Extrait backhaus hikikomori

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il était impensable de laisser de la nourriture hors du frigo toute la nuit. Mes yeux s’adaptent à la pénombre, et je scrute le couloir et l’entrée du salon. La lueur des réverbères coule des fenêtres, s’enroule autour de l’accoudoir du canapé, embrasse l’abat-jour, mais je ne vois aucun mouvement, aucune silhouette humaine. Sur la gauche, sa porte est ouverte. J’observe en écoutant pendant un moment – un quart d’heure ? Difficile à dire. Parfois, elle détecte mes allées et venues. Pas de manière passive, pas comme on devine un éclair de culpabilité dans le regard de celui qu’on aime, non, elle me prend en traître, et sa stratégie, c’est de supplier, de pleurer et de donner des coups de poing comme une adolescente hystérique. Voilà pourquoi je suis vigilant et avance accroupi. C’est le moment. J’attrape mes baskets, me relève et remonte la fermeture Éclair de ma parka. La sueur coule le long de ma cuisse. Je m’extirpe de mon cocon intemporel et me glisse dans le couloir en refermant la porte derrière moi. Je relâche précautionneusement le bouton. Si ma femme se réveille pendant que je suis sorti, elle verra ma porte fermée, comme d’habitude, et ne cherchera pas plus loin. Elle ira vider sa vessie ou boire son verre d’eau, puis elle se recouchera. Le plus sage serait de se baisser et de passer furti­­ vement devant sa chambre, mais je n’y arrive jamais. J’avance debout et jette un regard dans la pièce. Elle dort, enfouie sous une lourde couverture de laine que je lui avais achetée – que je nous avais achetée – pendant 8


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