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Interview «REMETTONS EN BON ÉTAT NOTRE PATRIMOINE AUX GÉNÉRATIONS FUTURES»

Qui décide, et comment, de la valeur de chaque construction du canton de Genève censée être protégée ou pas. Les réponses de Pierre Alain Girard, directeur général de l’Office du patrimoine et des sites.

Pierre Alain Girard. LDD

Veiller sur le visage urbanistique et archéologique de Genève est le rôle de l’Office du patrimoine et des sites (OPS), dont le directeur général explique les rouages. Nommé à ce poste en 2019, Pierre Alain Girard détonne par son approche empreinte davantage d’idéalisme que du seul esprit cartésien. Et pour cause, parmi les intérêts de l’avocat, la notion du bonheur dans les organisations. A l’écouter, cet état de bien-être si recherché passe d’abord par l’alignement de chaque individu avec ses valeurs propres. Justement, en parlant d’alignement, on s’est demandé comment son office gérait celui qui impose la conservation des constructions patrimoniales avec l’obligation de leur mise à jour selon les normes actuelles.

Dans un bâtiment protégé, garder le même type de fenêtre ou les remplacer par celles au triple vitrage peut être un vrai casse-tête. Pour ces cas de figure, y a-t-il un service étatique chargé d’arbitrer le dilemme? Il n’existe pas de service dédié à ces cas de figure. En revanche, concernant les fenêtres, un problème d’ailleurs identifié depuis longtemps, il est géré conjointement par l’Office du patrimoine et l’Office de l’énergie. Ces entités examinent, au cas par cas, s’il y a lieu d’accorder une dérogation à la Loi sur l’énergie. Et, lorsque des préavis contradictoires sont émis, c’est à l’Office d’autorisation de construire qu’incombe la tâche d’arbitrer en faisant une pesée des intérêts. Quant aux détails de la réglementation et aux moyens de sa mise en œuvre, ils sont explicités dans la brochure «Fenêtres: Guide des bonnes pratiques» disponible gratuitement sur le site de l’Etat www.ge.ch D’autres informations encore sont en libre accès sous l’intitulé «Rénover, restaurer ou conserver un bâtiment protégé» à la même adresse Web.

En ce moment, quel est votre projet en cours le plus important? C’est la campagne, lancée en 2015 et qui durera jusqu’en 2023, de recensement de tous les bâtiments construits avant 1985, soit 46'000 objets. Elle faisait suite au plan directeur adopté par la Confédération cette même année. A noter que ce travail d’inventaire du patrimoine architectural et des sites du canton de Genève avait commencé en 1976, mais pas d’une manière aussi exhaustive. Cette année-là, Gaston Clottu, conseiller national neuchâtelois, présentait en février son rapport «Eléments pour une politique culturelle en Suisse», dont l’objectif était d’offrir une base constitutionnelle aux autorités fédérales afin qu’elles encouragent officiellement la culture. Et début juin, notre canton adoptait la Loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (LPMNS).

Pourquoi le choix des constructions d’avant 1985 et comment est fait ce recensement?

Pierre Alain Girard «aime beaucoup la vue du village d’Hermance depuis la tour médiévale.» Pierre Alain Girard

Nous avons choisi 1985, car on considère qu’il faut au moins une génération pour avoir le recul nécessaire pour pouvoir poser cette évaluation patrimoniale. Le recensement, lui, est conduit commune par commune par une équipe composée d’historiennes, d’historiens de l’art et d’architectes du patrimoine. Après avoir examiné, analysé et photographié tous les détails architecturaux de l’extérieur d’un édifice, ils consignent ces informations dans une fiche individuelle, avec un récapitulatif historique de la construction en question. Sur la base de ces données, une commission scientifique est ensuite chargée d'évaluer l’objet en fonction de la valeur qui lui a été attribuée, à savoir, «exceptionnel», «intéressant», «intérêt secondaire», csans intérêt». La dernière étape de ce travail est la mise en ligne, sur le site de l’Etat (SITG), de cette fiche, que le public peut consulter librement.

Arrive-t-il que la valeur accordée à un bâtiment suscite des polémiques? Oui. Généralement, ce n’est pas le cas des édifices libellés «exceptionnel» et qui constituent 1% seulement de l’ensemble. Mais il arrive que certains de ceux qui sont évalués «intéressant» surprennent. C’était le cas du site Avanchet-Parc, le dernier grand ensemble résidentiel de Genève, construit dans les années 19731977. Il s’agit d’immeubles d’habitations en béton préfabriqué, ceinturés par deux axes routiers importants – route de Meyrin et avenue Louis-Casaï – que la Confédération a jugés «intéressant» dans son inventaire fédéral. Cette décision se fondait notamment sur l’intérêt architectural de la réalisation, la cohérence paysagère du site et la qualité de son implantation, tout en permettant d’offrir plus de 2000 logements à la ville dans les années 1970.

A part sa valeur historique, quelle est l’utilité concrète de ce travail colossal? Cette connaissance du bâti permet deux choses. La première, c’est de planifier le développement du canton en tenant compte du patrimoine existant lors des projets d’aménagement du territoire. La seconde, c’est de sensibiliser aussi bien les propriétaires que les constructeurs à la valeur et aux caractéristiques d’un bien immobilier avant qu’ils ne se lancent dans des travaux de rénovation et de restauration. D’après le rapport du mois de mai 2020 de la Cour des comptes, lorsque les intéressés ont connaissance de cette valeur, ils font le nécessaire pour la préserver. Et pas uniquement parce qu’ils en ont l’obligation.

Quelle est la construction la plus emblématique du canton de Genève et celle que vous appréciez le plus à titre personnel? La Rade de Genève est la carte de visite du canton, c’est une évidence. Pour ce qui concerne mes préférences, j’aime beaucoup la vue du village d’Hermance depuis sa tour médiévale. Cet endroit, à part sa belle esthétique, est surtout un témoin privilégié de l’évolution de notre canton puisque son origine remonte au XIIIe siècle et qu’il fut même plus important que la Ville de Genève jusqu'au XVIe . Savoir que nos aïeux l’ont préservé pour nous le transmettre ne peut que nous responsabiliser de manière générale envers ce patrimoine, que nous devons, à notre tour, remettre en bon état aux générations futures. Propos recueillis par Anna Aznaour

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