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Commerce
Jean-Marc Brachard
L’ART DE FAIRE VIVRE LE PAPIER
Dans sa papeterie quasi bicentenaire de la rue de la Corraterie, cet amateur d’art perpétue depuis 1976 l’esprit du beau et souvent du rare. Un archipel singulier pour collectionneurs, plasticiens et amoureux d’écriture.
A la Corraterie. Elo Durand
Ces jours, le voici calligraphier en lettres d’or 300 cartes de vœux, une commande spéciale qui correspond à son puissant rapport à l’écriture. Mais aussi à la créativité tout court, lui qui aime prolonger ses plaisirs d’esthète par le dessin. Si Jean-Marc Brachard devait tout quitter, il partirait, dit-il, juste avec du papier et des crayons. «En voyage, j’adore croquer des personnages, la femme dans le train assise en face de moi...» Membre des Amis du Mamco (Musée d’art moderne et contemporain) dont il fut le président durant de longues années, membre de la Société des arts de Genève où il préside la classe industrie et commerce, il ne nie pas un certain atavisme familial. Marc Brachard, est le représentant de la cinquième génération de cette honorable maison de famille. Elo Durand
Fondateur, en 1839, de la papeterie éponyme, Nicolas Victor Alexandre Brachard, né à Paris, est le descendant d’une lignée de sculpteurs à la Manufacture de Sèvres. Genève, une histoire d’amour, puisque qu’il s’y installe pour épouser la fille d’un papetier de la Grand’Rue, commerce qu’il reprendra en lui donnant son nom. La cité du bout du lac, tenue pendant longtemps dans les austérités calvi-

Des vitrines toujours un peu magiques qui enchantent la rue. Elo Durand
nistes, redécouvre alors le plaisir des arts et le goût d’un certain luxe discret. L’aïeul profite de ce renouveau et son magasin attire moult artistes. «Nous pouvons nous targuer d’être le plus ancien commerce de la rue de la Corraterie où nous nous sommes installés en 1875. Après quelques micro-déménagements liés au développement commercial des Rues-Basses, l’enseigne est toujours-là», indique Jean-Marc Brachard, représentant de la cinquième génération de cette honorable maison de famille.
Clientèle avisée et butineuse A cette époque, les peintres Ferdinand Hodler et Barthélémy Menn seront des clients réguliers. Aujourd’hui, virevoltant sur quatre étages autour d’un immense lustre en verre de Murano fabriqué sur mesure, la clientèle est avisée et butineuse. Dans cette architecture italienne un peu baroque des années 1960 imaginée par Henry Perey, un ensemblier alors très en vogue à Genève, vous y croise-
rez des graphistes, des artistes comme Zep ou Tom Tirabosco, à la recherche de couleurs, de pinceaux et de beaux papiers, des collectionneurs de plumes et de stylos rares comme ceux de Namiki peints sur laque. Mais aussi des fervents de papeterie de luxe, de carterie très variée ou de papiers d’emballage originaux, des dénicheurs d’objets d’écriture souvent tentateurs de Mont Blanc ou Faber Castell. Ou encore des étudiants ou entrepreneurs venant faire provisions d’indispensables accessoires de bureau. Chez Brachard, vous pouvez ne rien chercher, vous trouverez. Même des services très spéciaux. Car, Jean-Marc Brachard, épaulé depuis 1979 par son neveu, Pascal Vuarnier, perpétue l’esprit du sur mesure, grâce à ses ateliers de gravure, d’imprimerie, de reliure et de maroquinerie qui répondent aux demandes particulières: personnalisation ou fabrication d’instruments d’écriture, impressions de cartes de visite, d’invitation, de faire-part, cadeaux d’entreprise... Et, rareté appréciée des collectionneurs, «nous avons trouvé un atelier de réparation de stylos anciens qui possède un bon nombre de pièces de rechange.»
La liberté inspirante Parallèlement, il ne cesse de développer les activités du magasin. En 1980, il reprend une galerie d’art jouxtant son arcade et crée une nouvelle enseigne «La Vitrine du Papetier antiquaire». En


La clientèle virevolte autour d’un immense lustre en verre de Murano fabriqué sur mesure. Elo Durand
2013, il invite Caran d’Ache dans ses murs, lui consacre une boutique voisine du magasin et concrétise ainsi presque cent ans de partenariat avec la célèbre marque genevoise qui a vu naître les premiers gribouillis de notre enfance. On y trouve toute la gamme des produits et quelques objets exclusifs signés Brachard. Avec les ateliers créatifs, le mariage de l’art et du papier ouvre une nouvelle page. On se souvient quand tout s’est arrêté durant le confinement. Pour la papeterie, une période de boum de vente en ligne qui s’est calmée avec le plaisir des gens de venir au magasin, de fouiner et même de créer. « Si l’écriture virtuelle ne tuera jamais le stylo, que l’on aura toujours besoin au moins d’une pointe Bic, le domaine qui progresse le plus est celui des beaux-arts. » Echo à ces désirs grandissants d’expression, le premier étage transformé en espace créatif en 2019 s’anime à nouveau tous les jours avec les cours artistiques pour enfants et adultes donnés par Catherine Grimm, créatrice des fameux Ateliers Grimm à Carouge, qui épaule la
Des collectionneurs à la recherche de plumes, stylos rares ou papeterie de luxe. Elo Durand
liberté de dessiner et peindre à travers tout un éventail de techniques.
Le monde d’après «Les temps sont chamboulés, je ne me soucie pas de l’avenir.» Le monde d’après, pour Jean-Marc Brachard, c’est une suite de moments et de bonheurs présents, une sorte de philosophie de la vie accentuée par les aléas de la pandémie. Il règle les petits problèmes du quotidien avec sérénité, prévoit la hausse des prix du papier provoquée par la pénurie de pâte à papier, observe qu’il ne reste plus que quelques fabriques artisanales en Europe, mais reste confiant: «Même si les papeteries se font rares, qu’il nous manque une concurrence dynamisante, la culture de l’écriture ne périra jamais.» Qui saurait en douter en passant devant les sept vitrines, espaces toujours un peu magiques qui enchantent la rue. Une célébration délicate, souvent décalée, aux différents métiers de la maison. «C’est une tradition depuis les années 1920. Nous y consacrons un gros budget.» Véritable institution dans le paysage genevois, la papeterie familiale a encore de beaux jours devant elle. «Mon neveu a cinq enfants, ils portent un autre nom, mais l’enseigne restera ce qu’elle est depuis cent quatre-vingt-deux ans, Brachard.» Viviane Scaramiglia


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