La Quinzaine littéraire n°26 du 15 avril 1967

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UlnZalne 1i ttéraire

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Numéro 26

15 au 30 avril 1967

Michel

L'art des Noirs d'Afrique

Opium et obstétrique

par

Se alen n'a pas changé

L'œuvre de D ume' e .Tardieu Behan. Chestov.Mailer .Powys Kokoschka. . L' Brut


SOMMAIRE

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Opium et obstétrique

par Victor Segalen

John Cowper Powys

Le Camp retranché

par Jean-Jacques Mayoux

Brendan Behan et Paul Hogarth Oskar Kokoschka Norman Mailer Langston Hughes

Mon Dublin Mirages du passé Un Rêve américain L'ingénu de llarlem

par par par par

Jean Tardieu

Pages d'écriture

par Raymond Jean

« Jacques le Fataliste » et « La Religieuse » devant la critique révolutionnaire

par J. R.

Pierre Boulle Marie-Laure David Georges Simenon Monique Rivet

,Le Photographe L'Echappée Le Chat La Caisse noire

par par par par

Marthe Robert

Sur le papier

par Catherine Backès

Jean-Jacques Mayoux Fernand Rude

Shakespeare Stendhal et la pensée sociale de son temps Œuvres complètes Œuvres complètes

par S. F . par Samuel S. de Sacy.

Le sentiment esthétique chez les Noirs

par Michel

Soixant" !lf'liles filles et

par Françoise Choay

Stendhal Eugène Pottier

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par Boris de Schlœzer

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Apothéose ou déracinement Pouvoir des clefs Athènes et Jérusalem L'homme pris au piège

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Léon Chestov

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Serge Fauchereau Manès Sperber Jean Wagner Marc Saporta

Marie-Claude de Brunhoff Alain Clerval Claude Schmitt Roger Borderie,

par Victor Fa)' L~iris

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Hannah Arendt

Essai sur la Rét'o[uLÏoII

par Roger Errera

Michael Harrigton Oscar Ornati

L'autre amérique Po verty in an affluent Society

par Bernard Cazes

Georges Dumézil

La Religion romaine archaïque

par Raymond Bloch

H.-J. Peters

Ma sœur, mon épouse

par Jean Duvignaud

Jacques Maritain

Le Paysan de la Garonne

par Nicolas Boulte

Bilan de Bresson L'Art Brut

par Roger Dadoun par François Mathey

Un jeune poète

par Pierre Bourgeade

• QUI 'Z. JOU

• Direction: François Erval, Maurice Nadeau Conseüler :

Joseph Breithach

Direction artistique : Pierre Bernard

littéraire

2

Crédits photographiques Flammarion éd.

p.

3

p.

4 Victor Segalen

p. 5 p. 7 p. 9 p. 10

Grasset éd. Gallimard éd. Abonnements: Grasset éd . . Un an: 42 F, vingt-trois numéros. Comité de rédaction: Thomas Hopker, magnum Georges Balandier, Bernard Cazes, Six mois: 24 F, douze numéros. p. Il Marc Riboud, magnum François Châtelet, Françoise Choay, Etudiants : six mois 20 F. p. 14 Roger Viollet p. 15 François Maspéro éd. Dominique Fernandez, Marc Ferro, Etranger: Michel Foucault, Bernard Pingaud, Un an: 50 F. Six mois: 30 F. p. 16 Gallimard éd. Tarif d'envoi par avion: au journal. p. 17 Gallimard éd. Gilbert Walusinski. p. 18 J.-J. Pauvert éd. Secrétariat de la rédaction: Règlement par mandat, , p. 19 Roger Viollet chèque bancaire, chèque postal Anne Sarraute p. 21 Thomas Hopker, magnum C.C.P. Paris 15.551.53 Informations: Marc Saporta p. 23 Roger Viollet Directeur de la publication: Assistante: Adelaide Blasquez p. 25 Gallimard éd. François Emanuel. p. 27 Desclée, de Brouwer éd. Documentation: Gilles Nadeau p. 28 Parc· Film Imprimerie: Coty S.A. Rédaction, administration: p. 29 Compagnie de l'Art Brut Il, rue F.-Gambon, Paris 20. Musée des Arts 43, rue du Temple, Paris 4 Copyright: La Quinzaine littéraire. Décoratifs Téléphone: 887.48.58.

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La Quinzaine

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L E LIVRE DE LA QUINZAINE

Léon Chestov aujourd'hui Chestov se rend compte mieux que quiconque, et pourtant, si fragile, si absurde même 'qu'il puisse paraître, quel autre espoir pour lui - quel autre espoir pour nous .3 vol. Flammarion, éd. de dissiper cet « enchantement sur- , naturel » qui nous fait accepter L'homme pris au piège comme ,allant de soi, donc insur10 X 18. montable, 'tout le dônné, si torturant, si outrageant soit-il ? Ces Après un obscurcissement qui, exercices ont ceci de ' proprement ' bien entendu, ne pouvait être que chestovien qu'ils ne se déroulent partiel, temporaire, voici que l'as- jamais dans l'abstrait; même lorstre de Nietzsche remonte à l'hori- que, dans Athènes et Jérusalem, ils, zon, ainsi qu'en témoigne ces der-, posent de façon tranchante, brunières années le renouveau des tale même, le problème des rapétudes nietzschéennes. Et voici que ports de la foi et de la raison, s'ur la J.ibrairie Flammarion vient de lequel les scolastiques ont si intenrééditer en trois volumes la version sément médité, sa réflexion demeufrançaise depuis longtemps épuisée re engagée dans le' concret. C'est d'une série d'œuvres parmi les qu'il n'opère pas sur des. idées plus importantes de Chestov, telles pures, désincarnées : son «matél'Apothéose du déracinement, le riau », si l'on peut parler ainsi, ce Pouvoir des clefs, Athènes et Jéru- sont' les hommes mêmes qui les salem ; et d'autre part on peut ont vécues, exprimées. Cette mélire aujourd'hui dans la collection thode s'esquisse déjà dès le premier 10 x 18, sous le titre l'Homme pris livre de Chestov, Shakespeare et au piège trois études de Chestov son critique Brandès, mais elle ne sur Pouchkine, Tolstoï, Tchékov, prend son plein sens qu~ dans les cette dernière particulièrement ré- ouvrages qui suivirent, l'Idée de vélatrice de la méthode chestovien- bien chez Tolstoï et Nietzsche, la ne. Simple coïncidence? Je ne le Philosophie de la tragédie (Doscrois pas. Comme Nietzsche en toïevsky et Nietzsche), plus tard la effet, dont on ne peut manquer de Nuit de Gethsemani (Pascal), en" le rapprocher fût-ce par son goût fin Kirkegaard et la philosophie de la forme aphoristique, mais dont existentielle. A travers les œuv:res il se sépare sur certains points c'est toujours l'homme qu'il interessentiels, Chestov est de la race de ces penseurs solitaires, inclassables, de ces aventuriers de l'esprit qui nous troublent, nous inquiètent, nous scandalisent, et néanmoins exercent sur nous une étrange séduction alors même que leur incessante mise en question de nos conceptions, de nos modes de pensée menace notre confort intellectuel, ébranle une assurance que paraissent justifier amplement les succès de nos sciences, de nos techniques. Le « non » qu'ils opposent ·aux conceptions de leur époque nous est indispensable. Ces penseurs sont toujours actuels dans la mesure même où ils sont toujours , inactuels. , Un des aphorismes de Chestov s'intitule Exercitia spiritualia. Ce titre pourrait être étendu à l'ensemble de son œuvre : en somme, il :rie ,fait rien d'autre que s'exerLéon Ches:Vv cer à penser ,c ontre la pensée rationnelle, en retournant en quel- roge ; « interroge » est d'ailleurs que sorte celle-ci comme on retour- un euphémisme, bien plutôt il le ne un gant, et en faisant pour cela , poursuit, le traque, ce qui n'impli, feu de tout bois. Paradoxe ? Mais, que nullement qu'il le juge. Cedit Chestov; « Il faut ' fouiller et pendant, ne nous y trompons pas, retourner _profondément le terrain il ne s'agit pas en l'occurence de trop bien dame de la pensée con- psychologie mais de philosophie, de 't emporaine. Toujours donc et! à celle que Chestov appelle « philo;chaque pas, quand l'occasion se sophie de la tragédie ». Car Chesprésente et même ,quand elle se tov ne s'occupe que des situations fait attendre, avec ou sans raison, limites : tant que l'homme est plus il est bon de railler les jugements ou ;'m~ns satisfait; bian portant, les plus répandus et d'énoncer des tant qu'il est dans son état normal, paradoxes. On verra plus tard ce Chestov ne prête pas grande attenqu'il faut en faire. » tion ,à ce qu'il dit, mais que la fouDes dangers que présentent ces dre éclate sur la tête de cet homme, exercices spirituels 'qui sont tou- qu'une catastrophe le frappe et jours à renouveler, qui n'abouti- l'arrache à l'existence quotidienne, ront jamais à un résultat définitif; Chestov est à ses côtés. « Lorsque Léon Chestov

Apothéose du déracinement Pouvoir des clefs Athènes et Jérusalem

La Quinzaine liuérah-e, 15 au 30 Gvril 1961.

l'homme est menacé de mort, écrit~ il, il se débarrasse brusquement de toutes ses pénibles obligations envers l'humanité, l'avenir"la civilisation, etc. Au lieu de tout cela, il n'a plus à résoudre qu'une très simple question concernant sa propre personne, solitaire, insignifiànte, infime. » Et ce sont les « révélations de la mort » de ces hommes tombés « hors du général » - révélations qui n'ont rien de commlln avec nos vérités diurnes que recueille Chestov et non leur enseignement, leur « prédication », laquelle n'est à ses yeux qu'un alibi : parlant de Nietzsche, ,il ne dit presque rien de la Volonté de puissance, de l'Eternel retour, du Surhomme ; Guerre et Paix est une œuvre philosophique, affirme-t"il, mais il ne souffle mot de la philosophie de l'histoire de Tolstoï. La méthode chestovienne est donc essentiellement subjective. On ne peut, selon lui, entendre la, voix d'un Nietzsche, d'un Dostoïevsky, qu'en prenant part directement à leur lutte, en faisant sienne leur cause. Prétendre être objectif en de tels cas, c'est se leurrer soimême et leurrer les autres. Cela dit, l'attitude anhistorique de Chestov ne pourra nous surprendre : Socrate, Epictète, Plotin, Descartes, Spinoza, ne marquent pas les étapes de l'évolution de la

« deux fois deux quatre », les lois , de la matière, son « deux fois deux cinq » à lui, ses besoins, ses désirs,

son caprice. Et en remontant plus loin, infiniment plus loin, au dela de l'histoire" nous découvrons le mythe biblique : ayant goàté des fruits de l'arbre de la science, l'homme est soumis à la mort. ' Et cependant il a obtenu la connaissance, il est éclairé par, la raisop qui lui donne accès au monde idéal . des principes, des lois logiques. Mais connaître, n'est-ce pas constater ce qui s'est constitué en dehors de nous, et trop souvent contre no,!!s r Et n'est-ce pas ce monde idéal qui .nous contraint à accepter la réalité quelle qu'elle soit, qui transforme le « ce fut » en un roc inébranlable, Dieu même, pa,raît-il, ne pouvant faire que ce qui a été n'ait pas été. Et l'éthique, qui est toujours à la disposition de la raison, nous interdit même de protester, exigeant de nous que nous adorions ce qui nous tue et supportions avec courage, l'âme sereine, les plaies, les çrachats dont nous abreuve 'l'existence. C'est dans la conscience de notre grandeur, de notre héroïsme, que ,nous trouverons notre consol~tion; aussi l'homme vertueux, assurent les stoïciens, sera-t-il heureux jusque dans le taureau de ' Phalaris. E;t Spinoza déclare : \11 béatitude n'est pas la récompense de la vertu, elle est la vertu même. Bref, l'éthique ne nous apprend rien d'autre qu'à nous soumettre en faisant bonne mine à mauvais jeu. Reste Dieu. Non certes le Dieu des philosophes qui est de l'ordre idéal des principes, des postulats, des axiomes. Il ne peut s'agir que du Dieu vivant. L'attitude' de Chestov face à ce Dieu a toujours été ambiguë ; dans l'Idée de Bien chez Tolstoï et Nietzsche il nous appelle à chercher Dieu au delà du bien et du mal, de la vérité et. de ,l'erreur. Mais dans la perspective chestovienne, poser la question : Dieu existe-t-il ? n 'a aucun sens. Il ne faut ,pas interroger : en effet, qui interrogeons-nous ? La raison, bien entendu. ({ Si elle nous

dit que Dieu est, Il est ; si elle nous dit qu'Il n'est pas, Il n'est pas.» Comment pouvons-nous philosophie, ils sont ses J'ment come l'ami tout

ils entourent Chestov, contemporains exacteHusserl, dont il fut -en l'attaquant dans

Memento morio Dans ces conditions, comment atteindre Chestov si on ne se décide pas à lui appliquer sa propre méthode? On ne le comprend qu'en mettant, ne fût-ce qu'au départ, ses pas dans les siens, en participant de quelque façon à ses combats, en admettant fût-ce à son corps défendant sa problématique explosive. En remontant ' aux sources de cette problématique, nous trouvons tout d'abord l' « homme souterrain » de Dostoïevsky qui ose follement opposer au stupide

abandonner ce qui nous est le plus précieux, le plus nécessaire, à quel~e chose d'anonyme qui est ' aussi indifférent à notre sort qu'un soli. veau? Dans l'entre-deux guerres, la problématique chestovienné a marqué un moment des espritS aussi différents que Gabriel Marcel, André Malraux, Camus. Mais il est clair que si profondément qu'on soit atteint par Chestov, on né peut _ rester avec Chestov ; il ne peut y avoir de chestoviens pas plus qu'il ne peut y avoir de nietzschéens (voir Zarathoustra). Demeurer fidèle à Chestov, c'est paradoxale- , ment l'abandonner et poursuivre sa propre quête à ses risques . et

pé~ls.

Boris de Schloezer 3


UN INÉDIT DE VICTOR SEGALEN

OpiulD. et obstétrique Médecin de la Marine, Victor Segalen (1878-1919) accomplit à Tahiti son premier séjour outre-mer; il Y retrouva avec ~motion les traces encore chaudes de Gauguin, qu'il savait déjà admirer. Puis, aux Langues orientales, il s'initie à la Chine. Il va, au cours de trois missions (1909-1910, 1913-1914, 1917), Y vivre à la dure, dans la condition de l'explorateur, de l'archéologue, du pionnier, en contact étroit avec la terre chinoise, avec les hommes de cette terre, avec la pensée de ces hommes. Chez Plon va paraître dans quelques jours la collectiOn des lettres qu'il écrivit à sa femme durant la première des trois missions. Avec l'autorisation de l'éditeur et des ayants droit de l'auteur, nous publions ci-après une de ces lettres, jusqu'à présent inédite. Victor Segalen était à l'époque et il devait rester fort préoccupé de ce qu'il appelait l'exotisme. Or le mot prenait dans son esprit un sens tout différent de celui, pittoresque et touristique, que .lui donnent maintenant nos manuels de littérature : il représentait pour lui la démarche spirituelle d'un homme qui, d'abord tout imprégné de l'expression symboliste et nourri d'imaginaire, s'avançait à la rencontre et vers la connaissance ou plutôt la reconnaissance du réel. Exotisme: c'est sortir de ses propres rêves pour en retrouver la signification et la justification dans une réalité non pragmatique du dépaysement. De cette quête du réel nous espérons que la lettre qu'on va lire donnera une illustration caractéristique. Rappelons quelques lignes de ce qu'a pu en écrire un Pierre Jean Jouve : « Un esprit essentiellement occidental, appartenant par :son époque à la culture raffinée mais un peu lasse du Symbolisme, procédant toutefois de Rimbaud directement, ayant plus que Rimbaud peut-être l'exigence de la grandeur et de l'indicible, vient trouver cette grandeur et cet indicible dans le prodigieux songe chinois, découvre en Chine le chiffre, le secret de son être propre.»

17 septembre (1909). Toujours bloqués par une pluie, des pluies incessantes à Houatcheou, à deux jours de Si-ngan-fou. Avanthier, nous avons trouvé propice ce jour gris et cette tombée de nuit sans espoir de départ pour le lendemain, et nous avOns fumé. Or, voici les inattendues conséquences obstétricales de. ce premier soir d'opium : nous avions, en causant, passé par hasard à des questions epcactes : comment se déroule la grossesse, ses vrais signes, ses troubles, ses dangers, son issue qui est assez généralement l'accouchement ; la délivrance, les soins aux nouveaunés et à l'accouchée. Augusto s'intéresse prodigieusement à tout ce qui est médecine. Son plus grand plaisir est d'aider et surtout de j?uer à l'occasion le rôle de thérapeute : il m 'arrache le pinceau d'iode des mains pour en badigeonner les poitrines des muletiers qui toussent ; et ce cours d'obstétrique l'avait fort intéressé. Note que, depuis trois mois, c'était la première fois que nous parlions obstétrique, et surtout avec cette insistance. Mais il manquait l'application pratique la voici. A lninuit la porte s'ouvre, et Yang vient nous dire que le Mandarin de Houa-tcheou nous suppliait de nous rendre auprès de la femme de son fils, en couches depuis quarante-huit heures (?) et qui « allait mourir ». Ceci ne pouvait tomber mieux. Nous voilà debout, en 4

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Un photo prise par Victor Segalen en janvier 1910. Bas Yangtsen.

vacillant un peu, car les pipes avaient été grosses, et, précédés de lanternes rouges, blanches, escortés de la suite du Mandarin, nous voilà en marche à travers la nuit et la boue. On nous reçoit très cérémonieusement d'abord, puis on nous fait entrer dans la chambre où, assis sur un petit escabeau, soutenue par des femmes, la jeune future mère assez épuisée, attend en effet depuis longtemps l'issue en question. Je commence par la mettre en meilleure posture; j'explore; Augusto explore; la chose n'est pas loin. Comme toujours, influence de l'arrivée de l'accoucheur; ça se précipite; heureusement pour l'enfant qui, depuis un jour, ne donnait plus signe de vie, et qui surgit en état plutôt éteint. Je quitte la mère pour tenter sur lui tout ce qu'on peut faire de révulsion et d'excitation à bien vouloir goûter à la vie. Au bout de quelque temps, le cœur repart; au bout d'une heure, il y a quelques respirations spontanées ; au bout de deux, l'enfant se décide à vivre à peu près tout seul. Mais, en réalité, c'était plus compliqué. Augusto, de premier aide devenu opérateur, avait lié et coupé le cordon pendant que je pratiquais de la respiration artificielle; puis, au bout d'une demiheure, avait très habilement extirpé le placenta, reconnu les membranes intactes, pansé la mère, enfin s'était conduit mieux que la plus brevetée des sages-femmes, comme un sage-homme de Fe classe. Il m'aide et me succ~de auprès de l'enfant car l'opium n'avait pas perdu ses droits; et j'entremêlais mes pratiques d'accoucheur de vomiturations de femme enceinte. Enfin à 4 h, ou même 5 h, nous rentrions déguster les quelques heures de paix que procure la drogue ; mais vrai ! les émotions et exercices ont été un peu vifs et nous nous endormons. Réveil lourd et nauséeux extrêmement, à 10 h. Surtout pour moi qui n'ai pas la moindre intoxication habituelle. Mais il fl!ut aller voir l'accouchée. Bien. Fils peu vivace. Ceci constaté entre deux prodigieuses nausées nous esquivons le thé d'honneur, les congratulations du beau-père et du père - , figures très sympathiques et nous rentrons, criant vers la bonne diète et la liliération de nos estomacs, quand ... Une table apparaît soudain, la nôtre, hélas, effroyablement lourde d'un dîner chinois complet; multiple, coloré, bavant ses sauces, jutant ses coulis et servi par d'attentifs maîtres d'hôtel mandarinaux. Je croque trois pistaches d'un air épouvanté, et je m'étends sur le lit de camp; cependant qu'Augusto se gave d'œufs verdâtres de canards confits à la chaux! Puis, sieste désirée, pas trop lourde d'abord,

mais qui se' prolonge, s'altère, s'épaissit et devient ce redoutable cauchemar. La reconnaissance du mandarin déborde ; sa gratitude est pesante. Voici des porteurs de tribut qui, de sa part, viennent présenter des jambons fumés, des poulets gras, des holoturies pédiculées, des concombres, des viandes, des saucissons, des gâteaux de farine, des rissoles d'huile rance, des fromages, des bières japonaises et des assiettes d'épicier ... Il faut que je morde aux jambons; il faut que je décortique la paille, que je mâche les ragoûts... et, pour comble, je dois soupeser deux paquets plus lourds que les autres : cent cinquante taels d'argent, en lingots, entourés de papier rouge... Alors à travers ma moustiquaire ~ car je me suis éveillé et constate que tout cela est réel - j'entrevois l'assaut de ces denrées insupportables et je bondis hors de mon lit pour les combattre de pied ferme. On transige. Les taels, inacceptables pour « Les Excellences» que nous sommes, s'en retournent au Mandarin ; les autres offrandes se distribuent à nos gens et à nos chevaux qui ripaillent. Et je vais, une fois de plus, alléger mon estomac épouvanté. Le soir, visite à l'accouchée. Plus éveillée, c~mfiante. L'enfant s'éteint peu à peu. De retour chez nous - dans cette demeure que la pluie effondre sur nos têtes, car il pleut des tuiles et des briques - on nous annonce que, puisque nos « Excellences» refusent les dons en argent, cet argent sera consacré à leur élever une stèle honorifique, qui proclame impérissablement leurs bienfaits ! Enfin, cette nuit, vers 5 h, on me prévient que l'enfant est presque mort. J'y vais. Il a, en effet, complètement renoncé à vivre. Le père, très simplement, me fait observer que la mère va bien. J'avoue que la coïncidence est extrêmement curieuse entre notre causerie d'opium, et l'issue de la nuit. J'ai été surpris d'autre chose : la parfaite liberté avec laquelle ces gens ont reçu nos soins : aucune pudibonderie déplacée. Exactement l'attitude réservée sans restriction de la femme bien élevée qui se confie au médecin en Europe. Mais je crois que cela vient d'une chose, qu'ils avaient eu tous très peur, et depuis deux jours. Pour le reste, très dociles à toutes les prescriptions. Mais soins incoX:O:parablement plus difficiles à donner qu'à Tahiti où l'on trouve à foison linge propre, eau bouillie ... Depuis, les Suppliants affluent. Je distribue les panacées les plus hétéroclites, fleur de soufre, gouttelettes de quinquina, qui sont reçues avec transport et foi. Tout à l'heure un homme est venu nous chercher, près de sa femme qui, elle encore, venait d'accoucher, mais était morte depuis deux heures. Nous ne l'avons pas ressuscitée ...


LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Un débutant de soixante ans John Cowper Powys Le Camp 'retranché trad. par Marie Canavaggia Grasset éd., 504 p. ~

Mort en 1963, John Cowper Powys ~st né en 1872. Sa florai.s on, en "tant que romancier, dans les ~nl!-ées trente (on peut négliger un premier roman daté de 1915) est donc tardive. Elle est le fait d'un esprit ardent, profond, compliqué, .,qui, au terme d'une longue et difficile prise de conscience, se sentait en mesure de rendre compte. Je ne suis pas sûr que la première fois que je suis allé vers son œuvre, pour lire l'essai intitulé In defence of Sensuality, mon anticipation ait été digne de ce très singulier génie. Je pensais découvrir un Lawrence négligé. Mais le retour aux sources de la sensibilité érotique, appuyé, chez Lawrence, sur les Etrusques et diverses populations au teint sombre, ne remontait .q ue jusqu'à hier ou avant-hier. La réaffirmation des m 0 des primitifs de l'âme ' sen s i b 1 e, qui régnaient; avant que l'ilLvention de la raison nous fît sortir du monde, ne nous dépaysait que pour nous permettre au prix d'un effort de nous accliniater et de nous reconnaître. Avec celui-ci ce n'était pas seulement au delà du rationnel que nous étions, mais bien au delà de l'humain, dans un climat humide et obscur de grandes fougères, au bord d'eaux ' torpides et lourdes où cherchant notre place nous ne pouvions la trouver qu'au prix de nous métamorphoser en ichthyosaures C'est cela que Powys me proposait, et cette extase diffuse, cette lente mobilité et particulièrement, - comme il y insistait - ces amours sans orgasme dont il èroyait trouver le modèle encourageant dans ces bêtes engourdies. Powys allait se révéler pleinement dans une superbe Autobiographie (1934), poursuivant la quête d'un grand secret et s'arrêtant chemin faisant pour mainte extase ' provisionnelle. Bien qu'il remette la quête de Proust à sa place, on n'est pas sans voir quelque rapport quand il écrit de ces ,« précieux: moments» qu'ils tendent à . se former quand « contempIani quelque scène ou ob jet particulier on se rappelle soudain 'quelque autre cause profonde de , contentement, dans sa vie, mais • totalement indépendante de celle que l'on considère pour l'instant, et située hors du même plan de sentiment ». C'est alors que le temps d'un éclair a se sent basculer dans le réel. Et le réel, dissipées les formes et les apparences, c'est tout de suite l'élémentaire : « Je me sens métamorphosé en air, en feu, en eau, j'ai vraiment la sensation de planer, de flamber, de couler. » Ainsi disposé, il est peu assujetti au temporel, ou du moins au temporaire. Sa mémoire insolite et

multiséculaire de médium marche dans un monde épais, dans la simultanéité lourde d'un passé qui ne veut pas passer, qui se manifeste dans le présent, contre le présent, par une insistance maléfique, un pouvoir d'interférence et de détraquement. Fils de pasteur, assujetti toute sa longue vie à la personnalité oppressive et singulière de son père, Powys descend ou croit descendre des anciens rois bretons du pays de Powys, et c'est la sombre fantaisie du génie celtique remodelé par le protestantisme dont nous trouvons partout dans cette œuvre les marques compliquées au delà d'une émancipation illusoire. Powys n'est pas - il . n'eût pas tant attendu pour le manifester un romancier naturel; c'est sa p'r ésence au monde et c'est le monde particulier où il se découvre présent qu'il décrit jusqu'à satiété, jusqu'au 'ressassement. Dans chaque roman, que ce soit J obber Skald (les Sables de la mer) ou Wolf SoIent ou ce Maiden Castle (1937), il a son représentant. Ici, c'est Dud qui, sachant qu'il n'est pas le fils de M. Smith, mari de sa mère, choisit d'être connu comme M. Personne par un monde-cyclope. Nous le rencontrons, le jour des Morts, au cimetière, rêvant à ses amours décomposées avec une Mona qui avant de mourir dix ans avant avait été tout Ull an son épouse inviolée, et qui maintenant hante son imagination lascive. Mais, le même jour, le voici découvrant dans une roulotte de cirque, à travers les éclats de voix d'une dispute violente, la jeune écuyère Wizzie Ravelston qu'il achète aux gens du cirque, lesquels n'en finiront pas de le faire chanter sans d'ailleurs qu'il résiste jamais, sous prétexte que (la législation du monde powysien semble sortie d'une cervelle puérile) le patron lui ayant fait un enfant alors qu'elle était fort mineure, elle pourrait être poursuivie pour l'avoir détourné de sa conjointe. Avec Wizzie recommencent de plus belle des amours d'ichthyosaure, des coucheries infantiles, d'interminables caresses dont on ne saurait . dire qu'elles nous communiquent les délices sensuelles qu'elles affirment. La persona de l'auteur est toujours bouffonne aussi bien qu'intense et profonde. Dostoïevski n'est-il pas aussi de ses maîtres? Solitaire par vocation, son Dud, comme lui-même, s'embrouille dans l'existence par hérédité. Le père de notre voyeur est un voyant, lourd, érasseux 1 puant et avec cela une sorte de Lazare ou de fauxvivant portant en lui tout le règne de la mort. Sa présence physique jointe à sa puissance maléfique est l'une des bonnes choses du livre. C'est lui qui oriente tous les participants vers le grand oppidum celtiquè dit Maiden ou Maidun Castle, avec lequel il semble en

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967.

liaison démoniaque. C'est lùi dont Wizzie qui n'est pas tout à fait à la hauteur des pariades ichthyosauriennes s'éprend furieusement, cherchant un mâle et croyant (à tort au moins dans le présent) le père plus' capable ou plus intéressé que le fils : en fait il a découvert, lui aussi, « la force spirituelle que recèle l'amour stérile. » Le même jour, à partir du cimetière et d'une VOIsme de tombe, Dud a retrouvé · son père, qui se trouve être le mari de cette

John Cowper P01"YS

femme et qui l'attendait; puis !lamie d'un père platonicien et d'une sœur à la virginité attardée, une mince artiste aux cheveux flamboyants avec qui il ira plus loin encore dans ses voies érotiques qu'avec Wizzie, consommant sans la toucher, mais non sans les lui fair e partager, d'inimaginables luxures. « Un voyeur cérébral », disait Powys dans !!lon àutobiographie. « l'ai un dégoût morbide, une détestation surraffinée, digne d'une

fille vierge, des aspects grossiers . de la sexualité normale. » Il dérive en revanche ({ un plaisir extraordinaire de se faire jeune fille en imaginatir;m», et, particulièrement ému par les jambes, de « faire de ses guibolles flétries de vieillard les doux membres d'une jeune fille.» Il attribue d'ailleurs le goût d'un pareil travestissement .cérébral à son maître Wordsworth. ({. Un tordu » (twist), ({ voilà ce que je suis.» (Autobiographie, p. 642). Voilà aussi ce qu'est Dud. Voilà, pour ne rappeler qu~ le roman précédemment traduit, les Sables de la mer, ce qu'était Magnus, c.e qu'était dans le même roman Sylvanus - il « avait depuis longtemps acquis le pouvoir précieux qu'exercent, dit-on, les lamas du Thibet, de réduire l'intensité du désir physique à un niveau propice à la prolongation plutôt qu'au paroxysme ». Dud, traversé, au cimetière, par une émotion excessive, s'entend hurler comme un chien. Sylvanus (Sables, p. 474) poussait un hurlement animal. Tout étant transmis de l'auteur au personnage, se transmet également d'un personnage à l'autre. Voilà, attendu d'avance puisque c'est toujours la même chose, le gros de l'anecdote. On clira que ce n'est pas cela qui compte. Mais si, hélas! La technique de Powys est ici particulièrement impossible. Nul écrivain qui compte, depuis cinquante ans, n'écrit des dialogues ({ réalistes» comme ceux-là, ne déroule des scènes comme celles-là:, ne se passe à' ce point d'ellipses et de montages, n'ennuie aussi longuement de personnages, comme le bébé Chouchou dans sa poussette. Le lecteur est un. adversaire .qu 'il · faut réduire. Powys voit trop en lui un masochiste docile, le lecteur qui pâme devant l'insolite parce qu'il y a eu Edgar Poe. Il y a eu Maeterlinck aussi, à qui j'ai souvent pensé devant ces poses et ces grimaces du surnaturel. Il y a aussi Planète, pour qui ce livre semble fait. Hardy a été, lui aussi, un maître de Powys, et ce Dorchester-ci où fut brûlée atroceme>J.t vive l'adultère Mary Channing est son Casterbridge, cité des g~nérations mortes et des eaux vives, que PoWY.s a su créer ou retrouver n'li~ux que l'oppidum qui, comme tant de' choses ici, ne dépasse pas ses données. Powys, mort il . y a quatre ans, était-il déjà si fatigué il y a trente ans? Ma pensée retourne aux Sables de la mer, à la puissance de vision qui nous permet d'oublier que Powys distribue des rôles et répartit · des idées plus souvent qu '~l ne crée des personnages. Ce livre-là n'avait pas besoin d'être hanté pour tenir tous ses' personnages dans U:n réseau d'intensités cosmiques. J'y renvoie le lecteur soucieux de . découvrir Powys. Jean-Jacques Mayoux


Un pochard de génie Brendan Behan et Paul Hogarth Mon Dublin . trad. de l'anglais par R. Marienstras et P. Bensimon Coll. « Dossiers des Lettres nouvelles » Denoël éd., 166 p., 20 hors-texte.

De son faible pour « ce qu'on met dans les carafes », Brendan Behan ne fit jamais mystère, tant et si bien qu'en 1964, à quarante ans, il rejoignit au bar du panthéon littéraire les pochards de génie, les Dylan Thomas et les Malcolm Lowry. Sean O'Casey tonnait: « L'Irlande n'est pas si prodigue en écrivains qu'elle puisse se permettre de se passer de Brendan. Ne peut-on rien faire pour l'arrêter? » Ni les colères du grand aîné ni les avertissements des amis n'empêchèrent . Behan de gaspiller joyeusement ses dons et sa vie. Ces détails biographiques ne sont pas indifférents pour aborder Mon Dublin. Brendan Behan vous entraîne de bistrot en bistrot à travers sa ville, vous visitez la brasserie Guinness, vous apprenez à apprécier une vraie bière, un bon whiskey irlandais - ne pas confon-

dre avec les sous-produits appelés whisky. Et de s'en prendre aux Anglais, de s'attendrir sur un souvenir d'enfance, et de s'esclaffer si le voisin de table de Brendan Behan passe à travers une vitre. Tout le livre est mené avec brio, jalonné de chansons à boire gaies, tristes ou guerrières ; les sous-titres des chapitres sont éloquents : Un apéritif, Buvons un coup ... Mon Dublin est un régal ; c'est déjà beaucoup, mais pour Brendan Behan, ce ne serait pas assez. Behan sait ce qu'il fait ; ce qu'il dit de sa conception de l'art dramatique est sans doute également vrai de ce livre dont la bonne humeur ou la simplicité du ton ne font pas longtemps illusion : « Aujourd'hui, ce qu'un auteur dramatique doit faire avant tout, c'est amuser son public ; alors, pendant que les spectateurs se fendent la pipe, on peut faire n'importe quel foutu truc derrière leur dos, et c'est ce qu'on fait derrière leur putain de dos qui fait la grandeur de la pièce ». En vous faisant rire des Dublinois, Behan parvient à vous les faire aimer et vous faire prendre leur parti. L'oppresseur extérieur est toujours

britannique pour les Irlandais. Là encore, ne pas confondre les termes ; Behan, très sourcilleux, fustige le larbinisme de l'Irlande du Nord et rejette « le mythe de l'Anglo-Irlandais, et la tentative d'embrigader les écrivains irlandais (ceux particulièrement qui se trouvaient être protestants) dans le camp de la chasse au renard et de la niaiserie royaliste ». L'oppression vient aussi de l'intérieur : l'Eglise, sous toutes ses formes, « est responsable de presque tout ce qu'il y a de réactionnaire en Irlande ». Le sourire aux lèvres et le verre à la main, Brendan Behan présente le meilleur plaidoyer pour sa ville et son pays natals. Les grands écrivains irland:'lÎs passés, de Yeats à O'Casey, ont laissé des autobiographies qui sont des œuvres en soi mais dont ils ne tirent pas l'essentiel de leur gloire. Brendan Behan n'échappe pas à cette règle dont George Moore serait l'exception. Et pourtant, tout Brendan Behan est dans Mon Dublin : comment ne pas reconnaître l'auteur d'Un peuple partisan dans ces anecdotes de l'insurrection ou celui d'Un otage dans le récit dia-

logué la Grande Maison, où l'on ne sait si l'on doit tout à fait rire ou pleurer ? On y retrouve posés les problèmes chers à Behan. (Il faut garder à l'esprit qu'il fut longtemps mer.lbre de l'I.R.A., la plus ou moins secrète armée révolutionnaire irlandaise.) Mon Dublin est une illustration généreusement anglophobe et anticléricale des problèmes politiques et humains de l'Irlande. Même si Brendan Behan n'avait pas été le romancier et dramaturge que nous connaissons, ce livre eût été un document de première importance, moins parce qu'on y voit l'évocation de Wilde, Joyce, Yeats et O' Casey que parce qu'il nous mène au cœur de Dublin et de l'Irlande de naguère et d'aujourd'hui. Ici, il serait injuste de ne pas rendre hommage aux dessins hors texte de Paul Hogarth qui accompagnent parfaitement le propos de B,e han. Paul Hogarth est un descendant de William Hogarth ; à regarder les portraits de Mary Daly, de Tommy Kane ou les croquis de buveurs, je crois qu'on l'aurait deviné.

Serge Fauchereau

INFORMATIONS

Le livre français à l'étranger En même temps que le syndicat national des Editeurs publie les statistiques concernant les exportations françaises de livres, l'éditeur Jérôme Lindon présente un « Rapport pour servir à l'élaboration d'un programme de défense du livre français à l'étranger • devant le Comité pour la Défense et l'Expansion de la Langue française.

Dans ce rapport, fait en présence - il faut le remarquer à toutes fins utiles - du Premier ministre, l'un des éditeurs qui sont à la pointe de la littérature expérimentale examine donc les relations entre le livre et l'Etat et expose les lignes de force d'une politique internationale du livre français.

Les éditeurs et l'Etat

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Dès le 15 mars aux Editions

Rencontre Les œuvres complètes de

C.F.Ramuz 20 volumes 9.60F le volume (+ port 0.60 F) Pour souscrire : Editions Rencontre 4, rue Madame, Paris Vi e 6

Si Jérôme Lindon se félicite de voir le livre bénéficier du régime de la libre entreprise, il déplore que les exportations dépendent de six ministères différents - encore qu'il existe une Association nationale du livre français à l'étranger, que préside André Chamson - et que cette multi· plicité de tuteurs rende plus difficile la recherche des solutions. L'argument selon lequel le prix du livre français serait prohibitif, en raison d'un tirage qui n'est pas comparable à celui que permet le public anglo-saxon, semble mal fondé: le prix d'un livre à l'étranger n'est pas fixé par l'éditeur mais par le libraire, et celui-ci a tendance à élever le coût en fonction de la rareté du produit. Une augmentation des exportations françaises ferait diminuer sa rareté et abaisserait les prix de vente. Dans la mesure où le livre, en défendant les positions de la langue française dans le monde, ajoute à son rôle commercial direct une action plus générale qui favorise tous les marchés économiques français, Jérôme Lindon suggère qu'il soit considéré comme une marchandise prioritaire .• Chaque fois que la France est amenée à faire bénéficier un pays de prêts à long terme, de crédits d'équipement, ou d'une aide commerciale, le livre devrait bénéficier d'une place privilégiée dans ces accords . »

Un certain nombre de pays francophones africains (notamment le Daho· mey, la Guinée, la Haute-Yolta, Madagascar, le Sénégal etc.) maintiennent de fortes taxes sur les importations de livres, malgré les recommandations de l'Unesco et certaines professions de foi de la part des dirigeants. Quelles que soient les réserves que l'on puisse faire à ce sujet; il convient de relever que, sur les statistiques d'exportation, la Côte d'Ivoire vient au 7' rang, avant l'Espagne, avec 4399 quintaux métriques de livres français , pour une valeur de 7232000 F. Et Madagascar, malgré 1es taxes auxquelles fait allusion Jérôme Lindon , n'en est pas moins, juste avant le Sénégal, au treizième rang.

L'Europe de l'Est L'Europe de l'Est constitue le deuxième secteur clé pour l'action en faveur des exportations. Non que de nouveaux accords soient à envisager, mais parce que les textes existant qui fixent les contingentements à l'importation des livres françaiS - pour limit.és qu'ils soient - ne sont même pas respectés. La .Pologne n'a dépenSé que la moitié des ' 3 millions de Francs attribués en 1965 aux achats • culturels ", dont 748 000 F seulement pour les livres, ' et la Tchécoslovaquie n'a acheté, la même année, que pour 166 000 F de livres français. Le premier de ces deux pays ne vient qu'au 45" rang sur la liste des importateurs de livres français, avec un chiffre de 749000 F, tandis que le second ne figure pas sur la liste des cinquante pays les plus importants dans ce domaine. Le seul autre pays de l'Est qui y ait sa place sur la liste est la Roumanie (32'), entre le Mali et la Colombie. L'ensemble des ventes, pour toute l'Europe de l'Est, ne · dépassait pas en 1965 le chiffre atteint par une grande

librairie parisienne. 1\ ne s'agit pas là d'une indifférence du public, mais d'une politi que gouvernementale dû· ment établie dans les pays communistes. Les livres françaiS y sont introuvables.

L'Am.érique latine En Amérique latine, c'est l'instabilité de la monnaie qui décourage les éditeurs. Les libraires ne les remboursent de leur investissement que plusieurs mois plus tard, en monnaie souvent déjà dévaluée. C'est ce qui explique , semble-t-il , que les exportations de livres françaiS au Brésil soient passées de 3461 quintaux métriques en 1953 à 1 027 en 1965 (trOis fois moins) alors que dans le même temps le nombre des élèves de l'Alliance française passait de 8000 (1954) à 36 000 (1966) .

Me.ures à prendre Pour faire face à cette situation, Jérôme Lindon préconise une série de mesures gouvernementales, inspirées d'ailleurs, en partie, de l'exemple américain. Parmi les palliatifs: les règlements financiers « par voie de chancellerie • dans les pays qui souffrent d'une pénurie de devises (les fonds sont versés en monnaie locale à la chancellerie de l'ambassade de France qui les utilise pour ses dépenses sur place), la garantie d'un fonds de com· pensation pour les pays à monnaie en baisse, l'augmentation des crédits du Fonds culturel (budget pour 1967: 7500 000 F seulement) , la création de bibliothèques françaises à l'étranger et une aide pOL" la traduction (je l.drcains ouvrages, assortie de privilèges accC'rdés aux auteurs étrangers • francophones. Faute de quoi, conclut Jérôme lindon, dans dix ans, toutes les positions acquises seront perdues.


-Le dernier des grands: Autrichiens Oskar Kokoschka Mirages du passé Nouvelles trad. de l'allemand et de l'anglais par Louise Servicen Gallimard éd., 264 p.

Ce livre, dont le titre original (Dans le sable mouvant, une trace) promet les délices d'une nostalgie mélancolique, serait d'après ses éditeurs anglais et américains « une sorte d'autobiographie d'un des plus grands peintres du monde ». En effet, il ne s'agit pas d'une autobiographie, ni d'ailleurs

René de :- Obaldia - théâtre complet

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de 22 ans au centre de l'attention _ publique. Il n'est pas sûr qu'il ait _ cherché cette lutte acharnée pour un art sans artifice et pour la sou- veraineté de la création artistique; il est certain qu'il ne s'en est plus : jamais éloigné. _ Il peignait des portraits quisemblaient révéler des rêves ina- vouables : démasquées, arrachées à toute pose, les figures d'intellec- tuels ou d'hommes riches et puis- _ sants exhibaient une nudité par- _ fois effroyable dans une déflagra- tion de formes et de couleurs. Pourtant, ce peintre expression- niste, un des protagonistes de la _ révolution esthétique de . notre _ siècle, appartient, plus même que _ Franz Kafka, au baroque à un baroque spécifiquement autri- chien. Il déclare lui-même : « l'ai repris l'héritage baroque d'abord _ inconsciemment, tel qu'il s'offrait _ à mes yeux éblouis lorsque, enfant de chœur, je chantais dans les ca- thédrales d'Autriche. » Mirages du passé est essentiellement un recueil de souvenirs en partie imaginaires, présentés dans _ des monologues baroques, pour la plupart parlés et transcrits, mais non écrits. Ils révèlent par frag- ments quelques épisodes de la vie _ de Kokoschka des années d'avant _ et pendant la Grande Guerre. En- _ gagé volontaire en 1914, il se bat- tait contre les Russes - pas long- temps, car il fut grièvement blessé. D'autres épisodes se situent _ dans les années 1918-1945; il _ les a passées à Stockholm, à _ Dresde, en France, en Grande- Bretagne et à Chypre. Le conteur ne se soucie guère d'une méthode ou d'une suite ordonnée de son : récit : « Ma façon d'écrire à bâtons _ rompus m'amènera quand même _ au cœur de mon su jet. » Mais quel est son sujet ? Il entend ne parler ni de l'art en gé- _ néral, ni de son œuvre en particu- _ lier. Il mentionne rarement ses _ travaux et alors toujours avec charme et souvent avec une ironie dont il est lui-même la victime pré- férée : « Paul Cassirer était venu : m'offrir 'un gros contrat, le seul _ que j'aie jamais signé. Tout ce à _ la lutte morale et sociale qui venait quoi ma signature m'engageait était de peindre mieux que mes contem- de se déclencher. » p.orains. Je n'avais plus de sou- _ A l'âge de 18 ans, le jeune pro- czs ... » _ vincial « monta » à Vienne pour Le lecteur attentif tend d'abord _ étudier à l'école des Arts et Métiers. Il en fut expulsé à la suite à croire que ces Mémoires amalga- d'un énorme scandale provoqué més sont dominés par les eXpérien- par sa deuxième exposition, plus ces de la guerre qui ont stigmatisé : le volontaire pour le reste de sa _ particulièrement par les illustralongue vie. Il affirme que quicon- _ tions de deux de ses livres. Kokosque a jamais été soldat ne pourra _ chka qui avait écrit auparavant les plus jamais redevenir réellement pièces de théâtre le Phinx et humain. « Aujourd'hui encore, l'Homme de Paille et l'Espérance longtemps après la fin de la guer- _ des femmes exposa alors les graTe, j'évite de marcher devant qui _ vures qui accompagnaient les deux que ce soit ... Je n'aime pas que _ récits: les Adolescents rêvant et les Porteurs de rêves, dans la Wie- quelqu'un se colle à mon côté ou ner Werkstaette, l'Atelier viennois se glisse derière moi à pas feutrés qui était alors abusivement fameux. comme un meurtrier. » Mais nous découvrons ensuite que tous ces _ L'enthousiasme des intellectuels textes, bien qu'écrits à des époques _ de même que l'exaspération criante des médiocres plaçaient l'artiste

théoricien d'un nouveau style de vie, enfin les moralistes et les écrivains - tels Franz Kafka et Karl Kraus - eux tous, hommes courtois sinon timides, étaient venus déranger le sommeil du monde en troublant sa conscience. L'auteur des Mirages du Passé, né le 1er mars 1886 à Poechlarn sur le Danube, était le cadet de ce groupe de paisibles révolutionnaires - malgré eux - mais non le moins aggressif. Il expliqua un jour à son biographe Edith Hoffmann : « Pour raconter les expériences littéraires d'un homme né vers la fin du XIX' siècle en Autriche, il faut éclairer la finalité de

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genou SIe le satyre de la villette le général

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l'air du large du vent dans les branches , de sassafras le cosmonaute agricole

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sept impromptus à loisir

grasset

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Oskar Kokaschka

de nouvelles, non plus, comme la couverture de Mirages du passé semble l'annoncer. Kokoschka, cet artiste célèbre partout mais étonnamment méconnu en France, ne mentionne guère les faits déterminants de sa vie et s'abstient trop souvent d'en signaler les dates significatives. On le regrette d'autant plus que cet octogénaire, encore très actif, se tro"llve être le dernier représentant d'une génération d'Autrichiens qui, téméraires aventuriers d'esprit, entreprirent au cours des premières décennies de ce siècle de métamorphoser le passé : ils en firent sortir prématurément un avenir révolutionnaire - ses images, sinon ses illusions. Freud et Adler, Gustav Mahler et Arnold Schœnberg, Adolf Loos, l'architecte révolté et

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967,

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.c-

THOMAS PYNCHON

V.

Roman traduit de /'americam par Minnie Danzas " II y a la un cerveau a la Hugo et le rêve d'une œuvre qui rassemblerait Sade . Céline et Joyce", Une véritsble somme littéraire. sans co nteste géniale ... " Yves BERGER (le Monde). "Thomas Pynchon , c'est la ré vélation de ces derniéres années, une étoile de premiére grandeur derriére laquelle pourront toujou rs s'essouffler certains aérolithes nommés Updike. Malamud et autres Salinqer" ', Tristan RENAUD (les lettres Françaises). " Py nch on est quelqu 'un . une sacrée nature .. , Eh bien oui. il fau t acheter ce livre! " Mathieu GALEY (Arts). " C'est. si I"on veut. un romanfeuilleton. c'est également un long. magnifique et complexe poéme do nt le ton ne s' oublie plus, " André HARDEllET (les Nouvelles littéraires) . .. Lisez V. vous aurez envie de le relire, " Robert SABATIER (le Figaro Littéraire) ... Un livre passionnant " Serge FAUCHEREAU (la Quinzaine Littéraire). " Un Niagara de scénes inoubliables .. , Si Rabelais revivait et lisait ce livre , il en serait enchanté ... Depuis trés longtemps, je n'avais pas trouvé un talent d 'écrivain d'une telle violence, " Max-Pol FOUCHET (" lectures pour tous").

PlON


ROGER PEYREFITTE

• • • •

: ~ Le ,dernier des : grands Autrichiens

• • différentes, reflètent en réalité la ••• même tentative désespérée de ré-

• soudre un problème que l'artiste • avait déjà rendu insoluble lorsqu'il • était encore un jeune homme : • « le ne supporte pas d'aimer les • gens, mais' seul je suis livré au Il sera beaucoup pardonllé , à • désespoir. » • Pour cette raison Kokoschka, à Norman Mailer : de tous les éèri• l'âge de 33 ans, choisit une poupée vains de sa génération, il est le • féminine grandeur nature com- seul qui soit, d'abord, un tempé• me compagne de vie. Il s'en faisait rament. Alors que tous ses confrères cultivent amoureusement • accompagner , a ses . sortIes . quotI• diennes en carrosse; il l'asseyait à les fleurs de serre, Mailer se • ses côtés dans la loge de l'Opéra jette dans la bagarre sans souci • de Dresde pour tenir sa main pen- des risques. Il fit jadis campagne pour Wallace, il a félicité son '. dant le spectacle. Cela finit forcé« frère» Castro d'avoir libéré son . ' ment par un scandale, un de plus. : Dans ce livre (d'ailleurs très pays et, aujourd'hui, il insulte • bien traduit) le peintre parle à la Johnson. Tous les moyens lui • manière d'un vieillard célèbre qui sont bons pour s'imposer, y com• s'adresserait à des admirateurs pris ses livres. Dans la v.ie privée, • avides de saisir chacune de ses ceux qui l'ont ft-équenté le décri: paroles afin d'y trouver des raisons vent comme une force de la na• supplémentaires pour leur vénéra- ture, un garçon exubérant, vio• tion. Kokoschka en est évidemment lent, passionné et, pour ' tout di,r e, • conscient, et il formule pêle-mêle un peu dingue. Tout cela ne lais• ses opinions sur l'archéologie, la se pas d'être sympathique d'au• philosophie, la politique et beau- tant que son talent n'est pas con· : coup d'autres sujets. Parlant appatestable : il écrit une prose ner• remment à bâtons rompus, il sème veuse, musclée, rapide. Il est ca• des aphorismes et des mots d'esprit pable, à quelques lignes d'inter• qui ont été jadis en vogue dans les valle du meilleur lorsqu'il • cafés de Vi,e nne. Mais il nous - s'attache au concret - et du pi. • émeut lorsqu'il raconte ses his- re - lorsqu'il ressent « le, besoin • toires d'amour sans am 0 ur: désespéré d'améliorer la condition humaine ». Malheureuse• « Quand j'étais petit, je chantais ment ce souci ne le quitte jamais. • dans le chœur de l'église. Une fois • pendant le canon de la messe, je C'est ce qui explique notre em• restai en pllm dans un solo, parce barras pour parler de son der• que l'Assomption de la Vierge nier roman : un Rêve américain. • Marie peinte au plafond me sembla Jamais le talent de Norman Mai· • soudain devenir réelle et s'accom- 1er n'a été plus évident, jamais sa • plir sous mes yeux. » Kokoschka maîtrise ne s'est mieux affirmée. • fit connaître cet épisode significa- Aucune maladresse, aucune er· • tif à une femme dont la séduction reur dans la composition et le : menaçait de se changer rapidement rythme. Pourtant, le ' livre refer• en agression et contrainte., Il tenta mé, s'impose la certitude qu'il • en vain de lui échapper ... D'une fa- s'agit d'un assez monstrueux ra• çon générale, tous les souvenirs tage. • réunis dans Mirages du passé monUn Rêve américain a été conçu • trent que cet être doué, et affligé à partir d'une expérience person• d'une sensibilité exceptionnelle, ne nelle : il y a trois ou quatre ans, • cessait de se lancer dans des aven- Norman Mailer poignarda sa se• tures où il risquait toujours de conde femme (depuis, il en a ex· • « rester en plan ». périmenté deux autres). Les mo· biles de cet 'acte ne nous regar: Le chapitre « Pâques à Chypre » dent pas, d'autant que l'enquête • est à cet égard sans doute la partie judiciaire aboutit à un non-lieu. • la plus importante de ce volume. Cet épisode de la vie de l'auteur • On y découvre un art du jeu d'om- est le thème même d'un Rêve • bres accompli, un jeu qui nous (Lméricain. Un professeur d'uni• enchante sans cesse en nous révé- versité, d'autre part producteur • lant bien des cachettes insoupçon- de télévision, héros de la secon· • nées, mais jamais celui qui cher- de guerre mondiale, ancien dé• che à s'y abriter. puté, est las de sa femme, la fille • La grande réussite de Kokosch- d'un milliardaire. Il n'arrive pas • ka écrivain tient à l'étomiante vi- à s'en détacher èt, bien qu'il • gueur et au charme de son ton. soit séparé d'elle, il va la rejoin• Présente ici dans chaque ligne, dre dès qu'elle l'appelle. Au cours • <lette qualité aiderait le grand d'une de ces rencontres, elle l'ir• peintre à ecrlre un chef-d'œ~- rite à tel point qu'il la tue. Il la • vre: des Mémoires qui feraient jette par la fenêtre pour faire • comprendre comment, dans la croire à un suicide. • capitale d'un empire qui ne fiJusque là tout va bien:. Le ré• nissait pas de , ~ourir, lui et s,<s pa- cit est maîtrisé. La névrose de ' • reils réussirent pendant quelques Rojack nous est -immédiatement • années à faire ressembler le soleil perceptible et la scène du mèur• couchant à l'aube du jour le plus tre suffirait à elle seule à mon• neuf. trer le talent de Mailer. Mais tout Manès Sperber va se gâter : la police n'est pas

~ flammarion

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UNE ANNEE ,d'informations, de critiques,

les événements du monde des ,livres, les parutions de 1967, les ouvrages importants de l'étranger :

UN ABONNEMENT d'un an à

"La Quinzalne littéraire

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Norman Mailer Un Rêve américain Traduit de l'américain par Pierre Alien. Grasset éd., 304 p.


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Le sexe, .l'alcool, le pouvoir tellement .convaincue de l'innocence du héros. Il va être soupçonné et jusqu'à ce qu'il soit déclaré blanc comme neige, il devra affronter et vaincre, dan~ un climat à demi halluciné, plusieurs . forces dont toutes ne sont pas miiléfiques. Nous enirons dans üné forêt de symboles : chaque être vaincu, représente une des forces que le héros doit abattre

Norman Mailer

pour parvenir à triompher, c'està-dire à s'épanouir pleinement, à être mi homme libre. Je ne suis pas certain, après une seule' lecture, d'avoir saisi entièrement le pro p 0 s de Mailer car il est sou ven t confus. Mais toutes les formes d'aliénation de l'Amé. rique d'aujourd'hui sont évoquées avec plus ou moins de clarté :

c'est la femme, tantôt mante religieuse (Deborah), tantôt victime (Cherry), tantôt créature sans innocence qu'il faut humilier (Ruta) ; c'est le Noir qui, malgré ou· à cause de sa situation, a quelques avantages dont il sait profiter; c'est la police, instrument aveugle et log~que. Et c'est surtout le pouvoir, représenté par le beau-père de Rojack, un milliardaire qui tire sa puissance d'associations dont le prototype est la Maffia. On sait que Mailer a toujours été fasciné par le pouvoir aussi bien dans sa vie '(il a tenté de se faire élire maire de New York) que dans s o ·n œuvre (Cu'mmings et Croft dans les Nus et les morts, Marion Faye dans .le Parc aux cerfs). Dans un Rêve américain, l~ pouvoir est une entité mystérieuse qui peut tout, qui permet tout et qu'on ne peut jamais cerner. Ce rêve américain du pouvoir semble être avap.t tout le délire personnel de Mailer. . Quels sont les moyens qui restent au héros pour s'épanouir (c'est-à-dire, en fait, pour conquérir un pouvoir personnel sur le monde) ? Le sexe d'abord, une des forces qui mènent le monde. ' ï;;à{ea91 qui permet à l'homme de se dépasger ~! d'être dans un état second, ce quC faciJ.ite le re· cours à la violence. Car la grai:ide, la seule solution n'est autre que la violence sous toutes ses formes :. depuis le meurtre jusqu'à la simple performance physique parfaitement absurde. On retrouve là sa notion du hip ou du Nègre blanc, 'notion qu'il a ré. pandue dans ses essais, pour la plupart, il faut bien le dire, d'un niveau de pensée assez faible. J'ai simplifié ce qui se présente chez Mailer comme . une expérience mystique. Le prière d'insérer évoque Dostoïevsky. Mais le génie de Dostoïevsky est d'avoir

Â

un age .

su incarner ses propos les plus _fous. Chez Mailer, on cons-_ tate cet étrange divorce : si tous _ ses personnages, même les plus anodins, sont vivants, leur con- texte est toujours abstrait. Ce qui faisait la grande valeur de les _ Nus et les Morts, c'était ' la par- _ faite adéquation de l'objet du li- _ ·vre et du propos de l'auteur: la guerre était un événement con- cret. Un Rêve américain s'affir- mant, dès ~e titre, com:rne uI?- _ rêve, à permis au mauvais démon _ de Mailer (cëlui des 'Essais) de _ relever la tête et finalement de l'emporter. C'est d'autant plus dommage : que quelques pages sont là pour _ nous prouver que le talent de _ Mailer est intact: la scène du meurtre, la scène de l'interroga- toire de police, etc. Mais cela, se noie dans un déluge de verbosité, _ d'amphigouri et de vulgarité._ Mailer qui, dès la cinquième li- _ gne, rend hommage à Scott Fitz- gerald (et il y revient par la sui- te) est le contraire de l'auteur de Gatsby. Autant l'un est· pudique, _ autant l'autre s'exhibe (la scène _ de sodomisation est ' totalement ridicule. Autant l'un aime l'éco- _ . nomie, autant l'autre apprécie la logorrhée verbale. _ A vouloir jouer les éléphants _ dans les magasins de 'porcelaine, _ on ii~ casse souvent la figure. En fait, Mailer à ~u garder son équi- • libre une seule f~is; (filns les Nus: et les Morts qui, malgré ses-··'f ai. !I blesses évidentes, reste le seul _ grand roman de la seconde guer- re mondiale. Il était alors d'abord un écrivain. Il est aujourd'hui- - . d'abord un personnage. Pe~t-être : faut-il conclure (mais îl est trop _ tôt pour le dire) que Norman _ Mailer aura réussi une œuvre après avoir raté chacun -de ses 9 livres? •

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C'est d'abord la publication ' du roman de Thornton Wilder, The Eighth Day. L'auteur de Notre petite ville est sans doute plus connu pour avoir ouvert des voies nouvelles au théâtre contemporain que pour ses romans (le Pont du roi Saint Louis, les Ides de mars) mais, à 70 ans, il fait figure de grand ancêtre. . Malgré le grand nombre de personnages :et d'intrigues, ici réunis autour d'un crime commis au début du siècle, la critique du supplément littéraire du New York Times se refuse à trouver l'dans le livre les audaces de structure qui ont fait la glOire de Wilder. Il reprocherait plutôt à l'auteur d'être un • old-fashioned innovator • (un expé·rimentateur démodé). Et de remarquer que la morale du livre est bien conventielle: .l'oubli de soi et la dignité humaine. Le jeune Herbert Gold (Sel, son seul roman traduit en françaiS a connu un certain succès à Paris) reçoit s'a consécration avec Fathers, un roman sur les rapports entre père et fils, centré notamment sur ses souvenirs de famille: son propre père a émigré tout

seul; aux Etats-Unis, à l'âge de treize ans, pour y chercher fortune, au début du siècle. John Hersey, l'auteur de la Muraille, qui n'avait guère donné que des œuvres mineures depuiS longtemps, fait parler de lui avec un nouveau roman Under the Eye of the Storm, où un ouragan joue un rôle capital et où s'établit un parallèle entre les sentiments d'un mari jaloux et la tempête qui le surprend à bord d'uri petit bateau. Arthur Miller et Tennessee Williams publient chacun un recueil de nouvelles.

La Quinzaine littéraire, 15 ou 31 mars 1967.

Marionnettes siciliennes

A la Librairie 73, - 73, boulevard Saint-Michel - une cave a été équi, pée pour recevoir les Puppi de Palerme. Ces marionnettes à tringles, hautes d'un bon mètre et recouvertes de magnifiques' armures, avec manteaux et .plumets de couleur permettant de les identifier, racontent les hauts faits des chevaliers qui entouraient Charlemagne. M. Enrico Panuzio, qui a fait venir le 'spectacle et le

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Jean Wagner _

INFORMATIONS Aux U.S.A.

commente brièvement en français, a insisté pour qu'il soit présenté à Paris comme il l'est dans les petits bourgs de la côte ·sicilienne. · Les

:iiSfodn~s s~:x~~~:~t a~~cso~~h~~:~~~ Rpland, Olivier, la belle Aude... Comprendre l'art

Sous l'égide de l'Union rationaliste, Jean Cassou prononcera une conférence : Qu'est·r.e que comprendre l'art ? (à la Sorbonne, amphithéâtre Richelieu : mardi 18 avril à ;,w n 40.) Erratum

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d~or roman

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Les photos qui, dans notre numéro _ du 1er avril, illustraient l'article de Bernard Dort : " Théâtre d'Armand Gatti ~ se rapportaient aux Chroniques .. d'une planète provisoire et non pas, _ i comme nous l'avons indiqué parerreur, à V comme Viet-Nam. Cette dernière pièce n'a en . effet été créée que le 4 avril, par le Grenier de Tou· _ louse et, sur l'initiative du Collectif _ .Intersyndical Universitaire d'action_ pour la Paix au Viet-Nam, au Théâtre • Daniel-Sorano. .

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Entre Prévert et Art Buchwald Langston Hughes L'ingénu de Harlem Nouvelles tyduites de l'américain par F. J. Roy. Laffont éd., 380 p.

Voici enfin un livre de Langston Hughes qui ressemble à Langston Hughes. Pour qui .a rencontré ce Noir jovial, bon enfant, apparemment fort heureu..x d'être ce qu'il est, il était difficile de l'imaginer écrivant des poèmes revendicatifs, déchirants et brutaux. Etait-ce vraiment lui qui avait dit:

Tous les tam-tams de la jungle batte,~t dans mon sang Toutes les lunes farouches et ardentes de la jungle brillent dans mon âme ... Lui, qui racontait si aimablement les anecdotes du temps où il était chasseur de restaurant, rue Fontaine, au cours de l'un de ses séjours parisiens ! Mais il est vrai que les temps ont changé aux Etats-Unis. La grande époque où les Blancs découvraient avec stupéfaction et émerveillement l'art nègre, où les Noirs les· plus avancés croyaient retrouver en une Afrique lointaine et mythique les sources de leur identité, tout cela semble bien · dépassé à l'enseigne du Paddy's, où Jess B. Simple, «un Noir comme tout le monde », hoit philosophiquement ~éS pots quotidiens et discute avec son ami de bistcot les menus faits de la VIe de Harlem. Au demeurant, il est peu de différence, apparemment, entre un Blanc désargenté qui ne sait comment faire face à ses frais de divorce et le brave Jess Simple - visage noir et âme blanche qui en est exactement au même point. Peu de différence? Voire. Si les Blancs désargentés existent aux Etats-Unis, comme' partout, à Harlem ce sont les Noirs fortunés qui sont rares. Il en est pourtant. C'est peut-être ce qui explique que Jess Simple ironise, comme sans le vouloir, à leur sujet. Car c'est bien là le trait principal de notre Simplet de couleur. L'art de Langston Hughes consiste surtout à ne pas avoir l'air d'y toucher. Ne voÎt-on pas Jess Simple plaindre cette pimbêche de Mrs Maxwell-Reeves qui a voulu quitter Harlem pour vivre dans un quartier rupin, uniquement habité par des Blancs, et qui se voit rejointe bientôt par toutes les familles noires de son ancien quartier? La révolte a changé de ton, sinon d'objet. Ce n'est plus tant des brutalités ou des injustices que se plaint Jess Simple encore qu'il ne manque pas d'y faire allusion, le 10

Enfants noirs

cas échéant. Mais il constate « simplement» que Harlem lui colle pour ain!!i dire à la peau. Et pour cause. Au demeurant, il est significa-. tif que notre héros n'ait plus les mêmes préoccupations que jadis. Naguère, il lui fallait lutter pour la vie. Maintenant, il est préoccupé parce que sa petite amie, Joyce, lui réclame un manteau de fourrure, juste au moment où sa femme menace d'en acheter un et de lui envoyer la facture. Estce à dire que «l'ère de l'opulence» a atteint Harlem? Non pas. Mai 8 il Y a, tout ail long des méditations de Jess B. Simple, quelque chose qui dénote que tout a changé depuis les temps de la révolte. La cousine Minnie, par exemple, qui arrive tout droit de sa Virginie natale et se fait ramasser par la police pour avoir trop picolé dans un bar, ne manque . pas de mentionner qu'on a aussi emmené les Blancs au poste. En fait, ce n'est plus, là encore, les conditions de · vie qui forment le fond de la revendication de Harlem : c'est la conscience lancinante d'être autre, d'être Noir. On arrête aussi les Blancij, mais eux, ils sont Blancs. Bien sûr, le ghetto noir- n'est pas riche, on y vit au jour le jour, plus qu'ailleurs - plus qu'à quelques rues de là, dans les quartiers blancs. Mais ce n'est pas tant cela qui blesse. Et dans les tableautins qui nous montrent, jour après jour, page après page, conte après conte, Jess B. Simple éternellement Noir, traî-

des dessinées amerIcaines qui finissent par acquérir tant de réalité qu'ils en deviennent plus vrais que bien des personnages vivants Jess B. Simple impose sa vision 'd'un monde «simplifié ». L'éditeur nous assure que Simple reçoit tous les jours des lettres de lecteurs qui discutent ses points de vue ... ou l~s approu;e~t; C'est bien l'impreSSIOn de realite que ressent aussi le lecteur français, à mesure qu'il pr:?gr~sse dans la connaissance de Ilngenu de Harlem. Et voilà peut-être l'un des secrets de sa réussite : parvenir à faire pé~étrer dans s~ familiarité un PariSIen blanc qw vit à quelque cinq mille kilomètres de New York et qui a, sur lui, l'infériorité d'exister. Et comme il sait bien se faire comprendre, d'ailleurs, ce Nègre si peu « culturé» qui se forge ses mots justes, à son usage propre, et appelle «hystérien », en un raccourci ingénu, l'historien hystérique qui vient prononcer à Harlem, pour ses frères de C,Tuleur, une belle con!ér~nce moralisatrice. Et li!a-t-il pas raison, en faii de culture, de prétendre qu'une bonne jam-session fait plus pour les relations interraciales que tous les discours? Ici pourtant, c'est Langston nant avec résignation sa peau avec Hughes qui laisse passer le bout lui, il y a quelque chose de plus de l'oreille. C'est bien l'ancien grave qu'une révol~e co~tr~ .la théoricien de la négritude et de société : une laSSItude mfmle. la culture noire qui vient revenCelle d'être ce qu'on est. diquer, par. la bouche toute simMais cette lassitude elle-même ple de Jess, les valeurs les plu.s porte en soi son antidote : eUe sûres de cette culture. Et qUI, est la petite musique d'où naît le sans en avoir l'air, glisse, ici ou rythme. Et c'est bien de rythme là, au détour le plus inattendu de qu'est faite la chronique. de Jess l'anecdote, quelque remarque inB. Simple. Un rythme bIen plus nocente mais plus « culturée » vif que ne le laissent supposer qu'il ne semble. les considérations moroses des En défi nit i v c, si Jess B. deux principaux interlocuteurs : Simple nous paraît aussi proche le poète et son personnage. Un dans sa simplicité, c'est parce que rythme qui est, tout d'abord, le poète fort lettré qu'est Langdans les dimensions de chaque ston Hughes lui souffle ses réplimorceau. Deux ou trois pages. ques. Le tour de passe-passe conCinq ou six, parfois. Jamais plus. siste précisément à faire dire, On est, si l'on peut dire, dans le sous le couvert de la plus évifabliau plus que dans la com- dente cocasserie, les vérités les plainte. plus fortes à son diable· noir. Et Et, mieux encore, dans ce fa- c'est alors que le lecteur combliau moderne que constitue la prend enfin que le poète n'a pas chronique quotidienne du jour- changé. naliste préposé au commentaire Tout doucement, à force de de l'actualité. Au «billet» plus paraboles, Jess B. Simple (Just qu'à l'éditorial, d'ailleurs. Lang- Be Simple) ne fait pas autre choston Hughes n'est plus le dénonse que répéter quelque chose que ciateur véhément des injustices Langston Hughes a dit toute sa sociales, mais le moraliste sarcasvie. Par exemple, dans l'anecdote tique. Ce n'est plus Walter Lipde la tarte aux pommes, donnée par mann devenu poète, c'est Art un brave blanc, et qui se termine Buchwald transformé en baladin. par cette remarque ingénue : Et pour peu que l'on prête at«Est-ce qu'il croit que parce tention aux rythmes simples de la qu'il m'a donné une tarte aux poésie quotidienne dont Langston pommes je peux en donner une Hughes fait la matière même de tranche à tous les habitants de son livre, on n'est jamais très loin Harlem? Et pouhant laimerai& de la chanson de Prévert. pouvoir le faire. POUT dire le Entre Prévert et Art Buchwald, Jess B. Simple se meut à l'aise. Il vrai, il faudrait qu'on puisse y arriver. Que nous puissions y artrouve sa note propre et son ton juste. Comme l'un des personna- river. » Tout est dans cet italique. Marc Saporta ges de ces «comics », de ces ban-


POÉSIE

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Les mots sans les choses Jean Tardieu Pages d'écriture Gallimard, 157 p. La langue de Jean Tardieu n 'est ni tout à fait celle de la poésie ni tout à fait celle de la prose. Elle prcnd sa source dans une région hlanche et ùoucement lumineuse où la vie «s'énonce» ellemême, discrètement, instantanéDient, silencieusement. Ce n'est donc pas un hasard si ces pages s'ouvrcnt par une Introduction à la vie. S'interrogeant sur nos rapports avec les êtres et les choses, le poète y affirme d'entrée que nous ne pouvons les nonlIner que par les gestes que nous faisons vers eux ou par les mouvements qui les conduisent à nous. La vie n'est rien d'autre que cette tra' versée des apparences, réductihle à la plus modeste des formulations: «Je marche, j'existe, je regarde, - et je suis sans mémoire, plongé dans le ,t orrent délicieux ». On comprendra que cette approche prudente de l'être par la parole ou l'écriture débouche aussi bien sur une activité poétique que sur une activité critique. Le livre nous offre ces deux aspects de l'art de Jean Tardieu. Les deux premières parties réunissent des textes, la troisième partie des essais qui sont aussi et d'abord des textes. Poésie dc chambre ? Critique de chambre ? Il se peut. La prose de Jean Tardieu a quelque chose de mesuré et de circonspect qui se refuse au déploiement dans les vastes espaces. Mais c'est précisément cette vocation pour un certain registre mineur qui permet ici au langage de s'épurer de tous les corps étrangers qui pourraient l'alourdir. Il court, libre et curieux comme une tête chercheuse qui n'e sait pas ' trop ce qu'elle cherche, mais trouve toujours: des lignes, des formes, des mots. .Mots curieusement délivrés du poids des choses. Le poète le dit: «Les mots, comme les sons, les formes et les couleurs, s'élèvent dans r espace pour le peupler de figures d'où le visafj€ de rhomme soit absent ». Ce sont pourtant les mots de tous les jours (célébrés dans un beau texte), mais qui peut dire ce que recèlent les secrets de leur assemblage: «J'ai, longtemps cherché les mots les plus simples, les plus usés, même les plus plats. Mais ce n'est pas encore cela: c'est leur juste assemblage qui compte. Quiconque sau~it le secret usage des mots de tous les jours aurait un pouvoir illimité - et' il ferait peur ». Jean Tardieu ne fait pas peur. Mais il connaît assez bien l'usage des mots pour faire naître à tout instant sous sa plume cette «magie naturelle» ou cette «logique idiote» qui inspirent et en même temps dérèglent subtilement sa parole. Certes il ne fait que fixer

à sa manière un «vertige» ou une «image du temps », mais c'est toujours pour nous faire mesurer l'écart qui existe «entre les mots et la plus grande qua1ttité de pressentiments qui se trouve prise dans leur intervalle, comme dans les mailles d'un filet ». Qu'il pose tout d'un coup un pot de grès sur une table de hois dur ou des arhres bien alignés sur le bord d'une route, il ne verra dans le premier qu'une fu,mée et dans les seconds d'incompréhensibles figurants n'ayant d'autre raison d'être que de «se faire voir ». Et voici que les choses ne sont plus que des formes (armures étincelantes et vides) et, au delà des formes, des mots. C'est alors qu'elles deviennent rassurantes et comme «réconciliées»: « Ce jour-là, décidé à ne rien saisir, vous aurez tout; tendre et

l'En-deçà» qui occupent la deuxième partie: ils y trouveront un Tardieu surréaliste dans le morceau d'une fascinante beauté, intitulé Madrépores ou l'Architecte imaginaire, qu'il écrivit naguère pour Lise Deharme, et un Tardieu étrangement visité par Michaux dans l'inquiétant Mon double. Quant aux textes critiques qui concluent le livre, ils témoignent d'une autre façon des pouvoirs du geste d'écrire. Jean Tardieu y décrit tantôt l'homme en proie à l'expérience poétique (qu'il oppose au « monsieur» du monde fonctionnel et déshumanisé qui est le nôtre), tantôt la pure «vérité physique» de la poésie, mais c'est toujours dans un esprit d'invention, de découverte «libre et naïve ». Il est sensible à tout langage qui se trouve et qui se cherche. Ainsi lorsqu'il parle du « premier romantisme» français, celui de la fin du XVIIIe siècle, de la Révolution et de l'Empire. Ou' lorsqu'il nous fait découvrir, la figure d'Etienne Durand, poète contemporain de Théophile de Viau, mort sur la roue et brûlé en place de Grève à l'âge de vingthuit ans pour avoir comploté contre Louis XIV, auteur de Stances à rInconstance qui font entendre une étonnante musique :

Je te fais ,un présent d'un tableau fantastique Où l'amour et le jeu par la main se tiendront. L' oubliance, l'espoir, le désir frénétique, Les serments parjurez, l'humeur mélancolique Les femmes et les vents ensemble s'y verront. Mais nulle part la curiosité de Jean Tardieu n'est pl~ alerte que devant les œuvres où la poésie entre par effraction et sans avoir été invitée. Considérant «du seul point de vue de r émotion poétique» des ouvrages écrits par des philosophes, des savants ou des explorateurs, il y découvre des merveilles qu'il nous fait partager. Des pages de Pierre Bergeron dans son Traité de la navigation (1629) se parent alors d'un charme insolite et les propositions de Lavoisi~r dans sa nouvelle nomenclature des Roche taillée naturellement corps chimiques d'un pr~stige ver. bal incomparable (<< terre pesanattentif, vous verrez chaque chose, te », «terre foliée de tartre très désormais rassurée, elle-même secrète », «sel de , corail », «sel attendrie, sortir des brumes du d'yeux d'écrevisses », etc.). Lavoisier qui notait dans le dis11tatin et s'avancer vers vous: « Nous voilà, nous voilà, mon cours préliminaire à so~ Traité élémentaire de chimie: «Le mot ami! » Si donc l'écriture chez Jean doit faire naître ridée; ridée doit Tardieu introduit à la vie, elle peindre le fait: ce sont trois emla contrôle aussi, la corrige et preintes d'un même cachet; et l'apprivoise. On est tantôt du côté comme ce sont les mots qui conserde Supervielle, tantôt du côté de vent les idées et qui les transmetPonge. Mais «la part de l'ombre» tent, il en résulte qu'on ne peut demeure et à qui se laisserait trop perfectionner le langage sans perprendre à la trompeuse sagesse de fectionner la science, ni la science ces pages, il suffirait de conseiller sans le langage ... » Raymond Jean la lecture des deux «récits de

La QuinzaiDe littéraire, 15 au 30 avTÜ 1967.

CRITIQUE cc La Religieuse" en son temps

« 1acques le Fataliste » et « la Religieuse )) devant la critiq ue révolutionnaire Textes recueillis et présentés par l·Th, dc Booy et Alan J. Freer Institut et musée Voltaire éd. Gcnève, 342 p.

Que peut la critique quotidienne ? Sous quelles pressions, autres que littéraires (et déjà fort contraignantes), écrit-elle? Telles pourraient être les questions sous·entendues par F. de Booy et Alan Freer qui ont rassemblé les articles publiés à propos de la Religieuse et de Jacques le Fataliste de 1796 à 1800, au moment de leur première publication en France. Le lecture de ces documents appartenant à des couches sociologiques différep.tes, dépendant de situations histori· ques diverses (A. Frecr montre que le coup d'Etat, du 18 Fructidor, comme la condamnation à mort de Babeuf en mai 97, conditionne l'approche critique de Diderot), la lecture de cette masse de documents met singulièrement en cause la critique du moment. Il n'est pas sans intérêt de savoir à quels critères se ré· fèrent des courriéristes qui, à part Garat et La Harpe, font partie de la masse anonyme des consommateurs, n'apportent pas un système critique, ou sont ignorants de celui qu'ils ont adopté et qui est, hien entendu, celui-là même de leurs lecteurs. Que l'on généralise et l'on verra l'importance de ce livre comme introduction à l'étude du rôle social de la critique: l'examen des résistances auxquelles 's 'est heurtée une œuvre, de ce qu'elle froissait dans les habitudes acquises (et, de façon complémentaire, celui des œuvres auxquelles allaient, pendant les mêmes années, le plus grand nombre de SUffrages), pourrait être l'ébauche d'une étude historique de l'insertion de l'œuvre , littéraire dans la réalité. Dans les XC textes minutieusement rassemblés par les deux auteurs il n'y en a pas cinq qui s'attachent à analyser les deux romans de Diderot. Les moins médiocres se contentent de les résumer sans de trop flagrantes erreurs. Si les réactions de déuigrement sont si violentes c'est que la réaction immédiate à ,l'égard de ces livres est religieuse et politique : ' pour savoir ce que vaut un ou· vrage il suffit de consulter les royalistes: « Le trouvent-ils bon ? Il est nécessaÏlrement mauvais )). Les préjugés idéologiques servent de guide. Rien de tel pour brouiller les idées. Ce qui est immédiatement retenu par la critique qui vise à l'autorité, c'est la valeur tactique du livre. Il est une arme avant d'être une forme. Lorsque le critique veut porter un ju· gement d'ordre littéraire, il a recours à des c~itères qui sont ceux de bon ncm· bre de , nos contemporains. Le roman <:st loué d'offrir « des caractères fortem~'1t conçus et bien dessinés », de comprendre {( des détails si vrais, si naturels, qu'on 1& croirait écrits sous la dictée des principaux personnages )), de reposer sur une intrigue de rythme théâtral: « c'est une espèce de drame dont tous les personnages ont leur emploi )). La même œuvre présentera pour un autre critique « un plan sans régularité, des caractères sans vérité, des calomnies sans vraisemblance )). Les méthodes de déuigrement sont les nôtres; la dénoneiation calomnieuse et l'amalgame sont cour!lmment .pratiqués : la Religieuse est « un tableau digne de l'Arétin )), Diderot y décrit « les pastures et les emportements de la lubricité " (quelle bande pour un éditeur!). Ou bien ' rejetant ces façons brutales, le critique « objectif )) regrette d'autant plus la médiocrité de l'ensemble que quelques pages laissaient prévoir, dit-il, tout autre , chose. Et comme le critique ne dé· fend un- livre que pour en, condamner IDI' autre, il fait un grand usage des morts, écrasant Je nouveau sous le poids de l'ancien. Peut-être l'absence totale de confiance dans le livre, et . l'humilité seraient-elles les caractéristiques de cettt' critique. Cela fait que les louanges qu'elle décerne ne le sont jamais pour de bonnes raisons.

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ROMANS FRANÇAIS

Le « cliché du siècle» Pierre Boulle Le Photographe J ulliard éd ., 224 p . P our le grand public, Pierre Boulle est l'aute ur du Pont de la rivière Kwrii: le best-seller, le film à grand spectacle dont on entend encore siffloter dans la rue le rythme de la petite marche aigrelette. Les ama teurs de Pierre Boulle ne peuvent oublier la Planète des singes, roman philosophique d'anticipation où la misanthropie de l'auteur était panachée de satire, d'humour tendre et de scènes baroques. Bien que Pierre Boulle écrive ses histoires tout de go, sans se soucier de littérature, en semblant même la mépriser, il s'en dégage un charme indéniable, un élan de conteur passionné par son intrigue qui, bien qu'horrifié par la duplicité et la méchanceté des hommes, reste au fond un humaniste. Le Photographe, son quatorzième livre, est plus brutal, plus écœuré. Ce photographe, Martial Gaur, est un professionnel dans toute l'horreur et l'égocentrisme que ce terme peut parfois comporter_ Son . maître, un vieil esthète, lui a inculqué son principe : « Le photographe est un artiste. L'artiste doit savoir être inhumain ». Martial Gaur est obsédé par la recherche du document unique, de la photo extraordinaire. Il avait été un reporter célèbre jusqu'au jour où pendant la guerre d'Algérie un fellagha lui envoya une rafale de mitraillette dans la jambe. Martial Gaur l'avait tout de même « eu », c'est-à-dire dans son langage qu'il avait pris un excellent cliché du fellagha_ Handicapé désormais par une jambe artificielle il ne peut plus « chasser » l'événement_ Et ce n 'est que grâce à un de ses amis, chef .dcs gardes du corps du président de la R épublique, qu'il peut parfois surprendre d es instants exceptionnels. Le président épouse une jeune actrice et refuse d'avoir constamment des « gorilles » à ses trousscs. Pourtant, on veut l'assassiner . Une des conjurées, voulant connaî tre les déplacements de l'homme d'Etat qu'elle déteste, se glisse dans le lit du photographe. Celui-ci, qui n 'est pas dupe, va l'utiliser pour son propre compte. Le président sera-t-il tué? Martial Gaur va-t-il indirectement participer à ce meurtre pour pouvoir prendre CI. le cliché du siècle » ou au contraire va-t-il cmpêcher le crime ? Tous les pions sont en face les uns des autres. Et l'obsession de ce photographe, chevalier de l'art en quête du diamant

noir, prend des proportions gigantesqu es. Jusqu 'où va-t-il aller? Pierre Boulle fait fi des vraisemblances, les coïncidences sont soulignées au crayon r ouge. Son récit avance comme un jeu d·échecs. Et ce tte volonté mathéma tiqui accapare toute notre attention. Les mau vaises langues disent que Pierre Bou lle est u n scénariste, je préfère le comparer à u n charmeur de serp en ts. Marie-Claude de Brunhoff

Une prose fluide Marie-Laure David L'Echappée Gallimard éd., 176 p. Un conte de fées , une histoire d'amour qui se déroule dans un espace onirique; les personnages ne sont pas tout à fait des êtres réels mais, semble-t-il, les survivants d'un monde platonicien, plus pur que le nôtre. Le commerce entre les êtres obéit à un rituel magique. Près d'une forêt , dans un village cerné par un fleuve immense, habite une jeune femme avec sa fille, blonde sylphide au visage pur, dépouillée de toute passion, de tout désir, attentive seulement à ce que règnent autour d'elle, l'harmonie, le silence et l'immobilité. Héléna, absente à soi-même, exilée volontairement du royaume des hommes, rencontre Guillaume qui l'oblige à partager sa passion, à descendre parmi les autres. Guillaume dissipe le sortilège qui tenait Héléna mystérieusement prisonnière de son miroir et de l'ordre domestique sur lequel elle veillait a vec une application jalouse, il la précipite dans les désordres du sentiment et du monde. Cependant que Guillaume tente par la peinture de la délivrer de l'enchantem ent qui la rend i naccessible, Héléna connaît tous les tourments qui l'avaient jusqu'ici épargnée . Au moment où Guillaume croi t enfin s'ê tre rendu m aître de celle qu'il aimait, Héléna prend la fuite pour retourner à . son domaine imprescriptible, à sa fidélité, à l'ordonnance r igoureuse qu'elle fait autour d 'elle. L'amour est mortel, Béléna redoute comme Narcisse tout ce qui est éphémère. Marie-Laure David a repris, pour y situer le cadre de cette passion romantique, tous les éléments du conte fantastique : le fleuve, la forêt, la torpeur de l'été. Les différents moments du récit empruntent aux contes de la Table Ronde, et notamment à la légende du Graal, les thèmes

traditionnels: la fatalité tragique suspendue sur la rencontre d'Héléna et de Guillaume donne à leur passion une gravité et u ne intensité douloureuse ; cette fa talité ne tient pas à une impossibilité extérieure ou à quelque obstacle irréfragable, mais à la nat ure d 'Héléna, qu'une malédiction, signe d'une élection particulière, préserve des orages du cœur . Guillau me parvient à émouvoir l'indestructible Héléna parce qu'il est le tém oin d'une existence antérieure, le garant d 'une reconnaissance. Médiateur envoyé jusqu'à elle pour tenter de la délier de l'étrange pouvoir qui la re tient captive et l'enchaîne à un ordre inaltérable , rigoureux : à sa ville, à sa maison, à sa fille , à cette pénombre recluse qu' elle défend jalousement contre toutes les interventions extérieures. L'espace d'un é té Héléna et Guillaume s'aimeront donc d 'une passion brûlante et dans le récit passent de hautes flambées rayonnantes. Roman féminin qui dit l'impossibilité d'une communion sans partage et d'un lien éternel entre deux êtres, à quoi l'héroïne, consciente de jamais pouvoir atteindre, préfère renoncer définitivement. Dans une prose poétique d 'une fluidité transparente, l'auteur a su donner une forme personnelle et sensible à cette nouvelle version de Tristan et Iseult. Alain Clerval

nemen t par Marguerite - q ui cst le moteur du livre. Ce chat, seul compagnon d 'Emile Bouin d urant son veuvagc, est assassiné par Margu erite avec tant Me sournoiserie e t si peu de remords q ue la faille dans ce couple disparatc béc soudain: c'est la rupture. Désormais ils vivront côte à côte, comme des étrangers. N ul au tre plaisir pour le lecteur que la progression sou tenue par l'au teur dan s la description de la haine. Personnages médiocres, m échants, avares et. .. reconnaissables! Mais il faut bien m ention ner l'invention infernale de ces deux êtres en pr oie à leur folie : comme ils ont décidé, sans rien se dire, de ne plus s'adresser la parole, ils s'écrivent, sur de petits billets qu'ils s'envoient (( mine de rien ». Du coup, ils en sont réduits à l'essentiel : chaqlle mot doit porter, chaque mot sera donc une méchanceté, allusive autant que possible et torturante à coup sûr. En somme, des gens de lettres. Claude Schmitt

L'inévitable pilule Monique Rivet La Caisse noire Gallimard éd., 137 p.

Médiocres, méchants, avares... Georges Simenon Le Chat Presses de la Cité éd., 245 p. A chaque nouveau livre de Simenon on se pose deux questions; jusqu'où ira-t-il celLe fois? puis: Comment pourra-t-il aller plus loi:l ? Chaque nouveau livre recule les limites de la réponse. D'abord un personnage familier: Emile Bouin n 'es t p as différent de la galerie de portraits que dans ses précédents romans Georges Simenon n ous donne à regarder. Victime consentante de la vie, ayant passé à côté - par ignor ance, par faiblesse , par lassitude - des bonh eurs que les autres, croit-il, goûtent autour de lui. Puis il y a cette femme, Marguerite Doise, veuve Charmois, et enfin épouse Douin. Rarement, me semble-t-il, chez Simenon, un personnage s'est plus dévoilé à la faveur d'une aussi mince circonstance_ Nous savons pourtant que telle est la méthode du romancier. Là, c'est la mort d'un chat - et sûrement son empoison-

Considérations sur la désormais inévitable pilule. Création d'une caisse de solidarité féminine, destinée à venir en aide aux délurées et malchanceuses, fondée dans un mouvement de révolte féministe par deux écolières dont l'amitié (c'est une autre histoire) est en train de se défaire. Enfin, scandale, lors de la découverte de cette caisse, et qui retombe sur les adolescentes ingénues, victimes de l'obscurantisme bourgeois des adultes. Tout cela est bien sympathique, mais peu convaincant. L'écriture aurait pu faire passer ce qui, dans ce livre, mérite d'être sauvé : une certaine tendresse, et aussi une aptitude manifeste à comprendre l'adolescence. Malheureusement le style est ampoulé et laborieux . Ce qu'il y a de facile dans le livre n 'y gagne rien, et ce qu'il y a de meilleur y perd beaucoup. Tout se passe comme si Monique Rivet s'était attachée à ne pas céder à ce don (très rare) qu'elle semble posséder de saisir d'authentiques subtilités dans les rapports des êtres entre eux. Au lieu d 'avoir avec simplicité travaillé ce don, elle semble être allée chercher, comme on dit, midi à quatorze heures. Roger Borderie

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Claude SiUlon

HISTOIRE cf. l'article de Ludov:ic 1anvier dans la Quinzaine Littéraire du 1 er avril

*nt éditions 12

de minuit


HISTOIRE LITTÉRAIRE

ESSAIS

K. et Don Quichotte Marthe Robert Sur le papier Grasset éd., 320 p.

Toui ours Don Quichotte: le titre du premier essai de ce nouveau recueil se réclame donc d'emblée d'une fidélité à ce mythe exemplaire, figure de chevalerie qui, dans un précédent essai, servait de fil d'Ariane pour rel i e r l'épopée homérique à Franz Kafka. (L'Ancien et le Nouveau, Grasset, 1963). Dans Sur le Papier, Marthe Robert déroule à nouveau ce fil ancien à travers un labyrinthe de figures apparemment hétéroclites Brecht, Robert Wiilser, les frères Grimm, Freud - pour nous en montrer la profonde parenté. On sent cependant, parce qu'il lui est consacré trois essais, parce qu'il termine le livre, que la figure de Freud est plus ici qu'un simple point final: il indique une ponctuation permanente dans la constitution d'une méthode nouvelle: sans Freud, les liens que Marthe Robert tisse avec rigueur entre les personnages de Kafka et ceux du miirchen Allemand ne relèveraient que de son intuition : mais il semble au contraire qu'il se constitue ici une autre lecture, et c'est ce qui fait l'importance de ce livre: si une «critique psychanalytique» doit se fonder, ce ne peut être qu'avec les concepts freudiens. Cette lecture méthodique, trouvons-en la formule dans l'élucidation de l'image du Château : ce mot merveilleux évoque plusieurs symboles à la fois : « une demeure hantée, un lieu mystique, une promesse d'amour, une folie, un projet chimérique ... » tous vrais en tant que symboles. L'interprétation unique, parce qu'elle exclut toutes les autres, est fausse: l'œuvre littéraire est polysémie. Ce que nous four. nit Marthe Robert, c'est un moyen d'ordonner la multiplicité des signes, d'exposer ce que Freud nomme surdétermination d'une image dans le rêve, d'un symbole, d'un mot - Château mais en même temps, cet ordre de lecture est le roman lui-même: Don Quichotte et K. cherchent un ordre pour leurs fantasmes. La quête de K. et la lecture critique de Marthe . Robert relèvent de la même entreprise: faire le tour de toutes les interprétations, sans en privilégier aucune, en mon t r a n t que le déroulement même de la littérature s'effectue au cœur de la multiplicité équivoque des mots: « K. est r Arpenteur des livres comme Don Quichotte en est le Chevalier Errant ». Arpenteur à ses heures, Marthe Robert prend comme eux l'exacte mesure de la «réalité de papier» que constitue le livre.

L' «imitation souveraine» est pour Marthe Robert cet ordre littéraire: « le Château n'est ni ancien ni actuel, il participe tout à la fois du présent et du passé comme les symboles dont nous nous servons, et, finalem ent, comme toutes nos idées. » Parmi les livres, elle choisit donc ceux qui ont pour sûr effet de manifester les distorsions entre les mythes et leur dérision. Ainsi Kafka renvoie à Don Quichotte, modèle et dérision de · la recherche romanesque, puis à Ulysse, épique voyageur; encore n'est-ce pas là le terme, car d'un mythe on ne peut donner le point d'origine: 1' « avant» d'Ulysse, sa préhistoire, c'est le monde préolympien de la nature monstrueuse, sirènes, cyclopes, enchanteresse, désordre perdu, comme la chevalerie pour Don Quichotte, comme le Château pour K., à moins qùe ce ne soit l'écriture elle-même.

Sur le papier, d'autres chemins sont explorés. Mais les figures qu'on y rencontre sont toujours des errants, en quête de la Terre promise de la littérature, liés entre eux par une «inquiétante étrangeté ». Robert Walser, qui fait partie des auteurs maudits, donne l'occasion d'une double filiation : Kafka, plus résistant que lui au pouvoir des mots, et Kleist. L'un et l'autre ont en commun une grâce particulière - le mot grâce, Marthe Robert sait lui conserver la rareté de son sens et sa valeur de miracle - , celle de l'échec rêvé. Le rêve est ici le lien qui rappelle .Don Qui- chotte, le rêve, objet de cette littérature, objet masqué ou oublié, mais toujours latent. Une littérature sans objet peut se concevoir, mais au risque d'en mourir: c'est un danger que Marthe Robert souligne avec fermeté. Cet objet dont l'absence est mortelle pour le livre, qu'on l'appelle signifié, réalité ou désir, en est la cause obscure et nécessaire. C'est pourquoi sans doute Marthe Robert parle de contes, qui dévoilent sans ambages les fantasmes enfantins «li conte trahit ses désirs de tous côtés ». Comme le Château, le lieu du conte est un non-lieu, une utopie, et c'est parce qu'il projette sur le Château des visions enfantines en refusant d'y voir le monde adulte, que K., lui confère son mystère. Mais le plus i m p 0 r tan test la ressemblance mise en évidence par Marthe Robert, entre le schéma des contes et la structure du « roman familial » élaboré par Freud, rêverie névropatique concernant les origines de l'enfant. Le héros naît accidentellement dans une famille pa:uvre, et le conte lui sert à retrouver ses origines royales : les personnages des deux familles, « doublets» des images parentales, permettent de régler les figures diverses du désir. « Le haut personna-

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967.

ge qui est censé remplacer le père charnel sert encore à dire l'attachement indéfectible à r exaltante image de r enfance, et bien que le conteur soit porté tout le long de son récit par un désir de rupture et de vengeance, ce à quoi il prête finalement sa voix est l'incurable nostalgie du retour.» Ce que fait le conte, en permettant à l'enfant de réussir «là où Œdipe échoue », c'est une éducation sentimentale, ou sublimation. On voit tout ce qu'une telle lecture doit à Freud, dette honorée dans la dernière partie du livre. Freud, le seul à n'être ni écrivain, ni romancier, ni romantique, pour avoir affirmé la trivialité du réel sans la dissimuler, ne peut pas être dit, à aucun titre, pas même celui de philosophe, « littéraire ». C'est en quoi la critique telle que la gère Marthe Robert ne peut se passer de Freud, pour apprendre de lui ce que la littérature masque de désir. Toute culture est névrotique, et le chemin freudien, intolérable pour l' «esprit », est souligné dans Sur le Papier avec la même vigueur que tout à l'heure la nécessité de la «place vivante» du signifié. C'est pourtant des attaches mythiques de Freud à sa culture qu'il va être question. (Freud à Vienne, Freud et la culture juive.) Vienne, pour Freud, comme Prague pour Kafka, sont les châteaux de la civilisation occidentale (le maître du Château s'appelle le comte W est-West), capitales de l'empire pesant de la double monarchie. Freud, comme Kafka, s'y trouve décentré, étranger, Juif. C'est de ce Judaïsme de Freud que sort la rencontre admirable avec Moïse. On sait d'ailleurs qu'il la voulait admirable, cette confrontation du fondateur de la Loi avec le fondateur de la Science des rêves. Marthe Robert nous fait apparaître une sorte de «roman familial» freudien; Freud déconstruit sa propre filiation dans Moïse et le monothéisme briseur d'images, comme Moïse, mais briseur aussi des siennes propres. Cette figure de Freud, on voit comment pour Marthe Robert elle est la pierre de touche des figures romanesques : à la fois témoin de leur puissance magique et instrument de leur déconstruction. Aboutissement du romantisme en son lieu autrichien et source d'une révolution qui en détruit les pouvoirs, Freud est celui qui ne répète pas le mythe, ni ne le transgresse, mais en élabore les contours théoriques : il ne s'agit plus alors de littérature, mais de sa critique, dont la possibilité est dans la reconnaissance du désir qui s'y dissimule. Catherine Backès

Shakespeare

Jean-Jacques Mayoux Shakespeare Seghers éd., 192 p. Par un curieux égarement, la mauvaise ne semble critique shakespearienne prendre intérêt à l'œuvre qu'autant qu'elle sert la biographie ou la biographie qu'elle préconise. Jean-Jacques MayoUI pose au départ sans plus discuter: « Laissons l'auteur de ces pièces, qui marque à tout propos qu'il est acteur et homme de théâtre, s'appeler à jamaÏ3 Shakespeare )J. Cela est bien ainsi: suffisamment d'indications à l'intérieur de l'œuvre montrent que l'auteur est « un enfant de la balle, un homme qui vit en plein théâtre, et non pas un noble seigneur qui fait des pièces en cachette )t. On peut alors sans plus s'attarder passer à l'étude de l'œuvre. Le livre de Jean.Jacques Mayoux a ce parti pris : « Shakespeare est un homme de son telllps et non du nôtre », ce qui a, selon nous, l'inconvénient de réduire Shakespeare en auteur - du - programme, alors que plusieurs critiques, de Jan Kott à Geneviève Serreau, ont au contraire insisté sur sa contemporanéité et reconnu en lui « le grand inspirateur D. Sans doute est·ce là le reflet de l'opinion trop généralement répandue que Shakespeare, auteur du XVIe siècle, n'est plus de notre époque - et dès lors les problèmes de traduction, de conception de la mise en scène ne sont guère à discuter. II n'est pas certain que la violence meurtrière qui se manifeste dans Titus Andronicus soit un trait médiéval: y a-t-il moins de violence sur les scènes d'aujourd'hui? y a-t-il moins de morts, d'yeux crevés dans les pièces peut-être · moins bonnes et certainement moins acceptées de nos classiques, Clitandre, la Thébaïde? Shakespeare est sans doute un homme de son temps mais ses pièces et leurs personnages sont aussi bien du nôtre. « Hamlet, c'est Shakespeare ... Hamlet, c'est un dea masques de l'auteur. » Alceste, c'est Molière, Bloom, c'est Joyce... Oni et non. Shakespeare ne parle pas forcément par la bouche de ses personnages; chacun d'eux a une autonomie qui lui est propre. Jean-Jacques MayoUI dégage de notre époque ce Shakespeare si engagé dans la sienne; cela a toutefois l'avantage de nous garantir contre toute interprétation abusive à la lumière de quelque doctrine: on a vu Shakespeare marxiste, rosicrucien, fasciste ... On n'est pas plus fondé à voir dans la Tempête un drame chrétien que « le thème bouddhiste de la libération ». Aucune étiquette ne saurait couvrir Shakespeare. Shakespeare est ici parfaitement situé dans ce que Jean-Jacques Mayoux a nommé l'esprit du temps; étonnante époque, en effet, des fastes, de la peste et de l'Armada, que domine Elisabeth, l'impérieuse reine·idole (on ne peut tout dire mais il est regrettable de ne pas voir Shakespeare situé dans les courants littéraires, entre Marlowe et Ben Jonson qui n'apparaît guère ici que comme un triste sire). A la différence des commentaires qui veulent tout justifier et admirer, cette étude présente Shakespeare avec une améuité prudente mais faisant foin des tabous qui font trouver du sublime là où il n'yen a pas: Lear est un vieillard gâteux et Cordelia une détestable mijaurée pavoisant de sa vertu; la pièce en est-elle moins un chef-d'œuvre du théâtre? C'est bien d'un homme de théâtre qu'il s'agit, dont les pièces sont destinées à être jouées et non lues; de là cette langue savoureuse et imagée Non une combinaison de mots mais une combirnrison d'images ». Coleridge, Lecture VI), de là aussi ces scènes expédiées à la diable et ces invraisemblances qui n'apparaissent qu'au cours d'une lecture lente: « C'est là l'effet d'un travail d'hamme de théâtre et non de cabinet, fabriquant en toute hâte des spectacles avec les matériaux à portée, prenant son bien où il le trouve (sans trop de scrupules je pense) et exploitant le thème en vogue ». Le génie parfait et sans faille que l'on aime à imaginer en souffre, mais l'homme de théâtre s'y affirme d'autant le plus grand de tous les temps. S. F.

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Stendhal enfin complet Fernand Rude Stendhal et la pensée sociale de son temps Plon éd., 312 p. Stendhal Œuvres complètes Ed. établie sous la direction de Victor Del Litto et Ernest Abravanel Cercle du Bibliophile, éd.

Pour commencer, je chercherai à M. Fernand Rude une mauvaise querelle. C'est, dans son avantpropos, de surestimer ce qu'il appelle le mythe de Stendhal dilettante, pour ensuite le pourfendre. A quoi bon ? Voilà longtemps que le mythe est tombé. Peut-être même trop bas -: Jes maurrassiens qui s'y complaisaient n'étaient pas toujours de mauvaise foi, et les heureux oisifs de la Belle Epoque, amateurs de villes d'art et des . musées italiens, n'avaient pas tellement tort de se recommander des . Promenades dans Rome. L'envers d'un excès est encore un excès. Et Stendhal est d'une stature à porter les contrastes allégrement. Autre mauvaise querelle, et cette fois M. Fernand Rude n'y est pour rien : le titre de la collection, « Histoire des mentalités ». On a vu jadis ce damné mot de ' mentalité compromis dans tant de mauvais coups philosophiques qu'à seulement le lire je me sens le poil qui rebrousse. Il me faut admettre que les temps ont changé, considérer que la collection est dirigée par M. Robert Mandrou, noter qu'il s'agit· d'une « histoire des psychologies collectives» '(humm ... ), « domaine historique à peine défriché » : bon, passons. Non sans renâcler, derechef, à voir Stendhal embarqué dans une affaire de psychologie collective ; sur Stendhal nous sommes très chatouilleux. Mais voilà que notre susceptibilité porte à faux ; car M. Fernand Rude a su traiter une Inatière aussi insolite d'une manière également insolite, qui la justifie, et qui excite. N'importe quel lecteur un peu attentif a pu l'observer : dans la « pensée . sociale » d'un ' Henri Beyle qui ne coïncide pas toujours exactement avec Stendhal, se rencontrent ou même « se combinent » plusieurs courants en provenance de la philosophie française du XVIII" siècle, ' de l'économie politique anglaise, voire du socialisme "'ùtopique. Non pas des courants quelconques, mais ceux que balisent les noms dO': :M:ably, d'Helvétius, de Volney, de Malthus, de Sririth, de Bentham, de Destutt de Tracy, de Saint-Simon, de Fourier, etc. Evidences. Mais de ces évidences quel parti tirer ? Voici, j'imagine, comment aurait procédé un essayiste . d'il bon vieux temps, formé aux bonnes vieilles méthodes, précis, scrupuleux, mais peu doué sous le rap-

sations. Les . rencontres dans les salons ou les cafés laissant rarement de traces documentaires, les dépisteurs d'influences sont bien forcés de les négliger ; ce qui fausse beaucoup de leurs analyses. Des pages, un peu courtes peutêtre, de M. Fernand _Rude sur la Chartreuse, sur les Mémoires d'un touriste, sur Lucien Leuwen, n'attendez donc pas la révélation d'un laboratoire central. Mais observezy - par l'examen des différences, des interprétations, voire des déformations, toujours de . l'adaptation de la théorie aux faits observables chaque jour et réciproquement .1a m~nière vraie dont agit une pensée vraiment pensante. (Nous parlons n'est-ce pas, de littérature). Elle se fonde sur une nature ; elle s'appuie sur des milieux, sociaux et spirituels, qui sont de rencontre ; comme le cygne de Mallarmé, elle . n'est guère libre de choisir « la région où vivre ». Mais, 'd ans le courant, elle gouverne. Laissant jouer sympathies et antipathies, elle s'efforce de les dominer. Elle accepte, elle refuse : elle ' juge. Ce qui finalement pourrait laisser l'apparence d'une belle pagaille, à moins que, comme fait M. Fernand Rude, l'observateur ne s'installe en une position d'où il puisse donne~ à l'e'sprit qu'il observe latitude d'exercer ses facultés en toute liberté. Je me rappelle les sales petites éditions dont nous disposions autrefois avant l'ère Martineau, médiocres toujours, souvent détestables. Et pourtant le Leuwen et le Brulard de ce temps bien ancien supportaient la mutilation comme fait la Vénus de Milo ; et déjà on ne pouvait se tromper, à condition de savoir lire, ni sur la grâce, ni sur le chant, ni sur le' dilettantisme même, ni sur le charme inexplicable ; ni, non plus, sur la ' rigueur d'une pensée implacablement mordante. Ces éditions Martineau, on tend àujourd'hui à en parler sur un ton qui me déplaît ; et M_ Del Litto, .devenu par succession le stendhalien nO 1, m'a bien ragaillardi en me disant qu'il en pensait ce que j'en penSe. Oui, il est arrivé à Henri Martineau de commettre des 1conogr~phie stendhalienne. ereurs de lecture parfois spectaculaires (mais avez-vous niis voustantôt, et souvent, à se contredire. même votre sagacité à l'épreuve Telle est, à travers toutes ses des manuscrits de Stendhal ?) ; oui, Martineau tolérait mal, à ses inconstances, sa constance. M. Fernand Rude, lui, a la sa- débuts du moins, telles aspérités de gesse de maintenir là où il faut pensée dont le caractère irréductiune large et juste marge d'indéter- ble nous donne à nous, par contre, mination. D'un côté, il y a l'inté- courage ; oui, il régentait les éturêt maintes fois attesté que prit des stendhaliennes avec une autoStendhal à certaines doctrines ; de rité dictatoriale (encore que, pour l'autre côté il y a ces doctrines ma part, il ne m'ait jamais donné elles-mêmes. Deux zones, qui ne se à savourer qu'une courtoisie et une recouvrent pas ; et qui se recou- affabilité charmantes, il est pent d'autant moins que nous ne vrai que je n'étais pa~ dans la sommes aucunement en mesure de course). Reste qu'il a été seul à discerner ce que Stendhal put réaliser ce qu'il a accompli. apprendre par étude méthodique, . Nous n'avons pas à parler ici de par lecture de journaux ou revues, ses annotations, riches jusqu'à la par ouï-dire au hasard ' des conver- 1 surabondance ; onJ n'a d'ailleurs

port de la sensibilité critique. Soigneusement il aurait dépouillé les écrits de Stendhal, puis il aurait classé ses fiches - en les affectant au besoin de -quelques nuances chronologiques dans un ordre tel qu'ell~s fissent apparaître un corps de doctrine. Or Stendhal ri'est pas du tout l'homme des corps de doctrine. Il appartient à la même famille que Montaigne, qu'Alain. Il ne cesse jamais de remettre en cause ses propres jugements ; ce qUi est simplement exercer un jugement sans cesse tenu en état d'alerte. Quitte tantôt à se répéter,

pas fini de les exploiter. (Quelques erreurs par-ci par-là qui n'en fait pas ? mais aussi quelles découvertes !). Ne parlons que de son aimable petite édition du Divan, laquelle comporte fort peu de commentaires. Aimable et petite par le format, par la présentation, non pas par les dimensions, puisqu'il n'y comptait pas moins de 79 volumes, parus - belle cadence - de 1925 à 1935. C'est la seule jusqu'à présent qui ait vraiment mérité son titre d'Œuvres complètes. De tradition on' regardait comme faisant foi la grande édition Champion. Mais, inaugurée en . 1913, elle s'arrêta en 1940, 'à bout ' de souffle, et inachevée. Elle de- ' vait être complète, elle n'alla pas au-delà de 33 volumes, parmi lesquels ne figuraient ni la ChartTeùse, ni Lamiel, ni les Chroniques italiennes, ni les Romans et nouvelles, ni les Souvenirs d'égotisme. C'est cette belle, grande et malchanceuse entreprise que reprend aujourd'hui, sous la direction de MM. Del Litto et Abravanel, le Cercle du Bibliophile. On annonce un volume par mois, 42 volumes au total, reliés ; un prix de souscription fort modéré.' On doit y retrouver toutes les anciennes préfaces, dues soit à ces dilettantes d'un autre âge que nous évoquions tout à l'heure, soit à un Gide pour A rmance, à un Valéry pour Lucien Leuwen, etc. (Car - je rectifie ce que j'écrivais dernièrement - c'est le Stendhal de Champion qui a créé cette mode des préfaces, longtemps avant le Balzac du Club français du Livre). Il ne stiffira pas de terminer la collection. Certains tomes devront être remanIes, d'autres entièrerefondus. Il faudra mettre à jour les notices documentaires et l'annotation. On nous promet des inédits. Faisons confiance aux responsables : ils ne sont 'pas gens à compromettre leur réputation de spécialistes, qni est grande, par des inconséquences ; et attendons pour apprécier leur action, - puisqu'au moment où sortira cet article, seuls auront été publiés ' les deux volumes du Rouge. M. Fernand Rude fait allusion quelque part (son livre manque d'un index) aux trois âges de l'humanité selon Comte, théologique, métaphysique, positif. L'humanité qui cultive les domaines de Stendhal a désormais atteint l'âge positif. Pour les œuvres du génie lit_ téraire, le processus, par bonheur, est réversible. Dépasser, mais conserver : cela aussi est du Comte. A condition que nous sachions lire en toute bonne foi et en tout abandon, les certitudes de l'âge positif ne sauraient abolir en nos âmes ni les tendres correspondances de l'âge métaphysique ni les griseries délicieuses de l'âge théologique. C'est du moins la grâce que je nous souhaite à tous. Amen. Samuel S. de Sacy


De "L'Internationale" au ,e Temps des Cerises" Eugène Pottier Œuvres complètes réunies et présentées par Pierre Brochon Maspero éd., 254 p.

Rien n'est plus difficile à SaISir et à conserver qu'une chanson. Or Eugène Pottier, poète ouvrier, a surtout écrit des chansons. Dispersés dans les journaux socialistes; imprimés sur des feuilles volantes, rarement réunis dans lin recueil, les poèmes de Pottier sont peu connus, aussi bien ' des historiens de la littérature, où il occupe pourtant une plaèe ' à part, que des travailleurs, dont il s'est fait le porte-parole. Pottier est né à Paris en 1816, en pleine Restauration. Son père, un artisan emballeur, est bonapartiste et hostile aux Bourbons ; sa mère, très dévote, leur est favorable. En 1830, Eugène Pottier a quatorze ans. A-t-il participé aux combats des Trois Glorieuses ? A-t-il servi de modèle pour le Gavroche des « Misérables » ? On l'ignore. Après la chute de Charles X, il s'affranchit de la tutelle paternelle, court les goguettes, compose et exécute lui-même ses chansons. Son admiration 'pour Béranger est sans bornes. Il apprend par cœur ses poèmes et les retient si bien qu'il est encore capable de les réciter cinquante ans après. Au départ, c'est tout son capital de culture, car il quitte l'école à douze ans et, à treize, il devient apprenti dans l'atelier de son père. Il ne peut pas y tenir, se fâche avec son père, devient pion, fait connaissance avec Murger et la vie de bohème. L'insurrection des canuts à Lyon marquera, en novembre 1830, le grand tournant de sa vie. Désormais, il chantera sans trêve la misère ,et la révolte ouvrières. Mais il faut vivre et la chanson révolutionnaire ne nourrit pas son homme. Pottier se fait dessinateur sur tissus, fonde une famille. Il continue à fréquenter les goguettes, mais rien 'ne subsiste de sa production de l'époque 1832-1847. Pourtant, en 1845, Murger écrit : « Il y a deux nouvelles chansons de Pot· tier, bien remarquables... » En février 1848, il est sur les barricades ; ses chansons se vendent dans la rue. Pottier croit à la République et à la Liberté. L'insurrection des ouvriers parisiens, en juin 1848, le rappelle à la dure réalité. Il n'a plus, il n'aura plus jamais d'illusions. Les deux grandes saignées prolétariennes, celle de Lyon et celle de Paris, bien avant l'atroce massacre des communards, le convainquirent de l'inanité des rêveries réformistes. Il ne l'oubliera pas. En 1849 apparaissent ses premiers symptômes d'hémiplégie. « Sanguin, vigoureux, ardent comme un taureau ... , distrait et in-

souciant, formidable de passion... » tel le voient ses amis de jeunesse. Il ne publie rien sous le Second Empire, ne chante plus, les goguettes étant interdites. En 1864, il s'établit à son compte, fonde à Paris un atelier de dessin sur tissus et un établissement de bains. Il gagne bien sa vie. Il n'en crée pas moins, la même année, une chambre syndicale qu'il fait adhérer à la r e Internationale. Cependant, sa santé toujours précaire, son travail, sa famille le tiennent éloigné de l'action mil i tan t e. « Dans les conversations entre camarades, il amusait le ' tapis de quelques boutades socialistes, exaltant Fourier, qu'il savait par cœur », écrit un de ses amis. En 1870, après le désastre de Sedan, il exhorte les Parisiens à la résistance. D'emblée, il se rallie à la Commune, signe l'appel de

que, ensuite en Grande-Bretagne, enfin, en 1873, aux Etats-Unis. Il rentre en France après l'amnistie de 1880 et reprend son métier de dessinateur sur étoffes et de chansonnier révolutionnaire. Ruiné et malade, il n'arrive pas à gagner sa vie. On l'a oublié et les métiers d'art périclitent. En 1883, il obtient le premier prix au concours de la Lice chansonnière. On se souvient de lui. Pour l'aider, ~n lui propose de lancer une souscription en sa faveur ou d'éditer ses chansons. Il n'hésite pas un instant : « Qu'on publie mes œuvres et que je meure de faim 1 » Jules Vallès lance dans le Cri du Peuple un grand « coup de gueule » en faveur de Pottier. En 1884, paraissent deux recueils de ses poèmes. Qui est le fou ?, avec une préface de Gustave Nadaud, chansonnier célèbre, s'adresse aux milieux

En 1888, un ouvrier du Nord, Pierre Degeyter, met en musique sur un petit harmonium les paroles de l'Internationale, qui deviendra l'hymne des travailleurs du monde entier. « Le destin de cet hymne fut prodigieux, écrit Pierre Brochon, biographe et bibliographe de Pottier. Mais jamais œuvre n'a pareillement étouffé" écrasé son auteur. Il ne le méritait pas. » Il a fallu des dizaines d'années pour que paraisse l'édition complète et critique des œuvres de Pottier. Pierre Brochon a rassemblé les écrits dispersés, souvent , anonymes; HIes a fait précéder d'unc excellente biographie ; il les a accompagnés de notes, et en a établi une bibliographie internationale complète. La présentation est très soignée, de nombreux dessins d'époque illustrent le volume qu'accompagne un disque où sont enre-

Blanqui Contre une classe sans Luttant pour le peuple Il eut, vivant, quatre Mort, quatre planches

entrailles, sans pain, murailles, de sapin!

La chambre mortuaire était au quatrième; Et la foule, à pas lents, gravissait l'escalier : Le Paris du travail, en blouse d'atelier, Des femmes, des enfants; plus d'un visage blême. Ce grand deuil prévalait sur le soin journalier Du pain de la famille; il eut, trois jours, la même Affluence d'amis pour cet adieu suprême. Moi, j'attendais mon tour, rêvant sur le palier.

Eugène Pottier

Ce cœur qui ne bat plus battait pour une idée L'Egalité 1.. Gens sourds 1 Terre, esclave ridée Qui tournes dans ta cage ainsi que l'écureuil.

Blanqui

A présent qu'il est mort, tu l'entendras ... peut-être 1 Ce combattant, passant de la geôle au cercueil, Du fond de son silenCe, il dit: Ni Dieu, ni Maître 1

Un poèmé d'Eugène Pottier.

l'Internationale et le Manifeste du Comité des Vingt Arrondissements, tous deux d'inspiration proudhonienne. Le 16 avril, , 11ien que la lutte à mort avec les Versaillais soit déjà engagée, il sc présente il une élection partielle à la Commune. Il est élu. C'est un singulier acte de courage. Il reste à son poste pendant la Semaine sanglante, (n'échappe que par miracle à la mort. Il se cache à Paris, traqué, condamné à mort par contumace. C'est alors qu'il rédige, en juin 1871, l'Internationale. II faut une solide dose d'optimisme pour lancer à ce moment le message d'espérance. II se réfugie d'abord en Belgi-

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967.

bourgcois libéraux ; les Poésies d'Economie sociale sont destinées aux milieux socialistes. C'est seulemcnt en 1887, l'année de sa Inort, qu'il acquiert une certaine notoriété : Francisque Sarcey lui accorde la caution bourgcoise en écrivant : « Ce Pottier est, je regrette de le dire, un communard et sans doute des plus violents. Mais c'est un sincère et il est né poète. Il n'y a pas à dire, il est né poète. » Sarcey parle même à ce propos de chef-d'œuvre. Peu avant la mort de Pottier paraissent ses Chants révolutionnaires avee une préface d'Henri Rochefort. L'immortalité lui vient d'ailleurs.

gistrées trois chansons de Pottier. Cet hommage tardif est bien mérité. Poète prolétarien socialiste et révolutionnaire, communard et proscrit, Pottier a été, durant sa vie, le chantre de la classe ouvrière. Pourtant, nombreux sont ceux qui, tout en chantant l'Internationale, ignorent qui en est l'auteur. Comme Rouget de Lisle, qui restera pour toujours le créateur inspiré de la Marseillaise, Eugène Pottier passera dans l 'histoire comme le parolier de l'Internationale. Il est temps que, célèbre à l'étranger; il soit un peu mieux connu dans son propre pays. Victor Fay 15


UN TEXTE DE MICHEL LEIRIS

Le sentiment esthétique Dans la collection « l'Univers des formes », (Gallimard éd.), dirigée par André Malraux et par le regretté Georges Salles, paraîtra à la fin du mois Afrique Noire: la création plastique, par Michel Leiris et Jacqueline Delange. Nous publions des extraits d'un chapitre dû à Michel Leiris. « On ne saLS~rait pas l'essence de la littérature et de l'art africains, écrit Léopold Sédar Senghor, en s'imaginant qu'ils sont seulement utilitaires et que le Négro-africain n'a pas le sens de la beauté. Certains ethnologues et critiques d'art sont allés prétendant que les mots i« beauté» et « beau» étaient absents des langues négro-africaines. C'est .tout le contraire. La vérité est que le Négro-africain assimile la beauté à la bonté, surtout à l'efficacité. Ainsi le Wolof du Sénégal. Les mots târ et rafet s'appliquent de préférence aux hommes. S'agissant des œuvres d'art, le Wolof emploiera les qualificatifs dvêka, yèm, mat, que je traduirai par : « qui convient», « qui est à la mesure de», « qui est parfait» [ ... ]. Le beau masque, le beau poème est celui qui produit, sur le public, l'émotion souhaitée : tristesse, Jo~e, hilarité, terreur. Significatif est le mot baxai prononcez bakhaï « bonté », dont se servent les jeunes dandys pour désigner une belle jeune fille. Comme quoi, la beauté est, pour eux, « la promesse du bonheur ». Par contre, une bonne action est souvent qualifiée de « belle ». Si tel poème produit son effet, c'est qu'il trouve un écho dans l'esprit et la sensibilité des auditeurs. C'est pourquoi les Peuls définissent le poème: « des paroles plaisantes au cœur et à l'oreille .. » L'écrivain Claude Roy fait observer, de son côté, que « si les dialectes africains n'ont, la plupart, qu'un adjectif pour signifier beau et bon, n'importe quel lexique grec nous rappelle qu'agathos signifiait tout ensemble: beau, bon, brave à la guerre » et il ajoute qu' « assimiler la bealfté à la bonté n'est pas nier la première ». Au demeurant, il suffit d'un rapide coup d'œil sur quelques vocabulaires négro-africains pour constater que, s'il est courant qu'aucune discrimination ne soit faite entre les deux notions, la différence est exprimée dans plus d'une langue [ ... ] La difficulté, toujours grande, de dégager des critères esthétiques précis est accrue en l'occurrence par le fait qu'il n'existe en Afrique noire ni critique institutionnalisée ni enseignement systématique des beaux-arts en tant que tels. Qu'il travaille chez son père ou chez un autre maître qu'it rétribuera en espèces ou en services (l'aidant, par exemple, à cultiver sa plantation), l'apprenti sculpteur se borne à observer ce que fait son aîné et à tâcher de l'imiter; celui-ci, certes, le juge et peut même aller jusqu'à le battre quand le travail est mal fait mais, s'il lui inculque des notions esthétiques, c'est de manière tout empirique. Chez les Dogon, divers faits prouvent que là aussi des réactions esthétiques sont suscitées par les instruments sacrés que sont les masques. En 1931, séjournant à Sanga avec Marcel Griaule, j'ai constaté que parmi des masques de types divers dont nous venions de faire l'acquisition il en était un que l'un de nos informateurs déclarait aimer mieux que les autres : précisément celui que moi, qui ne pouvais être influencé par aucune considération fonctionnelle, j'estimais le plus beau (ce que, bien entendu, je m'étais gardé de dire). De même, d'un autre masque remarquable par r élégance de ses formes - tête de kob ou d:hippotrague aux longues cornes effilées nn se rappelait qu'il avait pour auteur un

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nommé Ansege, excellent sculpteur de masques qui avait trouvé la mort une dizaine d'années auparavant au cours d'une opération de répression effectuée dans la région. Par ailleurs, un vieillard très expert pour tout ce qui touchait aux masques, Ambibe Babadyi, évoqua un jour nostalgiquement devant moi l'époque ancienne (antérieure à l'occupation française) où les danseurs qui intervenaient dans les rites impliquant le port du masque étaient, d'une manière générale, non seulement plus nombreux et plus forts, mais revêtus de parures plus soignées et plu.". belles; lui-même trouvait particulièrement séduisant un certain type de masques : le satimbe, dont la tête

est surmontée d'une statuette féminine, ce qui à Touyogou, village peu éloigné de Sanga, lui vaut le nom de sadege dans lequel la présence du mot dege, « statuette», montre qu'il est reconnu comme comportant une figuration expressément sculpturale. Rappelant des souv~nirs d'enfance, l'écrivain de langue française Camara Laye, fils d'un forgeron mandip-g de haute Guinée, souligne le caractère spectaculaire que revêt dans la région de Kouroussa la fabrication d'un bijou en or, travail au cours duquel l'artisan « déploie son savoir-faire avec un éclat que ses travaux de forgeron ou de mécanicien et

même ses travaux de sculpteur ne revêtent jamais, bien que son savoir-faire ne soit pas inférieur dans ces travaux plus humbles, bien que les statues qu'il tire du bois à coups d'herminette ne soient pas d'humbles travaux ! » Durant l'opération, qui n 'est pas seulement technique mais comporte un élément magico-religieux (l'artisan ne pouvant mener à bien sa tâche qu'avec la protection des génies), le père de l'écrivain était encouragé par les louanges d'un griot, la cliente ayant jugé. nécessaire d'amener pour chanter le talent de l'exécutant un homme appartenant à cette caste qu'on peut regarder comme celle des professionnels de la littérature orale. « Il n'avait pas plus tôt terminé, qu'ouvriers et apprentis, amis et clients attendant leur tour, sans oublier la commère à laquelle le bijou était destiné, s'empressaient autour de lui, le complimentant, le couvrant d'éloges, félicitant par la même occasion le griot qui se voyait comblé de cadeaux - cadeaux qui sont quasi ses seules ressources dans la vie errante qu'il mène à la manière des troubadours de jadis. » Formant partout une caste plus ou moins marginale, les forgerons africains ne sont pas seulement des techniciens, mais des artistes qui joignent à leurs capacités de métallurgistes celles de sculpteurs d'objets en bois : portes, serrures, sièges, etc. Certes la confectiOl;l d'au moins certaines statues peut revenir à des spécialistes qui non seulement ont fait un apprentissage de sculpteurs mais ont étudié les vertus attachées aux plantes, aux os animaux ou humains, etc., qui seront ajoutés au bois taillé pour le douer de certains pouvoirs (ainsi, chez les Luba du Congo-Kinshasa, les bwana mutombo, artisans respectés, distincts de ceux qui sculptent des objets mobiliers) et il existe dans bien des centres - la division du travail y étant plus poussée des sculpteurs spécialisés, mais au village c'est généralement au forgeron que l'on s'adresse quand on a besoin d'une statue, qui sera payée tantôt en nature, tantôt en espèces. En Côte-d'Ivoire, chez IL.'! Atutu, les Guro et les Baulé, le sculpteur est un notable estimé. En pays baulé où la sculpture (comme on sait) atteint souvent un haut degré de qualité, sa voix pèse d'un poids particulier au conseil du village et il arrive que le chef lui demande son avis pour une affaire importante, comme il le fait du forgeron, personnage écouté en raison de ses multiples connaissances en matière de technique et même de magie [ .. .] Chez les Tiv du Nigeria central, qui dans certains de leurs rites emploient d'ordinaire des poteaux. sommairement anthropomorphes, il advient qu'une personne paie une somme relativement forte à un artiste pour sculpter 'une figure qui aura sur le simple poteau l'avantage de « plaire à l'œil» et vaudra un certain prestige à son propriétaire. De plus, des objets décorés tels que les sièges, les cannes masculines, les calebasses gravées et les étoffes ornées de motifs cousus en raphia ne laisseront pas d'être jugés d'un point de vue esthétique. Entre autres anecdotes, Paul Bohannan raconte comment un homme qu'il regardait confectionner une telle étoffe lui dit que si le résultat était mauvais il la vendrait aux Ibo (autre population nigérienne), alors qu'il la garderait pour lui si elle était réussie et la donnerait à sa belle-mère dans le cas d'excellence. Alors que ces produits de ce que nous nommons « arts appliqués» sont souvent œuvre collective, les sculptures proprement dites sont presque toujours d'un seul artiste. Il arrive également qu'un talent éminent reçoive une consécration officielle et c'est ainsi


chez les Noirs qu'en pays yaka, de même qu'un bon danseur sera dit kinambotte, le titre honorifique de kimvumbu peut être décerné par un chef à un sculpteur (kalaueni) qui s' avère hors de pair. Au Kasaï, chez les Kuba, chacun des corps de métier a son représentant à la cour et c'est le nyibina, délégué des sculpteurs, qui a la préséance; cette charge non héréditaire revient au plus méritant, et ses confrères et lui, gens très considérés, portent sur l'épaule l'insigne de leur dignité : une herminette au manche OJ.1D.é d'une figure anthropomorphe, spécimen d'apparat de ce qui est en Afrique noire le principal instrument des sculpteurs en bois, la sorte de hache à fer étroit dont le tranchant est perpendiculaire à l'axe du manche, outil dont un même sculpteur emploie souvent plusieurs modèles auxquels couteaux et grattoirs peuvent s'adjoindre pour le finissage. De tous ces faits il ressort que, malgré la pression des t~aditions ancestrales non seulement quant aux choses qu'il importe de signifier mais quant à la façon dont il convient de les signifier, la production de l'artiste négro-africain est moins stéréotypée qu'on ne le croit communément : se contenterait-il d'essayer de refaire exactement ce qu'il a déjà vu, il y a dans sa manière quelque chose qui permet de reconnaître en lui un maître ou un quelconque artisan. Il est certain, d'autre part, que l'évolution stylistique observable au Bénin par exemple n'aurait pas pu se produire si les usagers avaient été eux-mêmes traditionalistes au point d'être incapables de toute fluctuation de goût. Au Bénin, au Dahomey et dans d 'autres parties de l'Afrique noire il s'est développé des arts de cour, pratiqués par des artisans (fondeurs, sculpteurs ou autres) placés dans la dépendance directe du souverain. Pour cette partie du monde comme pour l'Europe on peut d'ailleurs citer, si fortement que la recherche du prestige ait pu influer sur leur conduite, les noms de monarques qui semblent s'être intéressés aux arts et même aux lettres ou, du m~ins, avoir été assez éclairés pour que la tradition leur prête un ~ôle culturel important [ ... ] Les productions plastiques négro-africaines répondent certes à des buts religieux ou magiques, à des buts proprement sociaux (détenir tel objet ou avoir droit à telle parure exprimant la position qu'on occupe dans le groupe), à des buts politiques (le pouvoir du roi, par exemple, étant attaché à son trône ou certaines fonctions de police exigeant le port d'un masque par celui qui les exerce), à des buts de prestige (ainsi les trésors, en vérité aisément hétéroclites, que maints chefs sont fiers de posséder et la belle maison à étage que tel notable se fera bâtir) ou encore à des buts de jeu (comme les poupées souvent finement travaillées avec lesquelles, chez de nombreuses populations, s'amusent les fillettes). Toutefois, cela n'exclut nullement qu'elles puissent susciter une réaction esthétique chez les Noirs africains qui en usent ou simplement les regardent. Ce n'es~ d'ailleurs pas à propos des seuls objets fabriqués qu'on voit se manifester des réactions de ce genre [ ... ] « La jeune fille se dandine, elle tourne son cou, ses seins sont comme les boules d'indigo, ses seins sont comme le pis de la brebis, son cou est comme l'or du riche, ses yeux sont comme les étoiles du matin, son ver.ire est comDJ.e la sandale peule, son nombril est com_me la tête d'une gourde, sa hanche est tatouée. » [ ... ] Ainsi, des indices suffisamment nombreux et variés témoignent de la capacité que les La Quinzaine littéraire, 15

au 30 avTÜ 1967.

Kwelé. Masque. Museu.m d'histoire naturelle de La Rochelle.

Noirs de l'Afrique ont d'apprécier la _beauté pour qu'on puisse parler d'art à propos de leurs productions plastiques sans que ce soit adopter ipso facto une perspective étrangère à la leur. Il se peut, certes, qu'une telle capacité se rencontre uniquement dans des sociétés privilégiées à cet égard, auquel cas les productions des sociétés dénuées d'un pareil privilège devraient en principe être exclues de la rubrique « art nègre », au sens d'art possédant, si l'on peut dire, une certaine conscience de luimême. Mais il est évident que nos connaissances en matière d'esthétique négro-africaine Tutsi.

sont actuellement trop pauvres pour qu'on puisse même prévoir une éventuelle discrimination. Et l'un des grands découvreurs de l'intérieur de l'Afrique, Georg Schweinfurth, n'allait-il pas jusqu'à écrire que c'était précisément chez les Africains les plus isolés et les plus rudes, ceux qui ignoraient l'usage des cotonnades et s'adonnaient encore à des pratiques anthropophagiques, que l'instinct artistique (Kunsttrieb) et la joie de produire des œuvres concourant à l'embellissement et à l'aménagement de la vie étaient restés le plus intacts? Michel Leiris

Tervuren, musée royal de l'Afrique centrale.

17


ENQU:lTE

Soixante petites filles et la comtesse Au début de l'année scolaire, Jean-Jacques Pauvert rééditait, avec leurs illustrations originales et sous leur célèbre couverture rose, les romans -de la Comtesse de Ségur. L'entreprise n'était-elle pas anachronique '? On pouvait à bon droit se demander si Sophie, Blaise, les petites filles modèles n'étaient pas aujourd'hui définitivement supplantés par Tintin, Astérix, ou ces enfants modèles nouveau style qui forment le Club des cinq. A cette question, nombre d'adultes répondaient en affirmant la pérennité de la Comtesse et en invoquant la profondeur et la force des thèmes psychanalytiques sousjacents à son œuvre. Nous avons fait appel au témoignage direct des enfants. A notre demande, Mlle H., professeur dans un lycée de filles parisicn, a bien voulu interroger les élèvcs de deux classes, 6" et se sans préparation préalable, celles-ci devaient indiquer brièvement par écrit si elles connaissaient les ouvragcs de la Comtesse de Sé· gUI' et, dans l'affirmative, dire si elles les appréciaient ou non et pourquoi. Les résultats de cette enquête sont impressionnants (en faveur de la Comtesse). Sur soixante petites filles, âgées de 10 à 14 ans, on s'aperçoit que trois seulement (en S<)n'ont jamais lu la Comtesse de Ségur et deux n'ont lu qu'un seul de scs ouvrages. Vingt-deux enfants se réfèrent à plus de trois titres, quatre seulement ne gardent pas le souvenir précis .des héros. Quarante-cinq enfants sont des partisans enthousiastes de ccs ouvra· ges à propos desquels l'adjectif « passionnant » revient plus de vingt fois. Pas de doute, la Comtesse est, pour une partie de ses lecteurs, un auteur à suspense : « On participe à l'aventure (des héros), on est anxieux )) (6 e ). « Les histoires qu'elle choisit sont palpitantes et intrigantes )) (6 e ). « Je me demande tout le temps ce qu'il y a après ) (6 e ). « On ne soupçonne pas la fin, on ne devine pas ce qui va se passer après un récit. Par exemple, dans Zorro, op sait la fin , c'est tout le temps lui qui gagne » (SC). « (Ces livres) nous transportent dans un monde si palpitant, si imprévu que je ne me lasse pas de les relb:e » (sa). Presque tous ces vrais amateurs ont d'ailleurs fait l'eXpérience de la relecture : « J'ai lu et relu (ces livres) mille fois avec toujours autant de plaisir )) (se). « Lorsque je veux me défatiguer de livres plus savants, je prends un des livres de la Comtesse de Ségur et j'en lis plusieurs passages » (se). L'analyse des motivations révèle parmi les partisans de la Comtesse quelques leitmotive. C'est tout d'abord l'alternance des genres, drôle et triste : « Ils sont drôles et tristes en même temps. C'est cela que j'aime. Lorsqu'une larme s'apprête à couler, hop, un petit sourire recommence ) (se). Vient ensuite le goût du happy end. Plus 18

profondément, les héros de la Comtesse offrent aux enfants une extraordinaire possibilité d'identification : « Ils faisaient les mêmes bê· tises que nous ») (6 e ). « J'ai l'ilnpression d'être le personnage qu'elle décrit » (6 e ). Et, à l'unanimité, on trouve ces récits «( très réalistes )) (6 e). Plus de la moitié des enfants s'avèrent très sensibles au style ségurien : ( Je les aime non seulement pour l'histoire elle-même, mais surtout pour la façon charmante dont l'histoire est contée ) (se). «( La manière d'écrire de la Comtesse de Ségur est une manière assez joyeuse » (6 e ). Plus curieux, beaucoup d'enfants apprécient le ton moralisateur de ces récits : « Il nous font la morale, ce qui est bien )) (se). « Elle nous montre qu'il ne faut pas être coléreux, avare ... les bossus, il faut les aimer et ne pas les dédaigner » (6 e ). Parmi les motivations plus rares : le pittoresque et le dépaysement historique (2 élèves). Quant au sadisme, deux enfants seulement reconnaissent son attrait : « Ce qui est étrange, c'est qve Sophie fait des choses presque il/compréhensi. bIcs de la part d'unep~tite fille ; exemple : quand elle c~!Upe les petits poissons rouges. Ei pourtant,

c'est cela qui est amusant ») (6 e ). « J'ai apprécié aussi les histoires d'animaux, les supplices que les enfants leur ont fait subir )) (se). Ainsi, seul le sadisme exercé sur les animaux a pu être consciemment perçu comme une source d'attrait. La minorité des détracteurs défend des positions exactement inverses. « J'aime bien que dans un livre, il y ait de la morale, mais quand même pas de trop ») (6 e ). « Je n'aime pas les livres de la Comtesse de Ségur, car cela finit toujours bien. Il n'y a pas une vraie et émouvante aventure comme dans les livres d'Alexandre Dumas. C'est imprimé en gros caractères et ça se lit vite ». « Les enfants qui jouent (surtout les héros) sont toujours très bons, ont toutes les qualités et peu de défauts, en fait, ils sont à peu près parfaits » (6 e ). Le style est attaqué aussi, mais surtout la logique. Dans les Malheurs de Sophie : « L'histoire est assez coupée et ne s'enchaîne pas ») (6e ). Les parties de ses livres n'ont aucun rapport. Elle part sur un certain sujet, puis enchaîne sur un autre, puis revient au premier. Je préfère les récits de Marcel Pagnol, qui est plus proche de la réalité » (se). Enfin, la structure du

récit ségurien est mise au jour et démythifiée : « C'est toujours la même chose. Les parents délaissent leurs enfants, ces enfants sont sous la garde de quelqu'un qui les martyrise ou, au contraire, les aime bien ». Sur les cinquante-sept élèves qui ont lu les livres de la Comtesse, une seule, Marie-Thérèse Chymisz (qui cite dix titrcs) a été choquée par l'attitude sociale de l'auteur : « Quand j'étais plus jeune, j'aimais assez la Comtesse de Ségur. Pourtant, jamais ses livres ne m'ont vraimcnt touchée. Par la suite, j'ai relu certains livres de la Comtesse de Ségur et je me suis rendu compte qu'au fond ce n'étaient pas de bons livres (tout au moins pour mon goût). Quand j'ai relu la Comtesse de Ségur, certains passages m'ont beaucoup déplu. La Comtesse de Ségur m e donna1t l'impression d'être riche et de sous-estimer les pauvres. P ourquoi, par exemple, dans Pauvre Blaise, Blaise n'épouse-t-il pas Hélène ? Parce qu'il est pauvre et que Hélène est riche. Dans ses livres aussi, elle pade prcsque uniquement des riches. Je ne comprends par pourquoi elle estime que dans Un bon petit diable, son héros n 'est pas un très gentil garçon. Dans les Bons Enfants, à un moment, un des garçons dit que quand il sera grand il ira faire la guerre. Les autres sont de son avis. Je trouve moi que cela est un peu déplacé et que la Comtesse de Ségur aurait pu s'abstenir de ce détail. » A part le cas de quelques fanatiques et de deux autres enfants qui lisent la Comtesse pour « se détendre », à l'unanimité les lecteurs pensent qu'après dix ans « on rit un peu en lisant les Petites Filles modèles ». Mais il semble bien que dans le public plus jeune, celles-ci soient encore promises à une longue carrière. Et l'éditon Pau vert, par la grâce de sa présentation originelle, apporte aux enfants modernes une dimension supplémentaire d'étrangeté. Françoise Choay

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PHILOSOPHIE POLITIQUE

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Révolution française et ,. Révolution alJlerlCalne , Hannah Arendt Essai sur la Révolution Gallimard éd.; 480 p.

Emigré famélique, Chateaubriand publie à Londres, en 1797, son Essai historique, politique et moral 'sur les révolutions ancien-· nes et modernes considérées dans , leurs rapports avec la Révolution française. Il, le dédie «à tous les partis ». C'est à nous, héritiers de 'deux siècles de révolutions, que s'adresse Hannah Arendt dans ce livre profond et grave, en philosophe et en moraliste qui interprète ,les données de l'histoirë. Pour elle, celles-ci sont relati" ement simples : la Révolution française s'est terminée par , le désastre, mais son influence sur: l'histoire mondiale a été 'déter;ninante. A l'inverse la Révolutibn américaine, sur le moment réussite triomphale, ' est restée un événement d'importance surto-ih locale. Quant à la Révolutien russe, elle a conduit au totalitarisme stalinien, à la répression du soulèvement hongrois et au torpillage des conseils ouvriers. S'interrogeant alors sur ce qui fait , le propre d'une révolution, l'auteur note qu'elle implique, outre l'emploi de la violence et l'introduction de transformations sociales (Chateaubriand parlait des «altérations remarquables dans une société») la présence simultanée de deux exigences dont la conciliation n'est pas assnrée : il s'agit, d'un côté, de se situer à un commencement absolu, sans précédent, ouverture d'une ère nouvelle (Novus ordo sreculorum), parfois assorti d'un changement dans la , computation du temps (songeons au calendrier révolutionnaire). Mais d'un autre côté cette innovation, cette naissance ne seraient qu'avortement et néant si le nouvel ordre de choses n'était pas, par la m'ême démarche, fondé, c'est-à-dire assuré de durer parce que légitimé. Cette conjonction du mouvement et de ' la stabilité est aussi nécessaire que féconde : la stérilité menace toute révolution qui ne poursuit pas avec une même sûreté ces deux éléments, comme toute pensée qui tenterait, après coup, de les dissocier. L'exemple amerIcain comme l'exemple français illustrent cette thèse.

La Hberté La grande chance de la Révolution américaine fut double : ce • fut d'abord de survenir dans un . pays ne renfennant pas' de grandes masses d'hommes misérables. Certes les différenciations sociales sont, dans' les treize colonies réelles et sensibles, sans parle;

'~.ême de l'esclavage. A la Convention de Philadelphie, les Pè-l'es fondateurs sont conscients de l'agitation ,qui existe, et leur œuvre constitutionnelle comme leurs réflexions portent la marque de leur conservatisme éclairé et modéré. Mais il n'y a rien qJ.i soit comparable aux terribles problèmes sociaux de la France révolutionnaire. A aucun moment, aux Etats-Unis, ce qu'on nommera plus tard «la question sociale» n'empêche ou ne menace l'établissement de la liberté.

n'était en effet que le sommet d'une pyramide de pouvoirs préexistants, grâce à l'autonomie interne dont jouissaient les municipalités, les comtés et les Etats, et non l'organe par lequel s'expri. mait une fiction ahstraite et absolue : la souveraineté de la' ~ation. Hannah Arendt consaclle' des pages remarquables à cette genèse du corps politique amerIcain, parfois contemporaine de l'exode initial des premiers pèlerins. Le vocahulaire religieux, voire biblique s'impose ici : au début

ment, en la présence de Dieu et les uns des autres, nous nous allions et nous. associons pour for. mer un corps politique ,civil... En vertu de quoi décrèterons. cons· tituerons et arrêterons, quand il le faudra, tous actes, lois, ordon~atwes, constitutions et offices, justes et équitables, qui nous paraîtrons les plus propres au bien général de la colonie; auquel nous promettons toute juste soumission et obéissance. » , On s'explique · alors la victoire, un ' siècle et delni plus tard, de

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Allégorie et texte sur l'lndép.mdance américaine. Gravure de 1786,

Il y eut aussi le fait, capital, que les fondateurs purent immédiatement devenir les gouvernan.ts et faire l'épreuve de leur construction. La rupture avec l'ordre anCien est suivie de l'institution d'une nouvelle société politique, fondée sur la séparation des pc 'Avoirs, la sauvegarde des libertés et l'idée d'une limitation du pouvoir. Le fédéralisme, l'existence du Sénat, la régulation par action des juges en furent les instruments. Pourquoi cette facilité? Les Américains héritaient d'une monarchie limitée, et li'ln ,absolue. Mais surtout l'autorité nouvelle reçut une légitimation i 'ID m é dia te; elle

La ,Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967.

du

XVIIe siècle comme à la , fin du XVUI", au moment de jeter l'ancre'

comme à l'heure de rompre les amarres, c'est face au Tout-Puissant que se' fait la proclamation fondamentale, si bien que l'émancipation pOlitique et l'émancipation religieuse s'épaulent. (Cf. l'article d'Alain Clément : «Le renouveau de l'histoire religieuse américaine », dans Le Monde du 22 mars dernier.) C'est avant même de débarquer que les passagers du « Mayflower », ' aussi effrayés d'un quelconque «état de nature» que confiants dans les vertus de la sociabilité, signèrent le célèbre Covenant : « Solennellement et mutueUe-

leurs descendants, «armés de la force ininterrompue de cette tradition » et connaissant leurs chances «dès le début

».

Guerre civile L'opposition est totale avec la Révolution française. Se produisant dans une 'société, un milieu politique et un contexte idéologique très différents, elle fut presque aussitôt prise à la 'gorge par la nécessité : invasion extérieure. guerre civile, crilile des subsistan: ces. Ce qui donne un ton si désespéré aux derniers discours de 19


CHRISTIAN LOUBET

SAVONAROLE PROPRETE ASSASSINE?

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• • • • • • • • BRÛLANT • PASSÉ • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• • • • • •

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GRAND PRIX INTERNATIONAL

DU DISQUE 1967 (Académie Ch. Cros)

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Saint-just et de Robespierre c'est que, tout en tentant de parer au plus pressé et de remédier à la crise sociale qui les assiège, ils rétrécissent à l'extrême par la Terreur et ses nlassacres, la base sociale et le «consensus» dont le nouveau pouvoir ' a besoin, au mo' ment même où ils perçoivent, avec la plus grande lucidité, qu'ils n'auront pas fondé la Révolution. Robespierre oppose avec raison le but du «gouvernement constitutionnel », qui est de «conserver la République », à celui du «gouvernement révolutionnaire », qui est de la «fonder» (Rapport présenté au nom du Comité de Salut public, 5 nivôse an II - 25 décemhre 1793).

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Révolution française et Révolution amerlcalne

Les Pères fondateurs

MONTEVERDI :• · CHANTS

Un second temps de la ré• flexion d'Hannah Arendt con sis• te à dresser un hilan passablement pessimiste des cent derniè• res années. Aux Etats-Unis, la • réussite initiale ne s'est pas per• pétuée. On ne déformerait pas • certains passages de son livre en • les intitulant «La révolution • trahie» (elle parle de «trésor perdu »). Depuis la fin du siècle • dernier, le « rêve» amerlcain • n'est plus ni celui des Pères fon• dateurs (la fondation de la liber• té) ni celui des révolutionnaires première Intégrale mondiale, couronnée par • français (la libération de l'hom• me) mais plus simplement la • poursuite acharnée et incessante • du bien-être individuel. On est • bien loin de cette «quête du Après Vivaldi et Telemann le grand public ce livre, plusieurs parues séparément • bonheur» initialement proclamée cultivé commence seulement à redécou- avaientdéjàobtenuunaccueilenthousias- • comme un droit inalie'nable. Ton~ vrir l'un des plus grands génies de la te de lacritique et4 Grands Prix du Disque: musique, l'égal de Bach ou de Mozart: celui de l'Académie Ch. Cros 1962 et • queville a dénoncé les dangers, Monteverdi. Le créateur de l'opéra n'est celui de la Critique Italienne 1964 (pour • pour la liberté, du règne sans pas seulement, le premier musicien mo- Le Combat de Tancrède et de Clorinde), derne, ,mais l'un des premiers de tous celui de l'Académie du Disque Français • partage de l~ sphère privée de les temps. C'est aux plus grands génies 1964 (pour divers Madrigaux Guerriers • l'individu. La mISe en garde poétiques qu'il faut le comparer et et Amoureux) et 1965 (pour Il Ballo delle • d'abord à son contemporain Shakespeare: Ingrat). Elles ont été rééditées en gravure • n'était pas neuve; dès 1782, Hecpoignant sentiment du tragique de la universelle (à la fois stéréo et mono), en • tor St John de Crévecœur fordestinée humaine allié à une éblouis- même temps que 14 autres pièces pour. l' d mu aIt, ans ses Lettres d'un fersante légèreté et même à un humour la plupart inédites en disque, complétant d'une grande verdeur, peinture brûlante cette Intégrale qui vient de recevoir une • mier américain, la même crainte: des passions humaines et, constamment, dernière consécration : Le Grand Prix. , d • qu a viendra-t-il de la liberté si cette ascension vertigineuse vers les International du Disque 1967. cimes de l'indicible. • jamais l'homme l'emportait sur UNE OFFRE EXCEPTIONNELLE l' Cette merveilleuse Intégrale est compo-. e cItoyen? Hannah Arendt ajouLE UVRE DES CHANTS sée de 4 microsillons 30 cm, "gravure • te : il est très grave que nos GUERRIERS ET AMOUREUX universelle", abondamment commentés • principes politiques soient deveest, de son propre aveu, le sommet de et présentés dans un luxueux coffret. Ce • l'art du maître de Crémone, car l'œuvre coffret dont le prix normal sera celui de • nus des valeurs sociales, remon. dont nous présentons l'enregistrement tr(1nce à peine voilée à rencontre Intégral est une anthologie de Monteverdi 4 disques stéréo artistiques, soit 139,90 F, vous est offert pour quelques jours, par • d composée par lui-même, choisissant vers Discopilote au prix de souscription de. e certains quartiers de la sociola fin de sa vie dans son abondante 99 F, livrable immédiatement franco de • logie politique américaine ... production de "madrigaux" ceux qu'il port et d'emballage, payable à réception • juge dignes de passer à la postérité. du coffret ou en 3 mensualités de 33 F sans aucune majoration. Tout disque qui • présenterait la moindre imperfection • L'ENREGISTREMENT Gestion économique c'est celui du premier ensemble monte- étant aussitôt changé, n'hésitez pas à • verdien du monde : la Societa Cameris- commander, dès aujourd'hui, pour pro- • tica de Lugano dirigée par Edwin Lôhrer fiter de ce prix exceptionnel, ces "enIl y a plus grave encore. Les avec le célèbre claveciniste Luciano registrements de base de toute disco- • Sgrizzi. Sur les 22 pièces qui composent thèque" (La Revue des Deux Mondes). • Etats-Unis ont oublié leur pror-:~----------------------------" : pre tradition révolutionnaire, et 1BON à adresser à DISCOPILOTE (Librairie Pilote 22, rue de Grenelle - Paris 7e )_ • cette incapacité de se souvenir 1Veuillez m'adresser le coffret Le L,ivre des Chants Guerriers et Amoureux. Je • engendre celle de comprendre les vous réglerai dès réception 0 comptant 99 F 0 la 1ere des 2 mensualités de 33 F • mouvements révolutionnaires du 1par 0 mandat 0 chèque 0 chèque postal à vIC. C.P. 401"5-34 Paris. • xx· siècle. De l'Amérique latine à • l'Asie du Sud-Est, les exemples : abondent, avec d'incalculables • conséquences, pour la diploma1........... ,., ............................... ................................... . • tie mondiale comme pour la cons1No de C.C.P. ou bancaire .. .... .. .... .... .......... Banque .......... . .......,. • dence politique américaine. 1 .. ...... ................. ... ..... ... ....... ......... Signature: r • Le dernier espoir de voir une

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5 GRANDS PRII DU DISQUE •

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Révolution vraiment féconde est n10rt, conclut l'auteur, 'avec J'échec des Conseils. Soviets russes de 1917, «Rate» allp.mands et autrichiens de 1918, conseils hongrois (en 1918 comme en 1956) et polonais, tous, au-delà de la diversité des contextes- historiques, apparaissent spontanément, conçoivent leur rôle com· me celui d'organes permanents let non provisoires) de gouvernement, et entreprennent sans tarder la coordination de leur action, voire leur association fédérale. Chaque fois, l'Etat centralisé et la bureaucratie du parti l'emportèrent sans merci. Pourquoi? ~ns doute parce que les conseils ont été battus sur deux terrains à la fois. Sur le plan politique, qui était pour eux l'essentiel, leur infériorité face au:r hureaucraties combinées du p.arti et de l'Etat était, dans une socîété moderne, inévitable. Sur le plan de la gestion économique et sociale, il n'est pas excessif d'affirmer qu'ils ont sous-estimé le poids de l' «administration des choses », même s'il y eut d'incontestables réussites ici et là (ne serait-ce que par rapport à ce qui précédait). Avec eux, note mélancoliquement Hannah Arendt, a disparu la seule élite politique réellement issue du peuple et capable d'édifier une autre société politique que celle qui utilise et accapare le vieux modèle étatique et administratif.

Le 50- anniversaire Peut-être la tentative, comme l'échec étaient-ils encore plus anciens et remontaient-ils à la Commune. En 1871, Odysse Barrot écrit en effet : «En tant que ré-

volution sociale, 1871 procède directement de 1793, qu'il continue et qu'il doit achever ... En tant que révolution politique, au contraire, 1871 est réaction contre 1793 et un retour à 1789... Il a effacé du programme les mots « une et indivisible» et rejeté l'idée autoritaire qui est une idée toùte monarchique... pour se rallier à ridée fédérative, qui est par excellence fidée libérale et républicaine.» Les historiens discuteront peut-être cette interprétation de la Commune, malS l'idée vaut d'être notée. A peine le dixième anniversaire de la révolution hongroise estil passé que l'on s'apprête, dans d'autres milieux, à célébrer comme il convient, c'est-à-dire sans fausses notes, le cinquantième anniversaire de la révolution russe. Ceux qui ne se contentent pas des jubilés triomphalistes et des équivoques méditeront, avec Hannah Arendt, ces mots de René Char :

«Notre héritage n'est précédé d'aucun testament ». Roger Errera

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967.


ÉCONOMIE

Qui est pauvre?

.Baraquements à Austin. Texas.

de « J'accuse » appuyé sur des travaux d'experts (comme ceux de Lampman) qui cherche à secouer '-'indifférence ou la bonne conscience des Américains par une série de portraits pris sur le vif, dont certains reflètent d'ailleurs )l'expérience du militant catholiOscar Ornati que de gauche qu'est Michael HarPoverty in an affluent rington. Il nous dépeint en termes Society réaHstes bien restitués par la Twentieth century Fund. New York. 1966. traduction, quelques faux-sens mis à part le sous-prolétariat des métiers instables et mal payés, les Entre Franklin Roosevelt et travailleurs des industries et des John Kennedy ,.l'Amérique pauvre régions en déclin, les petits exploin'a guère fait 'p arler d'elle. Non tants et ouvriers agricoles, les pas qu'elle f.qt en voie d'extinction noirs, les alcooliques de la rapide, mais, rien ne la signalait à « Bowery )), les ruraux mal adaptés l'attention. 8.i depuis 1962 les à la vie citadine, les vieillards, la pouvoirs publics ont déclaré la vie dans les taudis. A noter égale« guerre à la pauvreté », le livre ment un chapitre un peu en marge de Michael Harrington qui vient mais plein d'intérêt, qui tend à d'être traduit en français y a indu- montrer que les maladies mentales bitablement contribué dans la me- sont plus répandues dans les classure où ce plaidoyer éloquent et ses pauvres que chez les catégories du moins aux généreux a dépouillé l' « autre sociales aisées , Amérique » - celle qui ne fait pas Etats-Unis. Le livre est muni d'une partie de l'affluent society analysée annexe où l'auteur rassem}:Jle les,. par Galbraith ~ de l'une de ses données statistiques disponibles caractéristiques les plus tenaces, à sur l'ampleur du problème de la savoir l'invisibilité : les pauvres pauvreté. d'aujourd'hui se voient moins parce qu'ils sont dans l'ensemble corUn reportage rectement habillés, leur dénuement C'est ici qu'apparaissent les liparaîtrait enviable à Calcutta ou dans les Andes, ils vivent souvent mites de ce livre : excellent comau centre des grandes villes (alors me reportage et instrument de que les classes moyennes aisées prise de conscience d'une certaine s'établissent de plus en plus dans réalité sociale, mais assez confus les banlieues résidentielles), et ils dans l'analyse des causes de la pausont enfin syndicalement moins vreté et des mesures propres à la organisés que dans les années 30. faire reculer. Or s'agissant du lecL'autre Amérique ne se présente teur français il est évident que pas du tout comme l'œuvre d'un l'important était moins de susciter (~sociologue purement empirique», en lui des réactions affectives à bien que la préface lui attribue propos d'une situation qui lui est cette qualité. C'est plutôt une sorte étrangère que de lui faire saisir le Michael Harrington L'autre Amérique Trad. de l'anglais par Anne Marchand préface de Claude Roy Gallimard éd., 294 p.

La Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967.

mecamsme d'un phénomène qui n'est malheureusement pas propre à l'Amérique, à savoir l'existence de ce qu'on pourrait appeler les laissés pour compte de la croissance économique. Dans cette optique, un livre comme celui du Pl' Ornati, Poverty in an Affluent Society, récemment publié par le Twentieth Century Fund, aurait sans doute été plus util,e à faire connaître au public français, qui aurait disposé grâce à lui d'une méthode d'analyse rigoureuse délibérément absen· te de l'Autre Amérique. Si l'ou veut ehercher à saisir d 'où vient la pau vreté, il faut d'abord soulignel' quc le recours au critère de la « poverty line » - revenu en deçà duquel on convient qu'il y a pauvreté ~ est d'un intérêt méthodologique assez limité. Certes l'observation permet de dégager pour les Etats-Unis d'aujourd'hui trois seuils significatifs (chiffres calculés pour 1960 ) : 1. minimum subsistence : 2500 dollars par an pour une famille de ' 4 personnes ; 2. minimum adequacy : 3500 dollars par an pour une famille de 4 personnes ; 3. minimum confort 5500 dollar.s par an pour u,ne famille de 4 personnes. , En, 1960 le nombre de personnes situées en dessous de chacun de ces niveaux était respectivement de 20, 46 et 70 millions (pour une ' population d'environ 180 millions d'habitants). Mais l'emploi de ces normes à des fins de comparaison entre périodes illustre plus l'évolution des normes que ,celle de la pauvreté. Juger de la pauvreté présante à l'aide de , critères tirés du passé aboutit, pour peu 'que ce passé soit suffi-

samment éloigné, au constat qu'il n'y a plus de pauvres aujourd'hui... Quant à l'application de normes présentes à une période passée, elle a pour résultat symétrique d'assombrir de plus en plus cette dernière au fur et à mesure que s'élève la lign~ de cliva~e. La démarche 1 correcte consiste à comparer deux années par exemple 1947 et 1960 et à calculer dans chaque cas. le « taux de pallvrèté» à l'aide des critères en vigt..è·-- à chaque date. On aperçoit alors que le pourcentage d'Américains pauvres vivant en deçà des normes 2 et 3 n 'a guère changé entre 1947 et 1960, tandis que l'importance relative de ceux situés au-dessous de la norme a baissé (elle est passée de 15 0/0 à Il % de la 'population).

La pyramide des revenus Mais pour orienter correctement la lutte contre la pauvreté il importe moins de compter les pauvres que de repérer, comme l'a fait Ornati, dans quels groupes ils se recrutent et d'identifier les risques de pauvreté pesant . sur un! individu. Pour ce faire il faut vérifier quelles sont les caractéristiques qui sont le plus souvent liées à la pauVl'eté (familles dont le chef est non blanc, ou âgé de plus de ,65 ans, ou ayant eu moins de 8 ans de scolarité, ou de sexe féminin, ou exerçant un métier agricole, etc.), c'est-à-dire calculer si les familles possédant une ou plusieurs de ces caractéristiques comportent ' un fort pourcentage de pauvres, et si ce pourcentage de pauvres est plus ou moins élevé que ~ 21


HISTOIRE ~

Qui est pauvre ?

le taux global de pauvreté dans l'ensemble de la nation. Ornati a ainsi constaté que les familles ne possédant qU'une seule de ces caractéristiques ont de 20 à 40 % de leurs membres en dessous du niveau l, de 55 à 60 0/0 au ' dessous du niveau 2, et 70 0/0 environ au dessous du niveau 3. A mesure que s'ajoutent les attributs de la pauvreté, s'affaiblissent -les chances de figurer au dessus de l'un des trois niveaux minimum de revenus. A la limite le cumul de quatre attributs (chef de famille à la fois de couleur, agriculteur, âgé et de sexe féminin) implique une quasi certitude de pauvreté puisqu'en 1960 la proportion des familles de ce type excédant l'un des trois seuils de pauvreté n'était respectivement que de 16 0/0, 6% et 3 0/0. A titre de recoupement Ornati a procédé à la même analyse pour des attributs « liés à la non pauvreté », en étudiant les familles dont le chef était : blanc, de sexe masculin, âgé de 25 à 34 ans et ayant deux enfants de moins de 18 enfants. Les statistiques de 1960 montrent qu'une telle constellation se rencontre plus rarement dans les tranches inférieures de revenus et plus souvent dans les tranches supérieures, mais qu'en 1948 le risque de pauvreté pour ce type de familles était deux fois plus élevé. En d'autres termes les attributs inhérents à la pauvreté étaient, en 1960, plus fortement concentrés au bas de l'échelle des revenus qu'ils ne l'étaient en 1948. Ce n'est pas que les effectifs situés au bas de cette échelle soient plus nombreux (ils ont légèrement diminué en valeur absolue) ; la vraie raison est que les « départs » du bas vers le haut de la pyramide des revenus ont surtout concerné les personnes possédant des caractéristiques non liées à la pauvreté. Il n'y a pas de raison que ce processus sélectif cesse de j'ouer sans intervention ,extérieure.

3300 dollars Une telle apalyse montre que le problème de la pauvreté comporte un grand nombre d'aspects et appelle par conséquent des actions extrêmement variees. Le fait qu'un nombre élevé de pauvres se . situe dans la population non active montre que la recherche du plein emploi par le développement de la formation professionnelle et la stimulation de la croissance économique '. par les mesures de détente fiscale prises en 1964 n'a à cet égard qu'un intérêt limité. Pour autant qu'elles entraînent une réduction des recettes fédérales, on peut même soutenir qu'elles vont dans le sens contraire w celui qui serait souhaitable puisqu'elles diminuént les possibilités d'opérer dt's transferts de revenus et d'ac22

croître les investissements sociaux. Or ce sont là les deux points clefs d'une politique anti-pauvreté. Le premier, parce que seuls de larges transferts de revenus peuvent assurer aux non actifs une existence décente. Dans un essai bref mais pénétrant, The Limits of Ame,:ican Capitalism (Harper and Row, 1966) l'économiste · Robert Heilbroner a calculé que pour assurer à 35 millions d'Américains pauvres un revenu de 3.000 dollars par famille, il faudrait ajouter 11,5 milliards de dollars aux quelques 5 milliards de prestations versés actuellement, ce qui, réparti entre I l ou 12 millionl' de ménages formant les 20 % du haut de la pyramide des revenus, ferait passer leur charge fiscale en moyenne de 2300 à 3300 dollars environ.

L'automation Quant aux investissements sociaux (santé, rénovation urbaine, enseignement, formation professionnelle) pour lesquels un effort important a été accompli depuis 1964 ils sont évidemment indispensables si l'on veut s'attaquer aux causes de la pauvreté et non à ses effets, mais le manque général de ressources des collectivités locales et leur inégale richesse freinent le développement de ce type de dépenses. Il reste évidemment à savoir si, comme le soutient Harrington, l'automation, en se généralisant, provoquera des économies de main d'œuvre tellement drastiques que jamais le secteur automatisé ne pourra fournir assez d'emplois à tous ceux qui en demandent et en particulier aux pauvres (c'est à peu près ce qu'écrivait Norbert Wiener dans Cybernétique et Société). A mon sens il s'agit là de deux problèmes situés à des stades de maturation théorique très différents. La pauvreté aux U.S.A. a suffisamment évolué sur le plan de l'analyse pour que sa solution soit essentiellement une question politique d'arbitrage entre divers emplois alternatifs des gains de croissance. Par contre la question du chômage technologique est encore tellement controversée que la cause des pauvres n'a rien à gagner à s'abriter derrière ce qui, pour bien des économistes sérieux et sans parti pris, comme Solow, se distingue mal d'un abondancisme bien intentionné mais erroné . Bernard Cazes

Je voudrais signaler que le Bureau de recherches économiques de la C.F.D.T. (24, rue de Léningrad, 8C ) vient juste de faire paraître une étude ronéotypée solidement documentée sur La lutte contre la pauvreté aux Etats-Unis par M. Jean Michel' Chevalier. . 1. Voir les points de vue opposés expri. més par Solow et Heilbroner sous 1" titr" co=un (( The Great Automat' .,r". tion » âans la revue The Public: 1nterest, automne 1965.

Georges Dumézil La Religion romaine archaïque, appendice sur la religion des Etrusques Payot éd., 680 p.

Il est utile, à intervalles réguliers, de jeter ses regards en arrière et d'examiner ce que les récents travaux ont apporté de nouveau dans les différentes sciences. Certes, dans les sciences dites humaines, rien n'apparaît qui évoque les vastes bouleversements qu'ont connus les sciences dites exactes. Mais si les modifications y sont moins spectaculaires, certaines n'en sont pas moins profondes et des hommes comme H.!. Marrou ou F. Braudel ont su analyser avec finesse et clarté les directions ei les conquêtes nouvelles de la recherche historique. Parmi ces conquêtes et ces perspectives récemment ouvertes, il faut placer en bon rang celles qui concernent l'histoire des religions et plus particulièrement, comme nous l'examinerons dans le présent article, l'histoire des religions du monde antique. Une telle réflexion peut surprendre. Car les progrès de l'histoire ancienne semblent déterminés avant tout par les découvertes de l'archéologie qui se sont multipliées rapidement durant les dernières décennies, grâce au perfectionnement des techniques et des méthodes de recherches. Naturellement plusieurs de ces découvertes spectaculaires ont frappé l'imagination du public. Et, en vérité, il faut reconnaître que les progrès de la préhistoire sont entièrement tributaires de cette marche en avant de l'archéologie. Il n'en va pas si différemment de la protohistoire, c'està-dire de ces périodes aux contours indécis et divers suivant les cas concernant la vie des peuples qui ne nous ont pas ou guère laissé d 'écrits mais qui se trouvent partiellement éclairés par les écrits de leurs voisins. Mais, pour éclairer davantage cette pénombre de la protohistoire, et tenter de dissiper les larges zones d'ombre qui obscurcissent encore notre connaissance de l'antiquité, il 'convient de recourir à deux disciplines, parfois négligées par les historiens et dont cependant l'importance est extrême, à la linguistique et à l'histoire -comparée des religions. L'étude et la comparaison entre ellès de langues diverses permettent de découvrir et de préciser les parentés anciennes qui ont pu unir des peuples, séparés ensuite par les vicissitudes de l'histoire et l'on sait l'importance qu'a revêtue, au XIXe siècle, la découverte de la commune origine des langues d'Europe et d'Asie que l'on a, par suite, appelées indo-européennes. Depuis lors la liguistique a poursuivi une carrière féconde et dont les progrès son t en cours. L'histoire eHe-même tire le plus grand bénéfice des démarches de cette science fraternelle et de ses acquisitions. A

cet égard, les écrits de M. E. Benveniste, et en particulier son dernier livre, groupant des études : antérieures et intitulé « Problèmes de linguistique générale» (Gallimard, 196.6). sont révélateurs et éclairants. L'histoire des religio-l,S 'n'est pas moins précieuse pour chercheur car, comme la langue, la religion exprime profondément la nature du peuple qui l'a conçuè. Or l'origine commune de., peuples indo-européens, prouvée par là linguistique, implique l'existence d'une civilisation, d'une religion communes. C'est à l'étude wmparative des mythologies, des religions indo-européennes que M . G. Dumézil a consacré ses efforts: il a exprimé ses vues- et ses découvertes dans une riche série d'articles et d'ouvrages qui ont ouvert des voies fécondes à la recherche.

re

Celtes et Germains Il vient à présent de nous offrir une histoire de la religion de la Rome archaïque, sous la forme d'un ouvrage important par son volume et son contenu, et qui servira de base dorénavant à l'étude et à la discussion. Quelles raisons l'ont poussé à traiter un sujet, cher jusqu'ici surtout aux latinistes, aux spécialistes de la civilisation romaine ? Il y en a plusieurs et l'auteur s'explique clairement là-dessus dans sa préface. Il me paraît important de les exposer à sa suite car elles correspondent à une nécessité dans la progression de sa recherche. Rappelons tout d'abord l'essen.tiel des perspectives qui avaient été dégagées précédemment. Les différents peuples indo-européens ont hérité, de leur ascendance commune, un certain nombre de mythes qui ont pris, chez les 'lUS et chez les autres, en raison des traits propres à leurs tempéraments, des physionomies diverses. En Grèce, la vie des mythes a été animée par une imagination vive et prompte ; les Germains ont eu une prédilection pour les drames cosmiques, les Celtes pour les récits héroïques. Mais,' pour leur part, les Romains semblent réfractaires à ces jeux de l'imagination religieuse. Pour eux, comme pour l'ensemble des peuples italiques, ce qui compte avant tout c'est le rite, minutieusement et scrupuleusement accompli, mais qui existe sans support mythique. La piété romaine, incarnée par la personne même dll héros fondateur, est une piété sincère, profonde, sans cesse en éveil, et qui vise à maintenir la pax deum, les rapports essentiels de bonne entente entre la cité et les dieux. Elle trouve son accomplissement naturel dans une action rituelle incessante et dont le rythme est déterminé par un calendrier religieux particulièrement riche et précis. Est-ce à dire que les mythes indo-européens ont totalement disparu à Rome? Il n'en est rien et M. G. Dumézil a su démontrer, grâce à l'emploi judicieux


L'œuvre de Georges Dumézil d'une düfi-.ile méthode comparaqu'on ,ne les reconnaît plus qu'ils ont pris une figure différente: ils se sont faits histoire. , Rome a toujours été portée naturellement vers la notation du fait réel, ,~u fait vécu, sa littérature et son art en témoignent constamment, Aussi" est-ce dans l'histoire primitive de RQine, telle que la tradition l'a pieusement conservée, après qu'elle eut été forgée par un mélange complexe dont les fils doivent être démêlés, qu'il faut chercher, comme humanisés et désintégrés, les récits mythiques très anciens que les Italiques avaient transformés en Tes gestae. A la lumière de cette constatation que l'ensemble des comparaisons utilisées prouve juste, des figures célèbres comme celles de Romulus, de Numa, de Servius Tullius ou encore de Tarpeia P!en- ' nent un éclairage nouve~n et une signification i,ll~~r';vue. Quant aux divisio~ sociales de la Rome primitive (répartie en Ramnes, Luceres et Tities par Romulus), à ses classifications divines et sacerdotales (le groupe des trois dieux ma- , tiv~~, par~'ë

dans l'ombre divers rituels, plusieurs. figures divines isolées . et nombre de notions religieuses justiciables elles aussi de la comparaison. Cet ensemble de découve~es ne pouvait apparaître avec sa valeur et son poids véritables que dans un livre synthétique. La comparaison éclairait des structures de pensée et non pas les démarches complexes de l'histoire. Le fait devait être mis en évidence. Le dessein de l'ouvrage dont nous rendons compte est bien mis en lumière dans une préface très dense. Il s'agit ici d'intégrer les traditions anciennes, les îlots d'un legs préhistorique dans l'ensemble qui les contient, c'est-à-dire dans l'en. semble de la religion romaine, il s'agit de , , l!!-~mtëer comment, en q~.~lqU:3· sorte, ils se sont compor'tes, vivaces ou bien au contraire périssables avec les siècles. ' Par là, se trouve rétablie li continuité entre l'héritage indo-européen et la réalité romaine. Naturellement, pour la période des origines italiqUes et des origines de R.ome, M. G. Dumézil se heurte

Sarcophage. VIc siècle av. J.-C., R.pme.

jeurs, , Jupiter, Mars et Quirinus ~vec leurs flamines respectifs), elles conservent le souvenir de la structure sociale tripartite des IndoEuropéens (répartis en prêtres, guerriers et agriculteurs) . et de son patronage divin.

La triade divine

le nouvel ouvrage arrive à son heure. L'héritage indo-européen à Rome' s'est en effet considérable. ment accru à nos yeux, grâce préci!'ément aux recherches patientes de M. G. Dumézil. La triade divine, Jupiter, Mars et Quirinus, et la tripartite so:!iale originelle qu'elle recouvre ne doivent plus laisser ~ Quinzaine littéraire" 15

aux difficultés inhérentes à la re-, cherche protohistorique : il demeure, en effet, extrêmement malaisé d'établir la liaison, la soudure entre les cultures archéologiquement attest~es et les langues, et les religions que les textes ne nous font connaître que par la suite. Peut-être cependant; dans ce domaine, y auraitil .lieu d'aller plus avant et de réexaminer, à la lumière des nouvelles données, les questions débattues de l'unité italo-celtique, puis de l'unité italique, pour lesqUelles les faits religieux doivent intervenir. Il faut aussi tenter d'établir des chronologies au moins approchées. La tâche est extrêmement difficile, non insurmontable. J'ai, pour ma part, déjà insisté sur la frappante

au 30 avril 1967.

parenté rituelle qui unit la religion tés à la lumiere des publications de Rome et celle de l'Ombrie (bien nouvelles. Certaines düficultés subconnue grâce au plus long , texte sistent, inhérentes à la complexité rituel de l'antiquité, les Tables de la tradition concernant l'histoire Eugubines) et sur la diversité qui primitive de Rome, le rôle des Sa:sépare au contraire certaines par- bins continue ainsi à êtrecontroties de leurs panthéons. Ce double versé. Cependant, d'une manière fait ne peut s'expliquer que par générale, les apports de M. G. Duune communauté de vie italique (à mézil sortent renforcés de la ' con· la fin du second millénaire, au dé- frontation loyale qu'il poursuit tout but du premier millénaire avant au long du wé.sént' ouvrage. Sur J.-C.), au cours de laquelle le rite l'héritage indo.européen de la ' reli· était fondamental déjà tandis que gion romaine, sur son conservatis· les figures divines, sauf les ml\.i~u. ' me, sur les équilibres successifs res d'entre elles, se tr<H!,'Yâiént es- qu'elle connaît dans son histoire, tompées et obsClll"eies ··par manque les observations ' pénétrantes sont d'imagin,~Üon créatrice. Faut-il se légion et ne permettent jamais à dŒllander quand Rome a perdu sa , l'attention de faiblir. Particulière· mythologie? En vérité, la com- . ment importantes sont les remar· munauté italique l'avait perdue ques de méthode sur les confronavant elle. tations entre les faits religieux de Si l'on se plonge à présent dans Rome et ceux de l'Inde, faits homo· le cours riche et même passionnant logues et non semblables (p. 123). du livre de M. G. Dumézil, l'on 'est · frappé par les remarques fondamenUne crise religieuse tales incluses dans les 147 pages de notations préliminaires. L'historien des religions peut qu'y Nous ne pouvons qu'indiquer les souscrire et apprécier la clarté' de leur présentation. La lumière est lignes générales ' du développement interne du livre, une analyse de détail demanderait un vaste espace et doit être le fait de COlUS prolongés, tels ceux qui sont les nôtres à l'Ecole pratique des Hautes Etudes. Le cadre systématique s'est imposé pour la première partie du livre en raison de l'insuffisance des données chronologiques concernant les. premiers siècles de ' l'Urbs et parce qu'il fallait établir d'abord les données fondamentales. Pour les derniers siècles de la RépuHlique, l'exposé se fait au contraire chronologique. Une première partie est consacrée à l'étude des dieux de la triade indo.européenne, Jupi. ter, Mars et Quirinus, des flamines qui les servent et des fonctions sociales qu'à l'origine 'ils patronnent. Ce vaste problème;' au centre des recherches antérieures, est revu à ' la lumière des discussions qu'il \ avait suscitées. Naturellement l'attitude négative de K. Latte (dans sa Romische Religiongeschichte de 1960) est critiquée avec vigueur. Le livre de K. Latte ne prête pas du reste le flanc à cette seule critique. M. G. Dumézil insiste avec force et justesse sur 1:importance capitale 'que présente l'existence . bien projetée sur l'opposition très d'une triade ombrienne parallèle à réelle entre la fragilité de l'anna- celle de Rome (Jov, Mart, Vofiono, listique dans sa reconstitution des dieUx olnhriens ayant l'épithète faits politiques et militaires d'une commune de Grabovio). Il est impart et, d'autre part, la valeür de possible qu'un tèl parallélisme, tout la tradition en ce qui con~erne les emprunt réciproque étant hors de données religieuses, ainsi les dates question, soit fortuit; une origine des fondations de sanctuaires, re- ,commune est certaine et prouve belles par nature à l'arrangement l'existence d'une structure reliet à la transformation au gré des gieuse préromaine. Le point de dédésirs et des intérêts des hommes. part de la recherche est ainsi d'une Dès le départ, l'esprit juridique des parfaite 'solidité. Ici comme ailleurs Romains s'exprime dans les précau- il importe d'avoir _ses bases de détions infinies de leur vie religieuse part assurées . et explique en partie le type même La seconde partie traite de la de leurs dieux. Lès problèmes qui théologie ancienne. On entre dans subsistent ne sont pas esquivés et l'histoire de Rome avec la Jédicace beaucoup d'entre eux qui avaient fondàmentale, aux ides de septemdéjà été abordés dans des œuvres bre de la 245 e année de la, ville, antérieures sont repris ici et discu- du temple dl) la triade capitoline,

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une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement

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: • L'œuvre de Georges Dumézil

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Jupiter, Junon et Minerve. Ce grou- Salus ? de Concordia ? de Libertas, pement des trois divinités doit avoir de Victoria? Comme chacune de une origine étrusque et j'aurais, ces choses a une force trop grande pour ma part, la même opinion en pour pouvoir être gouvernée sans ce qui concerne la triade agraire un dieu, c'est la chose elle-même et comme rivale de la précédente, qui a reçu le titre de dieu. » Cérès, Liber et Libera. Car ni en pays latin ni dans le monde helléLa troisième partie est consacrée nique nous ne trouvons alors bien aux « Extensions et mutations» vivant de groupement homologue. que connaît la religion romaine jusAussi, comme les Etrusques véné- qu'à la fin de la République. L'inraient souvent des groupes de trois sertion dans l'histoire se fait ici dieux et que, comme la triade du complète. La grande crise religieuse Capitole, celle de l'Aventin est ap- de la deuxième guerre punique est parue à la fin de la période d'hégé- excellemment rendue. La part monie toscane à Rome, sa vaillance qu'occupe alors le prodige dans la me semble due à la présence et à grande peur suscitée par l'avance l'action des Toscans. Il ne s'agit des armées d'Hannibal est consilà cependant que d'une simple vrai- dérable. Les dieux semblent avoir sembiai.W~. Les certitudes réappaabandonné Rome sinon ses défaites raissent dans l'~!1.!-de comparative seraient inexplicables et les Rodes feux dans le culte pu:tIk romain mains ' voient se multiplier autour et dans la religion védique. ' LeiS d'eux les prodiges .de toute sorte, . . sont multiples et signes :':t m anifestations de cette concordances ICI probantes dans· les deux doctrines colère divine. Il f~ut donc, par des et même leurs applications pra ti- moyens nouveaux, tenter de rétablir ques et ne laissent pas de doute sur l'ancienne entente rompue enltt leur commune origine. Dans les l'Urbs et les dieux, laver aussi de chapitres qui suivent et sont inti- ses souillures la cité qui est comme tul'es tour a, tour « 1e cadre», infestée par le contact de ces phé« l'homme », « forces et éléments» nomènes abominables qui rompent l'analyse comparative continue de l'ordre même de la nature. Les rites diriger l'attention vers les analo- de procuration qui se multiplient gies avec l'Inde védique. Des divi- alors contribuent largement à la nités obscures de Rome sont éclai- transformation de la religion rorées par là. Cela, bien entendu, ne maine qui s'ouvre, plus largement fait pas méconnaître les caractères que jamais, aux cultes nouveaux et propres de Rome, sa psychologie aux cérémonies du monde grec. religieuse et l'évolution que celle- Alors se précisent les nouvelles lici connaît. Un des traits permanents gnes d'un panthéon syncrétique. de celle-ci est une rare faculté d'abstraction à laquelle la langue latine fournit bien des moyens. La Les Étrusques personnification de l'abstraction se retrouve du reste dans l'ensemble du domaine indo-européen. On lira Au terme du livre, un appendice avec fruit le chapitre qui en traite. sur la religion étrusque définit bien la position religieuse d'un peuple bien éloigné, sur le plan de la psyEn voici le début (p. 387) : chologie et de la structure' théologique, des Romains qu'il avait, « Que des abstractwns, des qua- pendant plus d'un siècle, dominés. lités souhaitables ou des forces Finalement le legs de l'Etrurie à puissantes, virtutes et utilitates Rome a été famle sur le plan reli(Cicéron, Leg. 2,2'8), fussent pro- gieux et il ne pouvait guère en mues personnes divines, c'est un aller différemment. Car il y a peu jeu à la fois de langage et de pen- de contacts possibles, entre des mensée auquel toutes les sociétés indo- talités trop éloignées l'une de l'aueuropéennes anciennes se sont vo- tre. Ici encore la position de M. G. lontiers livrées. Le cas extrême est Dumézil me semble fondée et juste. On referme ainsi ce livre, qui celui du zoroastrisme où, systématiquement, de nombreux dieux indo- exprime une doctrine solide dans iraniens ont été remplacés par des un style de haute qualité littéraire, entités exprimant, de façon plus avec ,un sentiment d'enrichissement pure, la même fonction; mais cer- et de réussite. Intégrées dans une taines d'entre elles paraissent déjà narration continue et historique, dans le Rig-Véda. La Grèce archaï- les idées et les découvertes de Georque, la Scandinavie comme l'Irlan- ges Dumézil, loin de perdre de leur de païenne ont, tiré parti de cette importance, acquièrent une résofacilité qu'offrait la grammaire, nance nouvelle et éclairent de leur avec son riche assortiment de suf- vrai jour les croisements complexes fixes abstraits presque tous fémi- des plus anciennes croyances de nins. Rome ne l'a pas non plus Rome. A côté des ouvrages de J. négligée: Ops, Fides, Cérès appar- Bayet dont l'influence demeure bétiennent au vieux contingent de ces néfique et vivante, l'œuvre que M. personnifications ... Cicéron n'a pas G. Dumézil vient de ' nous offrir emprunté à son savoir de philoso- donne à la série des recherches phe mais à sa conscience de citoyen d'histoire religieuse romaine dont la trè~ bonne explication qu'il don- l'école française peut s'enorgueillir ne de ces faciles, de ces nombreusf?s une illustration et un mérite excepnaissances divines (Nat. D. 2,61): tionnels et nouveaux. Raymond Bloch « Que dire d'Ops? que dire de


PSYCHANALYSE

Nietzsche, Freud, "Rilke tient pas plus de rapport sexuel avec son mari qu'elle ne l'a fait Gallimard éd., 320 p. avec Rée: elle cohabite avec lui à GOttingen, près de l'Uriiversté où il professe. Et six mois p~ an; « le ne sais plus maintenant si elle voyage . . Peut-être, après tout, j'ai embrassé Nietzsche sur le Monne s'est-elle mariée que pour- jate Sacra », se demande une vieille mais ne se laisser attacher par un dame. Pourtant, à la descente du homme? . Monte Sacro, Nietzsche n'oublie pas Rilke lui-même ne se consolera cet hypothétique baiser et il comjamiùs de ~tte liaison détruite. Du mence le calvaire qui le conduit moins, ses 'rapports avec Lou, il le jusqu'à Turin, et la folie. La vieille dira lui-même, l'ont-ils conduit à daine, elle, psychanalyste et amie ~'éleve~ jusqu'au iùveau d'expresde Freud, meurt en 1937. La Gession et de réflexion qui lui fera tapo saisit ses livres. C'est Lou écrire les Elégies, la meilleure part Andréas Salomé. de son œuvre. Elle le sait, elle s'en A distance, elle reste énigmati:- réjouit: « / e suis étemeUement que, celle dont on disait qu'il lui fidèle aùx souvenirs. / e ne serai suffisait d'aimer un homme poùr " jamais fidèle aux hommes... » que ce dernier, neuf mois plus tard, Mais ·tout se passe comme si, donne naissance à un livre. Sans sous ce désordre apparent de liaidoute, on ne peut dire ce qui subsons et de rencontres, ce mélange sisttl aujourd'hui deSes romans qui continu de sensualité profonde et eurent du succès, mais ses essais d'intelligence suraiguë, se dessinait sur Nietzsche ou Rilke ont encore . une forme qui expliquerait les rédes lecteurs. Comme si l'on y repétitions singulières de cette biotrouvait le reflet de l'influence exergraphie. Peut-être Lou a-t-elle senti cée par cette femme sur ces deux qu'il existait là un .domaine où sa écrivains. Mais son visage, sa biolucidité devait s'"mcliner devant graphie, surtout, tels que les dessiune lucidité plus haute quiexpline H.-J. Peters dans Ma sœur, mon quât son être sans le détruire ou épouse, nous adressent un signe in"le dissoudre. déchiffré ... Sans doute, expliquera-t~nain­ Sans doute, pour cerner le persi l'attraction qu'elle subit lorssonnage de Lou, faut-il, comme le que, au congrès de psychanalJSC de Lou Andréas SaLome en 1882, epoque de sa rencontre avec Nietzscne. fait avec talent H.-J. Peters, se Weimar, elle se range "parmi les reporter à ces années de la seconpremières. disciples de Freud. La de partie du XIX' siècle où une Elle ne confond pas l'école et le NietzSChe déçu, brisé s'en va. psychanalyse lutte alors pour son jeune Russe, à peine guérie d'un plaisir. Elle veut bien être un~ dis- Lou reste avec Paul Rée. Longue existence. Elle défriche et tente de amour pur et passionné, mais sans ciple, au moins pendant. quelque .l liaison intellectuelle qui s'effrite se définir. Elle exalte, aussi. issue, pour un jeune pasteur, quit- temps, mais elle ne veut pas 'deve- peu à peu. Paul Rée ne s'en relè~u devient une disciple exacte. te sa patrie et court l'Europe "avec nir aussi un objet de plaisir qui vera pas. Des années après leur séElle a l'estime ,du maître qu'elle a sa mère. C'est la fille d'un géné- prolonge le plaisir intellectuel. paration, il se donnera la mort. frappé par la richesse de son :inœlral. Elle ne manque et ne manSi son attachement pour Rée pro- Non par désespoir, mais p~e qu'il quera jamais d'argent. Etudiante, voque à Rome un petit scandale, n'a jamais rencontré une autre ligence. Elle retrouve en Freud. le dilettante, ardente, elle attire au- qu'à cela ne tienne! on cherchera (femme dont l'intensité remplace « gourou JO 1JU'elle avait perd:a avee son pasteur, au moment de ' son tant par son extraordinaire intelli- un chaperon. Et Rée fait signe à celle de Lou. adolescence. Mais Freud est plus gence que par sa beauté sensuelle. un jeune philologue qui vient de qu'un maître, c'est le :médiateur Comment, lorsqu'elle arrive à Rome publier sur le théâtre grec un livre Voilà qui frappe dans cette vie chez Malvida de Meysenburg, n'au- qui a passé presque inaperçu, Fré- et c'est là-dessus que H.J. Peters d'une thérapentique et d'une discipline nouVelle. rait-elle pas séduit un jeune phi- déric Nietzsche. insiste justement : la jeune femme Lou s'y engage -Miolument. C'est losophe, qui y séjourne, Paul Rée ? Nietzsche est en Sicile. Il est seul, attire et bouleverse par cette S1U'la seule ..6i1élité .réelle qu'on Jui" L'intelligence de Lou n'est pas il s'ennuie. Rée lui propose une dis- lprenante rencontre ' d'une ' intelliconnaît: la psychanaly.se raide il seulement une qualité. Elle en fait ciple. Mieux encore, une passion. gence sensuelle et d'une sensualité une éthique. Aussi, sa lucidité l'iso- Or, si l'on en croit 'Thomas Mann, qui se refuse. Elle marquera Rilke atteindre cette unité - d'esprit et cette plénitude qu'elle a continuelle-t-elle, comme cela arrive pour la Nietzsche n'a guère connu jusque comme elle a marqué Nietzsche. lèment eherchées, sans le savoir. là que des prostituées, délibérément. plupart des femmes de caractère à Oui, mais, entre-temps, Lou a L'amitié pour Freud eomp1ète plongé' dans l'amour. Avec ~e cette époque. Aussi, ressemble-t-elle Lou ne sera-t-elle pas la chance de de très vite à ces belles hérétiques, sa vie? Ne lui permettra-t-elle pas force d'exaspération qui frappe au- l'amitié de Nie1zsehe et Rilke. Le 'talent de HJ_ Pelem voyageuses pour la plupart, désa- de réaliser cet équilibre entre . tant que sa lucidité. Le jeune pOOte l'amour et le tragique dont il rêve? de vingt ans qui apparaît chezelle dans Ma MEla, JJWn épouse ès! de d~ptées à une société qui leur offre Lou impose pourtant sa volonté devient son amant. Liaison qui en- le dire avec ptécision et discrétion.. là' liberté 'sans leur donner une seule chance de la réaliser. Celles qui à ces deux hommes qu'elle domine. traîne le couple en Russie, la patrie L'ironie du 11 desIin JO de Lou se lancent alors dans la révolution Ils connaîtront les vertus difficiles de Lou qu'elle retrouve avec émon'est-il pas que cette -œm.me, née " ressemblent à celles qui rempla- du ménage à trois sans consécration tion et la patrie spirituelle du p0è_'1'_ d'un ~e -'"'--~ ~:n_ cent, comme le fait Lou, la révolu- sexuelle. Qui pourrait soutenir cet- te, désormais. au .~u " ~'1~ nuw; ou l"homme f{Ul voûlait dIte tion sociale par la révolution per- te tension psychologique ? Quel De cette liaison, il reste des letun individu s'affirmait convuJsUe. philosophe ne pense que la séduc- tres. Non seulement de la période sonnelle. Cela frappe surtout chez la jeu- tion que sa pensée exerce sur une de leUl' vie commune, mais de la .ment, .meure an ::milieu d'un autre ne' fille, comme cela frappe plus jeune femme qui l'écoute entraîne plus longue période qui suit leur siècle où les soeiéIÉs ~ c:onvu1seot tàrd chez la femme mûre et admi- inévitablement la séductio:q. amou- rupture. Car Lou, dès qtt'elle sent et dissocient l'inaividn ? Elle seule rée qu'elle sera: une passion pour reuse? que le poète s'attache à elle d'une pOlll1ant aurait pu dire aux nazis Mais de cette rencontre entre manière trop profonde, rompt cette et à l'effrayante Elisabeth, la ,s œur l'indépendance poussée jusqu'à de Nieblsche, que leur N ietzsche l'angoisse et la névrose rend à la Eros et Minerve, Lou ne veut pas. liaison et s'enfuit. n'étaiJ: point l e Nietzsehe !JII~e1Ie Héloïse, soit, mais avec un Abélard fois plus désirable son corps de jeuIl est vrai qu'elle a un alibi: de- .a vait connu, e1le, sur Je Monœ Sa'n e Slave et plus inquiétante sa· luci- déjà inoffensif! Faut-il voir chez dité. elle à cette époque les traces' d'une puis des années, eJle s'appeHe Ma- cro el qui ,a vait Songé à .in1ibiler Paul Rée, lui, s'abandonne à cet tendance castratrice? Faut-il pen- dame Andréas, puisqu'elle ~ épousé le plus ~èbre de ~ livres .Don ~ amour. Mais Lou, elle, se réserve. ser simplement que ni l'un ni l'au- un philologue de talent, quelque il: volonte de " pmsssnce li, JD2W! Elle souhaite une amitié amoureu- tre de ces deux philosophes ne l'at- peu aventurier, personnage ~p­ il: l'innocence du ,del'2J1ir II ? . s.e. faite de méditations passionnées. tirait assez? tionnel lui aussi. Mais elle n~entreletmD&~ H.-J. Peters

.llfa sœur, mon épouse

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h Quinzaine littéraire, 15 au 30 avril 1967.

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• O.R.T.F.

RELIGION

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Emi••ions littéraires

A ce point de la saison, il est temps de faire le bilan de l'activité _de France-Culture dans le domaine de la • littérature. Certes , l'obligation de dia• loguer plus que de réciter, pour main• tenir l'intérêt et pallier la monotonie, • fait que les programmes littéraires • consistent davantage en adaptations ou • en interviews qu'en lectures. • L'effort tenté par France-Culture n'en • mérite pas moins d'être analysé, voire • signalé à l'attention de tous ceux qui • s'intéressent à la littérature. • Parmi les romans portés à l'antenne, • et dont un certain échantillonage se • révèle nécessaire, il faut citer Jean Christophe de Romain Rolland et, à • l'autre extrême du prisme, l'Ingénieur • Bakhirev de Galina Nlcolcllevna. Les ro• mans sont diffusés par feuilletons • dont les épisodes se succèdent, en • principe, tous les jours sauf le samedi • et le dimanche, à 19 h. 15. • En alternance et à la même heure, • des séries-anniversaires ont amené • devant le micro et par fantôme inter• posé, Leibniz pour le 25Q' anniversaire • de sa naissance (du 21 au 25 novem• bre) ou Léon Bloy. • Parmi les émissions qui ne sont pas • forcément littéraires, mais qui ' ont donné lieu, plusieurs fois, à des en• tretiens avec des auteurs, il faut citer • une série qui a déjà paru en librairie: • les entretiens entre Michel Butor et • Georges Charbonnier; mais des en• tretiens semblables ont eu pour cen• tre d'intérêt l'œuvre de Gabriel Mar• cel ou celle de Salvador de Madariaga • (le lundi à 22 h. 40). • De même, au cours des Soirées de • Paris, le dimanche à 21 h. ont été évo• qués Joe Bousquet ou Garcia Lorca (avec une retranSmission de • Lors• que cinq ans seront passés »). • C'est aussi le dimanche, dans une • émission qui passe en alternance à • . 22 h. 15 et intitulée « Au cours de ces • instants » que Schwarz-Bart ou Mar• guerite Duras ont été présentés par • José Pivin, tandis que dans l'émission • « Morceaux choisis ", à la même • heure, on a pu faire radiophoniquement • connaissance avec Yves Bonnefoy. • Le point fort de la radio n'en de• meure pas moins le théâtre qui règne en maître le mercredi à 20 h. et a • donné l'antenne à des écrivains aussi • divers que Driss Chraibi et Margue• rite Duras ( l'Amante anaglaisel. Luc • Estang (le Jour de Cain) et Jean-Paul Sartre (les Troyennes). Les soirées internationales du samedi , une fois par mois, ont présenté des programmes où la littérature joue un rôle important. L'on y a pu entendre des émissions sur la Hongrie, par exemple - préparée, celle-là, par Tibor Tardos - et des auteurs étrangers, tel lon-Luca Carragiale, le grand dramaturge roumain que Ionesco reconnaît pour son maître. Des émissions de critique ou de présentation de livres, « Etranger • mon ami » de Dominique Arband et • c Le goût des livres- » sont présentées • le mardi à 13 h. 40. La matinée du • mercredi est réservée aux lettres. • L'émission littéraire · du mercredi à • . .22 h. a transmis une série de Bernard • Pingaud sur c la Nouvelle Critique ", • apr~s les entretiens de Cerisy.

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Jacques Maritain Le Paysan de la Garonne Desclée de Brouwer éd., 408 p.

Rien ne va plus dans le . ciel serem de l'Eglise de France. Depuis bientôt trois mois un ouvrage y provoque remous et querelles. Le Paysan de la Garonne du philosophe catholique J acques Maritain s'est voulu le témoignage d'un homme «qui met les pieds dans le plat ». Et il y a réussi. Au-delà de toute prévision puisque aussi bien, avec 50.000 exemplaires, c'est un succès inespéré pour un oUVl'age si diffi~ile. Car il ne s'agit pas, comme certains ont voulu le faire croire, d'un travail simplement polémique. Encore moins unilatéralement apologétique. Maritain n'est pas l'homme de la facilité: Depuis près de 40 ans il tente de donner cohérence au fond de savoir idéologique qui précède et étahlit la pensée chrétienne dans tous les domaines. De la philosophie à la politique. Depuis quelques années retiré dans un couvent il ne faisait plus guère parler .de lui que dans quelques cercles d'initiés.

Politique chrétienne

Or le voilà qui entre de nouveau en lice. Non sans violence et férocité. Dans le désarroi profond que connaît l'intelligence catholique, surtout en ces temps d'anarchie post-conciliaire, Maritain reprend les mêmes sentiers que par le passé. Pathétique . en plus. Le Paysan de la Garonne est un solennel appel à la . raison. Devant le déferlement du «néomodernisme » qui caractérise selon l'auteur les temps présents de la pensée chrétienne il convient de rappeler quelques évidences premières concernant la viabilité de cette pensée. En y ajoutant les exigences actuelles. Tel est le projet du Paysan de la Garonne. Pour ce faire, il dénonce vertement tous les travers des «pseudo-penseurs » d'aujourd'hui. Et il passe ' en revue les incongruités de ces messieurs. Quatre éléments lui semblent caractéristiques à cet égard : la dé mythisation de la foi et du donné révélé, qui conduit à la contestation de la transcendance, et à 1ft chronlâtrie épistémplogique Cahiers littéraires « être dépassé c'est le schéol » _ . fortement teintée d'évolutionisme 'U faut tout particulièrement signaler et de phénoménologisme, d'où dél'effort très remarquable que représente la publication hors commerce coule cette éclipse du « régime de d'un magazine ronéotypé les Cahiers la vérité à contempler », qu'il littéraires de l'O.R.T.F. sous la direcnomme logophobie. Le bilan, pour tion du critique dramatique André AIter et du poète Roger Richard. Ces Maritain, de ces erreurs: «c'est Cahiers, tirés à quelque 700 exemplaique les mots «droite» et «O"anres . seulement et destinés aux miche» n'ont plus seulement un ~ens lieux des lettres et de la presse conspoli~ique et social; ils ont pris tituent une excellente documentation de base sur le thème des émissions aUsst et surtout, du moins dans le de la quinzaine. Fondés par Paul GiImonde chrétien un sens relison a l'automne 1962, ils présentent gieux. » des extraits des émissions et des textes des auteurs et réalisateurs. Pon .. Maritain la vérité de la

religion est bien au-dessus de ces clivages. 'Et il en appelle, avec ferveur et passion, à un retour à l'unité. De pensée et d'action. De pensée avec la compréhension intelligente du thomisme qui reste pour lui, comme il l'a toujours été, la seule philosophie possible, en chrétienté intellectuelle. D'action, parce que il y a une politique chrétienne, même une «révolution chrétienne» qu'il discerne dans la tentative de troisième force du Président Eduardo Frei au Chili. Qu'on ne s'y trompe pas cependant: Maritain n'est pas intégriste. Son effort consiste simplement à ne pas se payer de m ots. Et catholique militant, il entend rester logique avec ce qu'il croit être les exigences de la foi. Pour lui, donc, appeler à l'unité ne revient pas à pousser les catholiques vers le ghetto. Au moins n 'est-ce pas son intention. Mais il veut savoir de quoi l'on parle, et si parler veut dire quelque chose. Pour Maritain la logique de la révélation chrétienne conduit à une pensée chrétienne. Et à une seule. Il n'y a pas là matière à crier au scandale, en dénonçant ce que d'aucuns appellent ce « fascisme intellectuel ». Car cette prétention n'est ni nouvelle, ni exclusive à Maritain. C'est une vieille histoire, aussi vieille que l'Eglise catholique elle-même. Puisque nous voilà en présence de la religion. Jacques Maritain croit que la révélation du Christ implique une institution, que la fo~onduit normalèment à la religion. En ce sens sa revendication d'un corps de doctrine, d'une idéologie, se justifie pleinement.

Le néo-modernisme Expliquons-nous: pour lui, avoir. la foi c'est participer d'une croyance qui éclaire et signifie tout. L'histoire humaine n'est plus que la longue et sinueuse -explication de l'idée de Dieu sur le monde, de son plan sur les hommes. Avec le Christ les clarifications dernièrès se sont faites pour ceux qui l'ont reconnu. Clarifications :p11 les . autorisent depuis lors, au nom de la foi, à se prononcer « en chrétiens » sur toute question du savoir métaphysique ou du savoir pratique. Et depuis bientôt vingt siècles les docteurs de l'Eglise catholique ne cessent de s'exprimer abondamment sur toutes les affaires des hommes. Et ces cinquante dernières années elle a précisé sa «doctri.·e sociale ». Dans tous les domaines de la vie personnelle, sociale èt internationale, l'Eglise possède une pensée propre. Ce que certains appellent sournoisement « l'humanisme chrétien ». En ce sens Maritain est redoutable. Parce qu'il est logique. Radicalement. Il refuse les voies moyennes. ~ar de deux choses


Maritain n'a pas changé l'une: ou bien l'on croit fondée la foi en la révélation à se constituer en religion, c'est-à-dire à se geler en idéologie, -- ce qui .est bien l'attitude actuelle de l'Eglise, comme nous l'avons signalé plus haut et alors il est cohérent de vouloir que cette idéologie ne reste pas dans le ciel éternel des idées mais descende dans les réalisations éthiques et politiques. Ce que choisit ~lairement Maritain. Sans

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Un instrument de travail indispensable

la Garonne n'est pas un accident dans l'œuvre du vieux philosophe • catholique. Ce qu'il écrit aujour- • d'hui il l'avait déjà écrit par le • passé abondant de son œuvre. • Depuis toujours. 'Dès «Huma-. nisme intégral» en 1936 il tente • de la clarification intellectuelle • dans la pensée de l'Eglise. Alors • c'était par la mise en évidence • de la distinction formelle entre • « spirituel» et «temporel ». Cette : fameuse distinction qui devait • tant faciliter par la suite les ouver- • tures, maintenant échouées, de • l'action catholique. Aujourd'hui • c'est en dénonçant les déviations • du néo-modernisme catholique. •

Un apport original à la pensée psychanalytique

Jean Laplanche et J.B. Pontalis

VOCABULAIRE DE LA PSYCHANALYSE

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Gauche et droite

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sous la direction de On comprendra que dans le Daniel Lagache désarroi actuel ce ne soit pas pour • plaire à tout le monde. Et les cri- • tiques féroces n'ont pas manqué • au Paysan de la Garonne. Sauf • dans une certaine presse catho- : Un volume relié de 546 pages lique de droite où l'on brandit • sous jaquette illustrée ouvrage et auteur comme les der- • 50 F niers remparts contre la prétendue • révolution ecclésiale. A gauche les· ~ embarras s'accompagnent souvent· ~ de silences gênés. Le Maritain • ~----------------------------------------------------~ d'autrefois n'est plus reconnu par • ceux-là. C'est à vrai dire qu'ils • n'avaient pas discerné en lui le • fond de son aventure, celle de la • unique dans le monde entier (le seul depuis 35 ans) fidélité la plus intransigeante au • catholicisme le plus traditionnel. • Doublée d'une passion farouche de • la vérité. Aujourd'hui les progres- • sistes qui se sont hâtivement em- • barqués dans les louanges post- • conciliaires ne comprennent pas le • sens de cette bourrasque qui les • atteint. Moins que jamais décidés • à la cohérence, prêts à adorer t.ou- • tes les aurores du moment qu'elles • se parent de vélléités d'ouverture • sur le monde contemporain, ce • sont eux les néo-modernistes que • fustige Jacques Maritain. Ils ont • mal réagi. Sans crier gare ils refu- • sent le dialogue avec leur ancicn • .SOUSCRIPTION - LIVRAISON compagnon. Mais ce faisant ils • L'ouvrage se ' compose de passent à côté des vrais problèmes. • dllllx volumes: Le Nou· Il convient en effet d'être clair: • veau Dictionnaire, proprement dit, et son Suppléla logique de Marita,in exclut les • m.nt, chacun complet de A' Z. facilités d'écolè; au contraire le • Dès l'enregistrement de vodébat ouvert est le débat central. • tre commande et de votre Ou on rejette en bloc Maritain ' • premier versement, le Sup. plément (432 p., !lOG 111.1 et les prétentions de l'Eglise ' à • vous sera envoyé par poste. Jacques Maritain Le lI'Iols suivant. vous receorganiser son savoir propre, et • vrez le Nouveau Dictionalors on rompt avec l'idéologie • naire (600 p., 1.000 III.). ambages ni précautions oratoires. courante du monde catholique. • ATTENTION 1 dès la mise en Ainsi écrit-il: « ... c'est aujour- Ou on se refuse à ces extrémi~ • vente le prix de faveur ce•• era d'être appliqué. d'hui la tâche de la philosophie tés, et dans ce cas ' c'est pur coquet- • chrétienne et de la théologie de terie intellectuelle que d'entrer • donner son vrai sens à cette mis- dans ces colères. Car enfin, s'il en • 8e 'sion de transformer temporelle- est ainsi, c'est bien, que tout. 0 Je certifie être âgé de plus de 21 ans et vous commande le ' NOUVEAU DICTIONNAIRE OE SEXOLOGIE. ment le monde. (... ) Les chrétiens' compte fait, on est du même bord. • Je vous règle 0 au comptant 270 F O · en. 12 versements mensuels de 24 F dont ci-j.oint le premier·1 mon paiement par 0 chèque bancaire 0 chèque postal o mandat-poste. SI cat ouvrage ne seuls sont à même d' y travailler Entre frères ennemis. Ennemis •• J'effectue me convenait pas, je vous retournerais le SUPPLEMENT en bon état dans les cinq jours de réception e, bien. » pour de sordides questions d'ap-. serais immédiatement et intégralement remboursé. Ou bien au contraire on conteste pareil à l'intérieur de l'Eglise. La • INo~ .......................................•......•..•......................•....... la prétention de la foi à s'institutionaliser en religion avant de se f;a;:n::: ~eP~~~:I~:e,à e~a il:êt:'e:~ : Iprofession .....•.......................•..•................................ geler en idéologie. C'est une autre affaire, qui pour être capitale n'est : pas le propre de Maritain. Mari- l'incohérence! . Signature: tain n'a pas cnangé. Le Paysan de Nicolas Boulte •

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LE NOUVEAU

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La QWnzaill.e littéraire, 15 au 30 avril 1967.

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P ·ARIS

Bilan de ,Bresson D'entrée de jeu, un film de se cogner aux murs beaucoup Robert Bresson agrippe le specta- de murs dans les films de Bresson teur, qui peut suivre ou se rebif- - se déchirer aux aspérités; opafer; l'image est ·.lpaisse et obscure, que à lui-même, le personnage vit il faut se glisSer entre les grisailles, ce cheminement · dans la stupéfaction et la souffrance; mais cette résist~r .o u se plier aux contrastes de noirs et de blancs pour. tenter sorte d'adhésion, ou seulement de déchiffrer les formes, et ne pas . d'adhérence, à sa propre opacité, se détourner des visages butés des est source de spontanéité, de personnages qui émettent, comme simplicité, d'innocence, et donc, à contrecœur, de sèches informa- au moins inconsciemment, de rétions; les deux derniers films de volte; traversant le champ social, Bresson, Au hasard Balthazar l'an le personnage agit comme révéladernier, et aujourd'hui Mouchette, teur, ou comme abcès de fixation où n'échappent pas à la règle; ils ne vient se dégorger le pus de la sont pas à recommander pour les société; l'âne Balthazar jouait poumons, les yeux et les oreilles remarquablement ce rôle, tenu du spectateur; l'espace est presque toujours clos, sans ·point de fuite ni p~rspective, on ·y :manque d'air, la respiration se tasse, se contraint, c'est le régime du petit souffle~ qui fai~ dériver vers l'angoisse; des tracés pneumographiques permettraient peut-être de mieux connaître l'impact élémentaire d'un film de Bresson ·; dans Mouchette, deux ou trois envols l'oiseau libéré qui monte au-dessus des feuillages et l'avion-joujou du luna-park où . a pris place un couple - ramènent très vite ~u niveau du soL Non seulement Bresson malmène le spectateur dans son corps ·respir~tion, vue, ouïe mais il lui arrache encore les possibilités d'une identification - participation grâce auxquelles se nouent couramment les liens de complaisance avec un film. Les personnages centraux de ses films sont tous des êtres « excentrés», des îndividus repoussés aux marges ou maintenus dans les bas-fonds de la société : ce sont les Dames du bois de Boulogne, le Curé de campagne, Un condamné à mort s'est échappé, le Pickpocket, Jeanne d'Arc - une Jeanne d'Arc dépouillée de la prolixe mythologie des patriotismes et des catéchismes; avec Au hasard Balthazar, Bresson pousse encore plus loin « l'excentricité», il fait dérouler par un âne, prénommé Balthazar, le fil de son histoire; Mouchette enfin, fillette de quatorze ans, empruntée au roman · de 'Bernanos, vit dans un état d'exil perpétuel : exilée dans sa propre famille, elle ne· connaît du père que des bourrades et drs coups, et sa mère agonisante meurt au seul moment où une parole était possible; exilée dans son école, elle ne peut chanter juste, en accord avec les autres élèves et, à la sortie, moment de la grande camaraderie, elle ne sait rien faire d'autre que de les bombarder avec hargne de mottes de terre; exilée dans le village, elle est soumise aux taquineries sexuell~s dès garçonnets, à la curiosité haineuse des femmes, et au viol d'un br~connier épileptique auquel elle apportait son appui et sa tendresse; exilée en elle-même, surtout, au point de s'y retirer définitivement dans la mort. Mouchette, .comme tous les personnages centraux de Bresson, avance à tâtons dans le film, pour 28

Une photo du filin Mouchette.

avec peut-être encore plus d'âpreté par Mouchette, comme le montre en particulier la séquence ·des trois femmes : l'épicière, la femme du garde-chasse et une vieille dame amoureuse des morts se précipitent sur Mouchette dès que sa mère est morte, et découvrent, avec une surprenante impatience, derrière les gestes de compassion, leur vrai visage; l'épicière offre à Mouchette un café et des croissants, mais c'est pour, aussitôt après, la traiter de « petite traînée » ; la femme du gard~-chasse est avide d'entendre, de la bouche de Mouchette, ce que fut la scène du viol; et si la vieille dame offre un drap pour le linceul de la mère et des robes à Mouchette dont l'une sera son suaire, c'est qu'elle « aime les morts», qu'elle a partie liée avec eux, qu'elle est de leur côté. Chaque fois, c'est un geste ou un regard de Mouchette gui .provoquent la réaction profonde, qui obligent le vrai à se manifester. . Ce vrai, c'est la violence; elle tend à occuper une place toujour~ plus importante dans l'œuvre de Bresson, au point qu'ori pourrait maintenant définir Bresson comme le cinéaste d~ la violence; elle n'est pas seulemént l'étoffe dans laquelle sont coupés les rapports sociaux, elle est peut-être à la racine de la condition humaine et la substance même du monde; on est en droit ICI de rapprocher Bresson de Schopenhauer. A l'exception peut-

être de deux ou trois « trous », par lesquels, fugitivement, quelque chose comme de l'amour ou de la charité fait irruption, tout, dans un film de Bresson, et singulièrement dans les deux derniers, Au hasard Balthazar et Mouchette, se déroule sous le signe de la violence. Violence directe et immédiate, sous la forme de la misère, de la maladie, de la mort : l'agonie de la mère de Mouchette traverse tout le fiÎm, et ne cesse que pour rebondir dans la mort même de Mouchette. Violence sexuelle : les deux événements décisifs, dans Au hasard Balthazar et dans Mouchette, sont une scène de viol, et ce viol est d'a"!ltant plus dramatique qu'il saccage une des rares relations d'amour apparues dans ces films; violence des objets et des paroles. Une des formes les plus originales de la violence chez Bresson est donnée par le regard - les regards pénétrants, aigus, acérés, haineux, cupides, rageurs fixent et en même temps traversent les images du film COmme des clous ou des poignards. La première séquence de M ouchette, qui se déroule dans .un silence lourd et pernicieux, est éloquente : un oiseau est pris au piège, dans une clairière; des yeux inconnus on saura que c'est un gardechasse et un braconnier ennemis - , suivent son agonie, vivent et s'entretiennent de son agonie; le regard et la mort semblent s'appeler. Le choc entre Mouchette et les autres - les garçonnets exhibitionnistes, les bonnes dames compatissantes, le père, Arsène l'épileptique - se fait essentiellement par le regard. C'est un monde orienté vers la mort. Dans Au hasard Balthazar, l'âne, dans les images finales, s'enfonce dans la mort, et il semble, en dépit du pullulement des moutons autour de lui, qu'il entraîne l'univers entier dans l'abîme; Mouchette se termine par le suicide de la fillette, dans une des séquences les plus saisissantes et les plus riches du film. Mort nuptiale, ou noces funèbres de Mouchette : la fillette s'enroule dans la jolie et longue robe blanche, robe de communiante ou de mariée, que lui a donnée la vieille-dame-aux-morts ; elle se laisse rouler sur la pente qui desccnd jusqu'à la grande mare, mais un bouquets de joncs o~ de fleurs corbeille d'hyménée l'arrête: elle roule, avec plus de vigueur, une seconde fois, et, à la troisième tentative, elle s'enfonce dans l'p.au, qui se referme doucement sur elle. Toute une convergence de notations et de circonstances donne à penser que Bresson a voulu souligner le caractère érotique et régressif du suicide de Mouchette - retour au sein maternel comme seule issue' possible dans ce monde ; on relèvera en particulier, après la transformation de l'amour en viol qui ferme toute perspective sexuelle et la fascination exercée par la mère morte, le mouvement d'enroulement sur

elle-même effectué par Mouchette, empalée, pourrait-on 'dire, dans l'axe diagonal de l'écran, et qui semble accomplir, en sens inverse, le mouvement de déroulement du cordon ombilical. Il n'y a pas d'issue, car Bresson a poussé les · verrous et fermé le monde; nous sommes encaqués. Avec Mouchette, comme dans ses précédents films, Bresson nous donne à sentir l'amertume et la pestilence de ce monde verrouillé ; son art est de traiter l'image clair-obscur, son, composition bouchée - de telle sorte qu'on a l'impression que ce monde coagule sous nos yelix et que, ainsi réduit à ses formes· essentielles, presque caricaturales, et presque -parfaitement homogénéisé, il ne puisse être autre que ce qu'il est. Pour peu que, à ce verrouillage d'un monde misérable, on associe les images de cachot, de chute, d'un dieu gardien, on a vite fait al«;lrs de parler du jansénisme de Bresson. En fait, la référence religieuse est Join de s'imposer. De façon certaine, déjà, Bresson pulvérise une certaine religiosité : dans Au hasard Balthazar, au moment même où la mère de la jeune fille en appelle à la miséricorde de Dieu, . son mari m~lade rend le dernier soupir; et l'église, dans Mouchette, coïncide parfaitement cloches, bigotes, dimanche - avec la société haineuse qui pousse Mouchette à la mort; Bresson est proche, ici, de la dénonciation évangélique révolutionnaire des pharisiens. Sans doute, le monde verrouillé mis en place, ou en scène, par Bresson, s'inscrira dans une vision janséniste si l'on admet qu'il est pris implacablement dans . le regard d'un dieu - et c'est, en vérité, la solution la plus simple et la plus commode. Mais la vision de Bresson peut suggérer une autre perspective; il n'est, en aucune façon, question de composer avec elle; vision totalisatrice et radicale, elle appelle une prise de position radicale - et ce radicalisme, cette intransigeance, cetabsolutisme même sont l'aspect le plus estimable et peut-être le plus'" précieux de l'œuvre de Bresson; il est possible, alors, de récupérer la totalité de la vision de Bresson - ' la puissance et l'âpreté de ses analyses et de son art - en refusant de l'immobiliser · dans la souveraineté arbitraire d'un dieu hypothétique, et en la disposant, assez sim~ plement, dans son lieu naturel, à savoir l'effort d'accomplissement de 1'homme; on ne refusera chez Bresson ni la violence, ni la misère et la mort, ni la fermeture du monde, on tentera plutôt de changer les signes; en décrivant, comme il le fait, le suicide de Mouchette, Bresson loge un peu de joie dans la mort, celle-ci abolissant celle-là; on se demandera s'il n'est pas possible d'inverser la relation, et de loger la mort elle-même dans la joie. Roger Dadourt


L'Art ·Brut

Laare: Dessin à l'encre bleu. 1961.

Exposition de l'Art Brut Musée des Arts Décoratifs

Il y a beau temps que le bidet et le lave-bouteilles ont accédé au domaine de l'art et depuis qu'ils sont entrés au musée, il ont entraîné avec eux tout ce qui peut, sous une certaine ambiguïté, passer pour surréaliste, insolite. A commencer par ces formes naturelles, rares, bizarres, qui se par~nt des prestiges d'une création fantastique ; elles satisfont volontiers car elles flattent cette vanité, si particulière en chacun, de l'artiste qu'il s'imagine. Qui n'a rapporté d'Etretat quelque galet, quelque bois de flottage, supports précaires de rêves, objets merveilleux à réactions bon marché, poétiques, sentimentales, voire métaphysiques? Il va de soi que ces fragments hasardeux d'une réalité géologique ou botanique manifestent des processus cachés qui sont au fondement même des choses et cet aspect fondamental a justement inspiré de grands créateurs, Brancusi, Moore, Etienne Martin par exemple. Il va de soi aussi que ces inventions d'esthétique astucieuse entretiennent une confusion entre l'art et cette nature qui s'orne à bon compte des mérites de celui-là. Pour beaucoup, cette équivoque concertée représente l'art brut. Or ni cailloux ni racines ne sont de l'art mais simplement d'ironiques simulacres. L'art brut tel que Dubuffet l'a énoncé relève d'un ordre différent. Il est le fait d'hommes qui n'ont aucune idée de l'art car ils ne le pensent pas plus qu'ils ne le font tant il leur est naturel comme une fonction vitale. Cet art immédiat qui n e s'apprend pas, qui d'emblée vous bouleverse et vous étreint par son authenticité et sa nécessité est 1,t.doutable car il risque de remettre en cause l'autre, celui-là même qui sert d'alibi à la société et à son bon usage. Que l'œuvre d'un quelconque laveur de carreaux, toucheur de bœufs ou clochard présente un intérêt analogue à celle des plus grands est évidemment incongru et choquant. Les sociétés aliènent, et c'est bien naturel, les novateurs qui sont des manières de trublions et de criminels. On les dit fous et c'est commode. Alors, par défense instinctive, ils se cacheJ:!.t, recherchent la solitude qui est leur

seule liberté, leur vocation, leur raison d'être. Aujourd'hui, et c'est une gageure, l'art brut entre au musée: autant dire qu'il perd sa virginité et devient, paradoxalement, de ce fait, culturel. Mais, au vrai, en constituant les collections de l'art brut, Jean Dubuffet n'avait jamais imaginé les préserver de tout regard. D'ailleurs il y eut les expositions à la galerie Drouin, à la N.R.F., "à New York à la galerie Cordier-Ekstrom, mais une semi-clandestinité avait l'avantage de conserver cette préciosité précaire des choses rares. Livré au public, l'art brut

mune sont à vérifier comme il arrive après toutes les grandes crises? Beaucoup depuis quelques décennies ont fait faillite. Celles de l'art, quand elles se confondent avec des systèmes économiques et sociaux, surgissent bien" fragiles. D'autres cependant apparaissent auxquelles on ne prêtait nulle attention et c'est peut-être, par un singulier détour, la culture elle-même qui les révèle au point nommé. Ainsi, s'est-on extasié sur la beauté de certaines coupes microscopiques s'imaginant par là trouver une concordance entre elles et certains abstraits quand Cil sont précisément ceux-ci qui ~nt dévoilé ces mondes inconnus. L'art brut n'est pas un phénomène nouveau mais s'il resurgit, c'est probablement parce qu'il répond à un besoin collectif inconscient. Il est en effet permis de se demander si notre culture ne s'est pas singulièrement amoindrie, en tout cas sclérosée, en se privant de toute cette sève instinctive et drue qui enrichit les grandes civilisations à leurs origines et qu'elles oublient dès l'instant qu'elles s'imaginent adultes. Alors on préfère le savoir-faire au faire, le savoir-vivre à la vie. Mais. comme dit Dubuffet : « l'aime mieux l'or en pépite qu'en boîtier

nym es que la société condamne ou retranche, se rebelle, il condamne à son tour une société marâtre, égoïste, policière, qui n 'a que faire de tout ce qui provoque, invente, obsède . C'est en réalité la véritable culture qu'il défend, qui ne serait pas despotique, m ais diverse, caprif:ieuse, rebelle à l'ordre, aux raisons. C'est l 'art qui est en cause et son destin à travers les aventures obscures des anonymes de l'art brut. Car enfin, entre ceux-ci et nos plus grands artistes, les différences sont affaire de + ou de ~, encore que ces signes n 'aient aucune' valeur qualitative. Différences de technique ? Certainement, d'astuces de métier, la conscience assumée de leur individualité chez les uns tandis que chez les autres la grâce de l'art est donnée, telle quelle, endémique, constante. Il n'y a pas d'erreur, de médiocrité possible dans l'art brut et ce qui passe,r ait pour une faute apparaît toujours miraculeux, inouï car le critère de qualité auquel on se refè~ re (culturellement) n'a finalement ni sens, ni réalité. Quand l'art prendra conscience que la vraie qualité est étrangère aux conventions, aux cahiers des charges, aux règlements de toute nature et qu'elle

de montre. Vive le lait de buffle cru, chaud, frais trait.» Retrouver la vérité originelle des choses, leur poids, leur nécessité, ce n'est plus un problème d'art mais de morale, une attitud~ civique. Quand Dubuffet, au nom de tous ces ano-

réside dans un parti pris absolu de liberté, la culture reprendra une signification nouvelle, sans académie, sans ministère ni institut. Peut-être aussi que les musées ne seront plus nécessaires. François Mathey

Crépin: Composition n° 109.

cesse de l'être, deviep t objet de contemplation, de spéculation, il s'intègre dans le contexte spirituel, social, pour tout dire culturel auquel il avait jusqu'alors échappé. Mais le moment n'est-il pas venu où les bases de notre culture com-

La Quinzaine l ittéraire, 15 au 30 avril 1967.

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QUINZE JOURS

Un jeune poète 18 mars. Il y a quelques semaines, parlant de la Revue de Poésie, j'avais attribué à Michel Deguy, qui la dirige, le commentaire d'un texte de Gongora. Michel Deguy m'indique que ce commentaire n'est pas de lui, mais de Robert Marteau, dont il me remet le der· nier recueil de poèmes, Travaux sut la Terre, paru au Seuil. J'avais déjà lu, de Robert Marteau, outre ce mémorable parallèle entre Ma· nolete et Gongora, quelques textes torophiliques. Je découvre, dans Travaux sur la Terre, un poète pro· fond et qui poursuit, me semble·t·il, quelque recherche platonicienne par le langage. La description du monde, monde actuel, monde lé gendaire, qui est faite dans ces poè. mes, tend en effet, selon Marteau lui·même, à retrouver ce « modè· le essentiel dont nous percevons les effluves mais qui de nous reste séparé en raison du faible degré de vision dont nous sommes pour· vus ». Pour moi, pour qui rien

n'existe que la terre, je n'en suis pas moins touché par l'exactitude de cette description. Qu'il évoque la Grèce antique, ou sa terre nata· le, la Charente, ou sa terre élec. tive, l'Espagne, Robert Marteau ne s'éloigne jamais des hommes vi· vants, de leurs travaux. Si savante, souvent, que soit sa poésie, elle ne s'écarte pas d'une réalité, à propre· ment parler paysanne, la plus vraie (j'en parle pour la bien connaître), réalité à quoi le poète mêle, en une respiration égale et sûre, figures, mythes, invocations. Robert Mar· teau use généralement de cette forme : le verset. Il use, à mon gré, trop rarement, d'une forme 'plus difficile, mais plus pure, le vers ré· gulier de sept pieds, mètre que je préfère entre tous car, par sa briè· veté même, il contraint le poète à l'agilité, au laconisme, à la grâce. On entend . alors, dans ces vers, quelque chose de la musique impai~ re qui nous charme dans certaines Chansons de VerIaine, de Mallar·

mé, Je ne puis ni'empêcher de citer ici l'un de ces poèmes, où, sous un titre quelque peu sibylllin, « Un Dieu est venu», Robert Marteau décrit le travail des vignerons qui foulent aux pieds le raisin mûr.

A vant d'entrer dans la cuve Ils roulent jusqu'aux genoux Leurs bleus, leurs coudes ils nouent, Dansent; sous leurs pieds, Peffluve, L'écume monte du moût, Il fait une nuit d'étuve, De violettes, et tu Vois ce Dieu blanc là debout, Le chef cerclé : clous et lampes Lui cernent le front, les tempes Comme un navire gréé

De grappes au lieu de toiles Il attend que se dévoile Ce que le temps a caché. Mes grands.parents étaient des vi· gnerons. Je me souviens d'avoir vu,

de mes yeux, dans mon ènfahce, le's hommes du village ~( , danser » dans le pressoir, comme le dit exactement Marteau, quelque peu eni· vrés, sinon totalement, outre l'apparition du Dieu, par les effluves de ce que l-'on appel!e, aVant <,Ill~il ne fermente, le « vlh nouveau ». Par la suite, le pressoir communal, et dansant, devint un pressoir mo· bile, et mécanique. Aujourd'hui, on arrache les vignes. La poésie se réfugie dans les poèmes. Je ne veux pas achever cet article sans noter la sensualité de certains des poèmes de Robert MarteaU. Dans l'Ode n° 8, on lit ceci : « La touffe que tu portes / 0 fille ,à la naissance du' ventre / Tire tu le sais de l'abîme la musique. » Comment ne pas entendre, au loin, la voix de Baudelaire : « Qudnd je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je man· ge des souvenirs » ? Pierre Bourgeade

LETTRES A «LA QUINZAINE» Baudelaire à l'encan? Le compte rendu des Lettres inédites de Baudelaire aux siens publiées par M. Phi· lippe Auserve chez Grasset (voir la Quinzaine littéraire du 1er aIL 15 février), m'a valu des attaques du Figaro littéraire. .Je n'y répondrai pas, ayant écrit ce qu'en conscience j'avais à écrire: les chiens aboient, la caravane passe .. , D'où vient pourtant qlLe M . Claude Roy ' ait pu traiter M, Auserve de « préfacier papelflrd et stlLpide » (le Nouvel Observa· teur du 8 au 15 mars), sans qu'ait réàgi l'homme-orchestre du Figl!ro littéraire, qui se prend aussi pour le directeur des éditions Grasset? Mais c'est Baudelaire qui est en cause. Et M. Chapelan se 'rappelle une visite que je lui fis en juillet 66. Ce n 'est pas lui, c'est son directeur que je devais rencontrer, Et M. Chapelan aurait-il la mémoire courte? Je lui fis, dans la même matinée - son directe ILl' étant absent ou indisponible une autre visite pour l'informer du fait suivant: quelques copies des lettres de Baudelaire aux siens étaient en ma possession. Ne fallait-il pas en conclure que M. A-userve· avait «.. ven,t ilé » certaines pièces du lot florentin? La France va prochainement célébrer le centenaire de la mort de Baudelaire. Il serait heureux' qu'à cette occasion elle pût faire entrer dans les collections publiques, si pauvres en reliques baudelairiennes, les lettres dont M. Auserve voudrait se dessaisir. On parviendrait peut-être à racheter les lettres déjà "·'ndues. A moins que M. Auservc . :lit déjà décidé de rel1tettre à l'une de nos grandes bibliothèques les documents dont il est l'heureux possesseur: il sait que les chercheurs s'in, terrogent sur la ' fidélité des lectures et sur la validité des dates (voir l'article de M. Pascal Pia dans Carrefour du 8 février ). Claude Pichois

Novalis J'ai lu, dans le numéro 22 de la Quinzaine littéraire (page Il), un article de M. Alain Jouffroy consacré à l'édition en français des Fragments de Novalis. Nombre de remarques seraient à faire à son sujet: je me contenterai de poser deux questions à l'auteur de cet article, 1. M. Alain Jouffroy voit une contrddiction (ou au moins une « distance ») entre les écrits politiques de Novalis, tels 30

que Foi et Amour (1797) et la Chrétienté contradictions entre la pensée idéaliste et ou l'Europe (1798), qui expriment, en la pensée matérialiste ne pouvaient cereffet, à leur façon, l'idéologie contre-révotainement pas être surmontées au molutiomwire allemande après 1789 et dont ment où Napoléon Bonaparte (j'ai eu tort il déclare (du moins au su jet du premier de me contenter du prénom dans mon écrit) qu'ils comportent « des 10ILanges article) faisait claquer ses drapeaux en insupportablement flatteuses adressé,!s à Egypte, après avoir réprimé l'émeute du Frédéric-Guillaume III» - et certains 13 vendémiaire et fornié dès 1796 le proaphorismes de Novalis, tel celui qu'il jet de devenir « le maître de la France », cite: " L'histoire deviendra le rêve d 'un comme il l'a avoué lui-même. L'aventuprésent infini qui remplira tout l'horisme de la politique de « pouvoir perrizon n, dont il écrit qu'il exprÏ1ne une sonnel », nous en connaissons aujourd'hui {( perspective qui est celle de la praxis encore les effets, et sa possibilité précède révolutionnaire», Or le 'mythe de « prélargement l'Empire. sent infini» comlne fin de l'histoire me Les incohérences" qui lui faisaient paraît, au contraire, aller de pair avec considérer Burke comme un « révolutioncelui d'un retour à l'Europe chrétienne naire », n'enlèvent rien au génie poétique du Moyen Age, passé ,historique qui dede Novalis, qui outrepasse très largement vrait devenir ce « présent infini ». Dans les limites fort étroites de sa pensée poliles deux cas, loin qu'il y ait contradiction tique. Le nationalisme de celui qui ou distance, la pensée de Novalis me sema écrit « l'Allemagne précède d'une marble cohérente, à la fois anti-historique et che lente mais sûre tous les autres pays contre-révollLtiomwire, Qu'en pense M. européens. Tandis que ceux-ci sont occuAlain Jouffroy? pés de guerres, de spéculations et de 2. M. Alain Jouffroy explique le mysparti, l'Allemand s'applique de tout son ticisme politique et l'idéalisme magique cœur à devenir digne de participer à une de Novalis comme une attitude de réacépoque de culture supérieure, 'e t cette tion contre la Révolution française, ce avance doit Ini assurer sur le temps une qui n'est guère contestable, encore que grande prépondérance' sur tous les aucette simplification ne rende pas compte tres » (Petits Ecrits, Aubier, p . 161-163) de l'alLtOliomie de la genèse de la pensée ne fait pour moi aucun doute. M. Alain de Novalis, laquelle se forma surtout, en Calvié verra sans doute comme moi, par politique, à la lecture d'Edmund Burke. rapport à cette idée de « prépondérance)l Mais lorsqlLe M , Alain Jouffroy parle du allemande en Europe, dont on connaît le « nationalisme » de Novalis, comme atdestin, une grande , distance à parcourir titude de réaction aux « canonnades et jusqu'à cette autre idée, révolutionnaire aux claquements de drapeaux aventuTÎStes et non réactionnaire: « La linguistique de Napoléon », il s'agit là, je crois, d'une est la dy'namique du monde de l'esprit» erreur plus que d'une autre simplification. (Grains de Pollen" 2), qui corrobore sa A ma connaissance, s'il peut y avoir dans conception de l'écriture comme « nature l'œuvre de Novalis quelques traces de potentialisée » ou « monde technique ». (i nationalisme », elles ne sauraient sufNovalis était si conscient de ses profire à caractériser cOI/une un nationalisme pres contradictions qu'il a écrit-: '« Si l'on la pensée politique de Novalis. A la ria la passion de l'absolu et que l'on n'en gueur il pourrait passer pour un « Europuisse guérir, il ne restera d'autre issue péen » et même pour un « très bon » ' que de se contredire sans cesse et de Européen, Mais, au contraire, la tendance concilier les extrêm!1s opposés ». Le mê· encyclopédiste de notre auteur, ses polé. . me homme qui flattait Frédéric-Guilmiques avec le prosaïsme de Gœthe ou laume III n'écrivait-il pas, toujours dans l'encyclopédisme pratiqf!.e des , philosophes , Grains de Pollen, « Ne 'pourrait-on pas français en font le représentant d'une prendre la défense des hommes ordinaires, sorte d'universalisme romantique ou d'une récemment si mal traités?» Mais ces espèce 'd'œcuménisme contre-révolutioncont~adictions n'étaient -p.as particulières naire; mais jamais un porte-parole du naà Novalis: elles sont le poiso..n durable de tionalisme. la pensée européenne tout entière. On Alain Calvié peut dire qu'aujourd'hui encore, en Europe surtout, l' « œcuménisme contreAlain Jouffroy répond: révolutionnaire » et le nationalisme ne font qu'une seule et même théorie: celle L'œuvre de Novalis est moins « cohéde la réaction . rente» qu'on pourrait le croire. Les AlaiD. Jouffroy

Perrault A propos de son article sur Perrault paru dans notre numéro du 15 mars, Samuel de Sacy a reçu de M. G. Rouger une lettre dont il nous demande de reproduire les passages suivants : .. .]e croyais avoir un respect des 't extes quasi religieux ... Il m'était impossible de choisir entre plusieurs versions, puisqu'il n'y a qu'un seul état du texte des Histoires du temps passé, celui de 1697, reproduit littéralement en 1707 dans l'édition publiée par la veuve Barbin. Les versions différentes qu'on peut rencontrer sont le fait des éditeurs qui se sont succédé du XVI Ile siècle à nos jours, et qui ne se sont pas fait faute d'ajouter des corrections, des retouches, des « al1téliorations » - sans parler de la Peau d'Ane en prose. ( ... ) J'ai . peut-être revu vingt fois mes épreuves sur le texte de 1697 reproduit jadis en facsimilé par Firmin-Didot) et je ne crois pas avoir changé un iota. Quant ,à l'orthogra· phe" je pouvais ou reproduire exactement l'édition de 1697; ou tout moderniser. l'ai préféré ( ... ) moderniser seulement l'orthographe d'usage (ét!Ùt pour étoit, enfants pour enfans) pour faciliter la tâche du lecteur « moyen ». Quant à certaines for11!..es déjà archaïques au XVIl' siècle, et choisies comme telles par Perrault ( ... ), j'ai préféré n'y apporter aucun changement.» ,

En nous priant de reproduire cette mise au point, notre collaborateur ajoute : - que le nUillque de place, dans une publication non spécialisée, ne lui a pas permis d'entrer dans le détail de ses réserves, d'ailleurs 'fort réservées ellesmêmes; - que la même raison l'a empêché de rendre hommage ' comme il eût aimé le faire aux qualités informatives de l'in.. troduction de M. Gilbert Rouger; - qu'il connaît par expérience le caractère insoluble que présentent quelquefois ' les problèmes de l'édition des textes anciens; - enfin qu'un scrupule sans doute, exagérément rigoriste le met en perplexité chaque fois qu'on mélange un principe de modernisation avec le principe d'une authenticité respectée dans certains de ses plus petits dét..Js. B,r ef, il ne s'agirait dans ce débat que de questions secondes - l'essentiel étant la qualité de l'édition nouvelle que nous devons à M. Gilbert Ronger.


TOUS LES LIVRES

Ouvrage. publiés enve le 20 Mars et le aOMANS .. aANQAIS

Michèle Albrand La clairière Editeurs Français Réunis, 220 p., 12.40 F La guerre de 1940-45 vécue par une petite fille .

Daniel Arnan Falaise Sud Ed . du Scorpion, 252 p., 13 F Un homme de 36 ans s'interroge sur ses raisons de vivre.

Marcel Haedrich L'entre-deux dieux Grasset. 256 p., 13,50 F La division entre hier et demain, le dieu de l'enfance et le dieu technocrate .

Jean Kanapa Les choucas Editeurs Francais Réunis . 165 p., 10.30 F La vie, semblable à un scénario de film. d'un metteur en scène.

Guy Le Clec'h L'aube sur les remparts Albin Michel, 216 p., 12,34 F Lyrisme, imaginaire liberté.

Elizabeth Jane Howard L'air de la mer trad. de l'anglais par Jacques Brousse A. Michel, 392 p., 18 F Jeux psychologiques entre quatre AnglaiS à Hydra.

Norman Mailer Un rêve américain trad. de l'américain par Pierre Allen Grasset, 304 p., 21 F Voir p. 9.

James purdy Le satyre trad. de l'anglais par Suzanne Mayoux Gallimard, 280 p., 15 F Satire d'une certaine Amérique.

Ann Ouin Berg trad. de l'anglaiS par Anne-Marie Soulac Gallimard, 216 p., 12 F Préparatifs pour un parricide au bord de la mer.

James E. Ross Des morts plein les bras trad. de l'anglais par Jean-René Major Gallimard, 296 p., 15 F Les aventures d'un soldat de carrière.

et

Pepin Lehalleur Lettre ouverte à un parricide Nlles Ed . Debresse, 222 p., 18 F Le rôle maléfique d'une sœur jalouse.

Pierre Molalne Le sang Calmann-Lévy, 304 p., 14,20 F 1939-1945 : la • drôle de guerre ", l'occupation, la Résistance.

Thérèse de Saint ?h~·l! ,·. La chandelle Gallimard, 236 p., 1:2 F Le drame d'un ~ ..;(!rlr~ • de quarante ans r';.:!uit au chômage.

ROMANS aTRANGERS

Peter Bichsel Le laitier trad. de l'allemand par Robert Rovlnl Gallimard, 136 p., 9 F Ce recueil de nouvelles a reçu un accueil enthousisaste en Allemagne et en Suisse.

Per Olof Sund man Les chasseurs trad. du suédois par Ch. Chadenson et G. Perros Gallimard, 272 p., 17 F Ouatorze nouvelles ayant pour ' cadre la laponie.

Bertolt Brecht Poèmes 5 (1934-1941) 1 portrait hors-texte L'Arche, 232 p., 15 F Poèmes ne figurant pas dans des recueils, chansons et poèmes extraits de pièces.

Bertolt Brecht Poèmes 6 (1941-1947) l'Arche, 224 p., 15 F

Philippe Jaccottet Airs Gallimard, 96 p., 9 f

Bernard Vargaftig La véraison Gallimard, 76 p., 7 F

La Quinzaine liuéi"llill:, 15 au 30 avril .1967.

BIOGRAPHIBS MBIIOIR.S

l 'homme et son travail.

Michel Butor Portrait de l'artiste en f· eune singe Gallmard, 240 p., 12 F les accointances entre l'artiste et l'alchimiste médiéval, ce • singe de Nature " .

Anne-Marie Fichot L'enfant dyslexique Ed. Privat, 96 p., 6,60 F les troubles du langage écrit, dans la vie scolaire et familiale.

Loïs Carlson le docteur Paul Carlson, mon mari 16 p. hors-texte Casterman, 192 p., 12 F La vie héroïque d'un médecin missionnaire.

Jean-Pierre Giraudoux le fils Grasset, 308 p., 16,50 F Autoportrait du fils de Jean Giraudoux.

Jean de Pange Journal, tome Il Grasset, 412 p., 27,50 F 1931-1934, la montée de la menace hitlérienne.

CRITIQUE HISTOIRB LITT~RAIRB

Victor Jacobson Entretiens et dialogue Ed. Privat, 108 p., 6,60 F Le dialogue, outil spécifique des travailleurs sociaux.

Michael Harrlngton L'autre Amérique La pauvreté aux Etats-Unis Préface de CI. Roy trad. de l'anglais par Anne Marchand Gallimard, 296 p., 15 F Voir p. 21.

Martin Heidegger Introduction à ' la métaphysique trad. de l'allemand par Gilbert Kahn Gallimard, 232 p., 14 F Ou 'est-ce que l'être ? ou le problème même de la métaphysique.

1)

Avril

Miguel de Unamuno L'essence de l'Espagne trad. de l'espagnol par M. Bataillon Gallimard, 224 p., 12 F Le nationalisme spirituel et ses méprises.

Flora Lewis Pion rouge t'histoire de Noël Field trad. de l'anglais par Anne Guérin Gallimard, 304 p., 16 F la disparition d'un haut fonctionnaire américain en 1949.

BISTOIRB

.a'l's

Michel Bataille Gilles de Rais Nomb. illustrations Culture, Art, Loisirs 312 p., 19 F Un autre Gilles de Rais a été écrit par Georges Batail le, oncle de l'auteur.

René Huyghe Sens et destin de l'art 1. De la préhistoire à l'art roman 2. De l'art gothique au XX, siècle Nomb. iIIus. Flammarion, 2 vol., 288 p., 9,75 F chacun.

Guy de Bosschère Autopsie de la colonisation A. Michel, 336 p., 19,75 F Trois mille ans de colonisation ou l'envers de l'Histoire.

Gilbert Goubert L'avènement du Rol-801ell, 1661 Julliard, 304 p., 6 F la prise de pouvoir par Louis XIV.

DIVBRS

Anne-Marie Raimond Les bons placements immobiliers Hachette, 272 p., 12 F Où acheter, à qui, quand, comment, pourquoi...

POCHB Georges Charbonnier Entretiens avec Michel Butor Gallimard, 111 p., 14 F L'auteur de • Mobile. s'explique sur ses intentions et ses méthodes.

Eléonore M. Zimmermann Magies de Verlaine José Corti, 352 p., 30 F Une nouvelle lecture de Verlaine, poète en perpétuel devenir.

J.M.G. Le Clézio L'extase matérielle Gall imard, 232 p., 12 F Méditations en marge de l'œuvre romanesque.

Le t lers-monde, l'occident et l'Eglise Ouvrage collectif Préface de H. Bartoli Cerf, 328 p., 18,60 F Compte-rendu d'une mission de recherche organisée par la Mission de France.

ESSAIS

Michèle Aumont L'Eglise écoute Réflexion de laie Fayard, 308 p., 19 F L'ouverture de l'Eglise à son temps.

Jean Cau Lettre ouverte aux têtes de chiens occidentaux A. Michel, 144 p., 8,40 F la gauche et la liberté de pensée.

O.G. Edholm La science du travail l'ergonomie trad. de l'anglais Hachette, 256 p., 12,50 F

Joseph Luft Introduction à la dynamique des groupes Ed . Privat, 104 p., 6,60 F.

Mikael Perrin les hommes en Jaune Calmann-Lévy, 352 p., 19,50 F la longue expérience d'un • professeur vagabond. parmi les bouddhistes d'Asie.

Joan Robinson Philosophie économique trad. de l'anglaiS par B. Stora Gallimard, 240 p., 15 F les relations inévitables entre la science sociale et l'idéologie de la sociét é.

Gaspard Théodore Mollien L'Afrique occidentale en 1818, we par un explorateur français Présenté par H. Deschamps Calmann-lévy, 304 p. , 17,30 F NaufraQé de • la Méduse -, l'un des premiers eurûréens à s'être aventuré en Afrique.

Zinaïda Schakovskoy La vie quotidienne à Saint-Petersbourg de 1820 à 1850 Hachette, 285 p., 15 F Politique, littérature et mondanités dans la capitale de l'Empire russe au lendemain des guerres napoléoniennes.

POLI TIQUE

De Marx à Mao Tsé-toung Un siècle d'Internationale marxiste Présenté par Milorad M. Drachkovitch Calmann-lévy, 384 p., 22,80 F Etudes de R. Aron, B. Wolfe, M. Fainsod, A. Cohen, Th. Draper, R. Lowenthal.

Jean Cocteau le Cap de Bonne-Espérance • Discours du grand sommeil Poésie (Gallimard)

Raymond Dumay Guide du jardin livre de poche Série pratique.

Paul Eluard La vie immédiate La !"Ose publique les yeux fertiles Poésie (Gallimard)

Massot et Seguela Guide des automobilistes livre de poche Série pratique.

Bernard Teyssèdre L'Art au siècle de Louis XIV livre de poche.

Jules Verne La Jangada livre de poche.

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Jean-Marie Domenach

8BIJII..4

LE RETOUR DU TRAGIQUE "Une étude rattachée à un thème à la fois aussi permanent et aussi actuel que le tragique, nourrie d'informations qui enveloppent la littérature, d'Eschyle à Malraux et à Beckett, la pensée abstraite de Hegel à Nietzsche et à Sartre, l'histoire de Saint-Just à Staline et Hitler, avec des digressions vers la sociologie et l'économie politique et une virtuosité de l'esprit d'analyse et de synthèse qui traite aussi bien les nuances de l'esthétique que les idées générales de la philosophie ... Je veux dire encore qu'un style solide, éclairé de formules brillantes, soutient cette architecture de hautes réflexions, et voilà, tout compte fait, un grand livre. P.-H. Simon (Le Monde) Collection "Esprit". Un volume 304 p. 15 F,

nouveautés du mols

SEUIL

JOSE LUIS DE VILALLONGA Allegro barbaro 15 f Un magistral tableau de l'Espagne au bord de la guerre civile. Une vieille famille aristocratique, dominée par une impérieuse aieule, marche vers sa fin ... JEAN-PIERRE ABRAHAM Armen 12 f Armen est le nom d'un phare situé au large de l'ite de Sein, en pleine mer. Choisir de vivre là peut paraître fou, mais ce lieu dénué est une vraie demeure et l'auteur s'y découvre ...

Le récit hunique

LE RÉCIT HUNIQUE

PIE.RRE LEUZINGER La croisière du ,. Sottise Il'' 9 ,50 f Les aventures parisiennes d'un journaliste en liberté, en révolte et en Méditerranée. SEVERO SARDUY Ecrit en dansant 12 f Le roman même de la .. cubanité", où Espagnols, Africains, Chinois se croisent et mélangent leurs voix.

Jean Pierre Faye

CMInuM

T~

SERGE DIEUDONNE La lisière 3 f Présentation de Jean Cayrol CLAUDE FROC HAUX Le lustre du grand théâtre 3 f Présentation d'André Pieyre de Mandiargues ANTOINE GALLIEN Verdure 3 f Présentation de Roland Barthes LAURENT JENNY Une saison trouble 3 f Présentation de Jean-Louis Bory

THÉATRE PUBLIC Essais de critique

0-1

.\l'x 111l"'t IOIU nu ULm.

. Textes critiques écrits par J.-P. Faye entre 1963 et 1966, portant à la fois sur l'histoire du récit et ses recommencements successifs (Charles Sorel, Kafka, Nathalie Sarraute, Alain RobbeGri"et), sur la chaîne qui reliait l'expressionisme allemand et le formalisme russe, sur les positions récentes et contestables de Sartre à propos de la littérature. Quelques repères se détachent : Roman Jakobson, Merleau-Ponty, Artaud, Brecht, Klossowski...

eo". é""'re

Bernard Dort

SEUIL

Collection "Tel Quel " . Un volume 368 p. 24 F.

ALEXANDER DONAT Veilleur, où en est la nuit? 19,50 f .. Un livre passionné, tourmenté, terrifiant. Nul doute qu 'il ne soit classé parmi les récits les plus frappants sur la vie et la mort du ghetto de Varsovie " (Elie Wiesel).

Rassemblant les études les plus significatives qu'il a publiées depuis 1953, Bernard Dort fait le point surla profonde transformation intervenue en quinze ans dans l'activité du théâtre en France. " reste toutefois beaucoup à faire encore et l'on trouvera ici des propositions pour une esthétique nouvelle de la "représentation" théâtrale. Un ensemble vivant et divers qui va de Shakespeare à Beckett, de Jean Vilar à Guy Rétoré. Collection "Pierres Vives". 1 volume 384 p, 24 F.

SEUIL

Jean Lacouture

HO CHI MINH

ROLAND BARTHES Système de la mode 24 f La mode soumise pour la premiére fois à une véritable analyse sémantiqu e.

Depuis un demi-siècle, sous vingt noms de guerre, le fondateur du Vietmin h porte le drapeau de la révoluti on des colonisés. Du quartier Mouffetard à la Place Rouge, de Dien Bien Phu au combat pour l'indépendance contre l'escalade américaine, il est constamment sur la barri cade où se joue le sort des peuples prolétaires. Pour les Vietnamiens, il est "l'oncle" de la Patrie. Pour le reste du monde, l'homme qui a soutenu le combat le plus long et le plus périlleux contre l'ordre des puissants. Collection" Politique" dirigée par J. Julliard. N° 10 - 6 F.

GERA RD BE RG ER ON Le Canada-Français a..,rès deux s ' iJc les de patience 18 f ~ .JU , le Canada-Français, c 'e ~i l'heure du dégel aprés un siécle d'hibernation. Mais c'est aussi, ~ uto nomi e ou dans l' ind épend ance, dans l'heu re · ' ; ~que. Coll. ' L'Histol re immédiate "

SEUIL

HEINZ KUBY Défi à l'Eu rope 19,50 f Une thése fondée sur une étude ri goureuse d e ~ donn ées politiques et éco nom iques du prob l,,· me européen . Coll. .. Esp rit" Le désir et la perversion 18 f Par cinq psychanalystes de l'école freudienne de Paris que dirige Jacqu es Lacan . Coll. .. Le champ freudien " JEAN-CLAUDE BARREAU La foi d'un païen 7,50 f Un converti, devenu prêtre, éclaire par sa prop re histoi re le chemi n qui se fraye ve rs une loi v ivante.

GORDON ZA HN Un témo in sol itaire, vie et mort de Franz J iifJ""stiitler 15 f Un autrichien catholiqu e condamn é il mort et exécuté en 1943 pour avoi r relu sé de servir dans l'armée hitlérie nne. SAiNT BERNARD Œuvres m ystiq ues (réimpressi o n) Traduction et prélace d'Al bert Béguin. sur papier bible 1056 pages 35 1 relié plein c hagrin 50 1 Coll ... Œuvres spirituelles"

P.E. Lapic;le

Pinchas E. Lapide

Rome les ROME ET Juifs

LES JUIFS

Seuil·

l''nlégra'e Montaigne Œuvres complétes en un seul volume relié de 16 f Préface d'André Mauroisde l'Académie Française Edition établie en orthographe modernisée et annotée par R. Barral avec la collaboration de P. Michel, maître·assistant à la Sorbonne.

Une importante personnalité israélienne prend la parole et répond au réquisitoire de l'auteur du " Vicaire " en révélant l'action secrète de Pie X" en faveur des Juifs et en replaçant cet épisode dramatique de l'histoire de l'Église et du monde dans son contexte : l'antisémitisme deux fois millénaire de notre civilisation chrétienne qui contribua à la naissance du nazisme. 1 vol. traduit de l'anglais par

F, Winock, 432 p. 24 F

37 - Canada par Robert Hollier 6 f Coll. Illustrée .. Petite Planète" 74 - Lautréamont par Marcelin Pleynet Coll. Illustrée" Ecrivains de toujours "

6 f

SEUIL

CAHIERS POUR L'ANALYSE publié;: .~a r 1& Cercle d'épistémologie de l'Eco!e Normaie Supérieure N° 6 : La politique des philosophes. Sommaire : M. Guéroult : Nature humaine et état de nature chez Rousseau, Kant et Fichte F. Regnault : La pensée du prince (Descartes et Machiavel) - Descartes et Elisabeth : Quatre lettres sur Machiavel - Machiavel: Le retour aux origines - B. Pautrat : La théorie humaine de l'autorité · Hume: Quatre essais politiques sur l'autorité - J. Bouveresse : L'achèvement de la révolution copernicienne - O.-P. Schreber : Mémoires d'un névropathe (suite), Le n° : 6 F - Abonnement du n° 6 au n° 10: 25 F. Diffusion è Paris: Ecrire à «Cahiers pour l'Analyse -, 45. rue d'Ulm - Paris 5" Diffusï on en province et è l'étrallger : Editions du Seuil, 27, rue Jacob, Paris So


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