Sang d'encre - 2009

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Aveuglé par mes peines, j’oublie mon manque de courage et ose enfin me retourner pour affronter mes parents. Le regard de ma sœur est le premier que je croise. Il est pleinement exposé sur sa figure vide et indifférente. Il me pénètre tel le doigt du diable. La panique m’agrippe la gorge, m’étouffant presque, et pourtant, je demeure de marbre devant leurs silhouettes paisibles. Ma mère, en véritable reine, dissimule son visage. Digne en toute occasion, elle ne connaît même pas l’odeur de la culpabilité. De toute manière, tout est toujours de ma faute selon ses dires. Quant à mon père, il m’est trop difficile de me retourner davantage pour l’apercevoir. J’essaye de m’imaginer son regard et mon cerveau fige, m’interdisant d’avancer vers une voie qui ne peut qu’empirer mon état. Une crise de claustrophobie folle-furieuse glisse soigneusement ses dents à l’intérieur de ma peau déjà sensible. Je veux sortir d’ici. Je veux aller loin de mes parents, de ma sœur, de ce silence qui me rend fou, de ma tête trop envahie. Je me sens comme un héros de bande dessinée oublié. On a négligé de remplir ma petite bulle de paroles. Elle flotte, vide, au-dessus de ma tête, moqueuse. Un manque de culot qui me hantera à jamais. Ça ne peut pas finir de la sorte. Tu resteras avec moi, n’est-ce pas? Annie ? Des larmes commencent à couler. Je me retourne, refusant que ce que je nommais auparavant famille m’aperçoive en moment de faiblesse. Elle m’écœure autant que je m’écœure. L’orgueil n’a plus de valeur, mais peu m’importe. C’est ma seule sortie. Je dois sauver mon honneur devant Annie. Lui prouver que je ne suis pas juste bon à manier une bouteille de vin. Regarde-moi, ma belle. Allez, tourne-toi. Tout sera différent maintenant. On passera au travers. J’ai fait ce que j’ai pu. Tu me pardonnes, ma douce ? Me reviendras-tu? Je suis devenu un homme solide, invincible. Un homme dont tu pourras être fière. Je sanglote maintenant. C’est difficile de respirer. Mon monde est à l’envers. Maman ? Je me retourne encore, mais elle refuse toujours autant de lever la tête dans ma direction. Je ne peux pas regarder papa. C’est trop difficile. Ma sœur me fixe avec insistance, me dévisageant sans intérêt. Elle m’a toujours cru insignifiant, voué à l’échec. Pourquoi personne ne dit rien? En temps normal, tous les membres de ma famille s’en donneraient à cœur joie de me piétiner les entrailles. Ce silence est-il enfin la preuve qu’il vous fallait? La preuve que je pouvais si facilement vous oublier? Vous ne le pensiez pas, ma bande de vauriens. Je me marre. Bon Dieu, je me marre. Sanglots et éclats de rire. Annie, toujours dehors. Viens ici, ma chérie, ils ont compris. Tu n’as plus rien à craindre. Annie ? 94


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