« Il n’y a que deux jours dans une année par rapport auxquels nous ne pouvons rien faire, ce sont hier et demain. Aujourd’hui est donc le jour idéal pour aimer, croire, faire et principalement vivre. » Dalaï Lama e piège de la perception est l'un des subterfuges de l'esprit pour soutenir notre sens de la « réalité », pour maintenir la cohérence de notre univers personnel. Pour se soutenir, notre description du monde a besoin de la mémoire, car sans elle il n'y a pas d'apprentissage possible et c'est précisément la bonne mémoire, qui permet la domestication des animaux comme le cheval, l’éléphant, le chameau ou le lama. Dans nos langues, ils sont toujours le paradigme de cela, le paradigme d'une grande mémoire. L'esprit a ses propres mécanismes et sa propre entité. Comme tout organisme et entité, il a tendance à se consolider lui-même, à manger pour continuer d’exister ; la pensée n’accepte pas de se nier elle-même, à tel point qu’elle a tendance à ne pas accepter ses défauts, s’il le faut en se mentant à elle-même. La pensée est essentiellement une vieillerie biologique. Elle se nourrit de sensations, qui sont méticuleusement rangées en groupes d'associations. Comme ses outils sont extrêmement entropiques, elle doit impérieusement économiser de l'énergie et simplifie donc tout ce qu’elle archive. En réalité, ce dont nous nous rappelons n'est jamais ce qui s’est passé, ni même ce que nous avons perçu à ce moment-là, mais un résumé pratique de celui-ci, destiné à faciliter la fonction évolutive et la survie. Pour l’évolution, la mémoire est un outil. Le buisson pique… « aie ! », associé à des émotions de désagrément et d’irritation… conclusion : à éviter. La pomme est sucrée… mon cerveau me récompense avec des endorphines… je n’ai plus mal au ventre… conclusion : la pomme est géniale. Lorsque nous nous souvenons de la pomme, nous ne nous rappelons pas une pomme spécifique, mais la sensation que nous associons à cette première ou dernière fois que nous avons mangé une pomme et qui nous a laissé sa forte empreinte. La pensée, dans le fond, est simple comme l’anse d'un seau, et si aujourd'hui, nous lui accordons autant d'importance, c’est parce que l'homme moderne, dépourvu de toute référence spirituelle acceptable, s'identifie presque exclusivement à elle. Il est incroyable de voir comment cette « machine à ranger » qu’est notre cervelle s’est située au centre du fait culturel humain, disloquant et tordant tout. Mais qu’attendre d'une culture qui fait des mannequins et de leurs alter ego, les acteurs, ses héros, tout en ignorant ses sages ? Carlos Castaneda le disait déjà, l’un de nos plus grands vices, c'est que nous adorons nous donner de l’importance. Utilisant le vice d’associer de toute pensée, j'ai observé que les êtres humains se divisaient en deux types : ceux qui ont tendance à vivre projetés dans l'avenir et ceux qui sont coincés dans le passé. Le présent, seule réalité cependant du point de vue de la perception, est un espace presque toujours inconscient, un moment réduit à la saisie de données que nous ne parvenons pas à emprisonner. La vie passe donc inaperçue entre nos souvenirs et nos projets, marquée de jalons associés généralement à des divisions subjectives, des lignes vitales généralement unies à une émotion intense associés à de la joie ou de la douleur. Les deux biotypes sont d'une certaine façon malheureux, chacun à leur manière, parce qu’ils vivent finalement aliénés par des réalités fictives, absentes de l’ici et maintenant. Anxieux de réaliser leurs projets, ceux qui vivent vers l’avant veulent se rendre à destination et se perdent généralement les
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« Quand tu vivras réellement l'instant présent, tu seras épaté de ce que tu pourras faire et d'à quel point tu le feras bien. » Dan Millman Le Guerrier pacifique détails du chemin. Ceux qui sont ancrés dans le passé vivent collés à leurs problèmes ou à des souvenirs illusoires, cherchant à reproduire ce moment unique qui ne reviendra jamais, et leurs larmes regrettant le soleil d’hier les empêcher de voir la merveille des étoiles. Les sages Zen essayèrent de briser cette chaîne, en rompant les menottes de l'esprit avec des fortunes diverses, parce que, parmi eux, il y avait, bien sûr, les deux types de personnes : ceux qui poursuivaient quelque chose et ceux qui étaient poursuivis par quelque chose. Ils laissèrent cependant quelques lumières sur leur chemin. Récemment, la pratique du Kyujutsu comme méditation, par exemple, m'a laissé entrevoir l’une d’elles. Se vider d’intention quant aux résultats s'est avéré beaucoup plus efficace que d’essayer de les obtenir. Deux flèches plantées ensemble dans une situation impossible finirent par me le démontrer. Ainsi… L’arc tendu, le temps s'arrête ; passé, présent et futur sont un… la flèche est déjà arrivée… pourtant elle n'est pas partie… au vide suit le vide… chaque chose trouve sa place. Ce sont des moments de paix et d’apaisement, très efficaces dans le combat quotidien des misères de notre pensée, mais en sachant que le quotidien est opiniâtre et têtu et que personne ne donne une solution durable à cette question. Je reconnais que je suis de nature « futuriste », je n'ai trouvé qu’un avantage à mon inclinaison perverse rêveuse du lendemain et cet avantage est arrivé, non pas comme le fruit de ma vertu, mais comme celui des années, car à mesure que s’écourte l'horizon de ma projection vitale, il m’est plus facile d'apprécier le moment présent. L’hédonisme, tricherie et subterfuge, problème et solution, vient inévitablement à mon aide quand je suis désespéré ; le singe enfermé sait se masturber avec véhémence, mais même le vin le plus délicieux rend amère la bouche de celui qui est repu. Au-delà des recettes symptomatiques, l'humilité est le point de départ indispensable sur le chemin vers l’ici et maintenant. Le petit devient grand lorsque nous adoptons l’attitude correcte et, en nous vidant, nous devenons plus sereins, ce qui nous permet de nous remplir à nouveau. Les sages de nombreuses cultures ont considéré la respiration comme la clé de ce processus et aucun de ceux qui touchent le sujet ne peut s’en abstraire. Nyoity Sakurazawa Osawa avait quelques phrases inoubliables et l'unes d'elles, catégorique dans sa simplicité, disait ceci : « Être tous les jours un peu heureux… de plus en plus souvent ». Ce n’est peut-être pas aussi transcendant que le Za Zen, ni si mystérieux, mais c’est, je crois, une proposition intéressante pour n’importe lequel des deux groupes d’« aliénés temporels ». Finalement, seule la douleur physique et la joie nous conduisent immédiatement à l’ici maintenant, par des voies très différentes, sans doute, mais tout aussi définitives. Mon professeur de peinture Manolo Tarazona, extravagant et unique,« doux dingue » s’il en est, aimait scandaliser les dames, lorsque, dans les rassemblements sociaux les plus selects, il lançait ses traits d’esprits. Alors que les gens commentaient combien ils aimaient tel ou tel peintre et le plaisir que son art leur procurait, lui, qui était un vrai artiste et se moquait des prétentieux, quand on lui demandait son opinion sur le sujet, disait : « Moi, ce que j'aime le plus dans la vie, c’est de m’envoyer en l’air » et il ajoutait : « parce qu’alors je parle à Dieu d’égal à égal, cet enfoiré de barbu ». Pauvre Manolo ! Tant talent et tant d'ignorance dans sa