Bienvenue à Night Vale - extrait

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Joseph Fink et Jeffrey Cranor

BIENVENUE À NIGHT VALE Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Kreutzberger

Bragelonne

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Collection dirigée par Stéphane Marsan et Alain Névant

Titre original : Welcome to Night Vale Copyright © 2015 by Joseph Fink and Jeffrey Cranor © Bragelonne 2016, pour la présente traduction ISBN : 978-2-35294-935-0 Bragelonne 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@bragelonne.fr Site Internet : www.bragelonne.fr

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Pour Meg Bashwiner et Jillian Sweeney.

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Remerciements Le podcast Bienvenue à Night Vale a débuté en 2012 sous la forme d’un projet entre amis. Presque quatre ans plus tard, il s’agit toujours d’un projet entre amis, quoique à bien plus vaste échelle et avec un nombre plus élevé d’amis impliqués. Merci à toute l’équipe de Bienvenue à Night Vale : Meg Bashwiner, Jon Bernstein, Marisa Blankier, Desiree Burch, Nathalie Candel, Kevin R. Free, Mark Gagliardi, Marc Evan Jackson, Maureen Johnson, Kate Jones, Erica Livingston, Christopher Loar, Hal Lublin, Dylan Marron, Jasika Nicole, Lauren O’Niell, Flor De Liz Perez, Jackson Publick, Molly Quinn, Retta, Symphony Sanders, Annie Savage, Lauren Sharpe, James Urbaniak, Bettina Warshaw, Wil Wheaton, Mara Wilson et bien sûr la voix même de Night Vale, Cecil Baldwin. Et comme toujours : Jillian Sweeney, Kathy Fink, Ellen Flood, Leann Sweeney, Jack et Lydia Bashwiner, Carolyn Cranor, Rob Wilson, Kate Leth, Jessica Hayworth, Soren Melville, Holly et Jeffrey Rowland, Zack Parsons, Ashley Lierman, Russel Swensen, Glen David Gold, Marta Rainer, Andrew Morgan, Eleanor McGuinness, John Green, Hank Green, Andrew WK, John Darnielle, Dessa Darling, Aby Wolf, Jason Webley, Danny Schmidt, Carrie Elkin, Eliza Rickman, Mary Epworth, Will Twynham, Gabriel Royal, Les New York Neo-Futurists, Freesound.org, Mike Mushkin, Ben Acker et Ben Blacker, les créateurs de The Thrilling Adventure Hour, la librairie Booksmith à San Francisco, Mark Flanagan et le Largo at the Coronet, ainsi que les merveilleux fans de Night Vale, naturellement. Notre agente Jodi Reamer, notre éditrice Maya Ziv et toute l’équipe de Harper Perennial, qui ont permis à ce livre d’exister. Et enfin Ron Fink, qui a appris à Joseph presque tout ce qu’il sait de la vie d’artiste en activité.

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L’histoire de la ville de Night Vale est longue et compliquée, elle remonte à des milliers d’années, jusqu’aux premiers peuples indigènes du désert. Nous n’évoquerons rien de tout cela ici. Qu’il vous suffise de savoir qu’il s’agit d’une ville comme il en existe bien d’autres, avec un Hôtel de Ville, un bowling (la Fleur du Désert et sa salle de jeux, l’Arcade Fun), un restaurant (le Moonlite All-Nite) et un supermarché (le Ralph), sans oublier, bien entendu, une station de radio locale diffusant toutes les informations que nous sommes en droit d’entendre. Elle est cernée d’un désert tout plat. Elle ressemble beaucoup à votre ville, peut-être. Sans doute plus que vous voudriez bien l’avouer. Il s’agit d’une accueillante communauté au cœur du désert, où le soleil cogne, où la lune est belle et où de mystérieuses lumières nous survolent pendant que nous faisons tous semblant de dormir. Bienvenue à Night Vale.

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À Night Vale, les monts-de-piété fonctionnent comme suit. Primo, il vous faut un objet à mettre au clou. Pour en obtenir un, beaucoup d’eau doit avoir coulé sous votre pont, des années passées à vivre, à exister, tant et si bien que vous êtes arrivé à un stade où vous êtes fermement persuadé d’exister, où vous êtes fermement persuadé de la présence physique d’un objet, du concept de propriété et, aussi improbable que cela puisse paraître, cette absurde conviction débouche sur la possession d’un bien matériel. Beau travail. Félicitations. Deuzio, maintenant que vous êtes persuadé de posséder un objet, vous devez atteindre un point où vous avez besoin d’argent plus que dudit objet. C’est l’étape la plus simple. Contentez-vous d’avoir un objet qui vous appartienne et un organisme gouverné par des impératifs, et patientez. Le seul mont-de-piété de la ville de Night Vale est géré par la très jeune Jackie Fierro. Il n’a pas de nom, mais vous saurez où le trouver si vous avez besoin de vous y rendre. Cette information apparaîtra de façon soudaine, souvent pendant votre douche. Vous vous effondrerez, enveloppé de ténèbres lumineuses, constaterez que vous êtes en position de quadrupédie, l’eau chaude ruisselant sur vous et conscient de l’adresse du mont-de-piété. Vous humerez une odeur de renfermé et de savon, serez envahi d’une bouffée de panique en ressentant l’ampleur de votre solitude. Comme chaque fois que vous vous douchez, ou presque. 11

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Avant de pouvoir proposer votre objet à Jackie, vous devrez vous laver les mains ; c’est la raison pour laquelle des bols d’eau purifiée sont disposés un peu partout dans la boutique. Vous devrez entonner une psalmodie tout en procédant à vos ablutions. Évidemment, il faudrait toujours psalmodier lorsqu’on se lave les mains. Question d’hygiène. Une fois purifié dans les règles de l’art, vous poserez l’objet sur le comptoir, et Jackie l’estimera, les pieds sur ledit comptoir. Puis elle se calera au fond de son siège. — 11 dollars, déclarera-t-elle. Elle dira toujours « 11 dollars ». Vous, vous ne répondrez pas. Au fond, vous n’êtes pas nécessaire au processus. Vous n’êtes pas nécessaire tout court. — Non, non, reprendra-t-elle en agitant la main. Elle vous indiquera alors le prix qu’elle demande vraiment. De l’argent, en général. Parfois autre chose. Des rêves, des expé­­­riences, des visions. Et puis vous mourrez, mais seulement pendant un moment. L’objet recevra une étiquette. 11 dollars. Au mont-de-piété, tous les biens mis en gage affichent ce prix-là, indépendamment de ce que Jackie vous a prêté en échange. Lorsque vous ne serez plus mort, elle vous remettra un ticket permettant la restitution ultérieure de l’objet, mais vous offrant aussi la possibilité de vous le remémorer. Se souvenir de l’objet est gratuit. Vous voilà en train de quitter cette histoire. Vous n’y étiez qu’un exemple et il vaut sans doute mieux, pour votre propre sécurité, que vous n’y figuriez pas. Les yeux plissés, Jackie Fierro scrutait le parc de stationnement. Personne en vue. Elle n’allait pas tarder à fermer boutique. Dans les faits, elle fermait toujours tôt et venait aussi tout juste d’ouvrir. De l’autre côté de la vitrine s’étendait le parc de stationnement avec le désert au-delà, et le ciel presque vide quoique partiellement étoilé. De là où elle se trouvait, postée derrière le comptoir, tout cela ne formait qu’un inaccessible et lointain dégradé. 12

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Jackie venait d’avoir dix-neuf ans. Du plus loin qu’elle se sou­­­vienne, elle venait d’avoir dix-neuf ans. Le mont-de-piété lui appar­­­tenait depuis belle lurette, peut-être des siècles. À Night Vale, horloges et calendriers ne fonctionnent pas. Le temps même ne fonctionne pas. Pendant toutes ces années, la jeune propriétaire du montde-piété venant tout juste d’avoir dix-neuf ans n’en était sortie que lors de la fermeture quotidienne, moment où elle regagnait son appartement et, posant les pieds sur la table basse, écoutait la radio locale ou regardait les chaînes valnoctiennes câblées. À en croire les bulletins d’information, le monde extérieur était dangereux. Night Vale était perpétuellement sous la menace d’un irrémédiable cataclysme. Des chiens sauvages. Un nuage iridescent, doué de conscience (même si le Nuage Radieux avait perdu en dangerosité depuis son élection au conseil d’adminis­­­ tration scolaire). De vieilles portes en chêne conduisant à un vaste désert souterrain où l’actuelle maire de la ville avait été prise au piège pendant des mois. Jackie se sentait plus rassurée en n’ayant ni amis ni passe-temps. En restant dans sa boutique, penchée sur son travail, puis chez elle, un verre de jus d’orange à la main et la radio allumée, sa routine préservée du moindre trouble. Sa vie s’écoulait dans un silence constitué majoritairement de vide et partiellement de réflexion. Certains jours, elle inventoriait le contenu de la boutique. Elle s’efforçait de penser au jour où elle en avait pris la tête. Il devait s’agir d’une journée comme celle-là, mais Jackie ne s’en rappelait pas les détails. Cela faisait des décennies qu’elle exerçait cette activité, et elle était très jeune. Ces deux affirmations étaient vraies. Elle savait qu’à dix-neuf ans on fréquentait en général l’uni­­­ versité. Elle savait qu’il arrivait aussi aux jeunes de son âge, victimes d’un marché de l’emploi défavorable, de souffrir du chômage et de vivre chez leurs parents. Elle était contente de ne pas être dans leur cas, et s’éternisait au mont-de-piété. Elle comprenait le monde et la place qu’elle y occupait. Elle ne comprenait rien. Le monde et la place qu’elle y occupait n’étaient rien, et cela, elle en avait conscience. 13

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Étant donné que Night Vale péchait par absence de temps conve­­ nablement indiqué, elle fermait boutique au jugé. Lorsque cette sensation viscérale lui venait, elle ne cherchait pas midi à quatorze heures ; il fallait verrouiller les portes, les sortir de leur encadrement et les cacher en lieu sûr. La sensation naquit. Jackie enleva ses pieds du comptoir. La journée avait été plutôt bonne. La vieille Josie, qui vivait près de la concession automobile, lui avait apporté quantité de flamants roses en plastique bon marché, dans un grand sac en toile qu’elle avait vidé sur le comptoir comme on se débarrasse de menue monnaie. — Ce n’est pas pour moi que je renonce à ces petits gars, déclara la vieille Josie d’une voix forte et solennelle. (Tout en gardant les yeux rivés sur un point situé très à droite de Jackie, elle balayait de temps à autre l’air avec sa main.) Mais pour l’avenir. Elle s’interrompit, la paume toujours dressée. Jackie partit du principe qu’elle avait achevé sa tirade. — Ça va, je vous en donne 11 dollars. La vieille Josie scruta plus attentivement le mur nu. — Ah, d’accord…, fit Jackie. Tâtant d’un doigt inquisiteur l’un des flamants au ventre de plastique mou, elle se laissa attendrir. — Bon, écoutez, je vous en donne une bonne nuit de sommeil. La vieille Josie eut un geste d’indifférence. — Je suis preneuse. C’était une offre incroyablement généreuse. Les flamants ne valaient rien, mais il y en avait tellement… Jackie ne put résister à la tentation. Jamais elle ne refusait un objet. — Fais attention à ne pas les toucher directement, l’avertit Josie, une fois sa mort passée. S’aidant de chiffons, Jackie disposa les flamants côte à côte sur une étagère, chacun porteur d’une étiquette manuscrite annon­­­çant un prix de 11 dollars. De toutes les façons, il vaut toujours mieux éviter de toucher quoi que ce soit, dans la mesure du possible, songea-t-elle. 14

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— Au revoir, ma chère, dit Josie en prenant le ticket que Jackie avait rempli. Passe me voir à l’occasion, tu parleras aux anges. Ils m’ont demandé de tes nouvelles. Les anges en question habitaient avec la vieille Josie, dans le petit pavillon que feu un lotissement avait abandonné, seul, à l’orée de la ville. Ils accomplissaient les tâches ménagères, et Josie se faisait un peu d’argent en vendant des objets qu’ils avaient touchés. Personne ne comprenait pourquoi les anges vivaient avec elle. On ne savait vraiment pas grand-chose à leur sujet. On disposait de certaines informations les concernant. Bien entendu, les anges n’existent pas. Il est illégal d’envisager leur existence, ou même de leur donner un dollar lorsqu’ils ont oublié l’argent du bus et commencent à zoner aux abords du Ralph pour demander de la petite monnaie. La grande hiérarchie céleste est un vain rêve, et de toute façon, il est interdit aux citoyens de Night Vale de la connaître. Tous les anges de Night Vale vivent chez Josie, près de la concession. Il n’y a pas d’anges à Night Vale. En milieu de journée, Jackie avait fait l’acquisition d’une voiture. Une Mercedes datant de quelques années seulement, instam­­ment présentée par un jeune homme vêtu d’un costume gris à fines rayures, maculé de terre. La façon dont il se débrouilla pour hisser le véhicule devant Jackie forçait le respect, mais il y avait des convenances à respecter dans des cas comme celui-là, et il était impératif que la voiture soit posée sur le comptoir. L’individu avait psalmodié et s’était lavé les mains. L’eau s’était teintée de brun et de rouge. Jackie lui avait proposé 5 dollars, négociant à partir des 11 dollars de rigueur, et le visiteur avait éclaté de rire en acceptant l’argent et le ticket. — Cela n’a rien de drôle, avait-il expliqué, hilare. Pour finir, une certaine Diane Crayton était arrivée tard dans l’après-midi, presque à l’instant de la fermeture, si Jackie se fiait à son instinct. — Je peux vous aider ? s’était-elle enquise sans bien comprendre pourquoi. En effet, elle saluait rarement les gens qui entraient dans sa boutique. 15

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Elle savait qui était Diane. Celle-ci organisait des campagnes de dons pour l’association des parents d’élèves, venait parfois distribuer des tracts sur lesquels étaient inscrits des laïus comme : « Levée de fonds pour le lycée de Night Vale ! Aidez-nous à donner aux enfants l’éducation qu’ils méritent, telle qu’approuvée par la municipalité. Nous apprécions votre soutien obligatoire ! » Diane ressemblait en tout point à l’idée que Jackie se faisait d’une mère investie dans la vie d’un établissement scolaire, avec son visage empreint de bonté et sa tenue décontractée. Elle trouvait aussi que Diane aurait pu être gestionnaire de crédit, avec sa mine sérieuse et son maquillage résolument conservateur. Elle aurait ressemblé à une pharmacienne si on l’avait affublée de la tenue de rigueur : blouse blanche, masque à gaz et cuissardes de pêche. Aux yeux de Jackie, elle ressemblait à un tas de choses. Surtout à une personne paumée en un instant et un lieu « t ». Diane sortit un mouchoir de son sac à main. Sans se départir de son expression hautaine et distante, elle versa une larme, une seule, sur le tissu. — J’aimerais offrir ceci, déclara-t-elle, posant enfin son regard sur Jackie. Celle-ci considéra le mouchoir. La larme n’allait pas tarder à sécher. — 11 dollars. — J’accepte, dit Diane. Elle avait ramené ses bras jusque-là ballants contre son sac à main. Jackie prit le mouchoir baigné de larme puis tendit à Diane l’argent et le ticket. Au terme de son bref trépas, Diane remercia son interlocutrice et s’empressa de partir. Jackie étiqueta la larme au prix de 11 dollars et la posa sur une étagère. Bref, une honnête journée. Jackie retourna l’écriteau de la porte sur la face « Fermé », laissant sur le verre le fantôme de sa paume pour signifier « Stop », « Venez par ici », « Salut » ou encore « À l’aide ». À moins que son geste suggère simplement : « Je suis là. J’ai au moins cette main qui est réelle. » 16

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Elle s’attacha ensuite à rectifier la position des objets sur le comptoir, et lorsqu’elle redressa la tête, l’homme se tenait devant elle. Il arborait une veste fauve et portait une mallette en daim. Ses traits étaient ceux d’un humain classique. Il avait des bras et des jambes. Sans doute avait-il des cheveux, ou était-il coiffé d’un couvre-chef. Tout était normal. — Salut, dit-il. Je m’appelle Everett. Jackie hurla. L’homme était parfaitement ordinaire. Jackie hurla. — Je suis désolé. Vous êtes fermée ? — Non, ça va, non. Je peux vous aider ? — Oui, je l’espère. Un bourdonnement de source inconnue s’élevait. — J’ai là un objet que je voudrais vraiment mettre au clou. — Je…, répliqua Jackie. Et elle agita la main pour signifier à son interlocuteur tout ce qu’elle aurait pu déclarer ensuite. — Merci de votre aide, dit l’homme avec un signe de tête. Me suis-je présenté ? — Non. — Ah, mes excuses. Je m’appelle Emmett. Ils se serrèrent la main. Jackie continua à agiter la sienne même après que l’homme l’eut lâchée. — Bref, voilà l’objet. Il posa un petit morceau de papier sur le comptoir. Y figuraient les mots « King City », un peu brouillés, tracés avec un crayon de couleur terne par une main tremblante qui en avait fortement appuyé la mine. Jackie était captivée par le bout de papier, sans trop comprendre ce qu’il avait d’intéressant. — Intéressant, nota-t-elle. — Non, pas des masses, répondit l’homme à la veste fauve. Il se lava les mains, psalmodia posément et Jackie s’obligea à se caler au fond de son siège, les pieds sur le comptoir. Il y avait une manière précise de faire les choses. À plusieurs reprises, elle étudia les traits de son visiteur pour les oublier sitôt qu’elle regardait ailleurs. 17

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— 11 dollars, dit-elle. L’homme fredonna, bientôt imité par d’autres petites voix qui venaient apparemment de sa mallette en daim. — D’où vient ce papier ? Pourquoi me l’offrez-vous ? Qu’est-ce que je pourrais bien vouloir en faire ? demanda Jackie d’une voix aiguë et éraillée qui ne lui ressemblait pas du tout. À ce stade, l’homme était en train d’accorder sa voix à celles qui émanaient de sa mallette. Il ne semblait pas avoir entendu ses questions. — Non, non, je suis désolée, reprit Jackie, bien consciente du caractère pathétique de sa technique de marchandage mais inca­­­ pable de se taire. Je retire. 30 dollars, et une théorie à propos du temps. — C’est d’accord, dit l’homme avec un sourire. S’agissait-il d’un sourire ? Jackie lui donna les 30 dollars et lui confia sa théorie à propos du temps. — C’est captivant, répondit le visiteur. Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle. En règle générale, je ne réfléchis pas. Il mourut alors. D’habitude, Jackie profitait de cette étape pour terminer la paperasse et préparer le ticket. Elle ne fit rien. Elle serrait le papier dans son poing. L’homme ne fut plus mort. — Je suis navrée. Voilà votre ticket. — Ce n’est pas nécessaire, dit l’individu. Peut-être souriait-il toujours. Jackie ne voyait pas son visage assez distinctement pour en avoir la certitude. — Non, prenez votre ticket. C’est la façon de faire. Jackie gribouilla sur le ticket les informations d’usage. Un numéro aléatoire (« 12 739 »), la qualité de la lumière au moment de la transaction (« bonne »), l’appréciation générale de la météo (« ça se couvre ») et l’opinion actuelle de Jackie quant à l’avenir (« compromis, mais agréable »), sans oublier un rapide croquis représentant le cœur tel qu’il devrait être, d’après elle, au lieu de la boule battante, faite de paille et d’argile, qui croît dans notre cage thoracique telle une tumeur dès lors que nous atteignons l’âge de neuf ans. 18

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L’homme prit le ticket qu’elle lui tendait avec insistance, et puis, la remerciant, il se tourna pour partir. — Au revoir, dit-elle. « King City », était-il écrit sur le papier. — Au revoir, ne répondit pas l’individu, se contentant d’agiter la main. — Attendez, vous ne m’avez jamais dit votre nom. — Oh, vous avez raison, dit l’homme, la main sur le bouton de la porte. Je m’appelle Elliott. Enchanté de faire votre connaissance. Le battant pivota et se referma. Le bout de papier entre les doigts, Jackie resta perplexe pour la première fois de son existence, aussi longue ait-elle déjà été. Elle avait le sentiment que des décennies de routine établie venaient d’être perturbées, que quelque chose avait changé. Mais elle ne savait pas ce qui lui donnait cette impression. Ce n’était qu’un morceau de papier, serré dans sa main. Un simple morceau de papier. Assise derrière son comptoir, elle finit de consigner la transac­­ tion. À la ligne intitulée « mis en gage par », elle s’arrêta. Elle ne se rappelait pas le nom de l’homme. Elle avait même oublié son visage. Elle regarda le bout de papier. « King City ». Puis la vitrine, pour espérer entrevoir le client et ainsi débloquer le souvenir. Elle distingua la veste fauve de son visiteur. Il courait vers le désert, la tête relevée. Elle le distinguait à peine, à la lisière de l’éclai­­­ rage du parc de stationnement. Sa mallette se balançait au rythme effréné de ses bras, et il soulevait des nuages de sable dans son sillage. Elle décelait de la sueur sur sa nuque malgré la distance. On courait ainsi pour échapper à quelque chose, pas pour atteindre une destination. L’homme sortit du halo lumineux et disparut.

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Il existe une maison. Elle n’est pas sans rappeler les autres maisons. Imaginez à quoi ressemble une maison. En même temps, elle est tout à fait différente des autres. Imaginez-la à nouveau. La conjonction de ces deux éléments fait qu’elle est exactement comme toutes les autres maisons. Par ses contours, elle se rapproche de ses semblables. Elle possède les contours d’une maison. « C’est une maison, je suis formel », pourraient dire des personnes à qui on l’aurait montrée en photo. Par ses contours, elle se différencie également de ses semblables. De manière subtile, les siens paraissent surnaturels. Nous avons bien affaire à une maison, mais elle recèle quelque chose d’autre, quelque chose de beau, pourrait-on affirmer si on nous la montrait en photo. J’ignore si « beau » est l’adjectif adéquat. C’est plutôt que… que… là, ça commence à me perturber. Cessez de me présenter cette photo, je vous prie. S’il vous plaît, vous supplieraient peut-être les personnes susmentionnées, quelques instants plus tard. Je ne comprends pas cette beauté ô combien terrible. Arrêtez, je vous en prie. « D’ac », répondrait probablement, parce qu’il est quelqu’un de bien et qu’il se soucie de son prochain, celui qui leur a présenté la photo. Difficile de déterminer si une personne est soucieuse de son prochain, lorsqu’on ne sait rien d’elle, hormis le fait qu’elle montre des photos de maisons à ses concitoyens, mais à quoi bon passer 20

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sa vie à envisager systématiquement le pire à propos de parfaits inconnus ? Sans s’avancer, on peut affirmer qu’une maison se définit comme un lieu clos possédé et bâti par des gens. Il serait incongru de supposer que cette maison a une personnalité, une âme. Qui partirait de ce postulat ? C’est pourtant vrai. Elle dispose des deux. Mais il était incongru de tenir ce trait pour acquis. Il faut toujours éviter ce genre de présomption. Cette maison se différencie également des autres par ses pensées. La plupart des logis ne réfléchissent pas. Mais elle, oui. Elle a des pensées, lesquelles n’apparaissent pas en image. Ni en chair et en os, d’ailleurs. Elles trouvent cependant accès au monde. Par le biais des songes, principalement. Une personne dort, et il arrive que la maison se dise tout à coup que le beige n’a rien d’un catalyseur émotionnel. C’est une couleur commode et fade. Une personne confrontée à n’importe quelle nuance de beige ne pousse jamais de hauts cris. Un autre exemple, tenez : le temps, mince alors ! Qu’est-ce que le temps, d’abord ? Et il arrive que l’endormi se fasse la même réflexion. Ces pensées se partagent aussi sous la douche. Celles qui sont ronchonnes. Colériques. Celles qu’il conviendrait de dé-penser avant d’interagir en société. Des pensées telles que [grondement sourd] ou [les articulations craquent, les poings se serrent, les dents grincent, les yeux ne laissent plus entrer la moindre information et l’eau ruisselle sur des traits figés]. Les pensées sont partout, parfois extrêmement littérales et d’ordre pratique. « Un rongeur est en train de grignoter le Placo derrière la tête de lit », par exemple. Le fait qu’elle accueille des humains est un autre élément qui rapproche cette maison de ses semblables. Elle accueille une femme, par exemple. Figurez-vous une femme. Beau travail. Un garçon, pas tout à fait un homme, y loge également. Il a quinze ans. Vous savez ce que c’est. Représentez-vous un garçon de quinze ans. 21

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Nan. Ce n’est pas ça du tout. On réessaie. Non. Non. OK, stop. Il est grand. Maigre, avec des cheveux courts et de longues dents qu’il cache lorsqu’il sourit. Il sourit plus souvent qu’il le croit. Imaginez un garçon de quinze ans. Non. On recommence. Non. On est loin du compte. Ses doigts remuent comme s’il n’avait pas d’os. Ses yeux remuent comme s’il n’avait aucune patience. Sa langue change de forme tous les jours. Son visage change de forme tous les jours. La structure de son squelette, son teint et ses cheveux se modifient quotidiennement. Il paraît différent par rapport à vos souvenirs. Il ne ressemble jamais à ce qu’il était avant. Imaginez. Bien. Pas mal du tout, même. Il s’appelle Josh Crayton. Elle s’appelle Diane Crayton. Elle est la mère de Josh. Elle se voit en lui. Josh évoque un tas de choses. Il change constamment d’appa­­­ rence physique. En ce sens, il est bien différent de la plupart des garçons de son âge. Il estime être simultanément plusieurs choses, nombre d’entre elles étant incompatibles les unes avec les autres. En ce sens, il est pareil à la plupart des garçons de son âge. Parfois, Josh adopte l’apparence d’un oiseau moqueur, d’un kan­­­ gourou ou encore d’une armoire de l’époque victorienne. Parfois, il mélange les styles : tête de poisson, défenses en ivoire et ailes de papillon monarque. — Tu as tellement changé depuis la dernière fois que je t’ai vu…, lui dit-on fréquemment. On dit cela de tous les adolescents, mais avec Josh cette expres­­­ sion prend tout son sens. Josh ne se rappelle pas à quoi il ressemblait la dernière fois qu’Untel ou Unetelle l’a vu. Comme la majorité des adolescents, il est toujours ce qu’il a été à un instant « t » jusqu’au moment où il ne l’a jamais été. 22

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Il y avait une fille qu’il aimait bien, et qui pour sa part ne l’appré­­­ ciait que lorsqu’il était bipède. Josh, qui n’a pas toujours envie de marcher sur deux jambes, fut déçu de l’apprendre. Il y avait aussi un garçon que Josh aimait bien et qui le lui rendait quand il incarnait un animal mignon. Josh aime toujours être un animal mignon, mais ce garçon et lui n’avaient pas la même conception de la mignonnerie. Nouvelle source de désappointement pour Josh, mais aussi pour ce camarade hermétique à la joliesse des mille-pattes géants. Diane aimait Josh dans tous ses aspects. Elle-même n’en chan­­­geait jamais, elle se contentait d’afficher les différences qui accompagnent la graduelle avancée en âge. Josh essayait quelquefois de berner Diane en se changeant en alligator ou en nuée de chauves-souris, voire en maison en flammes. En de telles circonstances, Diane avait d’abord la sagesse de rester sur le qui-vive, au cas où elle aurait vraiment affaire à un dangereux saurien, à une volée de mammifères enragés ou à une maison en feu. Mais dès lors qu’elle comprenait de quoi il retournait, elle retrouvait son calme et chérissait son fils autant pour sa personnalité que pour son apparence. Quelle que soit ladite apparence. Après tout, elle était sa mère et c’était un adolescent. — Arrête de piailler et de grouiller dans les placards, disait-elle en pareil cas. Il était capital d’établir des règles. Parfois, Josh apparaissait humain. On le découvrait alors petit, joufflu, grassouillet et portant lunettes. — C’est ainsi que tu te vois, Josh ? s’enquit un jour Diane. — Parfois, répliqua l’intéressé. — Tu te plais comme ça ? poursuivit-elle. — Parfois. Diane n’insista pas. Elle percevait les réponses laconiques de son fils comme un signe qu’il n’avait pas très envie de discuter. Josh regrettait que sa mère ne lui parle pas plus souvent. La brièveté de ses réponses était un signe qu’il ne savait pas bien comment établir des relations sociales. — Quoi ? demanda-t-il un mardi soir. 23

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Il arborait une peau douce et violette, un menton pointu, des épaules aussi frêles qu’anguleuses. La télévision n’était pas allumée. Un manuel scolaire était ouvert à défaut d’être lu. L’écran d’un téléphone était éclairé, et un pouce griffu se promenait sur le clavier. — Viens discuter, dit Diane par le battant entrebâillé. Elle répugnait à l’ouvrir en grand. Ce n’était pas sa chambre. Elle devait cependant se faire violence. Ce jour-là, elle avait vendu une larme à Jackie. Cela lui avait fait du bien de voir quelqu’un attacher explicitement de la valeur à quelque chose qui venait d’elle. Et puis, elle avait dépensé plus que d’habitude ce mois-ci, alors elle avait besoin d’argent. Il faut bien dire qu’elle était seule pour élever Josh. — De quoi ? — De ce que tu veux. — Je travaille. — Vraiment ? Dans ce cas, je ne veux pas te déranger. — « Ting », ajouta le téléphone. — Puisque tu es en train de travailler, je m’en vais, conclut Diane, faisant semblant de ne pas avoir entendu le portable. — Quoi ? demanda Josh, un autre soir. C’était un mardi, ou pas. Sa peau était orange pâle. Ou bleu marine. Ou bien il avait des poils rêches qui lui poussaient sous les yeux. Lesquels n’étaient peut-être pas visibles du tout à cause de l’ombre de cornes évoquant celles d’un bélier. Il en allait ainsi presque tous les soirs. Telle était la répétition incrémentale de la parentalité. La télévision n’était pas allumée. Un manuel scolaire était ouvert à défaut d’être lu. L’écran d’un téléphone était éclairé. — Comment ça va ? arrivait-il à Diane de demander. Parfois, elle disait : « Qu’est-ce que tu as à me raconter ? » Ou encore : « Je suis juste venue voir comment ça allait. » — Josh, disait-elle parfois derrière la porte de son fils, le soir. Parfois, elle y toquait. — Josh, lui arrivait-il de répéter à l’issue d’un silence plus ou moins prolongé. 24

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Quelquefois, lorsque son fils continuait à se taire, elle s’abstenait de répéter encore son prénom. — Points de suspension, répondait parfois Josh. Pas tout haut, mais à la façon d’une bulle de bande dessinée. Il se représentait d’autres mots qu’il aurait pu prononcer s’il avait su comment. Pour l’essentiel, je n’aime pas le taffetas, songea la maison, parta­­geant sa pensée avec Diane. — Josh, dit Diane, assise sur le siège passager de sa Ford bordeaux à hayon. — Quoi ? demanda l’araignée-loup qui occupait le siège du conducteur. — Si tu veux apprendre à conduire, il faut que tu puisses atteindre les pédales. L’araignée-loup s’étira vers le sol du véhicule, deux de ses pattes médianes frôlant les pédales. — Et aussi voir la route, Josh. Une tête humaine affublée des traits et des cheveux d’un garçon de quinze ans se modela, et l’abdomen se développa pour esquisser le torse d’un primate. Les pattes restèrent longues et grêles. Josh trouvait ça cool, une araignée-loup qui conduisait. Il avait raison, bien que cela rende la maîtrise du véhicule hasardeuse. C’était important pour lui d’avoir l’air cool au volant, même s’il n’aurait su expliquer pourquoi. Diane le toisa. Il reprit une apparence complètement humaine, à l’exception de quelques plumes sur le dos et les épaules, dépassant des manches de sa chemise. Mais Diane était d’avis que tous les combats ne valaient pas la peine d’être menés. — Je veux que tu sois humain quand tu conduis la voiture. Elle se voyait en Josh. Elle avait été adolescente, autrefois. Elle comprenait les émotions. Elle ressentait de l’empathie. Une empathie dont l’objet était flou, quoiqu’une empathie bien réelle. Josh souffla d’un air exaspéré, mais Diane lui rappela que s’il voulait conduire sa voiture, c’était elle qui décidait des règles, et une araignée-loup de moins de dix centimètres de long était interdite de 25

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volant. Elle lui rappela l’existence de son vélo, ce mode de transport parfaitement légitime. Diane devait faire preuve d’une patience toute particulière pour apprendre à Josh à conduire, car celui-ci tenait beaucoup à réévaluer constamment son identité physique, mais aussi parce que la voiture disposait d’une boîte de vitesses manuelle. Figurez-vous un adolescent de quinze ans au volant d’une voiture à boîte manuelle. D’abord, il convenait de débrayer. Ensuite, il fallait murmurer un secret à l’un des porte-gobelets. Dans le cas de Diane, c’était facile, puisqu’elle n’était pas très sociable et n’avait guère tendance à faire étalage de sa vie ; les anecdotes les plus anodines pouvaient donc constituer un secret. Concernant Josh, en revanche, la difficulté venait du fait que les jeunes n’avaient pas envie de dévoiler devant leurs parents lesdites anecdotes anodines. Après le débrayage et le déballage, le conducteur devait empoi­­­gner le levier de vitesses, à savoir un bâton source d’échardes enfoncé dans le tableau de bord, et le secouer jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose, n’importe quoi, pour ensuite entrer une série de chiffres sur le clavier du volant. Tout ceci sous le regard d’agents à lunettes de soleil qui prenaient des photos, pour le compte d’une agence gouvernementale aussi floue que menaçante, dans une berline noire garée de l’autre côté de la rue. La pression était rude pour un conducteur en herbe. Diane agaçait souvent Josh. Elle n’était pas une très bonne formatrice, et Josh n’était pas non plus très doué comme élève. Il existait également d’autres raisons. — Josh, tu dois m’écouter, disait Diane. — D’accord, d’accord, j’ai pigé, répliquait Josh sans avoir rien « pigé » du tout. Diane aimait se disputer avec lui dans la voiture, parce que c’était autant de temps passé à discuter, à interagir avec son fils. Ce n’était pas facile d’être la mère d’un adolescent. Josh appréciait ces moments, lui aussi, mais pas consciemment. En surface, il était malheureux comme la pierre. Tout ce qu’il voulait, c’était être au volant, pas accomplir toutes les actions que cela présupposait, notamment acquérir un véhicule et apprendre à le conduire. 26

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Et, parfois, il demandait : « Pourquoi mon père peut pas m’apprendre ? », parce qu’il savait que cela faisait de la peine à sa mère. Ensuite, il éprouvait des remords. Diane aussi. Ils partageaient leur mal-être dans la voiture. — Tu te débrouilles comme un chef, déclara Diane à un moment. Elle essayait simplement de combler le silence. Donc, le reste du temps, je me débrouille comme un pied, songea Josh, ne comprenant pas le contexte du compliment maternel. — Merci, répondit-il, histoire de remplir le silence avec de la politesse. — Tu as encore du pain sur la planche, ne lui dit pas sa mère. Je suis désolée que ton père ne soit pas là. Mais je fais des efforts, Josh, de gros, gros efforts. Diane était somme toute plutôt douée pour cacher ses émotions. Je suis vraiment un bon conducteur, songeait souvent Josh, même lorsqu’il frôlait les glissières de l’autoroute, roulait à cheval sur les trottoirs et s’abstenait de céder le passage à des silhouettes encapuchonnées, ce qui valait des heures d’ennui obligatoire à l’échelle de la ville. Le code de la route valnoctien était en effet sibyllin, alors même que le commun des conducteurs n’était pas censé ignorer la loi. Les leçons de conduite s’achevaient souvent par un « Beau boulot » et un « Merci », puis une brève pause avant que la mère et le fils regagnent leurs pénates respectifs. Plus tard, Diane toquait à la porte en disant « Josh », et celui-ci réagissait une fois sur deux. Diane souffrait. Elle n’en avait pas pleinement conscience, mais elle souffrait. « Josh », répétait-elle à longueur de temps, pour tout un tas de raisons. Josh aimait sa mère sans savoir pourquoi. Diane aimait son fils et se moquait de savoir pourquoi. Si leur maison est bien différente des autres, c’est aussi parce qu’une vieille femme sans visage y a secrètement élu domicile, même si cela ne revêt aucune importance pour notre récit.

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« King City », était-il écrit sur le papier. De toute sa vie, jamais Jackie n’avait ressenti la peur. La prudence, un malaise, la tristesse, la joie, des émotions toutes apparentées à la peur. Mais jamais la peur en tant que telle. Cette fois encore, elle ne connut aucune appréhension. Elle entreprit de fermer boutique : essuyant le lavabo de la salle de bains, balayant et couvrant d’une épaisse bâche les objets interdits ou secrets, telle la machine temporelle que Larry Leroy avait dérobée au musée des Technologies Défendues, les stylos et les crayons (le matériel d’écriture avait en effet été interdit par les autorités valnoctiennes pour le bien-être du public, même si tout le monde continuait à s’en servir en catimini). Elle tenait toujours le papier. Elle ne s’en était pas rendu compte en vaquant à ses occupations, mais ils étaient toujours là, les traits de crayon ternes, un peu brouillés. Les mots couchés hâtivement. Elle posa le bout de feuille sur le verre fêlé du comptoir. Le moment était venu de nourrir les objets animés. Car oui, certains étaient en vie. Certains étaient des chiens, d’autres non. Dans le désert brillaient désormais des lumières. Des bulles qui allaient et venaient au ras du sol. Jackie ne les avait jamais vues auparavant. Elle n’y fit pas attention, tout comme elle ne faisait jamais attention à ce qui n’entrait pas dans le cercle restreint de ses journées. À Night Vale, il y avait toujours des choses qu’elle n’avait encore jamais remarquées. L’homme qu’elle avait croisé dans le désert et 28

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qui agitait une paire de ciseaux à la cime d’un cactus, tel un coiffeur. Le cactus doté d’une chevelure. La petite faille toujours visible dans le ciel et qui s’était un jour subitement ouverte, laissant passer plusieurs ptérodactyles dont on découvrit plus tard qu’il s’agissait en réalité de simples ptéranodons. Beaucoup de panique pour pas grand-chose. Elle termina de vérifier l’inventaire. Le papier se trouvait tou­­­ jours entre ses doigts. « King City ». Comment ce papier était-il arrivé là ? — Comment ce truc est-il arrivé là ? demanda Jackie. Les chiens ne répondirent pas, de même que les créatures douées d’une conscience moins développée. Jackie rangea le papier dans un tiroir du bureau de la pièce du fond, celui dont elle ne se servait pas pour le travail qu’elle n’avait pas. Il ne lui restait plus qu’à fermer la boutique. Pour être honnête, ce à quoi Jackie s’efforçait, elle cherchait un prétexte pour ne pas s’en aller. Pour être honnête, ce à quoi elle s’efforçait, le sol était déjà propre avant qu’elle le balaie. Un coup d’œil par la fenêtre. Au ras du sable, les bulles brillantes avaient disparu. Seul un lointain avion se traînait, vulnérable dans l’immense vacuité du ciel avec ses lumières rouges clignotantes, timides fanaux ponctuant un message. Salut. Petit îlot de vie en altitude, à un cheveu de l’espace. Priez pour nous. Priez pour nous. Jackie tenait le bout de papier. « King City », était-il écrit. Pour la première fois, elle eut peur, et ne comprit pas ce qu’elle ressentait. Pour la première fois depuis une éternité, elle regretta de ne pas avoir d’ami à appeler. Elle en avait eu au lycée, elle le savait, même si elle ne gardait qu’un vague souvenir de cette période. Ses camarades ne s’étaient pas arrêtés à dix-neuf ans, eux. Ils menaient une vie bien remplie d’humains plus âgés. Ils avaient cherché à rester en contact avec elle, mais ce n’était pas une mince affaire, 29

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avec les déménagements, les carrières, les enfants, et les dix-neuf ans de Jackie se perpétuaient. — Alors, toujours bloquée à dix-neuf ? lui avait demandé Noelle Connolly, lors de la dernière conversation téléphonique qu’elles avaient eue. (Elle ne faisait pas mystère de sa désapprobation.) Oh, Jackie, ça ne t’a donc jamais traversé l’esprit de pousser jusqu’à vingt ? Elles étaient amies depuis le cours d’espagnol, en classe de première, mais Noelle avait cinquante-huit ans lorsqu’elle avait fini par poser cette question, sur un ton dégoulinant de maternage que Jackie lui avait fait remarquer. Noelle avait réagi avec une condescendance qui crevait les yeux, elles avaient toutes les deux raccroché et ne s’étaient plus jamais adressé la parole. Les gens qui vieillissent se croient tellement sages, songea Jackie. Comme si le temps avait une quelconque signification. Tandis qu’elle restait plantée là, le papier entre les doigts, la radio s’alluma toute seule, comme toujours en fin de journée. Cecil Palmer, animateur de la radio locale de Night Vale, s’adressa à elle. Nouvelles, événements locaux, conditions de circulation. Jackie écoutait Cecil quand elle le pouvait. C’était le cas de la plupart des habitants. Chez elle, Jackie possédait un petit poste de radio, à peine soixante centimètres de large pour quarante-cinq de hauteur. Il s’agissait de la version poids plume et portative (« sous la barre des 7 kilos ! »), dotée d’une poignée en nacre et d’angles acérés, les quatre coins supérieurs étant sculptés en forme d’aigles au bec ouvert. La mère de Jackie le lui avait offert pour ses seize ans, anni­­­ versaire dont la date restait floue, et c’était l’un des objets qu’elle chérissait le plus, avec la collection de vinyles qu’elle n’écoutait jamais puisqu’elle n’avait pas encore reçu l’agrément nécessaire à l’achat d’un tourne-disque. Cecil Palmer évoquait les horreurs du quotidien. Chaque fois qu’il prenait l’antenne, ou presque, c’était pour informer les auditeurs d’une catastrophe ou d’une mort imminentes, ou pire encore : pour évoquer une vaine existence vécue dans la crainte de la mort ou d’une catastrophe. Jackie n’avait pas spécialement envie 30

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de connaître toutes les mauvaises nouvelles du monde. En revanche, elle adorait rester dans sa chambre, emmitouflée dans son édredon au milieu des ondes invisibles de la radio. Écoutez, la vie est stressante. Cela est vrai n’importe où. Mais encore plus à Night Vale. Des créatures rôdent dans l’ombre. Non pas les projections d’un esprit inquiet, mais des créatures au sens premier du terme, qui sont bel et bien tapies là où il y a des ombres. Des conspi­­­ rations sont dissimulées derrière chaque devanture, sous chaque rue, elles flottent en hélicoptère au-dessus de nos têtes. Et comme si cela ne suffisait pas, il fallait ajouter la morne tragédie de la vie. Naissances, décès, allées, venues, le gouffre de subjectivité bravache qui nous sépare de tous ceux qui nous sont chers. « Tout est chagrin », avait dit un jour un homme qui n’avait pas fait grand-chose pour arranger la situation. Mais lorsque Cecil prenait la parole, il devenait envisageable de se délester en partie de ce fardeau. De se libérer des soucis. Des questionnements. De son bout de papier, toutefois, Jackie ne pouvait se séparer. Elle ouvrit sa paume, regarda les mots tomber en virevoltant. Elle baissa les yeux. Le papier était par terre. « Points de suspension », lui confia le verso, non pas à haute voix mais comme une bulle de bande dessinée. Jackie l’étudia pendant une éternité, le papier prolongea son séjour sur le sol. C’est alors que la jeune femme cilla, et que le papier se retrouva dans sa main. « King City », était-il écrit. — Je tourne en rond, déclara Jackie sans s’adresser à personne, que ce soit aux chiens ou à la Chose tapie dans son renfoncement coutumier. Elle essaya de contacter Cecil à la station pour savoir s’il avait entendu parler de l’homme à la veste fauve et à la mallette en daim. Elle ne se souvenait pas d’avoir un jour entendu l’animateur évoquer une personne correspondant à ce signalement dans son émission, mais cela valait la peine d’essayer. L’un des stagiaires de la radio décrocha le combiné, promit à Jackie de transmettre le message, mais comment Jackie pouvait-elle être certaine que le pauvre bougre survivrait assez longtemps pour mener sa tâche à bien ? 31

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— Non, ça ne fait rien, répondit Jackie. Hé, au fait, je crois qu’ils cherchent du monde, chez Arby. Tu as déjà songé à travailler là-bas ? Leur taux de mortalité est franchement bas pour le quartier. Mais déjà le gamin avait raccroché. Allons bon, ce n’était pas à Jackie de se soucier de son espérance de vie ; il fallait être bien téméraire pour effectuer un stage à la radio valnoctienne. La boutique était désormais fermée en bonne et due forme. À ce stade, si elle s’attardait encore, Jackie aurait aussi vite fait de sortir un sac de couchage et de passer la nuit au mont-de-piété. Et ça… Non. Elle sortit, les nerfs à vif. Au fond du parc de stationnement, elle avisa une berline noire dont les vitres teintées étaient baissées juste ce qu’il fallait pour lui permettre de voir deux agents d’une agence gouvernementale aussi floue que menaçante. Ils l’étudiaient attentivement derrière leurs lunettes de soleil, et l’un d’eux la mitraillait avec un appareil photo dont il ne savait de toute évidence pas désactiver le flash. La lumière se réverbérant sur les vitres fumées, les clichés ne valaient rien, et l’agent se répandait en jurons tandis que chaque tentative se soldait par le déclenchement du flash. Comme à son habitude, Jackie agita la main pour leur souhaiter une bonne soirée. Peut-être emprunterait-elle la Mercedes pour rentrer chez elle. Elle conduirait avec le toit ouvert et verrait à quelle vitesse elle pourrait pousser le véhicule avant que la Police Secrète du shérif l’intercepte. Bien entendu, elle ne ferait rien de tel. Elle se dirigea vers sa propre voiture, un coupé Mazda bleu avec deux bandes rouges qui, supposait-elle, avait été lavé à un moment ou à un autre avant d’atterrir en sa possession. — « King City », dit-elle. Le papier lui témoigna son approbation. Elle avait commis une erreur en acceptant le don de l’homme à la veste fauve. Elle ignorait la nature et la signification de ce morceau de papier – quelle information cherchait-il à faire passer, et à qui ? –, mais elle savait qu’il avait changé quelque chose. Le monde était en train de s’immiscer dans la vie de Jackie, et elle devait le repousser, à commencer par l’homme à la veste fauve et son bout de papier. 32

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Elle annonça ses intentions, comme tous les citoyens valnoctiens en avaient l’obligation. — Je trouverai l’homme à la veste fauve, et je le forcerai à reprendre son bout de papier. Et si j’y arrivais sans avoir à apprendre quoi que ce soit à son sujet, et sans découvrir à quoi rime ce papier, ce serait vraiment l’idéal. Dans la berline, les agents portèrent un doigt à leur oreillette et consignèrent religieusement ses paroles par écrit. Dans le désert, les bulles de lumière flottaient au ras du sol. On entendait les échos d’une foule, d’abord vindicative puis en liesse. Pendant une fraction de seconde, un grand immeuble tout de verre, d’angles et de relations d’affaires apparut là où il n’y avait, jusque-là, absolument rien d’autre que du sable, puis se volatilisa, et les lumières se multiplièrent, mouvantes, faussant l’air autour d’elles. Et il y eut l’écho des foules. Et les lumières. Jackie passa la marche arrière et, s’engageant sur la voie rapide, jeta le papier par la fenêtre. Par le rétroviseur, elle le vit virevolter dans la nuit, et puis elle le rattrapa d’un claquement de doigts, ses doigts qui tenaient le papier. Qui ne l’avaient pas lâché.

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LA VOIX DE NIGHT VALE

Cecil : Bonjour, chers auditeurs, ici Cecil, votre voix dans les ténèbres, le tranquille chuchoteur de votre nuit vacante, qui s’adresse à vous depuis la station de radio locale de Night Vale. Je suis là pour vous donner les dernières informations dont vous avez besoin, et passer sous silence toutes les connaissances dangereuses et interdites. Passons aux nouvelles. Des lumières nous surplombent, Night Vale. Je ne fais pas référence aux étoiles. Nul ne sait ce que sont les étoiles et ce qu’elles mijotent. Toujours est-il qu’elles ont gardé à peu près le même ordre et qu’elles n’ont, de mémoire de Valnoctien, jamais fait preuve d’hostilité à notre égard. Les astronomes s’évertuent à nous expliquer que les étoiles sont les lointains soleils de galaxies tout aussi lointaines, mais il convient de prendre avec des pincettes ce qu’ils racontent, ces astronomes. Bref, ces nouvelles lumières au-dessus de nos têtes ne sont pas des étoiles. Elles vont et viennent au ras du sol. Ce ne sont pas les mêmes que celles qui planent à des dizaines de mètres au-dessus de chez Arby. Ces lumières-là sont différentes. Nous les comprenons, contrairement aux nouvelles, qui donnent matière à s’inquiéter, elles.

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Des témoins ont rapporté qu’elles changeaient de couleur lorsqu’on parlait d’elles. Certains disaient : « Oh, regarde-moi ces lumières orange », et pouf, elles viraient au jaune. Alors, les amis des personnes concernées répondaient : « Mais non, tu vois bien qu’elles sont jaunes », et voilà que les lumières revenaient à l’orange. Et ainsi de suite. Le témoignage ci-dessus nous a été fourni par Chris Brady et Stuart Robinson, qui habitent dans la Vieille Ville. Chris a ajouté : « Qu’est-ce que t’en penses ? Elles sont orange, hein ? » Les lumières ont à nouveau viré au jaune, et Stuart a mis le point final en disant : « Pourquoi il faut toujours que tu aies raison, Christopher ? », avant de partir comme une furie, suivi d’un Chris qui se confondait en excuses. Jusqu’à présent, les lumières ont l’air inoffensives, à moins que vous vous trouviez directement en dessous d’elles, auquel cas elles sont tout le contraire d’inoffensives, quelle que soit la signification que ce mot revêt pour vous. Hier soir, lors d’une conférence de presse, le Conseil municipal a rappelé à tout un chacun que le parc à chiens devait profiter à l’ensemble de la communauté, et qu’il était donc important que personne n’y entre, ne le regarde ou ne lui accorde ne serait-ce qu’une pensée. Ils ont prévu d’ajouter un nouveau système de caméras très avancé afin de garder en permanence un œil sur sa grande enceinte noire, et si quelqu’un s’avisait d’essayer de la franchir, il y serait effectivement contraint et l’on n’entendrait plus jamais parler de lui. Si vous voyez des silhouettes encapuchonnées dans le parc à chiens, non, vous n’avez rien vu du tout. Les silhouettes encapuchonnées ne présentent absolument aucun risque, et il ne faudrait pas s’en approcher coûte que coûte. Le Conseil municipal a clos la conférence de presse en dévorant une patate crue par petites bouchées, avec ses dents tranchantes et ses langues râpeuses. Il n’y eut pas de questions, même si l’on a pu relever quelques hurlements consécutifs au communiqué. Nous avons également eu vent, par ondes radio cryptées, de l’ouver­­ture d’un nouveau magasin : Le Jardin et la mécanique en kit de Lenny à petit prix, qui, jusqu’à une date récente, était un entrepôt à l’abandon servant de complexe hautement secret au gouvernement, lequel y pratiquait les tests totalement occultes que j’évoquais la semaine dernière. Le Lenny vous donnera l’occasion de combler tous vos besoins

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matériels ayant trait au paysagisme et à la décoration de pelouse, de même qu’il évitera aux machines, aux produits des tests inconcluants et aux substances dangereuses, ces déchets « sensibles » ou « enfouis sous une chape de béton jusqu’au lever du soleil », de rester sur les bras du gouvernement. Ce serait du gâchis. Ne manquez pas la grande braderie d’ouverture du Lenny. Découvrez-y huit secrets gouvernementaux, et recevez un kidnapping gratuit ainsi qu’un réalignement de personnalité afin d’oublier ce que vous venez de voir ! Et maintenant, place à la minute « La science c’est fun, les enfants ». Voilà ce que nous savons de la conscience. Le sable en a une. Le désert en a une. Pas le ciel. Les plantes, par intermittence. Les plus doués de conscience sont les chiens. Nous, nous n’en avons aucune. La planète prise dans sa globalité est consciente. Les parties de ce tout ne sont pas conscientes. Les trous sont conscients. Les cartes de vœux le sont jusqu’à leur expiration. Les États dans lesquels les cartes de vœux ont interdiction d’expirer ont créé la conscience immortelle. L’argent n’a pas de conscience. Le concept de propriété privée est conscient. Le sable est conscient. Le désert est conscient. Pas nous. C’était la minute « La science c’est fun, les enfants ». Votre identité est-elle protégée, chers auditeurs ? Tant d’informations sont stockées dans des bases de données, de nos jours… Alors, comment être certains que notre identité nous appartient bien ? Une tripotée d’arnaques visent à vous soutirer vos numéros de carte de crédit, de sécurité sociale, de citoyenneté citoyenne, de suivi de voisinage et que sais-je encore. Pas une semaine ne s’écoule sans que l’on apprenne que telle ou telle base de données a été éventrée tel un œuf sur un plan de travail en granit, ses informations se déversant, à la merci des chapardeurs d’identité qui voudraient les laper comme un chien amateur d’œufs crus qu’on aurait autorisé à sauter sur ledit plan de travail. Voici quelques conseils pour préserver ton identité, Night Vale. Change souvent les mots de passe de ton ordinateur. La plupart d’entre nous n’ont pas le droit d’en posséder un, mais change-les quand même, juste au cas où tu recevrais l’autorisation légale. Par ailleurs, porte un masque en public, et cache le numéro de ton domicile avec de la peinture noire en bombe.

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Pour finir, sache que la plupart des usurpations d’identité surviennent lorsque la sécurisation des bases de données n’est pas assurée. Mon conseil ? N’atterris jamais dans une base de données. C’était la rubrique technique. Après la pause, quelques morceaux choisis, extraits d’un entretien exclusif avec moi-même au cours duquel je m’interroge sur mes motivations, le stade auquel j’en suis dans ma vie, la raison pour laquelle je n’en suis pas à un stade différent, et à qui la faute, et pourquoi, tel jour, j’ai prononcé cette phrase embarrassante.

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