Buffy - volume 2 - extrait

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« À chaque génér ation, il y a une Élue. Seule, elle devr a affronter les vampires, les démons et les forces de l’ombre. »

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rusilla enlevant un enfant pour l’élever comme le sien, au grand dam de Spike et Angelus ; des vampires de jour en jour plus coriaces, comme s’ils avaient découvert le secret de l’éternel retour ; et enfin Buffy devant protéger Giles d’une horde de buveurs de sang tout en faisant face à la réapparition de son premier amour… Autant d’événements qui ne laisseront pas un instant de répit à la Tueuse et à ses amis ! Buffy, ses alliés et ses ennemis de toujours vous invitent à revivre les meilleurs moments de la série culte de Joss Whedon et à découvrir un roman totalement inédit ! Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Aude Matignon, Isabelle Troin et Serge Lefaure Buffy the Vampire Slayer ™ & © 2012 Twentieth Century Fox Film Corporation All rights reserved. Photographie de couverture : © CLM / Shutterstock ISBN : 978-2-8112-0873-8

9 782811 208738

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Buffy, chez Milady, en poche : Buffy – Intégrale 1 La Moisson La Pluie d’Halloween La Lune des coyotes Sale affaire (inédit) Buffy – Intégrale 2 Cauchemar à Sunnydale (inédit) Immortelle Les Fautes du père Buffy – Intégrale 3 La Tueuse perdue Cauchemar d’une fin d’ été (inédit)

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Intégrale 2 D’après la série télévisée de Joss Whedon

Milady


Milady est un label des éditions Bragelonne

L’éditeur remercie Séléna Bernard et Laurence Boischot pour leur aide précieuse et leur enthousiasme.

Ce livre est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des noms, lieux ou personnages ayant réellement existé serait purement fortuite. Cet omnibus regroupe trois épisodes de la série Buffy contre les vampires, dont un inédit. Cauchemar à Sunnydale Titre original : One Thing or Your Mother Buffy the Vampire Slayer TM & © 2008 Twentieth Century Fox Film Corporation. Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie du présent ouvrage sous quelque forme que ce soit. © Bragelonne 2012, pour la présente traduction Immortelle Titre original : Immortal Buffy the Vampire Slayer TM & © 1999 Twentieth Century Fox Film Corporation. Tous droits réservés © Bragelonne 2012, pour la présente traduction Les Fautes du père Titre original : Sins of the Father Buffy the Vampire Slayer TM & © 1999 Twentieth Century Fox Film Corporation. Tous droits réservés © Bragelonne 2012, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-0873-8 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr


Cauchemar à Sunnydale Kirsten Beyer D’après la série télévisée de Joss Whedon Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Aude Matignon



Ă€ mes Observatrices, Patricia A. Beyer et Jewell Pellegrino, sa mère.



Remerciements Patricia et Fred. Leurs fils, Matthew et Paul. Beth, l’épouse de Matthew. Vivian, sa mère, Ollie, ses filles Debra et Donna. Leurs maris et leurs enfants : Bill, Michael, Justin, Chris et Derek. Madeline, Bob et leurs filles, Elizabeth et Katherine. Anna. Heather. Samantha et son mari, Sean. Leurs enfants – qui se trouvent être également mes filleuls – Katey, Maggie et Jack. Allan, Candy et leurs filles Christiana et Carolina. Fred, Marianne et leur fils Freddie. Tony. Vanessa. Cappiello. Tara. Art. Brett et Jenn. Jolene. John. Maura. Patrick. Emily. Cara. Ces noms ne signifient rien pour vous, mais pour moi, ils sont chargés de sens. Il s’agit de ma famille, de mes amis, de toutes les personnes qui m’ont amenée à être celle que je suis aujourd’hui. D’une façon ou d’une autre, ils ont contribué à la réalisation de ce projet. Je remercie tout particulièrement Katherine, qui a trouvé ce titre. Heather, qui me remet toujours sur les rails lorsque je m’égare. Emily, qui m’a donné cette chance. Cara, qui a corrigé mon texte avec vigilance. Ma mère, Patricia, et ma grand-mère, Jewell, qui n’ont rien de commun avec les méchantes de l’histoire. Je me rends compte chaque jour de la chance que j’ai eue. Joss Whedon est un génie. Son travail a inspiré le mien bien avant que j’aie l’honneur d’écrire une histoire sur Buffy Summers. Merci aux scénaristes et aux acteurs de la série. Ces derniers ont largement contribué à donner vie, de façon remarquable, aux personnages de cet univers. Enfin, merci à toi, David. Jour après jour, tu me rappelles que l’amour déplace des montagnes. Je n’aurais jamais rien accompli sans ta patience, ta compréhension, ton soutien et ta dévotion sans bornes. Merci à vous tous.



Chapitre premier

E

n général, à trois contre un, le combat est tout sauf équitable. Sauf si on s’appelle Buffy Summers. Sur le papier, Buffy était Tueuse de vampires. Malheureusement, le contrat tacite qu’elle avait passé avec les puissances supérieures faisait un joyeux amalgame entre lesdits vampires et les démons, sorcières, fantômes et autres créatures aussi paranormales que mal intentionnées sévissant à Sunnydale. Cette bourgade de Californie dans laquelle résidait Buffy se trouvait être en effet l’une des seules villes de la planète à pouvoir se targuer d’avoir été édifiée au-dessus d’une Bouche de l’Enfer. Les brochures touristiques se gardaient bien de mentionner cette anecdote historique. Et pour cause, Buffy et ses amis faisaient partie des rares personnes à en connaître l’existence et, accessoirement, à comprendre de quoi il s’agissait. À savoir : un véritable aimant à entités démoniaques. — Allez, avoue ! lança Buffy à l’un de ses trois adversaires. Elle lui décocha en même temps un violent coup de pied en pleine poitrine, qui l’envoya valdinguer contre une magnifique pierre tombale en marbre. — Tu as récupéré ce blouson dans les poubelles d’Ozzy Osbourne ? La cible de son sarcasme était trop occupée à se relever pour songer à une repartie bien sentie. L’espace d’un instant, Buffy envisagea de dégainer son pieu préféré. Il aurait suffi d’une fente et d’un coup d’estoc pour en finir proprement avec ce vampire. Malheureusement, ses deux potes, qu’elle avait déjà surnommés Blanc Blaireau et Blaireau Blanc, se préparaient à la prendre en étau. Par ailleurs, une petite partie d’elle-même – son côté obscur, qu’elle tentait de réprimer la plupart 11


Buffy du temps – prenait un malin plaisir à tabasser ces trois losers. Non seulement l’adrénaline coulant dans ses veines exacerbait sa force et ses réflexes surnaturels, mais elle avait aussi éveillé en elle une rage inouïe. Certes, les trois punching-balls sur lesquels elle se défoulait n’y étaient pour rien, mais tant pis. Ils paieraient pour la trahison d’Angel et pour son sens pervers de la vengeance. Elle n’allait pas se priver de leur en faire baver avant de les réduire en cendres. — Allez, un peu de nerf ! les provoqua-t-elle. Elle fit quelques pas en arrière pour garder Blaireau 1 et Blaireau 2 dans son champ de vision. — Je sais que vous venez de débarquer dans le monde merveilleux des créatures de la nuit, mais quand même ! Vous pourriez faire un effort ! Blaireau 1 opta pour une feinte vers la droite, mais elle comprit aussitôt sa manœuvre. Un schéma explicatif en couleur n’aurait pas été plus clair. Elle se mit en position pour parer son coup. Entre-temps, Blaireau 2 avait décidé de l’attaquer par-derrière. Il bondit sur elle. Il comptait sûrement se ruer sur elle et la plaquer au sol pour mieux sortir ses crocs et s’offrir une bonne rasade de sang de Tueuse. Dans l’absolu, c’était une bonne idée. Malheureusement pour lui, il ne pesait pas bien lourd. De son vivant, le vampire gringalet avait sûrement travaillé dans un cabinet comptable. En tout cas, il en fallait plus pour déséquilibrer Buffy. Non seulement elle encaissa l’impact, mais elle profita de l’énergie cinétique de son adversaire pour le retourner comme une crêpe et le projeter, pieds en avant, contre Blaireau 1, qui se trouvait malencontreusement sur sa trajectoire. Si l’attaque était venue de l’apprenti hard rocker, Buffy ne s’en serait sûrement pas aussi bien sortie. Il pesait facilement vingt kilos de plus que ses copains. Et Buffy avait beau être dotée d’une puissance hors du commun, elle était excessivement menue. C’était bien son seul point faible. Dieu merci, la force brute ne faisait pas tout, la vitesse et l’habileté comptaient pour beaucoup aussi. Elle en avait d’ailleurs souvent fait l’expérience lors de ses combats nocturnes, depuis toutes ces années qu’elle tuait des vampires. Tandis que les deux blaireaux essayaient de se désengager l’un de l’autre, Ozzy Presque-Osbourne reprit enfin ses esprits et se releva. 12


Cauchemar à Sunnydale Mais au lieu de se lancer dans la mêlée, il hésita. Ce courageux semblait se demander s’il n’était pas plus judicieux de prendre la fuite. Pas question, pensa Buffy lorsqu’elle le vit tourner les talons pour chercher une échappatoire. Aussitôt, elle saisit son fidèle pieu et le lança vers lui. Le bout de bois se ficha dans le dos du vampire et lui transperça le cœur. Elle ne vit pas son visage, mais elle crut entendre un : « Et merde… » désabusé juste avant qu’il redevienne littéralement poussière. Lorsqu’il éclata en un millier de minuscules particules, Buffy perçut avec la plus grande satisfaction le bruit familier du vampire qui se désagrège. Le contentement qu’elle éprouvait toujours après avoir éliminé l’une de ces créatures ne lui suffit pas à assouvir sa soif de vengeance. Toujours hors d’elle, elle se retourna vers les jumeaux débiles, prête à leur faire subir le même sort. Elle espérait qu’à l’issue du combat, elle se serait enfin débarrassée des sentiments qui l’oppressaient et qu’elle essayait en vain d’évacuer. Blaireau 1 et Blaireau 2 la dévisageaient avec stupéfaction, tout à leur surprise d’avoir assisté au trépas prématuré de leur congénère. — Désolée, les mecs, leur dit-elle de ce ton blasé qu’elle réservait aux vampires fraîchement émoulus de leur tombe. Je sais que vous n’avez pas eu le temps de lire le manuel, ni d’assister au cours d’introduction, alors je vais vous faire un petit topo. Celui qui a posé les règles il y a très longtemps, s’est dit que si les vampires comme vous s’amusaient à considérer cette planète comme un buffet à volonté, il devrait y avoir au moins une fille par génération – moi, en l’occurrence – dotée d’atouts suffisants pour contrebalancer un minimum. Buffy prit le taureau par les cornes. Elle se rua sur Blaireau 2, l’attrapa par le revers de sa veste en viscose, le souleva de terre et le lança sur Blaireau 1. — Donc pardon de vous pourrir l’existence…, poursuivit-elle en décochant un coup de pied à Blaireau 2… mais il est de mon devoir…, reprit-elle en le frappant derechef, de faire en sorte que les vampires pathétiques de votre genre n’aient plus aucune chance de se tapir dans l’ombre pendant la journée, conclut-elle en achevant Blaireau 2 d’une raclée dans le dos. 13


Buffy Très clairement, ses adversaires ne pouvaient plus se défendre. Buffy n’avait pas envie de s’arrêter là, mais elle devait se rendre à l’évidence : elle jouait inutilement les prolongations. Elle saisit une branche basse, l’arracha du tronc et la brisa en deux. Elle aurait préféré y mettre les formes, mais elle n’avait pas le temps. Elle se contenta d’enfoncer la première partie du bâton dans le dos de Blaireau 2, qui tomba en poussière. Dans la foulée, elle se retourna vers Blaireau 1, qui s’était mis à genoux. — Putain, ça craint ! articula-t-il, sentant son heure venue. — Je ne te le fais pas dire, rétorqua Buffy avant de l’achever avec l’autre morceau de branche. Sa rage reflua légèrement. Elle posa les mains sur ses genoux et reprit son souffle. Elle était seule dans le cimetière désert. Ça craignait à mort. À un point presque inconcevable. Le combat lui avait permis de se défouler un peu, mais ce n’était pas suffisant. La seule personne qu’elle avait envie d’affronter, c’était son ex. Angel. L’homme qui lui avait appris le véritable sens des mots « amour » et « tragédie ». Elle aurait dû se douter que ça ne marcherait jamais. En réalité, elle l’avait toujours su. Angel était un vampire, et elle, la Tueuse. Dans la catégorie « amour impossible », on faisait difficilement mieux. Angel. Pourtant, Angel n’était pas un vampire comme les autres. Certes, comme tout démon cruel et vicieux qui se respecte, il avait pris plaisir à infliger aux êtres assez malchanceux pour croiser son chemin des souffrances aussi atroces que sophistiquées. Au bout d’un certain temps, une famille de gitans avait découvert le moyen de lui faire regretter ses méfaits. Ils lui avaient rendu son âme. Au moment de rencontrer Buffy, il sortait d’une crise existentielle d’un peu plus d’un siècle. Il avait eu le temps de jauger les deux solutions qui s’offraient à lui. Soit il restait dans l’ombre pour l’éternité en menant une existence précaire ; soit il continuait la lutte, du bon côté cette fois, dans l’espoir de faire pénitence. Il avait choisi la difficulté. Et c’était aux côtés de Buffy qu’il avait repris espoir et commencé à croire en sa 14


Cauchemar à Sunnydale propre rédemption. Bien avant qu’ils ne s’avouent leur amour, il avait prouvé à maintes reprises qu’il était prêt à tout pour la protéger, qu’il la soutiendrait envers et contre tout, qu’il se battrait sans répit pour sa cause, quels que soient les périls qu’elle affronterait. Malheureusement, par une cruelle ironie du sort, son amour pour Buffy l’avait anéanti. La malédiction gitane était assortie d’une clause connue de quelques personnes seulement. Si jamais il éprouvait ne serait-ce qu’un instant de bonheur, on lui enlèverait de nouveau son âme, car elle n’était initialement destinée qu’à le faire souffrir. Et cet instant – beaucoup trop bref –, il l’avait partagé avec Buffy. Angel n’était plus. Il n’était pas vraiment mort. C’était bien pire. Un démon avait revêtu son apparence. Pour ne rien gâcher, depuis sa transformation quelques semaines auparavant, il n’avait eu de cesse de harceler, terrifier et torturer Buffy, qui avait tout risqué par amour pour lui. Elle avait l’impression d’être prisonnière d’un cauchemar. Heureusement, plus Angel s’acharnait sur elle, plus Buffy tendait à accepter l’inacceptable. Son amoureux était mort. Elle devait trouver la force de tuer le monstre qui avait investi son corps pour mieux ravager Sunnydale. Elle s’y était presque résolue lorsque, quelques jours auparavant, deux fantômes frustrés, James et Grace, les avaient possédés tous les deux, Angel et elle, pour régler leurs propres problèmes de couple. Eux aussi avaient vécu un drame amoureux, quelque cinquante ans auparavant. Buffy se serait bien passée de revivre leurs derniers instants tragiques. Néanmoins, elle ne pouvait nier qu’elle avait ressenti un bonheur indicible en sentant Angel la prendre dans ses bras, lui parler d’amour et de pardon, et sceller cette réconciliation par le baiser le plus profond et le plus passionné qu’ils avaient jamais échangé. Elle ne saurait jamais quelle avait été la part des émotions de James et Grace dans ces moments. Une chose était sûre : percevoir une nouvelle fois l’amour d’Angel, même si brièvement, avait rendu la triste réalité encore plus difficile à supporter. Son bonheur à elle s’était enfui pour toujours. Jamais Angel ne lui reviendrait. Il n’y aurait pas de joyeuses retrouvailles à la fin, comme dans les contes de fées. 15


Buffy Buffy balaya une dernière fois le cimetière du regard. Il ne se passerait probablement plus rien d’intéressant, ce soir. Et ses devoirs l’attendaient. Elle ne pourrait pas aller dormir avant plusieurs heures. Les examens de fin d’année devaient avoir lieu quelques semaines plus tard et, malgré tous ses efforts, elle avait beaucoup de mal à atteindre la moyenne. Buffy poussa un profond soupir, s’éloigna des pierres tombales soigneusement alignées et regagna à contrecœur la sortie du cimetière. Ces temps-ci, ses patrouilles étaient particulièrement productives. En quelques nuits, elle avait descendu une bonne dizaine de nouveaux vampires. Auparavant, elle s’en serait enorgueillie. Elle aurait peut-être même organisé une petite fête. Mais ce soir, la victoire avait un goût amer. Buffy s’était toujours dit que sa vie de Tueuse ne suffisait pas. Qu’il lui fallait un petit quelque chose en plus. Une maison. Un jardin secret qu’elle protégerait envers et contre tous. Son amour pour Angel avait joué ce rôle, et lui avait apporté bien plus encore. Mais c’était fini. Par ses actes, Angelus avait été clair : il ferait tout son possible pour lui briser le cœur, pour annihiler l’esprit de la Tueuse avant de lui ôter la vie. Après avoir franchi le portail du cimetière, elle rentra chez elle comme un automate. L’augmentation de la population vampirique signifiait peut-être qu’Angelus avait changé de tactique. Et s’il avait décidé de lever une armée pour l’aider à venir à bout de sa tâche ? Non, pensa-t-elle. Il ne laisserait cette mission à personne d’autre. Elle se sentait si lasse. Quel contraste entre ses sombres pensées et la sérénité de cette nuit de printemps ! C’était bizarre. Pire : c’était injuste. Certes, Buffy avait beaucoup mûri, ces dernières années, alors qu’elle portait toute la misère du monde sur ses épaules… Mais au plus profond d’elle résonnait toujours un cri de révolte. Ce n’est pas juste ! Grace avait pardonné à James de les avoir tués lorsqu’elle avait tenté de mettre fin à leur relation. Lorsque l’heure serait venue pour Buffy de tuer Angel, il était évident qu’aucun jury au monde ne condamnerait son geste. Néanmoins, la question du pardon continuait de la tarauder. Devait-elle absoudre Angel avant de l’exécuter ? Était-ce la seule 16


Cauchemar à Sunnydale façon pour elle de trouver la paix ? En avait-elle seulement la force ? Et surtout : pourrait-elle se pardonner à elle-même ? C’était injuste. Malheureusement, la vie d’une Tueuse était injuste par définition. Contrairement à Buffy, Josh Grodin avait déjà fini tous ses devoirs du week-end. Et heureusement. Car cet élève de première année au lycée de Sunnydale était assis depuis des heures en tailleur sur le sol. À l’intérieur d’un cercle tracé avec son propre sang, il incantait à la lumière de bougies. En d’autres termes, il était exténué, en nage et pas d’humeur à s’attaquer à des problèmes d’algèbre. Josh était en train d’invoquer un démon. En tout cas, il essayait. Il avait distribué des journaux pendant six mois pour économiser l’argent nécessaire à l’acquisition des excréments de cafard, des yeux de triton, des racines d’Idiliae Urticae et des autres étranges ingrédients nécessaires à l’élaboration du sortilège. Heureusement, il n’avait pas eu besoin d’acheter l’un des grimoires proposés par cette petite échoppe de magie toute décatie, perdue dans les bas-fonds de Sunnydale. Sinon, il aurait dû patienter encore un an avant de s’atteler à la tâche. Contre toute attente, il avait trouvé l’ouvrage en question à la bibliothèque du lycée, entre deux manuels scolaires, lors d’une recherche sur la poésie américaine du xxe siècle. Il n’avait même pas eu besoin de l’emprunter. Le livre ne portait aucun tampon d’emprunt et sur sa page de garde figurait une mention manuscrite stipulant qu’il appartenait à M. Giles, le bibliothécaire anglais vieille école qui officiait dans l’établissement. C’est l’occasion qui fait le larron : Josh se considérait comme quelqu’un d’honnête, mais il n’avait pas hésité une seconde. Il avait aussitôt fourré le grimoire dans son sac à dos. Il s’était dit après-coup que l’année précédente, il n’aurait jamais envisagé de voler un objet appartenant au lycée. Ni à son bibliothécaire, d’ailleurs. Et que même si l’idée lui avait traversé l’esprit à l’époque, il n’aurait probablement jamais eu le courage de la mettre à exécution. 17


Buffy Mais tout était différent, à ce moment-là. Josh était alors un élève assidu, bien entouré, et un attaquant prometteur au sein de l’équipe locale de football. Son père travaillait à temps plein comme assistant plombier et sa mère était encore en vie. Trois mois après qu’on eut diagnostiqué son cancer, elle n’occupait déjà plus la même place dans la vie de son fils : elle était à peine l’ombre d’elle-même. Semaine après semaine – une éternité –, Josh s’était isolé le soir dans sa chambre pour pleurer, tandis que sa mère luttait contre la mort. Il gardait de cette période le souvenir d’un cauchemar nébuleux. Sur le moment, il avait cru vivre l’enfer. Mais depuis son décès, il avait découvert avec horreur d’innombrables déclinaisons infernales. Et la disparition de celle qui lui avait donné la vie ne constituait finalement qu’une première étape. Son père, Robert, avait encore moins bien supporté l’épreuve que lui. Du vivant de sa femme, il avait toujours eu tendance à descendre quelques bières de trop en compagnie de ses collègues. Depuis, c’était devenu un rituel quotidien. Il commençait par une bouteille de bière, avant de s’attaquer au pack tout entier et de poursuivre avec des breuvages plus corsés jusqu’au petit matin, où il sombrait dans l’inconscience. Ensuite, il se réveillait en milieu de matinée, juste à temps pour s’approvisionner en alcool à la boutique la plus proche. Puis, peu après midi, le cercle vicieux recommençait. Josh était anéanti lorsqu’il voyait son père entamer son cycle journalier. Et proprement dégoûté de le voir s’effondrer invariablement à la fin. Mais le pire, c’était entre les deux, lorsque Josh rentrait de l’école ou du sport. Chaque fois il trouvait Robert sur le canapé, complètement abruti par l’alcool, à l’attendre pour chercher la bagarre. Au début, il avait essayé d’être patient et compréhensif, même lorsque les agressions verbales se transformaient en bousculades, voire en paires de gifles. Il se disait que son père devait se sentir aussi triste que lui, que ce n’était qu’une phase. Mais au fil des mois, Josh avait dû se rendre à l’évidence. Il avait perdu ses deux parents. Le monstre qui rôdait chez lui, vêtu du vieux pyjama de son père, n’avait plus rien en commun avec l’homme qui l’avait élevé. 18


Cauchemar à Sunnydale Josh était seul et sans défense. Il ne savait pas vers qui se tourner. L’infirmière de l’école ne lui posait jamais de questions lorsqu’il prétendait s’être cassé le bras en tombant de son skateboard, ou avoir récolté son œil au beurre noir à l’occasion d’une passe malheureuse. Il avait besoin d’aide. Et ses prières avaient été exaucées. Il avait trouvé, par hasard, un grimoire poussiéreux contenant une ancienne incantation permettant d’invoquer l’esprit d’un démon appelé Hector. Ce dernier était censé protéger son invocateur, et ce jusqu’à la fin des temps. Josh espérait sincèrement qu’il ne faudrait pas attendre une telle échéance avant que son père saisisse le message. Deux ou trois empoignades avec Hector suffiraient sûrement à lui faire comprendre qu’il devait se ressaisir, que son fils n’était pas un punching-ball. Peut-être partirait-il, tout simplement ? Josh préférait ne pas trop penser à l’avenir. Il s’imaginait déjà ne se nourrissant plus que de céréales et de plateaux-télé. De toute façon, ça ne pouvait pas être pire que ce qu’il vivait actuellement. Il devait se concentrer sur Hector. Pour le reste, il aviserait le moment venu. Malheureusement, son invocation durait depuis près de cinq heures, et il n’y avait toujours aucun signe d’Hector. Josh avait envie de vérifier dans le grimoire. Ouvert à la bonne page, il était posé sur son lit, à quelques dizaines de centimètres de lui. Mais en tendant la main, il aurait rompu le cercle, et il était justement spécifié qu’il ne fallait jamais prendre ce risque une fois l’incantation entamée. Il n’avait vraiment pas envie de recommencer à zéro. Sans compter qu’il n’en aurait probablement jamais la force. Peut-être le sang recueilli en s’ouvrant une veine pour le répandre sur le sol n’était-il pas assez riche pour invoquer un démon ? D’ailleurs, il avait déjà complètement séché. Il se résigna à continuer. Concentré, il espérait formuler correctement le sortilège. Les mots ressemblaient à du latin, mais ils étaient quasiment imprononçables. C’est alors qu’il entendit son père, au bout du couloir. — Josh ? L’appel fut suivi du bruit des portes des meubles de la cuisine, qu’on ouvrait et fermait brusquement. 19


Buffy — Mais c’est pas vrai ! Josh ! Des pas lourds martelèrent le plancher. Puis résonna le grognement de colère inintelligible que son père émettait systématiquement lorsqu’il avait descendu prématurément toutes les bouteilles d’alcool – de la bibine bon marché – qu’il avait récoltées lors de sa razzia matinale à la supérette. — T’es où ? Avec un peu de chance, Robert oublierait qu’on était dimanche et que Josh était censé être à la maison. Mieux : il pourrait trébucher entre la cuisine et la chambre de son fils, s’assommer et rester inconscient quelques heures. Josh s’efforça de rester calme et d’écarter ses idées noires. Il reprit son incantation. Sa voix devenait plus aiguë à mesure que la peur l’envahissait, mais ça lui était égal. Sa seule chance résidait probablement dans l’apparition d’Hector. Si le démon ne débarquait pas au plus vite, le garçon ne jurait plus de rien. Soudain, il remarqua un changement presque imperceptible. La température baissa sensiblement. Peut-être était-ce le fruit de son imagination ? D’un seul coup, le cierge noir qu’il tenait entre les mains s’éteignit. Puis les autres bougies. Il sentit un élan d’excitation le parcourir. Une petite lueur apparut à hauteur de ses yeux et se dirigea vers lui. Elle se mit à scintiller plus fort et soudain la maison sembla trembler sur ses fondations. Ce qui ressemblait à un tremblement de terre ne dura qu’une fraction de seconde. Ensuite, dans les ténèbres glaciales, Josh crut entendre une voix, aux antipodes de celle qu’il avait imaginée. — Joshua, dit-elle tout bas, mais d’un ton presque tendre. Es-tu là, mon petit ? Le plafonnier s’alluma. Josh se retourna pour faire face à la porte. Sur le seuil, il aperçut une petite femme aux cheveux blancs, vêtue d’une robe à fleurs rose dotée d’un col en dentelles, et d’une paire de chaussures confortables. Elle avait la main posée sur l’interrupteur. — Ah. Te voilà, dit-elle avec gentillesse. Lève-toi et va chercher une serpillière. Les traces de sang sont tenaces. Il ne faudrait pas qu’elles s’incrustent. 20


Cauchemar à Sunnydale Josh s’était attendu à être terrifié par l’apparition d’Hector. La vue de cette femme inconnue n’était pas spécialement effrayante. Toutefois, malgré son attitude de grand-mère débonnaire, sa présence impromptue et le fait qu’elle soit tout à fait au courant de ses agissements suffirent à le clouer au sol. — Eh bien ? Qu’est-ce que tu attends ? s’enquit-elle d’un ton légèrement plus sec. Josh retrouva enfin sa langue. — Qui êtes-vous ? — Paulina, mon cœur. Mais tous mes amis m’appellent Polly. — Je croyais… Enfin, je ne voudrais pas vous froisser, mais… Il devait choisir ses mots avec soin. — En fait, c’est Hector que j’essayais de contacter, avoua-t-il. — Oh ! Ça fait des années qu’Hector ne s’occupe plus de protection rapprochée. Je crois savoir qu’il passe le plus clair de son temps dans une adorable dimension peuplée de crevettes. Ou peut-être s’agit-il de celle où il n’y a aucune crevette, justement. On s’y perd, tu sais… — M-mais, bégaya Josh. Il ne savait pas comment commencer – et encore moins finir – la phrase se formant sur ses lèvres. — Comment allez-vous… Il hésita. — Te protéger ? devina Polly en arborant un large sourire plutôt dérangeant. Ne t’occupe pas de ça, Josh. Contente-toi de nettoyer ta chambre, veux-tu ? Le garçon se remit debout. Il n’aurait pas su expliquer pourquoi, mais quelque chose, dans le comportement autoritaire de Polly, l’incitait à ne pas la contrarier. Elle n’était sûrement pas le démon le plus effrayant du voisinage, mais autant ne pas prendre de risques. Les chiffons et le détergent se trouvaient dans la cuisine. Il s’arrêta avant de passer le seuil. Et s’il croisait son père en chemin ? Polly chantonnait tout en inspectant son étagère et son bureau pour vérifier s’il avait fait la poussière. — Et ne t’inquiète pas pour ton père, lui lança-t-elle abruptement, comme si elle avait lu dans ses pensées. Il ne nous embêtera plus. 21


Buffy — Qu’est-ce que vous lui avez fait ? demanda Josh avec nervosité. — Ce que tu voulais, répondit-elle. Le garçon tressaillit, mais il réprima sa frayeur. — Ah bon ? OK. Merci. — Je t’en prie, rétorqua Polly, mielleuse. Lorsque tu seras revenu, je te parlerai de la petite faveur que j’attends en retour. Josh n’aurait su dire pourquoi, mais à ces mots, une terreur sourde l’envahit. Il ouvrit la porte et inspecta le couloir du regard. Aucun signe de son père. Si seulement c’était Hector qui avait répondu à son appel ! L’illustration le représentant dans le livre était terrifiante, mais le garçon pressentait confusément qu’il aurait mieux valu affronter une centaine d’esprits comme Hector qu’une seule Polly. Drusilla n’arrivait pas à dormir. La soirée avait été longue. Elle vivait à Sunnydale depuis plusieurs mois déjà, mais elle ne se lassait pas d’y chasser. À la réflexion, peut-être y prenait-elle particulièrement plaisir depuis le retour d’Angelus ? Elle s’était toujours sentie très proche de lui, chose fréquente entre un vampire et son créateur. Néanmoins, leur intimité allait au-delà. Il ne chassait jamais – ou si rarement ! – pour satisfaire ses besoins. Il ne jetait jamais son dévolu sur le premier badaud venu. Non, Angelus avait élevé cette fonction biologique triviale au rang de discipline artistique. À cet égard, les dernières nuits avaient été particulièrement époustouflantes. Pauvre Angelus. Il avait été souillé. L’amour avait possédé son corps, et il était bien décidé à purifier son être, à le laver de toute trace de cette émotion répugnante. Drusilla s’était dit que le nouveau-né qu’il avait arraché aux bras de cette mère harassée, à la gare routière, suffirait à satisfaire son besoin viscéral de se purger dans le sang. Mais chaque nuit, ses appétits aussi macabres que pervers semblaient encore plus insatiables que la veille. Même Dru avait du mal à suivre le rythme. Cette surenchère était terriblement excitante. Toutefois, ce n’était pas la seule raison de son agitation. Un désir enfoui, qu’elle n’arrivait pas à formuler, la troublait profondément. Si elle s’en ouvrait à Angelus, ou à Spike, son amant de toujours, ils parviendraient peut-être à l’apaiser, mais elle en doutait. Ils avaient beau 22


Cauchemar à Sunnydale l’adorer, ils trouveraient sûrement ses pensées indécentes. Pourtant, il ne se passait pas une seconde sans qu’elle caresse cette idée… Tout avait commencé lorsqu’ils avaient quitté l’usine pour emménager dans ce manoir abandonné, en périphérie de Sunnydale, leur nouvelle maison. Depuis, ils avaient effectué le plus gros des travaux de rénovation. Quand ils ne prenaient pas des bains de lune dans la cour intérieure, ils passaient le plus clair de leur temps dans le gigantesque salon, doté d’une splendide et vaste cheminée. Néanmoins, la pièce préférée de Drusilla restait la monumentale chambre à coucher du rez-de-chaussée, qu’elle avait aménagée en y faisant installer d’épais rideaux rouges en velours ainsi qu’un lit à baldaquin massif, datant du xviiie siècle. Peu après leur arrivée, elle s’était aventurée au premier étage de l’aile orientale. Au-delà des trois chambres à coucher spacieuses qui s’y trouvaient, elle avait découvert, à sa grande surprise, une salle de jeux au bout du couloir. Elle fleurait encore bon les enfants auxquels elle était destinée. La saveur de ces longues heures de bonheur passées à jouer lui avait donné la nausée, mais une sorte d’excitation l’avait gagnée. Dès son entrée dans la pièce bariolée, elle s’était demandé si ses anciens occupants avaient eu conscience de leur chance de disposer d’un tel endroit. Si seulement les gamins y étaient encore ! Elle se serait jetée sur eux pour mieux emplir de terreur leurs âmes minuscules, avant de leur offrir les ténèbres en guise d’ultime présent. Elle les aurait tués l’un après l’autre. C’est alors qu’une autre idée l’avait traversée. Et depuis, elle n’arrivait plus à dormir. Pourquoi n’y avait-elle jamais pensé ? Elle avait pourtant fait le tour de la planète ! Depuis qu’elle était revenue d’entre les morts, elle avait rencontré pléthore de vampires et de démons. Elle avait apprécié chaque seconde de sa nouvelle vie. Elle avait adoré s’adonner à des jeux pervers et planifier diverses conquêtes en compagnie de ses chers Spike et Angelus. Tous trois étaient unis par un lien profond, dont aucun être vivant ne pourrait jamais saisir la noirceur, ni la richesse. Elle était comblée. Néanmoins, aucun de ses deux compagnons n’avait véritablement besoin d’elle. Les enfants pour 23


Buffy lesquels on avait prévu cette chambre avaient entièrement dépendu de leurs parents. De leurs frères et sœurs. Drusilla avait été désirée de son vivant et adulée une fois morte. Mais personne n’avait jamais eu besoin d’elle. Il n’y avait qu’une seule façon de pallier ce manque. Ce désir, aussi terrifiant soit-il, la rongeait littéralement. La répulsion qu’elle avait à y penser valait en soi la peine qu’on l’explore. Au plus profond de son cœur meurtri, Drusilla avait envie qu’on l’aime comme jamais Spike et Angel ne l’avaient aimée. Elle voulait un enfant.


Chapitre 2

B

uffy était une fervente partisane du week-end prolongé. D’ailleurs, si quelqu’un avait décrété qu’il devait durer trois, quatre, voire cinq jours, elle n’aurait émis aucune objection. Ce serait même sûrement la première loi qu’elle édicterait en tant que maîtresse du monde. L’heure de gloire n’étant pas encore venue, elle se contenta de partager la liesse de ses camarades lorsqu’elle apprit la bonne nouvelle : les cours ne reprendraient que lundi après-midi. On leur faisait grâce du matin. C’était un miracle. À choisir, elle aurait préféré la paix dans le monde, mais les prodiges, ça ne courait pas les rues de Sunnydale. La Tueuse n’allait pas cracher sur celui-là. Cela dit, il paraissait bizarre d’organiser une réunion pédagogique à la veille des grandes vacances. Le ravalement de façade paranormal dont le lycée avait fait les frais la semaine précédente y était sûrement pour quelque chose. Non contents d’avoir possédé Buffy et Angel, des spectres avaient mis l’école sens dessus dessous. Certes, le bâtiment avait déjà été le théâtre de nombreuses mésaventures. Mais cette fois, les monstres de casier, sables mouvants d’escaliers et autres nuées de guêpes aux proportions bibliques avaient été d’une tout autre ampleur. Un proviseur dévoré par une bande d’élèves-hyènes – pour ne citer que cet exemple – ça laisse nettement moins de traces. Parfois, Buffy appréciait le pouvoir dont on l’avait investie et combattait avec un certain enthousiasme les démons infestant le monde des hommes. Mais la plupart du temps, lorsqu’elle voyait les autres adolescents se prélasser sur la pelouse au soleil, en discutant des films qu’ils avaient vus le week-end, elle enviait leur insouciance. 25


Buffy Elle n’avait qu’un vague souvenir de sa vie d’avant, lorsqu’elle croyait encore en un monde rationnel où il suffisait d’un sourire et d’un verre de lait chaud pour repousser les monstres du placard. Un monde où une fille de son âge se demanderait quel vernis acheter pour être à la mode au printemps, plutôt que quel détachant viendrait à bout des traces de sang de démon maculant son débardeur préféré. Malheureusement, l’Élue n’avait pas son mot à dire. Lorsqu’on l’avait désignée, personne ne lui avait demandé son avis. Toutefois, avec le recul, elle ne savait pas ce qu’elle aurait répondu si ses « électeurs » avaient pris la peine de la consulter. Maigre consolation : elle n’était pas la seule élève du lycée à savoir que les histoires de bonne femme avaient un fond de vérité et que le monde était peuplé de créatures répugnantes. Apercevant d’ailleurs Willow Rosenberg sur le canapé de l’espace détente, Buffy traversa à toute vitesse le couloir bondé – c’était l’heure de pointe – pour prendre place à côté d’elle. Comme d’habitude, la jeune fille, rousse et menue, avait le nez plongé dans un livre. — Oh ! C’est comme ça que ça marche, les bouquins ? demanda Buffy en posant sa pile d’ouvrages scolaires sur la table. Il faut les ouvrir pour trouver le cadeau surprise ? — Salut Buffy ! répondit Willow sans lever les yeux. Légèrement vexée, la Tueuse dévisagea son amie. Willow était de loin la personne la plus intelligente qu’elle ait jamais rencontrée, mais elle n’enfonçait jamais les élèves moins doués qu’elle. Pourtant, si Buffy – qui faisait partie de cette catégorie – avait tout de suite sympathisé avec elle, ce n’était pas seulement pour éviter d’échouer au lycée dès son arrivée. C’était avant tout pour la générosité et la profonde gentillesse de Willow. Cerise sur le gâteau – Buffy ne s’en doutait pas encore à l’époque – son apparence de nerd fragile, qui lui avait valu tant de brimades, cachait un courage et une énergie hors du commun. Certes, Willow était une jeune fille sensible – elle avait la phobie des grenouilles, par exemple – mais c’était un membre indispensable de leur équipe de choc. Non seulement elle était d’une fidélité à toute épreuve, même lors des combats les plus difficiles, mais son soutien 26


Cauchemar à Sunnydale moral était inestimable. Quant à ses talents naturels de détective, ils s’étaient souvent avérés décisifs. Autant de raisons qui rendaient totalement déconcertant le comportement de Willow ce matin-là. Buffy décida d’aborder un sujet de conversation qui ne pourrait qu’enthousiasmer son amie, même dans cet état. — C’était bien, votre réunion pédagogique ? Tes collègues t’ont enfin investie du pouvoir de donner des retenues ? — Quoi ? Oh. Oui, bien sûr, répondit Willow. Elle ne l’avait pas écoutée. — OK, Willow. Qu’est-ce qui te chiffonne ? l’interrogea Buffy, d’un ton légèrement plus sec. Les cours vont commencer. La journée est certes un peu tronquée, mais en général, au pays de Willow, on fait la fête en début de semaine ! — Désolée, rétorqua Willow en fermant son livre. Elle gratifia Buffy d’un sourire las. La Tueuse regretta aussitôt d’avoir amorcé cette conversation. Willow semblait vraiment aimer enseigner l’informatique. Mais si elle avait accepté ce poste de remplaçante, c’était uniquement pour pallier l’absence de l’enseignante en titre, Jenny Calendar, assassinée dans la fleur de l’âge. Celle qui avait su charmer M. Giles – l’Observateur de Buffy – s’était révélée être une espionne gitane envoyée par les siens pour surveiller Angel. Dans un élan de maturité précoce, Buffy avait fait la paix avec elle. Après tout, l’enseignante ne s’était pas contentée de fréquenter Giles. Elle avait aussi aidé la Tueuse à surmonter des obstacles de toutes sortes, par pure bonté de cœur. Malheureusement, ça ne l’avait pas empêchée de se faire brutalement briser la nuque par Angel. Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis le meurtre, mais l’absence de la jeune femme était encore une blessure très vive pour ses proches – Giles et Willow en particulier. — Non, c’est ma faute, reprit Buffy. Ce n’était pas drôle. — Si, si ! Enfin… C’est l’intention qui compte. Mais je n’ai pas pu y aller, en fait. — Ah bon ? Qu’est-ce qui s’est passé ? — Oh… rien, hésita Willow. 27


Buffy — Je lis en toi comme dans un livre ouvert, Willow. Je connais la tête que tu fais quand il n’y a « rien ». Là, c’est la tête de quand il y a « problème ». Ou plutôt : “J’ai un problème, mais je suis sûre que Buffy s’en contrefiche.” J’ai raison ? — Ce n’est pas grave du tout, expliqua Willow. Ma mère a fait un grand nettoyage de printemps et elle a trouvé le crucifix qu’on a cloué au mur de ma chambre pour empêcher Angel d’entrer. — Oh. Ça ne présageait rien de bon. — Donc on a parlé, elle a pleuré et elle a fini par appeler le numéro d’urgence « SOS rabbin ». — Et ? — Et ils veulent m’envoyer dans un kibboutz cet été. Mais je suis sûre que je vais pouvoir y échapper. Si ça se trouve, Giles connaît un sortilège adéquat ! Les traits de la jeune fille s’illuminèrent légèrement. — Je suis désolée, s’excusa Buffy avec empressement. C’est ma faute. — Mais pas du tout ! rétorqua Willow sur un ton de défi. J’ai invité Angel dans ma chambre toute seule comme une grande ! — Tu n’avais aucune raison de ne pas le faire, à l’époque ! — Et toi, tu ne pouvais pas prévoir que ça tournerait au vinaigre ! insista Willow. Mais je ne voulais pas t’en parler. Tu as d’autres chats à fouetter. Il n’y a pas mort d’homme. Elle s’efforça de sourire. — En plus, tu as raison. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle semaine pleine de promesses au lycée de Sunnydale ! Quel drame pourrait bien se produire ? — Ce n’est pas une vraie question, si ? — Non. D’ailleurs, je retire ce que j’ai dit, répliqua Willow, songeuse. Leurs rêveries furent interrompues par les hurlements de Snyder, qui s’époumonait dans le couloir. — Qui a fait ça ? criait le proviseur. Ça ne me fait pas rire ! C’est un acte de vandalisme ! 28


Cauchemar à Sunnydale Les deux amies se tournèrent vers lui. L’espèce de troll qui dirigeait l’établissement depuis le printemps dernier arrêtait tous les groupes d’élèves qu’il croisait pour fouiller leurs sacs. Non sans distribuer des retenues aux adolescents suffisamment téméraires pour esquisser un sourire en coin. — Tiens, tiens… Notre cher proviseur se serait-il levé du pied gauche, ce matin ? Buffy était hilare. Elle détestait Snyder. Depuis qu’il était arrivé, il n’avait eu de cesse de la traiter comme une dangereuse délinquante. Il avait été très clair sur ses intentions : à la moindre provocation, il se ferait un plaisir un plaisir de la renvoyer du lycée. — Oh, c’est trop mignon ! s’exclama Willow en désignant le proviseur. La jeune fille souriait franchement. Son premier sourire de la journée. — Je rêve ou tu as associé le mot « mignon » à Snyder ? demanda Buffy, stupéfaite, en suivant le regard de son amie. Elle repéra aussitôt l’anomalie. Le proviseur n’avait qu’une seule chaussure. Son pied gauche était enveloppé dans une chaussette en laine rose à losanges. Connaissant le sens de la mode bien particulier de Willow, Buffy comprit instantanément sa réaction. — Bon, on rigole, on rigole, mais il faut absolument que je voie Giles avant le début des cours. Buffy se leva et reprit ses livres. — Il y a un problème ? s’enquit Willow en reprenant son sérieux. Comment s’est passé le week-end, d’ailleurs ? — La routine habituelle, répondit Buffy. Elles se dirigèrent vers le couloir principal en prenant garde d’éviter Snyder. — J’ai traîné au centre commercial et maté deux ou trois films, je me suis fait les ongles… Oh ! Et maman m’a acheté ce super sac. Tu sais ? Celui que je veux depuis hyper longtemps ? — C’est vrai ? demanda Willow, visiblement sceptique. — Tout à fait. Dans le remake de ma vie version Walt Disney. Non, sérieusement, nos amis les morts se sont réveillés en forme. 29


Buffy Et nombreux. J’ai cassé les deux seuls ongles qui me restaient en pulvérisant un petit nouveau appelé Brower. Il n’avait rien dans les bras, mais il était rapide. — Oh, émit Willow avec tristesse. Conrad Brower ? — Je crois. Buffy n’arrivait pas bien à se rappeler le prénom gravé sur la pierre tombale. — C’était mon ophtalmo. — Tu n’as pas de lunettes. Pourquoi tu allais chez l’ophtalmo ? — C’est important, les yeux, riposta Willow. Il faut faire un bilan tous les ans. En plus, il avait des super sucettes au caramel. Elles étaient presque arrivées à la bibliothèque – et Willow dissertait encore sur la difficulté de trouver du bon caramel – lorsque Giles émergea de son antre livresque par la porte à double battant qui le protégeait du reste du lycée. Le bibliothécaire, un inconditionnel du tweed, avait été assigné à la garde de Buffy par le conseil des Observateurs, situé en Angleterre. Depuis, il la formait et la conseillait. — Oh, bonjour Buffy. Bonjour Willow, leur lança-t-il avec la plus grande politesse. — Salut Giles ! s’exclama Willow, qui avait retrouvé sa jovialité. — Je voulais justement vous voir, poursuivit-il. — Faites-moi plaisir : allez droit au but, répliqua Buffy. Qui essaie de détruire le monde, cette semaine ? — Oh, personne à ma connaissance, répondit Giles d’un ton neutre. — Vous rigolez ? Buffy sentait l’espoir l’envahir. — Pas le moins du monde. Tout semble calme aux alentours de la Bouche de l’Enfer. Pour le moment, du moins. — J’adore quand vous parlez comme ça. Avec un peu de chance, j’arriverai même à assister à un cours ou deux. — Tout à fait. J’avoue néanmoins être troublé par un avis de recherche paru ce week-end. — C’était trop beau pour être vrai. — Cette disparition n’a probablement rien à voir avec une activité démoniaque quelconque, mais sait-on jamais… Il s’agit d’une fillette 30


Cauchemar à Sunnydale de huit ans. Callie McKay. Elle a été vue pour la dernière fois au parc. Ses parents sont morts d’inquiétude. — C’est vraiment triste, mais à moins qu’un démon l’ait enlevée, ce n’est pas mon problème. Je veux dire : il faut bien que la police de Sunnydale bosse un peu de temps en temps, non ? — Certainement. — Bon, ben c’est pas tout ça, conclut Buffy. J’ai un exam de chimie à rater. Pour une fois, Buffy rentra directement chez elle après les cours. Willow avait l’interdiction formelle de traîner au lycée. Quant à Alex, son autre meilleur ami, il avait rendu publique sa relation amoureuse avec Cordelia, leur ennemie intime. Et Buffy n’avait aucune envie de les voir ensemble. Plutôt se pendre ! Quand elle entra dans la cuisine pour se préparer un casse-croûte, elle tomba sur sa mère. Assise au comptoir, Joyce agitait le pied avec impatience et affichait un air soucieux. — Salut maman ! lança Buffy, stupéfaite – et un peu inquiète, à vrai dire – de la voir de retour de si bonne heure. Parfois, elle regrettait que l’invisibilité ne fasse pas partie de ses super pouvoirs. Mme Summers dirigeait une galerie d’art. En bonne entrepreneuse soucieuse de ses affaires, elle ne rentrait jamais avant le dîner. Sauf cas de force majeure. — Tu ne devrais pas être en mode : « Je tiens ma galerie d’art », à cette heure-ci ? s’enquit Buffy en ouvrant le frigo. — Si, mais j’ai choisi d’avoir une fille et de passer en mode « mère » à la place, riposta Joyce. Oh-oh, pensa l’adolescente. — Monsieur Snyder m’a appelée au travail, aujourd’hui, expliqua sa mère d’un ton maussade. — Ce n’est pas moi qui lui ai piqué sa chaussure ! s’empressa de rétorquer Buffy. — Quoi ? — Rien, rien. Qu’est-ce qu’il voulait ? 31


Buffy — Il m’a demandé si tu étais au courant que les examens approchaient. — Euh… Il y a eu une vague de vols de calendriers ? Les cours se terminent dans trois semaines ! Tout le monde sait que les exams approchent ! — Il voulait aussi me rappeler que tu avais à peine la moyenne en histoire et en littérature et que tu allais probablement échouer en chimie. Donc, d’après ses pronostics, à moins que tu ne décroches des notes qu’il estime hors de ta portée, tu devras finir ton lycée ailleurs. Tu seras obligée de redoubler dans un autre établissement. Ce n’était pas la première fois que sa mère lui reprochait ses notes. Buffy n’avait jamais eu de résultats spectaculaires, mais pas au point d’alarmer ses parents… jusqu’à ce qu’on la destine à tuer des vampires. Il fallait regarder la triste réalité en face : quand on passe son temps à sauver le monde, on en a moins pour faire ses devoirs. Ces dernières années, Buffy avait beau s’investir dans ses études, ça ne suffisait pas. Mais Joyce ignorait que sa fille était l’Élue. Comment pouvait-elle comprendre que sa présence en classe relevait déjà du miracle ? Buffy poussa un profond soupir et regarda sa mère de son air le plus décidé. — Pas de soucis, maman. Willow et moi, on bosse énormément, en ce moment. Si je réussis l’exam de chimie, j’ai déjà la moitié de mes points. Et je m’entraîne à faire des dissertations. Joyce secoua la tête. — Je ne sais pas ce que tu fabriques avec Willow, mais vous ne devez pas travailler beaucoup. Vous passez soi-disant des heures à réviser à la bibliothèque ou chez elle, et pourtant… Sa mère se fourvoyait complètement. Malheureusement, Buffy ne pouvait pas lui expliquer que l’expression : « On va réviser » était un code à destination des parents pour dissimuler leurs activités de chasse aux vampires. Quant à la bibliothèque, elle y passait effectivement le plus clair de son temps. Mais quand elle n’affûtait pas ses pouvoirs de Tueuse, elle consultait de vieux grimoires poussiéreux pour s’informer sur la dernière créature en date à avoir décidé d’anéantir Sunnydale. À son grand regret, elle n’aurait jamais d’interro sur l’histoire des 32


Cauchemar à Sunnydale anciens vampires, ni sur la reproduction des mantes religieuses, ni sur le processus de ponte chez les démons bézoards. Dans ces disciplines-là, Buffy avait déjà majoré haut la main. Malheureusement, ça n’apparaîtrait jamais sur son bulletin. Inutile de compter dessus pour relever sa moyenne ! Tandis que Buffy se lamentait sur son sort, Joyce poursuivit. — Monsieur Snyder m’a donc annoncé qu’il t’avait mise sur une liste spéciale. — Il me déteste, fit-elle remarquer. C’était la stricte vérité. — Quoi qu’il en soit, il a communiqué tes résultats au conseil d’établissement, et ils ont suggéré que tu prennes des cours particuliers. — Mais, maman ! geignit Buffy. — Tu devras voir un professeur quatre fois par semaine jusqu’aux examens, l’interrompit Joyce. Elle n’avait pas l’air disposée à discuter. — À partir de quand ? s’enquit la jeune fille, visiblement consternée. — À partir de maintenant, répondit sa mère d’un ton ferme. Ce soir, Buffy avait prévu d’aller au Bronze et d’enchaîner sur une ou deux patrouilles dans les cimetières des environs pour éviter que les vampires s’éclatent sans elle. Mais le regard de Joyce était éloquent. Buffy n’y couperait pas. Si son existence était plus ou moins supportable, c’était en grande partie grâce à sa mère, qui acceptait ses excentricités sans poser trop de questions. Depuis que Buffy avait été expulsée de son premier lycée pour avoir incendié le gymnase – infesté de vampires – Joyce avait rempli ses étagères d’ouvrages sur le comportement des adolescents. Et ils disaient tous la même chose : il fallait les laisser respirer et essayer de se mettre à leur place. Jusque-là, Mme Summers avait été très compréhensive, mais il y avait une limite à ne pas dépasser. Buffy en était bien consciente. Elle décida donc de jouer la carte « fille exemplaire » et se contenta d’acquiescer. — D’accord, ça marche. Merci maman. Quelques heures plus tard – et après plusieurs coups de téléphone aussi inutiles que désespérés à Willow, à Alex, et même à Giles –, 33


Buffy Buffy entendit retentir la sonnette d’entrée. Le cœur lourd, elle descendit l’escalier, prête à affronter son destin. Lorsqu’elle vit son professeur, elle tomba des nues. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années. Ses cheveux bruns légèrement en bataille contrastaient avec ses yeux, d’un vert exceptionnel. — Bonsoir, madame Summers, dit-il poliment en serrant la main de Joyce. Je suis Todd Harter. Le professeur particulier de Buffy. — Enchantée, Todd, répondit Joyce d’une voix posée. Buffy se demanda si quelqu’un n’avait pas aspiré tout l’oxygène de la pièce. Ça faisait une éternité qu’elle ne s’était pas sentie aussi attirée par un garçon. En fait, non. La dernière fois que ça lui était arrivé, c’était précisément un an et demi auparavant, lorsque Angel était entré dans sa vie, tout en beauté ténébreuse et en avertissements sibyllins. Cette nuit-là, il lui avait offert un crucifix en argent. Désormais, son cœur se serrait dès qu’elle posait les yeux dessus. Heureusement, il lui suffit de penser à Angel pour rompre le charme. Elle avait aimé le vampire envers et contre tous, et elle en avait payé le prix. Personne n’avait autant souffert des conséquences de ses actes. Elle avait donc décidé plusieurs semaines auparavant de faire sienne la devise : « Plus jamais ça ». Mais elle faillit oublier ses bonnes résolutions lorsque Todd gravit quelques marches pour la rejoindre en lui décochant un sourire à se damner. — Tu dois être Buffy. Spike envisageait d’emmener sa chère et tendre Drusilla en ville – D’ailleurs, où est-elle encore passée ? – lorsque la porte s’ouvrit sur Angel. Ce dernier balança négligemment un petit maigrichon au pied du fauteuil roulant et dévisagea son comparse avec mépris. — Tiens ! J’espère que ça ne te dérange pas de manger les restes. Le corps de l’homme prostré devant Spike exhalait une odeur de sang rance. Le vampire eut un mouvement de recul, mais il ravala sa bile. Angel lui faisait toujours cet effet-là. 34


Cauchemar à Sunnydale — Il y avait une promotion sur les anorexiques, à Bloodydale ? railla-t-il. — Si ça ne te plaît pas, tu n’as qu’à aller chasser toi-même ! Angel tourna les talons et s’engouffra dans le patio. Spike savait pertinemment que l’apparente générosité d’Angel n’était qu’une façon de remuer le couteau dans la plaie. Quelques mois auparavant, Spike avait été grièvement blessé lors de l’incendie d’une église. Encore une fois, la Tueuse avait déjoué un complot ourdi avec soin. Le vampire avait concocté une cérémonie destinée à faire d’une pierre deux coups : éliminer Angel – qui avait encore son âme – et guérir Drusilla. Résultat : tout était parti en fumée et Spike avait failli y laisser sa peau. Désormais, Angel n’était plus le gentil chien-chien de la Tueuse, mais aussi incroyable que cela puisse paraître, Spike le détestait encore plus. Pourtant, à l’époque où ils ravageaient l’Europe et l’Asie tous les quatre – Angelus, Darla, Dru et lui – il n’aurait jamais imaginé que leur amitié, scellée par le sang, puisse péricliter de la sorte. Mais Angel avait changé. Ou peut-être cela venait-il de Spike lui-même ? En tout cas, son ancien ami était devenu un connard fini et Spike n’avait plus qu’une idée en tête : se débarrasser de lui. En attendant, il fallait manger. Spike donna un petit coup de pied à la forme immobile, puis la retourna du bout de sa botte. Pour sa peine, il eut droit à une odeur pestilentielle de sueur et d’alcool bon marché. Désolé : je préfère encore mourir de faim. Spike se rendit compte qu’Angel n’avait pas goûté le clodo. Et pour cause ! Le peu de sang qui lui restait dans les veines était gâté par des années de malnutrition et de mauvais vin. S’il s’était avisé d’y tremper les crocs, il aurait eu un arrière-goût tenace dans la bouche. Même s’il mettait le feu à ce pauvre hère, son tapis continuerait probablement de dégager une odeur pestilentielle. Il fut tiré de ses sombres pensées par une jolie voix en provenance de la porte d’entrée. Drusilla chantait doucement. — Les étoiles ont rendez-vous avec la lune ; les ténèbres et la nuit ne font qu’un. Spike détestait l’imaginer en train de chasser avec Angel. Je ne peux déjà pas supporter l’idée qu’ils regardent la télé ensemble. Heureusement, l’étoile de sa vie était de retour. Les pensées de Spike vagabondèrent. 35


Buffy Il rêvait déjà aux jeux aussi douloureux qu’exaltants auxquels ils se livreraient à l’aube, sitôt franchie la porte de leur chambre de maître. Quelle ne fut pas sa joie lorsqu’il aperçut sa chère et tendre ! Son long manteau noir camouflait à peine la robe écarlate qu’il lui avait trouvée lors de leur dernier séjour à Paris. Le décolleté plongeant mettait parfaitement en valeur sa peau de lait. Cette simple vision suffit à lui donner des frissons. Comme si tout cela n’était pas déjà terriblement grisant, Dru était accompagnée d’une ravissante petite fille aux boucles d’or, vêtue d’un pull rose à froufrous. La vampire guida l’enfant vers lui, d’une légère pression de ses doigts parfaitement manucurés. — Ça a l’air délicieux, mon chat, dit Spike en décochant à Drusilla un regard plein d’amour. Que me vaut cet élan de générosité ? Les gamins, c’est ton plat préféré. Ne me dis pas que tu as gardé le meilleur pour moi ! — Patience, mon chéri, répliqua Dru en se penchant pour glisser quelques mots à l’oreille de l’enfant. Spike salivait à l’idée de ce mets délicat. Il s’approcha légèrement de sa proie, mais s’arrêta net. Le visage de la petite fille venait subitement de prendre les traits d’un vampire. — Callie, susurra Dru. Dis bonjour à ton nouveau papa. — Mais c’est pas vrai, je rêve ! s’exclama Spike.


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