède, de NewaverroÏste » disait-on alors pour ton et d'Einstein. Ici s'arrête le caractériser d'un mot, aussi faux savoir de notre lauréat. Galilée est que commode, ceux qui contespeu lu de nos écoliers, et c'est bien taient l'interprétation officielle dommage. . d'Aristote), mais persona grata à Venise, Cremonini ne risquait pas Aussi faut-il savoir gré aux édi- grand chose, et le Saint Office detions Hermann d'avoir publié un vait le savoir. Mais une note dans choix des œuvres du grand Pisan. un dossier, cela peut servir un Quelques-uns des textes les plus jour. importants de l'histoire de la penLa vérité est qu'on parlait beausée deviennent ainsi accessibles au coup, et depuis peu à Rome même, public de langue française, dans au Collège Romain, du « philosoune traduction aisée due à P.-H. phe et professeur de mathématiques». En avril de cette même année, il avait été admis en grande pompe à l'Academia dei Lincei; le pape Paul V l'avait reçu en audience privée et, honneur insigne, lui avait permis de ne pas demeurer à genoux. N'avait-il pas vu dans le ciel des choses étranges et nouvelles? Des taches dans le soleil, des planètes inconnues (les · satellites de Jupiter) qu'il avait nommées les Medicei, en l'honneur dUi grand duc d~ Toscane, son puissant et récent protecteur. De ces observations, faites à l'aide du « cannochiale » (cette lunette veQue de Hollande longuement perfectionnée à Padoue dans son atelier de mécanique), il avait tiré une confirmation à ses yeux décisive de l'hypothèse de Copernic: la Terre est une planète comme les autres, elle tourne sur ellemême d'un mouvement diurne et autour du Soleil d'un mouvement annuel; il n'y a pas de différence de nature entre la matière dont sont faits les Cieux et celle dont est faite la Terre; là-bas comme Galilée - ..ici, les lois du mouvement sont les mêmes. Peut-être Galilée rêve-t-il Michel: le Discours des Comètes, d'un temps où l'Eglise prêtera sa l'Essayeur (extraits), le Dialogue force à la science nouvelle. Les des Deux Grands Syst-èmes (pre- Jesuites du Collège Romain (et mière journée), le Dialogue des parmi eux le mathématicien ClaSciences nouvelles (première jour~

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réelle : avoir son mot à dire. Peutêtre sait-il qu'une moyenne de vie allongée l'obligera à cobabiter plus longtemps avec la génération des pères et même des grands-pères. Le jeune héros de Balzac attendait d'hériter ; à présent l'attente serait trop longue : il désire être associé. Besoins contradictoires, spécifiques, sous cette forme, de sociétés parvenant à un haut niveau de vie. Philippe Robert démontre fort bien pourquoi les mouvements de jeunes, faute d'évolution, échouent, et comment, si le métier déçoit, si l'entourage se montre incompréhensif, inaccueillant, le jeune homme se tourne vers la « bande », groupe coopté, microcosme où il trouve sa loi et son rôle. La bande n'a pas pour but le délit. Son but, c'est l'Etreensemble. La bande - un examen attentif nous l'apprend - est fon,dée sur l'homogénéïté d'âge, de sexe, de milieu social. Parfois elle se forme par voisinage d'habitat, de transports (dans les trains de banlieue) ou de travail. Certaines professions: le bâtiment (peintres compris) ou l'imprimerie, la favorisent; curieusement, ce sont des métiers à tradition anarcho-syndicaliste. La hande malgré les faits divers - apparaît comme un phénomène masculin. Mieux : elle manifeste des tendances - exprimées ou non - à l'homo, ou im tout cas à l'ambi sexualité : l'hétérosexualité apparaît au jeune comme un phénomène « adulte », engageant aux responsabilités futures en cas de liaison stable, d'enfant etc. Les filles font rarement partie du « noyau » de la bande ; elles forment un « halo » et leur « circulation » dessine une sorte de marché commun. Toute liaison prolongée pousse à l'isolement. Cependant et de là viennent les erreurs d'interprétation quand la bande passe aux actes délictueux (au vol), les filles en sont les bénéficiaires et toujours les complices. En majorité elles refusent leur féminité, désirant se faire accepter comme « presque-garçons ». Mais

pour les garçons elles servent à témoigner envers le groupe de leur hétérosexualité, de leur caractère d' « homme ». D'où la fréquence des viols collectifs. Examinant le besoin, pour chaque conjuré, de jouer un rôle défini (fût-ce celui de bouc émissaire, de souffre-douleur), Philippe Robert détruit au passage l'auréole du chef-surhomme: la force physique n'est pas son premier attribut, l'habileté verbale, le prestige de l'a-social, l'imagination appliquée aux rôles de chacun et au rôle collectif importent davantage. Devient chef celui qui sait « se vendre » au groupe par son don de la parole et ses idées, celui qui sait défendre et valoriser les siens. D'abord phénomène ludique, le groupe se coagule, et verse dans le délit si l'entourage se révèle hostile. Une fois refermée sur ellemême, la bande suit sa loi, méprise le jugement de l'extérieur et devient pathologiquement indifférente a\lx conséquences légales, pénales de ses actes. Elle est un phénomène de ségrégation, et toute ségrégation « tue » l'extérieur. D'où l'utilité des rites, des épreuves, de la sélection. D'où le danger pour l'éducateur, le juge, le psychothérapeute, de « dissoudre» la bande et la nécessité de la réadapter au monde en « l'ouvrant ». Le livre de Philippe Robert offre l'avantage et l'inconvénient de la richesse. L'auteur passe en revue les études européennes et américaines et examine les divers modes de groupement de jeunes. Il n'évite pas toujours une certaine confusion. Il a le mérite de ne jamais oublier la société, mieux, le moment social où vivent ces jeunes, et de tracer un tableau exact des inter-réactions entre les jeunes, isolés ou groupés, et l'entourage, la f a m eus e « société d'environnement », c'est-à-dire non seulement le voisinage immédiat, mais l'ensemble social, l'époque, qui les englobe. Le microcosme maladif de la bande permet ainsi d'examiner le devenir de notre société. Dominique Desanti

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

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SOCIOLOGIE ~

Le ciel est un objet

vius) ne l'ont-ils pas écouté, avec faveur lui semble-t-il ? N'est-ce pas un signe que l'Eglise se transforme? Que le sort de la foi n'est pas lié pour toujours à l'aristotélisme ? Ne suffit-il pas alors d'exposer ses raisons, d'enchaîner ses démonstrations, de produire ses vérifications pour entraîner, jusque dans l'Eglise, la conviction des meilleurs? Le drame était que les mêmes mots n'avaient pas, pour tous, le même sens. Laissons les dominicains, en ce temps gardiens professionnels des interprétations officielles, généralement peu avertis des nouveautés ou, lorsqu'ils l'étaient, peu portés à les accueillir et à les comprendre: « Cet Ipernic, comme on l'appelle, qui contredit l'Ecriture» devait dire l'un d'eux, Lorini, dénonciateur précoce (1612) de Galilée. Mais, même pour les plus éclairés et les plus savants des jésuites du Collège Romain, « démontrer », « vérifier» et « croire» ne s'articulaient pas de la même manière que pour Galilée, ne s'enchaînaient pas exactement dans la même totalité signifiante. Clavius, par exemple, était mathématicien et copernicien. Il partageait avec Galilée le même souci de rigueur: comme lui, il était convaincu par la rectitude d'un enchaînement démonstratif. Sur le plan que délimitait l'usage strict du discours déductif (dont le calcul n'était qu'une forme), ils pouvaient se trouver d'accord. Mais la vérité est qu'ils n'appartenaient plus tout à fait au même monde. Le monde de Clavius (et, à plus forte raison, celui de Bellarmin, malgré les efforts méritoires qu'il fit un temps pour s'informer) était et demeurait l'Eglise : milieu nourricier, véhicule des médiations nécessaires et ultimes, signe charnel et manifeste de la rela,tion de l'homme à l'être. Pour lui, il n'y avait pas de monde nu., pas de nature offerte en sa brutalité première à l'homme doué die son seul regard. Bien au contraiJre, le mon-

de était livré déjà pris dans toute l'épaisseur du système des interprétations salvatrices, qui, plus que tout discours scientifique, portait le signe de la réalité et manifestait la profondeur de l'être. Admettre Copernic, pratiquer Tartaglia, lire Kepler, approuver Galilée en ses écrits mécaniques, cela ne signifiait nullement qu'on ait au fond de soi-même brisé ce rapport au monde, ni qu'on l'ait (ce qui était requis pour comprendre) effectivement renversé. Entre Galilée et l'Eglise qu'il croyait prête à accueillir la science nouvelle, le malentendu était en ce temps sans remède. Que ce rapport au monde ait été pour Galilée partiellement renversé (partiellement, sinon à quoi bon le projet d'entraîner l'Eglise?) nous en verrons le signe dans l'usage qu'il fait du télescope. Il l'utilise pour mieux voir. En quoi il heurte l'opinion commune, selon laquelle rien ne se donne à voir au-delà de la portée naturelle fixée par Dieu à l'œil humain. Cremonini, son adversaire en philosophie, mais son compère et commensal, refuse l'usage du cannochiale lequel, dit· il, lui « enfle la tête ». La Raison dans 18s Chos8s

A cès réticences, Galilée répond toujours de la même manière: si le télescope permet, ce que chacun peut vérifier, de mieux voir les objets terrestres, pourquoi ne permettrait-il pas de mieux voir les objets célestes? Encore fallait-il accepter de traiter le ciel comme un objet. A quoi aidait beaucoup l'usage que Galilée faisait de la mathématique. La mathématique est la langue que parle la Nature. Formule à résonance platonicienne: on songe au Timée, et Koyré le souligne fortement. Mais la mathématique en question n'est plus celle de Platon: c'est celle d'Archimède et de Tartaglia (dont le maître de Galilée, Ricci, avait été l'élève). Il n'est plus question

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désormais de construire un modèle géométrique et éternel du monde, ni de déchiffrer à travers le sensible les secrets mathématiques de l'architecture divine. Tout au contraire, il s'agit d'instaurer, du sensible à l'homme, un rapport neuf : le lien expérimental, qui, dissociant le sensible de son apparence première, l'arrache à l'inertie de son phénomène, le livre à l'enchaînement des mesures et lui fait avouer sa relation intime et constitutive aux structures mathématiques dont il est l'expression. Pour parler le langage à la mode, on pourrait dire qu'à l'égard du mon· de, l'herméneutique platonicienne et l'herméneutique galiléenne sont de nature différente: la première est de nature paradigmatique: on y déchiffre la conformité du monde à son modèle; la seconde est analytique et fonctionnelle: on définit au cœur du monde luimême le réseau des relations mathématiques qui constituent son être. Dès lors l'instrument (le téléscope par exemple), pourvu qu'il soit correctement construit, n'est plus simplement le prolongement accidentel et contingent du geste humain. Il est pris lui-même dans le tissu des relations analytiques: son efficacité est le fait de la nature elle-même. De l'œil à son objet, il constitue une médiation homogène, dominable et transparente. Il est, pour ainsi dire, la Raison dans les Choses. « Ouvre l'œil et regarde: ce qui est éloigné est proche au penser », disait le vieux Parménide. Ainsi pouvait, en ce jour de mai 1611, parler Galilée. Le ciel était objet: proche en sa distance, naturalisé. C'est pourquoi, usant des mêmes mots que les jésuites éclairés, Galilée parlait un autre langage. Eux, en dernière analyse, témoignaient encore pour Dieu et sa Parole. Lui témoignait pour le monde en sa mathématique nudité. Pour en venir là, il ne lui avait pas simplement fallu briser les apparences, aller au·delà du sensible. Ptolémée lui-même était allé au-delà du sensible, qui n'est pas géomètre. Il lui avait fallu (et depuis Copernic il n'avait pas été seul) voir la nullité du champ épais des médiations reçues, dont la cohérence était forte et élaborée de longue main. La figure, qu'en raison des progrès de la mécanique devait prendre l'image du monde, était, en ce temps post-copernicien, loin d'être évidente, même à un mathématicien. Le poids de l'évidence naturelle se trouvait encore de l'autre côté: du côté où, dans une belle totalité, vivait toujours l'unité du sensible, du rationnel et de la foi. Quiconque menaçait cette cohérence devenait suspect: or Galilée la brisait., Et voilà pourquoi l'année même où Galilée triomphe le Saint Office ouvre une enquête.

lean-Toussaint Desanti

Jean Cazeneuve Bonheur et Civilisation Coll. « Idées » Gallimard éd., 248 p.

Le bonheur serait-il susceptible d'analyse sociologique? Le successeur à la chaire de sociologie de Georges Gurvitch le pense, qui nous donne cette substantielle introduction à un sujet jusqu'ici réservé à la psychologie, à la littérature ou à l'esthétique. Analyse - mais non réduction. D'emblée, la représentation-type du bonheur, le paradis, « est toujours moins bien décrite que l'enfer »; c'est qu' « il faut aux civilisations un certain niveau de culture et d'aisance » pour y parvenir. Insaisissable, le « paradis promis et perdu » apparaît plutôt comme un au-delà que comme un concept. Un audelà, une « nostalgie de l'ontologie, un refus de ce qui n'est pas fondé dans l'être immuable ». Nostalgie du paradis perdu, « image dynamisante », image d'Epinal certes; mai.s aussi et surtout « puissant archétype de l'imagination ». Le problème est posé en termes qui ne ressortissent pas, on le voit, à la seule démarche discursive. Encore faut-il, tout au long de cette voie royale qui se refuse et converge ve~s la vision du paradis, tenter de définir les concepts qui la jalonnent : la joie, qui « est en nous », non point dans la situation qui la provoque; le plaisir; la chance; enfin, le bonheur proprement dit. Celui-ci ne se confond pas avec ses causes extérieures; il suppose une certaine continuité, et se révèle rarement dans sa plénitude « au moment où il est vécu ». Le passé apparaît ici comme la dimension privilégiée : tout à la fois nostalgie, et mise en situation de l'acquis, de ce qui n'a pu être, ou s'est défait. L'heure présente est là, qui nous invite au « bonheur ». C'est ici que Jean Cazeneuve brosse un tableau remarquable du bonheur spé. cifique de la société du bien-être : jeunesse et amour. Le « deuxième sexe », par le biais des techniques des mass-media qui poussent à la consommation, se retrouve à la place qui est sienne, celle où il détient véritablement le pouvoir de décision : « L'érotisme est partout, et toujours, pour diviniser la femme et faire d'elle l'essentiel. Ce n'est pas seulement à l'amour qu'on provoque l'homme, mais à l'amour tel que le veut et le choisit la femme. C'est elle qui impose ses préférences. Elle veut un homme fort pour son plaisir et non une femmelette. » Le bonheur, . dès lors, est conçu comme un amour vécu par le couple, et sa « réhabilitation dans la vie non romanesque est aussi celle de la femme ». La femme, mais aussi la, jeunesse, plutôt l'adolescence. C. LéviStrauss a justement fait remarquer que « la technique du bonheur


Une sociologie du bonheur

Gurvitch Georges Gurvitch

Les Cadres sociaux de la connatssance P.U.F. éd., 324 p.

aux Etats-Unis » a pour but de produire des adultes en qui l'enfant éternel n'a pas été et ne sera jamais lésé l . D'où la psychanalyse, vouée à « venir à bout des névroses résultant du conflit entre les nécessités de la vie adulte et la persistance à tout âge de l'atmosphère de la nursery et du gynécée ». Peut-on établir une typologie du bonheur ? Jean Cazeneuve le tente, à partir de l'étude comparée des Zunis et des Navahos, peuples indiens du Nouveau-Mexique qui expriment l'antithèse entre les civilisations apolliniennes et dionysiennes2 • Pages émouvantes, d'une grande intensité, où le destin de l'homme se situe à un tout autre niveau que celui assigné par la société de consommation (p. 141164). Une étude critique très fouillée des travaux de M. Mead, R. Mauzi, R. Polin, R. Mucchielli, R. Benedict, D. Riesman, H. Lefebvre, notamment, le conduit à recommander de « confronter la typologie générale du bonheur (apollinien ou dionysien, primordial ou secondaire, particulier ou universel, individuel ou collectif, objectif, subjectif ou transcendant, présent, passé, futur ou intemporel, relatif ou absolu), avec les nuances de la personnalité de base caractéristique de chaque culture, les types diffèrent suivant que celle-ci tend elle-même vers l'apollinisme ou le dionysisme, suivant le degré d'intégration qu'elle impose aux individus (traditionalisme, individualisme ou conformisme), suivant sa force de cohésion et de contrainte (tolérance et pluralisme, ou bien rigidité et unitarisme) et, enfin, selon la cohérence plus ou moins grande entre sa réalité sociale et les idéaux qu'elle favorise par son éducation, par l'action de ses penseurs et par sa religion. » Les clés de la variante « culturelle » doivent être cherchées dans l'histoire spécifique de chaque peuple et groupe de civilisation; une place importante sera faite à la composante « traditions spirituelles ». Cette méthode va permettre un réquisitoire impitoyable et lu-

cide de l'éthique bourgeoise du bonheur, qui demeure malgré tout fort différente de celle des pays socialistes. Ce sont les « trois continents », où règne la « culture des pauvres» (O. Lewis), qui, dominés par l'économie de pénurie et les modèles empruntés aux pays industrialisés », se donnent « cette représentation d'une société idéale perdue ou à reconquérir (qui) favorise le développement du millénarismeJ ». Le millénarisme? Jean Cazeneuve conclut que « le machinisme progresse pour lui-même et par luimême. Il sécrète sa propre définition du bonheur et nous l'impose ». Dès lors, « les philosophes n'ont plus que la dérisoire mais nécessaire tâche de maintenir ouverte la porte sur le paradis » (p. 242). Qu'est-ce à dire sinon que, si le machinisme broie et modèle, il reste encore aux hommes et non .point aux seuls philosophes, me semble-t-il - le droit, la possibilité, voire le pouvoir d'imprimer à la civilisation technicienne une orientation humaine? Et, dans cette perspective, « l'homme marxiste et l'homme religieux » que Jean Cazeneuve privilégie à juste titre - , s'ils tirent leur force de porter leurs regards « vers le sens de l'histoire ou vers l'inconditionné », peuvent être dits « millénaristes » jusqu'au moment où le philosophe se voudra roi, où le penseur, de conceptuaHsateur, se voudra « intellectuel organique » dans la cité des hommes qui, en dernière analyse, imaginent et utilisent les machines et les mythes. S'il n'est point de voie royale, la leçon de ce livre est que les hommes peuvent tracer leur route, cn assumer les périls - et parfois rcncontrer la joie. Anouar Abdel-Malek 1. In l'Age d'or, nO l, p. 75-83. 2. E. Albert et J. Cazeneuve: la Philo· sophie des Indiens Zunis, in « Revue de Psychologie des Peuples», nO 2, 1956. J. Cazeneuve: Les dieu.t: dansent à Cibola, Gallimard éd., 1957. 3. Oscar Lewis: les Enfants de Sanchez, Gallimard éd., 1963.

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

Ce livre que Georges Gurvitch avait eu le temps d'achevér et qui parut après sa mort avait pour lui une grande signification. La sociologie de la connaissance lui paraissait, à bien des égards, constituer le point culminant des sciences humaines, à l'endroit où le savoir peut prendre conscience de son insertion dans notre devenir et, en même temps, mesurer le poids de ses conséquences et de ses implications dans la vie collective. Or cette étude, si elle a fait l'objet de travaux remarquables en Allemagne et dans les pays anglo-saxons n'avait pas, jusqu'à présent, acquis dans la sociologie française la place qui lui revient, et nulle part elle n'était parvenue à se dégager de multiples considérations extérieures à elle. Il n'est donc pas exagéré de dire que, par cet ouvrage, Georges Gurvitch comble chez nous une lacune importante et, plus généralement, mérite d'être considéré comme le véritable fondateur de la sociologie de ln connaissance en tant que discipline vraiment scientifique dotée d'un appareil conceptuel adéquat et prête à assumer sa tâche dans le domaine empirique.

Georges Gurvitch

C'est pour cette raison que les quatre parties théoriques du livre, où la connaissance est tour à tour mise en relation avec les principaux types de cadres sociaux, sont précédées d'une introduction faisant le point des études préalables sur ce sujet, avec leurs apports et leurs insuffisances, et sont suivies d'une bibliographie exhaustive et d'une enquête présentée à titre

d'exemple des recherches pouvant être entreprises dans ce cadre. Georges Gurvitch · avait en effet réuni un groupe de chercheurs qui travaillaient sous sa direction et qui avaient, pour commencer, exploré empiriquement les variations de la connaissance d'autrui au sein des groupements professionnels. Qu'a-t-il manque a tous ceux qui se sont approchés de la sociologie de la connaissance pour en saisir la mission véritable? Les uns, comme Auguste Comte, Karl Marx et Mannheim, ont cru que le savoir ne pouvait atteindre l'objectivité qu'en s'affranchissant de tout rapport avec les cadres collectifs, de sorte qu'à leurs yeux la sociologie n'en pouvait apercevoir que les infirmités. Durkheim fut le premier à vaincre ce préjugé, mais tomba dans un excès contraire en faisant de la société une incarnation de la raison. LevyBruhl eut une vue plus saine de la mise en perspective sociologique, mais, sur le chemin qui aurait dû le conduire au pluralisme, il s'arrêta au dualisme de la mentalité archaïque et de la mentalité civilisée. Enfin, la . plupart des autres, tels Max Scheler et Sorokin , ont été bridés par des préconceptions philosophiques conscientes ou implicites. C'est précisément le grand mérite de Georges Gurvitch, ici plus encore qu'ailleurs, d'avoir libéré la sociologie de tout asservissement à des prises de position métaphysiques ou épistémologiques pour lui donner sa vocation propre, à la fois plus modeste et plus sûre d'elle-même. Ce qu'il lui appartient d'élucider, ce n'est pas le critère de la vérité, ni le fondement de l'adéquation entre le sujet et l'objet, mais le rapport entre la connaissance et la société, sans oublier jamais que ce rapport est dialectique. C'est pourquoi la sociologie de la connaissance est d'emblée définie comme l'étude des corrélations fonctionnelles entre les différents genres, formes et systèmes de connaissance d'une part, et, d'autre part, les cadres sociaux dans lesquels on peut les observer. L'auteur nous propose donc, en un premier temps, une typologie du savoir qu'il ne prétend pas . d'ailleurs ériger en un tableau définitif. Par exemple, il distingue sept genres de connaissance (la connaissance perceptive du monde extérieur, cellè des réalités sociales et des rapports sociaux, celle du bon sens, la connaissance technique, la connaissance politique, la connaissance scientifique et la connaissance philosophique) pouvant s'articuler entre différentes formes suivant des accentuations pl1.\s ou moins prononcées entre des pôles opposés: mystique ou rationnel; empirique ou conceptuel; positif ' ou spéculatif; symbolique ou adéquat; collectif ou ~ 21


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Gurvitch

individuel. On peut évidemment se demander s'il n'y aurait pas lieu d'ajouter à ces énumérations quelques autres termes, comme par exemple la connaissance esthétique ou artistique. L'important était d'ouvrir la voie aux classifications et de fournir tout de suite une sorte de schéma opératoire permettant de voir quelles sont les connaissances que favorisent ou étouffent les divers cadres sociaux. Ceux-ci donnent ensuite le plan de l'analyse détaillée qui met en application les principes généraux. La première partie concerne donc la microsociologie et les formes de la sociabilité, telles que les masses, les communautés et la communion. La deuxième partie aborde un sujet plus concret, avec les groupements particuliers. On relèvera là quelques jugements sur nos grandes universités. Celles-ci, nous est-il dit, limitent parfois la diffusion des connaissances; mais ce défaut est compensé par l'esprit de compétition qui règne entre elles. D'autre part, il est à noter que les professeurs les plus réputés par leur science ne sont pas nécessairement ceux qui ont le plus d'autorité dans les assemblées administratives, où sont requises d'autres qualités. Un autre chapitre particulièrement stimulant traite des systèmes cognitifs dans les églises chrétiennes. Georges Gurvitch, qui avait eu l'occasion, dans sa carrIere variée, d'étudier la religion orthodoxe, y décèle une tendance intermédiaire entre le théisme et le panthéisme, une aptitude à la connaissance politique compatible avec des orientations diverses et une connaissance théologico-philosophique ouverte aux simples croyants. La troisième partie, consacrée aux classes sociales, complète les indications données par Georges Gurvitch dans un autre ouvrage

posthume qui comprend une analyse critique des grandes théories et un exposé systématique de la sociologie en cette matièrel . La bourgeoisie est un foyer propice à la connaissance scientifique 'ou technique et à celle du monde extérieur situé dans des étendues prospectives; le monde rural colore la connaissance perceptive d'une riche émotivité et fait grand crédit à la connaissance du bon sens ; quant au prolétariat, il place au premier rang la connaissance politique, mais, contrairement à ce qu'ont imaginé Proudhon, Marx et même Auguste Comte, il ne semble pas bien placé pour remplir la fonction de rénovateur philosophique. Il est au contraire, dit notre auteur, plongé dans une torpeur persistante à cet égard. Enfin, nous assistons à la naissance d'une nouvelle classe, celle des techno-bureaucrates, qui n'est encore que virtuelle mais dont l'emprise sur notre société est d'autant plus menaçante qu'elle comporte un pouvoir de décision non contrôlé. Axée sur la connaissance technique et scientifique, elle cultive activement aussi le savoir politique et se rattacherait volontiers à une philosophie pragmatiste déshumanisée ou à l'inspiration « ambiguë» d'un Heidegger, dont les affinités avec la doctrine nazie sont soulignées à ce propos. Des structure. menacées

Enfin, la quatrième partie constitue un tableau d'une étonnante richesse où tous les types de socIetes globales sont successivement examinés dans leurs rapports avec les genres, les formes et les systèmes de connaissance, depuis les sociétés archaïques jusqu'aux quatre sortes de structures politiques et économiques qui se partagent ou se disputent le monde moderne: le capitalisme organisé

et dirigiste, la société fasciste techno-bureaucratique, l'étatisme collectiviste centralisateur et le collectivisme pluraliste décentralisateur. La crainte majeure de l'auteur est que la connaissance technique ne progresse plus vite que les autres, ne les submerge ou ne les dénature, faisant voler en éclats les structures avant qu'elles n'aient eu le temps de s'ajuster aux transfonnations de notre horizon intellectuel. Un lecteur qui ne serait pas familiarisé avec la pemee de ce grand sociologue pouuait se .laisser trop aisément fasciner par la rigueur ,formelle de tous ces développements et n'en retenir qu'une sorte de procédé mécanique pour mettre de l'ordre dans un champ d'investigation encore peu exploré. Réduite à cette magistrale conceptualisation, l'œuvre accomplie dans ce livre serait déjà considérable et ouvrirait la voie à des recherches fécondes. Mais, malgré certaines apparences, la théorie de Georges Gurvitch était opposée à l'esprit de système. Il faut donc prêter ici grande attention, non seulement aux analyses de détail, toujours nuancées, et aux simples suggestions, mais encore à la distinction affirmée entre structure et phénomène social total. La réalité ne s'épuise pas dans ses formes les plus aisément repérables. Elle est toujours une promesse de renouvellement, et c'est aux virtualités, aux tendances agitant sourdement la collectivité que le sociologue s'attache pour éclairer la vérité d'aujourd'hui et faire comprendre ou prévoir celle de demain, en découvrant les cheminements de la liberté. Cet aspect essentiel de la sociologie pluraliste manifeste toute son importance dans l'étude des cadres sociaux de la connaissance. Celle-ci risque d'être figée dans les images que croient pouvoir en donner les

penseurs liés à une prise de position théorique, elle-même commandée par un état transitoire du savoir et surtout de ses orientations. Le livre que voici restitue le sens du relatif dans un domaine où il paraissait ne devoir être qu'un trouble-fête, et cela non point pour discréditer la science ni même pour lui interdire la prétention légitime à l'universalité, mais pour éviter qu'une de ses apparences trop triomphantes n'éclipse les autres. Les cadres sociaux ne créent pas le contenu de la connaissance et n'en conditionnent pas la validité comme pourrait le suggérer un sociologisme rudimentaire ; ils la rendent plutôt acces!'ihle à elle-même. Car, en déf~llitive, ce qui était le plus fermé à l'homme jusqu'à présent, c'était le devenir de sa pensée. Tous les efforts précédents pour lever cette incompréhension aboutissaient à prendre un certain type de savoir, fût-ct' même celui de la wciologie, pl/ur y réduire les autres. Une science des sciences

Le point de vue de Georges Gurvitch, parce qu'il est pluraliste et empiriste à un haut degré, échappe à ces contradictions au départ, il les englobe dans sa recherche, ce qui est le meilleur et même le seul moyen de ne' jamais s'y enfermer. Car l'auteur se fait de la sociologie une certaine idée qui l'amène à placer au cœur de la réalité humaine une dialectique ouverte, un problème à résoudre et non point sa solution a priori ou a posteriori. Plus qu'une histoire naturelle de la connaissance, ce livre présente les prolégomènes à une science de la science.

Jean Cazeneuve 1. Georges Gurvitch: Etudes classes sociales, Gonthier éd.

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PAYS Un continent démesuré André Pierrard, Michel Watrin Vivre en Sibérie Julliard éd., 352 p. André Pierrard et Michel Watrin sont allés en Sibérie pour voir (lentement) et entendre (et surtout les murmures). 115 y sont allés avec une « amitié inquiète )l, ennemis de l'attitude croyante comme du tour d'esprit touriste imbu de son clocher. 11~ en ra~portent ~ieux qu'un. reportage, mIeux qu une enquete, un essaI. Très consciemment les auteurs ont évité deux dangers: la confusion de l'avenir et du présent, l'apologie de la Sibérie de demain telle qu'on peut l'imaginer rationnellement, mais non l'observer; l'opposition systématique entre l'idéologie et la réalité. 115 ont vu dans la Sibérie le lieu du passage, la terre des métamorphoses. Un continent démesuré, ouvert au déve· veloppement moderne. Ce qui se prépare entre l'Oural et la mer d'Okhotsk, entre le pôle nord et le Pamir pèse d'un poids 22

très lourd dans la géopolitique mondiale. Trait d'union ou marche de protection? Le destin soviétique se joue sur les rives de l'Amour, mais sans doute aussi, en grande partie, le nôtre. Qui sont ces hommes vivant au bout du monde? Le visage du co=unisme n'est-il pas en train de se modeler dans ce Far East fabuleux ? Qu'est-ce que « vivre en Sibérie )l ? Pour le savoir, les auteurs se sont d'abord livrés aux rencontres. Des spécialistes en relations publiques sibériennes qui les guident, honorables intermédiaires, mentors inquiets, peut-être descendants des chamans (disent-ils), ils ont décrypté le langage ... Derrière le « fonctionnaire de l'amitié)), parfois l'homme apparaît ... Miracle qui n'aurait pu se produire cinq ans plus tôt. Rencontre de neuf copains de Novosibirsk campant dans la ' clairière. C'est la génération qui est sûre « d'avoir ses vingt mètres carrés en se mariant )). Toujours ils ont cherché, et souvent trouvé. la sincérité entre inconnus.

Mais les voyageurs ont senti qu'il fallait aller au-delà. Sincérité n'est pas encore vérité. « Comment établir la correspondance entre le communisme français quand on l'identifie en russe avant tout avec le poul'oir, ses réalisations énormes, ses erreurs qui le sont autant? Quand on constate que le pain est fonction du Plan, que des liens complexes et sensibles nouent ces deux mots en russe, ,dont on ne trouve pas trace en français. )l Et encore: « Gauche et droite )l, pense le Français. « Eux et nous, haut et bas )l, pense le Russe. Aux rencontres, même les plus réussies, il faut des interprétations. C'est peut-être la partie la plus remarquable du livre. II y a une couleur sibérienne du travail et des loisirs. Le volontariat domine le labeur sibérien. C'est une réalité de masse, qui coexiste avec les camps et les assignations à résidence. Toutes les variétés culturelles, que le régime a pu reproduire ou inventer, existent. Avance de cinquante ans sur la province française.

Un pays neuf, des richesses naturelles extraordinaires, une technique moderne, une intense vitalité humaine, des stimulants matériels et moraux incontestables, une jeunesse qui veut atteindre la puissance, par l'étude, la recherche ou l'expression, et qui est encore une inconnue dynamique, violente et sensible. Les jeunes, co=e les biens de consommation ne sont pas encore au niveau de leur appétit, deviennent aussi exigeants en dehors du travail que la société l'est dans le travail. C'est finalement, concluent André Pierrard et Michel Watrin, lorsqu'on le rencontre dans ses loisirs qu'on peut reconstituer l'ho=e véritable qu'est le jeune Soviétique. En se niant co=e exclusivement productrice, la jeunesse sibérienne est peutêtre en train de frayer la voie du fameux « ho=e nouveau » par des chemins inattendus. ' Victor Leduc


PSYCHOLOGIE

Jung, ·le m.age c.-G_ Jung Ma vie Trad. de l'allemand par le Dr Roland Càhen et Yves Le Lay. Coll. «Témoins» Gallimard éd;, 472 p.

La lecture de Jung après celle de Freud ne laisse pas de surprendre. On passe d'une pensée modeste, têtue, scientifique et qui sans cesse se méfie des grandes synthèses philosophiques, à une pensée qui survole les faits, organise de haut une matière généralement répartie dans des registres différents, picore dans toutes les sciences (physiologie, paléontologie, histoire, mythologie ... ) et dans ce qui n'est pas science (télépathie, occultisme, alchimie ... ). Le cosmos en son entier est appelé comme preuve de la vérité d'une vision du monde et de l'homme où le rationalisme et le mysticisme font bon ménage. Le sentiment qu'on . en retire est analogue à celÛl qui r~ sulte de la lecture de la revue Planète dans ses numéros les plus contestables. On comprend la séduction que peut susciter une telle œuvre pour qui n'a pas le souci, apparemment terne, du concept. Combien il est fascinant de découvrir qu'on est habité par des symboles qui puisent dans l'obscurité des temps, voire dans le mystère de la création! Animus, anima, l'éternel masculin, l'éternel féminin, désignent - sans l'épuiser - un ineffable à résonance religieuse. On se sent glorieux d'être le théâtre de si grandes rencontres. La créature s'abolit, avec un frisson délicieux, devant l'ordre sacré qui la traverse et la constitue.

Jung et Freud Dès 1909 nous voyons les chemins de Freud et de Jung se séparer. Dans une lettre à E. Jones, Jung écrivait alors: « Il vaudrait mieux ne pas pousser au premier plan la théorie de la sexualité. l'ai beaucoup cI'idées là-dessus, particulièrement sur les côtés éthiques de la question. Je crois que proclamer publiquement certaines choses ce serait scier la branche sur laquelle repose la civilisation; on sape les tendances à la sublimation... » Et dans une lettre au pasteur Pfister (1910), Freud indirectement répond: « Une véritable psychanalyse ne peut s'effectuer sans descendre des abstractions qui la recouvrent jusqu'au moindre détail. La discrétion s'avère incompatible avec une bonne présentation de la psychana.lyse. Il faut devenir mauvais, dépasser les bornes, se sacrifier, tra.hir... Sans de pareils délits rien de bon ne saurait s'accomplir. » Dans son livre, Jung, :. travers

le souvenir des conversations qu'il avait avec Freud, nous montre combien ce qui au début semblait être divergence secondaire liée aux scrupules de l'un, aux exigences de l'autre, renvoyait en fait à une opposition catégorique. Cette même opposition se retrouve à l'autre extrémité, dans la conception de la cure. Jung nous décrit le thérapeute parvenu, grâce à sa propre analyse, à la possession d'un soi plein de sagesse et intervenant activement pour conseiller, éduquer, diriger le patient, en faire quelqu'un à son image. Freud au contraire, attaché à l'idée que la névrose aliène l'individu, refuse de soumettre le malade à une « bonne» tyrannie qui lui barrerait la voie vers sa vérité. Cette défense d'une psychanalyse de mentor trouvera sa conclusion logique dans une morale aristocratique du héros et l'affirmation que « les grands actes libérateurs de l'histoire universelle ont été accomplis par des personnalités dominantes, jamais par la masse inerte qui est en tout temps secondaire.» Mais n'épiloguons pas sur les implications politiques confuses et malheureuses que Jung tirera de ces prémisses entre 1933 et 1939 et que ses libres confidences marquent d'un blanc. Le sérieux des objections que Jung fait à Freud nous est révélé par cet étrange épisode qu'il prend grand plaisir à nous conter, persuadé que Freud s'y trouve à son désavantage. On peut, ici, se contenter de citer: « Tandis que Freud exposait ses arguments, il me sembla que mon diaphragme était en fer et devenait brûlant... En même temps un craquement retentit dans l'armoirebibliothèque qui était immédiatement à côté de nous, de telle manière que nous en fûmes tous deux effrayés.,. Je dis à Freud: « V oilà ce que l'on appelle un phénomène catalytique d'extériorisation. « - Ah! dit-il, c'est là pure sottise! «Mais non! répliquai-je, vous vous trompez, monsieur le professeur. Et pour vous prouver que j'ai raison je vous dis d'avance que le même craquement va se reproduire.» Et de fait, à peine avais-je prononcé ces mots que le même bruit se fit entendre dans l'armoire... «Alors pour toute réponse Freud me regarda sidéré. » En appendice de l'ouvrage, nous est donné un extrait d'une lettre de Freud où celui-ci fait réponse à Jung à propos dp ce même incident. On y lit : (c Ma bonne volonté à être crédule disparut avec le charme magique de votre présence ici... les meubles privés d'esprit sont devant moi, comme la nature privée des dieux devant le poète après la disparition des dieux de la Grèce.» Après une fascinante analyse de

La Quinzaine littéraire, 15 au 28 février 1967.

ce qu'il nomme « la complaisance -Disons que son « inconscient» se du hasard », dont le rôle ressemble présente comme un véritable « déà celui de la complaisance soma- barras» à mythologèmes. tique dans le syniptôme hystérique Une relecture de Freud, avec les ou celui de la complaisance verbale acquis de la linguistique . structudans le mot d'esprit, évoquant ses rale, nous indique une autre voie propres fantasmes superstitieux an- qui permettrait de rendre compte ciens, Freud conclut: à la fois du caractère personnel de « A propos de vos recherches l'histoire de chacun et de l'existensur le « complexe des revenants», ce de structures universelles. Ce mon intérêt sera celui que l'on a qui préexiste à l'entrée du sujet pour une douce illusion que l'on dans le monde humain, ce n'est ne partage pas. » pas un 'bric-à-brac de s~es dont Il n'est pas question, à propos il serait porteur originellement et d'un livre, proche des Confidences qui lui donnerait ce touffu impéd'un sage hindou ou de l'Odyssée nétrable d'une forêt vierge, car il d'une grande âme, de discuter le n'est de sujet qu'à l'issue et non système de Jung, même dans quel- à l'entrée du défilé du langage. Ce ques-unes de ses articulations. Re- qui préexiste au sujet c'est un tenons cependant ce qui en est le Ordre dans lequel le monde chaopivot, ce monde archétypal qui tique des affects aura à se réfracter constitue l'Inconscient collectif. et grâce auquel il s'articulera. Loin Jung nous décrit l'âme humaine d'être constitué, comme l'entend participant d'un fonds commun Jung, par « des connexions mythoanhistorique que nous révèle~t les . logiques, des motifs, des images mythes, les contes et les légendes. qui se rp.nouvellent partout et sans Il y aurait une sorte de .connivence cesse, sans qu'il y ait traditions ni migrations historiques», le sujet résulte de la soumission des pulsions à 'ce que J. Lacan nomme, de façon éclairante, « ordre du signifiant ». Jung croit nous conter « les événements de (sa) vie · par lesquels le monde éternel a fait irruption dans le monde éphémère» et il définit cette vie-ci comme « l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa réalisation ». Il agrémente son récit de cette bimbeloterie qui séduit les assoiffés de mysticisme que la religion - dans nos sociétés industrielles - ne suffit plus à abreuver. Tous les bijoux de l'Arabie, les mystères de l'Extrême-Orient, les sagesses védiques ou confucéennes, sont convoqués et répondent à l'appel, pour se résumer dans cette pensée de Tao Tseu par quoi le livre annonce ses dernières lignes et l'auteur la fin de son parcours : C( Tous les êtres sont clairs, moi seul suis trouble ». Il n'est pas un problème (et surtout pas un faux problème) qui ne soit abordé et résolu, à l'aide de cet unique procédé de la pensée: l'analogie universelle, grâce à quoi n'importe quoi signifie n'importe quoi. Dans cette « nuit où toutes les \uches sont grbes », tous les traits tojl...loriques recueillis au cours de ses divers Yo}a~es, par le touriste curieux qu'est Jung, sont élevés à la dignité de matériel scientifique illustr~nt telle affirmation sur la communication avec les morts, la G.G. Jung survie des âmes ou l'intérêt des tables tournantes. A son insu, notre auteur compose une toile de fond mystérieuse entre la pulsion et son sur laquelle le projet de Freud surlangage, certains signifiants ren- git avec un éclat plus pur. Il nous voyant de toute éternité à des révèle aussi que bien des tentatives signifiés immuables. A partir de ce pour châtrer Freud de son matépostulat - identique à celui qui rialisme, ou pour découvrir en lui fonde toutes les clefs des songes, le langage caché de la spiritualité, des plus nobles aux plus vulgaires gagneraient à être rapportées à leur - Jung élabore un le'Xique univer- inaugurateur: le mage Carl-Gussel du symbolisme qui devrait per- tav Jung, né en 1875, mort en mettre le déchiffrement de l'ima- 1961. ginaire de chacun et de tous. André Akoun 23


HISTOIRE

Qui doit gouverner? Alain Michel Tacite et le destin de l'Empire Préface de Pierre Grimal Coll. « Signes des temps» Arthaud éd., 284 p.

Tacite et le destin de l'Empire ... convenons que cela est bien loin. Et l'on s'en convainc plus encore après avoir lu ce beau livre, si justement attentif à éviter tout anachronisme d'interprétation, toute transposition, tout rapprochement indlÎ; nous ne sommes plus au temps où se font les Empires. Pourtant, au-delà de dix-neuf cents ans écoulés, A. Michel a su rejoindre Tacite et il nous entraîne à sa suite. Nous ne retrouvons pas tout à fait sous sa plume l'Opposition sous les Césars, telle que Gaston Boissier nous en avait laissé le souvenir. Cette opposition-là, c'était plutôt, en quête d'un répondant prestigieux, celle de l'Université, frondeuse et républicaine, au régime de Napoléon III. Mais le Tacite qui peut nous requérir doit être un Tacite romain , profondément enraciné dans son temps, dans les illusions mêmes et les myopies des gens de son temps, dans la tradition politique romaine, dans le couran t des idées philosophiques, dans le conflit des classes sociales et des régions de l'Empire. Aucun livre n'en avait dressé une figure aussi vivante parce qu'aussi bien située.

Un de nos compatriotes Qu'est-ce donc que Tacite? L'historien des Césars, « le plus grand peintre de l'antiquité », celui qui donne Britannicus à Racine. C'est assurément le juge austère et intègre grandi sous le règne de Néron - « c'est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l'Empire » et qui vengera les victimes de Néron. Tibère à Capri, Messaline dans son jardin. le meurtre d 'Agrippine. Et puis c'est encore ce style inimitable: à côté de raccourcis foudroyants une emphase qui ne tremble ni n ' hésite parce que l'écrivain sait qu'il l'imposera par ]a solidité de sa pensée: « Fabordp IIne œuvre que le malheur enrichit, que les combats rendent horrible, que divisent les séditions. qni reste cruelle dans la paÎ.'\: même: quatre princes tués par le fer , [.rois fois la guerre civile, plus de guerres étrangères et , lu plupart du tell! ps, les unes et les autres à la fois... Et pnis l'Italie accablée par des désastres nouveaux on renouvelés après une longue série de siècles : les villes mises à sac ou renversées sur la côte féconde entre tOl/.tes de la Campanie: Rome elle-même dévastée par les incendies. les plus anlÏqnes sanctlLaires consl/.més, jusqu'au Capitole embrasé par les mains des citoyens. La religion souillée, les grandl5 adultères, la mer remplie d'exilés, les rochers salil5 par les 24

massacres; la noblesse, la richesse, les hautes charges, qu'elles fussent occupées ou refusées, tOlLt cela tenu pour crimes, et la mort la plus certaine comme prix des vertus. » L'érudition moderne nous apporte des raisons de voir en Tacite un de nos compatriotes. Il est slÎr qu'il a épousé la fille d'un notable de Fréjus; il est sûr qu'à Rome, pendant sa jeunesse, il a vécu parmi des Transalpins; peut-être, comme l'intègre Burrhus, est-il né sur les pentes du Ventoux, à Vaison-la-Romaine où les inscriptions nous rendent souvent les noms qu'il a portés. Ces attaches à notre pays ne sont pas indifférentes. A la fin du 1er siècle, l'Empire se trouve à nouveau confronté aux problèmes idéologiques qui avaient si fort inquiété les contemporains de César: l'Orient grec, c'est-à-dire surtout l'Asie et l'Egypte, l'or, les raffinements, le luxe, la culture; ou l'Occident encore à faire, relativement sauvage mais riche en hommes, riche en vertus naïves de courage physique et de fidélité. Tacite, ratifiant sa naissance par les choix de sa maturité, sera, comme l'avait été Virgile, un tenant de l'Occident. Pourquoi Tacite a-t-il été un historien? La question se pose. car il n'a pas été cela seulement ni même principalement. Aucune erreur ne serait plus grave que de voir en lui un lillérateur, un savant de cabinet, une sorte d'alchi miste distillant ses poisons, animant ses monstres dans le secret d'ulle inaccessible rctraite. Tout au conlraire. il fut homme politique et, à la dignité impériale près, le pr~ll1ier de l'Empire. Il fut une d,,;; consciences du Sénat, un de ses doctrinaires; Trajan , Hadrien dans leurs déclaratio,}s officielles s'autorisent de formules qu'ils prennent dans ses œuvres. Il se voyait lui-même dans ce rôle, sc rattachant explicitement à ces grands hommes d'action, lin Cicéron, un Sénèque qui, depuis près de deux cents ans déjà , s 'efforçaient de pénétrer de philosophie, c'est-à-dire de moralité et de rationalité, la vie politique romaine. Au péril de leur vie, puisque Cicéron et Sénèque étaient tombés sous les coups de l'homme ou du système qu'ils auraient voulu amender, mais finalement vainqueurs à la génération suivante ou un peu plus tard. Tacite lui-même meurt sans doute assez désespéré dans les premières années du rè~n e d'Hadrien; mais quand il réorganise radministration de rEmpire, s'appuie sur les chevaliers, cet empereur que Tacite redoutait et détes tait s'engage , à n'en pas douter, vers la solution du problème que Tacite avait posé. Quand teut avenir parait exdu. certains esprits mus peut-être, malgré tout, par un espoir ~ecret, se r('tournent volontiers vers le tout proche passé pour comprendre comment on en est venu là. C'est ainsi que Tacite s'est fait historien ; il demande à l'histoire une technique

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pour comprendre, pour prendre en main le problème de son temps. Ce problème - nous suivons ici les démonstrations de M. Michel est celui de l'autorité politique. Qui doit gouverner? A cet égard. Tacite n'a jamais varié: l'Empire ne peut subsister dans la paix si l'autorité n'est remise à un seul; il faut un chef unique. Mais sitôt ce principe posé, les difficultés :laissenL insurmontables. L'expérience montre d'abord quïl l'"t difficile à un homme de s'égaler dignement à de telles responsabilités: la charge est écrasante, ruineuse pour qui l'exerce, exposé aux sollicitations de tout ce qu'il y a de pire dans le cœur de l'homme et dans la société. Claude n'eût été qu'un faible d'esprit, Néron un excentrique, Tibère un misanthrope soupçonneux; la dignité impériale quelle dérision! a agrandi ces failles, a fait d'eux des . fous sanglants .

le:- Iorm('~ dc l'égalité. traditionnelle à Rome cntr~ Jes ~i tO\ en,.. A ce jeu tout le monde va' perdre. Adressez-vous à Tibère comme il un maître , vous le blesserez au vif et il vous accusera de voir en lui un tyran; parlez-lui en égal, il vous écrasera comme un insolent et un présomptueux. Alors, que faire? Servir sans illusion, comme avait fait Agricola; sourire, comme le Maternus du Dialogue. Et s'il n'y a pas d 'autre solution. mourir sa:1S s'ê tre dégradé. A quoi bon comploter contre le pouvoir personnel puisqu 'on ne saurait l'abattre sans précipiter l'Empire dans le chaos, puisque la place devrait être reprise? La liberté n'est plus viable parce que les hommes sont devenus mauvais: l 'autorité les rend pires encore.

Il est difficile de rester insensible à une détresse exprimée de façon si lucide et avec un sentime:1t si yjf de la dignité humaine. Quant au fond, le problèmc posé aux RoMourir sans s'être mains du 1er siècle était l'inversc dégradé fie celui qu' ont eu à résûudre les nations de l'Europe mode rne. _'\. Mais il Y a pis. L 'empereur separtir des vieilles monarchies. nos rait-il le meilleur et le plus raison- . ancêtres ont voulu bâtir des démonable des hommes, le pouvoir qu'il craties ; il a fallu politiser le corps assume et qu'il doit assumer social, intégrer les citoyens à l'unipour le bien de tous - réauit inévers - nouveau pour eux - de la vitablement au néant politique tous vie politique, leur y découvrir, pour ses concitoyens. Peut-être même. leurs représentants et pour eux-mêdans cette· dégradation collective . mes, quelque chose à faire. A existe-t-il une abjection plus basse Rome, il s'agissait , au contraire, à partir d'une démocratie qui avait encore et quelque chose au-dessous du néant: c'est le mensonge. Le sombré dans l'impuissance el dans monarque, pour subsister, affectera les guerres r:iviles mais dont le prin-


POLITIQUE

Une bureaucratie totalitaire cipe même supposait la vocation politique de chaque citoyen, à Rome, il s'agissait, au contraire, d'instituer un pouvoir fort, de dépolitiser les citoyens, et de trouver quelque chose à faire pour ceux qu'on avait, politiquement, mis en chômage et qui s'en croyaient déshonorés.

Edouard Calic Himmler et son empire Stock éd., 682 p. Werner Klose Histoire de la jeunesse hitlérienne Albin Michel éd., 254 p.

Il nous semble, après deux mille ans écoulés, que ce pouvait n'être pas impossible. La gestion de l'immense Empire eût donné à tout le monde assez de travail. Mais c'est ici qu'on mesure le poids des habitudes, le temps qui doit passer avant que des solutions neuves puissent être vraiment reçues. Il aurait fallu que fût franchement acceptée l'autorité du prince; et l'inistocratie romaine, pénétrée des trop proches souvenirs de la République, ne pouvait l'accepter si tôt. L'impossibilité de trouver à un niveau supérieur des collaborateurs vraiment loyaux, et dont le choix ne suscitât pas jalousies ou luttes affreuses, contraignait l'empereur à s'appuyer sur ses proches par le sang, ou à recourir à des exécutants tout à fait subalternes: les affranchis, Narcisse, le règne des bureaux, ou Séjan. Ces techniques de gouvernement ne faisaient qu'isoler l'empereur et rendre plus inhumain, plus scandaleux son pouvoir. Ce graild vide ainsi instauré, le néant établi au cœur de l'Etat quand l'empereur disparaissait, c'était le drame de chaque succession: tout à refaire, à partir de rien, dans l'urgence et l'angoisse, et quoique pendant le règne qui venait de finir les sénateurs eussent employé le plus clair de leur temps à cabaler pour préparer un successeur. De fait, le destin de l'Empire a été, à partir des Antonins, de transformer la vie politique en vie administrative. Une élite efficace commençait à se reconstituer. L'humanité y a acquis ainsi deux ou trois siècles d'une paix relative. Mais il était alors un peu tard. Les conflits, précisément, du 1er siècle avaient décimé la noblesse romaine, favorisé chez les philosophes leur pente traditionnelle à l'introversion; bientôt le christianisme va prêcher la fuite du monde. Les empereurs du Bas-Empire sont, à nouveau, des héros qui luttent seuls. Le problème politique est toujours à remettre en chantier. Il ne comporte jamais de solutions vraiment bonnes. Intégré dans la continuité d'une longue histoire mouvante, deux génies maléfiques le dominent à chaque époque: Trop tôt et Trop tard. C'est peut-être notre chance, à nous éphémères, de pouvoir, en dépit de nos illusions, nous regrouper, nous rassembler, chacun de nous, dans un effort de vérité, dans une intention de di~~nité et d'esprit de service. Telle serait, s'il en est une, la leçon fondamentale que nous . donne le Tacite de M. Michel. Jacques Perret

Michel C . Vercel Les rescapés de Nuremberg Albin Michel éd., 250 p.

(p. 130), et qu'après 1945 l'épuration y fut « longue et de grande envergure», ce livre est franchement déplaisant. Voici sa conclusion: « En instituant Nuremberg, les Alliés ont évoqué la sagesse des nations. Des mots ... ». Un esprit fort, en somme. D'une facture moins indigente, la monographie de l'Allemand Klose donne un aperçu assez intéressant de l'organisation de la Jeunesse hitlérienne et des méthodes d'embrigadement des esprits et des corps. Après l'absorption ou la dissolution des autres mouvements de jeunesse (confessionnels en particulier) il s'est agi de former une nouvelle espèce d'homme. On aurait aimé une conclusion moins ambiguë que celle-ci: « Aujourd'hui cette génération a la quarantaine et elle est socialement intégrée à tous les niveaux, dans tous les métiers. C'est la « génération de la H.J. » : enivrée, trahie, abandonnée ... et amnistiée, quelle déri-

Il y aurait beaucoup à dire sur le bilan de l'édition française en ce qui concerne les ouvrages consacrés à l'histoire du nazisme. Certes les dernières années ont vu la traduction de la magistrale étude de Bullock sur Hitler, ainsi que la publication d'indispensables recueils de textes l . Nous lirons bientôt l'essai de Hannah Arendt sur les Origines du totalitarisme. Mais que d'ombres et de lacunes! Des livres indispensables (dont ceux de Reit- . linger et de Hilberg) attendent s~on. ». toujours un traducteur. Trop de publications sacrifient à la détesQui est Himmler? table mode du « dossier secret » et oscillent entre le Charybde des alléchantes histoires d'espionnage Quant au choix du livre de Calic et le Scylla de l'ésotérisme ou de sur Himmler et son empire, il est l'anecdote sans intérêt. assez étrange. Pourquoi, un an Tel est le cas du livre de M. Veraprès avoir publié la traduction de cel, consacré aux années passées en l 'honnête biographie de Himmler prison par les dirigeants nazis qui due à R. Manvell et H. Fraenkel échappèrent à Nuremberg, à la (baptisée, Dieu sait pourquoi: Sans pendaison. L'auteur a choisi de pitié ni remords), le même éditeur s'apitoyer sur ces prisonniers. Il a-t-il lancé sur le marché cet ounous concède, au passage, que vrage pesant (682 pages) et eonfus'( « Bien sûr, la prison de Spandau, Journaliste yougoslave, Calic, après où sont détenus les criminels de avoir approché, à Berlin, quelques guerre, n 'est pas comparable à dirigeants nazis, a été déporté à Dachau » ... Après nous avoir décrit Oranienbourg. Il semble avoir voules geôliers alliés de Spandau (meslu écrire à la fois une biographie quins ou ridicules), l'auteur verse de Himmler, une monographie sur un pleur sur les familles des déles S.S. et un recueil de souvenirs tenus. Rassurons-le: ils ont tous personnels. Le résultat n 'est guère été libérés, sauf Hess. Ecrit dans probant. Le plus souvent, l'anecune langue approximative, rempli dote et la c( révélation» l'empord'erreurs (nous apprenons que tent. Les titres des chapitres en « dans l'Allemagne défaite, le P.C. témoignent: « Le fabuleux trésur a joui d'un indéniable prestige» des S.S.; Quand les sous-hol1t1ne.~ forgent les armes fantastiques: Pourquoi échoua l'insurrection des esclaves; la Saint-Barthélemy du Reichsführer, » On le regrette d'autant plus que l'intérêt des constatations auxquelles conduit l'étude de la carrière d'Himmler et de l'organisation des S.S. est double. Il y a d'abord ce qui se rattache à la typologie des dirigeants nazis2 • Qui est Himmler? « Derrière ses verres sans montures, sa petite moustache correcte et soignée, son menton fuyant et obstiné, ses épaules étroites et tombantes, se cachait un fanatique. A l'encontre de Gœring et de Gœbbels, il ne recherchait ni la satisfaction que procure l'p.xercice dIL pouvoir, ni les succès oratoires ou politiques. Il n'aspirait qu'à remplir la mission Inessianique à laquelle il se croyait destiné pour le salut de la race allemande.» (Manvell et Fraenkel). De fait, ce bureaucrate

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La Quinzaine littéraire. 15 au 28 février 1967.

pédant et méticuleux qui tremblera jusqu'au bout devant Hitler, ce « maître d'école qui rêva toujours d'être soldat et finit par .devenir policier» (Manvell), ce « rapace terne» ( Calic ) poussera jusqu'à leurs conséquences les plus extrêmes et les plus meurtrières les dogmes racistes du régime. Ecoutons-le parler aux S.S.; ce ton calme et détaché, cette pédagogie appliquée et pointilleuse, ce « moralisme» rendent ses allocutions moins insoutenables qu'irréelles: « ... Règle absolue pour les S.S.: nous ne devons honnêteté, bienséance, fidélité et réconfort qu'aux membres de notre propre sang, et envers nul autre. Le sort de Russes ou de Tchèques nous est totalement indifférent. Nous nous approprierons ce que ces peuples peuvent avoir de bon sang, en enlevant au besoin leurs enfants pour les élever citez nous. Ce n'est que dans la mesure où notre civilisation a besoin d'esclaves qu'il nous importe de savoir si les autres peuples vivent dans l'opulence ou crèvent de faim - sinon cela ne présente aucun intérêt... Qu'il soit bien clair que nous ne serons ni brutaux ni inhumains là où cela ne sera pas nécessaire. Nous autres Allemands, seul peuple au monde à avoir envers les animaux une attitude correcte, adopterons aussi une attitude correcte envers les animaux humains.» (Discours du 4 octobre 1943 à l'assemblée des « Gruppenführcr» réunis à Posen, cité par Hofcr. p. 124). Et, à propos de l'extermination des Juifs: « Lu plupart d 'entre vous savent ~ans doute ce- qu"est un tas de 100, 500 ou même l 000 cadavres. Avoir supporté ceLa et abstractiu/l faite d 'égarements imputables ii la faiblesse humaine -:- être restés convenables nous a endurcis. C'est une page glorieuse de notre Histoire, page qui n'avait jamais pli>

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CINÉMA

Une bureaucratie totalitaire

écrite et ne le sera jamais plus. » (Même discours). On s'explique que, muré dans un tel univers mental, il ait pu conserver jusqu'au bout l'illusion de pouvoir conclure, au moyen de contacts avec Bernadotte et Burckhardt, un accord séparé avec les Alliés occidentaux, sans concevoir un seul instant que, pour eux, il n'était que l'un des principaux criminels du régime. Il y a ensuite ce qui concerne la sociologie politique et administrative du régime nazi. C'est le propre des régimes totalitaires de comporter une série de bureaucraties rivales, aux compétences mouvantes, entre lesquelles le dictateur arbitre de temps à autre, tout en entretenant savamment les luttes internes. L'histoire des S.S. dans l'Allemagne nazie illustre cette loi. Lorsque Himmler prend leur tête,

LETTRES A LA QUINZAINE Fisoher - Lénine A propos d'un ouvrage de 500 pages qui représente de nombreuses années de recherches, votre collaborateur relève certaines erreurs et formule des différences d'appréciation sur des points particuliers. Parmi les erreurs ,de détail qu~ V. F. indique, j'ai pu constater qu'aucune n'était imputable à l'auteur, m ais toutes à la traduction, Il m'appartient par conséquent d'en assumer la responsabilité. Il s'agit de l'âge de la Kroupskaïa, qui avait un an de plus et non de moins que Lénine; de nouvelles' et non pas de romans de Tchékhov; du titre la Pensée ouvrière et non Voix ouvrière; dU'> terme « fortuit» employé pour la révolution russe alors qu'il s'agissa~ de caractère « isolé» chez , Fischer. Qu'un traducteur aussi avisé et ' mi/me érudit que le nôtre, qui a' ,généralement cherché la référence originale à propos de chaque citation de Fischer, ait pu commettre ces distractions de plume, voilà qui est regrettable. Toutefois, donnons acte à Louis Fischer de n'y être pour rien. D'autre part, V, ,F. reproehe à Louis Fischer d'écrire que Lénine plaçait la théorie au-dessus de la pratique, alors qu'à la page invoquée, 0" lit au-dessous: V. F. semble surpris de lire que « la poésie révolutionnaire choquait le révolutionnaire épris de sa tranquillité ». Pourta"t, u" révolution"aire en politique peut fort bie" ne pas aimer l'ava"tgarde inquiétante en littérature et en art, et la 'phrase incriminée ne dit rien de plus, François Bondy

V. F. répond: 1. Dire que la poeste révolutionnaire « choquait» Lénine, « épris de sa' tranquillité», me paraît toujours inadmissible.

2. Je regrette que, faute de place, il m'ait été impossible d'aborder, dans ma critique, les problèmes de fond. V. F. Constatons que les remarques de V.F. étaient justifiées, que les erreurs signalées soient le fait de l'auteur ou du traducteur. De notre côté, nous avons pensé que l'examen des «problèmes de fond» qu'aurait désiré faire V.F. n'avait pas sa place dans la Quinzaine littéraire. 26

en 1929, il s'agit de 200 hommes environ, chargés de protéger les réunions et les manifestations du parti nazi. Après la prise du pouvoir par celui-ci, Himmler, devenu chef de la police bavaroise, va méthodiquement édifier son pouvoir. Retracer les étapes de cette ascension c'est faire à la fois l'anatomie et la physiologie d'un régime. La nuit des longs OOllteallX

Les S.S. ne tardent pas à obtenir leur autonomie: Constituant à l'origine une fraction des S.A., ils profitent, en 1934, de l'écrasement de ces prétoriens désordonnés et encombrants. A partir de la « nuit de longs couteaux», les S.S. sorit directement rattachés à Hitler. Très vite aussi Himmler va tisser la toile d'araignée de la centralisation des polices, par dessus la tête de ses supérieurs nominaux, les ministres de l'Intérieur successifs (Gœring, puis Frick). Il y parvient en quelques années. 'En même temps, il s'attache à perfectionner l'un des instruments essentiels de son pouvoir: le service de renseignement (S.D.), aux mains du redoutable Heydtich3 , intimide et tient en respect le principal rival : l'armée, qui ne tardera pas à s'en apercevoir. En 1938, Himmler et Heydrich ne sont pas étrangers à la machination qui conduira à écarter, après les avoir discrédités, les généraux von Blomberg, ministre de la Défense nationale, et von Fritsch, commandant en chef. (On sait qu'ils furent accusés le premier d'avoir épousé une fille de mauvaise vie, le second d'avoir des mœurs « douteuses»). En 1944, la rivalité des services de renseignement militaire (l'Abwehr, dirigé par l'amiral Canaris) et de leur homologue S.S. (Schellenherg) se terminera par la défaite de l'Abwehr, désormais rattaché au service central de sécurité S.S. (le RSHA). Chef de la police, Reichsführer des S.S., Himmler va voir ses pouvoirs s'accroître de façon spectaculaire à partir du moment où l'extension de la guerre à toute l'Europe permet au nazisme de mettre en œuvre sa politique raciste. Responsable de la politique de « recasement» en Europe orientale, il dirige, de 1939 à 1941, les grands transferts de population qui se déroulent en Pologne et dans les pays baltes, puis, sur lès arrières du front russe, les massacres des « Einsatzgruppen ». Ces regroupements et ces premiers massacres précèdent de peu l'édification de l'univers concentrationnaire. Ici encore, la croissanèe est telle qu'il faut parler de mutation. Trois différences au moins séparent les premiers camps institués au début du régime (Dachau, Buchenwald) de ceux qui seront créés après 1940 : si rigoureux qu'ils soient, il est possible

Selon Hitchcock

d'en sortir. II y a eu des libérations. De plus, la finalité y reste la réclusion, et non l'extermination ou l'exploitation industrielle. Enfin les sévices y sont encore le fruit de la fantaisie individuelle, et non le résultat d'un système visant la déshumanisation des détenus. A partir de 1940 c'est un nouvel univers qui s'édifie; extermination et exploitation y coexistent, sous la direction d'une bureaucratie méticuleuse et implacable, à laquelle Himmler a certainement donné sa marque: qu'on lise à ce sujet les instru,c tions fort minutieuses concernant le régime des déportés, et la correspondance à la fois bouffonne et macabre que suscitent les « recherches scientifiques » inlassablement poursuivies, qui iront de la collection de squelettes aux expériences médicales.

François Truffaut Le Cinéma selon Hitchcock Robert ' Laffont éd., 256 p. Il est toujours satisfaisant d'avoir eu raison, jeune, contre les Il sages » d'une époque. Il y a plus de dix ans François Truffaut défendait violemment Hitchcock contre une intelligentsia parisienne qui lui pr6férait Clouzot et Autant-Lara. Aujourd'hui que Hitchcock est admis, le cinéaste Truffaut n e reuie pas les enthousiasmes du critique. Bien au contraire, son admiration s'est renforcée avec les années. Un metteur en scène interviewe un metteur en scène. Alors ils peuvent parler de l'essentiel de leur métier pendant plus de 250 pages abondamment illustrées. Truffaut a choisi la précision, il respecte la chronologie de la carrière de Hitchcock, film par film, de 1922 à 1966, c'est-à-dire de Pleasure Garden au Rideau déchiré. Hitchcock répond, pas magister pour dix cents, souvent par anecdotes. Il parle librement des films de sa jeu,nesse, de ceux , qu'il croit réussis comme de ceux qu'il estime ratés et il en donne le pourquoi. Le metteur en scène le plus célèbre du monde partout il lui suffit d'apparaître pour être reconnu - l'homme entouré de 140 personnes se souvient encore de ses débuts avec petits budgets et équipes réduites.

Le bilan d'ensemble est, début 1944 un empire à l'intérieur d'un empire, reproduisant parfois certains traits du modèle. Tel est le cas des rivalités existant entre les Truffaut balaie un certain nombre de différents services 55: polices (R.S.H.A.)4, gestion des camps lieux communs. Un Hitchcock infantile, faiseur, à plat ventre devant le public, (W.V.H.A.), aide aux Allemands tout cela c'est de la légende. Le suspense rapatriés (V.O.M.L), etc. Après n'est pas une forme dégradée du specl'attentat manqué du 20 juillet tacle mais le Spectacle précisément. Hitch1944, Himmler est chef de l'Armée cock refuse les coupes demandées par les productions. Il a son univers, ses thèmes. de l'intérieur. Il obtient emin l'au- On l'accuse de se répéter? Pas du .t out, torisation de créer un grand nom- il continue ce qu'il n'avait pas achevé Je bre de divisions S.S., à laquelle la auparavant. Il le dit lui-même ; Wehrmacht, discréditée et décimée, crois n'être tombé jamais assez bas pour me dire : je vais copier ce que j'avais ne peut plus s'opposer. Mais quelle fait dans tel film. » dérision, en un sens, que ces trois On reconnaît 'un plan de Hitchcock douzaines de divisions S.S. du princomme un pan de Murnau ou de Ford. Il temps 1945, composées en majo- y a peu de metteurs en scène dont la rité de non-Allemands, dont nom« touch » soit aussi perceptible. Un bre de représentants de « races » échange de regards et l'écran devient metenues pour méprisables ou indi- naçant. Avec raison Truffaut voit dans Hitchcock un inventeur de formes. gnes: Slaves, Français (la division Hitchcock est un auteur d'avant-garde Charlemagne), et une foule de nationalités de l'Union soviétique, qui a des millions de spectateurs. Il. a su tendre un pont au-dessus du fossé qui dont les contingents musulmans, sépare le public de l'art de son temps. imam compris. Himmler, qui ne , Le cinéma est le moyen de communifut jamais un stratège, exercera cation le plus répandu dans le monde le plus puissant. Si vous créez votre non sans déboires des commande- et film correctement, émotionnelle ment, le meI;lts militaires à l'Ouest et à l'Est public japonais doit réagir aux mêmes avant la débâcle finale, la capture endroits que le public de l'Inde. » Il a tenu cette gageure. Il a vaincu les proet le suicide. 1(

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La peur était pour Montesquieu le principe du despotisme. Celui du totalitarisme est fait de l'action conjuguée de la terreur et de l'idéologie. Ce sont ces deux glaives que l'on retrouve derrière chaque acte, chaque institution, chaque dirigeant du nazisme. L'histoire de l'empire S.S. en est une illustration décisive. Roger Errera 1. Walther Hofer: le National-socialisme par les textes, Plon, 1963, 459 p. L. Poliakov et J. Wulf: le Ille Reich et les Juifs, Gallimard éll, 1959, 453 p. 2. Cf. sur ce point les souvenirs du psychologue américain qui a suivi le procès de Nuremberg: G.M. Gilbert: le Journal de Nuremberg, Flammarion éd., 1947, 443 p. 3. On s'accorde à considérer que Heydrich, abattu en 1942 par la Résistance tchèque, était le principal rival en puissance de Himmler. 4. La section IV était la gestapo. Eichmann y dirigeait le bureau B 4 chargé de la mise en œuvre de la Il solution finale ».

ducteurs, les critiques, ' le public. Leurs défenses sont tombées. Il a réussi à dompter ces fauves. n fait de la direction de spectateurs comme on joue de l'orgue.

Avec Psychose il pense avoir approché d'assez près son idéal : le cinéma pur. Il s'explique : l' Ce ,,'est pas un message qui a intrigué le public. Ce n'est pas une grande interprétation qui a bouleversé le public. Ce n'était pas un roman très apprécié qui a captivé le public. Ce qui a ému le public c'était le ci1>éma pur. » Pour lui le cinéma a atteint son apogée, au temps du muet. Il estime que l'apparition du parlant l'a brusquement figé dans une forme théâtrale. Les travel. lings, les extérieurs n'y changent rien. Hitchcock, cet admirateur impénitent de l'expressionnisme allemand, trouve que dans la plupart des cas le cinéma est devenu « de la photographie de gens qui parlent J>. C'est une conception du cinéma -entre tant d'autres. On devient théoricien en vieillissant. Hitchcock n'échappe pas à la règle. Ce qui ne l'empêche pas souvent de faire le contraire de ce qu'il préconise. Comme tous les vrais créateurs. Clàude Pennee


REVUES

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L'Allemagne en question

Esprit, de janvier, et Encounter, de février, consacrent plusieurs textes importants à l'Allemagne qui ne dispensent pas de prendre connaissance du numéro spécial de Survey (octobre 1966, Londres) où • les Allemands parlent des Allemands " . Alfred Grosser, interrogé par J.-M. Domenach, observe qu'on s'Inquiète d'un réveil allemand mais reproche simultanénrent aux Allemands • de se vouloir petits -. La France et la GrandeBretagne se posent des problèmes d'inf luence (Grosser ne dit pas: de puissance) mondiale . • Les Allemands, eux, n'y pensent plus ... ils ont surtout envie de vivre tranquilles. " On rapprochera ce jugement d'une déclaration de M. Meyers qui était alors le président du gouvernement de la Rhénanie-Westphalie: • Si nous laissons gouv er les sociaux-démocrates, nous , , ons d'ici à trente ans une nouvelle ~ ,j èd e . " Son pronostic n'a pas empêché les électeurs de ce Land de voter socialiste. M. Meyers est actuellement dans l'opposition. Joseph Rovan s'interroge , sur le danger aMernand. Sa raison le nie, mais des fantômes le hantent... Rachel Minc présente un dossier. Des écoliers allemands ont écrit sur Auschwitz. On trouve des réflexions émouvantes, même bouleversantes, mais qui n'apparaissent pas comme inattendues. Un fils de réfugiéS de l'Est écrit qu 'on ne parle pas • des injustices que les autres ont infligées aux Allemands. - Un antisémite s'exprime, vivement repris par le professeur. Visiter l'exposition consacrée à Auschwitz, voilà ce que l'un de ces Jeunes propose comme un devoir. Je m'interroge à mon tour. J'ai visité cette exposition à Nuremberg à l'heure du déjeuner. J ~ai vu des gens simples s'y promener avec des enfants, parfois de très bas âge. Ils regardaient en mâchant des tartines. Ces femmes nues poussées vers un lieu d'exécution, ces montagnes de corps. Je me souvenais que Geoffroy Gorer a parlé de la • pornographie de la mort - comme la vraie obscénité moderne et me demandais si l'on ne devait pas douter de la valeur éducative de ce musée d'horreurs. Autre problème: cet unique élève qui a exprimé des idées présentement mal vues, ne passera-t-il pas parmi ses camarades pour un vrai • caractère - ? Sait-on qu'en Hollande - et non pas en Allemagne - des jeunes ont souillé de croix gammées des tombes de soldats alliés? Tous ces jeunes bien pensants enfin, presque tous du dossier d'Esprit, on voudrait tant y croire. Mais en Allemagne , des étudiants me posent des questions comme celle-ci: • Puisqu'il paraît que le nationalisme est une bonne chose pour tous, pourquoi est-il mauvais uniquement pour nous? " His sunt leones, lisait-on sur les anciennes cartes géographiques. Dans Esprit, encore, une remarquable analyse de Heinz Kuby sur les impasses de la politique allemande. On n'a pas lu souvent dans Esprit une étude contestant aussi fermement l'avenir de l'Etat-nation en Europe. L'essai de Guy Caire • L'Europe et la Gauche - dans ce même numéro aboutit, par d'autres chemins, à la même conclusion.

Encounter • L'Allemagne sera-t-elle jamais de gauche? - C'est le correspondant américain Anatole 'Shub qui se le demande dans Encounter. Sa • Lettre de Bonn - est curieuse car elle épouse sans réserves les idées de l'opposition de la gauche socialiste, hostile à la grand& coalition. A lire Shub, en Allemagne, la gauche a toujours raison, la droite l'a toujours emporté . Une ' fatalité en somme. Mais Schumacher avait-il vraiment raison contre La Quinzaine littéraire, 15

m ,l

Adenauer? Le gouvernement de M. Kiesinger, que Shub ridiculise, ne s'en est pas si mal tiré jusqu 'à présent, et l'optimisme raisonné d'Alfred Grosser paraît, en attendant, mieux en accord avec l'évolution. John Mander est allé à la recherche des néo-nazis en Bavière qui n'a pas été, rappelle-t-i!. un des lieux de plus forte implantation nazie, jadis. Il a parlé à M. von Thadden qui lui a dit: . ·L'erreur ,des partis de droite précédents c'est qU'ils étaient hypnotisés par le passé . .,. Lui donc, il pense à l'avenir. Le N.P.D., selon J. Mander, est animé d'un ressentiment antiaméricain très vif, mais n'est pas antisoviétique lavec passion. Cela paraît un trait commun à beaucoup de mouvements n'éo-nazis en Europe. J. Mander pense que le nationalisme pourra devenir une idée de jeunes en Allemagne donc dangereux - si la • Grande Coalition - perdait la confiance populaire.

Une documentation de valeur utile en période électoral.

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LE·S PA YSAN S 0 ANS LA SOC 1ÉlÉ FRA NÇA 1SE Marçel Faure

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• ment qui se dit lui-même provisoire? • L'écran entre l'Allemagne et ses dé- • mons est-il vraiment si mince? • Terence Prittie, t oujours dans· Encounter, présente avec objectivité • les problèmes juridiques et politiques • des traités et des frontières qui con- • cernent les relations avec ' l'Est. Il • semble penser que les Allemands • • stimulés mais non pas bousculés " • par leurs alliés - finiront par résou- • dre ce problème . • Admettons-le. Dès lors la République • fédérale aura les • mains libres -, tout • comme ses alliés. Les vrais pr.oblèmell • ne se poseront-ils pas à ce moment- • là? . F. B. •

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Leonid Leonov

Le pape des beatniks se veut baron , Certes, quelques-uns de ses amis fran· çais avaient reçu , de temps à autre, quelque missive incompréhensible même pour un traducteur chevronné de Jack Kerouac - signée Lebris de Keroac. L'écrivain en donne maintenant l'explication dans Satori in Paris. Dans le style qui a rendu célèbre Sur la route et quelques autres romans . il décrit son équipée en Bretagne à la recherche de ses ancêtres _ tri· millénaires à son avis. Tout comme s'il traversait le continent américain de ' part en part et en auto·stop com· me aux temps de sa jeunesse, l'an· cien beatnik en mal de baronnie a trouvé , entre Brest et Montparnasse . l'illumination (. Satori " dans la lan· gue des bouddhistes zen), outre la signification de son nom (Ker: maison ; ouac: champs maison aux champs).

28 février 1967.

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'.••• CONTES

L'auteur de La Forêt russe (dont le • premier tome a paru en France chez • Galimard, et dont le second tome est • en voie de traduction) pose un pro- • blème quant à son œuvre maîtresse • Vor (. Le Voleur - ) publiée en 1927. • Il s'agissait de l'histoire d'un militant • communiste qui, revenu de la guerre civile, est écœuré par l'embourgeoise- • ment <le la révolution. Pour protester • contre une société qu'il condamne . ' après avoir lutté pour elle, il se fait • voleur. • Accueilli avec succès, puis interdit • après plUSieurs rééditions, Vor a été • remis en circulation quand l'auteur a • été réhabilité et couronné par un prix • Lénine de littérature en 1951. • Mais le roman ainsi exhumé a subi . • au cours des âges, une curieuse mu- • tation. Vechkine, le commissaire du • peuple ' transformé en brigand, n'a • plus le caractère d'une sorte <le ban- • dit d'honneur. Il semble perdu sans • recours .... ' pour le communisme tout • au moins .

Kerouac

Ces volumes sont .publiés dans la

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DE PERRAULT VIENT DE

PARAITRE:

~DITION ILLUSTR.~E DE GILBERT ROUGER

Les Contes sont-ils du vieil académicien à perruque? Miracle ou escroquerie à J'immortalité? Cest ce que G. ROUGER tente d'élucider dans cette nouvelle édition du plus mal connu des chefs- d'œuvre du siècle classique. CLASSIQUES GARNIER: broché, 420 pages , ' , , . , ' , .. . . . , 12,00 F + 1. 1. COLLECTION SELECTA : relié pleine toile . . , ... . . . .. " .. •19,00 F + 1.1. COLLECTION PRESTIGE: relié cuir à l'ancienne . .. .- . .. , . 29,00 F

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QUINZE JOURS

Trans-fainilial-Express Le TEE Paris-Amsterdam, via Anvers, est très connu des hommes d'affaires, des trafiquants et des fonctionnaires internationaux. Dans les années 60, quand j'étais attaché auprès de l'O.T.A.N., je l'ai souvent pris pour me rendre à des conférences top-secret, soit à La Haye, soit à Bruxelles, et rarement sans qu'il m'y arrive quelque aventure. Je liais connaissance vers 18 heures, dans le TEE, avec des officiers d'Etat~Major, et nous nous retrouvions, passé minuit, dans des salons flamands, avec des dames nues ficelées sur des fauteuils. J'étais toujours surpris le lendemain, la conférence ouverte, de voir mes partenaires d'une nuit sortir de leur serviette de cuir rouge des dossiers et non des instruments aphrodisiaques. J'ouvrais moi-même ma serviette : j'y trouvais des dossiers analogues, une lettre parfois, une photographie trop audacieuse, que je glissais parmi les pages d'un rapport, et devant quoi je rêvais deux jours durant. Mes voisins atlantiques faisaient de même. Ces. rêveries communes faisaient beaucoup pour la solidité de l'Alliance qui, hors d'elles, se réduisait à peu. Puis je quittai l'O.T.A.N., avant que l'O.T.A.N. même ne nous quitte. Je gardai un vif souvenir du TEE. Le TEE est un train très confortable. Les fauteuils sont profonds, la suspension exquise, la conversation que tiennent devant nous M. Robbe-Grillet, Madame, et je ne sais quel producteur faire-valoir, incline à un sommeil réparateur. Ces personnages exposent en public le scénario éventuel d'un film policier, tandis que le vrai film se déroule parallèlement à cette ima-

Deux photos du film ...

ginaire histoire (à moins que ce trio scénarisant ne représente ici la réalité, et le film véritable, la fiction). Quoi qu'il en soit, à considérer la part égale que prennent dans la construction du scénario le producteur, l'épouse de l'auteur, l'auteur lui-même, et à considérer avec quelle science leur affabulation s'enroule, en contrepoint, autour du film, on ne peut douter une seconde qu'ils jouent, devant la caméra, un rôle appris, et que,

dans une phase précédente qui, elle, n'a pas été filmée (pourquoi?), le scénario de Trans-Europ-Express a pris naissance dans le cerveau du seul Alain Robbe-Grillet. Ainsi, la part du film qui nous est donnée pour la réalité (la construction, devant nous, du scénario) est ellemême une fiction, que rien ne distingue, par nature, de la partie (l'aventure policière) qui nous est donnée pour fiction pùre. D'où une impossible ambiguïté. L'œuvre, si nous la considérons comme extérieure à nous, elle est tout entière réalité; si nous la considérons comme intérieure à nous, elle est tout entière fiction. Qu'elle soit poétique ou non (et non: qu'elle soit ambiguë ou non), voilà ce qui nous intéresse. Or Trans-EuropExpress est très dépourvu de poésie. L'auteur y accumule volontairement les lieux communs et les poncifs de l'A venture, mais il ne parvient qu'à y accumuler les lieux communs et les poncifs. La poésie qui naît, depuis Paulhan, de ces formes naïves, puissamment suggestives, de l'expression, s'en trouve, ici, miraculeusement absente. Reste une thèse, devenue conformiste à force de succès, lieu commun initial, qui s'ajoute à ces lieux communs désincarnés et qui en abolit le merveilleux. Il y a, dans Trans-Europ-Express (le film) quelque chose de doctoral qui nous assomme, et qu'il n'y a pas dans Trans-Europ-Express (le t rai n). Alain Robbe-Grillet serait-il trop savant, pour l'Aventure? Apparemment, il ne l'est pas assez pour l'érotisme. Il ne trouve à nos désirs blasés, à notre imagination lasse qu'une maigre pâture, Mlle Marie-France Pisler, jeune

fille charmante, qui n'a ni gorge, ni bras, ni jambes, ni rien d'excessif en aucun point : l'objet le moins érotique qui puisse être1• On lui donnerait le Bon Dieu plus facilement que la fessée, et je crois pouvoir dire que le marquis de Sade, qui ne fu~ pas moins sadique que ne l'est M. RobbeGrillet, en eût été bien embarrassé dans ses débauches. C'est dans la rue qu'il choisissait ses partenaires, en fonction non de leurs qualités d'actrices, mais de leur structure 'p hysique propre. Quand est-ce qu'un auteur de films osera enfin en faire autant? ... Nous verrions peut-être autre chose. Dans TransEurop-Express, M. Robbe-Grillet ne va pas au-delà de ce que nous avons déjà vu ; il va même considérablement en deçà. La scène où Trintignant feint d'étrangler Mlle Pisier (attachée par les bras seuls aux barreaux du lit, contre les règles les plus élémentaires : bras et jambes), qui feint de mourir, sans même se débattre, immobile dans sa guêpière vide (une guêpière : en quelle année sommesnous ?), est d'un ridicule pénible. Il est clair que, dans toute cette affaire, M. Robbe-Grillet a beaucoup pensé au confort moral de Mlle Pisier qui sort, si l'on peut dire, grandie, d'une aventure où elle n'a pas, en fait, risqué un cheveu. C'est une erreur fondamentale, et que rien ne peut réparer. L'érotisme implique audace, rage et risques, toutes choses dont TransEurop-Express est parfaitement dépourvu. Fait en famille, ce film est un spectacle' pour familles. Pierre Bourgeade 1. La direction de la Quinzaine littéraire ne partage pas ce point de vue ...

DROIT Les archives privées Une affaire plaidée en devant la Première Chambre de la Cour d'appel de Paris, mérite de recevo'ir une 'certaine publiCité. Elle met en relief de façon particulièrement claire un conflit qui oppose de longue date les auteurs de livres d'histoire et les propriétaires de documents historiques. Pierre Grosclaude a publié en 1960, un ouvrage intitulé J ..J. Rousseau et Malesherbes, documents inédits, et, en 1961, Malesherbes témoin et interprète de son temps. Ces études étaient largement fondées sur un certain nombre de documents que l'auteur avait consulté sous forme de microfilms aux Archives Nationales. Or ces documents appartenaient et appartiennent toujours au chartrier de Rosembo qui est la propriété de certains descendants de Malesherbes. Ces derniers ont autorisé les Archives Nationales à microfilmer les textes en question, en vertu d'un arrêté ministériel de 1949 instituant un Comité de sauvetage des archives privées. A la suite de cet arrêté, les détenteurs de documents historiques sont invités à en faire déposer des copies, aux frais de l'Etat, aux Archives Nationales et, dans la pratique, un contrat intervient entre eux et l'administration sur les modalités de 28

la communication des copies au public. Il est établi que Grosclaude, n'ayant pu obtenir de la famille Le Pelletier, héritière de Malesherbes, l'autorisation d'accéder aux originaux et, moins encore, de les publier, il a procédé à ses études sur le vu des microfilms déposés aux Archives nationales. Un point de détail qui a été allégué par l'auteur, mais que n'ont pas retenu les juges: le contrat n'a été signé entre les Archives et les propriétaires qu'après la consultation des microfilms par Grosclaude. Le tribunal a Simplement remarqué que la signature du contrat intervint après que toutes les copies ont été déposées et que l'opération s'est déroulée en quatre ans, pendant lesquels Grosclaude a eu toute latitude pour utiliser les microfilms et publier ses livres avant l'achèvement du dépôt. Le juge, tenant compte de l'interdiction signifiée à l'historien par les propriétaires des documents,' a accordé satisfaction à ceux-ci et condamné l'auteur et l'éditeur. Cet arrêt est important parce qu'il constitue, dl'! la manière la . plus flagrante, une violation parfaitem.ent légale des droits de l'historien.

Légalement, en effet, la déCision est inattaquable. Si l'on n'accordait pas aux propriétaires de documents historiques le droit de s'opposer à leur publication, ils se croiraient privés de la possibilité de les monnayer. En conséquence, ils n'accorderaient pas aux Archives l'autorisation d'en faire des copies; des témoignages précieux seraient ainsi peut-être, à la longue, détruits ou perdus. Dans la pratique, la disposition légale est donc inspirée par le souci de ne pas heurter de front l'égoïsme ou la cupidité des détenteurs d'archives, encore que, bien souvent, la valeur vénale réelle des documents ne justifie guère leurs espoirs, ni leurs prétentions. Il est vraisemblablement peu d'historiens qui puissent, dans le but de publier un livre, payer des sommes importantes pour s'assurer la possession de documents historiques. Sur le' plan des principes, la loi qui protège ainsi les détenteurs de documents est injustifiable. D'autant que des études historiques sur des personnages tels que Malesherbes sont fort peu rentables et que l'auteur doit souvent faire preuve d'un

certain désintéressement pour consacrer du temps et de la peine à les réaliser. Certes l'article 20 du décret du 11 mars 1957 prévoit qu' « en cas d'abus notoire dans l'usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l'auteur décédé, le tribunal peut ordonner toute mesure appropriée... Le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé des Arts et des Lettres -. Mais il est évident qu'une trop grande indulgence de la part de ce tribunal aurait pour effet d'effrayer les détenteurs de documents qui cesseraient de communiquer ceux-ci aux Archives nationales, voire d'en révéler. l'existence. La leçon à tirer de cet arrêt est simple: il serait utile de déclencher une campagne d'information du public afin de toucher les détenteurs d'archives privées et de les convaincre de renoncer spontanément aux privilèges que leur confère la possession de documents dont ils ne peuvent espérer tirer, le plus souvent, des bénéfices substantiels, mais qui présentent le plus· grand intérêt pour des chercheurs... généralement impécunieux.


PARIS

Robbe-Grillet

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pensées, son histoire, son but et même son existence, tout a été suc- • cessivement affirmé et mis en • doute), un homme marche. Il ren- • contre un adolescent, blond, qu'il • a déjà vu servir (vrai ou faux ser- : veur ?) dans un bar. L'homme s'ap- • proche de lui (cette rencontre était- • elle due au hasard ou au contraire • l'homme est-il traqué, poursuivi, • dans quel but, par le jeune hom- : me?) et demande: ({ Comment • t'appelles-tu? )) Le jeune garçon • hésite (parce qu'il ment ou parce _ qu'il dit la vérité?) et répond: • « Mathieu )). • L'émotion de cette scène - et • tout le film est organisé autour de • scènes de cette nature - où quel- .• . qu'u~ qui n'est pas ({ situé )) de- • mande son nom à un autre dont • on ne sait guère plus, ni s'il ment, • cette émotion qui peut être intense • est inexplicable. • A moins qu'on ne puise dans nos • propres souvenirs pour en trou- • ver, à titre d'exemple, d'aussi in- • sensées: ({ Toi tu es la mère, dit • la fille en tendant au garçon un • ours en peluche, moi je suis le père • et voici notre enfant. )) Pourquoi • n'oublie-t-on plus par la suite la • couleur du plancher, l'odeur de la • pièce et, sur le pelage mité de : l'ours, la moiteur des mains qui • se rencontrent? • Pourquoi n'oublie-t-on plus cette • • • • • • • • • • • • • • • • • • scène de Trans-Europ-Express où • une bande de vrais, ou de faux tra- • fiquants de vraie ou fausse drogue, : joue pour les besoins du film à • poursuivre, ou plutôt fait semblant • de jouer à poursuivre un acteur qui • joue à être ou plutôt à faire sem- • blant d'être poursuivi, vraie scène • filmée sur les vrais docks d'Anvers • où des hommes qui sont de vrais • • Vous êtes submergé par le vo lu me ouvriers jouent, pour les besoins • des documents o u des cours que vous du film, ou malgré lui, à travailler • devez lire . • Vous n'arrivez plus à fa ire face au x pour de bon dans la vraie noirceur • besoins d'information et de documentad'un vrai froid capitaliste euro- : tion requis par votre activité ou vos études . péen? • • Votre retard de lecture s'accu mule. ({ Tu es une putain )) dit Trinti- • • lire pou r votre plaisir est devenu pour vous un luxe presque inaccessible . gnant dans l'escalier à la jeune per- • Existe-t-il une so lution? La Méthode Française de Lecture Rapide, sonne qui vient de le racoler dans • méthode éprouvée par des milliers d'élèla rue. ({ Non, je suis une jeune • ves, ba sée sur l'entraîne ment des mécanismes visuels et intellectuels, vous fille de bonne famille et vous, vous • permet de lire beaucoup plus vite avec venez raccorder le piano ) dit Ma- • une co mpréhension et une mémorisation supérieu re. Elle résout conc rètement vos rie-France Pisier, vraie jeune fille • problèmes de lecture et multiplie vos de bonne famille qui pour les be- • capacités d'info rm ation, d'étude et de promotion. Elle vous apporte la solution soins d'un film joue, etc. Mais • que vo us cherchiez. qui est-ce alors qui déchire sa robe : Pour être re nseig né sur cette méthode vraiment extraordinaire et recevoir le et dénude sa vraie peau de fille • livret intitulé .. Comment lire mieux et jouant à s'exhiber pour quels vrais • plus vite" . écrivez aujourd'hUI même à CELER. Service 554 regards? Le spectateur ? • 10, Boulevard du Temple, Paris (11 ' ) « l'ai toujours aimé la chair des • Joindre 4 timbres il 0, 30 F pour frais femmes )), é~rit Robbe-Grillet dans • la Maison de rendez-vous tout en • maniant savamment, comme un • collectionneur de cartes postales, • les clichés, de ieux de mots et • d'images, de vr~ies et fausses bla- • gues, vraies et fausses images (la • tête de Trintignant se détachant un • instant sur une affiche représen- • tant Belmondo prend une vitesse • accélérée). • Probablement trop bousculé,. l'emplâtre du conventionnel dévie • • enfin et, soudain, la vraie chair • des choses. Un vrai film. • Madeleine Chapsal •

... « Trans.Europ-Express ».

Le transfert au CInema de ce qu'on a appelé le monde de RobbeGrillet et, en généralisant, du Nouveau Roman, est une expérience qui a d'autant plus d'intérêt qu'elle est, pour le spectateur, plus immédiate que la lecture, et grossissante. Le monde de Robbe-Grillet, dit-on communément, est un monde sans personnages, sans histoire, sans chronologie, sans logique, sans véracité que reste-t-il dans ces conditions de l'homme et de l'émotion? Rien. Si c'était tout le contraire? Dans Trans-Europ-Express (son deuxième film, le premier était L'1 mmortelle), Alain Robbe-Grillet dénonce en effet dès le départ les illusions courantes qui font un film tout autant qu'elles font encore la plupart des romans: dénonciation (c'est la plus banale) du cinéma, mais aussi dénonciation de l'auteur (lourdement joué par Robbe-Grillet lui-même), de l'acteur tiens, mais c'est Trintignant! »), des personnages (montrés comme imaginaires), du scénario (qui n'en finit pas de se contredire), de la chronologie, de la logique, du sens commun et bien entendu du public: les deux personnes qu'on a vues mortes et obsédées sexuelles s'embrassent juvénilement sur un quai de gare en nous jetant un coup d'œil légèrement scandalisé: mais qu'êtes-vous donc allé vous imaginer dans la salle !

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Pas mal de choses, en effet. On se serait cru dans le TEE (pourtant dans tous les reflets de glace apparaissait sans se cacher l'œil de la camera), on aurait pensé débarquer à Anvers trafiquant de drogue (c'était du sucre) pour le

compte d'une bande (vraie ou fausse) de trafiquants (ou de policiers) dans la peau d'un jeune homme qui ressemble à Trintignant ({ mais c'est Trintignant! » d'un jeune· homme, taisez-vous, qui ressemble à Trintignant et qui a une obsession sexuelle ({ mais ce jeune homme n'existe pas, c'est un personnage que Robbe-Grillet est en train d'inventer! » - qui a une obsession sexuelle, taisezvous - ({ mais c'est pas la sienne, c'est celle de._. )) - une obsession sexuelle: enchaîner et violer les filles. Cf. son regard lourd de désir. Quel désir ? Qui parle de désir ? Rien ne permet d'affirmer que le personnage (imaginaire) joué par Trintignant ressent ce que nous imaginons qu'il doit ressentir au cours de scènes qui peut-être nous troublent mais alors c'est notre affaire et elle seule. Robbe-Grillet non plus ne paraît pas concerné· : auteur-acteur-réalisateur, il sort de son film, et de la gare, les mains dans les poches, n'ayant, si on analyse les choses de près, rien dit, rien fait que photographier quelques lieux, gares, docks, intérieurs de cafés, d'hôtels, quelques visages d'acteurs et d'inconnus, quelques gros plans de filles dans des poses très suggestives du genre de celles qui passent dans ces revues qu'on achète, justement, dans les kiosques de gare. En somme des ({ objets )). Le reste, c'est le spectateur qui l'invente, ou ne l'invente pas, peu importe, puisque tout - et particulièrement la psychologie est dénoncé sauf une chose: l'émotion. Sur le port, un homme dont nous ne connaissons que les gestes (ses

La Quinzaine littéTaire, 15 au 28 février 1967.

LA LECTURE RAPIDE RESOUT VOS PROBLEMES DE LECTURE

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une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement

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Yvan Audouard Le vertueux monte à Paris Plon, 250 p., 4,50 F Une nouvelle aventure du Vertueux.

Rouza Berler Avec elles au-delà de l'Oural Table Ronde, 240 p., 14,90 F L'épopée d'une jeune Polonaise, de la Sibérie au front russe.

Roger Bordier Un âge d'or Calmann-Lévy, 376 p., 15 F Voir ce numéro p. 7.

Marie-Anne Desmarest L'homme de la colline Plon, 224 p., 15 F Par l'auteur de Torrents.

Michel Doury Un matin froid Chistian Bourgois 288 p., 15 F. Les facilités de notre temps et le plaisir de v.ivre.

Pierre Gripari Contes de la rue Broca Table Ronde, 224 p., 13,90 F Folklore urbain du XX' siècle.

Solange Fasquelle L'air de Venise B. Grasset, 320 p., 15 F L'amitié de deux femmes de quarante ans.

Alex Marodon Mariage blanc Casterman, 256 p., 13,50 F L'amour et les technocrates.

Christian Mégret Un agent double Gallimard, 504 p., 22 F Un anti-héros de l'action clandestine.

Laurence Oriol Un meurtre, ça fait grandir Denoël, 160 p., 2,65 F Grand Prix de littérature policière 1966.

Jacques Perret Paquets de mer Denoël, 240 p., 18,50 F Récits sur le monde de la mer.

Pascal Pontremoli Le jouet de fer-blanc Grasset, 256 p., 15 F

Jacob Tsur La prière du matin L'aube de l'Etat d'Israël Plon, 284 p., 18 F A travers le destin d'un homme, l'édification de la patrie juive.

ROMANS ÉTRANGERS

H. E. Bates Six par quatre trad. de l'anglais par Jean Autret Préface de H. Miller Gallimard, 416 p., 24 F Vingt-quatre nouvelles couvrant une période cje vingt-quatre ans.

Erhan Bener Ce qui arriva avec le printemps trad. du turc par Leyla Ulvy Zaïm Albin Michel 272 p., 16,97 F Les malheurs d'un jeune homme pendant son service militaire.

José Gardosa Pires L'invité de Job trad. du portugais par Jacques Fressard Gallimard, 224 p., 14 F Un document sur le Portugal aux dimensions d'une fable .

Karlheinz Deschner Florence sans soleil trad. de l'allemand par Armel Guerne Albin Michel, 216 p., 15 F Le retour d'un soldat, en Italie, après la guerre.

Michaël Farrel Au-delà des larmes traduit de l'anglais par Nicole Laurent Préface de J. de Lacretelle Plon, 416 p., 20 F Une peinture de la société irlandaise du début du siècle.

F. Scott Fitzgerald Les enfants du jazz traduit de l'anglais par Suzanne Mayoux Gallimard, 296 p., 17 F Nouvelles sur le « Jazz age • des années 20.

Gyula Hernadi Trente·deux heures de liberté traduit du hongrois par M. Courault et G~ Kassai Albin Michel, 176 p., 9 F La société hongroise après 1956.

Stanislas Lem Le bréviaire des robots trad. du polonais par H. Sadowska Nouvelles de sciencefiction.

Juan Marse Enfermés avec un seul jouet trad. de l'espagnol et préfacé par Maurice Coindreau Gallimard, 240 p., 48 F Une peinture impitoyable de la jeunesse espagnole actuelle.

Boulat Okoudjava La cuiller traduit du russe par T. Roy Julliard, 192 p., 15 F La guerre démystifiée.

Thomas pynchon

V .

trad. de l'anglais par Minnie Danzas Plon, 512 p., 25 F Un best-seller américain sur la vie des bas-fonds new yorkais. ·

Olaf Stapledon Createur d'étoiles ·· avant-propos de Jorge Luis Borges Préface de J. Bergier trad . de l'anglais Planète, 256 p .. 17 F Un des plus grands auteurs de la sciencefiction philosophique.

Leonardo Sciascia Les Oncles de Sicile Nouv. trad : de l'italien par Mario Fusco Coll. Les Lettres nouvelles Denoël éd., 272 p., 20,05 F Par l'auteur du « Conseil d'Egypte -.

Han Suyin Une fleur mortelle traduit de l'anglais Stock, 420 p., 24 F Après « L'arbre blessé " . le second volume de la " somme chinoise ~ de Han Suyin.

William Trevor Les statues de sel trad. de l'anglais par Y. de Henseler Plon, 228 p., 12 F De vieux messieurs à l'âme de collégiens.

Elio Vittorini Les femmes de Messine trad. de l'italien par M. Arnaud Gallimard, 408 p., 24 F Dans un village perdu. des hommes reconstruisent leur vie après 1944.


TOUS LES LIVRES Ouvrages publiés du 20 janvier au 5 février 1967

Cesare Zavattini Lettre de Cuba .•. à une femme qui m'a trompé traduit de l'itali en et accompagné d'une note par Nino Frank Coll. Les Lettres nouvelles Denoël éd. 168 p., 13,35 F Par le grand cinéaste italien.

POÉSIE

Jean Grosjean Elégies Gallimard, 84 p., 8 F. Max Jacob L'homme de cristal Edition revue et augmentée Liminaire par P. Albert-Birot Gallimard, 128 p., 10 F. Guy Lévis Mano Le dedans et le dehors G.L.M ., 48 p.

HISTOIRE LITTÉRAIR E

Charles Baudelaire Lettres inédites aux siens réunies par Ph . Auserve B. Grasset, 256 p., 50 F Voir le numéro 20 de « la Ouinzaine • Henri Béhar Roger Vitrac Librairie Nizet, 332 p., 25 F Un réprouvé du surréalisme. Jules-Marie Prou Leconte de Lisle Seghers, 192 p., 7,10 F Un poète qui avant d'être académicien fut un novateur enthousiaste.

CLASSIQUES

Le Coran Préface de Jean Grosjean Introduction, système de transcription, note clé, et traduction par D. Masson La Pléiade, 1204 p., 45 F. Robert Kanters et Maurice Nadeau Anthologie de la poésie française Le XVII· siècle 1 Préface de Robert Kanters Rencontre, 400 p., 12 F. Gérard de Nerval Œuvres, tome 1 Présenté par Henri Lemaître Garnier, 1104 p., 28 F.

ESSAIS

Maurice et Geneviève Abiven Vivre à deux Affectivité, sexualité, amour Centurion, 136 p., 9 F Un couple de médecins nous parle de la vie conjugale.

Louis Bolle Marcel Proust ou le complexe d'Argus Bernard Grasset, 256 p., 17,50 F Une analyse structuraliste de la « Recherche •

Jean Chevalier Catholiques d'aujourd'hui Planète, 336 p., 24,15 F Croyants et incroyants s'expriment.

J. Chklowski Univers, vie, raison Planète, 272 p., 18,50 F Par le directeur du laboratoire d'astrophysique de Moscou .

Louis Corman Nouveau manuel de morpho-psychologie 220 portraits Stock, 320 p., 19,50 F La science des relations entre la forme et le psychisme.

Jeanne Danos La poupée, mythe vivant Gonthier, 416 p., 20,35 F Une enquête pédagogique sur le rôle de la poupée chez l'enfant et chez l'adulte.

Pierre Fougeyrollas Modernisation des hommes l'exemple du Sénégal Flammarion, 233 p., 26 F Les problèmes du tiers monde vus par un philosophe.

Jean Fourastié Essais de morale prospective Gonthier, 208 p., 18,85 F Pour une modernisation de la morale.

Roger Ikor Le cas de conscience du professeur Lib. Académique Perrin, 314 p., 15 F Servitudes et grandeurs du professeur du Lycée.

Jean Jousselin Une nouvelle jeunesse française Ed. Privat, 234' p., 18 F La prise de conscience de la jeunesse depuis 1945.

La Quinzaine littéraire. 15 au 28 février 1967.

Jacques Ménétrier De ,la mesure de soi Planète, 232 p., 16,45 F L'e xamen de conscience d'un biologiste.

Roger Ouillot La liberté aux dimensions humaines Gallimard, 304 p., 16 F Du capitalisme au totalitarisme en passant par le nationalisme, une démystification de notre temps .

Milton Rokeach Les trois Christs trad . de l'anglais par Lisa Rosenbaum Gallimard, 384 p., 18 F L'expérience menée dans un hôpital psychiatrique sur trois malades qui se prennent pour le Christ.

Pierre Vachet La femme, cette énigme B. Grasset, 272 p., 15 F Un médecin se penche sur la psychologie féminine .

Jacques Abtey Fritz Unterberg-Gibhardt 2' Bureau contre Adwehr Table Ronde, 232 p., 12,85 F De « La chatte • à l'amiral Canaris , l'étrange personnal ité des espions.

P. Bosch-Gimpera L'Amérique avant Christophe Colomb trad . de l'espagnol et préfacé par Raymond Lantier Payot, 240 p., 24 F La préhistoire du Nouveau Monde.

Jean Brune Interdit aux chiens et aux Français • Table Ronde, 280 p., 45 F La méditation d'un exilé .

Edward H. Cookridge Missions spéciales traduit de l'anglais Fayard, 240 p., 15 F L'épopée du Vercors et la libération de Bordeaux. ·

Jean Duvernoy L'inquisition à Pamiers Des Cathares parlent Ed. Privat, 240 p., 18 F Minutes du procès des Cathares.

Merle Fainsod Smolensk à l'heure de Staline traduit de l'anglais par Gisèle Bernier Coll. L'Histoire sans frontières Fayard éd. 496 p., 28 F D'après des àrchives saisies par les Allemands.

1. R. Fehrenbach les banques suisses traduit de l'américain Stock, 320 p., 19,50 F L'ascension et l'activité secrète des banquiers suisses du XIV' siècl e à nos jours .

Gilbert Martineau La vie quotidienne à Sainte Hélène au temps de Napoléon Une chronique vivante d'après des documents inédits .

Otto Neubert la vallée des rois La malédiction de Toutankhamon Lattont, 312 p., 15,45 F Réédition du livre sur l'Egypte des Pharaons .

Pierre Viansson-Ponté Les politiques Calmann-Lévy, 280 p., 11,40 F Bilan de la V' République.

SOUVENIRS BIOGRAPHIES

Jean-René Carrière De la vie d'Eugène Carrière Souvenirs, lettres, pensées, documents Ed . Privat, 320 p., 21 F La vie d'un grand peintre par son fils

Alain Decaux Offenbach, roi du Second Empire Lib. Académique Perrin 15 F Dans le cadre d'une édition complète des œuvres d'A. Decaux.

René Fallet Brassens album illustré Denoël, 120 p., 11,30 F Un franc-tireur de la chanson.

Nubar Gulbenkian Nous les Gulbenkian Stock, 344 p., 23,10 F Les magnats de la finance et le mécénat.

Erika Mann Thomas Mann la dernière année Esquisse de ma vie, suivi d'Essai sur Kleist et d'Essai sur Tchékhov trad. de l'allemand par Louise Servicen Gallimard, 216 p., 14 F La fille aînée de Th. Mann nous parle de son père et nous présente quelques pages autobiographiques de celui-ci.

Henri Massis Au long d'une vie Mémoires Préface de Thierry Maulnier Plon, 288 p., 20 F Un académicien se penche sur les 70 dernières années de la vie politique et intellectuelle française.

N. Je suis un schizophrène Préface du Dr Bonnafé Ed . Privat. 108 p., 8,10 F Transcrites par son père, les co nfidences d'un jeune malade anonyme.

Jacques Ozouf Nous les maîtres d'école Julliard, 276 p., 6 F Les souvenirs de 4000 instituteurs 60 ans après.

Michel Vianey En attendant Godard B. Grasset, 208 p., 12,50 F Un portrait qui pourrait être signé Godard .

Alexa ndre Arnoux La double Hélène Albin Michel , 170 p., 12 F Une comédie inspirée d'Euripide.

Bussy Rabutin Histoire amoureuse des Gaules Garnier Flammarion .

René Ch ar Fureur et mystère Poésie Gallimard.

Flaubert La tentation de saint Antoine Garnier Flammarion .

Rolf Hochhuth Le vicaire Livre de poche .

Pierre Moinot La chasse royale Livre de poche.

Saint John Persf. Eloges suivis de La Gloire des Rois, Anabase, Exil Poésie Gallimard .

Jules Verne Nord contre Sud Livre de poche.

Jacques de Voragine La légende dorée Garnier Flammarion .

"Essais Georges Limbour Elocoquente Gallimard, 164 p., 10 F Une pièce sur le langage écrite dans les année 30 et créée en mars 1965 au Théâtre de l'Œuvre .

Georges Neveux La roulette et le souterrain d'après Dosto"ievski Gallimard, 180 p., 10 F

G. B. Schaller Un an chez les gorilles Stock, 336 p., 22,50 F L'aventure d'un jeune biologiste américain.

Jean Vartier Aux urnes citoyens Hachette, 224 p., 10 F Un concentré de folklore électoral

FORMATS DE POCHE

Littérature

Barbey d'Aurevilly Le chevalier des Touches Livre de poche.

Robert Aron Histoire de la libération de la France, t. 1 et 2 Livre de poche .

Michel Carrouges André Breton et les données fondamentales du surréalisme Idées .

I.E.S. Edwards Les pyramides d'Egypte Livre de poche .

Gilbert Lely Sade Idées .

Gabriel Marcel Essai de philosophie concrète Idées Réédition du « Refus à l'invocation • paru en 1940.

Jean Norton Cru Du témoignage Libertés Réédition.

Taine Les philosophes français du XIX· siècle Libertés.

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" le petit livre rouge" CITATIONS DU PRESIDENT MAO TSÉ-TOUNG Un document exceptionnel: lu et commenté en de multiples circonstances de la vie quotidienne, brandi par des centaines de milliers de bras lors des manifestations des Gardes rouges, il est devenu le livre par excellence des Chinois d'aujourd'hui: à la fois arme politique et symbole de la Révolution culturelle, Collection "Politique" n° 7, volume simple 4,50 F,

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PETRU DUMITRIU Le sourire sarde 9,50 f Un lieu sauvage, quelques maisons sardes immobiles sous le soleil. Un père, une mère, un fils qui s'affrontent au niveau des passions les plus élémentaires et les plus violentes. Un récit dépouillé, tendu, implacable - tel une tragédie.

François-Régis Bastide

La palmeraie

LA PALMERAIE

ERNESTO SABATO Alejandra 21 f L'histoire d'un amour, d'une ville, d'une secte, du présent et du passé de tout un peuple. rœuvre d'un grand écrivain argentin, où le réalisme et le fantastique se répondent. "Je ne connais aucun livre qui introduise mieux aux secrets de la sensibilité argentine, à ses mythes, phobies, fascinations" . (Witold Gombrowicz)

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P-H.5imon Pour un garçon

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

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POUR UN GARÇON DE 20 ANS

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Marrakech et l'oubli. .. ANDRË ET SIMONE SCHWARZ-BART Un plat de porc aux bananes vertes 15 f , relié 24 f - 65 ex. sur vélin Arches 60 f 205 ex. sur velin neige 45 f Premier roman d'un vaste cycle romanesque, "La mulâtresse Solitude" qui s'apparente à celui du "Dernier des Justes". Les auteurs ont voulu rendre compte de la grande et mystérieuse Geste des Noirs.

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Pierre-Henri Simon s'adresse ici, avec une brusque familiarité, à un garçon de vingt ans, lui demande les raisons de sa révolte, fait entre les pères et les fils le partage des responsabilités et, suivant la ligne de son "humanisme sans illusion ", défend contre les forces de l'histoire et contre les erreurs de l'esprit, les chances plus que jamais menacées de la santé morale et du bonheur.

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BANESH HOFFMANN L'étrange histoire des Quanta 15 f Coll. "Science ouverte" Planck - Einstein - Bohr - de Broglie - Heisenberg - Schrôdinger - Dirac.

SOEREN KIERKEGAARD Les mieHes philosophiques 12 f Traduction et préface de Paul Petit.

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:r:~UNE HISTOIRE Tome 1 : 1919/1942 De Verdun à Vichy, par Jacques Nobécourt

i~POIJTIQUE i~DE L'ARMÉE 1 f' . 0 1919-1942 !. ~.P(TAI"iPET_ I~

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i, ~~D1TIONS DU SEUIL

7 - Le petit livre rouge CITATIONS DU PRESIDENT TOUNG 4,50 f

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8 - POUR UNE REFORME DE L'ENTREPRISE par François Bloch-LaTné 4,50 f 9 - LES SOCIALISTES par André Philip 6 f

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EGYPTE (nouvelle édition) par Simonne Lacouture 6 f "Petite Planète" no 30

SOCIOLOGIE DU TRAVAIL nO 1/1967 Revue trimestrielle

TEL QUEL nO 28 Revue littéraire trimestrielle no spécial : La pensée de Sade

Un jour, le proviseur d'un lycée d'altitude . propose un cessez-le-feu général : fin de lil discipline repressive, mais aussi du chahut et des brimades; le nouveau lycée reposera sur l'adhésion et la coopération. Hélas! "La grande connivence" a duré moins de cinq ans. Le récit passionnant de cette révolution manquée pose le problème crucial de la société française: comment faire reculer l'autoritarisme · et la routine? 1 vol. 320 p., 18 F. Dans la même collection : La planification française par Pierre Bauchet, 400 p., 24 F. (nouvelle édition)

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publiés par le Cercle d'épistémologie , de l'Ecole , ,1 Normale Supérieure

N° 5: Ponctuation de Freud (nov./déc. 66) Sommaire: Serge Leclaire : Les éléments en jeu dans une psychanalyse (à propos de l'Homme aux loups) ; Michel Tort: Le concept freudien de cc Représentant .. ; et D. P. Schrebër : Mémoires d'un Névropathe (chap. I-IV). traduits pour la première fois en français par Paul Duquenne, avec une présentation de Jacques Lacan (la publication intégrale de ce texte se poursuivra en feuilleton jusqu 'au numéro 10). Le nO: 6 F - Abonnement du n° 6 au n° 10: 25 F. Diffusion 6 Paris: Ecrire à • Cahiers pour l'Analyse » , 45, rue d'Ulm - Paris 5° Diffusion en province et Il l'étranger: Editions du Seuil, 27, rue Jacob, Paris 6°


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