La Quinzaine littéraire n°12

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La

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Ulnzalne littéraire

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Numéro 12

du 15 au 30 septembre 1906

, • eZlO PreDlier essai inédit .

Michel

ee

L elrlS .Romans de la rentrée

Benjamin constant·C h e S t o v sur Pouchkine.

La

Max Pol Fouchet : le XIve

1u ne a~jourd'hui. Faut-il visiter les

D1.usées ? Théâtre à New York

.La crise

du roman';-B l a n c h o t .Avant F r a n c f o r t .Œuvres en cours


SOMMAIRB

1

LI: LIVRI: DI: LA QUINZAINI:

&

Fibrilles

par Maurice Nadeau

ESSAI IN'=DIT

Assassinat d'une mouche

par J.M.G. Le Clézio

8

ENTRETIEN

Portrait d'un jeune écrivain : J .-L. Bergonzo

propos recueillis par Madeleine Chapsal

7 8

ROMANS FRANÇAIS

Jean-Claude Hémery Pierre J offroy Florence Asie . Maurice Roche Hubert Aquin Jean Basile

Curriculum Vitae Les Prétendants Facsination Compact Prochain épisode Le jugement des Mongols

par Claude-Michel Cluny

Stephen Crane

Le Bateau ouvert

par Georges Piroué

9

10

Michel Leiris

par Marie-Claude de Brunhoff par Denis Roche par Henri HeU

11

ROMAN '=TRANGER

12

LETTRE D'ITALIE

Assez de chefs-d'œuvre! Des livres!

par Sergio Pautasso

18

IlŒDIT

Pouchkine

par Léon Chestov

14

HISTOIRE LITT*RAIRE

par Samuel S. de Sacy

Benjamin Constant

Benjamin Constant et sa doctrine Ecrits et discours politiques

Paul Bastid

11

ESSAIS

Michel Raimond

La crise du roman

par Claude Pennee

18

ART

Bourdieu et Dardel Georges Duby

L'amour de l'art Fondement d'un nouvel Humanisme (1280-1440)

par Françoise Choay par Max Pol Fouchet

19

PHILOSOPHIE

Alexis Philonenko

La liberté humaine dans la philosophie de Fichte. Théorie et Praxis dans la pensée morale et politique de Fichte en 1793.

par François Chatelet

10

SOCIALISME

C.H. de Saint-Simon

Œuvres

par Jean Duvignaud

22

POLITIQUE

Albert Paul Lentin

La lutte tricontinentale

par Victor Fay

23

SOCIOLOGIE

Kenneth B. Clark Claude Brown Jean Cazeneuve

Ghetto noir Harlem ou la Terre promise Les mythologies à travers le monde

par Jean Wagner

Newton

par André Warusfel

Textes réunis par J. Rosch

La méthode des fluxions et des suites infinies La lune à l'ère spatiale

1'7

24 26

SCII:NC8S

18

par Anouar Abdel-Malek

par Gilbert Walusinski

2'7

RBVUBS

« Critique»

Maurice Blanchot

par Dionys Mascolo

28

BANDES D*SSIN*BS

G. Peelaert et P. Bartier

Les aventures de lodelle

par Marcel Marnat

Théâtre U.S. 1966

par Jean Ambrosi

NEW YORK 80

LA QUINZAINE HISTORIQUE

11

TOUS LBS LIVRBS

.-

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-

par Pierre Bourgeade

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François Erval. Maurice Nadeau Conseiller Joseph Breitbach Comité de Rédaction Bernard Cazes, François Chatelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Gilbert Walusinski Informations: Marc Saporta

La Quinzaine

Direction artistique Pierre Bernard

littéraire

Administration Jacques Lory Rédaction, administration: 13 rue de Nesle, Paris. Téléphone 033.51.97. Imprimerie: Coty S.A. Il rue F .-Gambon, Paris 20

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Crédits photographiques

p. 3 Gilles Nadeau p. 5 Dessin Maurice Henry Publicité générale: au journal. p. 6 Fiammetta Ortega Abonnements : p. 7 Doc. Denoël éd. Un an: 42 F, vingt-trois numéros. p. Il Roger Viollet p. 12 Lüfti Ozkok Six mois : 24 F, douze numéros. Lüfti Ozkok Etudiants : six mois 20 F. p. 13 Roger Viollet Etranger: Un an: 50 F. Six mois: 30 F. p. 14 Roger Viollet Tarif postal pour envoi p. 15 Albin-Guillot-Viollet par avion, au journal. p. 16 Halsman, magnum ! p. 17 Giraudon Règlement par mandat, 1 p. 20 Roger Viollet chèque bancaire, chèque postal. l p. 22 Burt Blinn, magnum C.C.P. Paris 15.551.53. p. 23 Thomas Hopker, magnum I Directeur de la publication p. 25 Roger Viollet François Emanuel. p. 26 Centre culturel Américain Copyright La Quinzaine littéraire p. 29 Centre culturel Am6ricain


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

La preuve· par l'œuvre Michel Leiris Fibrilles la Règle du leu, III Gallimard, éd. 296 p. grand format. Avec Fibrilles, troisième tome de la Règle du leu, s'achève l'entreprise autobiographique de Michel Leiris. Si l'on se rappelle dans quelle allégresse elle avait débuté, tout ce qu'il attendait d'elle, pour lui-même et pour la résolution de quelques problèmes essentiels qui se posent à l'écrivain qui ne veut pas être seulement un « littérateur », si l'on n'oublie point les sommets poétiques sur lesquels elle nous a transportés et où il semblait que, pour un instant - mais un instant où l'éternité se ramasse - les contradictions majeures vécues par l'auteur fusionnaient en une sublimation mythique qui figurait l'atteinte du but cherché, on peut s'étonner ou qu'il ait poursuivi l'entreprise, ou tout au contraire, qu'il ait décidé de lui assigner un terme.

sont parvenus et dont nous pouvons faire « notre profit », il est évident que de tout cela nous n'avons connaissance que par les œuvres. De leur lecture nous inférons le portrait de celui qui les a .écrites sans nous dissimuler qu'il puisse parfois exister un abîme entre celui qui trace les mots et ce que les mots font de lui. C'est ce dont Michel Leiris ne parvient pas à s'accommoder et qui constitue le problème essentiel que devait résoudre la Règle du jeu. Le décalage entre ce qui pour nous semble une solution et ce qui pour lui - continuant à mener sa vie d 'homme avec toutes les vicissitudes qu'elle comporte - ne saurait en être une, à la rigueur, que sur le plan de l'esthétique, ce décalage, cette béance à combler l'obligeaient à poursuivre son entreprise. A la poursuivre sans trop d'espoir, c'est ce que laisse voir Fibril-

Ce que nous prenions pour une « victoire », il le tenait pour un échec. Parlant d'un « supporter » que je crois reconnaître il écrit en effet que les pages laudatives de celui-ci « cessèrent vite d'être un baume pour devenir plutôt le couteau dans la plaie: car je savais trop bien quant à moi que, même en admettant que je sois parvenu à transformer ma vie en mythe, elle ne l'est devenue que par écrit, dans le récit au passé que j'en fais et non pas en elle-même dans le présent où Je la vis ». Sans s'attarder à chercher où gît la naïveté: en celui qui publiant un « bulletin de victoire » dont « le caractère outrancier » ne pouvait échapper à l'auteur et l'atteignait « à peine moins malignement que les hommages qui saluaient (sa) défaite », ou en celui qui attendait de l'illusion poétique, vécue comme une éblouissante vérité, qu'elle devînt l'état permanent et souverain, semi-divin, où l'homme, grâce au poète, inaugurerait une vie nouvelle, il paraît superflu de dire que le but atteint par Michel Leiris dans un récit comme Vois, déjà l'ange (qui, dans Fourbis, met en scène l'épisode algérien de Khadidja) ne l'est que par les moyens de l'écriture. Mais c'est d'autre part restreindre la vie à son plat aspect quotidien que d'avancer à propos de Rimbaud qu' « il n'a pas vécu l'aventure qui nous exalte: ce qu'il a vécu pour lui (et non l'idée que s'en feraient ultérieurement les autres), c'est tout simplement une vie de chien », ou de dire de Nerval trouvant sa solution « dans une sorte de folie volontaire - fusion de la vie et du rêve - », qu'il s'efforçait seulement de gagner son pain. La figure que font pour nous certains écrivains, l'exaltation dont ils sont pour nous les moteurs et qui peut aller jusqu'à incliner notre vie, les solutions auxquelles ils La Quinzaine littéraire, 15 septembre 1966

obéissant à ses propres lois, brodait sa propre histoire à partir des matériaux à elle confiés en toute ingénuité et dont on attendait seulement qu'elle leur donne forme, les véhicule. Cette « quadrature du cercle » que Michel Leiris entendait résoudre, l'écriture l'a résolue pour lui et, pourrait-on dire, en dépit de lui qui trouve la mariée « trop belle » au point de ne pas vouloir l'épouser. En mettant un point final à son récit il la laisse heureusement libre de faire tourner d'autres têtés et il ne pourra faire oublier qu'elle demeure malgré tout sa chose. Cette autobiographie, par laquelle deux existences (celle qui a été donnée, celle qu'a créée l'écriture) ne devaient plus être séparées que par la longueur d'un pas, devaient même parvenir à se confondre - ne saurait désormais plus jouer le rôle qui lui avait été pri-

Michel Leiris et Philippe Sollers à la librairie La Hune. lors du lancement de la Quinzaine littéraire.

les, et à y mettre un terme puisque, décidément, l'action n'est pas la sœur du rêve et que le « double » suscité par l'autobiographe, s'il constitue la figure la plus approchée de celui qui l'a édifié et, pour les autres, plus vraie, plus vivante, plus « agissante » que l'individu sur lequel il est moulé, ne peut donner le change à son créateur. Il ne peut faire que ce Michel Leiris « pour les autres » ne soit en définitive un masque qui paraît adhérer d'autant plus au visage que son possesseur s'efforce à le faire tomber, et comme si l'écriture, tenue pour un instrument de découverte et de « mise à nu », manié avec tout le courage, toute la lucidité dont l'auteur est capable, échappait à son contrôle et, vivant sa propre vie,

mitivement confié. Pour cette raison d'abord, qu'elle n'accompagnera pas le vivant jusqu'au terme. Si elle a soudain perdu les vertus dont l'auteur l'avait dotée pour d'autres, apparemment plus bourgeoises ou plus communes, plus terre à terre, celles-ci poussent paradoxalement plus loin encore cette volonté sans échappatoire qu'à Michel Leiris d'affronter la corne du taureau. S'il juge aujourd'hui « puérile » la mythologie autrefois édifiée dans Miroir de la Tauromachie, c'est peut-être parce que le combat dans l'arène auquel il assimilait le travail de l'écrivain a précisément cessé d'être un mythe et qu'il se déroule ailleurs que sur la page d'écriture. Gardons-nous d'y voir une « victoire », obtenue sans le vouloir et désespérément niée.

On ne nous empêchera toutefois pas de constater que dans ce qui veut devenir de plus en plus le simple journal d'une vie, festonné de récits et agrémenté de réflexions de tous ordres, jamais homme n'a donné davantage le sentiment de jouer son va-tout. Quelque effort que déploie l'autobiographe à minimiser sa tentative de suicide et quelque répugnance intime qu'il ait à en relater minutieusement le scénario, l'aveu qu'il murmure avant de tomber dans un coma de trois jours: « Tout ça, c'est de la littérature », tout révèle avec évidence qu'à un certain moment des limites furent franchies qui ne relèvent ni du mythe ni de la métaphore, le « Tout Ç.a, c'est de la littérature» recouvrant aujourd 'hui son sens précis: « Voulant dire... que rien ne pouvait désormais m'arriver qui pesât plus lourd que ce qui s'accomplit par l'encre et le papier... » A ce moment au moins, le peJ;'sonnage créé et le personnage réel s'identifient, se confondent. Un auteur qui refuse à ce point d'être dupe de lui-même ne saurait nous en conter et nous {aire croir~, par exemple, qu'ayant constaté son échec (l'art et la vie, l'amour et la poésie, l'action et l'imagination ne parvenant .pas, en dépit de ses efforts, à fOrnler un seul diamant), il s'est bonnem~nt résolu à déposer les armes. Fibrilles nous assure du contraire qui, à l'instar de Biffures et de Fourbis, fût-ce avec moins de fougue, d'inspiration, de confiance, noue et renoue les fils multiples qui r~lient une existence quotidienne, la sienne, au rêve, à l'imaginaire, au mythe poétique. Le voyage en Chine n'aurait donné lieu qu'à un reportage fort lacunaire si le narrateur n'avait été accompagné par l'enfant qu'il a été, le rêveur qu'il n'a cessé d'être, le poète qu'il voudrait désormais uniquement devenir et qui, l'un l'autre s'aidant, s'ouvrant mutuellement de nouvelles pistes, parviennent ensemble à édifier · un monde dans lequel se meut un personnage indivisible et qui les contient tous. On ne peut dire de ce monde qu'il a été secrété par l'au. teur, à la façon dont procède 'par exemple le romancier: la fiction n'y a aucune part. C'est un monde créé à mesure qu'il est découvert, reconnu, exploré, aménagé et· sans cesse agrandi, et il faut convenir que dans ce monde, ' nouS' aussi; lecteurs, possédons nos propres coordonnées. Monde rempli d'événements qui nous ont directement affectés comme ils ont sollicité en Michel Leiris ce qu'il appelle son « côté MaoTsé-toung », c'est-à-dire la part de sa vie, de son esprit, qui relèvent de la raison, de la science et, sinon de l'action militante, du moins de cette inclination « à gauche » qui lui fait prendre parti en toute occasion pour la liberté, la justice, l'émancipation sociale. Il appartient


INFORMATIONS

La foire de Francfort

• .La preuve par l'œuvre

à la génération d'intellectuels pour qui ({ la révolution d'octobre 1917 (constitue) l'événement majeur de notre époque » et, pour avoir flirté avec le stalinisme, la révélation des ({ crimes de Staline », qu'il n'ignorait pourtant pas tout à fait, ébranle la confiance qu'il plaçait dans le 50cialismé soviétique. Il aurait voulu se laisser porter par l'enthousiasme des Chinois qu'il visite à l'époque 'des ({ Cent fleurs ». Il ne peut se défendre de marquer des réticences. Il vit profondément le drame de la guerre d'Algérie et en vient à se demander si, dans l'épisode de Khadidja, il n'a pas simplement joué le rôle d'un soldat colonialiste, ruinant ainsi la signification qu'il a donnée à cette tragique et merveilleuse histoire. Plus généralement, il s'accuse de mollesse et de couardise qu'il porte au compte du ({ bourgeois progressiste » qu'il s'est contenté d'être. Il ne se croit bon qu'à signer manifestes et pétitions.

suicide dont l'auteur porte la marque sous forme d'une cicatrice à la gorge, sorte de preuve d'initiation, Michel Leiris n'entend pas qu'on le réfute et le mette en doute. On peut toutefois y apporter un certain nombre de corrections susceptibles de faire pencher la balance de l'autre côté.

P01U'quoi oet effori '1 Tandis que dans certaines maisons d'édition française, on tient un langage martial avant la 18' Foire de Francfort, et l'on parle d'aller à la bataille, d'sutres éditeurs, plus réservés, espèrent seulement y nouer des relations intéressantes, avoir des contacts fructueux ou réaliser une opération de prestige. Ces différences d'appréciation tiennent surtout aux impressions laissées à chacun par ses expériences antérieures et l'esprit propré à chaque maison. Quoi qu'il en soit, on comptera, cette année, 77 éditeurs représentés au stand collectif de la France (frais de participation : de 3 à 12 F par volume exposé; 2.000 volumes dans le stand collectif; prix de location du stand lui-même 8.250 F, sans compter les frais de décoration); en outre, plusieurs dizaines d'éditeurs ont loué des stands individuels, ce qui ne les empêche pas de figurer éventuellement au stand collectif (prix moyen du stand. pour une maison importante 2.000 à 3.000 F, 10.000 F au total si l'on compte les frais de décoration, bien que nombre d'éditeurs utilisent d'une année à' l'autre, le même matériel) . La plupart des grandes maisons françaises déplacent !,In état-major relativement important (de cinq à neuf perSOnnA1i) . Le coût global de l'opération peut être estimé - pour un éditeur soucieux d'efficacité - à

L'échec ne ~ juge en effet qu'en fonction du but cherché. Si celui-ci échappe de toute façon à la prise, la distance plus ou moins grande dont on en approche prend toute son importance. Or, la tentative de Michel Leiris qui était, en reconnaissant un rôle « divin » à la parole, de transformer sa vie au point de sentir, de penser, d'agir constamment en poète et sans qu'aucune faille parvienne à se faire jour entre le comportement quotidien et l'activité écrivante, entre l'imagination et l'action, entre le rêve et l'engagement politique ou social, cette tentative qui fut, à beaucoup de correctifs près, celle La quotidienneté de son exis- de Rimbaud, de Nerval ou d'Artence ne lui apporte pas plus de taud, rien ne peut faire qu'elle satisfactions. Il n'a cessé de se voir n'ait existé et que nous n'en voyions comme un « bouchon au fil de les traces brûlantes: dans une œul'eau », soumis à une existence ré- vre qui fraie la voie à d'autres (c her20.000 F. glée contre laquelle il regimbe par ribles travailleurs », peut-être tout Pourquoi cet effort? Une raison de des coups de tête ou des emballeaussi démunis mais à qui sera prestige d'abord (on ne peut pas ments sensuels et sentimentaux qui évité le piétinement devant des obs- ne pas être là); une activité utile alarment et peinent ses proches. tacles qui auraient pu leur paraî- pour l'information de chacun: c'est là qu'on se rencontre entre édiLes voyages qu'il a entrepris dès tre insurmontables, dans une vie teurs une fols par an; on y échansa jeunesse, il les considère comme qui, pour n'avoir pas échappé aux ge des nouvelles, on se tient au autant de tentatives d'évasion, de faiblesses ou aux déficiences qui courant des modes et tendances dans fuites devant des responsabilités qui sont le lot commun, n'en apparaît les divers pays. On y travaille, aussi, lui pèsent. Ce qui le chagrine dades éléments concrets : c'est là pas moins comme exemplaire dans sur qu'oll peut voir et toucher les livres vantage encore c'est de devoir faire ses rapports avec l'écriture. Michel dont on va acheter les droits. Si 18s figure d'écrivain. Un écrivain qu'on Leiris a suffisamment tissé de liens livres à succès se placent touapprécie et qu'on loue, à qui on déentre l'une et l'autre pour qu'à jours, la Foire est utile pour lan· cerne des récompenses, qui fait en l'œil du témoin, du lecteur, elles cer les nouveaux auteurs et pour somme carrière. Il se souvient avec forment à elles deux un tout dont il négocier l'achat de grands livres et nostalgie des ambitions de sa jeu- est difficile de démêler les parties, surtout pour traiter des co-éditions. C'est à Francfort par exemple que nesse surréaliste, de cette « fu- parvenant même en certains cas, reur » qui poussait ses compa- comme dans l'épisode de Khadidja, s'est vendu le livre de ' Lord Moran sur Churchill, qui aurait été placé gnons et lui-même à vouloir ({ vià former cette concrétion ignée dont de toutes façons, mais c'est là aussi vre poétiquement », c'est-à-dire à il serait vain d'analyser les compo- que s'est traitée la vente d'une his· toire i~lustrée du Japon, 10.000 exem· cc trouver dans la poésie un' système santes tant il est évident qu'elle total ». Il ne peut s'empêcher de échappe aux lois habituelles de la plaires, vendus 100 F l'exemplaire, soit 1 Million de chiffre d'affaires. constater que son idéal s'est dé- création littéraire, qu'elle n'en sauEn fait, les contacts pris à Francgradé en règles de vie ou d'écrirait être le produit pur et simple. fort, orientent, pour certains éditeurs, ture, hautement louables certes et Combien d'autres hauts moments tout le prog~amme de l'année. qui lui donnent la force d'exercer C'est !à que les Editions du Seuil n'a-t-il pas vécus et ne nous a-t-il son double métier d'ethnographe et pas fait partager, jusque dans ce ont conclu , l'an dernier, la co-édition d'un album sur Teiihard de Chardin d'écrivain, mais qui ne répondent Fibrilles désabusé! Aussi, le jugepas au « but pratique » - - qu'il ment qu'il porte sur son œuvre et qui sorfra dans cinq pays à la fois : France, Angleterre. Etats-Unis, Italie pensait atteindre sur tous les plans, sur sa vie doit-il être englobé dans et Espagne. poétique, moral, comportement une appréciation plus vaste, plus dans la vie et qui échappe à sereine, plus objective: celle du L'édition française toute théorie: « se sentir planté lecteur qui tient en mains tous les en pleine poésie ». Il n'aura fait éléments de la question. Celui-ci que « tirer son épingle du jeu » en dira, devant la Règle du jeu désorParmi les chevaux de bataille que devenant l'auteur d' cc honnêtes mais achevée: non, la partie n'était l'édition française va présenter cette essais autobiographiques » et il se pas vaine, oui, elle valait d'être année, il en est qui révèlent l'esprit de chaque maison : chez Flammarion, compare à certain prestidigitateur tentée, merci à Michel Leiris de pat exemple, dont le service étrandont le numéro consistait à amu- l'avoir menée avec un courage, une ger est entièrement réorganisé, on ser le public par un flot de paroles persévérance, une maîtrise dont il mise sur le Voltaire de Jean Orieux, et une pantomime étourdissantes, faut créditer à parts égales l'hom- Les Grandes Personnes de Michelle Maurois, ou La Solution finale de puis à prendre congé de la compa- me et l'écrivain. La preuve par Richard Nollier (un livre inspiré par gnie avant que celle-ci se soit aper- l'œuvre est faite. Si elle n'annule l'holocauste des Juifs, pendant la çue qu'il ne s'était livré à aucun pas le débat qui continuera de se guerre), entre autres. Il est vrai que des tours attendus. A un âge où il poursuivre entre le langage et Flammarion est plus véndeur qu'achen'attend plus de miracle, il carac- l'homme, elle concerne tous ceux teur en l'occurence. A l'opposé, les Editions du Seuil mitérise ainsi l'entreprise dont il lui qui, dans le présent et l'avenir, sent, en partie, sur les premiers rofaut établir le bilan: « beaucoup n'accepteront jamais de considé- mans : Compact de Maurice Roche, de bruit pour rien ». rer la littérature comme un can- Le Jeune Homme à la licorne de Christion Gi~dicelli qui n'a que 21 ans, ou Le Ce constat d'échec et de déEaite, ton des beaux-arts. Cessez le feu, un livre antimilitariste sanctionné par une tentative de Maurice Nodeau de Jean-Pierre Viala. Le Seuil emporte

aussi une anne secrète : les Juifs du silence (antisémitisme en U.R.S.S.) d'Elle Wiesel, dont le succès est assuré et qui d'ailleurs paraîtra en octobre dans un grand hebdomadaire parisien. Parmi les essais, d'autres ouvrages à sensation : Nous allons à la famine de René Dumont, L'Afrique peut-elle partir? d'Albert Meister, et une étude sur le roman américain. de Jacques ' Cabau. Albin Michel manifeste son éclectisme avec des auteurs aussi divers que Robert Sabatier (Le Chinois d'Afrique), Michel Ragon (les quatre murs), Jean Grandmougin (Histoire du Front Populaire), Jacques Brenner, Raymond Jean , etc. Les cinq membres de sa délégation se proposent de faire du • shopping. à Francfort de stand en stand. Ils ont aussi à proposer des co-productions impor· tantes : l'ouvrage de Marcel Brion sur la peinture romantique, un album du grand photographe Schulthess sur la Chine, etc. Chez Gallimard, où les claSSiques de la maison figureront, comme toujours, aux places d'honneur (Pléïade, Univers des Formes) , un effort par· tlculler sera fait pour mettre en valeur la nouvelle collection • IdéesArts. de même que la Bibliothèque Blanche (pour enfants). L'une des entreprises intéressantes offertes à la co-édition sera le livre que prépare le petit-fils de Bonnard. Antoine Terrasse, dont la maquette d'illustrations est presque au point. Mais il y aura aussi, dans le domaine des co-éditions la Zazle de Raymond Queneau traitée de bandes dessinées par Carel man qui avait illustré déjà l'édition des Exercices de style (désormais introuvable). Zazie qui a connu déjà un grand succès international en est au 174' mille en France. Bien entendu, figurent au programme tous les livres parus depuis la dernière Foire, mais l'un des favoris est Forton (dont on parle déjà beaucoup pour les prix) avec les Sables mouvants: le Canadien Ducharme . l'Avalée des Avalés ; Chaland. le Chat-ours; Florence Asie, Fascina· tlon: Anne Perry, Un petit cheval et une voiture; Jacqueline Ormpnd . Transit, et un livre qui ne manqClera pas de piquer les éditeurs au Vif : le Rendez-vous de Copenhague. de Raymond Bellour, roman sur un congrès d'éditeurs. L'ouverture à l'Est Dans l'ensemble, Gallimard èherchera en particulier une ouverture à l'Est, dans la mesure où les i!ays communistes, notamment la Pologne et la Tchécoslovaquie, commencellt à représenter un marché impor:tant (tous les éditeurs aussi feront' un tour au stand de l'U .R.S.S. pour voIr quels sont les livres que les Russes ont publié sans payer de droits en se prévalant de leur législation très spéciale dans ce domaine) . Robert Laffont révèlera pour la première fois la maquette du Grand Défi (encyclopédie comparée U.S .A...u.R. S.S.) que Georges Soria et Marc Saporta viennent de terminer a~rès trois ans de recherches et la rcollaboration d'une centaine de spécialistes et qui doit paraître pour le cinquantième anniversaire de l'entrée en guerre des Etats-Unis (1917) et c.te la Révolution d'Octobre. En outre, ' des ouvrages d'art (notamment un album sur la décoration) et les nouveaux livres de la saison : Daniel Boylanger, Bordonove, Clavel, Bérimont, Hubert Aquin; des textes historiques : le audapest de Paul Tillard et Claude Lévy, Ben Barka par le frère du leader marocain, etc.


UN ESSAI INÉDIT DE J.M.G. LE CLÉZIO

Assassinat d'une Inouche

Quand . je me suis approché de la table, je l'ai vue. C'était le soir, vers onZe heures moins le quart environ. L'ampoule électrique brillait avec force au-dessus de la table, et la lumière était jaune, un peu sale. Je l'ai regardée un moment, la bouche posée sur la table. EUe était immobile au beau milieu de la couverture d'un numéro de Time. Elle s'était inStallée sur le dessin un peu vert et bleu représentant une tête d'homme de profil. Au sommet de la couverture, pres d'lUle bande rouge, il y avait écrit, en lettres blanches, TIME

The Weekly Magazine On ne la voyait presque pas, minuscule tache noire confondue avec les couleurs glauques du dessin. S'il y avait eu un peu plus d'ombre, là, sur le papier glacé, ou si ç'avait été un numéro de deuil national, je ne l'aurais pas vue. Elle se serait envolée quelques secondes plus tard, elle aurait été se percher sur le fil de la lampe, hors d'atteinte. Mais c'était trop tard. Je l'avais vue. Sans faire de bruit, j'ai été chercher un journal plié, et je suis revenu, espérant qu'elle ne serait plus là. Mais elle était toujours là. Je l'ai contemplée un instant, le journal à la main, sans bouger. J'ai vu son corps plein de vie, ses ailes fines et brillantes, le duvet de son ventre. J'ai regardé sa tête aussi, la petite boule rougeâtre qui n'était qu'un œil. J'ai senti l'immensité de la chambre vide, autour de moi, de la chambre aux recoins obscurs, aux meubles géants, au plafond pâle, aux fenêtres grandes comme le ciel. Elle habitait ici avec moi, elle partageait cette cabine dans cet instant, dans la nui,t. Elle y avait posé ses pattes microscopiques, èlle avait bu les petites gouttes d'humidité, et elle avait trempé sa trompe délieate dans les miettes de confiture tombées sur le parquet. Un peu partout,. elle avait pondu ses œufs, dans la poussière, contre la mort. Sur la couverture du journal, la mouche a fait quelques pas. Elle a marché vers la gauche d'abord, puis elle s'est arrêtée, et elle est repartie vers la droite. La lumière de l'ampoule électrique luisait sur ses ailes, sur la couverture de papier bariolé, et sur le rebord de la table, intensémen.t, salement. Le monde était plat et silencieux, et la mouche était posée sur cet endroit. C'était comme si elle avait été là depuis des années, dans cette chambre, devant moi, à cette heure précise et calme. Jamais née, à n'en plus finir. Puis j'ai senti .q u'elle allait s'envoler. ' r. menace et la haine étalent devenues si fortes, si épaisses, tout à coup, dans la chambre, que c'était impossible qu'elle ne comprenne pas. Et c'était en moi que tout s'était si abominablement durci. C'était dans mon bras, dans ma main droite qui soulevait lentement, lentement l'arme. TI y eut encore comme un météore de vie et de drame, là, sous mes yeux, campé sur la couverture criarde du journal. Un point noir et douloureux qui me voyait et me sentait penché vers lui. J'étais la montagne soudain, la montagne de chair brute qui attaque çt tue. J'ai frappé d'un coup sec. Puis j'ai pris le journal où roulait en ramant des pattes et des ailes déchirées la graine noirâtre au ventre ouvert. J'ai jeté par la fenêtre. L'idée du bonheur est le type même du malentendu. Pourquoi le bonheur? Pourquoi faudrait-il que ' nous soyons heureux? De quoi pourrait bien se nourrir un sentiment si général, si abstrait, et pourtant si lié à la vie quotidienne ? Quelle que soit l'idée qu'on s'en fait, le bonheur est simplemellt un accord entre le monde et l'homme . ; il est une incarnation. I.. . ~

Iittéraire~ 15

."r-bre

1966

J.M.G. Le Clézio

Une civilisatiori qui fait du bonheur sa quête principale est vouée à l'échec et aux belles paroles. TI n'y a rien qui justifie un bonheur idéal, comme il n'y a rien qui justifie un amour parfait, absolu, ou un sentiment de foi totale, ou un état de santé perpétuelle. L'absolu n'est pas réalisable : cette mythologie résiste pas à la lucidité. La seule vérité est d'être vivant, le seul bonheur est de savoir qu'on est vivant. L'absurdité des généralisations, des mythes et des systèmes, quels qu'ils soient, c'est · la rupture qu'ils supposent avec le monde vivant. Comme si ce monde-là n'était pas assez vaste, pas assez tragique ou comique, pas assez insoupçonné pour satisfaire aux exigences des passions et de l'intelligence. Les pauvres moyens de communication de l'homme, il faut encore qu'il les dénature et qu'il en fasse des sources de mensonge. En se trompant ainsi, qui veulent-ils tromper ? Pour quelle gloire, pour quel manuel de philosophie ou quel dictionnaire élaborent-iJa leurs belles théories, leurs systèmes abstraits et pompeux, où rien n'est serré, rien n'est précis, mais où tout notte, retranché, décapité, dans le vide absolu de l'intelligence avec, de loin en loin, lès vagues nébuleuses de la connaissance, de la culture et de la civilisation ! TI faut résister pour ne pas être entraîné. · C'est si facile : l'on se donne un maître à penser, choisi parmi les plus insolites et les moins connus. Puis l'on échafaude, on rebâtit l'édifice que le cynisme avait fait crouler, et on se sert des mêmes éléments. L'histoire de la pensée humaine, est, ' pour les neuf-dixièmes, l'histoire d'un vain jeu de cubes où les pièces ne cessent d'aller 'et venir, usées, abîmées, truquées, s'ajustant mal. Que de temps perdu! Que de vies inutiles ! Alors que, pour chaque . homme, l'aventure est peut-être à refaire entièrement. Alors que chaque minute, chaque seconde qui passe change peut-être du tout au tout le visage de la vérité. Rien, rien n'est jamais résolu. Dans le mouvement vertigineux de la pensée, il n'y a pas de fin. il n'y a pas de commencement. TI n'y a pas de SOLUTION, parce qu'il n'y a évidemment pas de problème. Rien n'est posé. L'uni. vers n'a pas de clé; pas de raison. Les seules

ne

possibilités offertes à la co~aissance sOnt .celles des enchaînements. Elles donnent à l'homme le pOuvoir d~apercevoir l'univers, non de le com. prendre. Mais l'homme ne voudra jamais accepter ce rôle de témoin. TI ne pourra jamais se résigner aux limites. Alors il continuera à induire, pour· lutter contre le néant qu'il ,croit hostile, contre le vide, contre ·la mort .dont il a fait une ennemie. Pour admettre les limites, il lui .faudrait admettre, brutalement, qu'il n'a cessé de se tromper depuis des siècles de civilisation et de système, et que la mort n'est rien d'autre que la fin de son spectacle. TI lui faudratt admettre aussi que la gratuité est la seule loi concevable, .et que l'action de sa connaissance n'est pas une liberté mais une participation conditionnée. Il n'aura jamais la force de renoncer au potivoil' enivrant de la finalité. Peut-être devine-t-il confusément que s'il reniait cette énergie directrice, il tuerait en même temps ce qui est en lui puissance de l'essor, progression. Car c'est après tout ici que les choses se pUsent. S'il avait le choix, s'il avait la liberté, il aurait aussi la décomposition ; J,aissant revenir sur le monde l'épaisseur opaq'ue de l'inamovible, de l'immobile, de l'inexprimable, il deviendrait sourd à l'entente avec le monde. Son univers est maintenu en état d'hypnose sous son regard ; mais qu'il baisse les yeux un instant, et le chaos retombera sur lui et l'engloutira. Qu'il cesse d'être le centre du monde des hommes, un jour, et les objets s'épaississent, les mots s'émiettent, les mensonges ne soutien~ nent plus l'édifice qui s'écroule. Illusionniste. Illusionniste. Un jour peut-être tu hésiteras entre le malheur et la mort. Et tu choisiras la mort. Et spectateurs enchaînés sur leurs sièges, qui ont vu le beau et terrible film se dérOuler devant eux, qui l'ont vécu aussi, quand vient le mOlnènt où s'écrit le mot ca: FIN :D, pourquoi ne veulent-ils pas partir, simplement, sans faire d'histoires . ? Pourquoi restent-ils accrochés à leurs sièges, déséspérément, espérIult toujours que sur l'écran obscurci va recommencer ~ autre spectacle, encore plus beau,. encore plus terrible, et qui, lui, ne finira jamais ? En nous, replié, puis ouvert, à la mesure de notre corps, soutenant chacune de nos pensées; toujours éveillé dans chaque force, dans chaque désir, comme un courant 'venu du plus profond de l'espace inconnu · dont le pOat de départ ne cesse pas de fuir, devant,. derrière, à côté de noùs, notre ~ route, notre vraie foi, la seule ' fo~ de l'espoir présente en nous, avec la vie, 'LE MALHEUR. Nous luttons, nous nous arrachons à la boue, nous nous blessons pour quelques secondes infinies de liberté. Mais il est là. Son gouHre ,e st partout-. ses bouches sont innombrables, ouverteS de tous côtés, pour nous engloutir. Devant, derrière, ' à gauche, à droite, en haut,-.en bas, l'avenir est .figé. Toutes les routes reviennent. Tous les chemins conduisent à l'antre qui n'est . jamais rassasié. Demain est le jour. Hier est le jour. Loin, longtemps, à l'envers, au fond sont . leS ventouses du mal. La seule paix est dans le silence et dans l'arrêt. MaÏ$ c'est éphémère; on ne peut rester longtemps immobile. Tôt ou tard, il faut faire un pas en avant, ou un pas en arrière, et le monstre vide qui attendait cet instant ne vous laisse pas échapper. Il vous happe, il vous fait connaître à nouveau l'enfer du temps, de l'espace, des volontés hostiles. La joie n'est pas durable; l'amour n'est pas durable ; la paix et la confiance en Dieu ne sont pas durables ; la seule force qui dure, c'est celle du malheur et · du d9ute. . J.M.G. Le Clésio

·s


ENTRETIEN

. . Portrait d'un jeune eCrlValD ,

Il s'appelle lean-Louis Bergonzo. Il a vingt-sept ans. Aujourd'hui il est inconnu. Son premier livre, l'Auberge espagnole, paraît ce mois-ci aux Editions de Minuit. Vous considérez-vous comme un écrivain? J.L.B.

Non. '

Pourquoi? A mon sens l'écrivain ne fait que ça. Ecrire. Moi, par force, j'ai un autre métier. J.L.B.

n'est pas de la littérature académi· que.

J.L.B. Cela me donne l'espoir que je serai autorisé à continuer.

Ce titre, l'Auberge espagnole, qu'est-ce que ça signifie?

Tout de même il doit y avoir quelque chose à la racine de votre désir d'écrire, un sentiment ?

, V ous attendez une telle autorisation des autres ?

J.L.B. Les mêmes sentiments, les mêmes émotions, les mêmes événements peuvent se présenter de cinq ou six façons différentes. On pousse soi-même son bateau. Des espèces de flux parallèles. A la fin du livre on ne sait pas ce qui est arrivé, ce qui reste c'est le bonhomme qui est au début avec sa femme et un mur devant lui.

Non. Je n'ai aucun sentiment. J'l;lvais l'impression - mais ça ne se voit peut-être pas - d'avoir fait revenir le temps au moins deux fois sur lui-même. Je dis au moins deux fois parce qu'en fait je crois qu'il revient trois fois ..• J'avais envie de faire ça, ce qui impliquait que j'étais capable de le faire. Sinon je ne l'aurais pas entrepris. J.L.B.

Et si vous pouviez ne faire que ça

J.L.B. Attention, je ne suis pas un artiste, moi ! Si on me disait « c'est complètement crétin lI, je ne sais pas si je ...

Quand travaillez-vous ? J.L.B. Le soir, à midi, le matin. N'importe quand. ' J'attends ma femme qui se prépare et j'écris pendant une demi-heure ...

Vous n'avez pas besoin de plus de tranquillité que ça ?

?

A vez-vous le sentiment que vous allez apporter quelque chose à la littérature ? J.L.B.

Non.

Avec l'énergie que vous avez ... Ce serait formidable! Je n'écrirais peut-être pas davantage, mais ce serait formidable. J.L.B.

Non, d'un 'calme relatif.

J.L.B.

J.L.B. Vous trouvez que j'ai de l'énergie?

Qu'écrivez-vous maintenant?

Comment vous sentez-vous lors· que vous êtes en train d'écrire ?

J.1.. B. Je ne sais pas. Ça se présente tout seul.

Je suis très malheureux. Je n'arrive jamais à ce que je veux. J'attends.

Si vous n'aviez que ça à faire, que feriez-vous ?

J.L.B.

Je ne crois pas que j'écrirais tellement plus. Je ferais n'importe quoi, lire, écouter des disques, me promener. Si ça n'engageait personne que moi je quitterais mais mon emploi maintenant j'ai une famille. J.L.B.

Quoi? Que ce soit fini. Parce que . je me dis qu'à ce moment-là je pourrai enfin le reprendre. Ce livre-là je l'ai écrit trois ou quatre fois et si on me le redonnait je le reprendrais, je me sentirais obligé de le reprendre. J.L.B.

Il y a eu, il y a encore des écrivains pour parler du risque de la littérature, pour dire qu'on n'écrit, qu'il ne faut écrire qu'au péril de sa vie. Qu'en pensez-vous ?

Depuis quand écrivez-vous ? J.L.B. J'ai toujours voulu écrire. Je crois que j'ai toujours écrit. Sauf entre 21 et 25 ans. Il y a eu un arrêt. Non, ça n'était pas parce que j'étais professeur de lettres. Je ne me' jugeais pas assez mûr.

Avez-vous beaucoup lu ?

La littérature classique pendant longtemps. Puis, un jour, J'ai lu Molloy. Dès la première page j'ai aimé. La maîtrise du langage, l'unité; la logique. C'est difficile de parler de beauté en parlant de Molloy. La beauté n'est pas dans les choses, elle est dans la manière de les voir. Ce qui m'a frappé, dans MoUoy, c'est un univers. Il n'y a pas ça chez François Mauriac : les choses sont expliqùées, nommées avec des mots, mais elles n'y sont pas. Elles ne sont pas là. J.L.B.

Quel est l'univers de vos livres ? J.L.B. L'univers des romans que je ~oudrais écrire ? Un univers suffocant qui vous enserre de tous les côtés.

Quels sens a votre livre, l'Auberge espagnole ? J.L.B. Pas de sens en soi. Peutêtre en a-t-il un par rapport aux œuvres auxquelles il s'oppose: ça

6

Je ne

J.L.B.

Jean.LouÏ$ Bergonzo

comprends

pas

Votre livre en a. J.L.B. Il n'est pas très long. Il aurait pu être plus long ...

Il y a un érotisme. Vous semblez aimer les femmes ... J.L.B. Je m'intéresse à la mienne. Aux femmes, oui ...

Ecrivez-vous pour vous connaître? J.L.B. Ce que je connais de moi me suffit pour ce que je fais. Les romans autobiographiques, je les ai déjà écrits ...

Où ça se passe pour vous la littérature?

cette idée. J.L.B.

Sur la feuille de papier.

N'importe qui n'est pas écrivain. L'écrivain a quelque chose de partiéulier, qu'est-ce que c'est ?

Qu'en diriez-vous, de ce livre, si vous aviez à en parler ?

J.L.B. Si quelqu'un a envie de dire quelque chose avec des mots, il peut le faire. '

J.L.B. Je dirais peut-être que c'est un roman d'amour - entre autres ...

Saviez-vous où vous alliez ? J'ai eu des surprises moi aussi, bien entendu. Je les ai exploitées. Je n'ai pas tout dit non plus: c'est embêtant de tout démonter, de tout révéler. J'aiguillais le récit vers des coïncidences. J'avais ma petite idée et je rencontrais beaucoup de choses que j'essayais non d'imposer mais de susciter. Mais ça n'est pas une enquête policière, je serais pris à chaque fois ... C'est le langage, bien sûr, qui m'entraîne, mais je ne sais pas si ça se voit ... J.L.B.

On voit en tous les cas que vous n'êtes pas dans l'univers du roman classique, avec des personnages, une histoire, un réel à dépeindre ... J.L.B. Ce qu'on pourrait appeler le réel, dans un roman, ne va naître que par le langage. Il n'y a pas; au dehors, des choses sur lesquelles on pourrait plaquer des mots - comme dans cette littérature où on explique, que je n'aime pas.

'Qu~attendez-vous de cette publication?

Mais peu de gens le font ... J.L.B.

v ous J.L.B.

Les gens sont timorés.

ne l'êtes pas ? Je ne le suis pas pour ça.

Ça n'est pas un peu autobiographique l'Auberge espagnole? J.L.B.

Etes-vous content d'être publié aux Editions de Minuit?

Pas du tout.

J.L.B. Si je m'étais écouté, j'y serais allé tout de suite... Mais je n'Bi pas ' osé, ça me paraissait trop bien pour moi. .. Alors j'ai d'abord envoyé mon manuscrit aux éditions X. Ça n'est pas gentil ce que je dis là pour X. ! Puis ils ont refusé mon livre et je l'ai apporté tout de même aux Editions de Minuit.

Ne serait-ce que dans les sensations ?

Commen~ vous ent~ndez-vous avec 1érôme Lindon ?

J.L.B. Le type du livre ne sait pas s'il a réussi ou non dans son métier de professeur. Moi j'ai très bien réussi - en tous les cas on me le disait : j'ai eu beauceup de compliments ...

J.L.B. Il a commencé par me raconter le livre. Il a vu des choses que je n'espérais pas avoir montrées, tout ce qui concerne le temps, les coïncidences. Il m'a aussi parlé d'architecture. Je n'en espérais pas tant. Puis il m'a dit qu'il me publiait. Alors je suis devenu muet.

Lui est un peu minable et vous pas, c'est ça ? J.L.B.

Oui.

Propos recueülis par Madeleine Chap&al


ROMANS FRANÇAIS

Cicatrices Jean-Claude Hémery Curriculum Vitae Coll. Les Lettres Nouvelles Denoël éd. 190 p.

On ouvre le livre comme un arbre qu'on scie. Chaque page offre, avec l'affleurement de la vie - qui poisse les doigts, poigne un peu le cœur, ou rit doucement - , une coupe des heures dont les cercles vont s'élargissant toujours à partir d'un même point, d'un m0ment privilégié mais non pas unique : Il C'est en septembre, un beau dimanche, que je fus sans égard expulsé du sommeil »... Le narrateur arrive donc au monde, selon l'expression usuelle, avec sa mécanique vitale bien huilée et remontée. Mais la vie consentie,. il reste à la vivre. Ou la subir. Sans jamais cesser, pour Jean-Claude Hémery, d'en constater le déroulement, avec une sorte de recul, de lucidité: « le n'y étais pas, ou si peu .»... revient plusieurs fois sous sa plume. Ce décalage, entre ce qui est vécu parce que consenti, et une réalité seconde, qui appartient à l'être même du « narrateur », crée la faille, l'espace dans quoi le livre s'insère. Et le livre tend à faire le passage de l'homme qui subit à l'homme qui écrit. Curriculum Vitae est le constat du double-jeu de Jean-Claude Hémery, le « journal '» étrange d'une différence. Tout d'abord, de différence, il ne paraît pas qu'il y en ait. La coupe des jours, des années, que

Jean-Claude Hémery Curriculum Vit~ & ..j"

,. l'on pratique dès qu'on ouvre le livre est simplement marquée par les cicatrices que laissent des naissances successives. Rien que de banal ;' d'emblée l'auteur s'attaque à leur ! dénombrement: je suis né dans •.le train, dans la neige, à la plage, au café, près d'un réchaud à gd... En somme, les étapes utiles pour accéder au statut de l'homme civilisé, éduqué, diplômé, fiché, ~ enregimenté, marié-né pour La Quinzaine littéraire, 15 septembre 1966

•• •• •• •• • •• •

décéder. Naissances repères a~ long d'un irréversible pourrissement· qu'on a tout loisir d'interrompre, : sans doute, ou, plutôt, d'acce1érer: • mais ce serait compter pour rien la • force de l'habitude: Il Qui est né • consentira...» Jean-Claude Hé-. mery procède par accumulatiOns • aecusatrices. L'homme accepte tQut: • la faim, la bonne conscience, les : draps sales, la bonne guerre... TI • exécute; s'il n'a pas eil.vi~ de dire • oui, il dira amen. Son destin est • simple: il n'échappera jamais à • la société. « Tenté parfois de sauver la face en protestant confli.sé- . ment. Insigne mauvaise fQi! » Le temps des compromissions, des bassesses, des élans manqués, ' ce serait donc ce fleuve qu'on ne remonte . pas, et qui se tarit •.. Il Indemne ou couvert de plaies », il n'y a qu'à suivre. Et le bilan paraîtrait singulièrement négatif, si « je » n'était pas un autre. le me fabrique à coups de mots une mémoire encore plus vraie, phrase qui, cu- • rieusement, se trouve au milieu du • livre, est un peu comme la lip • de partage des eaux. Le recours à : l'écriture, non plus pour 'un cons- • tat, mais pour fonder une réalité • différente, donne au livre une se- • conde dimension. • Ce qui n'est pas un roman de- : vient alors une sorte de poème, ' . : d'une belle trame serrée, aux ima- • ges remarquablement simples et • sûres. La maîtrise de Jean-Claude • Hémery lui a permis de tisser en- • semble une prose lyrique frémis- • sante et une prose dépouillée, char- : gée d'ironie - qui une lois parti- . ' culièrement, dans le portrait-de- • la-jeune-fille-idéale, fait songer à • Gombrowicz par la tranquille vi- • gueur de son pouvoir: il arrache • la peau avec la robe! Et ce livre, • bouclé sur lui-même, porte en soi • sa parodie. Ne pas être dupe? • « N'être dupe qu'à bon escient »... •. L'explication de Curriculum Vitae • par un professeur à ses élèves est • un. bon morceau d'humeUr. L'au- • teur encore se recule. PoUrtant, • c'était si simple de laisser un mes- • sage. D'accepter une étiquette. Mais • l'ironie se défend bien; elle est • parfois la meilleure planche de sa- • lut: elle refuse le panache: Ayant • ainsi, tant bien que mal, fait ce : qu'on attendait de .moi, et goûté • au passage à tout ce que la vie • semblait disposée à m'offrir... je • reconnais n'avoir pas particulière- • ment à me plaindre de mon sort. • Les deux versants de ce livre, • qui pouvaient se détruire l'un l'au- : tre, s'épousent admirablement. Et • ce « journal» d'un homme qui se • veut semblable à tout autre, et par- • là même différent, ne serait-ce que • parce qu'il éprouve le besoin de « marcher d'un pas ferme sur cette • terre », témoigne, mieux que bien • des documents, et en se refusant • toute complaisance, de notre mal de • ·vivre. Le talent de Jean-Claude Hé- • mery, dont on n'avait pas oublié .• les curieuses nouvelles, Rapport au Grand Conseil, vient de s'affirmer dans ce beau li:vre singulier. Claude Michel Cluny . • _ _..

1:

7


• œUVRES EN

Georges Bataille

MA MERE roman

Une souveraineté de grande œuvre classique, cela pourrait être" l'Adolphe" de l'inceste. Alain Jouffroy - l'Express

.$.

• • COURS • • • • • • • • • • • • • • •

André Hardellet

LE SEUIL DU JARDIN roman

Conte amer, remarquablement composé, à la limite de l'irréel et du possible. Les Lettres Françaises.

.$.

• •

œuvre sans précédent par son ampleur... instrument de travail auquel nous nous reporterons souvent. Claude Mauriac le Figaro Littéraire

• •

• • • • • • • • • • • •

.$. Jean-François Revel

CONTRE CENSURES des grenades qui explosent successivement... dans le vaste domaine de la bêtise, du conformisme et des idées reçues. Françoise Giroud - l'Express

L'auteur du Mur a promis de donner à son éditeur dans le cow:ant de l'année 1967 le premier tome du Flaubert auquel il travaille depuis de longues années. L'ouvrage aura donc au moins deux tomes. Simone de Beauvoir

Simone de Beauvoir met la dernière • main aux Belles images, son prochain • roman, qui se déroule dans le milieu • de la moyenne bourgeoisie et parmi • les professions ' libérales (l'un des • principaux personnages est architecte) . Il ne s'agit pas tant d'une œuvre • satirique que d'une étude psychologi• que des problèmes de l'inadaptation • des milieux marginalement IntelleG• tuels, aux problèmes modernes; no• tamment leur dépolitisation, leur dé• phasage en matière d'éducation des • enfants, leur inaptitude à résoudre les • grandes questions de leur temps • comme celle de la faim dans le mon• de, etc. • Les deux personnages principaux, la • mère - 40-50 ans - et la fille - 20• 30 ans - portent en quelque sorte • témoignage pour leur génération res• pective. La troisième génération fait son • apparition sous la forme de l'enfant • du ménage.

M. Bessy • et J. L. Chardaris •• •

DICTIONNAIRE DU CINEMA

Sartre

André Schwarz-Bart

L'auteur du Dernier des Justes en est à son 450.000' exemplaire et à sa 17< traduction. Il travaillait depuis plusieurs années à un roman sur le peuple noir. Il a élargi considérablement le cadre de l'œuvre en cours qui comprendra désormais sept tomes, dont le premier seul est achevé. Il s'agit d'un récit sous forme de Mémoires parlés, dont la narratrice est une vieille femme noire (Martlniquaise?) qui achève sa vie dans un hospice de vieillards et raconte l'histoire des siens - ses parents, sa génération, ses fils et ses petitsfils -. Le thème central est cette • diaspora » qui a dispersé les Africains au cours des quatre derniers siècles et leur a fait perdre, dès qu'ils mettaient le pied sur le bateau des négriers, la mémoire de leurs traditions ancestrales, pour les jeter dans une Histoire nouvelle. Jean Giono

L'auteur est aux prises avec une • entreprise difficile : sous le titre • Ennemonde et autres caractères il • envisageait de publier un ensemble de textes sur la Provence - dont • une longue nouvelle intitulée Enne• monde. • Contrairement à ce que l'on pou• vait prévoir, le livre qu'on attendait • pour une date prochaine n'a pas • encore pris sa forme définitive.

• • ••

Antoine Terras8e

Antoine Terrasse prépare un livre sur Bonnard, largement illustré, dont la publication devrait coïncider avec l'exposition prévue pour le mois de février 1967 à l'Orangerie. Cette exposition - comme le livre • lui-même - est censée représenter •• • une sorte d'antidote à l'exposition • organisée à Londres par Wildenstein • et constitue - si l'on peut dire • • le point de vue de la famille ». LJ~ On sait que la succession de Bon· C/' • nard a donné lieu à d'innombrables difficultés. Les œuvres montrées à • Londres notamment celles qui étaient tenues pour inachevées - ont • suscité des controverses. Dans / y. , son livre, Antoine Terrasse souhaite Q • rétablir ce qu'il croit être la vérité, ~ • telle que l'entendeftt les proches paIooi..._ _ _ _ _ _ _ _ _- - . . . . rents du peintre.

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L'enfer incomplet

1

• Aux quatre cOIns

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Pierre J offroy Les Prétendants Le Seuil éd., 186 p. ,

1

Florence Asie Fascination Gallimard éd., 160 p.

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L'enfer ne sera pas complet avant que vous n'y soyez, indique la bande de ce recueil de nouvelles. C'est nous mettre immédiatement dans l'atmosphère. L'enfer dont parle Pierre Joffroy possède mille compartiments divers mais la brutalité en est absente et les flammes n'y torturent que les esprits. Avec modestie Pierre Joffroy fait dire à un de ses personnages: il n'y a pas de difficultés vraiment personnelles. « Personnalisées» tout au plus, comme les voitures, l'ameublement, l'amour. Pourtant les « difficultés » racontées dans ce volume sont originales. Les Prétendants (la nouvelle qui couvre de son titre toutes les autres) se passe dans une petite ville où M. Gérard, le représentant en insecticides, ne ramasse Das une seule commande. Ah! s'il était venu il y a quinze ans ... en ce temps-là une odeur pestilentielle suffoqua les voisins de la rue du Pélican et « cela » sortait de la mansarde des Plaschaart. Toute la ville attendait la perquisition effectuée par le commissaire N eblish lui-même et par le secrétaire de l'Hygiène. Or, non seulement ils trouvèrent une mansarde bourrée à craquer de nourritures pourrissantes où rats et araignées couraient en tous sens, mais, dans l'appartement contigu, trois femmes folles. La mère et les deux filles Plaschaart attendaient l'arrivée de deux fiancés - pour qui elles entassaient ces festins. Elles voient entrer deux hommes. Ce sont donc les fiancés ... La folie peut être contagieuse, celle des dames Plaschaart contamina si bien le pauvre commissaire que maintenant, quinze ans après, il vit solitaire, barbu, consumé et inconsolé, attendant sa fiancée, la plus jeune des Plaschaart ... qui, elle, attend toujours dans un hôpital psychiatrique. Pierre J offroy est journaliste, il sait accrocher l'attention; dès les premières pages il établit un mystère, et n'en soulève les voiles que très lentement. Il possède le sens de l'insolite, il n'essaie pas de nous effrayer mais simplement de nous mettre mal à l'aise. Les drames qu'il dépeint prennent de l'ampleur parce qu'il les attaque par un biais imprévisible: un avocat interroge son client accusé d'avoir jeté une jeune inconnue du haut d'un campanile. Et pourtant tous les témoignages concordent, l'accusé avait les mains dans ses poches. Nous n'apprendrons la vérité qu'à la dernière ligne. Tout peut servir de tremplin à l'imagination de Pierre Joffroy mais il ne dépasse pas les limites du possible. Il agit comme un chat jouant avec des souris: les mots et ses rêves. Marie-Claude de Brunhoff

Une dame des PTT de Rouen écrivait des poèmes qui plurent beaucoup à Simone de Beauvoir, aujourd'hui elle publie son premier roman. Son nom, Florence Asie, évoque des voyages et un romantisme aux gestes larges, pourtant Fascination se passe dans un petit village français. Marion, la jeune héroïne y pousse comme une belle plante, une herbe folle. Hébergée tantôt chez l'un tantôt chez l'autre, elle n'a pas de parents et s'en invente. Son père sera le jeune curé, M. le Doyen, qu'en secret elle appelle Armand, parce que (·'est plus doux. Sa mère sera la m) stérieuse Mme Algan, la ,,{'u, e tlu vétérinaire qui, portant un Louq ul'l de violettes en velours à la taille, passe ses journées à flâner les J)ieds dans des mules, les main~ _,ur UII piano et la tête dans les nuages.

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Une telle femme dans un village est plus dangereuse qu'une charge de dynamite, surtout si une petite fille étrangement diabolique s'amuse à échauffer les cœurs. Marion rêve sans cesse et prend ses désirs pour des réalités, Comme ellemême a besoin de tendresse et de passion, elle prétend que M. le Doyen va jouer du piano chez Mlle Alban et même qu'il l'embrasse! Une telle noirceur écrase Maurice le Spahi, soupirant en titre de la belle dame sans merci. Mais ce n'est pas tout, ces trois marionnettes ne suffisent pas aux jeux troubles de la petite Marion. Elle a grandi, elle va au bal, elle se fait embrasser dans les chemins creux par un robuste roulier puis, poussée par un malin plaisir, elle amène ce beau garçon musclé 'chez Mme Alban.. . Il y restera, bien entendu. Qui gagnera à ce jeu des quatre coins dirigé par une Merteuil ado· lescente? L'amour fou consumera ces personnages comme le feu s'attaquant aux oliviers. Dévorés à l'intérieur ils s'effondreront brusquement. Et le pauvre Doyen souffrira encore davantage. Il y a une vivacité étonnamment fraîche dans cette histoire qui aurait pu tomber dans un sombre érotisme campagnard. Jamais d'élucubrations inutiles; les images, les réflexions gambadent sur un rythme rapide, les drames éclatent en quatre lignes. Marion est un~ enfant, bien que perverse - comme l'on dit dans ces cas - , elle n'a pas le temps de s'appesantir, tout doit aller vite, les jours passent. Les rêves seuls demeurent, les mensonges aussi. Quant à la réalité on ne la distingue plus. Florence Asie a pris le contre pied d'Alain Fournier, ses hallucinations de l'enfance allient le machiavélisme à la sauvagerie, sa poésie est brève, hachée, crépitante. M.C.B.


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Au bout de la réthorique Maurice Roche Compact Le Seuil éd., 168 p.

Il est une page admirable des Histoires brisées de Valéry qui me réjouit tant que je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer quelques phrases tout de suite, de ces mots « de vitre » qui d'Elizabeth à Rachel (c'en est le titre) résument cette effrayante faculté de voir, de saisir, de résumer, de transformer en essence de mépris, en excrément de son expérience, mais en puissance et vitesse de son esprit, toute chose vécue, comme par une analyse chimique ou une digestion. Notre beauté, nos grâces, nos jolies voix, qu'en faisait ce monstre ? Ce que fait le tigre de la vitesse et de l'élégance de l'antilope: il la réduit en tigre et en excrément. Je ne vous aurais sans doute pas livré ces mots tels quels s'ils n'avaient été liés quelques paragraphes plus loin, en deux mots d'italiques, à l'une des expressions magiques de nos lettres d'aujourd'hui, quand Elizabeth s'écrie, par le truchement d'un occulte Gozon: Ma faculté de trop voir parfois m'exaspère. le me hais souvent de sentir qu'elle s'exerce: elle transforme sauvagement en clair des choses dont la valeur est d'ombres. On voit bien par ces incursions prévoyantes de Valéry dans ce qui n'était alors que « terra incognita » du discours écrit que déjà semblaient se ramasser les éléments premiers de nos sciences littéraires modernes (j'entends parfaitement contemporaines! Puisqu'il est vrai aussi que le public, à travers la grande majorité de la critique plénipolentiaire, se défend de s'en laisser séduire par une hargne toujours insatisfaite, et toujours ridiculement insatisfaite, de quoi précisément il devrait commencer à s 'inqpiéter). Le réseau, trop souvent terni par le canular ou le plagiat, 1 qui relie Rabelais et Sterne à Joyce et Valéry - mais qui passait et repassait si élégamment des rime!! des grands rhétoriqueurs à celles des amphigouristes du XVIIIe - trouve depuis une dizaine d'années des répondants sérieux qui 1 ~ l'aud ace Jusqu . .-a se poussent meme payer le luxe d'écrire comme quoi il se pourrait bien que notre génération, celle qui sort de la dernière guerre, ne soit pas une génération sacrifiée, mais la mieux portante qui spit, parce qu'en un mot l'assainissement des lettres--commence par nous ' et chez nous. Il n'est que de regarder nos inassouvis d'en face, ceux qui, par la voix des critiques « quotidiens », s'en prennent régulièrement à l'intelligence créatrice, pour se convaincre de la force d'imposit!0n de cette « nouvelle réalité» du langage littéraire. Qu'on me pardonne ce long préambule, car enfin il était indispensable de situer le dernier livre de Maurice Roche dans l'aigu d'un tel contexte. Qu'on le veuille ou La Quinzaine littéraire, 15 septembre 1966

non, chaque étape d'une création est inextinguihlement liée au feu • des positions de chacun dans un • temps exactement limité, dans le • lien des différents jeux qui consu- : ment les moments, les clés des lois • de notre comportement. Compact • ' en est le chiffre constamment ré- • pété. Il s'agit de passer de zéro à • zéro, disait Valéry. Et c'est la vie. • De l'inconscient et insensible à l'in· • conscient et insensible. • Le passage impossible à voir". puisqu'il passe du voir au non-voir • après être passé du non-voir au • votr. Et ce sont les premières lignes • d'un fabuleux « récit complet » • qui se retourne sur lui-même, de • cercle en cercle, jusqu'à son épui- • sement et sa surgie dans l'écriture, • jamais défaillante, jamais soli- • daire: Tu perdras le sommeil au • fur que tu perdras la vue. Tandis • que tu pénétreras la nuit, tu péné- • treras dans la nuit de plus en plus • profonde; ta mémoire, labile déjà, • s'amenuisant à mesure que - au • sortir d'une longue léthargie - tu • prendras conscience de ton état. • (Comment désormais faire le • départ du jour et de la nuit ?) Dé- • part furieux d'un long voyage au • bout de la cécité de celui qui écrit, • qui voit ce qu'il écrit et qui voit • ce que les autres qu'il décrit ou qui • le lisent - le liront - pensent el • penseront car chacun, comme cha- : que mot, est hanté. Ce narrateur • qui se déplace dans sa propre ré· • flexion en créant ainsi comme une • loi du comportement écrit, c'est • l'explorateur qui ne se soupçonne- • rait plus lui-même de se vouloir • le découvreur des « autres » flui- • dités de la pensée. Je lisais récem- • ment avec stupeur ces mots de • Michaux lui-même paraissant • étonné d'en avoir été le révélateur • par la drogue - : Un autre phé- • no mène qui peut bouleverser est • que la voix paraît savoir des cho- • ses ignorées du psychotique lui- • même et qu'elle révèle. Ce qur • cette voix aveugle nous révèle chez • Roche c'est précisément ce qu'il • est impossible de dire si l'on veut • éviter de pousser trop loin la com- • promission du « je » avec la fic- : tion qu'il narre aux autres person- • nes du singulier ou du, pluriel. • Cette clairvoyance se trouve ma- • nifestée dans Compact par un • étourdissant aller et retour ( dé- • doublements répétés d'allers et • venues rhétoriques) qui fuit le per- • sonnel « dans l'écriture» alors que • jamais encore un auteur ne s'était • autant dévoilé jusqu'à l'os. Insis- • tons: il s'agit du livre mémorable • de l'absence personnelle grâce à la • technique consciente de l'écriture, • en même temps que de la plus dé- • chirante des autobiographies. Je • pense pouvoir l'expliquer, du • moins partiellement, par ce fait • qui s'impose d'emblée à la lecture • du livre: rien n'y paraît jamais • gratuit, alors que ce livre fourmille • littéralement d'inventions typo-. graphi,q ues, de recettes, de trucs • qu'en général les écrivains utili- •

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sucees

1966 'ALBERTO MORAVIA L'ATTENTION HENRI TROYAT de l'Académie française . LA FAIM DES LIONCEAUX PAUL VIALAR LA JEUNESSE DU MONDE GUY DES CARS L'HABITUDE D'AMOUR RICHARD NOLLIER LA SOLUTION FINALE MICHEL BOURGUIGNON LE JARDIN DES INNOCENTS ,JERZY KOSINSKI L'OISEAU BARIOLÉ STUART CLOETE LES HAILLONS DE LA GLOIRE MICHELLE MAUROIS LES GRANDES PERSONNES FLORA DOSEN UN PRIX FOU GABRIELLE MARQUET LA CERISE DE PORCELAINE JEAN MARlI JËROME MARTIN MEDECIN VIOLETTE JEAN L'OISEAU PHOENIX

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ROGER PEYREFITTE LES JUIFS JEAN ORIEUX VOLTAIRE FRANÇOIS MAURIAC de l'Académie fran ç aise .

NOUVEAUX MËMOIRES INTERIEURS JEAN DUCHE HISTOIRE DU MONDE, LE GRAND TOURNANT GABRIEL CHEVALLIER L'ENVERS DE CLOCHEMERLE JACQUES ISORNI QUAND J'AVAIS L'AGE DE RAISON FRANÇOISE D'EAUBONNE Une femme témoin de son si~çle

GERMAINE DE STAEL

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flanlnlarion


Deux romanciers canadiens

• Au bout de la réthorique

sent de façon masquée tout en se défendant bien sûr de duper le lecteur. Ecrire c'est toujours un peu arnaquer le client, puisqu'on lui livre une histoire 4t bien. sentie» sans lui montrer qu'on tln est capable. C'est en somme un « bluff » sémantique, quand c'est la faculté d'écrire qu'on devrait commencer par raconter au lecteur. C'est en cela que Sterne méritait d'être cité dans Compact, et cela à son niveau le plus facétieux, la célèbre page noire de Tristram Shandy qui se trouve ici déchirée, édentée et frappée de cet étrange leitmotiv de Roche: La vie n'est là que pour mémoire qui est l'une des plus beUes formulations de l'angoisse rhétorique que nous sommes aujourd'hui quelques-uns à vouloir dépister en la signalant, c'est-à-dire en l'écrivant. Cette dérobade s'opère définitivement et indéfiniment à travers une sorte de loterie rhétorique. Cette loterie est en fait ce cercle vertical qui fait gagner dans les foires, aux uns, quelque bouteille .de vin fin et, aux autres, un ours (faux) géant. Ici l'aiguille, l'index qui montre, tourne à vide pour se bloquer tout à coup dans une position telle que le « je » central se trouve en connexion a~c l'une de ses variantes fictives, «il», ou « tu», «vous» ou «nous», chacune étant toujours superposable au « on », ce qui permet au « je » 'de se retirer derrière un « on » indéfini ou une -présentation impersonnelle (il était une fois ... ). En somme, chacune des formules (inversées) de l'invention, de la disposition, de l'élocution et de l'action culminent, pu un appareil parfaitement ajusté de typ0graphie, en une mémoire, en cette mémoire dont Maurice Roche sait toujours en fin de compte qu'il est fait. C'est ce qu'il Cl lui» dit en répétant inlassablement MON AMOUR, j'écrivais toujours la même chose, (t'en rendras-tu compte ?), expression de cette dauleur du nom dont parle Philippe Sollers dans sa préface à travers ce qu'en avait écrit Vico il y a près de trois siècles: La tradition veut qu'Homère ait été aveugle et qu'il ait tiré de là son nom... Homère lui-même nous représente toujours aveugles les poètes... Les aveugles ont une mémoire étonnante ... L'écriture étant présentée par Sollers comme une expérience de l'aveuglement, quand Maurice Roche me parlait récemment de la distribution dans l'espace des plans de son discours. C'est en cela que' ma citation de Michaux pourrait faire mieux sentir que c'est presque toujours la parole qui dit, qui écrit, puisque c'est elle qui sait et connaît, et non pas nous. Une fois adoptée pareille opération de conscience, sachez pourtant que Compact est un livre étrangement gai où l'irritation de la douleur d'être soi et cette souffrance qui cherche le vide trouvent leur contrepartie dans un déchaînement (ou un ballet?) des com10

Hubert ,Aquin muns. jeux d'un esprit qui se repersonnages, porte parole de l'autrouve brusquement au milieu des Prochain. épisode teur, l'amour, la création, l'enfan-mots comme un sanglier fou _ Robert Laffont, éd., 232 p. ce et la mort. Et l'auteur précise milieu d'un champ de bambous: 1 dans son avertissement : j'ai imales sphères de l'amour, ou les œr- i Jean Basile giné de séparer la vie d'un homme cles de la bouche qui ne fait subi- 1 La jument des Mongols en quatre branches et de leur contement plus que l'am.o ur se reGrasset, éd., 224 p. sacrer à chacune un roman. Il prétrouvent simultanément dans les cise aussi que chaque partie forme ondes concentriques de la sirène 1 un tout. des pompiers; où les mots gelés de : y a-t-il une littérature canadienJean Basile nous introduit dans Rabelais ... N ous Ouy- Yyouououyy- ne française ? Que représente pour un petit groupe très fermé, à Montbou bou bou bou bou bou bou bou un lecteur français le vocable : réal, qui se compose de cinq perbou.... etc, renvoient follement, par écrivain canadien français? Avant sonnages: Jérémie (le narrateur), l'intermédiaire des accords de La tout, et depuis des générations, un Armande, sa maîtresse, Judith et guerre de Janequin heurt à l'heure titre, Maria Chapdelaine de Louis Jonathan, auquel il faut ajouter du choc, bataille a capella au Hémon (l'auteur de Monsieur Ri- un mystérieux Victor qui est « bruit» du tonnerre de Finne- pois dont on fit un film charmant absent, au loin, mais qui semble gan's wake fait tout simplement avec Gérard Philippe). Maria - avoir eu une grosse influence spidu mot tonnerre dans une dizaine Chapdelaine... En littérature, c'est rituelle sur le quatuor et l'avoir de langues; où une ligne de mots le régionalismt{ canadien, comme conservée, puisque Jérémie cite se trouve brusquement remplacée les romans de feu Charles Le Gof- souvent des mots de lui. Tout ce par une ligne tortueuse de méga- fic (1863-1932) incarnaient le ré- petit monde vit en vase clos, les lithes en herbe (simple rappel de gionalisme breton. Or le régiona- uns chez les autres. Leurs rapports la « ligne » de larmes dessinée par lisme n'a pas bonne presse. Qui dit sont complexes et assez troubles. Saint-Simon dans ses Mémoires le régionalisme dit littérature mi- Judith . est comme une sœur pour jour où il perdit sa femme); où neure, d'intérêt local et restreint. Jérémie, mais une sœur un peu les termes d'héraldisme (les plus Que les ecnvains canadiens incestueuse. Si elle fait bonne fisévères qui soient puisqu'ils sont s'évadent de ce régionalisme où ils gure à Jonathan, en réalité ene le devenus comme rexpression du pé- se cantonnaient autrefois, on com- hait et celui-ci le lui rend. Jonadantisme congelé), sans qu'on y mence à s'en douter depuis qu'on than est pauvre et laid, alors que ait pris garde, se muent en grossiè- a lu voici quelques mois le remar- Judith et Jérémie sont riches. Et il retés d'argot; où la guerre, son quable et audacieux premier roman vit grâce aux subsides que Jérémie timbre et sa rhétorique, deviennent de Marie-Claire Blais, Une saison lui verse pour qu'il puisse écrire une joute paillarde : Je rassemblais de la vie d'Emmanuel. Nous voici son roman. Jérémie et Armande toute ma volonté à l'extrême pointe loin des neiges et de la vie sage de s'aiment ou croient s'aimer. Toi et de tespafut jusqu'à ce qu'iceluy l'héroïne de Louis Hémon. Les Armande, dit Jonathan à Jérémie, se monstrât roide et tencdu à personnages de Marie-Claire Blais vous n'existez que pour la galerie; poinct; puis entamais la partie, ont lu Rimbaud et les Enfants l'amour que vous prétendez vous Après Marie.Claire porter n'est - qu'une vaste machiBai- Terribles! m'escrimois au pertuis: soigne ! hurlait la folle. Aboule ton Blais, voici deux autres roman- nerie de théâtre à l'italienne ... bise-nénesse... etc. Page 37, c'est ciers, canadiens eux 'aussi, qui avec Quoi qu'il en soit, Jérémie et Arle drapeau noir des pirates., dessiné des bonheurs très inégaux rejettent mande vivent ensemble et leurs par la main experte de Roche, qui le carcan du régionalisme. Ils le échanges les enrichissent mutuellement. fait face au cardinal de Richelieu, rejettent pour quoi ? Pour tomber dans la gratuité et Ce qui frappe le plus dans la tandis qu'à la page 165, la dernièré du livre, en plein texte sur l'im- la pire littérature avec M. Hubert Jument des Mongols, c'est le capasse des Catacombes lettres et Aquin (Prochain épisode). Le nar- ractère monstrueusement « littéchiffres dessinent une tête de mort, rateur, un terroriste qui attend de raire» de ce roman. On a 11'imcalligramme parlait puisqu'en mê- passer en jugement, du fond de la pression que tous les personnàges, me temps qu'il paraît il se trouve cellule d'un asile psychiatrique et naturellement l'auteur sont atdécrit : Une texture de signes, de évoque la poursuite de l'homme teints d'une boulimie littéraire. cicatrices, un tissu tactile se dé- qu'il était chargé d'abattre, en On a l'impression que l'air qu'ils Suisse, près de Lausanne. C'est le respirent n'est pas celui de leur compose ... prétexte d'un pseudo-roman poli- ville, de Montréal, mais celui' des Méphisto n'a pas été oublié. Il cier, sans imagination, sans « sus- livres qu'ils ont lus. On a rl'imest l'autre, la souffrance, le verti- pense », à prétentions psychologi- pression qu'ils vivent non del-leur ge de l'lnimaginé ou de l'imaginé ques et symbolistes. Cet homme propre vie mais de celle de perqui de repère en repère fond sur qu'il devait abattre, l'a-t-il vrai- sonnages de roman et que leurs vous, œuvre-née qui se retourne ment tué? Qui était-il? Existait- sentiments sont ceux, non d'êtres . contre son « père »; exotique, il vraiment? N'était-ce pas plutôt vivants, mais de personnages litpuisque autre, il arbore ici les cou- à la recherche de lui-même que téraires. Cela dit, si l'auteur donne strop leurs criardes et «culturelles» s'est lancé le meurtrier? D'aild'un vivisecteur japonais. Moderne leurs, tous les événements qu'il ra- souvent l'impression d'être cO'.blme 'Charlie Chan de notre cinéma d'il conte - comme son amour pour cet enfant dont il parle, « prisony a vingt ans il ponctue ainsi les une femme mystérieuse - ont-ils nier de ses mots », il sait s'en serretours lancinants de la douleur vraiment eu lieu? Ne sont-ils pas vir et le talent ne lui manque pas vocale, transgressive, insultante en réalité le produit de son imagi- - un talent d'écrivain qui a un qui nous empêche «d'être» réel- nation, les phantasmes d'un malade plaisir évident à manier les mots, lement puisqu'il nous sera toujours en quête de sa personnalité? On à les assembler en longues phrases. impossible d'être quelqu'un d'au- le voit, il y a là, réunis, tous les Elles rendent les méandres de la tre que nous-même. C'est la voyan- poncifs, toutes les « tartes à la pensée, les subtilités de la sensace la plus moderne qu'il nous est crème» d'une certaine littérature. tion et souvent le rythme de la donné d'apercevoir ici, à l'état Et M. Aquin ne les renouvelle ni parole parlée. Jean Basile sait encompact, à l'état concentrationnai- par la personalité, ni par le style. fermer son lecteur, comme dans Tout autre est le cas de M. Jean un cocon, dans ce long monologue re, - concentrations d'idées dans l'état de folie qui nous est nor- Basile, directeur du journal « Le sur la vie, l'amour, le vieillissement, la mort, et la culture, monomal (perpendiculaire) ondulant Devoir ». Sous ce titre bizarre: la Jument . logue entrecoupé de dialogues. La faiblement pour se refermer sur elles premier livre fermé se des Mongols, il publie : le premier matière en est riche et sensible, bouclant au fur et à mesure qu'il tome d'un vaste roman intitulé si bien qu'on lui pardonne de se nommerait comme vouloir d'ou- Roma-Amor qui en comprendra vouloir tout dire, de ne pas savoir quatre. Il y a quatre choses impor- choisir. verture. Henri IHeU Denis Roche tantes dans la vie, dit l'un des

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ROMANS

NOUVELLES DE L'ÉTRANGER

ÉTRANGERS

Miracle de la • narratIon Stephen Crane

Le Bateau ouvert traduit par Pierre Leyris Mercure de France éd. 197 p.

Prématurément emporté par la tuberculose à l'âge de vingt-neuf ans, le 5 juin 1900, l'Américain Stephen Crane nous est connu, ou devrait l'être, par La Conquête du Courage, publié en 1911 au Mercure de France, et récemment réédité à la Guilde du Livre de

monde une tempête de neige, d'un pleutre flambard qui sème la pagaïe au sein d'un petit groupe d'hommes. Admirable portrait d'un lâche chez qui le complexe d'infériorité se mue bientôt en son contraire et dont le comportement transforme en complicité pour le meurtre le désir sain que ses camarades avaient de n~ pas s'amener de sales histoires. Il arrive ainsi que, dans la vie, par la faute d'une brebis galeuse, le sang-froid sauvegardé de haute lutte fasse fi-

bêtement jusqu'aux étoiles. Le symbole demeure dedans. L'allégorie n'affleure jamais. L'informulé reste enfermé dans le formulé, lui donne forme pleine. Cependant, la leçon porte. Celle qu'ont toujours répété les sages: qu'en notre petitesse gît notre grandeur, qu'à pouvoir être méditée, notre absurdité cesse de l'être. Ce que Crane lui-même appelle une compréhension . profonde

et parfaitement impersonnelle. Sans faire étalage de lui-même" cet art narratif est tout de même un

La ranu6e à N~_ York

La rentrée à New York s'annonce sous de si heureux auspices que le magazine Time, dont . la sévérité est pourtant bien connue, la salue avec un enthousiasme dont il n'est guère coutumier. . Parmi les 27 • premiers romans· déjà parus, il faut faire la part des traductions d'auteurs étrangers (Monique Wittig, L'Opoponax, qualifiée de disciple du • fanatique. françaiS Alain Robe-Grillet, ou le Péruvien de Paris, Mario Vargas Llosa), des romanciers anglais (James Mossman), mais tous les éloges vont aux débutants américains dont la moitié au moiris se lancent dans un nouveau style baptisé ' ". pop. pour la circonstance, encore que ce terme ne corresponde pas à ce que l'on entend par là'à Paris. Il . ne ' s'agit pas tant en effet d'incorporer au livre des objets préfabriqués que ~'utiliser un langage de locutions toutes . faites. L'origine de cette nouvelle' école remonte évidemment à Salinger. Le vocabulaire - si l'on . peut dire - tend à s'inspirer de celui des bandes dessinées et le ton importe plus que -. ·Ie . sujet, encore qu·i1 s'agisse hi plupart du temps de ce qu'on pourrait appeler des • antihéros », perdus' ·dans la foule solitaire chère à David Riesman ou, comme l'écrit le critique de Time •• Quelques Jonas perdus, errant dans les profondeurs du Leviatnan : moderne '.

ne. roDUUul . "

Avant le naufrage, ..

Lausanne, sous le titre L'Insigne du gure d'aveuglement. Mieux aurait Courage. Aujourd'hui, ce même valu sans doute « corriger » tout de Mercure, dans son excellente col- suite ce froussard, lui casser la lection Domaine anglais inaugurée gueule sur le champ en n'obéissant par voici deux ans, nous donne de ce qu'à l'instinct, plutôt que grand conteur un recueil 'de quatre la maîtrise de soi - de l'exposer à nouvelles intitulé Le Bateau ouvert. tomber sous le couteau d'un assasRecueil savamment composé, avec sin moins patient. L'acte noble de deux textes de moindre importan- refuser la bagarre n'est pas touce, deux longs récits : Le Ba- jours, parmi les hommes, l'acte estite!,u ouvert et L'Hôtel bleu, qui mable qu'on pourrait imaginer: s'opposent en se complétant. On voit que Crane, tant en ce Pour cadre à ces deux histoires : qui touche les raisons qu'il a de la violence. Celle des hommes conter, que la manière qu'il a de celle des éléments déchaînés: gros le faire, est un curieux amalgame temps en mer, blizzard sur terre~ de Joseph Conrad, qui fut son ami, et d'Hemingway qui le tenait pour Pour suje~, le courage, le vrai faux courage, l'honneur' d'être un maître. Par un concours de circon~tances homme . OU la fanfaronnade de vouloir paraître en être un. Très pro- dont la complexité défie toute ana- . che encore des aventuriers à qui lyse, s'est épanoui pour quelques l'Amérique doit la conquête de années, un instant, dans l'histoire l'Ouest et coureur lui-même d'aven- de la littérature un art unique, tures, comme correspondant de inimitable, toujours étiqueté à guerre en Grèce ou à Cuba, Stephen tort comme .réaliste . ou naturaliste .: il transcende toute école, Crane sait de quoi il parle. Le Bateau ouvert est le récit, on ne peut en jouir qu'en silence. après le naufrage d'un navire, des . Miracle de la narration, ~omme il y heures d'angoisse que quatre hom- a eu celui de la comédie, avec Momes passent dans une minuscule lière, de la tragédie avec Eschyle. chaloupe, en vue d'une côte qu'ils Ainsi ce Bateau ouvert. Simplicité; ne peuvent atteindre. J'ai dit an- exactitude, modestie, humilité. Les goisse, mais j'ai eu tort. Il faudrait choses mêmes, énumérées, les faits dire seulement effort, labeur et fa- bout à bout. Et pourtant aucune sétigue. Ramer, dormir à tour de cheresse, nulle sensation de rétrérôle, écoper, souquer, dormir, avec cissement. Rien qui ait odeur de parfois la fulgurance, le lancine- dérisoire. Au contraire, de l'allant, ment d'une ' pensée, quand les de la force, une ~té native, Une puissante richesse cachée. Rien ne · muscles douloureux l'autorisent. L 'Hôtel bleu est l'histoire absur- transpire du contenu au delà du de, dans une auberge qu'isole du contenant. Aucun geste ne s'élargit

et

ou

art visible. Non issu de l'intelligence qui aurait connu et appliqué les procédés, préalablement élucidé les problèmes de l'écriture pour en tirer le meilleur usage, mais né de la manipulation instinctive d'un pouvoir dont le mystère subsiste entier. Le récit est à la fois rythmé et imprévisible dans ses péripéties, donc simultanément travaillé, acclimaté, adapté à nos pulsions (~n s'y sent porté par une houle mesurée qui peu à peu capte notre confiance) et libre, anarchique, ouvert sur n'importe quoi (ce qui nous réduit au rôle de bouchon baIloté). Conforts et inconforts mêlés; repos et tensions alternés. Le ton est grave. Mais soudain l'ironie nous déprend de ce$ harmonies concertées, nous éloigne du spectacle du drame, nous le miniaturise au point qu'on n'y est plus que d'esprit, non de cœur. Le tragique tourne au c0casse. On serait tenté de rire. Mais ce rire n'est pas de mépris. Il est de détachement et ensuite d'attendrissètnent. Signe d'objectiVité et en~ core de condoléance. De même, le style évoque un univers vieux, permanent, familier, qu'on n'~terroge pas en esthète de sensations inusitées. « Aucun d'eux ne savait la ct;Juleur du ciel ». Tout à coup une épithète le rend vivant, neuf, insolite, perpétuellement enrichiSsant . j'en rends grâce à la trat;l.uction qui du mélaD.· ge de vocables disparates a BU tirer une véritable unité de ton. ~.

Georgetl Piroué

pop ••

Parmi les auteurs de romans • pop. ainsi définis, on fait grand cas d'un jeune . professe.or : de Golorftbia, Jay dont ' la: ' profession · Neugeboren, c!:ontraste évidemment avec · Ie genre ' littéraire qu'JI ' a adopté. Son' personmige' est un joueur 'de .basket-ball. Issu' dii .quartier populaÎÎ'e de Brooklyn et noir par ·surcroÎt. Charles Newman qui a le, même .age que N.eugeboren (28 ans) est, lui aussi. ' professeur d'université à Northwestern; son sujet·: la vie -dans les ' nouvelles 'communautés suburbaines. Charles 'Portis, journaliste, conte dans ~ood la vie sans but d'un ancien Marine, devenu pompist~ et qui finit dans un cirque. Irvin Faust, psychologue pour enfants a écrit The Steagle (rontraction de Steel ' et Eagle,· deüx équipes de football), ' quête d'un Dori OulchoU~ inquiet qui aurait lu l'Ulysse de Joyce et qui parcourt les Etats-Unis vus èomme ' un brassage ' ,de néon, de gros titres, de vedettes et de billards mécaniques. . Les romans • pop. que Don Asher (Th~ ~ piano SPort) et Nat ' Aentoff (Cali ' the Keeperl ont publiés traitent "un et l'autre de ' musique; ' le héros. du premier est pianiste dans un grtlnd hôtel ' et celuf du second se trouve plongé dans UI18 ambiance de bohème où les conflits de race sont rythrriés' au son- du jazz. A ' côté de ce courant d'avantgard~, .on sigl.1ale . une nouvelle romanc.Ière sudiste SylVia Wiitkinson, qui . .eembl.e avoir recueilli la grande tradition- de' Carson Mc Cullers dans Moss on "'die North . Sicle, et surtout une inconnue de ~ ans .Cynthia Ozick qui pour son coup d'essai Il écrit une œuvre massive de 5~ ', pages: . Trust. Son sujet: la ;' b<»Jr~ geoisie juive de gauche au courS des années trente. Son ironie et son sens de la psychologie sociale font penser - dit-on -: à Tolstoï et à Henty James. Et comme il ne faut · pas que J'humour perde ses droits, Robe~ Crichton a écrit l'épopée burlesql,lè d'un petit village italien, pendant la guerre, dont le principal souci est de cacher à roccupant ' allemand son plus précieux ..trésor : urie réserve de 1.320.000 bouteilles de vermouth. C'est le Secret de Saaita VIttor". 11


LETTRE D'ITALIE

, Assez de chefs-d'œuvre Des livres!

La belle saison, en Italie, met .une sourdine aux polémiques litté. raires qui ne sont plus guère alimentées . que par les résultats des prix traditionnellement attribués au milie~' de l'été. De plus, cette année, l'9Ccasion ne s'est pas présentée d'àvoir eu à stigmatiser interventioris ou pressions extérieures \ \. sur le Jury en faveur de tel ou tel candi~~t :- tout au moins celles d'entre elles qui parviennent à l'OI'bille de l'observateur en dépit . de discrétion des juges. Cependant, dans la mesure même lo ù tout y est apparu normal, le PrQ: Strega, par exemple, offre matière à considérations qui vont audelà de la valeur du livre choisi et donnent à penser sur l'~tat actuel de la littérature. N'oublions pas, en effet, que le Strega, par sa formule et sa large base d'environ 500 votants, représente presque tout le monde littéraire officiel, si bien que ses 'résultats révèlent non seulement le goût variable de la majeure partie de :pos gens de lettres, mais reflètent également une tendance; la tendanCe, cette fois-ci, à avaliser par un jugement autorisé un certain type de roman qui ne se propose pas pour but la recherche d'un style ou le renouvellement des. structures, mais qui est tout simplement un produit de ,!onsommation. L'attribution du prix à un roman comme Una spirale di nebbia (Rizzoli) de Michele Prisco plutôt qu'aux Cosmicomiche (Einaudi) d'ltalo Calvino confirme cette tendance, Una spirale di nebbia est un roman ancienne manière, honnête et bien agencé, où l'auteur traite le problème du mariage et de la fa· mille en milieu bourgeois : l'intrigue se déroule selon les règles du .roman fin de siècle, les personnages sont observés d'un point de vue , psychologique et intimiste, l'ambiance où vit 'la bonne société napo.. ' litaine est évoquée sur un ton monocorde et plat, sans trace d'intentions · Critiqu68. Bref," rien (le plus qu'un estimable exercice littéraire, \ _ De même, à l'exception des Cos:.m.icomiche dont nous parlerons tout à l'heure, les autres romans sélectionnés pour le prix ne s'écartent pas de cette ligne, Avec La nuova stazione di Firenze (Mondadori), roman ~ clé et qui a pOur cadre uhe Florence de 1930 char'~ de symboles littéraires qui ont nourri une génération . entière d'écrivains, Alessandro ' Bonsanti nous propose les thèmeS connus d~ la mémoire et de la réévocation au point où depuis des années la leçon , , de Proust les a laissés. Quant à Fausta Cialente, avec Un inverno freddissim~ (Feltrinelli), elle semble une fois de plus incapable de franéhir les limites de l'œuvre admirable qu'est sOn COl,tile a Cleopatra: non seulement elle n'a pas su se renouveler, mais ses dernières tentatives sont décidément moins bonnes, comme dans le cas qui nous occupe. De son côté, Massimo G~andi, avec '~ CaMI di Faenza

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(Ed. dell'Albero) est parvenu en finale avec un nombre de suffrages supérieur sans aucun doute à la valeur de l'ouvrage: unehi8toire qui roule sur le souvenir d'une mythique et emblématique maison, mais où manque la dimension de la mémoire (qui se trouve au contraire dans La nuova stazione di Firenze de Bonsanti), où le souffle romanesque fait défaut, avec de fréquentes chutes de tension, même sur le plan stylistique . Reste à considérer les CosJnicomiche de Calvino, recueil de récits pas toujours convaincants, mais indubitablement plus vivant que tous les textes dont nous venons de par1er. En apparence, ces Cosmicomiche sont des récits de science fiction, mais nous serions plutôt portés à les considérer comme des contes fantastiques qui projettent V 0$00 Pratolini en avant, ,dans une dQnension nouvelle et un hypothétique futur les tion et pourrait même réaffermir la aventures du Vicomte pourfendu, validité des principes, des institudu Baron perché et du Chevalier tions, des sentiments, fussent-ils inexistant, parus en France, le pre- couverts de rides, comme on le voit mier chez Albin Michel et les deux dans le roman de Prisco. Et surtout autres au Seuil. Dans ces œuvres, qu'on ne se pose pas la question les symboles étaient tirés ,du XV1IIe d'une recherche littéraire, au niveau siècles - illuministe et voltairien, du style ou simplement de la techmais avec cette dernière œuvre éga- nique : l'unique roman possible est lement nous ne sommes pas loin de . encore le roman traditionnel; les cette même 'o rigine: les Cosmico- problèmes ont à réintégrer de force miche pourraient fort bien être le le cadre de la morale bourgeoise et Miçromégas de Calvino. ' seront traités moins en profondeur Ces considérations personnelles qu'en surface; l'image de l'hommises il part, nous pensons que la me est intangible, pour décrépite et préférence accordée par le jury du dépassée qu'elle soit~ Nous en som~ Strega au roman de Prisco plutôt mes arrivés au point où le franchissement inoffensif de la frontière du fantastique, tel que l'a tenté Calvino avec d'évidentes intentions moralistes, n'est pas regardé sans suspicion. Une littérature de consommation doublant une littérature de recherche a toujours existé; mais nous voyons aujourd'hui que ces deux fronts tendent à se confondre, au grand dam du second. La majeure partie des romans bien accueillis parus ces derniers temps a ramené sur le devant de la scène ce que, ,il y a vingt ans, Vittorini appelait le pouvoir consolateur de la cultu:re, qu'il mettait en accusation pour :n'avoir pas su empêcher les hor'reurs de la dictature' et de la guerre. Cette même accusation, nous .pouvons la reprendre aujourd'hui: la littérature n'exerœ pas son «pouvoir» en vue d'une meilleure connaissànce de l'homme. Dans la mesure où ses possibilités de communication s'élargissent .(même s'il s'agit là d'un absurde lieu commun), la littérature narra:tive finit par être le genre li~ .raire le plus enclin à se détériorer et à devenir une marchandise, si ,s 'amenuise l'esprit de recherche du Carlo Cauola, narrateur. Il nous faut, hélas, constater que l'écrivain, loin de conserver libres ses propres moyens d'exqu'aux récits de Calvino correspond pression, songe dès ses débuts à moins à , un juge~nt de valeur produire une (lluvre qui soit objet qu'elle n'exprime la prévalence de de c~I!!i(in. C'est le ~ythe du la tendance dont nous avons parlé chef-d'œuvre ' alimenté.-pt l'indu&en faveur du livre estimable, mais trie culturelle: on ne -peut écrire facile, qui ne remet rien en ques- de nos jours que le chef-d'œuvre,

qui tielldra l'afficàe quelques semaines, si ce n'est quelques jours, puisqu'il sera supplanté à son tour par d'autres ehefs-d'œuvre ponctuellement fournis, avec une implacable régularité, par les chaînes de montage des maisons d'éditions. Des livres de ce genre, nous en avons vu et nous en voyons passer des douzaines, comme des météores dans le ciel littéraire, sans laisser la moindre trace. Pour s'en tenir aux premiers noms qui' vous viennent à l'esprit, qui se souvient encore, au bout d'une année ou plus, de Un Amore de Buzzati, la Califfa de Bevilacqua, Un cuore arido de Cassola et même de certains romans qui faisaient figure d'œuvres engagées comme L'ombra delle colline d'Arpino, Le furie de Piovene, La costanza della ragione de Pratolini ? (Ce dernier récemment publié par Albin Micbel sous le titre La Constance de la Raison), Et pourtant, pour chacun d'eux, que de paroles dilapidées, que de phrases hyperboliques ! Comme pour le r0man de Prisco, on a parlé de chefd'œuvre à propos de Questa specie di amore de Bevilacqua, Un'anima persa d'Arpino, de Il colombre de Buzzati, alors qu'on n'est pas allé au-delà de la pwe information pour ABC de Bellocchio, A ciascuno il suo de Sciascia (à paraître aux Lettres Nouvelles, Denoël) Il ballo dei spienti de Maria Corti, Il serPente de Malerba, ' Les responsabilités de la critique en ce qui touche cette situation sont lourdes. En parler ici nous mènerait trop loin. Contentons-nous de dire que la plupart des critiqu~ ne font pas de la critique, mais rédigent des comptes rendus informatifs en réduisant tout au niveau du chef-d'œuvre. Les livres que nous voyons s'amonceler sur nos rayop,spossèdent tous cette prestigieuse étiquette: sans arrêt sollicités, aiguillonnés, poussés à lire l'immanquable chef-d'œuvre, nous finissons par découvrir que nous sommes toujours à sa recherehe et que nous nous débattons dans les replis d'une médiocrité dorée. Sergio Pautasso


UN INÉDIT DE CHESTOV

Pouchkine Jean-Louis Back.ès Pouchkine par lui-même Coll. Ecrivains de toujours. Le Seuil, éd., 185 p.

A propos de la publication de ce Pouchkine, il nous a paru intéressant de donner un texte inédit de Léon Chestov relatif au grand poète russe. Cet essai date de 1899. Il a été écrit, nous qui dit Boris de Schloezer préface, dans la collection 10/18, un recueil de Chestov dont ce texte est tiré - sous l'influence du discours que prononça Dosstoïevski lors de l'inauguration du monument de Pouckine à Moscou: « Il représente la première étape de l'évolution d'un des plus grands penseurs qu'ait COn1~U la Russie ». Les nécessités de la mise en page nous obligent malheureusement à ne donner que des extraits de ce texte. On le trouvera en entier dans le recueil précité: L'homme pris au piège. Jadis, il n'y a pas si longtemps, au mot « littéraire » notre pensée se tournait malgré elle vers l'Occident. Là-bas, pensions-nous, se trouve tout ce dont peut se vanter l'esprit créateur. Là-bas sont Dante, Shakespeare, Gœthe . Aujourd'hui, il en va autrement: aujourd'hui, les hommes de culture occidentale viennent à nous, leurs disciples de toujours: étonnés, perplexes, ils prêtent l'oreille aux paroles nouvelles qui s'élèvent de la littérature russe. Ecoutez : auprès de qui maintenant vient-on s'instruire: auprès du comte Tolstoï, dont chaque nouvelle œuvre est transmise, peu s'en faut par télégraphe dans les contrées proches et lointaines, auprès de Dostoïevski que s'efforcent sans succès d'imiter les romanciers français, allemands, anglais et italiens. Or, le comte Tolstoï et Dostoïevski sont les fils spirituels de Pouchkine: leurs œuvres ne leur appartiennent que pour moitié: l'autre moitié, ils l'ont reçue comme on reçoit un héritage, amassé et pré.servé par un père. Biélinski a dit de Pouchkine que sa poésie a appris aux hommes l'humanité. C'est un grand éloge qui dans la bouche de Biélinski 'prend beaucoup d'importance. Le célèbre critique a voulu dire par là ce qUe Hamlet dit de son père: « Il fut un homme dans toute l'acceptation du terme. On ne lui trouverait pas d'égal dans le monde entier. » Et, aprè.s Pouchkine, à son exemple, toute la littérature russe depuis le début de ce siècle jusqu'à nos jours a conservé et conserve la devise: enseigner aux hommes l'humanité. Le problème est beaucoup plus complexe, plus profond e.t plus ardu qu'il ne paraît aù· premier abord. Le poète n'est pas un prédicateur. Il ne peut se borner à un choix de paroles fortes et passionnées qui émeuvent le cœur de ses auditeurs. Qn lui demande davantage. Avant tout on exige de . lui de la sincérité, on attend qu'il reLa Quinzaine littéraire, 15 septembre 1966

présente la vie telle qu'elle est en réalité. Mais nous savons qu'en fait la vie enseigne rien moins que l 'humanité. La réalité est cruelle, implacable. Sa loi est l'écrasement du faible et l'exaltation du puissant. Comment donc le poète peutil, en restant fidèle à la vérité 'de la vie, garder intacts les élans les plus sublimes de son âme? Apparemment, il n 'a pas le choix: on ne peut servir deux maîtres; il faut ou bien décrire la réalité ou bien se réfugier dans le domaine de l'irréel, de l'imaginaire. Dans la littérature actuelle, en Europe occidentale, ce problème n'a pas été résolu. Les grands écrivains occidentaux n'ont pas su trouver le mot de cette énigme torturante. Là-bas vous voyez devant vous ou ' bien des idéalistes comme, par exemple, Victor Hugo ou George Sand, ou bien des réalistes s'inclinant devant la réalité, comme Flàubert, les Goncourt, Zola et bien d'autres. Là-bas, en Europe, les meilleurs, les plus grands n'ont pas su découvrir dans la vie les éléments susceptibles de réconcilier 'l'injustice visible de la vie réelle avec l'idéal invisible que l'homme le plus insignifiant conserve dans son âme. Nous pouvons dire avec fierté que la question a été posée et résolue par la littérature russe et, pieusement, nous désignons Pouchkine : il fut le premier à ne pas quitter la route à la vue du ' Sphinx qui avant lui avait d,éjà dévoré, tant de lutteurs de l'esprit. ' Le Sphinx lui demanda : peut-on être idéaliste tout en restant réaliste, peut-~n, tout en regardant la vie, croire dàns le bien et dans la vérité? Pouchkine lui répondit: oui, on le peut et le monstre pitoyable lui laissa la voie libre. Toute la vie, toute l'œuvre du poète en est l'exemple et la démonstration. Il a frayé la voie . à tous ses successeurs. Après lui, les Russes virent Gogol, Lermontov, Tourguéniev, Gontcharov, Ostrovski, Pissenski, Dostoïevski, ' Tolstoï et" nous l'avons dit, c'est maintenant auprès de nous' qui, il y a si peu de temps encore, étions les timides élèves des Européens, que ces mêmes Européens viennent chercher une parole de réconfort et . d'espoir. . Peut-être certains verront-ils de . l'exagération dans ces paroles. Peutê~re' se trouvera-t-il des gens pour penser que cette question du réalisme et de l'idéalisme n'est pas si brûlante, que c'est trop ' s'aventurer que d'évoquer le Sphinx à son propos et que . ce n'est pas Pouchkine qui a résolu 1e problème. En réponse à cela, nous proposerons, d'une part, une petite incursion dans l'œuvre de Pouchkine et de l'autre nous parlerons de deux grands poètes de la terre russe : G0gol et Lermontov. TOlls deux sont des contemporains de Pouchkine mais ce n'est pas à eux·, ce n'est pas à leur œuvre que la littérature russe doit sa croissance et son éclat. Ils ont, sans contredit, exercé une immense influence sur les conceptions - des générations ultérieures. Mais,

par bonheur, ce n 'est pas à eux qu'il a été donné d'orienter notre vie intellectuelle. Tous connaissent la tragique destinée de Gogol. C'était un réaliste, il nous a décrit toutes les abominations de la vie réelle avec ses Khliestakov, Skvoznik - Dmoukhavski, Sobakievitch, Malinov, etc ... mais il n'a pu supporter les horreurs du réalisme et il est mort victime de sa création. Il n'a pas résolu l'énigme du Sphinx et le Sphinx l'a dévoré. Aujourd'hui nous savons que ses paroles: « à

Le sculpteur Merkourov achevant la statue de Pouchkine.

travers le rire visible· et les larmes invisibles » n'étaient pas une allégorie, une métamorphose mais la vérité. En le voyant rire, nous n'avons pas cru qu'il pleurait: c'est seulement lors de la parution de sa correspondance avec ses amis que .nous avons compris avec quels douloureux problèmes il. se débattait. De même pour Lermontov. Le sort n'a pa:;; voulu que nous assistions à la décompœition de son talent : une balle secourable l'a préservé du destin de Gogol. Mais les thèmes de son œuvre nous renseignent sur les tortures qu'il eut à endurer. Il a dit à vingt-cinq ans : « La vie quand on regarde autour de soi avec uoe froide attention, est une farce, sotte et futile. ». Et son poème: « Doute de toi-même, jeune rêveur! » qui aurait la force de surmonter l'horreur, le dégoût de la vie en face des images qui poursuivaient Lermontov? Un tel homme s'est trouvé: Pouchkin~. Fait étrange. Lermontov s'est posé souvent les mêmes problèmes que Pouchkine mais chaque fois, ce n'est pas lui qui a surmonté le problème, c'est le problème qui l'a vaincu. Il n'y a qu'à comparer Eugène Onéguine et Un '

héros de notre temps. Onéguine et Petchorine sont des frères, des jumeaux, nourris au sein de la même mère. Mais gu"en serait-il advenu? Lermontov s'est incliné, abaissé devant son Petchorine, Pouchkine a triomphé de son Onéguine. Rappelez-vous les deux romans. Partout ou paraît Petchorine il apporte, tel l'ange de la mort, le chagrin, le malheur, la ruine. Personne, rien ne . peut s'opposer à son pouvoir. .Lermontov semble nous dire: voilà tout ce qui est, tout ce qui peut être. Petchorine déplaît: il est mauvais, vindicatif, impitoyable. Et cependant, il est le meilleur, tout le reste, à côté de lui n'est que néant. Les hommes? Mesquins, pleutres, niais et plats. Les femmes ? Prêtes à vendre leur âme si seulement Petchorine leur fait un signe de tête. Et la sauvage Bella, et la charmante princesse Mary et la malheureuse Vera Ligoskaia elles sont toutes à ses pieds, subjuguées par lui. Personne au monde n'est plus fort, plus puissant que Petchorine. C'est donc que la vie est ainsi : seule la force brutale implacable y triomphe. Tel est le sens d'un Héros de notre temps, apothéose du froid égoïsme:--Lermontov ne peut .vaincre Petchorine et, voulant rester dans le vrai, le reconnaît ouvertement pour son vainqueur et lui entonne le cantique de louanges que réclame tout vainqueur. Chez Pouchkine, nous trouvons avec joie tout le contraire. Son Onéguine lui aussi · fait tout d'abord figure de vainqueur. Il est partout le premier, dans leS salons, au village. Même Lenski, il le traite avec un dédain condescendant qui dans le fond est plus offensant que le mépris. Quant aux femmes, autant ne pas en parler, non seulement les femmes du monde, mais la sensible et profonde Tatiana, au fond de sa campagne, est séduite par ce jeune « lion » de la haute société qui cache sa futilité, sa frivolité sous le masque du désenchantement et qui a remplacé les vrais élans du cœur par des discours à la mode. Il tue Lenski sous le prétexte le plus futile et abandonne la campagne, à la recherche de nouveaux théâtres, de nouvelles victoires sur des cœurs féminins, expérimentés ou inexpérimentés: ce sont ces victoires qui le maintiennent en vie. En suivant les péripéties du roman, en voyant partout le triomphe d'Onéguine, le lecteur se demande avec inquiétude : va-t-il vraiment l'emporter? Est-il possible que dans toute la Russie, dans toute la vie russe, Pouchkine ne découvre rien, ' ni personne qui arrête la marche de ce héros privé d'âme? C'est alors qu'entre en scène Tatiana. Dostoïevski a observé justement que tout le roman devrait porter non le nom d'Onéguine mais celui de Tatiana, 'c ar _c'est elle qui en est la véritable héroine. -_C'est une remarque profonde qui rait servir de profession de foi à, ~

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HISTOIRE LITTÉRAIRE ~

Un citoyen contre les pouvoirs

Pouchkine

tous les écrivains russes: non seuPaul Bastid lemfmt aux hommes de lettres, mais Benjamin Constant aux critiques, aux publicistes et et, sa doctrine même aux économistes. Tout le sens 2 vol. Coll. « Sciences politiques » de notre littérature est là: nos héArmand Colin éd. ros ce ne sont pas les Onéguine mais les Tatiana: ce qui triomphe Benjamin Constant chez nous, ce n'est pas l'individuaEcrits et discours politiques lisme arrogant ni la cruauté mais Textes choisis et la foi tranquille, discrète en sa proprésentés par Pozzo di Borgo pre dignité et en la dignité de tout J .-J; Pauvert, éd., 224 p. être humain. Tatiana a repoussé Onéguine! La victoire (morale, bien enNé en 1767, Benjamin Constant tendu) de Tatiana sur Onéguine est, appartient à cette génération dont le symbole de la victoire de l'idéal les racines plongent dans le dixsur la ~alité. Voilà l'héritage qu~ huitième siècle, qui reçoit de la Pouchkine a légué à ses descen- Révolution et de l'Empire les alidants,. tous les écrivains, russes, et ments de sa formation et dont la que la littérature russe, dans ses frondaison ombrage les jeunes meilleurs rep;r:ésentants, conserve pousses du dix-neuvième siècle. Si pi~usement jusqu'à ce jour. Et surMme de Staël frétille d'aise parmi , tout, nous , ne nous lasserons, jamais l'émeute des sentiments et des de le répéter, Ce~e ~çtoire n'~st pas idées, si Chateaubriand et Stenfictive. ,Pouchkine, en introduisant dhal sautent avec gaillardise, chal'idéalisme dans ' notre littérature, cun à sa manière, le seuil des y a fondé 'en même temps le réa- temps nouveaux, en revanche les lisme. n n'a pas inventé cette vie- Chênedollé, les Fontanes, les Joutoue, n a seulement signalé ce qui bert même et les Courier se laisexistait réellement, ce qu'il avait sent déborder. de ses propres yeUx observé dans De tradition on rattache Consla vie russe. tant aux derniers. Comme eux, _ Pouchkine re~te toujours fidèle dans un âge voué au tourment, et à lui-même. Partout il cherche' et fa.ute de la surpuissance qui pertrouve dans la ' vie d~s " éléments met de dominer les effets de la sur ,l esquels ,on, puislle fonder la foi distorsion, il cède, il ne cesse pas dans un avenir m.eilleur de l'huma- de céder. Il ne dessine sa ligne qu'à nité. Et, fidt remarquable, pour coups d'incertitudes, d'indécisions, consolider en lu~ cette foi il n'a pas d'élans sans lendemain, de retours besoin de s'enfoncer dans les pro- précipités, d'abandons résignés; sa fondeurs de l'histoire ou d'obser- ligne, c'est la résultante de ses itiver d,es couches ' de la société avec néraires de fuite. Nul n 'est plus inlesqUelles il n 'est pas uni par les , constant que ce Constant. liens directs des rapports quotidiens. Deux exemples, entre tant d'auAutrement dit, sa foi n'a pas be- tres: l'argent, l'amour. soin de' l'illusion qui à son tour Il lui passa par les mains de exige une certaine perspective. Il grandes fortunes, qu'après les avoir n'a besoin ni de s'écarter de la formées il laissa glisser de ses doigts réalité ni d'éloigner cette réalité de plutôt qu'il ne les dilapida, balancé lui. Il se tient toujours au centre sans relâche de l'opulence à la de la vie réelle et il garde la faculté gêne. Spéculateur, arbitrant francs de la ~omprendre. suisses, assignats et terres, il invesAfin d'atteindre la vérité, Ler- tit au bon moment dans lès biens montov' a besoin d'une perspective. nationaux des sommes considéraIl n'a trouvé personne pour contre- bles à haut rendement (20 à 25 0/0); balancef le moderne Kiribeiévitch, mais, déchiré entre ses besoins de Petchorine, qui à la place d'un ba- liquidités et la manie de la prolai et d'une tête de chien, porte un priété foncière, il revendait à perte, bel uniforme et des gants de cou- pour racheter cher. Joueur forcené, leur claire. Pouchkine, lui, a et toute sa ,vie gros joueur, il déclasu avec un art inimitable peindre rait cependant voir dans le jeu le les mœurs des gens simples (il suf- comble de l'immoralité parce qu'on fit de mentionner La Fille du capi- y mêle le hasard dans le calcul ; ce taine) ne s'est nullement perdu qui veut dire que lui-même attendans les méandres et les complica- dait de la chance qu'elle corrigeât tions de la classe intellectuelle. Son ses incapacités, fasciné par les ' chanart n'a pas besoin d'illusion, il ces que la malchance d'aujourd'hui , trouve son bien partout, et c'est laisse à la chance de demain. Il ficela qu'il a enseigné à ses succes- nit, peU: avant de mourir, par reseurs. Tout ce qu'il y a de meilleur cevoir de Louis-Philippe, son obligé, dans les œuvres de Tourgueniev, sur je ne sais quels fonds ' secrets, Dostoïevski, Tolstoï porte sa mar- une gratification fort confortable, que. C'est la même étude attentive, pour payer ses dettes. Généreux consciencieuse, honnête de la réa- d'ailleurs, semble-t-il (et patient, lité, le même réalisme véridique. ce qui coûte davantage), envers Et cette étude attentive de la réa- une famille encombrante, tracaslité non seulement ne tue pas en sière, quémandeuse et revendicaeux la foi et la fermeté mais, au trice. contraire, renforce en eux la conL'histoire de ses multiples amours viction du sens profond de l'exis- est émouvante et burlesque. Il tence. avait besoin auprès de lui d'une Léon Chestov présence féminine; laquelle avait (Traduction de Sylvie Luneau) bientôt fait de l'agacer. Aussi

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prompt à se déprendre qu'à se prendre, néanmoins il aimait, ou croyait aimer, à chaque expérience, profondément; avec un penchant pour l'équivoque quasi maternelle des femmes plus âgées que lui. Il aurait voulu exercer un ascendant dont il n'était pas capable, et il n'eut de passion durable, malgré maintes intermittences, que pour l'humiliation où le maintint Mme de Staël, mante religieuse qui n'épargnait ses mâles que pour les ' déguster plus à loisir. Il Y a peu de femmes, écrit-il, qui soient insensibles à ma manière d'être absorbé et dominé par elles. Avec toutes, complaisant en même temps que jaloux, - sans leur dissimuler ses propres écarts, dont il avait l'art de les faire complices. Et tous ses projets successifs de mariage, quel vaudeville! «. Baiserai-je papa? » Qu'il se répOiDde à lui-même oui ou non, sa décision ne manque jamais d'être irrévo-

nous n'avons une édition seneuse que depuis 1952. La déconcertante profondeur du romanesque qu'il y a en lui est donc une découverte récente, - un romanesque morose, plus désespérant que désespéré, et .singulièrement accordé aux refus et aux dissociations d'aujourd'hui. Tout le premier tome de M. Paul Bastid, intitulé L'homme ' et le citoyen, est assez détaillé, assez minutieux, assez fastidieux parfois (avouons~le) pour nous' permettre de suivre dans tous ses méandres limoneux une âme véritablement singulière. Mais, si fouillée que soit Cette biographie, et si chargée (comme il convenait au sujet, plutôt qu'ornée) de nuances, elle ne forme que le préambule d'un ouvrage de poids: plus de onze cents pages bien serrées, sous le double patronage de la Caisse nationale des Lettres, qui n'a point coutume de galvauder ses appuis, et de la Fon-

lJenjamin Constant

cable... pour un jour. Ses ' besoins physiques étaient impérieux; quand il manquait d'âme-sœur, il les satisfaisait avec des gourgandines. Elles lui communiquèrent, tôt, une vérole qui peut-être altéra sa volonté plus encore que sa santé. Il était de ' plain-pied avec elles; après un souper de filles il note : Singuliers détails de ces créatures sur la bizarrerie des fantaisies dans les libertins. Le roman de Justine n'est point une exagération de la corruption humaine. Sa virilité s'apaisa peu après la cinquantaine, le laissant tout à l'action et à la réflexion politiques. Il mourut dans les derniers jours de 1830, usé. De tels schémas manquent du flou et du flottant que lui-même a traduits en traits si nets dans Adolphe (1816), dans Le Cahier rouge et Cécile, publiés respectivement en 1907 et 1951, dans la confusion des Journaux intimes dont

dation nationale des Sciences politiques, où l'on ne se contente guère 'de gribouillages approximatifs. Une préparation aussi lente et .aussj solidement assise était nécessaire pour donner toute sa valeur au coup de ' théâtre que ménageait M. Paul Bastid pour son tome II L'œuvre et les idées »). Des obsèques de Benjamin Constant dont le ' peuple et la jeunesse de Paris firent un triomphe - il s'en fallut de peu qu'on ne lui ouvrît le Panthéon - il écrit avec quelque cruauté mais non sans justesse: Ce fut le seul succès incontesté de sa carrière. Et il explique : Le secret de ce rayonnement, c'est que l'éloquence de Benjamin Constant était animée sur quelques grands thèmes d'une conviction ardente que chacun pouvait sentir. Sa sincérité n'a été contestée que par ceux qui avaient égard aux hésitations perpétuelles de sa vie.

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ESSAIS

Après Zola Sans doute une telle révélation n'était-elle plus tout à fait inattendue, depuis le choix d'Ecrits et discours politiques que M. Pozzo di Borgo a présenté en 1964. Mais M. Paul Bastid, s'il ne reproduit pas les textes, les explique et les commente avec une conscience et un scrupule poussés si loin que le lecteur quelquefois les trouve un peu implacables. Prenant appui sur les publications connues et aussi sur ce qui est accessible parmi de nombreux inédits, c'est-à-dire sur une masse énorme de brochures, d'articles et de manuscrits, il montre qu'effectivement, de la Terreur à l'aube de la monarchie de Juillet, de la théorie à toutes ses applications circonstantielles, par la presse, par le livre, par la parole dans les assemblées, par l'influence sur les comités et l'opinion, Constant a poursuivi assidûment - en toute constance, cette fois la même recherche et le même combat. Il apparaît ainsi comme le fondateur de toute la doctrine, de toute l'éthique politique sur laquelle nous vivons depuis un siècle. Le mot de liberté n'était pas neuf, certes; depuis La Boétie, la Fronde, les polémistes du dix-huitième siècle il portait bien des rê· ves ; mais c'est Constant qui, après l'expérience des excès révolutionnaires et du despotisme impérial. s'est attaché à élucider ce que. dans la pratique, doit être la liberté dans la mesure de ce qu'elle peut être. Liberté personnelle, liberté religieuse, liberté de la pensée et de l'expression, - non, ses discriminations et son jugement ne sont pas devenus inactuels. Ils ne sont dépassés que dans un domaine où l'évolution de toutes les données techniques a modifié les exigences de la morale humaine: celui de l'écOllomie.

La liberté n'est pas un état qui puisse exister et subsister par soi : on la crée, on la conquiert; et toujours tout est à recommencer. Car le poids des choses et la pente des hommes tendent par nature à l'arbitraire; et la conquête de la liberté suppose une vigilance fondée sur l'analyse permanente de l'arbitraire dans sa nature essentielle et dans ses protéiformes manifestations d'occasion. Ce que Constant discernait avec rigueur. C'est pourquoi il se montrait si pointilleux à peser le moindre mot des textes constitutionnels, où par définition l'arbitraire cherche toujours à s'insinuer sous le couvert des nécessités, qui d'ailleurs doivent être loyalement reconnues. Jadis Jean Prévost a publié un choix de Propos politiques d'Alain sous le titre Le Citoyen contre les Pouvoirs. C'était un bon titre; c'est lui qu'à travers M. Paul Bastid rappelle Benjamin Constant ... Mais il faut dire que l'énigmatique de son inconsistance demeure aujourd'hui ce qui en lui nous touche le plus. Samuel S. de Sacy La Quinzaine littéraire, 15 septembre 1966

Michel Raimond La crise du roman José Corti éd., 544 p. En 1887 Emile Zola publie la Terre. Aussitôt, certains de ses amis s'en donnent à cœur joie. Paul Bonnetain, Lucien Descaves, Gustave Guiches, J.-H. Rosny, Paul Margueritte dans une lettre ouverte publiée par le Figaro le 18 août ,dénoncent le naturalisme et son enflure hugolique. Les disciples reniant le maître, quel soulagement! L'académisme respire enfin. Brunetière, Anatole France, tous ceux qui préfèrent

donc la période allant des lendemains du Naturalisme aux années vingt. Zola déboulonné, la succession est ouverte. Le Naturalisme à terre est suffisamment grand pour qu'on l'identifie au roman. La crise est ouverte. Jules Huret le confirme en 1891. Lui emboîtent le pas : Le Cardonnel et Vellay en 1905 ; Daudet en 1910, André Billy en 1911 ; Jean Muller, Thibaudet, Estaunié en 1922; René Boylesve, André Thérive, Strowski, Edmond Jaloux et combien d'autres venus ou à venir qui se « penchent » sur le roman et lui prodiguent force conseils. Préfèrent-ils le voir vivre

Emile Zola

Maurice Barrès et Paul Bourget à l'auteur des Rougon-Macquart peuvent s'écrier: Zola est mort, à bas Zola. Ces roulements de tambours funèbres annoncent la crise du roman. Ils en sont les Prodromes. Viennent ensuite la Querelle du roman, ses métamorphoses, les nouvelles modalités du récit, la nouvelle psychologie du héros dans le passionnant travail d'historien, docte et minutieux, de M. Michel Raimond. Primitivement, l'auteur pensait limiter son étude à l'entre-deuxguerres. Puis il s'aperçut qu'après 1930 les débats théoriques ne reproduisaient guère que les échos lointains de l'avant-guerre. Il choisit

sans leurs ordonnances ou mourir en les respectant scrupuleusement? Le débat est ouvert. Le roman est jugé genre inférieur. Pour Barrès il a le défaut de faire pâturer les imaginations un peu naïves. On dira plus tard que le cinéma est tout juste bon pour les ilotes. D'ailleurs qu'est-ce que ce roman qu'on veut définir à tout prix ? A ce su jet Maupassant, en., 1887, pouvait fort justement écrire : Au milieu de phrases élogieuses, je trouve régulièrement sous les mêmes plumes : le plus grand défaut de cette œuvre c'est qu'elle n'est pas à proprement parler un roman. Or le critique qui, après Manon Lescaut, Paul et Virginie,

Don Quichotte, les Liaisons dangereuses, Werther, les Affinités Electives, Cl.arissa Harlowe, Emile, Candide, . Cinq-Mars, les Trois M ousquetaires, le Père Goriot, la Cousine Bette, Colomba, le Rouge et le Noir, Mlle de Maupin, Notre-Dame de Paris, Salammbô, Madame Bovary, Adolphe, Monsieur de Camors, l'Assommoir, ose encore écrire : ceci est un roman, cela~ n'est pas un roman, me paraît doué d'une perspicacité qui ressemble fort à de l'incompéten.ce. L'art a toujours été la désobéissance. Alors que la soumission c'est l'académisme. Les recherches un jour constituent l'œuvre, fait remarquer Cocteau. Ce qu'on appelle crise c'est le mouvement, naturel, car si un romancier doit tenir compte de ce qui l'a précédé, il ne peut absolument pas échapper à son temps. Mévente provoquée par la surproduction du roman. Une véritable inflation disait-on en 1900, lorsque 1.000 romans paraissaient dans l'année. La critique et le public ne savaient déjà plus où donner de la tête. Et puis le roman s'est mis à annexer les autres genres - ce que fait désormais officiellement le cinéma depuis Godard - . Devenu confession, essai, le roman réfléchit, il s'interroge. Le romancier écarte les habituelles ficelles et apparaît au grand jour le véritable sujet : les rapports de l'auteur et de l'œuvre. Délicieux de provocation c'est aussi un raffinement. Avec d'ailleurs tous les risques que cela comporte. Mais rien n'est faux, tout est différent. L'histoire du roman n'est qu'une série de vérités qui se contredisent apparemment. Les époques créent des techniques qui ne sont rien sans le talent. Classiques, nouveaux, futurs, les bons romans le sont différemment tandis que les autres ne changent pas : ils sont toujours aussi mauvais qu'ils soient sur papier ou sur pellicule. Jean-Richard Bloch pensait que la crise du roman était au fond une crise de civilisation. Il estimait qu'avec la première guerre mondiale le roman avait perdu son public en même temps que la société qu'il avait pour mission de peindre. Date fatidique : 1915. Cependant il y a souvent eu des guerres de tranchées dans l'histoire du r0man. Pourquoi s'en étonner et surtout s'en plaindre ? Julien Green n'avait pas tort, lorsqu'en 1927, il ne comprenait pas qu'on doutât de l'avenir du roman qui depuis Tristan et Yseult continuait d'être à son avis « l'étude du développement d'un caractère ou d'une passion dans un récit en prose entrecoupé de dialogues ». A partir de là toutes les variations sont possibles. Qu'on promène un miroir le long des routes ou qu'on le retourne vers soi, quel que soit l'angle clloisi, quelle importance, quand on a du talent ! Et puisque malgré les augures menteurs le roman est encore vivant, alors vive le roman ! Claude Penn,ec 15


ART

Faut-il visiter les Dlusées ? Bourdieu et n&rdel L'amour de l'art Minuit éd:, 224 p. Le musée fait aujourd'hui partie de fiotre ,paysage culturel. Mais la familiarité et -l'habitude ne nous en ..livrent-elles pas une image fallacieuse? C'est ce qu'entreprennent de démontrer P. Bourdieu et DardeI dans un livre dont le titre innocent l'Amour de l'artcache une mise en question corrosive de la notion de musée. Dès le départ, les auteurs précisent la thèse que l'analyse sodo·logique aura ensuite miSsion de prouver: notre -époque (qui a hérité du XVIIIe siècle son concept de l'œuvre d'art) tend à en nier le caractère médiat; son inconscient a naturalisé ·la culture ainsi que le prouvent l'idéologie du don naturel et le l' œil juste, la théorie charismatique de l'œuvre d'art· telle que la défendent nombre d'auteurs français de P. Francastel à G. SalleS ; en fait les œuvres qui emplissent nos musées ne sont pas · accessibles à une approche naïve, elles ne s'adressent pas à une sorte de sensibilité universelle mais ne peuvent être · perçues qu'une fois intégrées dans une « attitude cultivée ». Bref, elles nécessitent un déchiffrement complexe. C'est bien là ce qu'a montré E. Panofsky en faisant, en particulier; apparaître les différents niveaux auxquels peut se situer la lecture de l'œuvre d'art. A la base, l'identification du sujet naturalisé fait en termes d'objets et d'événements de la vie quotidienne: attitude où s'arrêtent maints visiteurs d'exposition que l'on entend discuter sur le velouté d'un panier de pèches ou le rendu d'un satin; attitude qui explique aussi le succès spontané du réalisme socialiste auprès des masses (voir le succès populaire sans égal des toiles accrochées · dans le pavillon soviétique à l'Exposition de Bruxelles en 1957). A un second niveau,-la lecture de l'œuvre exige un double travail d'inteJ;'}lrétation portant sur les thèmes transmis par les sources littéraires, et sur les types formels, c'est-à-dire le style.

Les auteurs . supposent connues et renvoient sans les développer à ces ·a nalyses malheureusement à peu près ignorées du public français. Leur propos est évidemment moins d'exposer ces thèmes que de les prouver par une information sociologique qui constitue le corps même du livre. Celui-ci est formé par la synthèse d'une série d'enquêtes (qualitatives et quantitatives) menées dans quelque vingt-et-un musées au prix de nombreuses difficultés po~tant sur le choix des muséestémoins et périodes d'enquête, l'établissement de queStionnaires facilement codables et dont les questions soient assez générales pour être significativés et as!Iez indirectes po~ être signifiantes, ,la nécessité lors. du décodage de faire 16

apparaître le niveau intellectuel ou social des cas ~nsidérés. Bien que limitée dans l'espace et le temps, l'enquête globale fournit un ensemble de résultats impressionnants. Tant du point de vue numérique de la fréquence des visites que du point de vue qualitatif du contact avec les œuvres, il s'avère bien que le musée est le terrain des clercs, c'est-à-dire en définitive des privilégiés sociaux. A leur « attitude cultivée» s'oppose

le « submergement» des non privilégiés incapables de décoder la quantité d'Information que leur fournit le musée. Citons quelques chiffres: parmi les visiteurs des musées français, 75 % appartiennent aux classes supérieures, 24 0/0 aux classes moyennes, 1 % aUx classes populaires. 40 % ont fait du latin, 55 % ont au moins leur baccalauréat, 24 % un diplôme équivalent ou supérieur à celui · de la licence.

Les données de l'enquête permettent également aux auteurs de démontrer l'impuissance culturelle de certaines incitations dont l'influence est toujours différentielle, la réceptivité variant selon le type d'information reçu. Ainsi, il apparaît que le tourisme incite aux visites de musées et monuments le seul touriste cultivé; les émissions culturelles de radio ou télévision touchent seulement l'auditeur déjà initié ; la culture dite populaire repose sur le sophisme qui consiste à la faire aller au peuple; les maisons de la culture enfin · -:- P. Bourdieu et Dardel ont le courage de le dire1 sont pour les classes populaires une source de prestige (au niveau du quartier ou de la région) et d'effroi, guère un. objet d'utilisation. Mais le propos de P. Bourdieu et Dardel n'est pas seulement critique. Leur analyse débouche sur une conception démocratique du musée liée à des propositions concrètes de réforme. Deux types de mesures sont envisagées à cet égard. D'une part, au niveau local du musée, l'intensification de la poliiique didactique qui souvent semble honteuse aux initiés mais permet seule aux non favorisés de se familiariser avec les œuvres. D'autre part - et c'est là le plus important - Bourdieu et Dardel soulignent la nécessité d'une formation à la base, c'est-à-dire à l'école: car seule l'action de l'école peut façonner l'attitude cultivée et fournir le corps de connaissances typiques qui autorise la familiarité avec l'univers culturel; l'attitude à l'égard des œuvres d'art n'étant qu'une dimension d'une attitude généralisée à l'égard de la culture. Ajoutons qu'aujourd'hui 3 % seulement des visiteurs vont pour la première fois au musée après l'âge de 24 ans - cependant que l'enseignement de l'histoire de l'art dans le cycle secondaire se résume, dans les meilleurs cas, en trois heures de cours par an. Cette mise en relation du problème de l'art avec le problème général de l'enseignement constitue un des apports les plus intéressants d'un livre dont la vision est d'autre part assez insolite pour per~et­ tre au lecteur d'imaginer le musée comme une bibliothèque alexandrine des sens perdus et présents. On voit donc que l'Amour de l'Art risque de choquer à la fois les « dévots », « mystiques» et privilégiés dont il blesse l'inconscient et les non-initiés dont il dénonce l'incompétence. Aux uns et aux autres cependant, il faut recommander un ouvrage dont l'appareil statistique pt mathématique inséré dans le texte de façon à ne pas en alourdir la lecture, doit contribuer par le traumatisme des chiffres à provoquer la prise de conscience. Françoise Choay

i. Ils ~ refèrent à la monographie ronéo- . typée (Caen H65) de M. et R. Fichelet Maùom de la Culfvre et développem.em économique.


Un siècle

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DleCOnnU ••

Georges Duby Fondements d'un nouvel Humanisme (1280-1440) Skira éd., 224 p., cart. Sous ce titre qui semble ressortir à la seule histoire des idées, M. Georges Duby nous propose un examen de la création artistique au XIV· siècle, mais dans la perspective des structures de civilisationI • La signification de l'art de ce temps se précise quand sont eux-mêmes précisés l'état de la société, le comportement religieux du siècle, les changements de son économie. Voilà sans doute de l'histoire totale. La synthèse est d'une information et d'une intelligence telles que le livre séduit d'abord par un sentiment de sécurité: nous n'avançons pas en terrain fuyant, et si la surprise nous attend, c'est par les soudaines ouvertures que ménage l'organisation des connaissances. Peu d'ouvrages contemporains d'histoire permettent plus de réflexions sur la civilisation occidentale et son art. Grande œuvre, dans ces conditions, celle d'un historien véritable! Elle nous libère de toute pression intentionnelle ou dogmatique, alors qu'elle s'anime d'une exigence passionnée. Le XIV· siècle a souvent · mauvaise réputation dans les universités. Un de mes maîtres, je me souviens, abordait son étude avec de la consternation dans la voix et les gestes: les grandes heures de la Chrétienté occidentale étaient, d'après lui, frappées de maladie pernicieuse: tout conduisait à la défaite de Nicopolis, à l'invasion des Balkans par les Infidèles, à la fin de la dominati<m européenne sur la Méditerranée orientale, et déjà sonnait le glas de Byzance ... Des rivalités, des guerres déchiraient l'Europe, auxquelles s'ajoutaient les épidémies, la peste. On pénétrait dans l'ère des charniers. La démographie accusait le recul des populations. Enfin les assises théologiques de l'Etat se voyaient ébranlées, ce qui laissait prévoir l'aventure, le désordre et, à longue échéance, la prise de la Bastille. M. Duby précise, au seuil de son livre, que cette rétraction (relative, du reste, car l'Europe se tournera vers les horizons de l'Atlantique) ne concerne ni la culture ni l'invention artistique dans la Chrétienté latine. Pour la première fois peut-être l'Europe montre avec clarté que ses difficultés temporelles n'entraînent pas fatalement un déclin intellectuel et provoquent, au contraire, la création. L'histoire tout court et l'histoire de la culture sont parfois divergentes, l'une exposant des faits qui purent être désastreux, l'autre les dominant pour voir en ' quoi ils furent des stimulations. Au demeurant, le XIV· siècle, sujet du livre de M. Duby, est le siècle créateur de la culture moderne. Sa « modernité » devait être sensible à un historien des mentalités La Quinzaine littéraire, 15 septembre 1.966

comme M. Duby, puisque c'est alors la mentalité même du monde occidental qui se transforme; La mutation concerne, au premier chef, l'esprit religieux. Elle s'opère dans les élites, dans la bourgeoisie, dans le peuple. Du côté des cleres, la condamnation de la physique d'Aristote en 1277 par l'évêque de Paris annonçait déjà le changement. Il s'agissait, certes, de dénoncer une pensée qui, par la notion de matière éternelle, contredisait la croyance dans la Création et dans la fin des temps, et condamnait l'homme à être prisonnier du cosmos, - propositions incompatibles avec le Christianisme. De cette incompatibilité, bien des clercs s'apercevaient tardivement! L'Eglise, au vrai, n'aurait pas prononcé cette répudiation si elle n'avait éprouvé de quelles forces profondes était travaillée la masse des fidèles. Ce qui se manifeste, à la fin du XIII" siècle et s'amplifie au cours du XIVe, c'est la distance que l'on prend à l'égard de toute pensée par trop conceptuelle. Les hommes du XIV· siècle se sentent des hommes nouveaux, pour lesquels existent et l'expérience et l'observation du monde tangible.

Christianisme plus proche de lui. Le Christianisme du XIV" siècle est populaire, dit M. Duby. Entendons par là qu'il n'est plus seulement présence aux offices et observation des rites, comme il l'avait été avec puissance, comme il le reste, mais il devient exercice individuel et, somme toute, se « décléricalise ». M. Duby peut avancer que le sentiment religieux est alors mystique. La voie vers Dieu passe moins par l'intellect que par le

idéal de la conquête virile, et deux sollicitations leur répondent: approfondir le dialogue avec Dieu, ou jouir du monde. A ce dernier dessein, la tradition chevaleresque, héritéé du haut moyen âge, donne une singulière énergie : elle témoigne d'une volonté de possession du monde. Ln ([ prouesse », d'après le rituel chevaleresque, est de vaincre au prix des périls, de conquérir - et même le jeu d'amour courtois demande, pour dominer la résis-

Dans"cette transformation compte pour beaucoup l'héritage spirituel de François d'Assise. Depuis la mort du saint, pendant le XIII" siècle, la sensibilité franciscaine n'avait cessé de gagner en profondeur. M. Duby montre justement cette influence, qui réhabilite le monde et ses créatures. J'aurais souhaité, pour ma part, que fût non moins marqué comment réapparut, dans les actes du Poverello, un sentiment quasi païen de la nature. La messe dite aux oiseaux, le pacte de coexistence pacifique avec le méchant loup de Gubbio, la dénudation du jeune François sur une place de village, par quoi s'inaugure sa vie mystique, le cantique héliaque, autant de fioretti qui ne laissent pas d'avoir pour moi une saveur « panique» - et l'Eglise, d'ailleurs, s'en inquiéta ... Encore fallait-il aux clercs du XIV" siècle ' une pensée plus contemporaine et systématique que celle de Saint François. Ils la trouvèrent dans la philosophie de Guillaume d'Ockham. Cette fois, avec le Docteur invincible, le raisonneTrès Riches Heures du Duc de Berry, le ment abstrait est frappé de vanité; la déduction logique ne doit s'attacher qu'à la part du monde susceptible d'observation directe. cœur. Elle s'ouvre ainsi davantage Quant au moyen de rejoindre Dieu, aux petites gens, aux humbles. Aussi bien la « modernité» du il sera dans l'adhésion de l'âme à l'indémontrable. Que le croyant siècle se manifeste dans un vaste laisse s'élever en lui l'étincelle et double mouvement de vulgarisacontenue dans son âme, elle s'épa- tion et de laïcisation. Des connaisnouira en fleur au sommet, tel est sances qui naguère étaient le priaussi l'enseignement de Maître vilège des prêtres pénètrent dans la Eckhart. Non seulement le sacré . masse des laïcs. De nombreux livres se fustingue du profane, mais le sont écrits en langue populaire ; le sentiment religieux s'individualise, théâtre, le sermon public enseise fonde sur l'aptitude religieuse de gnent les auditeurs. Deux modèles la personne. De telles idées, pro- se proposent à une très large élite : pagées et simplifiées par les Ordres le clerc, type idéal de la conquête Mendiants, offrent au peuple un intellectuelle, et le chevalier, type

Paradis terrestre.

tance de l'élue, une véritable stratégie. Au domaine de la foi se joignent les domaines de l'imagination profane et de la lucidité rationnelle. Ainsi, pour' reprendre le titre du livre, naît un nouvel humanisme. Quelles en sont les conséquences pour la création artistique? La situation sociale de l'artiste, d'abord, ne paraît pas modifiée. Il demeure un fournisseur, qui reçoit des commandes ou appartient à la domesticité d'Un puissant, ne pos-

Il> 17


SUZANNE ALLEN:

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le lieu commun~'~

Un siècle méconnu: le XIVe

roman: • • • • • •

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UN GRAND SUCeES LITTERAIRE ~

SORTII DI SICOURS par Ignazio SILONE « ... Un révolté, qui 8e 8épare de M08cou dè8 1931 ; un érudit; un de8 grand8 écrivain8 de ce temp8 , » Gilles LAPOUGE (Le Figaro Littéraire) « .•. Il faut lire et méditer ce8 page8, toute8 pénétrée8 d'antique8 certitude8 nouvellement redécouverte8. » Henri LOUETTE (La Croix) « ... Mai8 ce qui frappe, ici, c'e8t l'humour, 8i rare chez les idéali8te8. Et la lucidité aU88i . Il Françoise GIROUD (L'Expre88) « .. ,Dan8 ce livre, trè8 fouillé, d'une grande riche88e, n08 intel- . lectuel8 trouveront de 8alutaire8 leçon8. Il Maurice LIME <Liberté)

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sédant que la liberté de son langage propre, de son style. Cette situation subalterne pourtant se modüie dans la mesure où la clientèle s'élargit à de nouvelles couches sociales. Aux clercs et aux princes, commanditaires traditionnels, les premiers cédant d'ailleurs l'initiative aux seconds, s'ajoutent maintenant des hommes d'affaires, des financiers, des négociants, des notables enrichis par les circonstances des guerres et par la concentration des richesses consécutive à la dépopulation. Ces parvenus, entichés eux aussi de « Clergie» et de « Chevalerie»; veulent agir comme les clercs et les princes, les égaler. Ils sont soucieux de prestige. Ces nouveaux acheteurs provoquent sinon la création, du moins l'extension d'un commerce florissant: celui des œuvres d'art. Les amateurs récents sont moins avertis de la signification de cellesci: ils s'en remettent au marchand, qui demande à l'artiste des travaux de moindre hauteur intellectuelle, et surtout des œuvres où figurera la marque personnelle du client, des œuvres « personnalisées », dirait-on aujourd'hui. L'art, en conséquence, tend à la transposition d'une histoire: celle du Christ,

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tate: l'art n'est plus qu'en partie l'auxiliaire du sacerdoce, il épouse le mouvement du siècle: il se laÏcise. Son propos majeur (écrit M. Duby) n'est plus comme naguère de créer un espace accordé à la prière, à la procession ou à la psalmodie grégorienne, mais de montrer. Aussi la peinture, plus apte à proposer zme vision; se hausse-t-elle à ce moment même en Europe au premier rang des arts. L'art, en échappant pour une large part à la commande ecclésiastique, n'est plus que relativement l'une des formes de la liturgie de l'Incarnation. Pour autant qu'il s'insère dans la communauté des laïcs, ceux-ci fussent-ils croyants, des valeurs profanes le pénètrent. A titre d'exemple, la représentation du nu féminin se libère progrestraduction MARDRUS non expurgée : sivement des seules scènes où il • osait se manifester comme aspect A cOté de la Bible et des poèmes homériques, la troisième mboli d ' h; d 1 f grande œuvre collective de l'humanité a sa place marquée • sy que u pec e, e a soudans toutes les bib 'iothèqlies. Sindbad, Aladin, A:i Baba, . • france, de la Justice céleste: la ont enchanté notre enfance. Mais la splendeur poétique, la gaieté truculente et "érotisme naïf de ces contes mer- • Faute originelle, le martyre des veilleux, n'ont été révélés que par la traduction non édul- • Saintes, la résurrection des défuncorée du Dr Mardrus. En voici enfin le texte intégral dans la grande édition que • tes au jour du Jugement. Dès 1415, nous attendions: 8 volumes 16 x 21. sur vergé pur fil, illustré • de tOO compositions décoratives en six couleurs, somptueu- • les frères de Limbourg, dans les se reliure pleine peau rouge, trancnes dorées, rehaussée Très Riches Heures, évoquent un d'or et de couleurs, qui évoquent rubis, émeraudes et • perles roses . • jardin de Paradis dont il ne paraît La Librairie PILOTE peut encore, pendant un cours délai, ' 'Ad E . appliquer un prix de souscription extrêmement réduit pour • guere qu am et ve SOIent trop cet ouvrage de haute bibliophilie: 880 Fies 8 volumes au • désespérés d'être exclus! On s'achelieu de 1.000 F,le prix de chaque tome(110 F au lieu de 125 F) n'étant versé qu·à sa parution, (un tome tous les 2 mois) . • mine vers l'Eve toute vénusienne Le tirage étant strictement limité à 7.000 exemplaires, • que Ghiberti, vers le milieu du demandez-donc d'urgence à la Librairie PILOTE 22, rue de • Grenellerune documentation gracieuse ou, mieux, l'envol siècle suivant, sculptera sur les BON il découper ou à reco- Immédiat, pour examen gratuit, avec droit de retour dans • pier et à adresser à la Lib;airie les cinq jours, du tome 1 qui vient de paraTtre. Vous ne ris- • portes du baptistère de Florence. querez pas, ainsi, de laisser échapper une édition que les • Enfin, p·arce que les nouveaux méPILOTE,22, rue de Grenelle, bibliophiles vont se disputer et qui prendra .Qrement une _____·.;,P.;,A:.:.R.:.:/.:;S~7;.._----- très grande valeur. cènes tiennent à se montrer et à • montrer leur réussite, le portrait -:-...:: ::dr::er~u;::m:;-g-;;;;'ir- - - - - - - - - - - - - , •• laïc devient un genre florissant.

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aUSSI que e portraIt, pein sculpté, répond à une volonté de survivre, où M. Duby décèle un OU

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vivre malgré la mort, car la crainte de celle-ci obsède alors les hommes. Ils se préoccupent de la pompe de leurs funérailles, s'assurent de messes innombrables pour leur salut, font édifier leurs tombeaux. L'art funéraire se développe, se transforme. Naguère la chapelle était un lieu clos réservé au Roi ou aux grands dignitaires. Désormais les riches particuliers désirent posséder la leur ; ils la font édifier aussi près que possible de l'autel, si possible dans l'église, avec l'espoir 'de bénéficier de la sainteté du lieu. La chapelle, où l'on priera « comme chez soi», indique bien le caractère individualiste pris par la foi. D'autre part, on pose de son vivant pour la figure que portera le tombeau, figure de préférence représentant une action. Nous nous éloignons des gisants d'autrefois, pétrifiés dans l'image de force et de paix qu'ils devaient présenter lors du Jugement. La mort tourne à l'éloquence. L'artiste exprime le caractère particulier de chaque défunt. Le Christianisme, en se vulgarisant, choisit les images les plus proches du simple croyant: la Nativité, la Crucifixion, la Piéta. En elles, rien qui ne soit connu, familier, fraternel, voire éprouvé. La Passion, d'ailleurs, est vécue dans les processions et les « mystères ». Rappelons-le, le XIY' siècle est tenté par deux imitations : celle de Jésus-Christ, justement, et celle des Preux, qui provoquent deux imaginaires: l'un de dévotion, l'autre de chevalerie, dont les traits parfois se mêlent. L'un comme l'autre constituent la thématique générale de l'art. Pour ceux qui ne possèdent pas les moyens de se procurer peintures au reliefs, la xylographie offre des images peu coûteuses. Le XIY' siècle découvre ce que nous croyons avoir découvert : la civilisation de l'image. Bientôt, comme le note M. Duby dans les dernières lignes de son livre, la véritable nouveauté va siéger ailleurs. Elle se manifeste au XY· siècle lorsque Jean Yan Eyck peint le portrait de sa femme non plus comme une princesse, une allégorie, la Yierge, mais comme une image à lui seul proposée. Ce jourlà, l'artiste de cour accédait à l'indépendance. Il avait conquis le droit de créer librement, pour son plaisir. Cette accession à l'indépendance, le XIY' siècle n'avait cessé de la préparer. Il annonçait les temps modernes. Dans son double mouvement de vulgarisation et de laïcisation se profilait la création artistique d'aujourd'hui. En fait, l'artiste est déjà responsable de son destin et du destin de son art. Max Pol Fouchet 1. M, Georges Duby est professeur d'histoire du moyen âge à l'Université d'AixMarseille . .on ne saurait trop louer l'ordonnance de la collection « Art Idées Histoire », où paraît son livre, Les chapitres sont suivis par des post-scriptum qui annoncent et commentent les planches en couleurs ou en noir, Une · telle édition est d'une remarquable cohérence.


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BILOSOPBIE

les Une JD.odernité d'hier:• romans •

Alexis Philonenko La liberté humaine dans la philosophie de Fichte Vrin éd., 352 p. ' .1

Théorie et Praxis dans la pensée morale et politique de Fichte en 1793 (à paraître aux éd. Vrin). J.G. Fichte est un penseur difficile. Jusqu'ici, deux historiens français de la philosophie lui avaient consacré des travaux remarquables, chacun en leur genre - : Xavier Léon, qui avait analysé minutieusement les rapports du Fichte et de son temps, dans une œuvre monumentale que son ampleur et sa méticulosité même rendent difficilement lisible; Martial GuérouIt, qui avec la remarquable méthode critique qu'on lui connaît, avait essayé de retrouver, sous la diversité des expressions et des objectifs, la ligne profonde de la métaphysique fichtéenne et de déterminer rigoureusement son ordre. Alexis Philonenko a, en apparence, une ambition plus modeste: les thèses qu'il vient de soutenir à la Sorbonne portent sur les œuvres de jeunesse du, philosophe. La thèse principale: la liberté humaine dans la philosophie de Fichte n'analyse, au fond, que la première doctrine de la science telle qu'elle se présente en 1794; quant à la thèse Théorie et complémentaire, Praxis dans la pensée morale et politique de Kant et de Fichte en 1793, elle se contente d'étudier les réactions comparées du vieux maître de Kœnigsberg et du jeune disciple, déjà si épris d'absolu qu'il est prêt à briser l'enseignement du professeur, face à cet événement que fut la Révolution française. Est-ce là une bonne façon d'accéder à une pensée ondoyante et rigoureuse, de casser « ce masque de pierre » que Fichte voulut imposer, de nous rendre plus présente une œuvre qui, de Hegel aux néo-kantiens en passant par le socialiste Lassalle, a pesé d'un si grand poids sur le développement de l'idéologie allemande? 11 . est, en tous cas, .c ertain. que le titre de la thèse principale de Philonenko est mal choisi. Comme le faisait remarquer Ferdinand Alquié, lors de la soutenance, ce n'est pas du concept théorique de liberté, tel qu'il est légué par la métaphysique classique, .qu'il est question dans ce texte, à la fois savant et plaisant. Ce dont il s'agit, c'est de la possibilité d'une philosophie transcendantale, c'est-à-dire d'un discours efficace et rigoureux rendant universellement compte de la diversité écumante de l'expérience et produisant, de ce fait, l'intelligibilité que la pensée réclame. Au fond, si les sottes exigences de la forme universitaire ne l'avaient pas contraint, c'est plutôt la nouveauté,

la modernité étrange et inquiétante de Fichte de Philonenko aurait dû évoquer. Car tel paraît bien être son propos. S'il s'est intéressé à Fichte, à ce « premier Fichte », philosophe bouleversé à la fois par la révolution théorique qu'avait apportée Kant et par la révolution historique dont il suivait, dans les gazettes, les drames et les progrès, c'est qu'il a cru voir en lui le premier penseur moderne, le premier théoricien ayant à sa disposition les concepts lui permettant de rompre, plus sérieusement et plus réellement que ne le faisait Kant, avec la tradition occidentale. Cette hypothèse selon laquelle, conjointement, les Contributions destinées à rectifier le jugement du public sur la Révolution française et les Principes fondamentaux de la théorie de la science dans son ensemble textes de 1794 - représentent l'effort le plus lucide pour récupérer . l'héritage de la métaphysique afin d'aller au-delà, vaut d'être suivie. La rigueur de l'analyse de Philonenko nous en convainc aisément. Mais, au vrai, il ne s'agit pas de décerner à Fichte le prix de la nouveauté mais, plus sérieusement, de savoir en quoi il est nouveau et pourquoi il anticipe. La lecture qu'on donne habituellement de son œuvre - largement inspirées par l'interprétation qu'en a donnée Hegel dans les célèbres pages de la Phénoménologie de l'Esprit en fait le héraut de l'idéalisme absolu, le théoricien du « Moi = Moi » compris comme le pôle de toute réalité et créant, de par sa propre spontanéité, l'opposition dont sortira l'alté:âté du monde. Telle n'est pas la signh:ication primordiale que Philonenko attribue à la première version de lli doctrine de la science. Cette dialcctique du Moi est, selon lui, une description de l'illusion ou, mieux, une logique de l'erreur qui vise à détruire, en particulier, cette identification du Moi et de Dieu. La grande rupture théorique entre Kant et Fichte est précisément celle-ci': le premier vise à ·fonder une nt,uvelle métaphysique; le second leut écarter toute métaphysique aün cl'accéder --enfin! - au monde hUl'J.ain. N'entrons pas dans le délail d·~ la démonstration: il suscitera, n'en doutons pas, bien des polémiques. Retenons seulement deux idées majeures qui intéressent directement la pensée contemporaine. En premier lieu, celle de l'évidence de l'existence d'autrui. S'il faut traverser la métaphysique, c'est pour en revenir à cette donnée sans laquelle le droit et la pratique concrète sont dénués de sens, sans laquelle l'entreprise métaphysique elle-même est absurde. Celleci suppose le langage: or, le fait du langage renvoie à l'existence de la communauté humaine: L'arti. vité réciproque médiatisée par rle.ç signes est la condition de l'humanité; seul l'homme n'est rien: l'homme en fait constitue une com-

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de

Ilautomne

munauté. Si donc il est assuré que des hommes existent, alors il faut • qu'il existe des signes; et, en effet, • là où se trouve un homme, il en • est d'autres et grâce à la médiation • des signes ils sont en liaison réci- • proque par concepts. En son sens le • plus large, cette relation récipro- • que est langage et sans celui-ci • l'homme ne pourrait être. Certes le • développement ultérieur de cette • communication par les signes est • chose contingente. Toutefois l'on : peut dire que le langage est inné' • en l'homme; je veux dire: le lan- • gage appartient absolument à l'es- • sence de l'homme. Et Philonenko, • CHEZ se fondant sur des textes analogues, • ROBERT LAFFONT précise: dire qu'autrui existe et • que nous communiquons, c'est là • une affirmation qu'il est peut-être • difficile d'établir philosophique-. ment, mais qui, en elle-même, n'est • PROCHAIN EPISODE assurément pas philosophique. 1 par Hubert Aquin

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Au fond, la réalité de la com- • munauté humaine préalable à . l'exercice de toute activité théori- • que renvoie à une évidence plus • profonde encore : . celle de la vérité • sur laquelle s'appuie la pensée com- • mune, juge en dernier ressort. Voi- • ci, à ce propos, ce que n'hésite pas •. à écrire Fichte : On pourrait admet- • tre qu'il existe trois niveaux du • savoir, tout de même qu'il existe • trois niveaux de l'hu'manité: celui • de l'innocence, celui de la cul- • ture, celui de la perfection. Le pre- • mier niveau du savoir est l'état de • nature en lequel l'homme s'aban- - • donne à l'expérience sans ratioci- • ner. Nous ne prétendons pas qu'un • tel état se présente dans l'histoire. • Dans la deuxième époque du sa- • voir humain, on ne veut plus se • fier au témoignage des sens et l'on • expose ce doute avec un intérêt par- • ticulier; de ce fait, on travaille à • la philosophie et l'on est sur la • voie. La troisième époque, en la- : quelle la philosophie existe effecti- • vement, est celle où l'homme, grâce • à la philo.sophie, revient à la. croyance en l'expérience; l'huma- • nité est alors reconduite à son point • de départ. :

Bref, au-delà de la critique kantienne, le moment ' est venu de donner son vrai poids à l'intuition leibnizienne: il s'agit de comprendre 'comment s'organisent et symbolisent les sujets qui ' pensent et qui parlent. Celui dont on a fait l'apôtre d'un solipsisme réflexif .ne tend, en réalité, qu'à légitimer la vie empirique de l'homme dans le temps. Et cette légitimation débouche,. en fin de compte, sur une assompti0!l' libre, délibérée et espérante, de l'ordre moral du monde: ... ce n'est pas le savoir qui assure l'existence, car il n'y a pas un savoir tel qu'il nous assure de l'existence du monde, ,. parce que nous l e creenons en un acte absolu, c'est la croyance en notre destination, source fondamentale du temps, qui nous lie au monde et au Non-Moi. La vérité de la conscience, qui la rattache aux autres consciences, c'est donc l'espoir. ~

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LA VILLE DES FOUS 1

par Michel Bataille

LE BRUIT DES AMOURS ET DES GUERRES par Luc Bérimon t

LES LANCES DE JERUSALEM par Georges Bordonove

LES PORTES par Danie l Boul anger

C'EST MOZART QU'ON ASSASSINE par Gilbert Cesbron

L'HERCULE SUR LA PLACE par Bernard Clavel

LE REBELLE SUR LES COLLINES par Gérard Delm ain

APRES LA GUERRE par Silvain Reiner

L'ETOILE DES BAUX par Jean Séverin

LES TEMPS DU CARCAJOU par Yves Thériault

LE MAS DE COCAGNE par Nicole Vidal

ROBERT LAFFONT 19


SOCIALISME

« Producteurs, unissez-vous! »

Une ,modernité d'hier

Ce n'est pas le savoir comme mé-

C.H. de Saint-Simon moire et remémoration spirituelle. Œuvres, 6 vol. La seule source de vérité est la foi Reprod. anastaltique et, comme le voulait Luther, la véde l'éd. Dentu (1868). ritable théologié est' pratique. ' Anthropos, éd. Les analyses de la thèse complémentaire confirment, par un autre point d'application, c,ette optique Sire ... Je suis le cousin du duc d'ensemble. Elles montrent, dans de Saint Simon .•. J'étais colonel du ,une suite concordante 'de confronta- régiment d'Aquitaine au moment ,tions, comment la modernité agres- de la révolution; je meurs de faim. sive de Fichte, qui trouve ep. Rous- Les " événements politiques m'ont seau à .la fois une justification et ruiné, la passion de la science m'a ~n repoussoir, s'oppose au classiréduit à la misère... cisme de Kant, beaucoup plus utoL'homme de quarante-trois ans piquement partisan de la Révolu- qui adresse ce Ç( placet» à Napo:'t ion française" que ne le laissent léon descend en ligne directe de supposer les textes ,et les anecdotes Charlemagne, en passant, par l'auqu'utilisèrent ses adeptes. Les poli-, teur des Mémoires. Il est en train 'tiques' trouveront, dans cette dé~ d' « inventer» la sociologie - et monstration claire et précise, des le , 'socialisme. Mais nous sommes références surprenantes et il est àen 1813, les armées alliées envahissouhaiter qu'elle soit publiée au sent la France et Napoléon n'aura plus vite (elle n'existe actuellement pas le temps d'aider ce singulier que sous la forme d'exemplaires quémandeur ... dactylographiés qu'on peut consulUn grand sèigneur, donc. Il apter seulement à la bibliothèque de partient à cette curieuse génération la Sorbonne). qui produit à la fois les aristocrates , Fichte, initiateur de la pensée qui vont aider à la naissance de la contemporaine ? L'interprétation « première jeune n!ltion » en Amésavante de 'Philonenko pose, au 1 rique et les intellectuels qui seront moins, deux problèmes. Un pro- lès doctrinaires de la terreur: blème historique, d'abord: il n'est Saint-Simon, Chateaubriand, Saintpas tout à fait sûr que l'auteur de Just, Robespierre sont presque des ce travail sur la Liberté humaine contemporains. , , dan,s la plJ,ilosophie de Fichte ait Du moins, chez Saint-Simon, très établi que toute l'œuvre de l'auteur tôt, se fait jour une , préoccupation Ile la Doctrine de la Science soit qui déborde l'événem.ent historique déterminée' dans ses principes dès ou la politique :" «"]13 'suis entré au 1794. Posons; à ce propos, une service en 1777. Je partis pour question naive: à quelle économie l'Amérique en 17,79; j'y ai servi interne correspond cet étrange et ,sous les ordres de ' M: de Bouillé fascinant Discours à la, Nation ' al- et sous ceux de Washington. A la lemande, de douze ans postérieùr, paix, j'ai' présenté aU ' 'vice-roi du qu'ont utilisé, depuis lors, gauche Mexique le prbjet d'établir' entre et ' droite allemandes pour exalter, les deux mers Une c'ommunicatio'n chacune à leur manière, le panger- possible...». Alors qtre ' son camamanisme? Comment s'ordonnent, rade Chateaubriand s'abandonne à alors et maintenant, jacobinisme et la rêveuse contèmplatioti. des paypro~stantisme ? sages du Nouveau ' ~onde, 'SaintUn problème idéologique, en- SiIl1-on, lui, pen~ ' il 'les modifier: Il n 'y réussit guère d'ailleurs: suite, plus important sans doute. I~ n'est pas évident que les ques-j son projet n'intéresSe personne. Il tions dites concrètes - celles de rentre en France, pàrt'pour la Holla relation , interhumaine, de la lande, songe à participer à: une conscience commune, du déPasse-1 expédition en , Inde, ' puig, 'e n Espa, ment de la métaphysique au nom gne propose de creuset ' Un cinal de d'une. expérience humaine généri- Madrid il la mer. Mak la Réyoluqile soient ' précisément celles tion survient. qui déterminent la recherche con.. Sans la RévolutioD',,: jl ' 'est"'doùtemporaipe. Si Fichte définit , ieux que Saint-Simon ait"jainBis;été ayant' coup -:- une modernité, c'est autre chose qu'un fils de. fl\inille celle d,'hier. Fichte au fondement ' chimérique et farfelu; ' COJIlI!le' tous d'une phénoménologie plus ou les hommes de 'sa" génération, ,il moins e;xistentielle? Sans doute, danse, lui aussi « au-C),essus " du mais d~rmais nous préférons aux volcan»: une Société ' ~par~t qUi doctrines de l'espoir, la rigueur, entraîne sa ruine, cela va 'sauS' dir:e, un peu froide mais autrement ex8I- mais n'engendre chez lui 'ni' resseri'tante, du concept. La Théorie de la 1 timent , ni , haine, seulement -- ~é &ience l'indique aussi. A nous de immense passion de comprendre': faire le point , et il est certain que 1 comme il voyait ' dans " le "'paysage les li~es de Philonenko compte- , ! américain les lignes futures d'un ront 'dans la reprise - nécessaire monde ehange par l'effort cOlleclif - que nous avons à faire du sta- ' 'de l'homme, il cherche, ' .!Io~ l'evétut de , cette métaphysique oc,ciden- nement , historique, les forœs ', en talo-germanique qui, par delà le actions qui préparent :" ~' monde sort répété des armes, continue d'in- que l'homme n'imagilie"pas : encore~ fluer sui notre destin. " Durant la Révolution', il a Cl: vé, A quand le ' texte qui fera la cu», comme disait ' l'autie. Du preuve que le Discours à ùi; Nation moins a-t-il ,compris qu'une chaIl,ee allemande n'est, en aucun cas, une était donnée à une activité jusque œuvre de circonstance ? là méprisée, la spéculation indusFrançois Châtelet trielle. Il s'y livre sans grand bon-

heur: je désirais la fortune seulement comme moyen: organiser un grand établissement d'industrie, fonder une école scientifique de perfecticmnement... Mais il échoue. Alors, il rompt avec le nlonde et décide de devenir un savant: je conçus le projet d'agir d'une manière directe sur le moral de l'humanité, de faire faire un pas général à la science ... Cette science, il faut la connaître. Aussi parcourt-il l'Angleterre et l'Allemagne. Sans y trouver ce qu'il cherche: une connaissance positive des forces , qui sont en

que Ton peut organiser scientifiquement le bonheur collectif et individuel de l'homme. Bientôt cet isolé, cet autodidacte, trouve des disciples: une génération entière l'écoute. Certains de ses jeunes amis lui apporteront une vengeance posthume, comme Augustin Thierry qui fonde l'histoire positive, et Auguste Comte la sociologie. Surtout, le groupe des Saintsimoniens lui survit. Son nom devient un mythe. Avant d'évoquer le « spectre du ' communisme », l'Europe se laissera hanter par, celui du « saint-simonisme » ...

l,

20

Claude-Henri de Saint-Simon.

actioli: dans la transformation préSeIl,te ' des Sociétés européennes. Entre~teinps, il prend une chambre dèvantPEcole Polytechnique pour fréquëi:J.ter les professeurs et s'initier, à la p,h ysique des 'corps bruts; quand il en Sait assez, il déménage III va loger près de l'Ecole de Médecine.' , Qu'importe 1A misère ... Une préoccupation --plus grande l'habite: il ~rit; il adièsSe des rapports aux grands de 'ce monde, il tente ' d'agir 's ur l'opiDion par, la presse. Il sait :Ce ' qu'il veut: montrer qile ' les sociétés humaiD.es sont bouleversées par la production industrielle 'et

On vient de rééditer l'œuvre complète de Saint-Simon. Œuvre diffuse et saisissante à la fois. On y trouve la première ~Dauche de cette science de l'homme dont Durkheim disait que Saint-Simon n'avait pas seulement suggéré le programme mais qu~j1, avait cherché à le réaliser. , Et certes, on trouve déjà ici les termes de production de société industrielle, de classe, de prolétaires. Mais Saint-Simon n'a pas fait que nommer les réalités. Sa pensée s'est définie en figures, en configurations dont la forme et le sens ont été déterminants pour la réflexion ultérieure.


• ••

\it'nt dt, paraÎtrt'

• • •• • • • La première de ces figures consiste précisément à définir la réunion des hommes comme un être possédant son originalité propre et qui ne dépend point de la conscience individuelle ni, par conséquent, des mots que l'on peut uti- ' liser pour la réduire momentanément. L'expérience collective constitue une réalité spécifique dont il est malaisé de prophétiser le développement. Or, cette expérience (et ce serait la seconde des figures fondamentales de cette œuvre) est l'expression d'un effort collectif à la fois spirituel et matériel qui fait de la vie sociale l'aventure tour à tour malheureuse et épanouie de la liberté humaine. Que l'homme ait, depuis peu de temps, découvert et utilisé les forces que l'industrie mettait à sa portée, n'est pas séparable de l'ensemble des croyances et des espoirs que cette même activité entraîne avec elle : les hommes se donnent les dieux que leur puissance - ou leur impuissance mérite. Dans les sociétés traditionnelles sont apparues des classes nouvelles qui d'une manière ou d'une autre agissent par leur travail sur la nature extérieure par la production industrielle, tandis que les classes établies depuis des siècles se contentent, par le truchement de l'Etat, de dominer les hommes. Cet Etat doit donc se dissoudre dans la nouvelle société moderne. Mais, et c'est la qustrième figure de cette pensée souvent fluide, si nous voulons remplacer le gouvernement des hommes par l'administration des choses, il convient que les producteurs s'unissent en dehors des cadres des nations pour assumer les tâches d'un pouvoir politique qu'elles doivent briser, et pour organiser scientifiquement le système collectif des besoins et de la consommation. Alors commencera le monde moderne. Que ces figures de la pensée saint·simonienne aient profondément agi sur le siècle dernier et agissent encore sur le nôtre, comment ne pas le reconnaître ? Ne ,parlons pas seulement des «Saintsimoniens » dont les aventures parfois cocasses, parfois grandioses, ont tour à tour stupéfait et effaré l'opinion. On sait ce qu'Auguste Comte doit à une réflexion qu'il a malheureusement figée, en perdant le caractère perpétuellement dynamique. On sait moins l'influence de l'auteur du Catéchisme des industriels sur le jeune Marx dont G. Gurvitch a rappelé qu'elle fut au moins aussi forte que celle de HegeJ1. Les premiers maîtres de Marx, à commencer par son père, n'étaient-ils pas saint-simoniens? Quand il arrive à Paris, sous la conduite de Henri Heine, Marx ne réserve-t-il pas l'une de ses premières visites à la centrale « saintsimonienne » qui siégeait alors rue Tarrane? Surtout, certaines des ÏIgUres de la pensée de Saint-Simon

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De sang-r.·oid

ont aidé à structurer le système de • Marx. • Le plus surprenant n'est pas là. • Il est dans la polarisation qui divise • les héritiers de Saint-Simon: d'un • côté, des penseurs socialistes qui • estiment que la société industrielle • ne sera jamais équilibrée si les • « prolétaires» que le maître con- • fondait dans la classe des «indus- • triels» ne brisent pas l'Etat pour • organiser eux-mêmes le système de • la production et de la consomma- : tion. De l'autre, les «ingénieurs» . ' (nous disons aujourd'hui les «technocrates »), issus de ce que Ch. . \ Morazé appelle les bourgeois con- . ; quérants et qui, contre une société • encore mêlée de tradition, cher- : 1 chent à imposer leur dynamisme. . , Ils parviendront au pouvoir sous le • règne de celui ,q u'on a nommé un • Saint-simonien coutonné, Louis-· Napoléon Bonaparte. 8

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Curieux balancement dont on : ' trouve aujourd'hui encore les effets • dans la vie publique et qui dessine • un clivage aussi bien dans l'histoire· des idéologies que dans celle de la • politique. • - Dans un des Fragments de l'his- : toire de ma vie, Saint-Simon écrit: • une des expériences les plus im- • portantesà l'établir à faire dans sur del'homme· consiste nouvel- • 1 les relations sociales... Parcourir· ' toutes les classes de la société; se : 1

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le réalisme de l'amour

les limites de l'humain

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HISTOIRE 'DE L'AFRIQUE D U SUD

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BORIS VIAN la poursuite de la vie totale

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placer personnellement dans le plus • grand nombre de positions sociales • • différentes, et même créer pour les • autres et pour lui des relations qui' • n'aient point existé... • Texte singulier qui ne définit • pas seulement le projet d'une im- • mense (et jusque , là non encore • réalisée) sociologie de la société • présenteront la Foire Internationale vivante; car si nous pensons à ' . du Livre Francfort: Balzac dont on sait qu'il avait lu • Saint-Simon avec passion, ce texte • des romans : prend une valeur exceptionnelle: : ne définit-il pas la volonté plus • BRION • DORGEL~S • TOESCA • IKOR • B~SUS • ' expérimentale qu'imaginaire ou. F~RAY • RAGON • BRENNER • R. JEAN • conceptuelle d'un romancier qui • LONDEIX • SINGER • KALDA • PEZIN " . prend le dynamisme des situations • CONCHON • SABATIER. CURY • LE QUINTREC • multiples comme principe moteur • GARNUNG • Anne GREEN • SAINT-LÔ. DIERYCK • de sa création? Ne retrouve-t~n : : ROUSSELOT. CEILLlER ••• pas cette vocation dans la Comédie . ' des" Lettres Ouvertes" : humaine ? Et, bien plus tard, dans , . ' MAUROIS. ESCARPIT • ROMAINS • GARÇON • le Temps retrouvé, lorsque Proust ;. : SIMONIN • DALI ,. médite sur les changements sooiaux 1· , dont il a été le téinoin ? • de l'histoire: : Ce texte et quelques autres du :. l ' BENOIST-M~CHIN (Histoire de l'Armée Allemande) • 'hes pour la con-. • ' meme genre, SI nc PERNOUD (Aliénor d'Aquitaine) • GAUCHER (Les naissance de la création romanes- . ' Terroristes ) • . PEYROUTON (Histoire Générale du que, renvoient à ce qu'on troUft . , Maghreb) • TESSON (De Gaulle 1er) • M.-C_ VERCEL surtout dans l'œuvre de Saint Si- • . (Les Rescapés de ' Nuremberg) • CASSOU (La, mon: ...:..._une inspiration que l'on . : Découverte du Nouveau Monde)'- GRANDMOUGIN, appeIIera sociologique, si l'on don(Histoire Vivante du Front Populaire) • EMILEne à ce mot un sens large et riche, . ;; LAURENT {L'Autrichienne) ••• si l'on n'emprisonne pas cette •. : de grandes collections: vocation dans quelques pédantes et • , HISTOIRE DU XX- SI~CLE • LE M~MORIAl: pointilleuses enquêtes ni dans une '. Il DES SI~CLES • LA VAGUE • L'~VOLUTION DE conceptualisation bri1lante et figée. • ! L' HUMANIT~ • SCIENCES D'AUJOURD'HUI • Celle d'une interrogation penna- • 1 nente sur la révolution continue • ,: LES SAVANTS ET ' LE MONDE • PR~SENCES qui affecte les sociétés humaines, DU JUDAISME • SPIRITUAUT~S VIVANTES • L'ART DANS LE MONDE • CIT~S D'ART••• celle de l'aventure de la liberté, tantôt hésitante ou freinée, tantôt triomphante ...

LES EDITIONS ALBIN MICHEL

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Jean Duvignaud •

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1. La Physiolo~ sociale de Saim Sï.on, • P.U.F. et Sociolo~ de MaT~, CD.U. •

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INFORMATIONS

POLITIQUE

ProblèDles du Tiers-Dlonde Un phénomène particulièrement intéressant : le développement inattefldu de la vente des ouvrages en langue originale, en France, depuis l'importation massive des livres de poche. Sur un million d'ouvrages étrangers, vendus dans le texte cette année, quelque 700.000 le sont en format de poche. Le marché fait actuellement l'objet d'une lutte sévère entre éditeurs étrangers. En effet, par l'intermédiaire des deux grands distrlbuteurs-importateurs, ' la librairie Nouveau QUartier Latin qui avait pris des initiatives audacieuses dans ce domaine, et la librairie Hachette, on avait Importé en France. en 1965, environ 3OO.000' lIvres de poche américains, 200.000 anglais, 50.000 allemands et 50.000 espagnols. Les chiffres globaux pour 1966 ,seront en nette augmentation (à peu près 20 %).

Mais. ce' qu'il importe de noter c'est que, pour. la première fois, les éditeurs anglais' sont en train ' de prendre la tête {même pour les ouvrages d'auteurs américains). Jusqu'à' une date récente, les éditeurs américains d'une œuvre originale, cédaient d'abord les droits d'édition de poche à leurs compatriotes et les Anglais n'obtenaient ces droits qu'avec plusieurs mois de retard. Mais les Britanniques, en raison de l'Importance croissante du marché européen, ont fait, dernièrement, de très gros efforts, couronnés de succès. Pour être sûrs de gagner la • course à l'Europe., les éditeurs de poche britanniques vont même parfOiS jusqu'à imprimer les ouvrages d'avance, sitôt les droits acquis, pour les lancer sur le marché dès la parution aux Etats,Unis. Ils bénéficient en outre de deux avantages : des frais , de port moins élevés 'et des délais de livraison plus rapides. Enfin l'achat des droits • de poche. est nettement plus onéreux pour l'éditeur américain que pour l'éditeur anglais qui bénéficie de , conditions spéCiales étant donné l'exiguïté suppoSée de son marché. , .. En conséquence, le prix du livre ,de ' poche britannique est beaucoup moins élevé en France que celui du même livre imprimé aux Etats-Unis. Devant cette situation, les éditeurs d'œuvres originales aux Etats-Unis ont commencé à rectifier leur politique vis-à-vis des Anglais, quant à la vente des droits; en outre, pour récupérer le terrain perdu, 'les éditeurs américains de livres de poche corrnnencent à vendre en Europe à des prix-export, inférieurs aux prix américains. De toutes façons, la clientèle traditionnelle des œuvres en langue étrangère s'accroît à un rythme très rapide en France. On distingue quatre catégories de lecteurs : les touristes (qui achètent surtout des poliCiers et de la science-fiction) ; les résidents (intéressés par les nouveautés et les succès du jour); les étudiants (acheteurs de claSSiques) et une nouvelle catégorie, celle des cadres qui prennent des cours d'anglais pour parfaire leur qualification et lisent des livres faciles et de culture générale en vue d'améliorer leur vocabulaire. Anne Warter ,2 2

La HatHme.

Albert-Paul Lentin La, lutte tricontinentale Maspéro, éd., 330 p.

conférence

trioontinentale,

qui s'est tenue du 3 au 15 janvier dernier à La Havane, a eu moins de retentissement que celle de Bandoung en 1955. Il est vrai qu'entretemps le tiers-monde a éclaté. A Bandoung, réformistes et révolutionnaires se côtoyaient dans l'espoir et la confusion. A La Havane, où seuls les mouvements révol!J.tionnaÎi'es et les gouvernements progressistes étaient représentés, la confusion était moindre et les espoirs plus limités. Entre-temps la plupart des pays coloniaux avaient accédé à l'indépendance politique, sans sortir du sous-développement. La plupart d'entre eux s'y enfoncent. Et cela à double , titre: par rapport aux pays industriels et par rapport aux biens de consommation disponibles par "tête d'habitant. Cette double distorsion a été étudiée par les représentants des mouvements révolutionnaires d'Asie, ,d'Afrique et d'Amérique latine, réunis à La Havane en vue d'élaborer une stratégie anti.-impérialiste commune. L'objet du livre de Lentin est de faire le bilan de cette rencoptre. Len~n constate que l'aide auX pays sous-développés est sans commune mesure avec leurs besoins, que, bi- ou multilatérale, diffusée par des organismes nationaux ou internationaux, elle favorise la bourgeoisie locale naissante et" surtout, apporte aux pays industriels, acheteurs des matières premières et de denrées tropicales, des profits considérables qui dépassent le plus souvent le montant de l'aide accordée l • Car, l'aide publique, et, a fortiori, les investissements privés, vont de préférence aux pays qui offrent des garanties de sécurité et où la liberté de mouvement des marchandises et des capitaux est suffisante pour assurer la réalisation et le transfert des bénéfices. Dans cet imm~nse village mondial, les paysans, ces nouveaux « damnés de la terre »2 forment, selon Franz F~on, une classe radicale par excellence. Erreur théori-

que, répond Lentin, qui applique aux mouvements révolutionnaires du tiers-monde les schénias classiques du marxisme-lélu,nisme. Il doit re~onnaître cependant que ces schémas s'adaptent mal, que le prolétariat urbain joue un rôle subalterne dans les pays agraires où prédomine la guerilla, cette forme typique de l'action paysanne. 'Quelles qu'en soient d'ailleurs les motivations théoriques d'inspiration socialiste, la révolution qui s'y déroule ne s'attaque aux structures bourgeoises des villes que dans la mesure où elles s'imbriquent intimement aux structures semi-féodales des campagnes. . Franz Fanon avait tort de condamner sans rémission, pour crime de réformisme et de complicité avec l'impérialisme, les classes ouvrières des pays capitalistes. Il avait tort d'attribuer une innocence originelle et, partant, LA vocation révolutionnaire à la paysannerie des pays sous-développés. La conférence tricontinentale, malgré ses emportements et, peut-être ses illusions, n'a pas donné dans cette utopie néorousseauiste. Elle a affirmé la nécessité de coordonner la guerilla paysanne avec la lutte des travailleurs des villes; elle a adm~ le bien-fondé de l'action légale comme de la lutte révolutionnaire. Elle s'est tenue, cependant dans ses résolutions, à des formules, à notre gré, trop générales et trop uniformes. Lentin lui-même, tout en s'efforçant de respecter l'orthodoxie léniniste, constate le décalage entre les prévisions théoriques et la marche des événeIllents. Il reconnaît que deux des caractéristiques principales de l'impérialisme, formulées par Lénine, d'après Hobson, en 1915, ne correspondent. plus à la réalité. En effet, l'exportation des capitaux dans les pays sous-développés n'a pas pris le pas sur l'exportation des marchandises et le partage du monde n'a pas engendré, depuis la défaite hitlérienne, de nouveaux conflits guerriers. Bien au contraire, les échanges entre les pays industriels sont plus fréquents qu'entre ces mêmes pays , et ceux du tiers-monde et l'exportation de mar-

chandises vers ces derniers prime l'exportation de capitaux. En même temps l'impérialisme devient collectif, international, sans surmonter pour autant ses antagonismes internes. Il à acquis des traits particuliers, sans changer de nature, comme le capitalisme qui s'est montré lui-même à l'épreuve plus solide et plus souple que prévu. Il a su utiliser certaines techniques de prévision et de planification économiques, tout en con- ' servant et en perfectionnant le mécanisme du marché. De même, le colonialisme de type ancien s'est transformé en néo-colonialisme, mettant fin aux normes les plus choquantes d'oppression nationale. Ces constatations faites, la voie révolutionnaire est-elle la , seule qui permette de surmonter lè sous-développement ? Lentin le croit, prenant à son compte les décisions de la Tricontinentale. Toutefois, il n'exclut pas la voie pacifique, bien qu'elle lui paraisse peu. probable. Il insiste lui-même sur l'importance que revêt pour les pays industriels le quasi-monopole des matières premières que détient le tiers-monde et qui peut devenir, dans une situation nouvelle, un facteur de force, alor!\ qu'il est maintenant un élément de dépendance et de faiblesse. L'équilibre de la terreur entre l'URSS et les USA, s'il n 'est pas absolu, est suffisant pour laisser aux puissances moyennes et aux pays non-engagés une plus large liberté de manœuvre. Nasser a su en profiter ainsi que de Gaulle. D'autres pourraient s'en inspirer pour obtenir de meilleures conditions d'aide, pour imposer la stabilité et la rentabilité des prix des matières premières, voire pour s'affranchir de la domination du capital étranger. Tous les problèmes du tiers-monde qu'a abordés la Conférence tricontinentale n'en seront pas résolus pour autant. Mais la tendance pourrait être renversée et amorcée la difficile sortie du sousdéveloppement. Victor Fay 1. Pierre Jalée Le Pillage du Tier&Monde, Maspéro, éd. 2. Ma..'}léro, éd.


SOCIOLOGIE

Le JD.ur invisible Kenneth B. Clark Ghetto noir Robert Laffont, éd. 328 p. Claude Brown Harlem ou la Terre promise Stock, éd. 464 p. Un mot revient souvent dans l'étude que le sociologue noir Ken· neth Clark vient de consacrer au ghetto noir, c'est celui d'évasion : toute minorité opprimée ne treuve sa raison de vivre que dans l'espoir d'un cc ailleurs» plus ou moins mythique. Jusqu'au jour où il n'y a plus d' cc ailleurs » et où les problèmes doivent être appréhendés di. rectement, sous peine de mort. Quand les Noirs du Sud des Etats-Unis · émigrèrent en masse vers les grandes cités du Nord, ils allaient vers cette Terre promise qui leur était annoncée depuis toujours dans le seul lieu où le mythe de l' cc ailleurs » était constamment entretenu l'église. Quand les Noirs du Sud montèrent dans le train pour Chicago ou New York, tous se souvenaient du Negro-spi. ritual tant de fois chanté : Go tell it on the Mountain To let my people go. Et ils arrivèrent à Harlem. Ha!'lem, pour nous, Européens, c'est un endro~t folklorique qui a les couleurs des romans de Chester Himes ou des compositions de Duke Ellington. Ghetto noir et Harlem ou la Terre promise viennent nous donner une image un peu différente de ce quartier. Le projet comme le propos des deux auteurs sont différents : l'un entreprend une étude sociologique qu'il veut objective, l'autre raconte sa jeunesse et son adolescence. Les deux hommes, par formation comme par tempérament, sont à l'opposé l'un de l'autre. Kenneth Clark est l'in· tellectuel américain type, plein de scrupules et tout encombré de principes ; Claude Brown est un enfant . de la rue, cynique et essentiellement pratique. Pourtant leurs livres sont complémentaires : l'autobiographie de Claude Brown est à chaque page l'illustration concrète de l'étude de Clark. Cette « terre promise » rêvée par les Noirs du Sud, c'est, en fait, le bout du monde. Clark nous présente ses dossiers. Ils sont bourrés de chiffres et l'on sent, non sans irritation, derrière chaque chapitre, les fiches I.B.M. dont les Américains sont si fiers. Mais le bilan est éloquent : Harlem est un ghetto replié sur lui-même, où 232.792 personnes vivent sur neuf kilomètres carrés soit une moyenne de 25.866 habitants au kilomètre carré, où l'habitat se délabre quotidiennement, où l'instruction est né· gligée, où le pouvoir est exercé par des hommes qui ignorent le ghetto, où les puissances économiques extérieures à Harlem pressurent le peuple. Sans parler de ce mur invisible que personne ne peut franchir en· tre Harlem et le reste de la ville. Et pourtant, pour que cette masLa Quinzaine littéraire, 15 sepfembre 1966

se d'hommes puisse vivre, il lui faut encore l'espoir d'une évasion. Beaucoup mieux que l'étude de Clark parce que beaucoup plus incarné, le roman de Claude Brown rend perceptible l'évolution du comportement des Noirs de Harlem depuis l'émigration des Noirs du Sud. Comme dans tous les quartiers sous-développés, l'éva. sion se concrétise d'abord dans la violence : c'est par la force que, dans le dénuement, l'homme s'affirme. C'est le jeu des poings et des couteaux qui entraîne un clio mat de banditisme. Mais cette explosion de violence confinée aux frontières du ghetto ne peut être que temporaire : seulS quelques caïds dominent le groupe et ces caïds finissent un jour ou l'autre par connaître la prison. Pour tous les autres, la même question se pose : comment sortir du ghetto ? Comment sortir de cette noirceur qui vous colle à la peau ? C'est alors qu'est descèndu sur Harlem le plus sûr des «ailleur~) : l'héroïne. Claude Brown qui fut caïd de quartier et trafiquant de drogue, qui n'a pas froid aux yeux et qui n'est pas étouffé par les scrupules, n'en parle pas sans frissonner. Il a vu tous ses amis d'enfance tués par la drogue et il n 'hésite pas à appeler sa génération celle qui a trente ans aujourd'hui - la génération du fléau. Harlem a touché là le fond. L' « ailleurs » était définitif : c'était celui de la mort. Il ne restait plus aux Noirs qu'une solution : regarder la situation en face et tenter une évasion au delà du mur invisible, vers ces quartiers blancs dont l'évocation était devenue symbolique. C'est ce qui explique les explosions de violence dans les ghettos de toutes les villes des Etats-Unis (Harlem est le cas le plus exemplaire mais la situation fut étrangement semblable à Los Angeles ou à Chicago). Quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir, politiquement, sur ces émeutes, elles ont marqué le réveil politique des Noirs des grandes villes américaines. Et c'est en grande partie aux Black Muslims que ce réveil est dû. A travers leur logomachie et leur positions le plus souvent insoutenables, ils ont réussi à rendre à l'homme noir le sens de sa dignité. Ce n'est pas pour rien que des hommes comme Patrice Lumumba ou Malcolm X sont aujourd'hui reveres comme des dieux : c( Dans un sens, c'était pas une mauvaise chose que ce truc des Muslims débarque à Harlem, et gagne du terrain, parce que ça apportait quelque chose aux camés et aux prostituées. Quand un camé sortait de prison ou quand ü revenait de sa cure, c'était la règle qu'il revienne simplement dans les rues et qu'il recommence ce qu'il faisait avant. Maintenant, ce n'était plus pareil. ( ... ) Le mouvement Muslim les décrassait un peu, leur donnait à penser, les nourrissait de philosophie (si on peut appeler ça une philosophie) qui leur apportait un certain soutien moral. M ainte-

oont, ils savaient où aller. ( ••• ) Comme ça, tout le monde avait maintenant l'impression d'avoir quelque chose. Probable q~'un tas de types avaient été maltraités par leur patron blanc dans la journée, alors ils rappliquaient à la 7" avenue et ils entendaient des paroles qui les réconfortaient ». Paradoxalement, ces phrases sont de Claude Brown qui pourtant se garde bien, tout au long de son gros roman, de donner une ' con· clusion à son expérience. Kenneth Clark, à p~ de son dossier si précis, tombe dans l'idéalisme le

noncé (alors que Clark le connaissalt bien puisqu'il l'a interviewé devant les caméras de la Télévision américaines : ( voir Nous les Nègres aux Editions Maspéro), on ne peut s'empêcher de penser qu'un homme comme Clark souhaite surtout rester dupe et qu'il n'est pas si loin des libéraux blancs qu'il fustige. Le premier refus ' de Claude Brown, c'est justement d'être dupe. Ce garçon qui, après avoir , connu les maisons de redressement et la pègre du ghetto, s'apprête aujourd'hui à sortir diplômé en droit de l'université Howard, ne croit pas

Le ghetto noir de la Nouvelle-Orléans.

plus abstrait. TI est symptomatique que pratiquement toutes ses conclusions soient écrites au conditionnel. Nous l'avons dit, Clark est l'intel· lectuel américain type. Avec autant de passion que de naïveté, Clark veut croire à une solution optimiste, une solution conforme à r American Way of Life. Comme celle de James Baldwin, sa conviction a quelque chose de pathétique. Mais si l'on songe que dans un livre sur le ghetto noir, le nom de Malcolm X n'est même pas pro-

plus à l'intégration qu'à la révolte. Dans les rues de Harlem, il s'imposait à la force de ses poings ou par la ruse la plus . traîtresse. Dans le monde jUD.éricain blanc, il s'agit de s'en s~rtir par ses propres moyens. Et tous les moyens sont bons. Il n'a aucun complexe d'être noir. Mais il a su, un jour, que pour survivre, il lui fallait d'abord quitter le ghetto. TI n'avait pas le temps d'attendre que l'évolution politique fasse une brèche dans le .

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Le mur invisible

mur de Harlem. Une seule fois, il a été dupe : c'est au cours d'une aventure avec une jeune fille blanche. Mais il a compris. Et il est passé. Et il se débrouille. Aujourd'hui, le voici juriste et écrivain. Peut-être pas un grand écrivain d'ailleurs, à mi-chemin entre le parfait élève des écoles d'écrivain et le bon lecteur de Céline mais à coup sûr un écrivain à succès, ce qui, pour un Noir, est aussi une manière de s'en sortir. Il semble que ce soit une fatalité pour l'écrivain noir des Etats-Unis de commencer son œuvre par une autobio· graphie: ce fut le cas de Richard Wright, de James Baldwin, de Chester Himes (seul celui qui est peut-être le plus grand d'entre eux, LeRoi Jones, fait exception). Claude Brown n'échappe pas à la règle. Quant à nous, Européens, après la lecture de ces livres, ne cédons pas à la tentation d'avoir trop bonne conscience. Nous avons l'habitude de régler le problème noir avec un manichéisme abstrait et simpliste : le Blanc est le bourreau, le Noir la victime. Mais de nombreux signes sont là pour indiquer que nous ne sommes pas aussi purs que nous voudrions le faire croire. Et il faudra bien qu'un jour, un écrivain noir des Etats-Unis écrive ce constat de déception : « Paris ou La terre promise». Et ce jour-là, tous comme les libéraux américains, les voix seront nombreuses en France à penser que vraiment, ces Noirs exagèrent ... Jean Wagner Jean Wagner est l'auteur de la thèse : Les poètes nègres des Etats-Unis, publiée aux éditions Istra .

Mythologies

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Jean Cazeneuve Les mythologies à travers le monde Hachette éd., 351 p. Parti de la définition descriptive (positiviste) du Littré le mythe est un récit relatif à des temps ou à des faits que l'histoire n 'éclaire pas, et contenant soit un fait réel transformé en notion religieuse, soit l'invention d'un fait à Jean Cazel'aide d'une idée neuve s'attache à dresser un bilan des mythologie certes, mais aussi des interprétations qui en ont été fournies. Pour l'exposé historique et géographique, il fallait un critère de méthode. Pour justifier la séquence des parties, l'auteur choisit le facteur de la complexité sociale. C'est ainsi que l'archaïsme (la préhistoire, les primitifs d'Océanie, l'Mrique noire, les tribus indiennes d'Amérique, les anciens empires d'Amérique, l'Extrême et le Moyen-Orient), est suivi par les précurseurs de l'antiquité classique (la Mésopotamie et son voisinage, l'Egypte), l'antiquité classique elle-même, puis, en une quatrième partie, les inclassables, pour ainsi dire (Celtes, Germains, Slaves, Lituaniens et Finno-Ougriens). L'ensemble est très nettement européo-centriste, encore que, pour J. Cazeneuve, les mythologies se sont développées là uniquement où était vivace une croyance religieuse polythéiste. La cinquième et dernière partie - significations et interprétations - courte, mais stimulante, part de trois constatations : les mythologies sont en désaccord avec la prise de

conscience positive de la réalité; tous les peuples ont connu des époques de mythologies; entre cellesci, les analogies sont frappantes. Qu'est-ce à dire sinon que - pardelà l'évhémérisme, la mythologie astrale (Dupuis, Siecke, Lessmann, Winckler, Jeremias, Sticken, etc.) et l'évolutionnisme de Durkheim il y a des divinités et des histoires de dieux qui ne semblent rendre compte de rien - il y a un reliquat dont il faut rendre compte. Marie Delcourt pense que les mythes s'élaborent pour mettre en accord le cultt' des dieux ou des héros avec des rituels anciens qui lui ont été associés. Mircéa Eliade y voit des archétypes qui justifient les institutions sociales. La peur, certes, mais point la soi-disant fonction fabulatrice de Bergson. Il faut attendre Freud, Jung, Roheim, Desoille et Rank pour trouver, dans les avatars de l'enfance, le traumatisme de l'existence ou l'inconscient collectif, des sources plus profondes. Cassirer y voit une manière pour l'homme, tout à la fois de voir le monde comme une donnée dramatique, et de le rendre compréhensible et supportable, en le transmuant en images et symboles. Dès lors, R. Caillois peut parler d'une puissance d'investissement de la sensibilité dont il faudra pourtant étudier la genèse et les motifs d'évolution. C. Lévi-Strauss s'en approche qui, par une patiente classification, retrouve les significations de ce langage qu'est le mythe dans un contexte culturel donné (contrairement aux archétypes universels de Jung) - mais non dans le cadre d'une séquence historique bien déterminée. La meilleure étude, que

J. Cazeneuve met justement en relief, est celle de J.-P. Vernant, dans ses deux livres sur la Grèce antique: la mythologie grecque présente l'univers comme une hiérarchie de puissances qui a été maintenue en équilibre par un dieu souverain. Mais ( ... ), l'évolution intellectuelle, politique et sociale a conduit à concevoir l'ordre cosmique comme détaché de la fonction royale, de sorte que le panthéon grec est fait de contradictions dont l'ensemble présente une réelle cohésion. Nous sommes loin des fonctions et autres dispositions de l'homme (abstrait et étcrnel) ... Peut-on conclure .~ J. Cazeot'uve le fait en formulant des hypothèses: d'abord, les mythes sont un moyen pour l'homme de trouver une synthèse entre le fini et l'infini ( ... ), entre le besoin de se définir et le désir d'échapper à soimême; ensuite, ils reflètent à la fois des situations collectives et des tentat.ives pour résoudre des contradictions ou des conflits plus ou moins inconscients; enfin, à côté de cette dimension qui peut expliquer la présence de thèmes universels, l'histoire de chaque peuple fournit des possibilités de com plication, d'enrichissement et d'accroissement presque à l'infini. A l'infini... On débouche ici sur le temps présent, qui n 'est pas seulement un temps retrouvé, mais à la fois retour à l'authenticité par des voies surprenantes et défrichement des avenirs : Karl Mannheim se situe à la charnière de ce passé qu'évoque utilement J. Cazeneuve, et des avenirs, dont les analyses modèles d'un Jean-Pierre Vernant préfigurent la complexité. Anouar Abdel-Malek

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SCIENCES

ÉDITEURS

Ne1tVton et les infiniment petits Newton La méthode des fluxions et des suites infinies trad. par Buffon, Blanchard éd, 150 p.

Quiconque apprendra le calcul de l'Infini dans ce traité de Newton, qui en est la vraie source, aura des idées claires de la chose, et fera fort peu de cas de toutes les ob jections qu'on a faites, ou qu'on pourrait faire contre cette sublime méthode. Ces lignes terminent la préface de la traduction française d'une des œuvres maîtresses d'Isaac Newton. Elles sont de la main du traducteur lui-même: Buffon, dont on connaît en général assez peu les qualités de mathématicien le naturaliste avait alors trente-trois ans. C'est un fac-similé reproduit photographiquement que nous offre aujourd'hui la librairie scientifique Albert Blanchard, spécialisée dans la réédition des traités fondamentaux de mathématiques. Ce livre assez mince contient l'exposé de la notion de fluxion (dérivée, en langage moderne), son utilisation pour construire les tangentes aux courbes. le calcul des courbures, des aires et des longueurs, à l'aide des suites infinies (on dirait aujourd'hui: séries entières). Il s 'agit donc de l'essentiel du calcul différentiel et intégral, l'un des trois fleurons majeurs du plus grand génie scientifique du dix-septième siècle (également célèbre pour sa découverte de la loi de la gravitation universelle et sa théorie de la lumière). La traduction, datée de 1740, suivait de quatre ans l'édition originale anglaise. Newton était mort depuis treize ans, et le mannscrit - en latin - date certainement des années 1665 et 1666, capitales pour l'œuvre de Sir Isaac. Il avait dû quitter le collège de la Trinité de Cambridge en raison d'une épidémie de peste bubonique. Retiré à W oolsthorpe, il était dans le meilleur de son âge (vingt-trois ans) pour l'invention, et réfléchit aux mathématiques et à la philosophie davantage qu'il ne le fit par la suite selon ses propres mots; et réfléchir, pour Newton, signifiait atteindre une concentration supérieure, certainement, à celle des simples mortels. C'est pendant ce séjour qu'il découvrit, bien avant Leibniz, le calcul différentiel et intégral et l'attraction des corps (il démontra sa proportionnalité, soupçonnée par Hooke, à l'inverse du carré de leur distance; ici se situe la légende de la pomme). Mais, fidèle à une conception discutable de l'œuvre scientifique, il ne publia d'extraits de sa méthode - en dehors de lettres personnelles dont certaines à son ami Leibniz qu'en 1704 (en appendice à son optique), puis dans les Principia où il donna une apparence géométrique aux résultats qu'il avait très probablement obtenus auparavant par l'analyse. La Quinzaine littéraire, 15 septembre 1966

Cette publication posthume couvrait donc un domaine conquis depuis longtemps, et connu de la majorité du monde scientifique, surtout depuis les travaux parallèles de Leibniz (1684) qui lui en disputa alors la paternité. Elle est cependant précieuse pour nous, en tant que témoignage du génie du

croît devoir ridiculiser dans sa préface) qu'on lui porta pendant plus de cinquante ans. Il est vrai que le mouvement se prouve surtout en marchant; mais nous pouvons aujourd'hui, grâce d'ailleurs en partie à Newton lui-même, nous montrer plus exigeants. Nous n'accepterions plus l'équivalence des cinq défini-

Laffont Contrairement à ce qui avait été annoncé, le gouvernement françaiS a fini par autoriser (dans le courant du mois d'août) la cession à Tlme-Life du paquet d'actions (minoritaire) des éditions Robert Laffont, détenu auparavant par la .banque Lambert. Le transfert est actuellement en cours et sera terminé vraisemblablement dans le courant du mois de septembre. Cette nouvelle alliance entre le puissant groupe américain et un grand éditeur françaiS présente des avantages importants pour les deux parties.

Newton

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jeune savant et des conceptions de tions de la courbure, et pour son époque. Le traité est aujour- ne prendre que deux exemples sid 'hui facilement accessible à tout gnificatifs il nous paraît choétudiant de première année (le pro- quant que la découverte d'une série blème des notations d'alors est rapi- entière, solution d'une équation difdement réglé), ce qui prouve quel férentielle ne soit pas suivie de la travail considérable a pu être mené discussion de l'existence d'autres à bien pour ramener à de simples solutions; c'est par hasard, comme exercices d'application des problè- . en passant, que Newton laisse apermes qui exigèrent, de la part de cevoir qu'il a senti l'importance de son auteur, la mise en œuvre d'une cette question, sans y répondre ni intelligence et d'une intuition hors justifier la convergence de ses déde pair. veloppements. La méthode devait être, en fait, particulièrement ardue à lire, NewEnfin certaines coutumes, hériton ayant soigneusement gommé les tées parfois des Grecs, étonnent le détails pour ne livrer que le strict lecteur contemporain: la nécessité nécessaire. Bien qu'il veuille faire d'une présentation géométrique, la plaisir aux jeunes géomètres, il ne classification en spirales, courbes cesse d'écrire qu'il y a d'autres cir- mécaniques, quadratrices etc ... , constances à observer, que je laisse l'absence apparente (au prix de à la sagacité de l'artiste, ou que silvantes contorsions) de fonctions celui qui en voudra davantage trigonométriques alors que celles-ci pourra aisément le suppléer de lui- dominent l'étude magistrale des même. propriétés de la trochoïde (la RouIl ne justifie jamais, même , lette de Pascal, et notre cycloïde). quand il donne des démonstrations Le tout dégage donc une saveur assez détaillées, le ' signe à donner particulière, mais on ne peut s'emà telle ou telle longueur à cons- pêcher d'être confondu devant la truire (faute de la notion d'élé- puissance d'un tel esprit: il sut, ments orientés, qui datent du siècle à l'âge où l'on traîne habituelledernier). Aussi faut-il réfléchir as- ment en dernière année d'universez longuement avant d'imaginer sité, obtenir sans effort apparent les raisons qu'a pu se donner l'au- des résultats proches de la perfecteur en introduisant, là où c'est tion, qui apportèrent à la science nécessaire, une quantité négative un outil plus puissant que tout ce dans son calcul, sans que lui-même que l'on avait fait avant l~i. Ceci donne la moindre indication. est rédigé avec une telle facilité Ce mémoire aux conséquences apparente qu'on doit regretter les incalculables est également instruc- longues années que Newton contif quant à la conception de la sacre ensuite, entre autres, à sa rigueur qui était celle de son siècle. volumineuse Chronologie des anIl faut avouer que seul le succès ciens empires et observations sur de la méthode lui permit de triom- les prophéties de Daniel et l'Apopher des attaques violentes et plus calpyse de Saint-Jean. Newton ausensées qu'on ne l'a dit (voir cer- rait pu être aussi Einstein; mais taines questions de l'évêque Berke- il avait déjà atteint le sommet. ley dans son Analyst, que Buffon André Warusfel

D'une part, Laffont aura accès aux sources d'information de Tlme-Life dont les archives monumentales constituent une source d'idées et de matériaux inépuisables pour un éditeur, sans parler des possibilités iconographiques que suppose la photothèque de Ufe qui est peut-être, avec Paris-Match, le plus important magazine illustré du monde, tant par la variété que par la qualité des reportages. . D'autre part, il est POSSible qu'une formule d'accord soit étudiée pour la diffusion en France des albums de Time-Life, qui sont actuellement diffusés de Hollande. Enfin le nouvel accord ouvre des perspectives de co-production et une éventuelle coopération des deux groupes sur le plan international.

Le SauD Aux éditions du Seuil, une nouvelle collection de poche, • Politique. sous la direction de Jacques Julliard sera mise en vente dès le mois de novembre. Elle comprendra des textes Inédits et des rééditions : six volumes prévus pour le premier mois : Machiavel par Georges Mounln, Com. munisme, anarchie et personnalisme d'Emmanuel Mounier, Dans trente ans la Chine par Robert Guillain, une nouvelle version mise à jour de L'Afrique noire est mal partie de René Dumont, le fameux Que faire de Lénine, et une nouveauté: La Démocratie de Georges Burdeau. Cette série sera distincte de la collection • Microcosme. qui tenait lieu d'édition de poche au Seuil et se rapproche de la formule du • Livre de Vie., collection spirituelle publiée par la même maison. Toujours aux Editions du Seuil, la collection • Le Champ freudien. dirigée par le professeur Lacan, et qui semblait en sommeil (un seul titre publié : L'Enfant arriéré et sa mère, de Mannoni) publiera en novembre les volumineux Ecrits (900 pages) de Jacques Lacan lui-même et regroupera l'ensemble de la pensée, en grande partie inédite, du célèbre psychanalyste.

Flammarion Chez Flammarion, on annonce la parution prochaine d'un texte attendu: La Mort de V. Jankelevitch, dans la collection • Nouvelle Bibliothèque scientifique • dirigée par Fernand Braudel. Flammarion termine enfin la publication de L'Histoire du Monde de Jean Duché - cinquième et dernier tome (au total 30.000 pages de documentation et 40.000 heures de travail) .

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.' une révolution :La lune, aujourd'hui technique au service .' de la réforme de l'enseignement •• •

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lA. LMne à l'ère spatiale textes réunis par J. R&ch Direoteur de , l'Obsorvatoire du Pic du Midi P.U.F. éd. 186 p.

• A notre époque, seuls les quo• tidiens peuvent ou pourraient nous • donner une idée des progrès de • nos connaissances grâce à l'explo: : ration de l'espace par les satellites • artificiels. Encore faudrait-il que • nous sachions avec précision où • nous en étions à une date déter• minée. Voici justement un petit • livre qui fait le point sur quelques • questions essentielles, sur un sujet : d'actualité. • Deux réserves s'imposent dès • l'abord. Les textes ici réunis • avaient été préparés pour un col• loque organisé par le Centre Na• tional d'Etudes Spatiales, à Paris, : de novembre 1963 à janvier 1964. • Or, en trente mois, plusieurs sa• tellites Ranger ont photographié la • Lune en s'écrasant sur son sol, • deux autres satellites, un Russe et • un Américain, se sont posés « en • douceur » et ont pris des photos de 1· tout près; Lunar Ol'biter, au mo• ment où j'écris, prend ses pre'. miers clichés ... ; les exposés de ,. 1964 ne pouvaient tenir compte • des acquisitions plus récentes. . , D'autre part, un certain nombre de ': ' sujets étudiés durant le colloque • n'ont , pu figurer dans le Uvre et • c'est malheureusement le cas pour . Ila plupart des communications des • astrono~es étrangers; on regrette • en particulier de ne pouvoir lire :

,.

: • • •

Les caractéristiques des tra jectoires Terre-Lune et des orbites cir,cumlunaires par J.E. Blamont, La formation du système Terre-Lune • par H.C. Urey, L'histoire des for• mations lunaires par E. Shœma• : • • • •

1 200 C.E.S. à construire en 5 ans 1 Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut y parvenir. Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-C.I.C., le' plus ancien et le plus important des Constructeurs (4000 èlasses édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves; 2 500 classes pour la seule année 1966); reste à la pointe de ce combat. Grâce au dynamisme de son Service" Recherches", à la 'puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-C.I.C., ne cesse d'améliorer la qualité et le confort de ses réalisations, et de justifier la confiance grandissante qui lui est faite.

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ker, etc ... Tel qu'il est, ce livre est riche d'enseignements: Un tableau rapide de la table des matières en résume le contenu. 1. Généralités par J. Rosch ; 2. Mouvement de la • Lune autour de son centre de gra: vité par Th. Weimer; 3. La paral• laxe de la Lune par J. Kovalevsky; • 4. Sélénodésie et topographie lu• naire par' J. Rosch; 5. La nature • du sol lunaire par A. Dollfuss; • 6. Sur l'intérieur de la Lune par • G. Jobert; 7. Evolution du sys: tème Terre-Lune par J. Lévy; • 8. Le champ gavitationnel de la • Lune pal' Kovalevsky; 9. Les phé• no mènes colorés sur la Lune par • P. Swings; 10. Nouvelles recher• ches sélénographiques par J. Hop• mann. : On ne pouvait demander à des • spécialistes parlant à d'autres spé• cialistes de s'exprimer pour être . : complètement compris d'un public . ' non initié. Dans les chapitres 3, • 7, 8, le lecteur non familiarisé avec • les principes de la mécanique cé: leste devra sauter des pages. Mais • les lecteurs curieux et persévé• rants trouveront dans d'autres pa• ges matière à satisfaire leur appé• tit de savoir. Je ne citerai que deux • exemples.

L'idée d'utiliser la Lune comme repère mobile sur le champ des ëtoi1es, dites fixes pour mesurer le temps n'est pas nouvelle: c'était l'essentiel du programme que se proposait Flamsteed, en 1674, lors de la fondation de l'Observatoire de Greenwich. La même idée est reprise aujourd'hui: la mesure preeise du mouvement du centre de la Lune, incomparablement plus eomplexe que ne pouvait l'imaginer Flamsteed, est à la base de la détermination du temps des éphémérides (-ce temps des astronomes est défini indépendamment de la rotation de la Terre, ce qui permet justement de déceler les irrégularités de cette rotation). Or, pour repérer le centre de la Lune, il faut bien connaître la forme de l'astre car c'est son contour apparent qui est photographié sur le champ des étoiles repères. Tout progrès dans l'étude de la forme de la Lune entraînera donc un progrès dans la détermination du temps astronomique. Dans le chapitre 7., J. Lévy rappelle que les termes correctifs dans les équations du mouvement des planètes ne permettent la p de ces. mouvements que pendant des périodes relativement courtes. Il est impossible par exemple de déduire des observations actuelles la situation des planètes il y a 100 000 ans. Cependant, les changements sont si lents que les lois de l'astronomie planetaire ont longtemps donné l'idée de l'immutabilité de l'Univers. Si ces exemples ne vous suffisent pas, sachez qu'un programme de 300.000 dollars a été mis en train par la Nasa afin que le Bureau des Mines des USA étudie les possibilités d'extraction de , matériaux de la Lune (Cf article de C.W. Schultz dans New Scientist

La première photo de la terre vue de la lune.

du 7-7-66). Les grandes découvertes du XV· siècle ont bouleversé l'équilibre du monde. L'exploitation des, découvertes de la physique nucléaire et les conquêtes de l'exploration spatiale ne peuvent-elles pas entraîner d'aussi profondes mutations dans nos sociétés actuelles ? Cette grande lueur qui se lève à l'Est, n'est-ce pas la Lune?

Gilbert Walusinski


REVUES

HOnlnlage à Maurice ' Blanchot ter foi. Mais il faut voir aussi que dont ils ne peuvent parler du de- sions de Foucault, sans outrance, et ce refus de conclure les privait de hors. Evénement qu'est rarement la sans fcrmer aucune question. Cela est essentiel. Toute question, pastoute possibilité d'action rapide sur lecture. Il est exclu que l'on entrcprenne saut par cette réflexion, demeure les autres esprits. Il n'en était pas Il y a vingt cinq ans, en pleine ainsi d'autres penseurs qui, par ici de parler de l'œuvre elle.même. comme question, mais en sort enriguerre, Georges Bataille publiant suite, mobilisèrent bien davantage On se borne à signaler ce phéno- chie de questions multiples, ou, dé· son premier « vrai» livre, faisait l'attention. Sartre, Camus, et c'était mène : une œuvre que les lecteurs bridée, laisse voir quelques.unCE entendre la seule voix peut-être qui là leur mérite propre, et leur néces- évitent, mais dont se nourrissent les des autres questions qu'elle dissifût à la hauteur du malheur alors sité, avançaient des réponses, don- auteurs des œuvres que les lec· mulait en elle, et sur lesquelles le vécu de toute part sans que la paro- naient des directions, désignaient teurs lisent. Telle que parler d'elle travail est à reprendre, va pouvoit le philosophique ou poétique eût des issues. L'autorité d'écrivains dans un journal semble paradoxal. être repris. apparemment la moindre chance comme Bataille et Blanchot ne pou- C'est qu'il s'agit d'une œuvre dont Langage admirable, qui ne s'est d'y ajouter rien qui ne fût déri- vait s'affirmer que de tout autre aucun « monde » officiel, culturel, soire. Mais à la détresse éclatante manière, leur influence s'exercer littéraire ne pourra jamais s'empa- jamais soucié de beauté d'écriture, des mots de Bataille, à cette volon- par de tout autres voies. Par exem- rer, à laquelle il ne sera pas fait parole de solitude, qui n'a jamais té passionnée de rendre parfaite ple, et ils sont en cela de vrais d'avances, qui contient en elle tout manqué d'être parole de communi· l'absence de sens d'un monde où maîtres, leur enseignement, s'il est ce qu'il faut pour tenir en respect cation; parole anonyme 'qui désic'est vivre en biaisant avec cette reçu comme il faut, enseigne les « grands réducteurs de la cul. gne et rend possible une parole absence de sens qui aboutit à faire d'abord qu'être disciple est impossi- ture ». Œuvre absolument libre, plurielle - parole où le poète et le de la vie chose insignifiante (illu- ble. C'est ainsi que l'œuvre de Blan- armée de liberté, libel!taire, pour philosophe, ' tous les « genres » soire), il était paradoxalement pos- chot a pu se développer pendant un employer ce mot de portée politi- abolis, sont enfin une sëule person· sible de reprendre force et courage. quart de siècle, accumulant les li- que. Œuvre qu'il n'est nullement ne. Tout au long des écrits de BlanCette pensée follement exposée, mivres (romans, récits, essais) et les indispensable de connaître si l'on chot, s'ajoutant à la littéralité du se au supplice de ses propres exi- articles de revue, sans jamais bri- veut simplement connaître, ou « se texte, au discours impeccable de la gences, aura été libératrice aussi en ser un silence qui semble d'abord cultiver ». Œuvre qui n'apprend raison, se tient, visiteuse superbe, ce sens : elle nous tirait de la méincompréhensible, mais dont il faut rien, qu'il n'est possible d'appro- modeste, comme confuse d'être là saventure absurde, nous rappelait à reconnaître qu'il est lui-même plein cher vraiment que si l'on cherche - peut-être de trop ? ou craignant la tragédie. Et c'est à la page 158 de sens, et juste. De fait, Gaëtan au contraire à retrouver, dans les de faire peur -- 'a micale, la vérité de ce livre, l'Expérience intérieure, Picon excepté, personne n'avait œuvres abusivement annexées à la même. Dionys M ascolo à un moment où la méditation et tenté de parler de cette œuvre dans « culture » (étudier Baudelaire, lire son récit semblent à bout de souffle, son ensemble, jusqu'au numéro ré- Rimbaud, pour devenir Saint-Cycent de la revue Critique qui lui rien ou ministre !), la passion pre- 1. Critique, n° 229, juin 1966. Maurice que Bataille fait apparaître Maurice Blanchot, alors très peu connu, est entièrement consacré!. Il y a mière, criante, de la pensée. Non Blanchot, par René Char, Georges PouIet, Jean Starobinaki, Em. Levinas, Michel auteur du seul Thomas l'obscur, et d'abord à cela une raison profonde la pensée qui statue et conclut, '«'oucau!t, P. de Man, Françoise Colin, peu de moments de la littérature qu'exprime bien Starobinski : cette mais la pensée qui n'est qu'exigen- Jean PfeiHer, Roger Laporte. même narrative sont dramatiqueœuvre décourage la réflexion criti- ces et désir, et l'on sait bien que _ _ _ _ • • _ _ • _ _ _ • • '_ _ • que qui voudrait la considérer de les questions que soulève la plus ment ~lus forts q.!le celui-ci : l'extérieur dans sa totalité, parce simple exigence, le plus simple dé- : qu"elle n'est elle-même que le long sir, sont des questions <f'Ji ,mettent _ « D'une façon toute indépendan_ mouvement de son propre dépas- en jeu la vie et la mort. « te de SOI~ livre, oralement, de On ne saurait reprocher au nu· • sement toujours recommencé. Ces « sorte cependant qu'en rien il « n'ait manqué au sentiment de livres sont proprement infinis, s'in- méro de Critique d'être incomplet. « discrétion qui fait de lui comme terrompent le plus souvent sur Il l'est. Des dizaines d'études parmi : « une image de silence, j'ai enten- l'annonce ou l'approche d'un com· lesquelles tous les articles « philo- _ « du l'auteur (M. Blanchot) poser mencement. Mais le silence si long- sophiques », sur Hegel, Marx, Niet- _ Les meilleurs ouvrages « le fondement de toute vie « spi- temps fait sur cette œuvre est tout zsche, Lévinas, le Malraux du M u- _ 1 de. culture chrétienne à fait trompeur, tout le contraire sée Imaginaire, S. Weil ... ) sont en· t( rituelle )J, qui ne peut: au format de poche « - qu'avoir son principe et Sf!. d'une négligence inerte, ou d'un core dispersées dans les revues où - 1 « sa fin dans l'absence de salut, simple recul devant !a difficulté. elles ont paru, et nul ne s'y réfère. K. JASPERS·· Nul écrivain n'est moins mécon- Ainsi le rapport qu'entretient cette : « dans la renonciation à tout esnu, nul n'est lu aussi assidument œuvre au cours du monde reste-t·il _ la situation spirituelle t( poir, au contraire depuis vingt-cinq ans voilé. Aucune indication non plus _ « -- qu'affirmer de l'expérience de notre époql,le « intérieure qu'elle est l'autorité par un plus grand nombre d'écri- sur la pensée politique de Blanchot, _ vains. D'où la démultiplication à l'un des premiers inculpés dans l'af· « (mais toute autorité s'expie), H. URS von BALTHASAR ••• « qu'être contestation d'elle- laquelle il faut s'attendre de sa faire de la Déclaration sur le droit Dieu et l'homme d'aujourd'hui pensée, selon un mouveme!lt de à l'insoumission et qui porta no- : « même et non-savoir». pénétration aussi lente que profon- tamment, contre le pouvoir gaul- _ M.-O. CHENU • Il nous était montré du même de, et dont le numéro de Critique liste, la plus définitive des condam- _ nations : Souveraineté qui est tout _ témoigne déjà. Peuple de Dieu dans le monde coup que la pensée en exercice et ne peut rien -- puissance de pouvait n'être pas seulement cet L. JERPHAGNON • L'ensemb~e de textes réunis par salut _., perversion essentielle '.-_. acte , de complaisance hautaine seo. Critique est remarquable, désortelle que même s'il (de Gaulle) : ! I.e mal et l'existence Ion lequel un esprit singulier tente d'imposer sa « vision du monde» mais indispensable à la compréhen- avait des idées politiques ,ü ne pour- _ 1 _ 1 par le moyen de l'écriture (il n'y sion de l'œuvre de Blanchot, même rait les appliquer... a' de « vision du monde » que dans pour ceux à qui cette œuvre est Le numéro de Critique permet -_ 1 Depuis mars 1965 la part comédienne de la littératu- familièÎ'e. De plus, fait très inhabire), mais qu'elle pouvait aussi por- tuel s'agissant d'un nu m é r 0 cependant de mesurer l'influence - 1 35, titres parus ter en elle l'exigence de communi- « d'hommage » de revue (le plus qu'exerce désormais la pensée de cation qui lui retire certes toute souvent assemblage sans nécessité Blanchot. Vexcellente étude que225630 volumes assur.ance, mais l'engage ainsi dans de textes disparates), on est frappé Michel Foucault lui consacre, par: vendus pour les un mouvement plus haut et plus par l'unité de cet ensemble. Mais exemple, est une véritable conclu- _ 29 premiers titres vrai: qu'un communisme de pen- ceci n'est peut-être pas concerté ; sion supplémentaire à son livre_ sée n'était pas chimérique, la pen- sans doute y faut-il voir plutôt un déjà fameux: Les mots et les cho- sée faite sinon par tous, du moins effet direct de la pensée de Blan- ses. Et certes les intuitions perçan- • vo! . simple : 3.60 F chot même, par quoi sa présence tes dont Foucault a choisi de faire par plusieurs, non par un. • • vol. double: 4.80 F dans ces pages se trouve redoublée. les conclusions d'une histoire de la : . . . . vol. tripie : 6.60 F A de telles pensées qui, de façon Chacun à sa manière, tous ces culture d'ailleurs contestable (que _ ~ietzsche en tout cas, dont il se _ manifestent en effet que la textes déclarée, n'avaient que l'inconnu pour objet, qui s'étaient retiré tout lecture de Blanchot est aussi quel- réclame, eut réprouvée) doivent- Éditions AUBIER moyen de conclure, anxieux que que chose d'autre et de plus qu'une beaucoup à Blanchot. Mais Blan- - Éditions DU CERF nous ,étions d'entendre des voix lecture; de toute évidence leurs chot' n'y est nullement enfermé. On - Édilions DESCLEE DE BROUWER questionnantes répondre à notre auteurs, qui n'ont rien en commun, le verrait plutôt pousser à leurs : Éditions OUVRIÉRES attente, il nous était possible d'ajou- ont vécu une commune expérience, dernières conséquences les conclu- ..

Maurice Blanchot « Critique », n° 229. Juin 1966.

La Quinzaine littéraire, 15 septembre 1966

. _21


BANDES

NEW-YORK

DESSINÉES

Théâtre

u.s.

1966

Poésie autre

Les Etats-Unis restent, aux yeux ducteurs les plus téméraires. Ces nes auteurs semble avoir été chasde l'imaginatif et du curieux, un mêmes producteurs se sont mis à sée des théâ~. Tout entier porté monde clos qui nous distille de la recherche de personnalités excep- par Tennessee Williams, Arthur temps à autre et avec quelque dé- tionnelles, sur lesquelles une publi- Miller, Wilder, le théâtre américain G. Peelaert et P. Bartier dain un échantillon tiré de l'alam- cité solide pourrait travailler sans a ramené le drame au niveau indiLes aventures de Jodelle bic le plus grand du monde. soucis. Funny Girl, comédie musi- viduel ou du petit groupe. La Préface de J. Sternberg Le «show» américain bénéficie cale basée sur le nom de Barbara société, en tant que cadre inconfor68 p., 4 coul., cartonné d'une grande considération en Sreisand, fut une grande réussite table à l'éclosion de la personnalité Le Terrain Vague éd. Europe. Les films en sont indirec- commerciale. Barbara, promue slar, y est critiquée tout au long. Les tement les meilleurs ambassadeurs, s'est enfuie à la fin de son contrat. jeunes auteurs n'ont fait que prenCrier Vive l'Empereur n'a rien 1 la venue de certaines compagnies Une remplaçante de moindre talent dre conscience de certains mythes qui puisse concerner une Républi- 1 théâtrales de valeur a assis la ré- ne peut maintenant soutenir un typiquement américains et il est que. Se promener en serrant sous putation de l'art dramatique pro- thème .trop lourd de lieux com- difficile de ne pas évoquer à leurs son bras les secrets d'un quarteron prement dit, enfin de nombreux muns. Une authentique « Star» a propos Sinclair Lewis et ses héros, de conspirateurs relève du romanes- metteurs en scène français ont essuyé cette année un échec, Sam- Babbit et Lowell Schmaltz. Les maîtres européens sont mulque populaire, enfin que des vieil- puisé jusqu'à plus soif chez les my Davis Jr, avec Golden boy. Le lardes à langue de vipère extermi- jeunes auteurs américains des œu- su jet était très inférieur au person- tiprésents dans le théâtre d'aujourd'hui, Beckett en premier lieu, nent leurs sous-ordres - plus jo- vres de valeur très inégale, mêlant nage. L'échec, au cinéma, de My fair qui est à l'origine d'Albee. Ionesco, lies - ne confine pas au fantas- à plaisir le meilleur et le pire, Lady il y a trois ans, avait com- Brecht, Dürrenmatt, Frisch sont tique social. La puissance d'agres- snobisme aidant. Les réalités de la recherche in- mencé à sonner le glas d'un genre également en partie responsables de sion reconnue à Jodelle viendraitPolle de ce que le monde où cet dustrielle, scientifique et militaire, tout entier alors que l'Europe se Gelber, Shisgal, Kopit ou LeRoi ouvrage nous plonge est voué exclu- font que l'on accorde au domaine décidait, sans préparation spéciale Jones. Si Albee, en subissant l'emprise sivement aux caprices intempestifs des arts les mêmes qualités de . et à contretemps, à croire en une de la Femme ? Le désordre inspiré dynamisme et le don du renouvel- mode nouvelle. On misa tout sur du show-business, est le révolutionque nous révèle ce conte le fait lement perpétuel. L'erreur est com- l'exotisme, rien sur la forme origi- naire rentré dans le rang, Kopit supposer, et plus encore la fantaisie mune et excusable pour l'observa- nale que la comédie musicale aurait est le ver dans le fruit, le révoluinsqlente du graphisme et de la teur qui ne traverse pas l'océan. pu revêtir dans le Vieux Monde. tionnaire qui a commencé par s'inscouleur, merveilleusement apte à Elle est énorme lorsque cet obser- Des comédies musicales de moins taller dans le système qu'il a choisi traduire ce monde de l'avent.ue où, vateur en un séjour éclair, promené bonne qualité ont allègrement par- de combattre. Papa pauvre Papa ... , à chaque seconde, · tout doit être en Cadillac dans Broadway qui couru la saison, elles dissimulent que les spectateurs français ont vu trahie, défigurée, et qui a fait rire redéfini. Suspecté d'être exagéré- l'éblouit de ses feux, s'en retourne mal l'appauvrissement du genre. Le vide est grand en ce qui des millions de spectateurs amériaccréditer, en Europe, les modes me~t massif (après la · publication concerne le théâtre proprement dit. cains, les a choqués après coup. Il de quelques extraits ça et là dans que nous subissons. Forme originale de théâtre, la Le succès de la saison, Cactus flo- sera l'auteur des prochaines saisons. la presse), le trait de Guy Peelaert se révèle au contraire fluide (léger) comédie musicale américaine a wer, vient de Paris. Laureen Bacall C'est surtout lui qui ouvre douceconnu d'énormes succès. Le dernier (avec l'ombre de Bogart dont la ment les portes à un nouveau et suggestif (dynamique). Compte tenu du folklore anecdo- en date, West nde story en restera popularité demeure) revient au théâtre. La jeune école excelle dans la tique qu'on y décèle immédiate- le modèle le plus accompli, même théâtre après une dangereuse éclipcritique de 1'« American way of si les · qualités musicales et proprese. Son triomphe est absolu . . Les ment (allusions graphiques, porlife ». La forme qu'elle utilise reste traits-charge, faits d'actualité à ment dramatiques apparaissent fai- Français connaissent la pièce. Henri Fonda rappelle qu'il est le pourtant essentiellement européenpeine transposés; réjoUÎ8saJ1ts règle- bles en face d'œuvres antérieures. Ce genre s'est essoufflé et l'échec père de Jane avec Generation. Che- ne d'inspiration. Le grand homme ments de comptes) il faut reconnaître à celte amplification de la de Comment réussir. en affaires... a val de manège pour ce virtuose. du théâtre américain n'est pas encore arrivé et le conditionnement bande dessinée traditionnelle et en Vu les producteurs revenir_ à une Cependant le succès se poursuit. Les Troyennes ont obtenu un dont le public est Victime ne favoquelque sorte naïve une manière prudence peu commune. La coméde spécificité qui dépasse aussi bien ' die musicale dédaigne généralement grand succès et de nombreux prix, rise pas sa venue. Le seul véritable le pamphlet ordinaire que le feuil- la star, rare en ce domaine où les dans une mise en scène de Caco- théâtre de _recherche existe sous leton roublard, du type Tintin, ·qualités de chanteur, danseur et yanis, très proche de celle qu'il une forme très proche de celle de notre théâtre de boulevard. La perMandrtike ou · Tarzan. L'album de comédien doivent s'allier. Le ren- - réalisa au T.N.P. fection est traditionnellement atLa jeune classe d'auteurs dramafort . d'une publicité extravagante Jean-Claude Forest n'avait pas craint le clin d'œil littéraire: faux n'a jamais conféré le talent exigé, tiques est absente. Albee, au début teinte dans l'interprétation, mais la alexandrins, citations tarabustées, et s'il s'est. parfois mêlé de le faÎJ!' de l'année, a connu un four. En technique trop poussée étouffe le parodie du sublime largement dis- ses échécs ont découragé les pro- trois saisons une génération de jeu- génie ou simplement l'âme. Les pensé par la tradition , héroïque et la science-fiction. Avec Jodelle, comme danS le très émouvant -SarOM la géante1 de Jacques Carelman, il semble que ces «prolongations li de la bande (ou de la suite) dessinée ll"aditionnelle débouchent sur une poésie autre, une excitation inédite pour ne point dire .une harM. gne imprévue. Et ce dosage inatAc1r_ tendu d'érotisme, de révélation et VWe de verve' polémique selhble bien Date définir un art aussÎnouveau que rafraîchissant, très éloigné, en fin de compte, de celui,des bandes dessinées, fussent-eUeS peu ou prou souscrit un abonnement destinées aux exégètes de Gif/-Will; , o d'un an 42 F / Etranger 50 F Par-delà les çitations cinématograo de six mois· 24 F / Etranger 30 F phiques, le passe-boule mondain et règlement joint par l'imagerie savoureuse, par-dessus! o mandat postal 0 chèque _postal les suggestions de l'arsenal éroticoJantastiqtie cher aux cinéphiles .chèque bancaire 'montmartrois, il y alà 18 crépitation d'un rythme et une inspiration , rebondissante qui définit la jeu. ll"'-ire nesse d'un tout nouvel art.

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LeRoi Jones, sur le plateau, entre

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répétitions.

chorégraphies et les musiques toutes parfaites, n'apportent rien aux chorégraphes et musiciens de l'avenir, de même que le système d'écriture dramatique ne peut constituer un modèle que pour ce seul système. Les problèmes politiques, d'une actualité brûlante, ne sont pas plus évoqués qu'ils ne l'étaient en France à l'époque de la guerre d'Algérie. Le Théâtre américain d'aujourd'hui est complaisant, même si cette complaisance s'accompagne d'un certain masochisme. Le théâtre d'essai a pour caractéristique principale de n'être révolutionnaire que par le cadre où il évolue. A New York le théâtre a progressivement remplacé dans les « bistrots » le « happening» déclinant. Répété, réglé, signé, le « happening » perd sa raison d'être. Cependant son existence même révèle une faille du théâtre. Il relève en effet d'une tentative pour un « suprême du théâtre» et met en valeur l'incapacité de celui-ci à faire que quelque chose « se passe », ou « passe la rampe ». Le bistrot-théâtre, déjà âgé, mais remis à la mode, reste d'esprit littéraire, généralement anti-dramatique, dans le sens où rien « ne se passe ». Les formes sont diverses et vont du « happening» qui ne porte plus son nom à des lectures de correspondance de romanciers célèbres. Citons une expérience réussie, à San Francisco, le W orkshop: dans un véritable saloon, sur une scène surélevée, dix sketches se succèdent qui vont de la satire des médecins à une parodie d'opéra. Les représentations n'ont lieu que le vendredi et le samedi, mais trois fois dans la nuit. De nombreuses églises sont devenues lieux scéniques. Et certains spectacles « freudiens» dans le cadre de J udson, église baptiste, prennent des dimensions étranges. L'AmeTÏcan living theater de New York, qui a fui les U.S.A., a tenté d'englober dans un même spectacle salle et scène. Si cette tentative est restée sans effet réel, les grandes qualités esthétiques du groupe apLa Q.uinzaine littéraire, 15 septembre 1966

paraissent dans The Connection et dans la Jungle des villes, de Brecht, réalisation classique parfaite dans un décor original. Dans l'Université, monde clos et lieu de révolution latente, tolérée, souhaitée presque par la Société, monde abandonné aux jeunes qui y commettent les méfaits obligatoirement liés à toute adolescence normale avant que d'en sortir lavés, calmés, et aptes à la vie sociale, vit un théâtre tributaire de cet .état de choses. Les traditions y sont reconsidérées et le plus souvent combattues. On y prend le goût du travail collectif. Toutes les idées émises sont examinées, mises en pratique. Les auteurs du cru sont joués. C'est là le côté positif du théâtre étudiant. Les auteurs européens occupent une grande place dans le répertoire; une petite part est accordée à la comédie musicale, celle-ci souvent de fort bonne qualité et limitée à l'actualité ou au folklore du « campus ». Shakespeare est parfois représenté. Une étroite ouverture est ménagée aux auteurs désormais classiques: Miller, Williams, Wilder, O'Neill, qui fournissent autant d'occasions de rejeter la société américaine, avant que ses détracteurs deviennent le support du conformisme le plus strict. Sans nier les aspects positifs de ce théâtre en vase clos, on peut se demander s'il apportera un sang neuf à la scène américaine. On peut en douter. A la scène, comme ailleurs, s'est posé le problème noir et on a assisté depuis quelques années, à un semblant d'intégration. Ainsi ce n'est plus un acteur blanc barbouillé qui interprète un rôle de noir. Le noir a désormais accès au ·plateau. Ses emplois sont cependant limités à ceux de domestiques, cuisiniers, chauffeurs ... On ne s'étonne pas que, grâce surtout à LeRoi Jones, se soit créé un théâtre, acteurs et spectateurs, essentiellement destiné à la communauté noire. Plus encore que la création du Black Arts Repertory Theatre à Harlem, est

• • • • • • • • • • • •• • • • • • • • • • • • • •• •• • • • • • • • • • • • • important l'esprit dans lequel il se • situe. Dans le manifeste qui pré-. lude à cette création, LeRoi Jones· souhaite voir représenter « la des-· truction de l'Amérique » et réclame : de nouveaux héros tel que Patrice • Lumumba. • Ce théâtre se situe dans un cadre • violemment révolutionnaire qui ex- • clut les tentatives de James Bald- • win pour un théâtre noir. LeRoi : Jones se sépare du groupe des jeu- • nes auteurs (Albee, Richardson,. Kopit, Gelber, Shisgal) dans une. révolte qui tend à faire éclater la • forme du simple réquisitoire con lre • la société américaine. Bien que fort • dynamique, LeRoi Jones aurait be- : soin du renfort des Kateb et des • Césaire pour que ce théâtre de. combat puisse revêtir une forme • neuve, de haute qualité littéraire • et poétique. Sinon, réduit au rôle • de prêtre d'une nouvelle secte reli- : gieuse extrémiste, il troquera la. forme de combat dramatique qu'il • se propose de mener pour une. simple propagande, peu efficace en • outre étant donné ses faibles· moyens. • James Baldwin rapporte volon- • tiers que le problème noir est le • salut des E.U. et de toute une civi- • lisation par les solutions que les • Blancs devront y apporter. Il leur • faudra reconsidérer leur monde· jusque dans ses structures les plus • largement définies. L'espoir de l'art • et du théâtre réside également dans • cette reconsidération des grandes • structures tout autant que dans les • solutions proposées. Le théâtre noir, désarmé par l'absence de grands auteurs, I1-e doit pas être seul à tenter une révolution et l'optique du Tout est terrible dans le pire des mondes de LeRoi Jones et Albee, ne peut se contenter de s'opposer au Meilleur des mondes de l'optimisme com- • mun. Peut-être qu'une prise de conscience morale et politique au sens large serait la clef de toutes les serrures. La stagnation du théâtre n'est que le reflet d'un plus • vaste enlisement. • Jean Ambrosi

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LA QUINZAINE HISTORIQUE

Voici I~Àutomne. Les nuits demeu- die"rs comme leur père. Aragon rènt belles, outre-Atlantique, l'âme Le Paysan de Paris. de la solitude soupire dans' les déserts, les crocodiles couchés dans Automne 1801, ou les Crocodiles les œuvres complètes du Vicomte odorants. de Chateaubriand exhalent une odeur. d'ambre. Les vents nous in- La nuit était délicieuse. Le Génie vitent au voyage. L'enfant Michel des airs secouait sa chevelure bleue Leiris est traîné par sa mère au eTTl-baumée de la senteur des pins, cimètière du Père-Lachaise où sont et ' l'on respirait la faible odeur exposés, sous quelque familial globe d'ambre qu'exhalaient les crocodide verre, de maçonniques trophées. les couchés sous les tamarins du Klossowski voit dans Rome une ' fleuve. Aucun bruit ne se faisait femme masquée, et qu'i s'avance, entendre, hors je ne sais quelle nue, dans une basilique, à la renharmonie lointaine qui régnait contre d'une main. Aragon escalade dans la profondeur des bois: on les Buttes-Chaumont: comment eût dit que l'âme de la solitude oublierions-nous que, l'Automne soupirait dans toute l'étendue du venu, l'épilepsie offre aux vanniers désert. Chateaubriand.. Atala. des oiseaux-mouches ? ... Automne 1926, ou l'Offrande épilepi,ique.

L'épilepsie avait fait connaissance dans un arbre de couche avec un ouvrier vannier qui délirait en chambre . .Elle lui offrit des oiseauxmouches. En peu. de temps, elle apprit à rester maîtresse de ses paresses et c'était là tout ce qu'elle désirait. Tandis que l'argent durait, digérant au sole#, les brins d'osier menaçaienf de se faire contreban-

Automne 1920 , maçonnique.

ou

l'Outrage

Ma . mère m 'emmenait parfois au cimetière du Père-Lachaise, sur la tombe de ses parents où étaient exposés sous un globe de verre les insignes maçonniques de mon grand-père, haut fonctionnaire de la Troisième République qui avait été disciple d'Auguste Comte et vénérable de la loge la Rose du Parfait Silence. Trouvant toujours le globe cassé et les insignes mis en

désordre par les mains de gens malintentionnés, ma mère avait fini par renoncer à cette exposition de reliques et se contentait d'orner la tombe avec des fleurs, des' immortelles et de légères couronnes de perles. M. Leiris. L'Age d'Homme. Automne 1944, ou l'ontologique Nudité.

l'avoue qu'à pénétrer ainsi, le visage masqué d'un loup, les mains gantées, mais pour le reste accoutrée on ne peut plus légèrement dans ce lieu haut-voûté et obscur où seule la veilleuse répandait une pâle lueur, j'eus un premier frisson - oh, celui-là fort agréable, et comme un avant-goût de ce que me réservait Vittorio - nue dans cette obscurité spacieuse, ou plutôt prête à jeter la cape qui m'enveloppait encore pour me baigner dans les ténèbres à la rencontre d'une main. Pierre Klossowski. La Révocation de l'Edit de Nantes. Que Pierre Klossowski soit le prochain privilégié de Sade, nul ne l'ignore. Lui-même l'a écrit. Et en effet, à considérer la forme seule, la Révocation rappelle étrangement

Justine, par la construction rigide du discours, où l'exposé abstrait alterne impérieusement avec le récit, nécessaire à la progression de la pensée, de quelques pâles luxures. Il semble cependant qu'il y ait de Sade à Klossowski une différence majeure: c'est que l'œuvre de Sade est toute consacrée au problème moral, alors que Klossowski ne traite jamais que d'un problème: ontologique. En ceci, il rappelle surtout Thomas d'Aquin. Il en a l'étendue et la puissance. Il en ruine splendidement l'objet. Et dans cette main féminine dressée, les doigts érigés, la paume offerte, qu'outrage, sans montrer aucune lassitude, tout au long de son œuvre, une formidable cohorte d'apostats, comment ne pas voir l'image même de la main divine, également dressée sur l'univers, telle que l'Aquinate la conçut, et telle, qu'après lui, trois siècles de peinture vénale la montrèrent?.. Réponse ainsi de Klossowski à la Somma Theologica, cette somme athéologique qu'il édifie, et d'où ne peut manquer de découler, un jour, une morale. Non seulement ~los­ sowski est le prochain de Sade, mais il en est le précurseur. Pierre Bourgeade

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ROMANS FRANÇAIS

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Christian Giudlcelll Le jeune homme à la licorne Un jeune homme qui refuse de s'insérer. Hubert Gonnet Le grand scandale Buchet-Chastel 465 p. 23,40 F. Le roman du curé d'Uruffe, vu à travers une nouvelle technique romanesque Jean-Claude Hémery Curriculum Vitre Coll. Les Lettres Nouvelles Denoël, 192 p., 11,30 F Voir l 'article de ClaudeMichel Cluny p. 7. Raymond Jean Le village Albin Michel, 256 p .. 13,30 F Les souffrances et les luttes du peuple vietnamien. Pierre-Robert Leclercq Séquences Denoël, 224,p .. 12,35 F Un écrivain et l'image que lui renvoie la télévision de lui-même. Jacques-Gérard Llnze Le fruit de cendre Gallimard 220 p. 11 F Dans les Ardennes au moment de l'attaque de 1944. Georges Londeix L'adoration des mages Albin Michel, 272 p., 12 F Florence dans un très beau miroir. Renée Massip Le rire de Sarah Gallimard 240 p. 12 F Les miracles de Lourdes par la lauréate du Prix Interallié. André Masson Le temps juste Cal mann-Lévy 270 p. 13,25 F Par le frère de Loys Masson. Marcel Moreau La terre infestée d'hommes Buchet-Chastel 250 p. 20,40 F. Par l'auteur de « Quintes Anne Perry Un petit cheval et une voiture Gallimard, 100 p., 10 F Le drame d'une vocation contrariée. René Pons Le feu central Gallimard, 210 p .. 10 F Images d'enfance Roger Rabiniaux La chaleur des hommes Buchet-Chastel 330 p. 17,70 F. Le roman des petites gens à l'époque du Front Populaire

La Quinzaine littéraire, 15 sepfembre 1966

Michel Ragon Les Quatre murs Albin Michel, 248 p., 13,50 F Le roman d'un architecte Jules Ravelin La projection Histoires d'un film Gallimard, 256 p .. 12 F Stylo-caméra et littérature-vérité. Maurice Roche Compact Le Seuil. 18 F Voir l'article de Denis Roche p. 9. Robert Sabatier Le Chinois d'Afrique Albin Michel, 352 p., 11,88 F A la fois adapté et étranger, un homme de ce temps . Yves Thériault Le temps du carcajou Robert Laffont 245 p. 13,90 F Un roman maritime violent par un auteur canadien . Jean Verdun L'enfant nu Ju!liard 384 p. 25 F Un garçon de 11 ans aime une jeune fille de 17 ans. Kateb Yacine Le polygone étoilé Le Seu!l. 186 p., 12 F Voir l'article de Maurice Nadeau. numéro 11 de «La Quinzaine Littéraire.

Norah Lofts Combien de kilomètres pour Bethléem? La Table Ronde 360 p. 20,55 F Un best-seller américain qui se passe à l'époque du Christ.

Léo Moulin La société de demain dans l'Europe d'aujourd'huI La plus éclatante des Renaissances : celle que nous prépare l'An 2000.

Louise Rinser Jour de septembre trad. de l'allemand Le Seuil, 8,50 F Le monologue d'un écrivain au travail.

M .-C . et E. Ortigues Œdipe africain Plon, 33 F Le • complexe d'Œdipe» est-il un phénomène occidental, voire vienn ois ou un iversel?

NOUVELLES

Pierre Joffroy Les Prétendants Le Seuil, 9,50 F Voir l'article de " . M.-C. de Brunhoff dans notre numéro . Lionel Mirkisch Espace de la nuit Oenoël Coll. Le champ libre 150 p. 9,25 F L'envers étrange des choses.

CRITIQUE HISTOIRE LITTÉRAIRE

POÉSIE

Jacques Garelli La gravitation poétique Mercure de France, 220 p., 19,95 F Un poète étudie son art avec les moyens d'un philosophe.

André Lebois Dix-septième siècle recherches et portraits Denoël, 432 p., 19,50 F Par l'auteur de • littérature sous Louis )01et «Adm!rable XIX' siècle -.

La trace de nos ombres

Seghers, 80 p., 9,60 F Un grand écrivain slovène.

RELIGION Hal Borland Quand les légendes meurent La Table Ronde 280 p. 17,50 F L'histoire d'un noir avant l'autre guerre. Truman Capote De sang-froid T~ad . de l'anglais par R. Girard Gallimard, 18 F Voir l'article de F. Erval dans le numéro 11 de « La Quinzaine Littéraire •. Stephen Crane Le bateau ouvert trad. de :'anglais par P. Leyris Mercure de France, 208 p., 15,40 F Voir l'article de Georges Piroué, p. 11. Patricia Highsmith Ce mal étrange Cal mann-Lévy, 320 p. 14,20 F. Par l'auteur de « L'inconnu du Nord-Express -, tourné par Hitchcock

Solange Lambergeon Psychosomatique et angoisse féminine Gonthier, 160 p., 9,60 F Une analyse étayée par l'étude de nombreux cas cliniques. Moïse Tshombé Quinze mois de gouvernement du Congo La Table Ronde. 148 p., 8,75 F. Pierre Teilhard de Chardin Images et paroles Le Seuil, 50 F Album, illustré de 250 photographies, sur la vie de Teilhard.

FORMATS DE POCHE

Littérature Georges Steiner Anno Domini trad. de l'anglais oar L. Lanoix Par l'auteur de • Tolstoï ou Dostoievski - et « La mort de la tragédie -.

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ROMANS ÉTRANGERS

Pierre Teilhard de Chardin Sur le bonheur Le Seuil, 7,50 F Les conditions d'une réponse positive à l'appel du bonheur .

Kenneth B. Clark Ghetto Noir trad. de l'américain par Y. Malartic Laffont, 328 p., 18 F Voir notre critique dans ce numéro.

Jean-Claude Renard La terre du sacre Le Seuil. 15 F

ESSAIS

Raymond de Becker Qu'est-ce que l'hindouisme? Encyclopédie Planète 256, p., 16,50 F Le rô:e du système de valeurs hindouistes dans une civilisation planétaire. Joseph de Maistre Du Pape Edition critique avec une introduction par J. Lovie et J. Chetail Lib. Oroz, Genève. André Maurois Lettre ouverte à un jeune homme sur la conduite de sa vie Albin Michel, 176 p., 9 F Sous l'égide de Gœthe et de Mme de Mortsauf.

Jean Anouilh Becket Livre de Poche Jean-Louis Backès Pouchkine Microcosme Voir le texte inédit de Léon Chestov p. 13 Sacha Guitry Mon père avait raison Livre de Poche . Henri-Pierre Roché Jules et Jim Livre de Poche Ernst von Salomon Les Cadets Livre de Poche Histoire

Francis Connan et J.-C. Barreau Demain, la paroisse Le Seuil, 7,50 F La communauté chrétienne et le monde urbain. Thomas Merton Vie et sainteté traduit de l'anglais par Marie Tadié Le Seuil, 9,50 F Les principes de base de la vie spirituelle.

DOCUMENTS

Max Ga!lo L'Italie de Mussolini Marabout. Sociologie Alfred Sauvy Malthus et les deux Mane Médiations Sciences Thornton Page Etoiles et galaxies Marabout Joël de Rosnay Les origines de la vie, de l'stome à la cellule Microcosme. Policiers

G. Bastien-Thiry Plaidoyer pour un frère fusillé La Table Ronde, 323 p., 12,35 F par le frère du Colonel Bastien-Thiry.

Jacques Bergier et Jacques Sternberg Les chefs-d'œuvre du crime Marabout. José Giovanni Le trou Livre de Poche

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LES ORIGINES DE LA VIE, DE L'ATOME A LA CELLULE par J. de Rosnay "Le Rayon de la Science"

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POUCHKINE par J.-L. Backès Une étude pleine de ferveur, avec d'admirables traductions Inédites." Ecrivains de toujours "n73.

TEL QUEL N° 26. 7,50 f Revue littéraire trimestrielle. Fondements théoriques: linguistique - Psycha nalyse - Littérature.

SOCIOLOGIE DU TRAVAIL N° 3/1966 8,50 f N' spécial : l'Administration lace aux problémes du changement.

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MICROCOSME

réponse positive à l'appel du bonheur.

chaque volume illustré

Apollinaire, par Pascal Pia (20). Aristophane, par Victor-Henri Debidour (60). Balzac, par Gaëtàn Picon (33). Barrès, par Jean-Marie Domenach (25). Baudelaire, par Pascal Pia (9). Beaumarchais, par Philippe Van Tieghem (51). Bernanos, par Albert Béguin (21). Camus, par Morvan Lebesque (64). Chateaubriand, par V.-L. Tapié (71). Cicéron, par Alain Michel et Claude Nicolet (52). Claudel, par Paul-André Lesort (63). Cocteau, par André Fraigneau (41). Colette, par G. Beaumont et A. Parinaud (5). Corneille, par Louis Herland (18). Descartes, par Samuel S. de Sacy (36). Diderot, par Charly Guyot (13). Dostoïevski, par Dominique Arban (57). Erasme, par Jean-Claude Marjolin (70). Faulkner, par Monique Nathan (65). Flaubert, par La Varende (4). France, par Jacques Suffel (24). Gide, par Claude Martin (62). Giono, par Claudine Chonez (32). Giraudoux, par Chris Marker (8). Gœthe, par Jeanne Ancelet-Hustache (27). Gorki, par Nina Gourfinkel (23). Hemingway, par Georges-Albert Astre (46). Homère, par Gabriel Germain (43). Horace, par Pierre Grimal (42). Hugo, par Henri Guillemin (1). Joyce, par Jean Paris (39). Kierkegaard, par Marguerite Grimault (59). Laclos, par Roger Vailland (16). La Fayette (Mme de), par Bernard Pingaud (45). La Fontaine, par Pierre Clarac (55). Machiavel, par Edmond Barincou (38). Maïakovski, par Claude Frioux (56). Mallarmé, par Charles Mauron (67). Malraux, par Gaëtan Picon (12). Marivaux, par Paul Gazagne (26). Maupassant, par A.-M. Schmidt (61). Mauriac, par Pierre-Henri Simon (14). Melville, par Jean-Jacques Mayoux (44). Michelet, par Roland Barthes (19). Molière, par Alfred Simon (40). Montaigne, par Francis Jeanson (3). Montesquieu, par Jean Starobinski (10). Montherlant, par Pierre Sipriot (17). Nerval, par Raymond Jean (68). Pascal, par Albert Béguin (6). Pasternak, par Michel Aucouturier (66). Poe, par Jacques Cabau (49). Pouchkine, par J.-L. Backés (73). Proust, par Claude Mauriac (11). Rabelais, par Manuel de Diéguez (48). Renard, par Pierre Schneider (37). Rimbaud, par Yves Bonnefoy (54). Rolland (Romain), par J.-B. Barrère (31). Ronsard, par Gilbert Gadoffre (50). Rousseau, par Georges May (53). Saint-Exupéry, par Luc ,Estang (34). Saint-Simon, par François-Régis Bastide (15). Sartre, par Francis Jeanson (29). Shakespeare, par Jean Paris (22). Stendhal, par Claude Roy (2). Tchékhov, par Sophie Laffitte (30). Teilhard de Chardin, par Claude Cuénot (58). Verlaine, par J.-H. Bornecque (72). Vigny, par Paul Viallaneix (69). Virgile, par Jacques Perret (47). Virginia Woolf, par Monique Nathan (35). Voltaire, par René Pomeau (28). Zola, par Marc Bernard (7).


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