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le dernier oeil

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EDITO The launching of a new magazine always feels like the birth of a child. The publisher stands in for the midwife. The editor in chief overthrowns the gynaecologist. The art director supplants the paediatrician. And, finally, the editor is the one who proudly introduces his obviously almighty newborn to the world. Here is my newborn. It is now yours so please take great care of him. Blended originates from a simple question : How can language and image be associated? Working on the assumption that no image could be produced without language, I realized that visual creation only is the product of the connection between the two. Image.Language. This assessment sparked off the creation of this blog in my mind 4 years ago. Already. Then,it grew up, following the new technological trends, investigating for hours, deciphering everything, in order to always put forward talents and to hunt out those who, I am sure, will become the icons of the future. It is precisely these imagination experts that we decided to put the spolight on, with the intention of implicitely answering a fundamental question in our changing society : what’s the meaning of visual and artistic production nowadays? How about in the future ? Whether it originates in the History of photography, painting, performance, cinema, TV, or even the Internet. I am Blended’s Pygmalion. This blog introduces talents to the world, it puts together different genres while synthetizing the essential. Reunifying image and language. Combining sound and meaning. Blending statements and actions. From receiver to sender, from perception to interpretation, from instinct to instant. Blended is, in short, the result of the alliance between authors and directors. Aurélien Poirson-Atlan.

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EDITO Le lancement d’une nouvelle revue ressemble toujours à la naissance d’un enfant. L’imprimeur remplace la sage femme. Le rédacteur en chef détrône le gynécologue. Le directeur artistique supplante le pédiatre. Et le directeur de la publication finit par présenter avec fierté son nouveau né au monde, pensant évidemment que c’est le plus beau. Il est aujourd’hui entre vos mains, je vous le confie en vous demandant d’en prendre le plus grand soin. A l’origine blended est né d’une question simple, comment associer le mot à l’image ? Partant du principe qu’aucune image ne pouvait se créer sans le verbe, que la création visuelle n’était que la communion et l’articulation des deux. De ce constat un premier blog a vu le jour il y a déjà 4 ans sous la main de votre serviteur. Il a grandi au fil des évolutions numériques, des talents mis en avant, des milliers d’heures de recherches et de décryptages pour toujours dénicher celles et ceux qui, j’en prends le pari, feront les grandes images de demain. Ce sont justement ces professionnels de l’imagination que nous avons souhaité mettre en lumière. Avec en filigrane la réponse à une question fondamentale dans un monde en mutation : qu’est ce que la production visuelle et artistique aujourd’hui ? Et que sera-t-elle demain ? Qu’elle soit issue de l’histoire de la photographie, de la peinture, de la performance ou encore du cinéma, de la télévision et même d’internet. blended est un révélateur de talent qui mélange les genres en synthétisant ce qui doit être vu. La réunification entre le verbe et l’image. L’assemblage du son et du sens. La fusion du dire et du faire. Du récepteur à l’émetteur, de la perception à l’interprétation, de l’instinct à l’instant. En un mot l’alliance entre les auteurs et les réalisateurs. Aurélien Poirson-Atlan.

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SOMMAIRE

10 Jacob Sutton

52 Barnaby Roper

16 Prano Bailey Bond

56 Georgia Hudson

18 Jonathan Hopkins

58 Peter Glanz

22 Jérémie Périn

62 Sean Ellis

24 Jae Morrison

66 Mike Figgis

28 Asa Mader

68 Elizabeth Orne

35 Damien & Alexis

74 Aurélie Saada

38 Cédric Nicolas-Troyan

78 Taryn Simon

40 Santiagp & Mauricio

82 Gia Coppola

42 Giulio Musi

88 Ellen Von Unwerth

46 Peter Harton

92 Pipilotti Rist

50 Sharif Hamza

94 Emma Summerton

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Cahier De Tendance...................

Obsession....................................

Pré-Apocalypse..........................

Punk .............................................

Do.It.Yourself ................................

Récupération ..............................

Rétro .............................................

Danse ...........................................


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100 L’incroyable ballerina project 98 Ali Madhavi

172 Doug Aitken

104 Génération Fincher

175 David Bertram

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184 Lernert & Sander

Michel Hazanavicius

136 Guy Ritchie

186 Romain Chassaing

140 Andreas Gursky

188 Grant Thomas

151 Ozwald Boateng

190 Jonathan Leder

154 Mariano Vivanco

194 Alex Prager

158 Joe Wright

197 Cliff Martinez

162 Ryan Hope

198 Gonzales

166 Alexis Wanneroy

202 Keffer

168 Zaiba Jabbar

209 David Ledoux

170 Lynn Fox

220 Romain Levy

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DIRECTEUR DE LA RÉDACTION & RÉDACTEUR EN CHEF Aurélien Poirson-Atlan RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Simon Antony DIRECTEUR ARTISTIQUE Baptiste Brousse CONCEPTION GRAPHIQUE Mélinée Gerin ASSISTANT MAQUETTISTE Lucie Schweitzer ILLUSTRATEUR-DESSINATEURS

Raphaëlle Martin-Hölger, Delphine Sauvaget, Stéphane Ganneau, Amélie Warnier

COMITÉ DE RÉDACTION Simon Antony, Aurélie Didier, Zoé Sagan, François Bacon, Elivira Presley, Carole Lewis, Groucho Atlan, Nicolas Musset, Julia Courbet, Emma Turner, Paul Fitzgerald, Émilie Gandhi, Noa O vide, Titouan Perros, Jennifer Nabokov, Sylvie Char, Pierre Proust, François Sade, Je an Br umel, C laudia D ali, Cécile Artaud, Raphaël Balzac, Lea Matzneff, Leandre Harisson, André Ajar, John Perrec, Céline Chardonne, Murielle Hemingway, Jean-Louis Chopin, Maxime Aragon, Luca Vian, Diotime Degas, Pierre Stendhal, Charles Pascal, Cécile Wilde, Céline Byron, Lorrain Turner, Lou Sand, Tommy Hunter.

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(n.f) Personne qui devient rapidement connue grâce à son talent talent.

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ŠJacob Setton

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Texte - Noa Ovide

Son snowboarder de lumière, réalisé pour Nowness, a déferlé sur la toile en début d’année comme sur une piste verte. Repris sur tous les sites d’influence, la dernière création de Jacob Sutton a été l’un de ces grands succès de la culture éphémère et instantanée d’internet.

The «L.E.D. surfer» Jacob Sutton directed for Nowness created an avalanche of reactions on the Web earlier this year. Reposted by every major site, it was an instant hit on the Internet.

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This eerie silhouette of light gliding through the night sums up his work as a photographer: fantasy and movement. Of course, Jacob Sutton’s work cannot be boiled down to those simple terms. For he is a man of nuance. And as Siddhartha himself said, nuance is the way to the truth. Fantasy is at first deceptively low-key. At first sight, his photos look like a perfect reflection of reality before they take on an unsettling quality, which ends up taking over our whole perception. And the viewer finds himself staring into an abyss he initially mistook for a simple ditch.

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© Jacob Setton

Cette lumière filante, envoûtante, résume à elle-seule le travail du photographe. Le fantastique et le corps en mouvement. Encore que ces termes soient trop simples pour englober l’œuvre de Jacob Sutton. C’est que l’artiste est homme de nuances. Et comme le disait Siddhartha lui-même, cette nuance est chemin de vérité. Le fantastique pour commencer est, contre nature, discret. D’abord les photos paraissent parfaitement refléter la réalité avant de dégager un je-ne-sais-quoi de déstabilisant. Un je-ne-sais-quoi qui finit par envahir tout le champ des perceptions. Et voilà le spectateur penché au dessus d’un gouffre qu’il avait pris pour un simple affaissement.


Et le principe est le même pour la danse. Loin des clichés et des déclinaisons habituelles, chez Jacob Sutton les corps oscillent entre grâce et douleur. Entre mouvements et spasmes. Comme un chant qui pourrait être un cri. Une douleur qui devient belle. Ou l’inverse. Les histoires qui s’écrivent derrière chaque photo sont à la fois drame et comédie, union et déchirement.

Likewise, in Jacob Sutton’s dance pictures, bodies oscillate between grace and pain, miles away from the usual poses and clichés. Between movements and spasms. Like a song that could turn into a scream. A pain that becomes beauty. Or vice versa. The stories told by every photograph are both tragedies and comedies, stories of people united and torn apart.

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© Jacob Setton

Parfois, la problématique du corps est carrément effacée. Dans ce triptyque pour une marque de vêtement, Jacob Sutton pousse à son paroxysme l’inutile du corps ou peut-être l’insoutenable absence de grâce. Avec, au final, un malaise, comme si le photographe avait commis un réel meurtre. Meurtre du vide. Dans ses travaux personnels, les clichés tiennent plus de l’expérimentation que de l’œuvre artistique à proprement parler. Jacob Sutton cherche le choc, la confrontation. En un mot, la destruction. Celle des formes géométriques, trop établies, trop propres. Celle de la tranquillité. De la normalité. Avec cette question non posée, et pourtant lancinante, cet éparpillement, ce dérangement est-il une destruction ou une construction ? Et ce snowboarder de lumière, est-il un fantôme ou un ange ? Sometimes, he just does away with the body. In this triptych he shot for a clothing brand, Jacob Sutton pushes bodies’ uselessness, or maybe an unbearable lack of grace, to the limit. It leaves a feeling of uneasiness, as if the photographer had committed an actual murder. A murder of emptiness. His personal work is closer to experimentation than art per se. Jacob Sutton aims for shock, confrontation and ultimately, destruction. Destruction of geometric shapes - too clean, too traditional. Destruction of tranquillity. Destruction of normality. In the background lurks this unspoken yet relentless question: is this scattering, this disturbance a form of destruction or construction?

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lle est la représentante d’une nouvelle génération. Celle qui ose, qui s’approprie, qui détourne. Diplômée depuis peu, 2005, de la University of Arts de Londres, Prano Bailey-Bond a déjà reçu plusieurs récompenses, mais surtout, a déjà su imposer son univers. Un univers assez sombre, utilisant les codes de l’horreur. Une œuvre qui mène à un cri du cœur : cette fille est complètement folle. Oui. Et aussi complètement géniale. Comme dans ce clip de Cool Fun, House. Ou comment créer un monde fait de morbide et de sensualité pour un budget de 160£. Ses clips sont tous de mini séries noires, de brumeuses déambulations sur le pavé. On se verrait bien accompagné d’Humphrey Bogart et de Freddy Krueger. Et quand on vous dit que Prano Bailey-Bond est vraiment déjantée, c’est parce que quand le festival de Glastonbury lui commande une vidéo pour promouvoir son bar Dog Faced Geisha, elle se met elle-même en scène. Et là, on franchit les limites. Pour atterrir où ? Difficile à dire. Mais à priori, Prano si sent comme chez elle.

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he is the face of a new generation of artists who dare, who reclaim, who hijack. A recent graduate (2005) of the University of Arts of London, Prano BaileyBond has already won several awards, but more importantly, she has defined her universe. A dark universe, based on the codes of horror, which makes us want to shout out: this girl is completely mad. Indeed, a mad genius. In the video she directed for Cool Fun, House, she managed to create a world that is both morbid and sensual on a 160£ budget. Her videos are all mini films noirs, wanderings in foggy backstreets where you expect to bump into Humphrey Bogart and Freddy Kruger. When we tell you Prano Bailey-Bond is really crazy, it is because when the Glastonbury festival commissions a promotional video for its Dog Faced Geisha bar, she acts in it. And she pushes all boundaries. Where does it all lead? It’s hard to say. But Prano seems to feel perfectly at home. How do you promote a meat bar? By chewing meat and spitting it out, whilst taking transcendental

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© Prano Bailey - Bond

DARK SIDE


texte - François Bacon

Comment promouvoir un bar à viande ? En la mangeant et la recrachant, dans des postures transcendantales et hallucinées. Quand elle réalise ses propres projets, les prix et récompenses se mettent à pleuvoir. Son court métrage Short Lease est une histoire de fantôme à la réalisation superbement maîtrisée.Et qu’on ne s’y trompe pas, l’horreur et les frissons ne sont pas un sous-genre ou un genre marginal, mais une capacité à plonger les spectateurs dans un univers dans les laisser respirer. Un univers où la moindre faille, le moindre doute est interdit. Tout doit être, tout simplement parfait. Prano Bailey-Bond est aussi produite, pour ses documentaires, par une maison magnifique par son engagement et par la qualité de ses films. Soul Rebel Films. Une société de production engagée qui correspond à l’autre facette de Prano : l’intelligence mondiale.

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and psychedelic postures. When she directs her own projects, awards and accolades start raining down. Her short film Short Lease is a perfectly well directed ghost story. Horror and scary stories are not a subgenre, they can mercilessly immerse viewers in their universe, a universe where any weakness or doubt is forbidden. Everything must be just perfect. Prano Bailey-Bond’s documentaries are produced by a company renowned for its dedication and the quality of its films: Soul Rebel Films. This committed production company reflects Prano’s other side: global intelligence.

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© Jonathan Hopkins

L’ART DU DÉCALÉ

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remière Heure is proud to present Jonathan Hopkins. An unruly new talent and a master at offbeat humour, he plays with us and leads us on. To him, nothing is sacred, but his films are not devoid of innocence or beauty. He has the imagination of a child, darkened by the cynicism of an adult. Jonathan started off as an assistant director, first to Tim Burton on Charlie and the Chocolate Factory, then on Alfonso Cuaron’s Harry Potter and the Prisoner of Azkaban. After working with the best, he wants to take centre stage and directs the breathtaking short film Goodbye Mr. Snuggles in 2006. It shows Hopkins’s talent for setting the scene before destroying it gleefully, like an unruly brat. The film is awarded several prizes and

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Texte - Pierre Stendhal

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remière Heure est heureux de compter parmi ses nouveaux talents, Jonathan Hopkins. Un sale gosse qui maîtrise parfaitement l’art du contre-pied, se jouant de nous, nous menant où il veut, ne respectant rien ou pas grand-chose. Comme le tout est saupoudré d’une touche de féérie, de candeur et de beauté, on lui pardonne tout. Un heureux mariage entre le cynisme de l’adulte et le rêve de l’enfant. Jonathan débute comme assistant réalisateur. D’abord aux côtés de Tim Burton sur Charlie et la Chocolaterie, ensuite sur le tournage de Harry Potter et les Prisonniers d’Azkaban avec Alfonso Cuaron. En toute logique, après avoir travaillé avec la crème de la crème, il veut goûter à sa propre sauce. En 2006, il signe Goodbye Mr. Snuggles. Un court édifiant. Où l’on trouve


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tout ce qui fait le talent de Jonathan : la capacité à planter un décor et la sournoiserie de le renverser totalement avant la fin. On vous le dit, Jonathan est un sale gosse. Son court remporte plusieurs prix et est projeté dans les plus grands festivals du monde, dont Sundance. Evidemment, la pub le remarque et le fait travailler. Heinz, Mini, eBay, Ryder Cup, Peugeot, 118-118 et Malibu lui font confiance. De la qualité partout et même quelques pépites. En 2010, second court: One Man And His Dog. Du cinéma maîtrisé, mature et surtout ultra-contemporain. On y retrouve des touches de Tarantino, de Richie, mais aussi de la comédie française des 80’s. Tout y est, à commencer par le talent. Dans son temps libre (qui se réduit à mesure que son talent est reconnu), Jonathan Hopkins écrit son long métrage. On a hâte.

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shown in the most famous international festivals, including Sundance. He draws the attention of advertising agencies and directs commercials for Heinz, Mini, eBay, Ryder Cup, Peugeot, 118-118 and Malibu: All of them very good, some outstanding. He directs his second short film in 2010: One Man And His Dog. His direction is tight and his ultra-modern style shows the influence of Tarantino, Richie, but also 80s French comedy. He has it all. In his ever-shrinking free time, the increasingly popular Jonathan Hopkins is writing his first feature film. We are waiting with bated breath.

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© Jérémie Périn

LE SALE GOSSE

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érémie Périn est un petit génie de l’animation. Mais peut-être faut-il arrêter de dire « petit ». A 34 ans, le Nordiste n’est plus si jeune, et surtout, déjà bien expérimenté. Ce qui a fait la renommée de Jérémie Périn, c’est son clip Truckers Delight pour Flair. Une course-poursuite entre un camionneur et une pulpeuse blonde. On y trouve tout ce qui fait l’univers de Jérémie : pornographie, scatologie et humour. Dans un monde écrasé par le politiquement correct imposé par le phénomène lobbying de la fin du XXème siècle, c’est une respiration. Pour Syd Matters, son monde se fait plus poétique, plus allégorique. Pour Dye, il devient fantastique. Mais toujours, on retrouve ses dessins simplifiés, rétro, presque

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érémie Périn is a little genius in the world of animation. But maybe we should stop referring to him as «little». At 34, he’s not so young anymore and certainly not lacking in experience. The video he directed for Flairs’ Truckers Delight made Jérémie Périn famous. This story of a race between a truck driver and a buxom blonde combines all the ingredients of Jérémie’s universe: pornography, scatology and humour. In a world tamed by political correctness, it is a breath of fresh air. For Syd Matters, he creates a more poetic, more metaphorical world. For Dye, he turns to fantasy. But all his videos share the same streamlined, retro, almost nostalgic graphics, which make the irruption of blood, sperm and nudity all the more rattling. This

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Texte - Elivira Presley

nostalgiques. Ce qui surprend d’autant plus lorsque le sang, le sperme et les corps déboulent. Un paradoxe entre forme et fond qui en dit long sur l’esprit de Jérémie Périn. Un esprit d’enfant, à la fois innocent dans l’intention et responsable des pires atrocités. Comment le réalisateur réussit-il cet envoûtant amalgame ? Personne ne le sait, car « personne ne garde un secret comme un enfant » nous rappelle Victor Hugo. Aujourd’hui, Jérémie Périn est un adulte qui sait réguler le génie de l’enfant. Il plie son talent instinctif. Preuve, le générique du film Gainsbourg, vie héroïque qu’il signe pour Joann Sfar, autre génie du dessin. Selon nous, Jérémie Périn est un sale gosse. Et donc, un adulte sur qui soufflent la liberté et la création.

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dichotomy between style and subject matter is very telling: Jérémie Périn is still a child at heart, both innocent and capable of the worst atrocities. How does he pull off this mesmerizing association? Nobody knows for, as Victor Hugo used to say, «nobody can keep a secret like a child can». Today, Jérémie Périn is a grown-up who knows how to rein in childhood’s genius and master his instinctive talent. The opening credits he designed for Joann Sfar’s Gainsbourg demonstrate this. To us, Jérémie Périn is a brat and therefore a grown-up who lets liberty and creation run free.

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L’HONNÊTE

IN ALL HONESTY

Jae Morrison

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is latest film for the New Zealand Book Council has been all over the Internet. It shows the disturbing destruction of a book, in which Che Guevara’s portrait is carved. This video perfectly embodies Jae Morrison’s work: a simple yet strong idea and the ability to express it through an editing method which is both DIY and straight to the point. Based in New Zealand, Jae Morrison is first and foremost the author of one of YouTube’s most watched videos: a commercial film for Levi’s (winner of the Lion d’Argent at the 2011 Cannes film festival) illustrating men’s lewd instinct (even though not looking at beauty is a crime). The method is brilliantly simple: a tiny camera is hidden in the back pocket of a shapely young lady’s jean and films men and women doing double takes to get a glimpse of her beautiful curves. It brings to

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Texte - Titouan Perros

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on dernier film pour le New Zealand Book Council a fait le tour d’internet. La destruction difficile à supporter d’un livre, pour y graver un visage du Che Guevara. Une vidéo qui résume très bien l’œuvre de Jae Morrison, une idée simple mais forte et une capacité à l’exprimer à travers un montage d’autant plus percutant qu’il est artisanal. Basé en Nouvelle-Zélande, Jae Morrison est avant-tout l’auteur de l’une des vidéos les plus vues sur YouTube. Une publicité pour Levi’s qui a remporté le Lion d’Argent à Cannes en 2011. Ou la preuve de l’instinct lubrique des hommes (en même temps, ne pas regarder la beauté est un crime). Le procédé est tellement simple qu’il est génial. Une mini caméra placée dans la poche arrière du jean d’une beauté callipyge et des hommes et des femmes qui se tordent les cervicales pour apercevoir le graal. Ou la confirmation de


Š Jae Morrison

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la pensée de Jean-Paul Sartre : « La patrie, l’honneur, la liberté, il n’y a rien : l’univers tourne autour d’une paire de fesses, c’est tout ». Il est comme ça Jae. Il aime surprendre, tester, mettre an place des expériences auxquelles personne ne penserait. Dans sa campagne pour Vodafone, Jae Morrison donne l’impression d’ajouter l’honnêteté à ses créations. En basant son discours sur la déculpabilisation. Celle de toujours vouloir le dernier téléphone. Qu’estce que le neuf ? Est-ce un concept si mauvais ? Et toujours avec autant de simplicité, il convainc son monde. Pour Hallenstein Borthers, Jae a une idée tout simplement géniale : pousser l’honnêteté

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mind Jean-Paul Sartre’s quote : «Fatherland, honour, liberty – nothing matters: the world revolves around a pair of buttocks, that’s all». Morrison loves to unsettle, question and try out unexpected experiments. In his campaign for Vodafone, Jae Morrison seems to add honesty to his creations, by alleviating our guilt at buying new telephones. What is new? Is it a bad concept in and of itself? In his usual straightforward manner, he is very convincing. For Hallenstein Brothers, Morrison has a genius idea: pushing honesty to the limit. A message which definitely appeals to the so-called Y generation, who is so familiar with communication techniques that it

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instinctively rejects all its tricks. So he asks the question: why does a young man wear a suit? Simply to be handsome. And why does he want to be handsome? To seduce. So Jae seduces, that’s what he does best. Jae Morrison’s personal projects are even more artistic. They reflect on words, image, everything that makes up his work. They show an author who is questioning everything. With such hindsight and talent, there is a bright future ahead of him.

© Jae Morrison

à son paroxysme. Un message qui ne peut que plaire à cette jeune génération, souvent appelée Y, qui connaît si bien la communication qu’elle en refuse les ficelles de façon épidermique. Jae pose donc la question : pourquoi un jeune homme met-il un costume ? Pour être beau, tout simplement. Et pourquoi être beau ? Pour séduire. Alors Jae séduit. Et c’est ce qu’il fait le mieux. Les projets personnels de Jae Marrison sont encore plus artistiques. Des réflexions autour du mot, de l’image, bref, de son travail. On y ressent un créateur en permanent questionnement. Et avec un tel recul combiné à ce talent, l’avenir se déroule comme un tapis devant lui.

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ENTRETIEN

Léa Seydoux, Mélanie Laurent, Anna Mouglalis sont tombées sous le charme du réalisateur. Il les aime à sa manière, les couvant d’une caméra bienveillante. Il met en scène leurs corps, magnifie leur grâce, chorégraphie leur jeu. Il lance Benjamin Millepied avant que celui-ci devienne le fer-de-lance de cette danse qui a envahit nos écrans en 2011. Il a fait tourner et découvert les plus grandes sensibilités françaises actuelles. Pourtant Asa Mader est américain. Jeune, il quitte les États-Unis parce qu’il s’y sent comme un étranger. « Une sensibilité trop européenne. » En traversant l’Atlantique, il parcourt le chemin inverse de ses ancêtres, un siècle plus tôt. Comme beaucoup, il découvre sa passion dès son premier film d’étude. Mais si le tournage est très scolaire, l’épiphanie le frappe lors de la projection. C’est le don qui donne son sens à son futur métier. « Réaliser est un acte de générosité, il ne prend sens qu’en offrant. Asa Mader a depuis donné dans le clip et la pub. Rencontre avec un homme qui pense que la modernité c’est l’intemporalité. Léa Seydoux, Mélanie Laurent and Anna Mouglalis fell under Asa Mader’s spell. He loves them in a unique way, casting the benevolent eye of his camera on them. He stages their bodies, magnifies their grace, choreographs their acting. Mader worked with Benjamin Millepied before he spearheaded the dance revival that swept over the screens in 2011. He discovered and worked with some of today’s greatest French artists. However, Asa Mader is American. When he was younger, he left the US because he felt like a stranger in his own country. «My mindset was too European.» Crossing the Atlantic, he retraced his ancestor’s footsteps. Like many of his peers, he became passionate as soon as he shot his first thesis film. Although the shooting itself was quite unremarkable, he had an epiphany when the film was first shown. The act of giving truly gave meaning to his future career. «Directing is an act of generosity, it only makes sense through giving». Asa Mader has since directed video clips and commercial films. We talked to a man who thinks modernity lies in timelessness.

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Texte - Simon Anthony

ASA MADER


- Vous débutez en tournant en Super 8. C’est un format qui fait un grand retour et qui nourrit beaucoup de nostalgie. Qu’est-ce que ça représente pour vous ? Je viens d’une famille de peintres. Le peintre, comme l’écrivain ou le sculpteur, peut aller dans son atelier et faire son art. Le réalisateur, lui, ne peut rien faire sans impliquer beaucoup de gens. Attention, j’aime aussi cet aspect collaboratif. Mais avec le Super 8, on retrouve un peu de cette liberté de faire son art seul.

©ASA MADER

- Vous avez mis en images Marguerite Duras. La littérature est difficile à mettre en image, celle-ci plus que n’importe laquelle. Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce projet ? C’est un peu de la folie, c’est vrai. Mais la folie naît de l’innocence. Avant ce film, je ne connaissais rien de Marguerite Duras. Je n’avais vu aucun de ses films. De ses livres, je ne connaissais que La Maladie De La Mort. J’ai rencontré Anna Mouglalis, totalement par You started off shooting Super 8 films. This format is now becoming very popular again and symbolizes nostalgia. What does it mean to you? I come from a family of painters. A painter, like a writer or a sculptor, can create alone in his workshop. A filmmaker needs to involve a lot of people in his creative process. Don’t get me wrong, I love this teamwork aspect. But Super 8 gives you the freedom to create alone. You adapted Marguerite Duras to the screen. Literature is difficult to translate into film, her work more than anyone else’s. What made you want to start this project? You’re right, it’s a bit crazy. But insanity is born out of innocence. Before shooting this film, I knew nothing about Marguerite Duras. I had never seen any of her films. La Maladie De La Mort (The Malady of Death) was the only book of hers I had ever read. I met Anna Mouglalis by accident in the

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street at 3 AM. I didn’t know she was an actress. I walked up to her and asked her if she was an actress. When I called her back and heard her voice on the answering machine, I immediately thought: «I found her». I had never heard Marguerite Duras’s voice, but I was fully immersed in her universe. You could say it was all chance, but there is no such thing as chance.

- Dans tous vos films, on retrouve de la poésie. C’est volontaire ou un simple effet de la construction par l’esthétique des images ? C’est plutôt involontaire. La poésie n’est pas très à la mode. Aujourd’hui, il est plus facile d’avoir des concepts, d’être pop, d’être provocateur. Je pense que ma façon de faire des films, d’y mettre de la poésie, c’est une façon inconsciente de devenir peintre.

Poetry is a part of all your films. Is it a conscious choice or a simple consequence of your aesthetic? I don’t do it on purpose. Poetry is not very trendy. Nowadays, it is easier to have concepts, to be pop, to be controversial. I think the way I make films and inject poetry in them is an unconscious way for me to be a painter.

- La musique tient une énorme place dans vos films. Je vais donner un exemple. Un film avec des images ratées sera accepté naturellement par les spectateurs si la musique est bonne. A l’inverse, de très belles images, avec un son mauvais, que ce soit le son du film ou celui

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Music plays a big part in your films. I will give you an example. A film with bad images will be naturally accepted by viewers if the music is good. On the other hand, when beautiful images are paired with a bad sound, whether it is the film soundtrack or the theatre sound, it is impossible to enjoy a film.

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©Asa Mader

hasard, dans la rue à 3 heures du matin. Je ne savais pas qu’elle était comédienne. Je l’aborde, je lui demande si elle est actrice. Je la rappelle et c’est en entendant sa voix sur son répondeur que je me dis « c’est elle ». Pourtant, je ne connaissais pas la voix de Marguerite Duras, mais j’étais tellement imprégné de son univers. On pourrait dire que c’est un hasard, mais le hasard n’existe pas.


de la projection, ne permettent ni d’accepter, ni d’apprécier le film. - Comment venez-vous aux clips ? Je pense que c’est justement parce que je n’étais pas clippeur, que Coldplay m’a approché. Le clip est avant tout une rencontre entre artistes. Même si moi je me mets au service, c’est avant tout un échange. Après, mon objectif c’est d’embellir le morceau, c’est de le faire découvrir en amplifiant ses qualités. Avec Izia c’était pareil. Il y a une rencontre et un échange. Et c’est ce qui compte. Quand j’ai écouté la première fois le morceau d’Izia, d’abord j’ai été étonné qu’elle soit Française, et ensuite je me suis dit que c’est exactement ça le rock moderne. Ou plutôt que ça devrait être ça. Ça m’a fait penser aux Dead Weather de Jack White. - Bien avant que cela devienne une tendance, on note chez vous une sorte d’obsession de la danse. Ce qui m’intéresse c’est le mouvement. Quand j’ai commencé en photo, j’étais un frustré du mouvement. Ce qui m’y a amené, c’est encore le hasard. Un ami était en couple avec une danseuse étoile de l’opéra de New-York. Je la

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How did you come to shoot music videos? I think Coldplay approached me precisely because I am not a music video director. A video is above all things a meeting of artists. Even though I am working for them, it is mainly an exchange. Beyond that, I want to emphasize the song and magnify its qualities. It was no different with Izia. It was both a meeting and an exchange and it’s all that matters. When I first listened to her song, I was surprised she was French and then I thought that was exactly what modern rock was all about. Or at least what it should be about. It reminded me of Jack White’s Dead Weather. You seemed to be obsessed by dancing way before it became trendy. I am interested in movement. When I started photography, I was frustrated by the absence of movement. Once again, it is all down to chance. A friend of mine was partnered with a leading dancer at the New York Opera. I met her at the end of her career, she was 42. She invited me to come and film the performance, even though I had no knowledge of dancing. And when

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« Ma façon de faire des films, c’est une façon de devenir peintre. » rencontre à la fin de sa carrière, à 42 ans. Elle m’invite à venir filmer alors que je n’y connais rien. Et quand je la vois danser, je suis bluffé. Cette femme de 42 ans avait 18 ans quand elle dansait. Donc je décide de la suivre pendant quelques semaines. Et c’est comme ça que je me suis imprégné de la sphère de la danse classique. C’est un peu après que je rencontre Benjamin Millepied. Le coup de foudre artistique. Mon but c’est de comprendre le langage gestuel. Comment raconter une histoire avec le mouvement ? Mais sans réellement aller dans la danse. Une narration qui serait plus de l’ordre du mouvement du cœur. - Dans le film avec Benjamin Millepied et Mélanie Laurent, il n’y a pas le moindre dialogue. Robert Bresson disait que « l’essence de notre métier c’était de capter ce qui serait passé inaperçu. » Dans ce film, on shoote sur un toit new-yorkais, sans équipe, on ne fait qu’une prise et je capte ce quelque chose d’éphémère. Cette magie. - Dans Time Doesn’t Stand Still, il y a également tous ces ingrédients. J’ai rencontré Léa Seydoux, il y a très longtemps, avant qu’elle tourne. Et je savais

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I saw her dance, I was flabbergasted. This 42-year-old woman suddenly was 18 when she was dancing. So I decided to follow her for a few weeks. That’s how I immersed myself in the world of classical dancing. Soon afterwards, I met Benjamin Millepied, with whom I felt an immediate artistic kinship. I want to understand the language of movement. How can you tell a story through movement? But I don’t really want to get into dancing. I am interested in storytelling as a movement of the heart. There is absolutely no dialogue in the film starring Benjamin Millepied and Mélanie Laurent. Robert Bresson used to say that «the essence of our craft is to capture that which would have gone unnoticed.» We shot this film on a roof in New York, without a crew, in just one take and I captured something ephemeral. A kind of magic. Time Doesn’t Stand Still also has the same ingredients. I met Léa Seydoux a long time ago, before she worked in the film industry. I knew she would become an actress because she has this incredible aura, which was absolutely

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« La folie nait de l’innocence. »

©ASA MADER

qu’elle deviendrait actrice. Elle a ce truc incroyable. Indispensable pour ce film. Elle est capable de dire énormément de choses avec très peu. Un simple clignement d’yeux et on est captivé. - Il y a aussi dans ce film, un jeu autour de la notion de temps. Je voulais montrer une relation amoureuse comme une spirale. Parce qu’une relation amoureuse, on ne sait pas quand est-ce que ça a commencé, ni quand est-ce que ça s’est terminé. L’amour n’est pas linéaire. La question de la perception du temps est aujourd’hui dans tous mes films narratifs. Réduire ou étendre le temps, après tout, c’est le plaisir du cinéma. - Quels sont vos projets ? Je suis revenu en France pour un long métrage. Je suis en résidence d’écriture à Deauville. Je travaille en parallèle sur un documentaire sur Martin Luther King, vu à travers les yeux de son bras droit, qui était son conseiller, mais aussi sa plume. C’est lui qui a écrit le fameux « I Have a Dream ». Il est encore vivant, mais n’a encore jamais raconté son histoire. Et c’est une histoire incroyable, qui m’a bouleversé. C’est le Citizen Kane black.

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necessary for this film. She can express a lot of things by doing very little. She only has to blink and you are mesmerized. This film also toys with the concept of time. I wanted to portray a romantic relationship like a spiral, because you don’t know where it starts or where it ends. Love is not straightforward. The concept of perception of time is present in all my narrative films now. After all, cinema is all about stretching or compressing time. What projects are you working on? I came back to France for a feature film. I am a writer-in-residence in Deauville. I’m also working on a documentary about Martin Luther King, seen through the eyes of his closest collaborator, who was both his adviser and his speech writer. He was behind the famous «I Have a Dream» speech. He is still alive but has never told his story to this day. It is an incredible story, which truly overwhelmed me. He is the black Citizen Kane.

retrouvez les films et photos d’asa mader SUR Blended.fr

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LA RÉVÉLATION

Texte - Carole Lewis

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ls sont deux, ils sont beaux, ils sont doués et ils représentent l’avenir. Dit comme ça, on sonne comme la baseline d’un produit de supermarché. Mais c’est difficile de prendre des pincettes pour parler d’Alexis et Damien. Ils vous ont fait rêver pendant des années dans l’anonymat. Le petit binoclard qui gagne au quidditch, c’est eux. Jake Gyllenhaal qui maîtrise les sables du temps, c’est eux aussi. Les Na’vis sur Pandora, c’est encore eux. Et évidemment, Robert Downey Jr et Jude Law qui redonnent vie à un détective du 221B Baker Street, c’est définitivement leur patte. Alors pourquoi nous parlons-vous de ces deux jeunes hommes qui semblent avoir déjà tant prouvé. Et bien, tout simplement parce que ce n’est que le début. Le Français et l’Anglais se rencontrent sur Sweeney Todd’s

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They are both handsome and gifted. They are the face of the future. This might sound like a teaser for a new product, but it is hard to tiptoe around Alexis and Damien. They have been creating the fabric of dreams for years without stepping out of the shadows. They stood behind the famous young bespectacled wizard, behind Jake Gyllenhaal as master of the sands of time. They also created the Na’vis living on Pandora. Finally, when Robert Downey Jr and Jude Law brought back to life a certain detective from 221B Baker Street, we could definitely recognize their trademark style. So why bring attention to those two young men who seem to have proved their worth? Quite simply because this is just the beginning. The Frenchman and the Englishman met on the shooting of Tim Burton’s Sweeney Todd.

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© Damien & Alexis

de Tim Burton. Le talent les attire comme un aimant, mais surtout la frustration. Celle de n’être acteur que d’une partie des films. D’être des génies de leur ingrédient alors qu’ils aspirent à devenir chef étoilé. Et oui, c’est ça aussi Alexis et Damien. Deux génies pas rassasiés. Alors, comme ils veulent écrire, diriger, filmer, caster, réaliser, monter, promouvoir… bref, puisqu’ils veulent faire un film, leur film, ils s’associent. Et c’est là que nous, spectateurs, disons merci. Ils s’essaient sur un court-métrage. Pardon. Ils se confirment sur un court-métrage. Red Balloon. Salué dans plus de 30 festivals. De Cannes à San Francisco. De ClermontFerrand à Los Angeles. Le pitch est simple. Presque connu. Une jeune baby-sitter dans la banlieue de Londres qui va rencontrer

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They were brought together by talent, but also by frustration. They were frustrated to be involved in only one aspect of the films, to be virtuoso soloists when they aspired to be conductors. Alexis and Damien were two insatiable geniuses. As they both wanted to write, direct, shoot, cast, edit, promote… in short, to make their own film, they started working together. And we viewers are grateful for it. They showed the extent of their talent in a short film entitled Red Balloon, which won accolades in more than 30 festivals, from Cannes to San Francisco to ClermontFerrand to Los Angeles. The pitch is straightforward, bordering on cliché. A young baby-sitter in the suburbs of London in a terrifying situation. Wes Craven and

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l’angoisse. Wes Craven et d’autres l’ont déjà fait. Oui, mais voilà, dans Red Balloon, comme chez les plus grands, ça marche ; ça marche vraiment. Au point que dans vos cauchemars, la figure du lapin (on ne vous en dira pas plus) remplacera certainement celle de Donnie Darko. La narration est parfaite. Les effets spéciaux, évidemment, maîtrisés. L’écriture, la direction, le cadrage, le casting, la réalisation, le montage, la promotion…. Tout est parfait. Aujourd’hui, les deux amis continuent de travailler sur de grands projets (Damien a été nommé aux Emmy Awards pour la série Game of Thrones), mais nous voudrions lancer un message aux grands studios hollywoodiens : s’il vous plaît, laissez leur du temps libre, parce que nous, nous aimerions tellement nous asseoir deux heures dans une salle noire pour voir leur œuvre.

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others have been there before. But Red Balloon is every bit as frightening their films. And after you see it, your nightmares will probably be haunted by a rabbit scarier than Donnie Darko’s. The storytelling is perfect. Special effects are obviously flawless. Writing, direction, casting, photography, editing, promotion… everything is spot on. The duo is still collaborating on big projects (Damien received an Emmy Awards nomination for Game of Thrones), but we have a message for major Hollywood studios: please give them some free time, because we are really looking forward to their foray into feature filmmaking.

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© Cécile Nicolas - Troyan

RETOURNEMENT The Twist

CÉDRIC NICOLAS - TROYAN

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’est suffisamment original pour être précisé, Cédric Nicolas-Troyan a commencé sa carrière dans la postproduction ; d’abord monteur, il est très vite passé aux effets spéciaux. En 2000, il s’installe à Los Angeles pour travailler chez Method comme responsable puis directeur des effets spéciaux. Il y gagnera plusieurs prix. Après avoir collaboré avec de nombreux grands réalisateurs, il décide, comme on dit, de passer derrière la caméra. Il devient membre du collectif Psyop. Il a réalisé le très remarqué court-métrage Carrot vs Ninja. Un conte psychédélique, jouant sur les normes de films de vengeance (et on pense alors forcément à Tarantino), basculant en permanence d’un manichéisme codifié à des retournements de situations inattendus. Après avoir vu ce court, le lapin Duracell et les Lapins Crétins vous paraîtront bien fades. Dans ses publicités, Cédric Nicolas-Troyan utilise toujours son savoir-faire en effets spéciaux, avec la parcimonie qui caractérise les réalisateurs avant tout amoureux de narration, et on y retrouve aussi ce côté magique, de conte presque enfantin.

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ncharacteristically enough, Cédric Nicolas-Troyan started his career in post-production: first as an editor, before moving on to special effects. In 2000, he moved to Los Angeles and worked for Method as a special effects director before winning several awards. After working with a number of great directors, he decided to get behind the camera and joined the Psyop collective. His short film Carrot vs Ninja raised a lot of interest. This psychedelic fairytale turns the codes of revenge films on their heads (Tarantino immediately comes to mind) before the final unexpected twist. After this, Bugs Bunny and the Raving Rabbits will seem very tame. Cédric Nicolas-Troyan always uses special effects in his commercial films, without putting them centre stage. But storytelling is paramount and his commercials also have the same magical, nearly child-like quality. In Can’t You See Me, we are once again in a child-like universe and special effects are scarce. But through the simple power of this filmmaking, he can bring the characters to life and make us develop a very strong

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Texte - Charles Pascal

Avec Can’t You See Me, toujours cet œil d’enfant et pour le coup, aucun ou presque, effet spécial. Si ce n’est la capacité à nous faire sentir les personnages, à développer une empathie extrêmement puissante, par la simple réalisation. Mais là, ce n’est plus de l’effet spécial, c’est de la magie. Celle du ciné et des grands réals. Ce court a été filmé en un dimanche aprèsmidi avec un appareil 5D, avec sa femme, son fils et un skateboard. Et toujours ces retournements, chers à Cédric. C’est quand on a pris parti pour un personnage que le réalisateur nous le soustrait. Certains réalisateurs maîtrisent leur film, Cédric Nicolas-Troyan, lui, maîtrise son audience.

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empathy with them. Beyond special effects, this is pure magic. The magic of cinema and great directors. This short film was shot on a Sunday afternoon with a 5D camera, with his wife, his son and a skateboard. And of course, his final twist. When a character has won our heart, it is torn away from us. Some directors control their films, Cédric Nicolas-Troyan controls his audience.

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LENTE BEAUTÉ Beauty In Slow Motion

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Santiago et Mauricio Sierra sont deux frères nés à Mexico City. Aujourd’hui, ils sont installés à New-York et leurs réalisations sont demandées par le monde entier de la mode. Un monde friand de leurs images qui ressemblent à une suite de photos léchées, voire à des peintures. Un sens de la mise en scène et du tableau, qui ne pouvait qu’emporter les plus grandes marques dans un tourbillon de frénésie autour de la fratrie. Les images profondément réfléchies, lentement maturées, sont enveloppées dans un écrin.

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&

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rothers Santiago and Mauricio Sierra were born in Mexico City. Now based in New York, they are in high demand in the fashion world, which is under the spell of their images reminiscent of fine art photography, or even painting. Their eye for direction and cinematography blew away the most prestigious brands. The carefully composed images are enhanced by the use of slow motion, or even bullet time, engulfing the subject, as though speed jarred with beauty. Bodies float around quasiethereal men and women.

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Texte - Groucho Atlan

SANTIAGO

MAURICIO

RA

SIER


© Santiago & Maurico

Celui de l’usage d’un ralenti, voire d’un bullet time, qui agit comme une caresse autour du sujet. Comme si la vitesse ne seyait pas à la beauté. Les corps sont ballottés dans des éléments flottants autour d’hommes et de femmes quasi inconsistants. Ce sens de la beauté évanescente attire les plus grandes marques. Et Charlize Theron pour Dior se voit sublimée au-delà de sa nature. Chez Santiago et Mauricio Sierra, les corps sont immuables au milieu d’éléments naturels changeants. La beauté corporelle devient le socle rassurant d’un environnement indécis. Mais à se plonger dans cet univers, on perçoit rapidement une violence muette et sousjacente, presque paradoxal à cette réalisation lente. Comme ces instants décisifs où le cerveau observe son monde au ralenti. Un instant de bascule, où le monde se joue. Le temps qui suspend son vol au moment où se percutent violence et beauté. Un enfantement fantastique donnant naissance à un instant de vérité.

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Their portrayal of evanescent beauty attracts the biggest brands. Charlize Theron for Dior is sublimated to a goddess-like creature. Santiago and Mauricio Sierra show bodies as immutable islands in a sea of everchanging natural elements. Physical beauty becomes the reassuring foundation of a vacillating environment. But a closer look at that universe quickly reveals an underlying mute violence, as a counterpoint to the slow motion. Like those split seconds when time seems to stand still. A turning point when everything could change. Time is suspended when violence and beauty collide. A fantastic birth to a moment of truth.

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UN AUTRE POINT DE VUE

© Giullio Musi

A different perspective

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orn in Los Angeles, Giulio Musi graduated in 2009 from the American Film Institute. In the space of a few months, he went from promising young talent to future major artist to established director. Giulio Musi started off with delightfully sweet commercial films, such as the ones he directed for Nettbuss (which won a Bronze Lion in Cannes). His campaign for the SPES (Swedish Public Employment Service), where the camera’s benevolent eye forces the viewer to look beyond prejudice, drew a lot of attention. His Unicef film showcases the petty, everyday reasons why we do not give to charities. His short film, Echoes, tackles the difficult subject of Alzheimer’s disease and won awards in Shanghai and Geneva. As always, his storytelling is focused on humanity. Giulio Musi’s direction is stripped to the bare essentials and devoid of artifice. It

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Texte - Nicolas Musset

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iulio Musi est né à Los Angeles. Diplômé en 2009 du American Film Institute à Los Angeles, la carrière du réalisateur américain est toute jeune. Et pourtant, il est passé en quelques mois seulement du statut de jeune prometteur, à celui de futur grand, pour atteindre finalement celui de talent confirmé. Giulio Musi fait ses armes dans la publicité. Des petits bijoux de tendresse. Ses bus où débutent toutes les belles histoires pour Nettbuss, remportent le bronze à Cannes. Sa campagne incroyable pour le SPES (Swedish Public Employment Service) où Giulio Musi efface d’un revers de main une litanie de préjugés, simplement parce qu’il sait parfaitement placer sa caméra pour qu’elle devienne l’œil bienveillant. Sa campagne tout aussi remarquée pour l’Unicef. Le réalisateur ose l’inconcevable, montrer les raisons de ne pas donner. Les raisons futiles, quotidiennes, ces petits riens.


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© Giullio Musi

Son court métrage est moins léger mais tout aussi bienveillant. Echoes a remporté des prix à Shanghai et Genève pour cette histoire d’Alzheimer. Toujours une narration au plus près de l’homme. Il n’y a pas d’artifice, pas d’effet, simplement la réalité. Giulio Musi c’est l’essence même de la réalisation : offrir un point de vue. Un angle sur la réalité. Une façon différente de regarder les choses. Cette même réalité que nous partageons tous, il nous l’offre à quelques degrés, quelques centimètres de différence, et alors pour nous, tout s’éclaire.


Giulio Musi’s direction is stripped to the bare essentials and devoid of artifice. It offers a different perspective on reality. Musi looks at the world we all live in and, through a slight change of point of view, shows everything under a different light.

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L’INTELLIGENCE DE L’HUMOUR The intelligence of humour

© Peter Harton

PETER HARTON

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l est l’un de ces réalisateurs qui font aimer la pub. L’un de ces réalisateurs dont on regarde les films à la chaîne comme on regarderait un programme court. Peut-être, parce qu’avec Peter Harton, on ne se sent pas pris pour un idiot. Honnêteté et humour sont ses armes. Pourtant, le réalisateur danois n’a rien d’un clown. Traits tirés, yeux anxieux, allure discrète, on l’imaginerait plus volontiers dans le rôle d’un Woody Allen en pleine pénurie de Prozac. Mais l’humour, cette « politesse du désespoir » comme le disait si bien Boris Vian, est une seconde nature chez Peter Harton. Ou plutôt le second degré.

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e’s one of those directors who make you like advertising. You enjoy watching his commercial films one after the other like so many short films. Maybe because we feel Peter Harton does not talk down to us. Honesty and humour are his weapons of choice. Surprisingly enough, the Danish director looks nothing like a clown. His sallow complexion, anxious eyes and unassuming demeanour call to mind a Prozac-deprived Woody Allen. But humour, this «politeness of despair» as Boris Vian used to call it, is second nature to Peter Harton. After shooting dozens of commercial films,

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Texte - Cécile Wilde

Il a déjà tourné des dizaines et des dizaines de spots, et pourtant, il est un réalisateur d’avenir. Cet avenir, soumis à la pression d’une génération Y lassée des ficelles de la com’, mue par un besoin viscéral d’honnêteté pré-apocalyptique, muée par le cynisme ironique de ceux qui ne croient plus ; cet avenir, donc, est celui de Peter Harton. Une galerie d’anti-héros sympathiques et d’apollons ridicules, baignés dans un kitch inébranlable. Voilà le monde du Danois. Citons comme vitrine, son plus beau succès (et pourtant, pas le plus osé), sa campagne pour la chaîne de magasins Fleggaard. Une campagne virale, comme le spot le souligne

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he has a bright future ahead of him. This future, dominated by Y-generationers tired of communication tricks, driven by a visceral need for pre-apocalyptic honesty and the detached cynicism of those who stopped believing, belongs to Peter Harton. The Dane’s universe is peopled by a gallery of sympathetic anti-heroes and ridiculous hunks, with an unflinching taste for kitsch. His biggest success (though not his most thought-provoking) was his viral campaign for the Fleggaard retail chain, made up of three-minute films with breasts, action and practically no products. The films reached 12 million views on the Internet in 2 months.

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Not too bad for a country of 6 million inhabitants. Fleggaard’s sales reportedly increased by 26%. The director, now based in Berlin, has understood that it is now impossible (and even insulting) to dismiss the viewer. Participation is an integral part of the 21st century. No need for interactive video or high technology, Peter Harton simply decided to let the viewer free. He just takes him by the hand. He is the self-deprecating man who seduces the most beautiful women right under the noses of playboys. He is the class clown everybody loves, from jocks to bookworms to teachers. The one who knows

© Peter Harton

lui-même. Et pour cause, des films de trois minutes avec des seins, de l’action et un peu de produit. Sur internet, les films sont vus 12 millions de fois en 2 mois. Pas mal pour un pays qui compte 6 millions d’habitants. Les ventes de Fleggaard se seraient, elles, envolées de 26%. Le réalisateur, qui vit actuellement à Berlin, a compris qu’aujourd’hui, il est devenu impossible (pour ne pas dire insultant) de laisser le spectateur sur la touche. Le participatif est trop ancré dans les gènes du XXIème siècle. Pas besoin de vidéos interactives pour cela ou de débauches de technologies ; Peter Harton a simplement

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décidé de ne rien imposer. Il accompagne. Il est l’homme plein d’auto-dérision qui charme les plus belles femmes au nez des bellâtres. Il est le clown du fond de la classe que tout le monde aime. Des cancres aux intellos en passant par les profs. Celui qui sait se faire aimer, sans se prendre au sérieux. Amour et légèreté, certainement le slogan de ce nouveau millénaire. Une parodie télé des 90’s résumait les publicitaires à cet adage : « il ne faut pas prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu’ils le sont ». Peter Harton, lui, nous prend pour des cons, sans jamais cesser de croire en notre intelligence.

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how to be likable without taking himself seriously. Love and levity, such is the motto for this new millennium. A TV satire from the 90s described publicity agents in those words: «you cannot treat people like fools, but you should not forget that they are». Peter Harton may treat us like fools, but he never ceases to trust our intelligence.

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RÉTRO RÉAL

SHARIF HAMZA

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harif Hamza was born in London but his precocious passion for photography and filmmaking soon took him across the Atlantic. In the new world, he did not languish in the dream world for long. Sharif went straight to a job as assistant to Steven Klein, which is hardly surprising given his talent. He was then immediately contacted by prestigious names such as Vogue Paris, LOVE, Dazed and Confused, Absolut, Topman and Nowness. Deeply influenced by a character-centred cinematography, Sharif Hamza does not bend his subject to action as is generally the

© Sharif Hamza

harif Hamza est né à Londres mais sa passion précoce pour la photo et la réalisation le porte rapidement à traverser l’Atlantique. Là-bas, il ne connaîtra pas longtemps la légendaire latence des doux rêveurs. Non. Sharif, lui, devient directement l’assistant de Steven Klein. Une première marche logique au vu du talent. D’ailleurs Sharif Hamza, immédiatement, est contacté par de grands noms comme Vogue Paris, LOVE, Dazed and Confused, Absolut, Topman, et Nowness. Profondément marqué par une image cinématographique centrée autour du personnage, Sharif Hamza ne plie pas le

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Texte - Julia Courbet

sujet à l’action comme son format l’exige actuellement. Au contraire, comme sur grand écran, le réalisateur se fait voyeur. Les corps sont décortiqués et sublimés dans leur naturel. Ils oscillent entre abandon et transe (violente, sexuelle, folle…), comme inconscients de la présence de l’œil spectateur. Son esthétique rétro renforce encore cette réalisation faussement passive, propre aux 60’s et à la nouvelle vague. Loin des images forcées et des caméras inquisitrices, Sharif Hamza ne se veut que spectateur d’un spectacle pourtant parfaitement orchestré, offrant ainsi une œuvre intrinsèquement pudique et modeste.

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case in his line of work. On the contrary, just like on the silver screen, the director becomes peeping tom. Bodies are torn apart and glorified in their natural beauty. They oscillate between abandon and trance (violent, sexual, insane…), as though unaware of the viewer’s gaze. His retro aesthetic further emphasizes this deceptively passive direction, typical of the 60s and the nouvelle vague. Light years away from artificial images and probing cameras, Sharif Hamza only wants to witness a perfectly orchestrated show, in an

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LE RYTHME DES CORPS

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ven though he hails from London, like all his talented fellow countrymen, Barnaby Roper has been living in New York since 2006. In the space of a few years, he has become the darling of the fashion world. His direction bears the mark of his early career as a photographer, as is often the case, but also reminds one of a kaleidoscope. Thanks to his love of jerky images, the director can juggle with different styles. Sometimes cheap, sometimes ultra-fast, Barnaby Roper’s style is at ease in any universe. This capacity quickly allows him to direct portraits (Natasa Vojnovic’s is a masterpiece) and video clips. Although it is jerky, cut-up, torn apart, Roper’s filmmaking never destroys its subject. Quite on the contrary, torturing the image allows Barnaby Roper to reconstruct characters and bring them back to reality. Jerkiness then turns to rhythm, not unlike Bob Marley’s or Joe Cocker’s epileptic

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Texte - Ema Turner

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arnaby Roper est Londonien. Mais comme tous ses compatriotes pétris de talent, il vit à New-York. Depuis 2006. En quelques années seulement, il a mis le monde de la mode à ses pieds. Sa réalisation est marquée par ses débuts comme photographe, comme souvent, mais aussi par une touche kaléidoscopique. Cet amour du saccadé permet au réalisateur de jouer sur les styles. Parfois cheap, d’autre fois ultra rythmé, Barnaby Roper grâce à sa patte se fond dans tous les univers. Une capacité qui permet rapidement à Barnaby Roper de se lancer dans les portraits (celui de Natasa Vojnovic est un chef d’œuvre) et les clips.Bien que saccadée, découpée, disséquée, la réalisation du Londonien ne détruit jamais le sujet. Au contraire, on torturant l’image, Barnaby Roper reconstruit les personnages, leur redonne une réalité. Le saccadé devient alors un rythme, comme les mouvements épileptiques de Joe Cocker ou de Bob Marley devenaient les expressions d’un mouvement intérieur.

© Barnaby Roper

BARNABY ROPER


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© Barnaby Roper

En fait cette réalisation kaléidoscopique est juste une façon de pousser le spectateur à sortir de la langueur de l’image simple, du superficiel pour le forcer à voir le corps dans ses spasmes de vérité. Bien que saccadée, découpée, disséquée, la réalisation du Londonien ne détruit jamais le sujet. Au contraire, on torturant l’image, Barnaby Roper reconstruit les personnages, leur redonne une réalité. Le saccadé devient alors un rythme, comme les mouvements épileptiques de Joe Cocker ou de Bob Marley devenaient les expressions d’un mouvement intérieur. En fait cette réalisation kaléidoscopique est juste une façon de pousser le spectateur à sortir de la langueur de l’image simple, du superficiel pour le forcer à voir le corps dans ses spasmes de vérité.


At the end of the day, this kaleidoscopic direction is just a way to force the viewer out of the comfort of the simple image, of superficiality, and make him look at the body in the throes of truth.

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SURRÉALISTE

GEORGIA HUDSON

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his 25 year-old woman from the South East of London seems to carry around the baggage of surrealism. After graduating from the Camberwell Art College, Georgia Hudson tries, through filmmaking, to explore the whole spectrum of human emotional and physical possibilities. In 1994, as she jokingly interviews a friend dressed as Victoria Beckham (circa Posh Spice), she is literally struck by the magical process of seeing a personality appear on celluloid. Just like her masters and avowed influences, Luis Bunuel, Marcel Duchamp, Jean Cocteau and Andrei Tarkovsky, she surrounds herself with a group of artists of every description so she can always push back the technical and intellectual boundaries of creation. Her fashion films are unlike anything we have ever seen. The subject is treated like a patient or a Guinea pig rather than a model. After all, fashion, when done properly, is not incompatible with a certain kind of surrealism. But beauty products are a different matter, for this field seems to be the province of the streamlined aesthetic.

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© Georgia Hudson

A

25 ans, cette jeune femme du sudest de Londres semble porter avec elle tout le bagage du surréalisme. Diplômée du Camberwell Art College, Georgia Hudson essaie, au travers de la réalisation, d’explorer tout le panel des possibilités émotionnelles et physiques de l’être humain. C’est en 1994, alors qu’elle s’amuse à interviewer son amie déguisée en Victoria Beckham (époque Posh Spice), qu’elle est littéralement frappée par cette magie de voir un caractère, une personnalité, se peindre sur une pellicule. Comme ses maîtres et références assumées, Luis Bunuel, Marcel Duchamp, Jean Cocteau et Andrei Tarkovsky, elle s’entoure d’un groupe d’artistes de tous bords pour repousser toujours plus loin les possibilités techniques et intellectuelles de la création. Ses films de mode ressemblent à tout sauf à du déjà vu. Le sujet est traité comme un patient ou un cobaye plus que comme un modèle. Après tout, la mode accepte une forme de surréalisme quand elle est bien réalisée.


Texte - Paul Fitzgerald

Mais quid des produits de beauté. Dans ce domaine, semble-t-il, l’esthétique épurée règne. Et bien non. Georgia Hudson parvient toujours à imposer son style dans une sorte de glamour gothique peu évident, mais efficace. L’univers de Georgia l’a rapidement portée vers le monde de la musique. Ses qualités de réalisatrice peuvent transporter certains morceaux dans des univers de symphonies vaporeuses, de mélodies transcendées. Elle qui a grandi avec les œuvres de Hitchcock ou de Lynch n’a pas à pâlir. Mais l’univers de Georgia atteint son paroxysme sur ses projets personnels. La sensualité trash se tait un instant pour laisser place à une poésie plus directe et plus simple. Mais surtout, comme chez ses maîtres, le sens se fait essentiel. L’œuvre n’est rien en tant que telle, elle est une signification, fondamentalement une interaction avec l’intelligence. Le surréalisme est cette « récupération totale de notre force psychique » comme le disait André Breton. Et c’est vrai, Georgia Hudson exige tout, elle ne se regarde pas à moitié.

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However, Georgia Hudson still manages to impose her style in a kind of uncompromising yet efficient gothic glamour. Georgia’s universe quickly brought her to the world of music. Her filmmaking talent can turn songs into universes of eerie symphonies and transcended melodies. After a youth spent watching Hitchcock and Lynch films, she certainly does her influences justice. Georgia’s universe reaches its climax in her personal projects. Here, trash sensuality steps back for a moment and makes way for a more straightforward and simple kind of poetry. But more importantly, just like her masters, she puts meaning in the foreground. Work in itself is nothing, it is a meaning and fundamentally an interaction with intelligence. Surrealism is a «complete recovery of our psychic strength», as André Breton used to say. And it is true, Georgia Hudson demands everything, she looks herself straight in the eye.

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ENTRE GODARD ET ALLEN

PETER GLANZ

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eter Glanz is a man of style. Black and white, classical music, smart clothes, slick images. Everything in him screams mastery, beauty and actually a hint of a past era. But it is just a decoy, destined to attract you before destroying what you loved in the first place. Because there is nothing Peter Glanz loves more than turning social conventions on their heads and beautiful women. And when gorgeous creatures shatter stereotypes, you know you’re watching one of Glanz’s films. Peter Glanz studied in Los Angeles, but as a Woody Allen aficionado, he is in love with New York. «The only timeless city». He shoots A Relationship in four days, which will open the doors of Sundance, Tribeca and Cannes, in the Big Apple. A love story summed up in 4 days, not as a synthesis, but as a vision of reality. «They are a generation of channel surfers who treat

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Texte - Émilie Gandhi

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eter Glanz est un homme de style. Noir et blanc, musique classique, beaux vêtements, images léchées. Chez lui, tout sent la maîtrise, le beau, et pour tout dire un quelque chose venu d’un autre siècle. Mais c’est un leurre, pour mieux vous envoûter et détruire ensuite ce que vous avez aimé. Parce que, s’il y a bien deux choses que Peter Glanz aime par dessus tout, c’est détourner les conventions sociales et les belles femmes. Et quand ce sont ces dernières qui font exploser les normes, alors vous êtes sûrs d’être devant un film de Glanz. Peter Glanz fait ses études à Los Angeles, mais en bon fan absolu de Woody Allen, il est un amoureux de New-York. « La seule ville sans temps ». C’est là d’ailleurs qu’il tourne A Relationship in four days qui lui ouvrira les portes de Sundance, Tribecca et Cannes. Une histoire d’amour résumée en 4 jours.


Š Peter Glanz

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I see my friends who have very short relationships, just like in the film. To them, a day feels like a month or even a year. It is also a tribute to the French directors from the Nouvelle Vague – Truffaut, Godard, Rohmer – and to Woody Allen’s Manhattan». Its adaptation as a feature film, now in postproduction, is entitled The Longest Week, which is even more telling. In between two ultra glamour commercials, Peter Glanz directs The Trivial Pursuits of Arthur Banks, an ambitious web series starring Adam Goldberg as the main character, Jeffrey Tambor as a therapist, Pete Chekvala and Wendy Glenn. It tells the ultra-contemporary story of Arthur Banks, a successful playwright who is busy staging his last play about his dysfunctional life. But we are mostly interested in his personal life and more specifically his heartbreaks, his inability to make a decision by himself, his loneliness… in short, a modern man in an existentialist comedy. Indeed, he is a true Woody Allen fan.

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© Peter Glanz

Pas un condensé, mais une vue du réel. « Une génération de zappeur qui traite leur relation comme des publicités. Je vois mes amis qui ont des relations très courtes comme dans le film. Pour eux, une journée équivaut à un mois ou même un an. C’est aussi un hommage aux réalisateurs français de la Nouvelle Vague – Truffaut, Godard, Rohmer – et au Manhattan de Woody Allen ». L’adaptation du court en long est aujourd’hui en post-production et s’intitule The Longest Week . Titre encore plus révélateur. Entre deux publicités ultra glamour, pourries de French Touch, Peter Glanz signe The Trivial Pursuits of Arthur Banks. Une web série ambitieuse avec Adam Goldberg dans le rôle principal, Jeffrey Tambor en thérapeute, Pete Chekvala, Wendy Glenn. L’histoire ultra contemporaine d’Arthur Banks, auteur de théâtre à succès que l’on retrouve pendant qu’il monte sa dernière pièce sur le dysfonctionnement de sa vie. Mais c’est sa vie intime qui nous intéresse et en particulier ses déchirements, son incapacité à prendre seul une décision, sa solitude amoureuse… bref, un homme moderne pour une comédie existentialiste. Un vrai fan de Woody Allen on vous dit.


(n.f) Personne qui devient rapidement connue grâce à son talent talent.

REVELATIO N

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ROCK POÉSIE

© Sean Ellis

Sean Ellis

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ean passe son enfance à Brighton, une ville pas comme les autres. Certainement la plus connue des stations balnéaires anglaises (ce qui constitue à la fois un exploit et un paradoxe en soi) ; lieu de villégiature, de repos, de soleil, bref, de calme, Brighton est aussi la ville la plus rock du royaume (au point que le rédacteur en chef des Inrocks s’y installe), un lieu d’effervescence et de jeunesse. L’âme de cette ville, c’est un peu celle du travail de Sean Ellis. Qui, dès l’âge de 11 ans, s’adonne à la photographie avec passion.

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ean spent his childhood in Brighton, the most famous English seaside town (which is an achievement and a paradox in itself); a place of leisure, rest, sunshine and peace, Brighton is also the most rock’n’roll town in the UK (so much so that the Inrockuptibles editor-in-chief decided to set up quarters there), a place of youth and excitement. The soul of this town also animates Sean Ellis’s work. From the age of 11, he has been a devoted photographer. In 1994, at the age of 24, he even moved to London and became

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Texte -Jennifer Nabokov

Au point qu’en 1994, à 24 ans, il s’installe à Londres pour y devenir l’une des figures de proue de la nouvelle génération de photographes de mode, qui a émergé dans les 90’s. Il collabore avec les plus grands magazines. E lton Joh n , Ta ke sh i Kit ano, Ky l i e Minogue, Eric Bana, parmi tant d’autres, se disputent son objectif. Même David Lynch demande à travailler avec lui sur une série pour Harper’s Bazaar. Son style est dit « cinématographique ». Une épithète qui sonne comme un encouragement.

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one of the leaders of the new generation of fashion photographers that emerged in the 90s. He works with the biggest magazines. Elton John, Takeshi Kitano, Kylie Minogue, Eric Bana and many others, all stand in front of his camera. David Lynch himself wants to collaborate with him for Harper’s Bazaar. His style is considered «cinematographical», which sounds very promising. Sean Ellis starts his career successfully with commercial films for Jean-Paul Gaultier, Nike, Rimmel, Hugo Boss, etc. before trying his

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hand at cinema with two short films, Left Turn in 2001 and Cashback in 2006, which receives an Oscar nomination. The latter is so successful that the following year, he turns it into a feature film and gives it the most erotic poster of the year 2007. In 2008, Sean Ellis directs a real narrative masterpiece: The Business Trip (Voyage d’affaires) with Guillaume Canet and Mélanie Laurent. An intimate story with long silences broken by a monologue both witty and absurd. An incredible final twist. Poetry and humour (a most difficult association). A real gem.

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© Sean Ellis

Sean Ellis se fait la main avec brio avec des publicités pour Jean-Paul Gaultier, Nike, Rimmel, Hugo Boss… puis se lance dans l’aventure ciné. Deux courts-métrages, Left Turn en 2001 et le nommé aux Oscars, Cashback en 2006. Ce dernier connaîtra un tel succès, que l’année suivante, le réalisateur lui offre le format long. Et signe, au passage, l’affiche la plus érotique de 2007. En 2008, Sean Ellis signe un petit bijou de narration. Voyage d’Affaires avec Guillaume Canet et Mélanie Laurent. Un huis clos ou presque. De longs silences qui débouchent sur un monologue aussi savoureux que burlesque. Une chute incroyable. De la poésie et de l’humour (qui sont les deux ingrédients les plus difficiles à marier). Une perle.


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© Mike Figgis

OBSÉDÉ

Mike Figgis

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videmment, il y a près de 20 ans, il nous offrait un superbe Nicolas Cage prisonnier de ses fièvres alcoolisées. Mais Mike Figgis, ce n’est pas seulement Leaving Las Vegas. A 64 ans, le Britannique aux cheveux improbables, a multiplié les publicités. Et toujours somptueuses. Son film pour Lanvin, Is It A Dream, véritable court métrage dans l’univers clos d’un hôtel est un chef-d’œuvre de claustrophobie, de psychopathologie latente, d’esthétique malsaine, et une plongée envoûtante dans l’obsession de la marque. On retrouvera dans ses autres films pour Givenchy ou pour Agent Provocateur, cette

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lmost 20 years ago, he gave us an amazing performance by Nicolas Cage as a prisoner of his own alcohol-induced feverish dreams. But Mike Figgis’s career did not stop at Leaving Las Vegas. At 64, the Brit with the outlandish hairdo has shot many commercial films, all of them gorgeous. The commercial he directed for Lanvin, Is It A Dream, a real short film taking place in a hotel, is a masterpiece of claustrophobia, latent psychopathology, unwholesome aesthetic and a mesmerizing journey into the brand’s obsession. The same hazy atmosphere can be found in

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Texte -Sylvie Char

même atmosphère cotonneuse, où le monde se perçoit dans un état d’ivresse. Ivresse de l’amour, de l’obsession, de l’alcool, du sexe ? On ne saurait dire. Mais le spectateur est emporté sans sommation dans l’univers de Mike Figgis. Depuis 2006, le réalisateur se fait rare en cinéma. Court métrage, publicité, expérience télévisuelle, art, danse… tout passe entre ses mains. On sent chez Mike Figgis, comme chez David Lynch, l’un de ses maîtres, une soif d’expérimenter, de plonger corps et âme dans un élan, dans un instinct, de suivre les cris de ses tripes sans jamais se boucher les oreilles. Un réalisateur entier.

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his films for Givenchy or Agent Provocateur, where the world is seen through an alcoholic blur. Drunk on love, obsession, alcohol, sex? One can only guess. But the viewer is dragged into Mike Figgis’s universe. Since 2006, the director has not been very active in the world of cinema. Short films, commercials, television, art, dance… he tries his hand at everything. Mike Figgis, just like David Lynch, one of his influences, seems eager to experiment, to let his instinct run free, to follow his gut feeling without giving it a second thought. An uncompromising director.

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C’est en-attendant la fin toutpasa par commencé. Au même moment,avait dansfait la même ville,La à quelques centainesplus de mètres l’une de l’autre deuxsoirs jeunes fillesPour étaientça,enelle train le de quitter leur premiercette amour. Cybèle etêtre Raphaëlle s’attelaient { ne se séparer d’Oscar etMais d’Arthur avec le plus de délicatesse possible. Cybèle ne que savait où débuter. L’amour son temps. passion n’était audansrendez-vous. les de joie. quittât. Comme rupture allait la preuveElle que l’amour plus. n’était si facile, en face d’elle Oscar und’abord mur. le Ou-cran plutôt un réfléchissant mais impénétrable. Cette douceetnuit de pluie parisienne un caféjeter sansMême âme.scrupules Oscar, comprit malgré que plus jamais il nesipartagerait sestriste nuitsqui avecs’efforce Cybèle. quiilluiplissait avaitsuffisait pourtant sauvé la dérisoire vie.ceElle quipasde avait eu l’audace l’aimer. Avait était aujourd’hui declairement le miroir, quitter.Accoudé sur la table ronde du bistrot, statique impassible, il regardait Cybèle ses comme onbien glisse une lui, lame dans un corps froid.Tel un enfant desuffire rire, ses yeuxPour avec un espoir reconquête. Ladedévisageant vulgairement en désirant très un autre présent. Cela ne servait à rien. Mais dans le doute et quitte { être foutu en l’air, blessé, trompé et malheureux, Oscar voulait donner l’illusion qu’il avait l’orgueil de se { lui-même. cacher sa tristesse infinie, son manque de courage etne sacomprennes médiocritépasinavouable. Il tomba alors dans une forme d’espérance renversée. -Ton silence est effarant, Oscar, toi qui m’as couverte de mots ces trois dernières années, tu ne trouves rien { dire le jour ou je t’annonce que tout est finit ? -Que le silence t’angoisse, je l’ai toujours su. Que tu ce silence est pourcette une fois l’aveu complet que je te faireleestpremier autre chose ! Combien de foispremier t’ai-je répétéj’ai qu’il fallait bienarriverait des silences et desviendrait mensongesdepour connaitre la vérité. de mon foisincapacité ai-je supplié le ciel Je poursentais ne pascette meodeur retrouver un jourparcourir à cette place. Combien dequefois ai-jenarines. imaginé situation, toileet plus moi, là, comme ça puisse ?deDepuis jour, bien la avantdeuxième notre baiser, suçaque ce jour et qu’il toi. Je voyais déjà monça.Combien impuissance, à te rattraper. de J’ai merde lentement l’intérieur de mes Ça ravageait mon intérieur, ça coulissait au fond mon corps, ça restait sans stagner, respiration était pire, atteignait l’intégralité de mon être, je ne pensais plus qu’{ Comme un vieux goût de maladie. Une préparation au désastre… beau voir le bien Cybèle, je le comprends, je le valide, pourtant, je fais le mal. -Tu vois c’est aussi { cause de ce genre d’image définitive que notre histoire est impossible. L’amour avec toi tu avais vu juste est devenu pour moi une maladie L’écho de ces derniers mots lui fit se souvenir de ce qu’il s’amusait { répéter auxpour genscontinuer largués « fautdroit créersurau saplus vite Son un centre del’oppressait désamour ». Il ne comprenait toujours pas ce n’était pas encore misqu’on { la lui portée tous.affreuse L’idée prenait valeur toute différente dans ce ou Cybèle était enaucune train importance, de l’abandonner. s’accrochait { cette intuition à seiltenir coeur qu’il était prêtParce {comment offrirrien toutservice qu’il n’avait pas que pour ôtedecette douleur quisoudain était«enune de s’emparer entièrement de café lui.les Le prix n’avait s’il Il avait fallu prendre crédit revolver sur 45ans, kidnappé même tuerchaise. un il? aurait signé on sur théorise letellement champ, nece lui semblait pire de sentir son coeur se déchiqueter. disait, ontrain traite les obèses, lespas drogués, les anorexiques, les malades en tout un genre mais qu’est ce qu’on offre pouroules malades de homme, l’amour Onqueécrit, maissansonouhésitation. neunsoigne pas.pensait-il. On que poétisePas l’affaire mais rien est de jamais fait pour les nécessiteux, on Il renverse des millions pourles lealcooliques, cancer, réagir le sida, mais pour ledépressifs, mal provoquer amoureux un centime, pas vite. un geste, rien. Pourtant, on a bien plus de chance statistiquement d’être malheureux en amour de choper une hépatite cancer, qu’il soit désireux créer le grand business de l’amour mondialisé, seulement il fallait au dégât que pouvait l’amour. Au plus Il espéraitabsurde simplement que le premier Centreinconnue, de désamourisolement, propose deronchonnements, soigner, de guérir et doncsans de faire disparaitrequestionnements tous les sentiments dérangeants liés àquestion l’échecpermanentes, amoureux (insomnie, trouble alimentaire, désir d’auto-destruction ou d’auto-mutilation, alcoolémie diurne et nocturne, écriture deunpoèmes insipides, drague et inconséquente de vulgaire nostalgies échappatoire, incessants, remises en etc.) Jamais personne ne lui avait appris à aimer. Désaimer lui était alors encore bien plus étranger. Loin d’être art, il existait, selon lui, despouvait techniques quidemander pouvaientbeaucoup sauver leplus coeurdeettravail donc qu’une la vie. La durée duenstage, pensait-il, seraitdeàdeuil mettrea en liensouvent avec,commencé non pas ladesdurée la relation à l’être aimé,Face maisàplutôt avec l’intensité et part la dévotion que cette relation aurait sur lepouce système nerveux. Une simple nuit alors,auto-persuasives dans sa devenir logique, vie présent entière où Le le travail bien annéesdedeavant la rupture définitive. Cybèle, sans luidefaire de seront sa découverte, nota sur sonproduit téléphone, ces pour d’amour se souvenirdans qu’elles devaient le prochain rojetAnonymes de sa vie. Et ainsi agacée fuir son tropcouple, pesant.demanda « Centre de désamour, àattendre la porté chaque coeur.duLe centreIl de désamour, les amoureux ne pasdévisagea déçus.ilLe Centre deSans désamour, tout esttremblant, bon dans unephrases, séparation. Bienvenue le en club des A.Ason:téléphone Des Amoureux ».montrer Cybèle, maisécrit curieuse, lui ce qu’il écrivait etpour si faire çalenebonheur pouvaitestpas vu l’importance moment. luipour expliqua. Attristée et l’amour consternée, elle le avec stupeur. comprendre. Pour répondre à son mépris il lui dit tout pianotant qu’il allait lui ce qu’il avait sur elle le soir d’avant. Peut être oublier sa désinvolture nonchalante. Ou tout simplement cacher sa lâcheté.W« Ma Cybèle a une beauté brute, rien n’est { rajouter, rien n’est { enlever. Uneenvie déesse,de une muse des temps entier. modernesUne inadaptée à qui la médiocrité du réel. celle queaujourd’hui, j’aime est {lesmesdéesses yeux intemporelle. Et pourtant, je sais que jerefuserait devrais med’avoir méfierunede oeuvre la longévité de la passion et du?désir quiproblème, en résulte. Mais rien n’y fait. décomplexé, assuméauavec une terrible le crier au monde femme vous réconcilie avecVoil{, vosn’est démons. Mais, deviennent démoniaques. Franchement quicroire d’art humaine chez soi Seul l’art est censé ne pasUn êtreamour possédé, il appartient monde. Faut-il savoir encore le décrypter. Avoir une femme qui ruine la Vénus de Milo ce pas ça le bonheur ?La grâce incarnée à mes côtés, je vais finir par que les miracles arrivent. Je me perds à imaginer ce que peut laisser comme cicatrices une telle jeune femme. Faire l’amour avec une oeuvre divine vous transforme enmonde profondeur. L’épiphanie. Sila j’arrivais { sortir de madepossessivité, jeavous souhaiterais de la rencontrer pour connaîtrevisible au moins une fois nu dansDécontenancée, votre vie la plénitude. Unneéclair de bouche sagesse sans unElle mot, unavait retour à la pureté originelle. Elle auraitfumeuse. dû s’appeler Big Bang, puisqu’elle restera aux yeux du la preuve irréfutable que force divine, créatrice notre univers, voulu nous laisser une trace de perfection, { l’oeil Cybèle resta pas bée. l’habitude de ce genre de déclaration Elle avait, tout simplement l’habitude d’être par d’autre. Cybèle était comparable, pour Oscar, cerf-volant, coloré, gracieux et difficilement contrôlable sans fabrication.###Profondément expérience. Mais comme un cerf-volant, elle restait à launeplus ficelle cette ficelle avaitpouvait été domptée Oscar. Aujourd’hui, comprenait qu’elle n’était dans adulée ses mains.Il plongea alorsjeune, dans ses souvenirs{comme dans suicidaire uneà un cicatrice ouverte.père Souvenirs qu’il vivait nécessairement comme menteur. une futile. Voilà en attachée deuxtares. motsMais courteetàdescription qu’il donnerpar de de Cybèle. Elle quiil n’avait pas d’autre profession queplus l’élégance. Née mèredomptait trop hystérique tendance etcontre d’un séducteur maladif et pardonnez la réalité, Elle n’eut d’autre choix que récupérer leurs sa capacité la résilience époustouflante rapidité et de rendait droiture. Elle en avait fait une force extraordinaire. Sond’une arrogance les foules. Sa beauté l’immunisait les enfers du monde Saà discipline était séparation. dedegarçons avaient pleuré cette ? Plus queIl toutfallait ce était qui est ne s’en pas compte, l’inconscience pure, lesson hommes tombaient à seslepieds pourregard. continuer de recevoir unqueoucelui deux sourires biennourricière. placés. Amoderne. terre, tous terre. Les uns l’amour. âpres les Option autres. Depuis saCombien plus tendre enfance, elletout gagnait tout fille en un coup d’oeil. lesimaginable. voir ses yeux.Elle Cristallins, entre deuxenmême mondes, Dieu était soudain une femme, regard était comme premier Plus important de la mère Jamais on ne pouvait oublier une telleexpérience. Jamais on ne pouvait l’oublier simplement.Cybèle avait tendance à se dématérialiser en soirée. Passant de groupe groupe avec une nonchalance déconcertante, elle cette embrassait tout sensation ce qui bougeait. Rien n’était jamais dit d’intéressant lors de ceslenuits, mais lui c’était pourtant et justement là oùnouvelle elle préférait se trouver. Par peur, peut-être de danser manquerlors la de fête ultime. Cellenuit, qui lui avait son stipulant goût prononcé la nuit. Elle essayait en vain dechez retrouver première magique de mais transgression. Mieuxvraiment queapparemment. la découverte de sa attendait sexualité, clubbing avait ouvertleur les portes d’une perception. Unecoup drogue dure. Pour toute première avaitdonné menti, { sespour parents qu’elle passait le week-end sasavaient meilleur grégaire, toujours Elle ce moment depuis des semaines, tenue était prête et que réfléchie, rimmel avaitpartir été répété, lesa separfum avaitlasubit unelle casting. ne manquer { la fête. Sauf qu’une fête, ellesunnetemps paslesamie, cemoins quemensonge c’était. Surtout dans laplus boiteconnaitre. devalable nuit qui avait retenu leur attention. Nous étions encore dansillicites les annéesd’ecstasy 90, et aussi étonnant ça n’avait puissechaque paraître, undemineur pouvait rentrer dans unmême club, défoncer tronche jusqu’auRien coma toutpouvait enfumant deux paquets de cigarettes à la suite. Déjà que de vingt ans ne peuvent Ce club en particulier était connu pour ses ventes bon marché. L’âge aucune importance, seule la techno prédominait dans ce lieu de jeunesse débauchée. Elles se retrouvèrent devant des centaines bestiale. de mains tendues enrestèrent rythme vers le ciel. L’ambiance lescoeur DJ’s la salle dans une capsule qui Cybèle, se promenait le long des murs, desplus cagesgros en métal étaient posées sur adolescence, des podiums valorisant avecondeavait jeunes gens,de torses nusune dégoulinants plaisir, apprenantdelesmusique, affres un de la séduction Ellesou là toutes deux, accolés auétait bar surréaliste, { contempler battantbraquaient ce spectacle encore inconnu à ce une jour. stupeur, eut le coupplus de foudre de son elle en à qui répété choisir passion, là, unde art, un instrument sport, une activité bénévole mercantile, elleles avait enfin une réponse à offrir. La mauvaise, évidemment ses étaient parents, mais réponse quandprise même.de Et remplir ceenvolés. vide était le urgent.La nuitEmbrasser passa pour un elle unepuis fraction de seconde, se promenait comme danspersonne un parcned’attraction, sans dévisager personne, enn’était contemplant la frénésie etn’étaient l’insouciance qui valdinguaient autour d’elle. Ici, lespour pleurs proscrits, les souffrancesoubliés, les doutes Tout étaitd’être soudain permis. garçon, un autre, et encoreelle un autre, personne ne jugeait, disaitderien parce que plus personne quelqu’un. Tous plus qu’un. Un simple tout. Une large foule aux courbes sensuelles qu’elle voulait sienne.Qu’il était facile pour elle mature dans l’imposture. De son existence pathétique elle n’avait apprit qu’une seule leçon, celle la séduction. Sa beauté nem’aimer pouvait un paspeu, vraiment s’expliquer. se décrire. Cybèle c’était plutôtUne ça, une belleune indescription. Une quiéphémère. aimait l’amour plus que le sujet aimé. Une l’amour. sentiment amoureuxdonne pourdeêtrel’aisance, exact. Maistupas de l’être aimé. Jamais. Ellenedisait alor-Tu vas sans maisaller. qu’une fois.NiJemême suis usagec’est unique. Comme histoire, passion, unresterait-il désir,fille toutàestraconter Il estCybèle impossible de reproduire ce amoureuse quen’avait l’ondevafinalement vivre. LeDu de me dominer voir. de m’avoir fait que t’émouvoir. Jedoute le vois. Alors laissechez toi Vivons-le. Un { point tout… Et{l’amour. puis si ondevant arrêtait de les baiser, que nous ?Ce que reproduisit { l’infini eulesuccès lieu qu’une fois. De son premier va et vas vient avecL’espoir unà garçon jusqu’à saSon première sortie en boite de nuit. Tout reposait elle sur le corps humain. Elle s’en servait outrance, tous sexes, le féminin masculin ne comptait pas vraiment à ses yeux. Sa beauté avait un prix, elle avait su fixer. Elle qui savait mettre en évidence son esprit travers son corps. goût du néantneetveuille sa propension à la mélancolie enprête fit un{appât à jeunes sensibles.Elle savait que dans avait le mot masculinlesilgarçons y avaitmécaniquement. masque et cul,Parfois et que dansadmirablement. féminin il n’y avait rien. Pour rétablirs’échapper. les rapportsC’était de force,sa elle le commencé féminin en machine à catin.Elle n’acceptait pas qu’un homme pas d’elle. coucher avec legarçons monde entier pourpensait se rassurer. Elle enchainé Pour blottir, se cacher, drogue.transformait Elle avait après avoir aimé unequi première fois. Elle avait prit envie. intensité depuis. {Elle chaqueétait fois qu’unj’en garçonsélectionnerais rentrait dans elle, { Pourquoi lui, le disparu, celui quisurn’a pas ces voulu. Lequi seulsuccombentma qu’elle aimait.Quand elle sepensait lequant soir àlui, tous ces qui rêvaient d’elle, qui l’attendait dansleur lit, l’imaginait en d’une Elle, elleMais senocturne. questionnait. Pourquoi un Des enelle particulier ? je m’arrêterais l’un hommes basse médiocrité étaithommes loin d’être désirable Cybèle ;secrètement Sa jalousie ne dégrossissait donc jamais en maitresse la voyant accompagnée de sesau courtisans Des chiens à petit sexe, pensait-il. charognards vaginaux.avait Des gratteurs dedéposséder. tendresse. Il ne supportait pas l’idée d’attente, encoreà ?Oscar, moins celle deàsoumission amoureuse. Avecaussi Cybèle, il nequepouvait enqu’il être autrement. Elle lesplus. avaitMais toujours toussesfait languir. Et du languir pâtir il n’y avait qu’un pas.Mais Oscar était fou d’amour pour Cybèle. Elle réussit à le Elle voulait le métamorphoser, le changer son image. Comme chaque premier amour. Deux destinées croisées n’attendait déj{ suivre indécisions l’épuisait. Lui qui grandiidée avecd’expliquer des parentsmarginaux déconnectés du principe de réalité. père particulièrement quisemaine avait choisi la vie spirituelles’est plutôtdéclassé, que la vie réelle, la me méditation plutôt que la télévision, l’indouisme plutôt que led’agriculteur. protestantisme,D’un l’orient plutôtdequebonne l’occident. Il avait, d’ailleurs, eu laavait mauvaise d’une { Cybèle safils relation avec luiSon lors de leur toute première partagée je voulais reclasser. estprivilégié passé du statut petit bourgeois à celui parisien famille du VIIème arrondissement à un par Indien vivant sans rien danstraite un pas Ashram. Son est passé véreuse { la plus belle ville ensemble.-Il durester monde. D’un sombremoi empli métier à unIl accès à pas ladeculture. au il reclassement. Nous avons fais un sans parcours sitransition parfaitement opposé qu’ils finiront se retrouver.Cybèle n’avait l’air siEt intéressée que çad’une sursilencieuse sesbanlieue lamentations familiales. Elle préférait concentrée suravenir le dernier épisode dedelasous série Gossip Girl. Pour ne perdre laDu face,déclassement ce souvent jour là, trouvapasledesmoyen d’enchainer aucune pour la conserver en éveil. Il aimait tant lui parler pour la faire taire. ainsi l’admirer sous son flot de mots telle une oeuvre d’art inaccessible.C’est fou comme il y a des filles que nous ne pouvons pas encadrer, oui ce ne sont canons de beautés, juste des filles, des oies grises, tees lles devaient déjà faire partie des bébés que l’on ne remarque pas (ils sont peu mais ils existent) D’une platitude déconcertante, d’une laideur dépressive, on les remarque souven grâce leur bouche pincée, les femmes sans lèvres, devrait-on les appeler. Un corps sans forme ou alorsparce les que formes sont maln’est placées, l’injustice en quelque sorte,l’on oui c’est dans ça :leselles sont l’incarnation deyl’injustice biologique…et soyonstypes honnêtes, personne necesmet en valeur laetlaideur. Aplus défaut d’avoiretl’intelligence de la transparence ellesde ont moins le mérite». de rendre le monde réel, la réalité pasetune parodiedansfutile de ceracial que magazines féminins. Il a en évidement plusieurs etpuis, plusieurs laideur quoi dequ’elle dérangeant de hochant dégradantlentement qu’associer la jeunesse vilsau« vilaineries Alors Cybèle… je m’insurge, j’insurge ma verge ce combat qui sinetrouve tardera pas àdégoutaient, devenir radical. Je me rassure contemplant quedegrés latoutnature à réussi et nonde ses échecschez qui luiledemoiselles, montent à ladetête.Bien acquiesça en la tête, rien deàlui ce qu’il venait de dire l’air de la toucher. Heureusement, se dit il, quema laverve nature l’avaitgâté, que mots{ lacoucher ou pire l’indifféraient, luicerestait de même la possibilité regarder mouvement seslelèvres. Toutcelui en continuant fixerLe nonchalamment, une phrase quin’avait lui donna de Regarde làenvie ou aux l’épouser, sans plus attendre.n homme ne veuille pas d’elle.parce Elle étaitsesprête avec le-Face à un être de beautéilsupérieure, on invente. Toujours.ntrait dansdeelle, elle pensait { lui, disparu, qui n’a àpaslevoulu. sePour neelle pas resterglissa bouleversé et cacher nuit d’amour dans sa logique, demander beaucoup plus de travail qu’une entière en couple, où le de deuil a commencé des années avant la rupture définitive. à Cybèle, sans lui faire part de sa découverte, il nota sur son téléphone, pouce , ces phrases, mépris pianotant son qu’il allait lui ce q lle le soir Peut être faireu oublier sa dési alante. simplement sa lâcheté.W« Ma Cybèle a brute, rajouter, rien n’est en pour se s E elles devaient devenir le rojet de uct Et ainsi fuir son « Le de d lectbonheur à la porté coeur. Le de de désamour, ’amour ne seront pas déçus. sépa Lut est bon d i n

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(n.f) Personne qui devient rapidement connue grâce à son talent

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ROMANTIQUE CYNIQUE

Elizabeth Orne

Texte - Simon Anthony

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lizabeth Orne est une réalisatrice de talent. La preuve avec son court métrage Crazy Glue. Elle y raconte la monotonie et la grisaille d’un couple, sensation de claustrophobie et sa conclusion sibylline. Exercice d’autant plus compliqué qu’il a déjà été réalisé à maintes reprises et que cinq minutes paraissent un laps de temps bien court pour rendre compte d’un quotidien. Mais Elizabeth Orne y parvient totalement. Grâce à une porte d’entrée métaphorique et originale (la glu), et grâce à une écriture efficace comme une punch line. On retiendra par exemple : « Pourquoi achètes-tu toute cette merde ? » « Pour la même raison que je t’ai épousé : pour tuer le temps« . On attend avec beaucoup d’impatience la suite. J’ai lu que tu es une Américaine de la 13ème génération et tu racontes que pendant les hivers du Vermont, tes ancêtres se racontaient des histoires. C’est une observation inhabituelle. A quel point la généalogie est importante pour toi ? Mon premier ancêtre américain du côté de mon père arrivait d’Angleterre sur l’un des onze navires du Winthrops Fleet en 1630, juste 10 ans après le Mayflower. Il s’appelait

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lizabeth Orne showed her filmmaking skills to the world with her short film Crazy Glue. It tells the story of an ordinary couple mired in routine, tedium and claustrophobia, before ending on a cryptic note. In five minutes only, Elizabeth Orne manages to sketch the couple’s relationship and breathe new life into a clichéd theme through a metaphorical narrative device, glue, and dialogues as sharp as punch lines: «I can’t understand why you buy all this crap?» - «Same reason I married you: to kill time.» We are looking forward to her follow-up film. You are a 13th generation American whose ancestors were telling each other stories during the cold Vermont winters. It is an unusual observation. How important is ancestry to you? My first American ancestor on my father’s side arrived from England in 1630 aboard one of the Winthrops Fleet’s ships, just 10 years after the Mayflower. His name was John Horne, but he dropped the H when he landed in America. So my name was born out of the English uprising. My ancestors on my grandmother’s side came from France.

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Quand tu parles de tes études, tu donnes l’impression d’être tombée amoureuse tout de suite du métier de réalisateur. Qu’est-ce qui te plaît tant que ça ? J’ai commencé à réaliser bien avant de savoir ce que ça voulait dire. A 5 ans, je mettais en scène des pièces dans ma cave, en castant mes cousins. Je leur apprenais minutieusement leur texte, les déguisais en grand-mère… mais je ne jouais jamais moi-même, parce que je voyais déjà la pièce dans ma tête et que si

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They were among the first settlers in Montreal. You have to imagine how isolated people were in North America at the time. For several generations, they had to rely on each other for entertainment and my family developed a storytelling culture which lives on to this day. I have wonderful childhood memories of sitting by the fireplace for hours, listening to my grandparents, aunts and uncles telling stories. It seems that filmmaking has always been your true calling. What is it about it that appeals to you? I started directing well before knowing what it was. When I was 5, I was directing plays in my basement, casting my cousins. I was making them learn their lines, dressing them up as grannies… but I never acted because I was picturing the scenes in my head and had I been on stage, I could not have made sure the result was good. When you started writing Crazy Glue, you decided to tell the story of a couple that got into a rut, a subject that has already been done to death. You really took a risk.

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© Elizabeth Orne

John Horne, mais il a abandonné le « H » en arrivant dans les colonies américaines. Donc je porte un nom issu des rébellions anglaises. Mes ancêtres du côté de ma grand-mère venaient de France, et ils étaient parmi les premiers à s’installer à Montréal. Il faut imaginer à quel point la vie pouvait être isolée en Amérique du Nord à cette époque. Pendant plusieurs générations, ils ne pouvaient se distraire que les uns les autres. Ils ont développé une culture du storytelling dans ma famille et qui continue aujourd’hui. J’ai des souvenirs formidables de mon enfance, à écouter les histoires de mes grands-parents, tantes et oncles, assis autour du feu, pendant des heures.


j’avais joué, je n’aurais pas pu m’assurer que le résultat était le bon. Quand tu te lances dans Crazy Glue, tu décides de raconter l’histoire d’un couple dans son quotidien morose. Ce qui a été fait des milliers de fois. Pour un premier film, c’est un vrai danger. Sûrement. Maintenant que tu le dis. Mais je ne pensais pas à ça quand je me suis lancée. En fait, c’est mon film de fin d’études. Et j’ai commencé ça assez naïvement. Je marchais dans Londres et je suis tombée sur un livre The Girl on the Fridge de Edgar Keret. Crazy Glue est l’une des histoires du livre. Je l’ai lue dans l’allée de la librairie et j’ai été complètement estomaquée par cette absurdité amoureuse. Quelques mois après, je me creusais la tête pour trouver un sujet de thèse. En pleine nuit, j’ai eu l’inspiration folle d’écrire à Keret pour avoir la permission d’adapter son histoire. Dès le lendemain matin, il m’a donné l’autorisation d’adapter Crazy Glue, et aussi The Girl on the Fridge (que je viens juste de finir). Il y a beaucoup d’humour dans Crazy Glue. Du second degré. Un humour très anglais en fait, avec plusieurs niveaux d’interprétation. Ce n’est pas du tout un humour américain.

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Yes, but I did not think about it at the time. It was my thesis film and the project started out in a fairly naive manner. I was walking in the streets of London and I happened upon The Girl on the Fridge by Edgar Keret. Crazy Glue is one of the short stories in the book. I read it in the bookshop and I was flabbergasted by the absurdity of this love. A few months later, I was racking my brains trying to find a subject for my thesis. In the middle of the night, I had the crazy idea to write Keret and ask him permission to adapt his story. The following morning, he gave me the authorization to adapt Crazy Glue and The Girl on the Fridge (which I have just finished). There is a lot of deadpan humour in Crazy Glue. It is a fairly British kind of humour, with several layers of interpretation, lightyears away from American humour. Isn’t it odd for a 13th generation American? These different layers of interpretation are the reason behind the project and what excited me. I have a very deadpan humour. American humour is very broad, but Vermonters are known for a certain kind of austerity.

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Etrange pour une 13ème génération.

Au sujet de la métaphore de la glu, a quel point crois-tu à la force de l’amour ?

If we talk about the glue metaphor, do you really believe in the power of love? I don’t know, I have many conflicting thoughts about love. Love is enduring. Fickle and fleeting. Love is the meaning of life. Love is harmful. Love is a fantasy. I am a cynical romantic. But I wonder if Crazy Glue does not deal with attachment rather than love.

Je ne sais pas… je ne sais pas… je tends à avoir toutes les perspectives de l’amour en même temps dans la tête. L’amour est tenace. Inconstant et fugace. L’amour est le sens de la vie. L’amour est nuisible. L’amour est une fantaisie. Je suis une romantique cynique. Mais je me demande si Crazy Glue ne parle pas plus de l’attachement que de l’amour.

It is hard to tell if Crazy Glue is realistic or not; it starts off as a Godard film and ends in madness.

C’est dur de dire si Crazy Glue est réaliste ou non ; ça commence comme un film de Godard et ça finit dans la folie.

Your film is reminiscent of Wes Anderson. Were you influenced by his universe?

Oui, c’est une volonté. Au début du film, tout est en plans fixes, mais quand le suspens monte, on commence à ajouter des mouvements et des plans courts.

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Yes, I did it on purpose. The beginning of the film is made up of static shots, but as the tension rises, there are more camera movements and shorter shots.

I love Wes Anderson and his oddball characters. But Alexander Payne’s Election is the film that really made me want to become a director. Election is a vitriolic satire of the American political system

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© Elizabeth Orne

Cette interprétation à plusieurs niveaux est toute la raison d’être de ce projet. C’est ce qui m’a excitée. Ma sensibilité comique est totalement sèche. L’humour américain est très large, mais les Vermonters sont réputés pour une certaine forme d’austérité.


En fait, ton film rappelle l’univers de Wes Anderson. Une référence pour toi ? J’adore Wes Anderson et ses personnages absurdes. Mais c’est Election, le film d’Alexander Payne qui m’a donné envie de devenir réalisatrice. Election semble être une simple comédie, mais c’est une critique acerbe du système politique américain. J’ai rencontré Alexander au Telluride Film Festival cette année, et il a été d’une générosité et d’un encouragement incroyables.

masquerading as straightforward comedy. I met Alexander at the Telluride Film Festival earlier this year and he was amazingly generous and encouraging. What are your current projects? I have just finished working on The Girl on the Fridge. I’m starting to work in commercial films and I am working on my debut feature film. Is beauty a part of madness?

Quels sont tes projets ? Je viens juste de finir un court métrage The Girl on the Fridge. Je me lance tout juste dans la publicité et j’essaie de développer mon projet de long métrage.

In a story, it is. Always. But not in real life. Not so much.

Est-ce que la beauté fait partie de la folie ? Dans une histoire, oui. Toujours. Mais dans la vraie vie, non. Pas vraiment.

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L’INARRÊTABLE

©Aurélie Saada

Aurélie Saada

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lle s’appelle Aurélie Saada pour certains. Mayane Delem pour d’autres. Ou encore Aurélie Maggiori. C’est qu’Aurélie Saada (car, oui, c’est bien ce que dit sa carte d’identité) a autant de noms qu’elle a eu de vies. Beaucoup. Elle est chanteuse, auteur, compositeur, actrice et réalisatrice. Et elle n’a que 33 ans. En fait, vous la connaissez certainement par le duo qu’elle forme avec Sylvie Hoarau, Brigitte. Mais tout a commencé bien plus tôt. Dans le piano bar de son oncle où elle interprète Elton John, Stevie Wonder ou Prince. Elle n’a pas 16 ans. C’est la mère de la petite Aurélie qui l’initie aux Beatles et à Led Zep. Une maman qui a du goût donc, et qui pratique la belle

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ome know her as Aurélie Saada, others as Mayane Delem, others still as Aurélie Maggiori. Aurélie Saada (as her name appears on her passport) has had many names and many lives. At barely 33, she’s a singer, an author, a composer, an actress and a director. You most certainly know her through the band she created with Sylvie Hoarau, Brigitte. But she started out much earlier, in her uncle’s piano bar where, at the tender age of 16 years old, she sang Elton John, Stevie Wonder or Prince songs. Her mom, a psychoanalyst with good taste in music, introduced her to the Beatles and Led Zeppelin. There is no official link between analysis and a child’s chosen career, but psychoanalysis is certainly not an ordinary

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Texte - Simon Anthony

profession de psychanalyste. Officiellement, aucun lien entre le divan et la carrière de la progéniture, mais psychanalyste, non, ce n’est pas un métier comme un autre. Un métier où la névrose est normalité, la normalité est inexistante et l’être humain est un potentiel. Bref, après ses tours de chant enfumés, Aurélie obtient son bac à 16 ans et s’inscrit en droit. Elle suit surtout les cours de l’Ecole Sudden Théâtre et la Classe Libre du Cours Florent. En 1995, elle joue dans son premier court métrage. Puis reste trois mois sur la scène du Bataclan dans la comédie musicale Mayflower. Aurélie a alors 18 ans. Elle continue inlassablement le théâtre et tourne dans quelques téléfilms. En 2000, elle fonde le collectif Les Quiches avec sept autres acteurs. Une ode à l’humour absurde comme seules les années 90 savaient nous

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kind of job. It is a line of work where neurosis is normality, normality is nonexistent and humanity is a potential. After these smoke-filled first gigs, Aurélie graduated from high school at 16 and started studying law. She also studied acting at the Ecole Sudden Théâtre and at the Cours Florent. In 1995, she acted in her first short film and played for three months at the Bataclan in the Mayflower musical. Aurélie was then 18. She continued acting in plays and a few TV films. In 2000, she created Les Quiches along with seven other actors, a tribute to nonsensical humour typical of the 90s. The collective directed over 45 short films and won half a dozen awards. In 2001, music reappeared in her life.

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offrir. Le groupe réalise pas moins de 45 courts métrages et reçoit une demi-douzaine de récompenses. En 2001, la musique ressurgit dans sa vie. Sous le nom de Mayane Delem, elle sort un premier single, puis un album porté par le titre Je pars avec toi. Sa carrière musicale se développe notamment grâce à la BO du Cœur des Homme de Marc Esposito. Pendant ce temps, Les Quiches, dont Aurélie Saada est également scénariste, sortent le long métrage Foon et signent chez Canal Plus deux minis séries de plusieurs dizaines de sketchs (Allo Quiche et Enterrement de vie de jeune fille). En 2007, elle crée Brigitte avec Sylvie Hoarau avec le succès que l’on connait.

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She released a first single as Mayane Delem, then an album in the wake of the single Je pars avec toi. Her musical career took off thanks to the soundtrack for Marc Esposito’s film Le Cœur des Hommes. Meanwhile, Les Quiches, with Aurélie Saada as screenwriter, released the feature film Foon and created two mini series of several dozen sketches for Canal Plus (Allo Quiche and Enterrement de vie de jeune fille). In 2007, she founded the hugely popular Brigitte with Sylvie Hoarau. In 2012, Aurélie Saada, who is probably getting restless, gets behind the camera. She shoots a short black and white minutes film, la Poudrière, for Vogue Eyewear, which is acclaimed by the whole profession. «

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©Aurélie Saada

En 2012, Aurélie Saada doit s’ennuyer, elle passe derrière la caméra. Elle tourne un court métrage de 2mn30 en noir et blanc, la Poudrière, pour Vogue Eyewear. Un film applaudi par toute la profession. « Depuis le début de ce projet avec Vogue Eyewear, j’ai en tête cette petite phrase tirée de Pull Marine, une chanson d’Isabelle Adjani : Je porterai mes verres fumés pour montrer tout ce que je veux cacher » Aurélie Saada est donc fille de psy. Et comme c’est souvent le cas (oui, ils sont quelquesuns), elle a intégré la règle fondamentale : seule la souffrance différencie le sain du pathologique. Mais si la névrose devient création, alors le talent n’a plus de limite. Demandez à Dali.

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Since the beginning of this project for Vogue Eyewear, I’ve been thinking about this line from Pull Marine, a song written by Gainsbourg for Isabelle Adjani : ‘Je porterai mes verres fumés pour montrer tout ce que je veux cacher’ (I will wear sunglasses so I can show everything I want to hide) » Aurélie Saada is indeed a psychoanalyst’s daughter. And she abides by the ground rule: the only difference between health and pathology is suffering. But if neurosis becomes creation, talent becomes limitless. Just ask Dali.

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FORCE DE RÉALITÉ

Si Taryn Simon était reporter, on dirait qu’elle informe. Mais la New-Yorkaise est artiste, alors on dit qu’elle dérange. Pour Taryn Simon, c’est le sens qui prime. Regarder un cliché de l’artiste de 37 ans, c’est comme se voir attraper fermement par la nuque et être obligé de regarder la réalité en face. If Taryn Simon were a reporter, people would say she informs. But the New Yorker is an artist, so people say she disturbs. The 37-year-old artist is interested in meaning. Looking at one of her photographs is akin to being grabbed by the throat and being forced to look reality straight in the eye.

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Texte - Céline Byron

TARYN SIMON


Š Taryn Simon

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Mais loin de lancer ses photos dans une métaphysique stratosphérique, elle ancre ses clichés dans une réalité sociale, politique et contemporaine. Son œuvre en devient, si ce n’est un combat, du moins un engagement, une obligation au questionnement. Si, comme l’affirme René Char « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience », alors Taryn Simon mérite amplement les deux. Les massacres dans le monde, les objets prohibés à l’aéroport Kennedy, les lieux secrets, les prisonniers innocents, les menacés de fathwa, les immigrés illégaux, les révolutionnaires, les blessés, les sans papiers, les sans paroles… Non, il ne s’agit pas du programme des vacances de BHL, ni du plan d’urgence de l’ONU, mais de ses différents travaux. Taryn Simon utilise son appareil photo comme Zola écrit dans l’Aurore ou Nanni Moretti tourne ses films. Ou comme l’aurait dit Albert Londres, « pour planter sa plume dans la plaie de la société ».

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But far from being lost in lofty metaphysical reflections, her photos are firmly grounded in social, political and contemporary reality. Her work therefore becomes, if not a fight, at least a commitment, a nagging question. If, like René Char says, « that which is born to avoid disturbance deserves neither respect nor patience », Taryn Simon is definitely worthy of both. Massacres, forbidden objects at Kennedy a i r p o r t s , s e c re t s p l a c e s , i n n o c e n t prisoners, fatwa victims, illegal immigrants, revolutionaries, the wounded, the nameless… This is not some armchair revolutionary’s homework or the United nations emergency plan, but a sample of her work. Taryn Simon uses her camera the way Zola wrote in the Aurore newspaper or Nanni Moretti directs his films. Like Albert Londres said, « to stick my pen in society’s open wounds ». Taryn Simon is undoubtedly an artist. She has a strong aesthetic sense and her photos show a great skill at light and staging, but it is

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© Taryn Simon

Pas de doute, Taryn Simon est une artiste. Elle aime l’esthétique et ses clichés révèlent une maîtrise de la lumière et de la mise en scène absolument parfaite. Mais là n’est pas le principal. Les photos de Taryn ne doivent pas seulement se contempler, elles doivent se faire expliquer. Savoir, comprendre, analyser. Qui, où, quoi, comment, pourquoi. Comme sa série The Innocents qui nous montre d’anciens prisonniers, enfermés à tort. Les sujets posent sur les lieux du crime, de leur arrestation ou de leur alibi. Froidement. Comme toujours. La photo paraît d’abord innocente, avant de révéler son sens qui vous frappe en plein visage. L’effet Simon. C’est que Taryn Simon a une obsession : montrer ce que nous ne voulons pas voir. Quand nos yeux se ferment sur notre culpabilité d’humain, quand nos cerveaux effacent pour continuer à dormir, Taryn, elle, fige la vérité sur pellicule pour que nous ne puissions échapper à notre monde. Pour ne plus pouvoir dire que l’on ne savait pas.

not their main quality. Taryn’s photos should not merely be contemplated, they should be explained. The viewer needs to know, understand, analyse - who, where, what, how and why. For instance, The Innocents series show former inmates who were wrongly imprisoned. They pose on crime scenes, on the site of their arrest or their alibi. Coolly, as always. At first, the photo looks innocent, before its meaning hits you right in the eye. It’s the Simon effect. For Taryn Simon has an obsession: showing us that which we do not want to see. When we look away from our guilt as humans, when our brains shut down so we can sleep at night, Taryn catches the truth on film so we cannot escape reality. So we cannot pretend we did not know.

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LE TALENT NOUVELLE GÉNÉRATION

Texte -Zoé Sagan

GIA COPPOLA

Son grand-père aligne 6 Oscars et 2 Palmes d’Or. Sa tante un Oscar. Oncle, parents, cousins, tout le monde dans la famille change les pellicules en or. Mais Gia Coppola n’a pas déroulé sa généalogie comme un tapis rouge. Après quelques réalisations reconnues et un patronyme à ouvrir les portes les plus récalcitrantes, Gia n’a pas même un site internet pour se vendre. Pas une page wikipedia à son nom. Tout juste un petit tumblr. Et pourtant, son talent ne mérite pas une telle ignorance. Injustice que l’on commencera par rattraper ici. Her grandfather won 6 Oscars and 2 Palmes d’Or. Her aunt won one Oscar. Uncles, parents, cousins, every member of that family turns celluloid into gold. But Gia Coppola did not use her illustrious family tree like a red carpet. Despite a handful of acclaimed films and a door-opening name, Gia does not even have her own Website, or a Wikipedia article to her name. She only has a small tumblr. However, her talent deserves to be more widely known and we want to start righting this wrong.

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Gia Coppola started off as a photographer. A precocious talent, she got a double page spread in Vogue at the age of 18. But cinema was obviously in her genes and she rapidly went on to direct. She drew attention to herself by co-directing a short film with Tracy Antonopoulos for Opening Ceremony starring Jason Schwartzman (a cousin of hers) and Kirsten Dunst. After being chosen by genius designer Zac Posen to shoot a video featuring The Like, Gia Coppola was recognized as a director in tune with her times and her generation. Gia, who celebrated her 13th birthday at the turn of the century, is familiar with the mixture of desperate cynicism, optimistic irony, disillusioned romanticism, and gratuitous aesthetic typical of the Y generation. Always eager to find new talents, especially when they are in touch with the zeitgeist, the fashion world rapidly woos the young director. Her video for the spring-summer collection 2011 by From London With Love is a perfect example, with its tender and poetic narration.

© Gia Coppola

Gia Coppola commence comme photographe. Talent précoce puisqu’elle se paye le luxe d’une double page dans Vogue à 18 ans. Mais de toute évidence, la caméra est dans ses gènes, et rapidement, elle passe à la réalisation. Elle se fait remarquer en cosignant avec Tracy Antonopoulos un court métrage pour Opening Ceremony avec Jason Schwartzman (un grand cousin) et Kirsten Dunst. Une commande du génial créateur Zac Posen qui met en scène The Like, et déjà Gia Coppola s’impose comme une réalisatrice de son époque, de sa génération. Elle, qui a eu 13 ans le jour même du passage à l’an 2000, connaît ce mélange de cynisme désespéré, d’ironie optimiste, de romantisme désabusé, d’esthétique gratuite propres à la fameuse génération Y. Toujours premier à déceler les nouveaux talents, surtout quand il insuffle l’air du temps, l’univers de la mode s’empare rapidement de la réalisatrice. Son film pour la collection printemps-été 2011 de From London With Love est un coup de maître, parvenant à enrober le film d’une narration tendre et poétique.

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Š Gia Coppola

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Alors, Gia suit le parcours habituel, qui la mène logiquement à la musique. Pour JR (John Taylor et Robert Schwatrzman, frère de Jason et donc cousin de Sofia et de Nicolas Cage, et neveu de Francis Ford, enfin bref on ne choisit pas sa famille), elle signe Watching You. Son film What’s Up est certainement le plus représentatif de l’art de Gia Coppola. A la fois atemporel par son romantisme, sa douceur et sa poésie, et, en même temps, très marqué dans génération avec des références culturelles et un second degré permanent. Si vous vous demandez comment pense la génération Y, regardez ce film. Alors, oui, c’est vrai, il est compliqué de dire du bien d’une réalisatrice qui s’appelle Coppola – représentée aujourd’hui par U-Turn – sans sembler perdre son objectivité. C’est vrai qu’un grand-père qui s’appelle Francis Ford, une tante Sofia, un oncle Roman et deux cousins nommés Nicolas Cage et Jason Schwartzman, c’est un peu lourd à porter. Oui, mais voilà, si la justice divine existe, elle n’est pas humaine, et certaine famille semble bien truster le talent. Alors peut-être que Gia n’a pas même un site internet officiel, mais elle a du talent et toute notre admiration. Un début.

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Gia then follows the usual career path to music. For JR (John Taylor and Robert Schwartzman, Jason’s brother and therefore a cousin of Sofia and Nicolas Cage’s, himself Francis Ford’s nephew - everything stays in the family), she directs the video for Watching You. Her film What’s Up is certainly the most representative of Gia Coppola’s style: both timeless in its romanticism, its sweetness and poetry and very firmly grounded in her generation by way of cultural references and constant irony. If you wonder how the generation Y thinks, watch this film. Of course, it is complicated to speak well of a director called Coppola (currently represented by U-Turn) whilst retaining our objectivity. It is true that having Francis Ford as a grandfather, Sofia as an aunt, Roman as an uncle and Nicolas Cage and Jason Schwartzman as cousins must be a heavy burden. But if there is such a thing as poetic justice, it is beyond the reach of humans and talent does seem to run in some families. So Gia might not even have an official Website to her name, but she has talent to spare and our admiration. And that is a good start.

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Š Gia Coppola

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L’INDÉMODABLE

Ellen Von Unwerth

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llen Von Unwerth is a household name in the world of photography. A former model, she was the first to shoot Claudia Schiffer, a pioneer of porn chic, a master of sensuality in black and white and a major player in fashion photography. The epitome of glamour and eroticism, her photos celebrate a deceptively vulgar beauty and a mock-exhibitionism. She brings fantasies to life, makes utopia a reality. Her famous Dior film, I Found My Love In Portofino, is a fascinating dream we never want to wake up from. The trailer she directed for Sex and the City is representative of Ellen Von Unwerth’s work. It glorifies a strong femme fatale, who lets go of her status and espouses a liberated yet fragile brand of romanticism, not unlike the great Helmut Newton. Ellen Von Unwerth’s talent for filmmaking was rapidly noticed by major brands. In the twenty-second film she directed for Lacoste, she turns model Mari¬a Gregerson

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Texte - François Sade

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’est l’un des noms les plus connus du monde de la photographie. Ancienne mannequin, première à avoir posé un objectif sur Claudia Schiffer, reine de la sensualité, pionnière du porn chic, maître du noir et blanc, Ellen Von Unwerth est la référence mondiale de la photo de mode. Provocatrice et glamour à l’extrême, ses œuvres sont des odes à une beauté faussement vulgaire, à une intimité faussement offerte. Toujours le même souci de faire vivre les fantasmes, de donner vie à l’utopie. Son film pour Dior, I Found My Love In Portofino, très remarqué, est un rêve dont il est difficile de se détacher et dont on ne veut pas se réveiller. Son trailer pour la série Sex and the City est un bel exemple du travail d’Ellen Von Unwerth. La femme y est magnifiée, forte et fatale, abandonnant son statut pour épouser un romantisme émancipé mais fragile. Une démarche qui peut rappeler celle du grand Helmut Newton. Les qualités de mise en scène de la femme


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Š Ellen Von Unwerth


© Ellen Von Unwerth

rendent rapidement Ellen Von Unwerth incontournable pour les grandes marques. Pour Lacoste, vingt secondes suffisent pour faire du modèle, Maria Gregerson, un archétype de femme émancipée. La décennie que la photographe a passée sur les podiums lui permet aujourd’hui de shooter comme personne les beautés de ce monde. L’artiste sait protéger en dévoilant, renforcer en mettant à nu. Un art rare. C’est qu’Ellen Von Unwerth touche à l’essence de la réalisation et de la photographie avec ses paradoxes. Cet art de faire tourner le monde autour d’un objectif, de mettre en scène, de créer artificiellement un univers pour capter le réel. Cet art, paradoxal par essence, Ellen le maîtrise à la perfection, presque naturellement. Et les femmes, ellesmêmes êtres de paradoxes, l’en remercient.

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into an archetype of the liberated woman. After spending ten years on the catwalk, she has an uncanny ability to capture beauty on film. She knows how to unveil and protect, highlight and bare, all at the same time. A rare talent. Through her paradoxes, Ellen Von Unwerth captures the very essence of filmmaking and photography. She perfectly, almost wwof creating a world that revolves around her camera, of staging an artificial universe destined to capture reality. Women, who are themselves creatures of paradox, are grateful for it.

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L’ART VIDEO AU FEMININ

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st ce dans son nom à consonance fantastique que l’artiste suisse Pipilotti Rist puise l’onirisme de ses vidéos et installations ? Par le biais d’un système de dérapage avec le monde, Pipilotti Rist crée un décalage dans lequel elle s’immisce afin d’engendrer un espace dédié à l’émergence du poétique. Les œuvres de l’artiste internationalement connue sont ainsi saturées de rayures barrant l’image, de juxtaposition de couleurs criardes, de bavures. C’est en partant d’une utopie presque enfantine, que l’artiste décide de malmener le monde faussement lissé qui nous entoure. Pipilotti Rist travaille en effet sur l’impact que peuvent avoir les images et les sons car selon l’artiste, « la vidéo et le son sont de mauvaises copies de nos sens. C’est pourquoi j’essaye tous les formats, pour faire comme si nous sortions nos yeux de nos têtes et les suspendions dans l’air ». Pipilotti Rist pousse ainsi le spectateur à acérer sa vision

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s it from her fantastic-sounding name that the Swiss artist Pipilotti Rist draws her dreamlike videos and installations? Through a skidding system with the world, Pipilotti Rist creates a gap in which she fits in, in order to generate a space dedicated to the emergence of poetic. The works of the internationally known artist reach therefore a saturation point of scratches crossing the image as well as a juxtaposition of heavy colors and smudges. Starting from a childlike utopia, the artist mauls the fakely perfect world surrounding us. Pipilotti Rist works indeed on the impact of images and sounds; according to the artist, “ video and sound are bad copies of our senses. That is the reason why I try all types of formats, in order to pretend that our eyes came out of our heads and that we hung them in the air”. Pipilotti Rist drives the spectator to sharpen his vision while forcing oneself not to get

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© Pipilotti Rist

PIPILOTTI RIST


© Aurélie Didier

en le forçant à ne pas se laisser submerger par le quotidien tout en sublimant une réalité parfois trop terne, à l’image de son long métrage Pepperminta, réalisé en 2009, qui met en scène une jeune femme qui fait fi de toute peur. Artiste souvent considérée comme féministe, Pipilotti Rist s’est toujours intéressée aux problématiques liées aux différences de sexe et à la place de la femme dans la société moderne, en se mettant régulièrement en scène. La vidéo Open My Glade (Flatten), projetée en l’an 2000 sur un écran géant de Times Square à New York, montre l’artiste se démaquillant par frottements de son visage contre une vitre, créant des déformations grotesques, dans le but de dénoncer le culte de la beauté et les publicités trop parfaites. Les vidéos souvent monumentales de Pipilotti Rist sont imprégnées de fantaisie, ce qui les rend accessible au plus grand nombre, dévoilant ensuite un propos grave tel que Pour Your Body Out (7354 Cubic Meters), qui invite les spectateurs à réfléchir à la place de la nature dans le monde actuel. Pipilotti Rist fait actuellement l’objet d’une rétrospective dans sa ville natale de Saint Gall en Suisse.

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overwhelmed by everyday life and at the same time subliming an all too often dull reality, as it has been done in her fulllength movie Pepperminta, produced in 2009, staging a young woman who rejects all kind of fears. Often considered as a feminist artist, Pipilotti Rist has always been interested in problematics linked to gender differences and to the role of women in modern society, while regularly staging herself. The video Open My Glade (Flatten), projected in year 2000 on a large screen in Times Square, New York, shows the artist removing her make-up by rubbing her face on a window, creating grotesque distortions, in order to denounce the cult of beauty and perfect adds. Pipilotti Rist’s monumental videos are filled with fantasy, and therefore accessible to everyone, secondly unveiling a more serious matter as seen in Pour Your Body Out (7354 Cubic Meters), which invites oneself to think about the role of nature in the actual world. The work of Pipilotti Rist is currently shown in a major retrospective exhibition in her native city of Saint Gall, Switzerland.

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LA LUMIÈRE

EMMA SUMMERTON

Son nom est partout. Il circule comme un murmure insistant, un cri de fond, une rumeur persistante. C’est la photographe qui semble devoir é clabousser l’avenir de son talent.

Texte - Lucas Vian

© Emma Summerton

Her name is everywhere. It reverberates like a persistent whisper, a background scream, a long-lasting rumour. Emma Summerton is the photographer who seems set to imprint her talent on the future.

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C’est peut-être de ses origines australiennes et de Sydney où elle obtient son diplôme des Beaux Arts, qu’Emma Summerton tient cet amour et cette maîtrise de la lumière. Un penchant thérapeutique pour ses nouveaux concitoyens de Londres. Depuis le début du millénaire, la photographe se démarque par un sens du détail et une mise en scène cinématographique qui a fait le bonheur des publicitaires. Le regard reste sa ligne de fuite favorite. Un lien incassable et impénétrable avec le spectateur. Sa capacité à basculer de l’onirique flamboyant à un réalisme austère force à constater un seul leitmotiv : l’esthétique. Mais surtout, elle pousse toujours plus loin les limites entre artificiel et réel, plongeant notre quotidien dans un excès théâtral et raccrochant le fantasme à une matérialité banale.

Maybe her love and command of light come from her Australian origins and the city of Sydney, where she graduated in fine arts. She feels a therapeutic attraction to her new fellow Londoners. Since the turn of the century, the photographer has distinguished herself by an eye for detail and cinematographic staging loved by advertising agencies. Her gaze is still her favourite escape route. An unbreakable and impenetrable bond with the viewer. Her ability to go from flamboyant dreaminess to austere realism shows only one leitmotiv: aesthetic. But most importantly, she keeps blurring the boundaries between what’s artificial and what’s real, throwing everyday life into theatrics and linking fantasy to banal reality.

retrouvez les PHOTOGRAPHIES D’EMMA SUMMERTON SUR Blended.fr

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Š Emma Summerton

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ÉROTIQUE - FANTAISIE

Ali Mahdavi

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e was born in Teheran and studied in London, San Francisco and Paris. Today, he lives and works in the French capital. He got from all his trips his knowledge on the portrait of Man. Man beyond cultures and frontiers. By becoming a photograph, he is now able to share his vision with the world. Whether for fashion advertising, for the Crazy Horse or for celebrity portraits, Ali Mahdavi does not hesitate to make up. He does not distort because he does not betray. But he unveils reality. It strangely is by transforming them that personalities reveal themselves the best. A tendency reaching its climax in his snapshots where the insane meets fantasy. When fashion, captivated by his talent and his universe, puts the camera in his hands, Ali Mahdavi discovers movement, and as often, its infinite options with grace and sensuality. Dita Von Teese became a sort of muse to him. And her style both retro and super modern recalls theworks of Ali Mahdavi. Swaying between the 19th and the 21st centuries. Following his narration like a hand caressing a leg. His stories are told through strip tease and with lightness. If burlesque shows are in, then Ali Mahdavi is at the top of the trend.

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Texte - Lea Matzneff

I

l est né à Téhéran, a étudié à Londres, San Francisco et Paris. Aujourd’hui, il vit et travaille dans la capitale française. De tous ses voyages, il va tirer une connaissance du portrait de l’homme. De ce qu’il est par delà les cultures et les frontières. En devenant photographe, il partage sa vision. Que ce soit pour des publicités de mode, pour le Crazy Horse ou pour des portraits de stars, Ali Mahdavi n’hésite pas à grimer. Il ne travestit pas, parce qu’il ne trahit pas. Mais il donne à voir des réalités restées masquées. C’est, étrangement, en se transformant que les personnalités se révèlent. Une tendance poussée à son paroxysme dans ses photos d’art où le malsain flirte avec le fantastique. Quand la mode, subjuguée par son talent et son univers, lui colle une caméra entre les mains, Ali Mahdavi découvre le mouvement, et comme souvent, ses possibilités infinies de grâce et de sensualité. Dita Von Teese devient une sorte de muse. Et ce look à la fois rétro et ultra moderne, ressemble aux réalisations d’Ali Mahdavi. Balançant entre XIXème et XXIème siècle. Suivant sa narration comme une main caresse le galbe d’une jambe. Ses récits se dévoilent en strip-tease et en légèreté. Si les shows burlesques sont à la mode, alors Ali Mahdavi est au top du in


Š Ali Mahdavi

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L'incroyable "Ballerina Project"

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«J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse» Le projet le plus beau et le plus fou que la déferlante de la danse a donné en 2011 pourrait se résumer par ces mot d’Arthur Rimbaud. Et ces chaînes d’or auraient laissé place à la pellicule argentique de Dane Shitagi. Le Ballerina Project est une œuvre colossale qui aura nécessité dix ans de travail. Mais là n’est pas l’essentiel. Tout est dans la beauté. Le danseur est la quintessence de l’art. A la fois artiste et œuvre d’art. Il est le tableau et le peintre. Le talent et son support. Une fusion, un embrasement du corps et de l’âme dans un simple mouvement. Un souffle de félicité, une évidence de beauté. Mais tous, nous avons pensé la danse élitiste, cloîtrée dans un opéra aux dorures infranchissables. Mais on n’enferme pas la danse. Et c’est dans la lourdeur de la réalité que cette fulgurance de perfection, à peine humaine, prend tout son sens.

«J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse» (I stretched out ropes between bell towers, garlands between windows, gold chains between stars, and I’m dancing) These lines by Arthur Rimbaud sum up the most beautiful and the craziest dance project to see the light of day in 2011. Except these gold chains gave way to Dane Shitagi’s rolls of film. The Ballerina Project is a work on a grand scale spread out over ten years. But this is not the most important thing. Everything lies in beauty. The dancer is the very essence of art. Both artist and work of art. Painter and canvas. Talent and material. A body and soul fused together in a simple movement. A whisper of bliss, a mark of beauty. But we all thought dance was the privilege of the elite, locked away in the gilded cage of the opera. But dance cannot be restrained. It is in the heaviness of reality that this blinding, barely human, perfection, really becomes meaningful.

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Laisser évoluer le danseur hors de la scène. Libérer l’indomptable. Tout simplement, le sang qui parle, chez l’homme, qui comme tous les animaux, savait danser avant de savoir parler. Communication parfaite du corps qui ne ment pas. Dane Shitagi a travaillé pour la pub et la presse. Mais ce projet faramineux devrait le propulser bien loin, là-haut, tout près de ses étoiles. En quelques clichés, il prouve une compréhension de la nouvelle esthétique. Du besoin de retour au palpable, au vrai, à la terre et au corps. Ces corps qui se déforment comme pour s’adapter, avec grâce, à un environnement au mouvement permanent et violent. Comme une fleur qui brise le bitume. Avec 300.000 fans sur Facebook, le Ballerina Project est la preuve de la demande de ce public, frustré d’être tenu à l’écart des opéras. Plus que de la danse. Transe ancestrale, moyen de communication avec les Dieux. Danse chamanique agissant sur les éléments. Les porte-paroles des sphères supérieures redescendent dans la rue et apportent aux hommes la beauté. Cette promesse de bonheur dont nous parle Stendhal. Trop de mots, trop d’informations, trop d’incertitudes et de mensonges, il semblerait bien que le 3ème millénaire ait l’exigence de réclamer la beauté et la vérité à la fois. Et on n’a pas vu mieux sur Terre que la danse pour marier ces paradoxes.

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Liberating the dancer from the stage. Letting them run free. Letting man’s blood speak for he could dance before he could talk. A perfect physical communication which never lies. Dane Shitagi has worked for advertising and press. But this large scale project should let him to reach for the stars. In a few photos, he shows his understanding of the new aesthetic. The need to go back to concrete reality, to earth and body. Those bodies that stretch so they can gracefully adapt to a perpetually and violently changing environment. Like a flower piercing through concrete. With 300,000 fans on Facebook, the Ballerina Project testifies to the demand of a frustrated audience, tired of being kept out of the opera. It is more than just dance. Ancestral trance, communication with the gods. Shamanistic dance to the elements. The messengers of higher spheres go down to the streets and bring beauty to men. This promise of beauty Stendhal talked about. Too many words, too much information, too much uncertainty and too many lies, it seems that the third millennium wants both beauty and truth. And dance is the ideal way to reconcile those polar opposites.

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Génératio David Fincher est un inclassable, un rebelle, un insoumis. Étrange paradoxe. Car si ses films sont des ovnis, des bijoux d’indépendance, ils sont aussi des succès. David Fincher c’est 9 films, pour 16.401.692 entrées en France, plus d’1,7 milliards de dollars de recettes dans le monde, soit trois fois le budget investi. Difficile de dire dans ces cas là que Fincher est un rebelle, tant l’image de l’indépendant va de pair avec une certaine précarité. Et pourtant, aucun Oscar, ni aucun Golden Globes pour le réalisateur. La seule récompense majeure reste un Directors Guild of America Awards en 2004 pour son travail dans… la pub.

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ration fincher Always a rebel, David Fincher is in a league of his own. But even though his films are fully original and independent, they are also hugely successful. A total of 16,401,692 people saw his 9 films in France, which earned over 1.7 billion dollars over the world, which is to say three times the invested budget. In those circumstances, it is hard to call Fincher a rebel, as independence seems to be the antithesis of success. However, the director has won neither Oscar nor Golden Globe so far. The only major award he received to this day is a Directors Guild of America Awards in 2004 for his work in‌ advertising.

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3. Malheureusement, la Fox ne laisse pas les mains libres aux jeunes réalisateurs quelles que soient leurs qualités. Une expérience si difficile pour cet esprit libre qu’il manque de quitter le tournage dès les premiers jours et qu’aujourd’hui encore il refuse d’inclure le film dans la plupart de ses filmographies. Pour les esthètes, nous garderons tout de même ce film en tête comme les premiers pas d’un futur grand. Il faudra 3 ans à David Fincher pour reprendre la caméra. En 1996 il propose au public l’un des chefs d’œuvre des 90’s : Seven. Ce film vous a marqué profondément, on le sait. Mais il a aussi marqué pour toujours l’ambiance des films noirs et policiers. Renouvelant et modernisant le mythe 50’s du détective désabusé. Aujourd’hui, il n’est pas une série policière (et elles sont nombreuses) pas un film qui ne soit inspiré directement de Seven. Évidemment, c’est aussi l’entrée en lice des serials killer apocalyptiques et bibliques. Le premier film pour lequel David Fincher a les mains totalement libres en s’affiliant à la New Line. La preuve de sa liberté : où est la happy end ? David Fincher fait, sur Seven, deux rencontres importantes. D’abord Darius Khondji, son directeur photo. Et puis Brad Pitt (avec qui il tournera deux autres fois, sans compter

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Texte - Simon Anthony

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ar oui, avant d’être le réalisateur de quelques-uns des films les plus marquants de la culture populaire des années 90 et 2000, David Fincher s’est illustré dans des activités de l’ombre. Il fut d’abord spécialiste des effets spéciaux chez Georges Lucas. Rien que ça. D’autant plus étonnant, que contrairement à ses collègues, il n’est pas devenu un fou des effets en passant derrière la caméra. Bien au contraire. Et là encore, on peut dire que David Fincher a marqué toute une génération en signant les effets du Retour du Jedi. Il est aussi à l’origine de l’univers somptueux, du cultissime Histoire Sans Fin (oui oui, l’escargot, le chien volant, tout ça c’est lui). On lui doit également Indiana Jones et le Temple Maudit, ainsi que le trop méconnu et superbe Secret de la Pyramide. Mais comme s’il n’avait pas assez laissé son empreinte sur cette génération par ses effets, il se lance dans la réalisation de clips. Si on vous dit English Man in New-York de Sting, ou Janie’s Got a Gun de Aerosmith, ou encore Vogue de Madonna, L.A. Woman de Billy Idol, Who Is It? de Michael Jackson, Love Is Strong des Rolling Stones : oui, tous ces succès, c’est lui. Avec ce passé, et une aura de futur génie, David Fincher décroche la réalisation d’Alien


©David Fincher

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efore directing some of the most influential films of the popular culture of the 90s and the years 2000, David Fincher worked in the shadows. He started out as a special effects specialist for Georges Lucas. It is all the more surprising that, unlike his colleagues, he did not overuse special effects when he started directing, quite on the contrary. We can already say that David Fincher impressed a whole generation through his special effects work on Return of the Jedi. He also contributed to the creation of the fantasy world featured in cult classic The Neverending Story (he’s the one behind the snail and the flying dog). He also worked on Indiana Jones and the Temple of Doom, as well as the little-known and wonderful Young Sherlock Holmes. Besides influencing a generation through special effects, he directed a number of video clips: Sting’s Englishman in New York, Aerosmith’s Janie’s Got a Gun, Madonna’s Vogue, Billy Idol’s L.A. Woman, Michael Jackson’s Who Is It?, the Rolling Stones’ Love Is Strong, to name but a few. Thanks to these credentials and the aura of a future genius, David Fincher got to direct Alien³. However, Fox does not give young directors free rein, however talented. This

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experience proved so gruelling for this free spirit that he almost left the shooting as soon as it started and to this day, he still refuses to include the film in most of his filmographies. For the fans, we will nevertheless keep this film as it shows the first steps of a future major filmmaker. David Fincher waited three years to direct his next film. In 1996, he released one of the masterpieces of the 90s: Seven. We know how deeply you were influenced by this film. But it also left its mark on subsequent thrillers and film noirs, renewing and revitalizing the archetype of the disillusioned detective. Today, practically all of the many TV procedurals bear the mark of Seven. That film also heralded the advent of biblicallyinspired serial killers. It is the first film where David Fincher is totally free thanks to New Line. A further proof of his freedom is the total lack of a happy ending. David Fincher met two very important people on the shooting of Seven: Darius Khondji, his director of photography, and Brad Pitt (with whom he worked on two other films, and a lot of commercials), who thinks the director « picks up cinema where Kubrick left off. » After this commercial success and in light of his special effects expertise, everyone expects David Fincher

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les publicités) qui estime que le réalisateur « reprend le cinéma là où Kubrick l’a laissé. » Après ce succès et avec son passé dans les effets spéciaux, tout le monde attend David Fincher sur un blockbuster. Niet ! Le réal se plonge au contraire dans un film encore plus intimiste, mais encore plus tordu, un modèle de film à rebondissements : The Game. Fincher y prouve sa capacité à balader le spectateur où il le désire, autrement dit, sa maîtrise absolue de la narration. Pour ceux qui en doutaient, oui, David Fincher a un souci avec la noirceur de son époque. Paranoïaque ? Certainement. En 1999, David Fincher signe le film d’une génération, la métaphore définitive de cette génération sans cause et sans repère, prête à la douleur et l’autodestruction pour se sentir en vie. Ou comme le dit le personnage de Brad Pitt : « Nous sommes une génération élevée par des femmes, pas sur qu’une femme soit la solution à nos problèmes ». Un thème que le réalisateur partage avec l’écrivain dont il tire le film, Chuck Palahniuk. Il s’agit évidemment de l’extraordinaire Fight Club. Tous les thèmes de Fincher y sont. De la noirceur à l’absurdité camusienne de notre époque. De la paranoïa à la schizophrénie. De la soumission de groupe à la révolution égoïste. David Fincher utilisera 1.500 bobines pour

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le film. Le triple d’une grosse production habituelle. C’est que le réalisateur multiplie les prises jusqu’à épuisement des acteurs. Lesquels se plient sans sourciller. Et ainsi Tyler Durden devint culte. Et plus jamais on ne put utiliser aussi bien une voix off s’adressant directement aux spectateurs. David Fincher entre dans le 3ème millénaire avec un repli sur soi en signant le très très intimiste Panic Room en 2002. Ce film est une commande et donc pas totalement révélateur de l’art fincherien. Mais, allégé de l’écriture, il se concentre sur la réalisation. Expérimentant beaucoup, renouant avec ses premières amours des effets spéciaux, jouant et épuisant la caméra comme il a l’habitude de le faire avec ses acteurs. Au final, la caméra devient même un personnage de ce film. Un long métrage réussi aussi grâce aux performances de Forest Whitaker et de Judie Foster. Cette dernière devait participer d’ailleurs à The Game, mais une incompatibilité d’emploi du temps avait avorté la collaboration. Pour tourner sous les ordres de David Fincher, Jodie Foster refusera la présidence du jury du Festival de Cannes. C’est ça l’effet Fincher. Il faudra attendre 5 ans pour retrouver David Fincher avec Zodiac. Une décennie après Seven, retour aux enquêtes et au serial killer.

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©David Fincher

to follow through with a blockbuster. He caught everyone by surprise with an even more intimist, yet even more twisted film: The Game. Fincher proved his ability to lead the viewer wherever he wanted through his perfect narrative skills. For those who doubted it, David Fincher has issues with the bleakness of his times. Paranoid? Most certainly. In 1999, David Fincher directed the film that would define a whole generation, a metaphor for this generation without a cause and without moral compass, ready to endure pain and self-destruction just to feel alive. Or, as Brad Pitt’s character says: « We’re a generation of men raised by women. I’m wondering if another woman is really the answer we need». A common theme to the author of the eponymous novel, Chuck Palahniuk. We are talking about the amazing Fight Club. It has all the usual Fincher themes, from darkness to contemporary Kafkaesque absurdity. From paranoia to schizophrenia. From group submission to egomaniacal revolution. David Fincher used 1,500 reels of film for the movie, three times the volume of a typical big production, because the director shot endless takes, until the actors were exhausted. However, they obeyed without complaining. And so

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Tyler Durden became the stuff of legend. And the voice-over has never been used more effectively since. David Fincher entered the third millennium in a more subdued way with the very intimist Panic Room in 2002. A commissioned work, it was not fully representative of his style. But since he did not have to deal with the writing, he focused solely on direction. He experimented a lot, used special effects again, exhausting all the possibilities of the camera just like he used to do with his actors. Finally, the camera itself became an actor of the film. The success of the film also owed a lot to the performances of Forest Whitaker and Jodie Foster, who was also due to act in The Game before her schedule made it impossible. Jodie Foster even turned down the role of president of the Cannes Film Festival just so she could work with David Fincher. That is the Fincher effect. We had to wait 5 years for the next David Fincher film, Zodiac. A decade after Seven, he was dealing once again with investigations and a serial killer. This was an impossible film to make. First of all, because it was a true story, but also because it had no ending. A dead end, a head-first dive into administrative absurdity. How can you direct

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En soi, un film impossible. D’abord parce qu’il s’agit d’une histoire vraie, mais surtout parce qu’elle n’a pas de fin. Un cul de sac, une plongée dans l’absurdité administrative. Comment réaliser un film policier sans dénouement ? On ne peut pas. « On », non, mais Fincher, oui.Le réalisateur avait été personnellement marqué par cette affaire. Enfant, sa voisine était l’une des enquêtrices. En 2009, David Fincher adapte un deuxième livre, une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald pour L’Étrange Histoire de Benjamin Button. David Fincher qui aime malmener l’unité de temps dans ses films, trouve ici une matière incroyable pour son art. Pour la troisième collaboration Pitt-Fincher, on découvre une mélancolie et une douceur que le réalisateur nous avait masquées jusqu’à maintenant. Et une fois de plus, au delà de la paranoïa et de l’agressivité du monde extérieur, thèmes récurrents, c’est une fois de plus l’Absurde qui est érigé. David Fincher réalisateur préféré de Jarry, Schopenhauer, Camus et Sartre ? On est prêt à le parier. Il y a deux ans sort l’oscarisé Social Network. Son film le plus enraciné dans son époque. David Fincher réalise une prouesse en narrant une aventure réelle sans recul, à chaud. Un film qui signe peut-être la quintessence de l’art fincherien. Pas de noirceur, pas d’effet spécial, pas de fiction. Une simple réalité qui

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en dit pourtant long sur la bêtise, la cupidité, l’agressivité, l’ambition, l’isolement de notre époque. Fincher n’en rajoute pas. Il place simplement sa caméra où il le désire pour nous offrir un aspect de notre réalité que nous ne pourrons plus nier. Au passage, encore une bande-annonce somptueuse. Et quand on parle du perfectionnisme de Fincher, sachez que Rooney Mara (qui tient d’ailleurs le premier rôle dans Millenium) et Jesse Eisenberg (immense dans ce film) ont dû refaire la scène d’intro une centaine de fois. Son dernier film, Millenium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes marque une replongée dans la noirceur. Loin d’être un succès, le film n’est qu’une affirmation de plus des thématiques du réalisateur, qui, sur ce projet, aura certainement pâti d’une multiplication de projets sur la même histoire. On notera simplement un nouveau (encore) magnifique générique. Sachez également que Scarlett Johansson devait tenir le premier rôle, mais le réalisateur a estimé que « le problème avec Scarlett, c’est qu’on ne peut pas s’empêcher d’attendre qu’elle enlève ses vêtements. » Actuellement, David Fincher prépare une adaptation de 20000 Lieues sous les mers, Rendez-vous avec Rama et La Réincarnation de Peter Proud.

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©David Fincher

a thriller that has no resolution? «You» cannot. Fincher can. The director had been very impressed by that case on a personal level. When he was a child, his neighbour was one of the investigators. In 2009, David Fincher adapted another book, a short story by Francis Scott Fitzgerald: The Curious Case of Benjamin Button. David Fincher, who loves to play with time in his films, found the perfect subject matter in this story. This third Pitt/ Fincher collaboration had a melancholy and a sweetness that we had not yet seen in the director’s work. And once more, beyond paranoia and the hostility of the outside world as reoccurring themes, we found the absurd. Would David Fincher have been the favourite director of Jarry, Schopenhauer, Camus and Sartre? You bet. Two years ago, he released the Oscar-winning Social Network, his most contemporary film. Here, David Fincher’s feat was to tell a story as it was happening, in the thick of it. This film might be the very essence of Fincher’s art. No darkness, no special effects, no fiction. Just reality, but it speaks volumes about today’s stupidity, greed, aggression, ambition, isolation. Fincher needs not say more. He simply puts his camera wherever he wants and shows us an aspect of our

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reality that we won’t be able to ignore. Once again, the trailer is gorgeous. And when we mention Fincher’s perfectionism, suffice to say that Rooney Mara (who plays the leading role in The Girl With the Dragon Tattoo) and Jesse Eisenberg (who is truly amazing) had to redo the intro scene about a hundred times. His last film, The Girl With the Dragon Tattoo, is back to black. Far from commercial success, the film repeats the director’s themes. Fincher probably suffered from the numerous projects based on the same story. Here again, the opening credits are stunning. We will also note that Scarlett Johansson was supposed to be the lead actress, but the director thought that « the problem with Scarlett is that you cannot help waiting for the moment when she will take her clothes off. » David Fincher is currently working on an adaptation of 20,000 Leagues Under the Sea, Rendezvous with Rama and The Reincarnation of Peter Proud.

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C’est en attendant la fin que tout a commencé. Au même moment, dans la même ville, à quelques centaines de mètres l’une de l’autre deux jeunes filles étaient en train de quitter leur premier amour. Cybèle et Raphaëlle s’attelaient { se séparer d’Oscar et d’Arthur avec le plus de délicatesse possible. Cybèle - d’abord - ne savait pas par où débuter. L’amour avait fait son temps. La passion n’était plus au rendez-vous. Même les soirs de joie. Pour ça, elle le quittât. Comme si cette rupture allait être la preuve que l’amour ne suffisait plus. Mais ce n’était pas si facile, en face d’elle Oscar était un mur. Ou plutôt un miroir, réfléchissant mais impénétrable. Cette douce nuit de pluie parisienne dans un café sans âme. Oscar, comprit bien malgré lui, que plus jamais il ne partagerait ses nuits avec Cybèle. Elle qui lui avait pourtant sauvé la vie. Elle qui avait eu l’audace de l’aimer. Avait aujourd’hui le cran de le quitter.Accoudé sur la table ronde du bistrot, statique et impassible, il regardait Cybèle jeter ses scrupules comme on glisse une lame dans un corps froid.Tel un enfant triste qui s’efforce de rire, il plissait ses yeux avec un dérisoire espoir de reconquête. La dévisageant vulgairement en désirant très clairement un autre présent. Cela ne servait à rien. Mais dans le doute et quitte { être foutu en l’air, blessé, trompé et malheureux, Oscar voulait donner l’illusion qu’il avait l’orgueil de se suffire { lui-même. Pour cacher sa tristesse infinie, son manque de courage et sa médiocrité inavouable. Il tomba alors dans une forme d’espérance renversée. -Ton silence est effarant, Oscar, toi qui m’as couverte de mots ces trois dernières années, tu ne trouves rien { dire le jour ou je t’annonce que tout est finit ? -Que le silence t’angoisse, je l’ai toujours su. Que tu ne comprennes pas que ce silence est pour une fois l’aveu le plus complet que je puisse te faire est autre chose ! Combien de fois t’ai-je répété qu’il fallait bien des silences et des mensonges pour connaitre la vérité. Combien de fois ai-je supplié le ciel pour ne pas me retrouver un jour à cette place. Combien de fois ai-je imaginé cette situation, toi et moi, là, comme ça ? Depuis le premier jour, bien avant notre premier baiser, j’ai su que ce jour arriverait et qu’il viendrait de toi. Je voyais déjà mon impuissance, mon incapacité à te rattraper. Je sentais cette odeur de merde parcourir lentement l’intérieur de mes narines. Ça ravageait mon intérieur, ça coulissait au fond de mon corps, ça restait sans stagner, la deuxième respiration était pire, ça atteignait l’intégralité de mon être, je ne pensais plus qu’{ ça. Comme un vieux goût de maladie. Une préparation au désastre… J’ai beau voir le bien Cybèle, je le comprends, je le valide, pourtant, je fais le mal. -Tu vois c’est aussi { cause de ce genre d’image définitive que notre histoire est impossible. L’amour avec toi - tu avais vu juste - est devenu pour moi une maladie L’écho de ces derniers mots lui fit se souvenir de ce qu’il s’amusait { répéter aux gens largués « il faut créer au plus vite un centre de désamour ». Il ne comprenait toujours pas comment ce service n’était pas encore mis { la portée de tous. L’idée prenait soudain une valeur toute différente dans ce café ou Cybèle était en train de l’abandonner. Il s’accrochait { cette intuition pour continuer à se tenir droit sur sa chaise. Son coeur l’oppressait tellement qu’il était prêt { offrir tout ce qu’il n’avait pas pour qu’on lui ôte cette affreuse douleur qui était en train de s’emparer entièrement de lui. Le prix n’avait aucune importance, s’il avait fallu prendre un crédit revolver sur 45ans, kidnappé ou même tuer un homme, il aurait signé sur le champ, sans hésitation. Parce que rien ne lui semblait pire que de sentir son coeur se déchiqueter. Il disait, « on traite les alcooliques, les obèses, les dépressifs, les drogués, les anorexiques, les malades en tout genre mais qu’est ce qu’on offre pour les malades de l’amour ? On écrit, on théorise mais on ne soigne pas. On poétise l’affaire mais rien est jamais fait pour les nécessiteux, on renverse des millions pour le cancer, le sida, mais pour le mal amoureux pas un centime, pas un geste, rien. Pourtant, on a bien plus de chance statistiquement d’être malheureux en amour que de choper une hépatite ou un cancer, pensait-il. Pas qu’il soit désireux de créer le grand business de l’amour mondialisé, seulement il fallait réagir au dégât que pouvait provoquer l’amour. Au plus vite. Il espérait simplement que le premier Centre de désamour propose de soigner, de guérir et donc de faire disparaitre tous les sentiments dérangeants liés à l’échec amoureux (insomnie, trouble alimentaire, désir d’auto-destruction ou d’auto-mutilation, alcoolémie diurne et nocturne, écriture de poèmes insipides, drague absurde et inconséquente de vulgaire inconnue, isolement, ronchonnements, nostalgies sans échappatoire, questionnements incessants, remises en question permanentes, etc.) Jamais personne ne lui avait appris à aimer. Désaimer lui était alors encore bien plus étranger. Loin d’être un art, il existait, selon lui, des techniques auto-persuasives qui pouvaient sauver le coeur et donc la vie. La durée du stage, pensait-il, serait à mettre en lien avec, non pas la durée de la relation à l’être aimé, mais plutôt avec l’intensité et la dévotion que cette relation aurait produit sur le système nerveux. Une simple nuit d’amour pouvait alors, dans sa logique, demander beaucoup plus de travail qu’une vie entière en couple, où le travail de deuil a bien souvent commencé des années avant la rupture définitive. Face à Cybèle, sans lui faire part de sa découverte, il nota sur son téléphone, pouce tremblant, ces phrases, pour se souvenir qu’elles devaient devenir le prochain projet de sa vie. Et ainsi fuir son présent trop pesant. « Le Centre de désamour, le bonheur est à la porté de chaque coeur. Le centre de désamour, les amoureux de l’amour ne seront pas déçus. Le Centre de désamour, tout est bon dans une séparation. Bienvenue dans le club des A.A : Des Amoureux Anonymes ». Cybèle, agacée mais curieuse, lui demanda ce qu’il écrivait et si ça ne pouvait pas attendre vu l’importance du moment. Il lui expliqua. Attristée et consternée, elle le dévisagea avec stupeur. Sans comprendre. Pour répondre à son mépris il lui dit tout en pianotant son téléphone qu’il allait lui montrer ce qu’il avait écrit sur elle le soir d’avant. Peut être pour faire oublier sa désinvolture nonchalante. Ou tout simplement pour cacher sa lâcheté. « Ma Cybèle a une beauté brute, rien n’est { rajouter, rien n’est { enlever. Une déesse, une muse des temps modernes inadaptée à la médiocrité du réel. Voil{, celle que j’aime est { mes yeux intemporelle. Et pourtant, je sais que je devrais me méfier de la longévité de la passion et du désir qui en résulte. Mais rien n’y fait. Un amour décomplexé, assumé avec une terrible envie de le crier au monde entier. Une femme qui vous réconcilie avec vos démons. Mais, aujourd’hui, les déesses deviennent démoniaques. Franchement qui refuserait d’avoir une oeuvre d’art humaine chez soi ? Seul problème, l’art est censé ne pas être possédé, il appartient au monde. Faut-il savoir encore le décrypter. Avoir une femme qui ruine la Vénus de Milo n’est ce pas ça le bonheur ? La grâce incarnée à mes côtés, je vais finir par croire que les miracles arrivent. Je me perds à imaginer ce que peut laisser comme cicatrices une telle jeune femme. Faire l’amour avec une oeuvre divine vous transforme en profondeur. L’épiphanie. Si j’arrivais { sortir de ma possessivité, je vous souhaiterais de la rencontrer pour connaître au moins une fois dans votre vie la plénitude. Un éclair de sagesse sans un mot, un retour à la pureté originelle. Elle aurait dû s’appeler Big Bang, puisqu’elle restera aux yeux du monde la preuve irréfutable que la force divine, créatrice de notre univers, a voulu nous laisser une trace de perfection, visible { l’oeil nu ». Décontenancée, Cybèle ne resta pas bouche bée. Elle avait l’habitude de ce genre de déclaration fumeuse. Elle avait, tout simplement l’habitude d’être adulée par d’autre. Cybèle était comparable, pour Oscar, à un cerf-volant, coloré, gracieux et difficilement contrôlable sans expérience. Mais comme un cerf-volant, elle restait attachée à une ficelle et cette ficelle avait été domptée par Oscar. Aujourd’hui, il comprenait qu’elle n’était plus dans ses mains. Il plongea alors dans ses souvenirs comme dans une cicatrice ouverte. Souvenirs qu’il vivait nécessairement comme une fabrication. ### Profondément futile. Voilà en deux mots la plus courte description qu’il pouvait donner de Cybèle. Elle qui n’avait pas d’autre profession que l’élégance. Née d’une mère trop jeune, hystérique { tendance suicidaire et d’un père séducteur maladif et pardonnez la réalité, menteur. Elle n’eut d’autre choix que de récupérer leurs tares. Mais sa capacité à la résilience était époustouflante de rapidité et de droiture. Elle en avait fait une force extraordinaire. Son arrogance domptait les foules. Sa beauté l’immunisait contre les enfers du monde moderne. Sa discipline était l’amour. Option séparation. Combien de garçons avaient pleuré cette fille ? Plus que tout ce qui est imaginable. Elle ne s’en rendait même pas compte, l’inconscience pure, les hommes tombaient à ses pieds pour continuer de recevoir un ou deux sourires bien placés. A terre, tous à terre. Les uns âpres les autres. Depuis sa plus tendre enfance, elle gagnait tout en un coup d’oeil. Il fallait les voir ses yeux. Cristallins, entre deux mondes, Dieu était soudain une femme, son regard était comme le premier regard. Plus important que celui de la mère nourricière. Jamais on ne pouvait oublier une telle expérience. Jamais on ne pouvait l’oublier tout simplement. Cybèle avait tendance à se dématérialiser en soirée. Passant de groupe en groupe avec une nonchalance déconcertante, elle embrassait tout ce qui bougeait. Rien n’était jamais vraiment dit d’intéressant lors de ces nuits, mais c’était pourtant et justement là où elle préférait se trouver. Par peur, peut-être de manquer la fête ultime. Celle qui lui avait donné son goût prononcé pour la nuit. Elle essayait en vain de retrouver cette première sensation magique de transgression. Mieux que la découverte de sa sexualité, le clubbing lui avait ouvert les portes d’une nouvelle perception. Une drogue dure. Pour partir danser lors de sa toute première nuit, elle avait menti, stipulant { ses parents qu’elle passait le week-end chez sa meilleur amie, mensonge grégaire, mais toujours valable apparemment. Elle attendait ce moment depuis des semaines, leur tenue était prête et réfléchie, chaque coup de rimmel avait été répété, même le parfum avait subit un casting. Rien ne pouvait manquer { la fête. Sauf qu’une fête, elles ne savaient pas ce que c’était. Surtout dans la boite de nuit qui avait retenu leur attention. Nous étions encore dans les années 90, et aussi étonnant que ça puisse paraître, un mineur pouvait rentrer dans un club, se défoncer la tronche jusqu’au coma tout en fumant deux paquets de cigarettes à la suite. Déjà un temps que les moins de vingt ans ne peuvent plus connaitre. Ce club en particulier était connu pour ses ventes illicites d’ecstasy bon marché. L’âge n’avait aucune importance, seule la techno prédominait dans ce lieu de jeunesse débauchée. Elles se retrouvèrent devant des centaines de mains tendues en rythme vers le ciel. L’ambiance était surréaliste, les DJ’s braquaient la salle dans une capsule qui se promenait le long des murs, des cages en métal étaient posées sur des podiums valorisant avec de jeunes gens, torses nus dégoulinants de plaisir, apprenant les affres de la séduction bestiale. Elles restèrent là toutes les deux, accolés au bar { contempler coeur battant ce spectacle encore inconnu à ce jour. Cybèle, prise de stupeur, eut le plus gros coup de foudre de son adolescence, elle à qui on avait répété de choisir une passion, un art, un instrument de musique, un sport, une activité bénévole ou mercantile, elle avait enfin une réponse à offrir. La mauvaise, évidemment pour ses parents, mais une réponse quand même. Et remplir ce vide était le plus urgent. La nuit passa pour elle en une fraction de seconde, elle se promenait là, comme dans un parc d’attraction, sans dévisager personne, en contemplant la frénésie et l’insouciance qui valdinguaient autour d’elle. Ici, les pleurs étaient proscrits, les souffrances oubliés, les doutes envolés. Tout était soudain permis. Embrasser un garçon, puis un autre, et encore un autre, personne ne jugeait, personne ne disait rien parce que plus personne n’était quelqu’un. Tous n’étaient plus qu’un. Un simple tout. Une large foule aux courbes sensuelles qu’elle voulait sienne. Qu’il était facile pour elle d’être mature dans l’imposture. De son existence pathétique elle n’avait apprit qu’une seule leçon, celle de la séduction. Sa beauté ne pouvait pas vraiment s’expliquer. Ni même se décrire. Cybèle c’était plutôt ça, une belle indescription. Une fille qui aimait l’amour plus que le sujet aimé. Une amoureuse de l’amour. Du sentiment amoureux pour être exact. Mais pas de l’être aimé. Jamais. Elle disait alors. -Tu vas sans doute m’aimer un peu, mais qu’une fois. Je suis { usage unique. Comme l’amour. Une histoire, une passion, un désir, tout est éphémère. Il est impossible de reproduire ce que l’on va vivre. Le succès de me dominer donne de l’aisance, tu vas voir. L’espoir de m’avoir ne fait que t’émouvoir. Je le vois. Alors laisse toi aller. Vivons-le. Un point c’est tout… Et puis si on arrêtait de baiser, que nous resterait-il à raconter ? Ce que Cybèle reproduisit { l’infini n’avait finalement eu lieu qu’une fois. De son premier va et vient avec un garçon jusqu’à sa première sortie en boite de nuit. Tout reposait chez elle sur le corps humain. Elle s’en servait { outrance, devant tous les sexes, le féminin masculin ne comptait pas vraiment à ses yeux. Sa beauté avait un prix, elle avait su le fixer. Elle qui savait mettre en évidence son esprit à travers son corps. Son goût du néant et sa propension à la mélancolie en fit un appât à jeunes garçons sensibles. Elle savait que dans le mot masculin il y avait masque et cul, et que dans féminin il n’y avait rien. Pour rétablir les rapports de force, elle transformait le féminin en machine à catin. Elle n’acceptait pas qu’un homme ne veuille pas d’elle. Elle était prête { coucher avec le monde entier pour se rassurer. Elle avait enchainé les garçons mécaniquement. Parfois admirablement. Pour se blottir, se cacher, s’échapper. C’était sa drogue. Elle avait commencé après avoir aimé une première fois. Elle avait prit en intensité depuis. Mais { chaque fois qu’un garçon rentrait dans elle, elle pensait { lui, le disparu, celui qui n’a pas voulu. Le seul qu’elle aimait. Quand elle pensait le soir à tous ces hommes qui rêvaient d’elle, qui l’attendait secrètement dans leur lit, qui l’imaginait en maitresse d’une vie. Elle, elle se questionnait. Pourquoi j’en sélectionnerais un en particulier ? Pourquoi je m’arrêterais sur l’un ces hommes qui succombent à ma basse médiocrité ? Oscar, quant à lui, était loin d’être aussi désirable que Cybèle ; Sa jalousie ne dégrossissait donc jamais en la voyant accompagnée de ses courtisans nocturne. Des chiens à petit sexe, pensaitil. Des charognards vaginaux. Des gratteurs de tendresse. Il ne supportait pas l’idée d’attente, encore moins celle de soumission amoureuse. Avec Cybèle, il ne pouvait en être autrement. Elle les avait toujours tous fait languir. Et du languir au pâtir il n’y avait qu’un pas. Mais Oscar était fou d’amour pour Cybèle. Elle avait réussit à le déposséder. Elle voulait le métamorphoser, le changer à son image. Comme chaque premier amour. Deux destinées croisées qu’il n’attendait déj{ plus. Mais suivre ses indécisions l’épuisait. Lui qui avait grandi avec des parents marginaux déconnectés du principe de réalité. Son père particulièrement qui avait choisi la vie spirituelle plutôt que la vie réelle, la méditation plutôt que la télévision, l’indouisme plutôt que le protestantisme, l’orient plutôt que l’occident. Il avait, d’ailleurs, eu la mauvaise idée d’expliquer d’une traite { Cybèle sa relation avec lui lors de leur toute première semaine partagée ensemble. -Il s’est déclassé, moi je voulais me reclasser. Il est passé du statut de petit bourgeois à celui d’agriculteur. D’un parisien de bonne famille du VIIème arrondissement à un Indien vivant sans rien dans un Ashram. Son fils est passé d’une banlieue véreuse { la plus belle ville du monde. D’un avenir sombre empli de sous métier à un accès privilégié à la culture. Du déclassement au reclassement. Nous avons fais un parcours si parfaitement opposé qu’ils finiront par se retrouver. Cybèle n’avait pas l’air si intéressée que ça sur ses lamentations familiales. Elle préférait rester concentrée sur le dernier épisode de la série Gossip Girl. Pour ne pas perdre la face, ce jour là, il trouva le moyen d’enchainer sans aucune transition pour la conserver en éveil. Il aimait tant lui parler pour la faire taire. Et ainsi l’admirer silencieuse - sous son flot de mots - telle une oeuvre d’art inaccessible. -C’est fou comme il y a des filles que nous ne pouvons pas encadrer, oui souvent ce ne sont pas des canons de beautés, juste des filles, des oies grises, ternes - elles devaient déjà faire partie des bébés que l’on ne remarque pas (ils sont peu mais ils existent) D’une platitude déconcertante, d’une laideur dépressive, on les remarque souvent grâce à leur bouche pincée, les femmes sans lèvres, devrait-on les appeler. Un corps sans forme ou alors les formes sont mal placées, l’injustice en quelque sorte, oui c’est ça : elles sont l’incarnation de l’injustice biologique… et puis, soyons honnêtes, personne ne met en valeur la laideur. A défaut d’avoir l’intelligence de la transparence elles ont au moins le mérite de rendre le monde réel, parce que la réalité n’est pas une parodie futile de ce que l’on trouve dans les magazines féminins. Il y a évidement plusieurs degrés et plusieurs types de laideur chez ces demoiselles, et quoi de plus dérangeant et de dégradant qu’associer la jeunesse à de vils « vilaineries ». Alors Cybèle… je m’insurge, j’insurge ma verge et ma verve dans ce combat racial qui ne tardera pas à devenir radical. Je me rassure en contemplant ce que la nature à réussi et non ses échecs qui lui montent à la tête. Bien qu’elle acquiesça en hochant lentement la tête, rien de ce qu’il venait de dire n’avait l’air de la toucher. Heureusement, se dit il, que la nature l’avait gâté, parce que si ses mots la dégoutaient, ou pire l’indifféraient, il lui restait tout de même la possibilité de regarder le mouvement de ses lèvres. Tout en continuant à le fixer nonchalamment, elle lui glissa une phrase qui lui donna envie de l’épouser, sans plus attendre. -Face à un être de beauté supérieure, on invente. Toujours. Pour ne pas rester bouleversé et cacher son émotivité latente, il préféra continuer à parler. Plus vite. Trop vite. -Justement parlons en de ces filles entre deux âges, entre deux états physiques, déjà femmes mais encore ignorantes. Candides sur leur pouvoir de suggestion, incandescentes, parfois rebelles, force est de constater que se sont elles qui font tourner le monde. Le globe terrestre ne ralentit pas, seulement pour ne pas les déstabiliser. Le soleil ne se réchauffera pas pour continuer { leur apporter juste ce qu’il faut de dorure corporelle et Dieu ne peut rien faire contre ces créatures divines mais éphémères, elles sont la preuve de son existence ou, tout du moins, elles démontrent son implication et sa passion pour ces êtres de l’Etrange. Et je crois que tu en fais pleinement partie. Cybèle resta muette. A peine heureuse du compliment détourné. Si compliment il y avait. Oscar changea de ton pour continuer à essayer de la captiver à sa façon. Sur son terrain de jeu, à elle. -Regarde là ou il y a une concentration anormale de bombasses aux seins trop gros, le monde autour pète les plombs. T’as qu’{ voir le festival de Cannes ou les étés à St Tropez. La décrépitude du monde est en partie due à la beauté de ces femmes. Pourquoi crois tu, toi, que les philosophes grecs s’enculaient tous à tour de rôle ? Pour ne pas être déconcentrés { la vue d’une jolie muse éperdue et, par là, perdre leur pensée en cours. Elles sont nocives, je te le dis, et personne ne le voit parce que personne ne soupçonne jamais le beau d’être mal. Et inversement. -Ne me dis pas ça, j’ai fait tous mes choix, ces dix dernières années, en fonction de ces filles. Je suis uniquement là ou elles sont. Tu parles du festival du Cannes, putain chaque année je le squatte et je crois que j’ai toujours pas vu un seul film, pareil pour St Tropez, je n’ai jamais dû m’y baigner, j’y vais que pour Elles, je cherche la courbe parfaite, la silhouette qui fera oublier toutes les autres, je crois que je suis une obsédée sexuelle, même au collège et au lycée je ne choisissais mes options qu’en fonction de ce que choisissaient les plus jolies filles de la classe. Je me suis retrouvée comme ça à faire de la danse, du piano et même du chant lyrique. Quand tu es raide comme un piqué, gauche comme un clown avec une voix de crécelle, j’te raconte même pas l’histoire. -Cybèle, je crois que tu aimes les filles. -Oui, c’est ce que je suis en train de te dire. www.blended.fr -Non, mais tu préfères les filles aux garçons. En même temps, ça ne m’étonne pas que tu te sois arrêté sur moi, il n’y a pas plus lesbienne que moi. -Arrête tes bêtises, j’aime juste voir des belles femmes, ça va pas plus loin. Regarde, toi tu aimes bien les vêtements noirs, et bien c’est pareil, toi tu vas l{ ou il y a du noir, moi je vais là ou il y a les plus belles filles. C’est vrai qu’Oscar n’était pas inventif dans l’affirmation de son vêtement, il assombrissait ses tenues en toutes circonstances, un noir trop souvent présent et donc effrayant. Il misait tout sur ses chaussures, uniquement sur ses chaussures. On ne peut en dire plus. A part peut être que cette question l’obsédait depuis l’enfance. Sa mère, ayant peu de moyens pour subvenir à la naissance de la mode enfantine, il en souffrit terriblement et s’attacha en grandissant à ne plus jamais se retrouver entouré de haillons. Au contraire tout miser sur les vêtements les plus exorbitants financièrement. Un sujet qu’il ne se permettait plus de laisser de côté. La mode, phénomène de foire s’il en est, dirigeait son quotidien. A la manière de Stendhal, il pensait que le mauvais goût était de confondre la mode, qui ne vit que de changements, avec le beau durable. Parfois la nuit, il s’obstinait { trouver avant de s’endormir, la tenue parfaite pour le lendemain. Il fallait faire coïncider les activités du jour avec la saison, penser donc aux matières, aux épaisseurs, aux rajouts de manteaux et autres écharpes de fortune. Il fallait la semaine susciter le désir sans rompre non plus avec l’environnement plus ou moins professionnel. Et les nuits il fallait surprendre tout en se faisant oublier. Toute la difficulté était de faire concorder jour et nuit quand il ne pouvait pas se changer. Ça lui prenait une partie de sa nuit. Et puis le vêtement cachait ses défauts. Il entérinait ses hontes enfantines, cela donnait l’envie aux filles de le déshabiller, pensait-il. Comme elle devait se rhabiller extrêmement vite après - au vue de la médiocrité de ses capacités - il valait mieux faire envie que pitié au début. Il réussissait au moins l’entrée en matière. Chacun de ses choix se trouvait être déterminé par une épaule, un sourire ou une forme corporelle : un sein, une fesse ou un menton un peu relevé. Ce dernier, pensait-il, était, synonyme d’une libido extravertie, sans tabou, un menton relevé c’était la promesse testiculaire d’une jouissance assurée. Oscar a toujours su manquer ses rencards. Pourtant c’était son sport favori, depuis son plus jeune âge, il s’amusait { tenir la jambe des filles. Il apprit à les connaitre comme ça. Non pas en les écoutant, mais en leur parlant. Question de pudeur. Fin observateur des mimiques féminines, il savait instantanément si ce qu’il venait de dire devait être oublié ou réutilisé. A force d’échanger des balivernes avec elles, il avait su adapter son discours pour les voir nues en sept heures maximum. Là, Oscar était le plus doué de tous, implacable, par contre en ce qui concernait l’après, l{, il devait être le dernier. Sa condition sportive reflétait bien sa forme physique, il ne valait pas grand-chose. Qu’est ce que les filles ont du être déçues, se disait-il Leur histoire n’avait pourtant pas commencé de manière merveilleuse. Elle n’avait pas couché avec lui avant le troisième mois. Elle avait besoin, selon ses dires, d’être réparée. Il accepta. Avait-il le choix ? Il passait alors chaque nuit à ses côtés, collé comme un enfant en temps de guerre. Il patientait 112 à sa mère www.blended.fr comme il pouvait en essayant constamment de débander. Jusqu’{ ce que le grand jour fut… Il dura deux minutes. Il comprit alors que les prouesses sexuelles ne feraient pas partie de sa vie. Il

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TENDANCE

L’obsession est le premier pas vers la folie, l’entrée irréversible vers un monde sans cohérence. Les obsessions, « ces démons d’un monde sans foi » comme les appelle Emile Cioran, ont toujours été considérées comme le chant des sirènes menant l’esprit humain sur les rochers de la déraison. Et sans raison, l’être humain redevient animal. L’esprit obsédé est esprit possédé. Mais, comme toujours, les choses changent. Et une fois de plus, notre époque se démarque par le renversement des valeurs. Aujourd’hui, en effet, l’obsession est louée. Ou du moins, elle fascine. Au point que lorsque l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, institution on ne pet plus sérieuse de l’après-guerre, sort son magazine, elle le nomme, justement et simplement, Obsession. Ce qui, au-delà du jeu de mot et de la double lecture, en dit long sur cette nouvelle tendance. De Michael Fassbender en obsédé sexuel, à Michael Shannon en obsédé de la fin du monde dans Take Shelter, ou Nathalie Portman en danseuse obsédée jusqu’à la folie et la mort par son rôle, le cinéma nous a dernièrement largement nourri d’obsessions. C’est que l’obsession fascine, l’esprit qui sombre fascine. Et dans une société du spectacle, la fascination est la valeur ultime. Ce qui fascine fait vendre, même s’il s’agit de montrer la destruction lente d’un esprit. Si la télé-réalité et toutes ses dérives d’élimination de candidats sont les fruits malsains de notre nature morbide, alors l’obsession en est son pendant artistique et esthétique. Il faut lire, pour réellement comprendre ce qu’est l’obsession et surtout comprendre l’esthétique de la folie, le chapitre dédié au rangement et au nettoyage, dans l’autobiographie d’Andy Warhol, Ma Philosophie de A à B et vice-versa. Evidemment, la publicité se rue sur cette tendance. Montrer des individus obsédés par des produits est un summum pour un publicitaire. Malheureusement, impossible tant que l’obsession est vue pour ce qu’elle est : une destruction. Trop anxiogène. Mais extraordinairement efficace lorsque l’obsession devient un comportement accepté. Les nymphes d’Axe perdant le contrôle de leur désir, l’abonné de Canal Plus prêt à tout pour la qualité de ses programmes… l’obsession est détournée, allégée. Il n’en existe plus que sa face théâtralisée et drôle. Mais ne nous trompons pas, cela reste toujours de l’obsession. Que nous dit cette tendance obsession sur notre époque ? Si l’on revient à la phrase de Cioran, il s’agit du signe d’un monde sans foi et donc sans morale. Sans espoir et sans vision d’avenir. Dans un monde sans repère, l’obsédé apparaît comme un chanceux, il est le pendant athéiste des individus mus par leur destinée (nombreux au cinéma au début des années 2000 avec les trilogies Matrix et Seigneurs des Anneaux). Ou, au contraire, on peut imaginer l’obsession comme le signe du retour de la morale. L’obsession est une sorte de pré-folie. Et si les sérial-killer ont envahi nos écrans et nos livres pendant des années, leur comportement amoral et inacceptable est aujourd’hui refoulé, au profit du simple obsédé. Tout aussi fou, mais pas encore criminel.

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illustration - Raphaëlle Martin-Hölger

Obsession is the first step to madness, the irreversible entry into a chaotic world. Obsessions, «these demons of a faithless world» as Emile Cioran called them, have always been seen as the siren call leading the human mind astray from reason. And without reason, humans return to animal state An obsessed mind is a possessed mind. But, as always, things change. Once again, our era sees a shift in values. Nowadays, obsession is a virtue. Or at least, an object of fascination. So much so that when Le Nouvel Observateur, an institution of the French press, releases a magazine, it is simply called Obsession. Beyond the pun and the double meaning, it is quite telling. From Michael Fassbender as a sex addict, to Michael Shannon obsessed by the end of the world in Take Shelter, to Nathalie Portman as a dancer driven to madness and death by her obsession for her role, cinema has been feeding on obsession lately. Obsession and a mind gradually slipping into insanity are fascinating. And in a «society of the spectacle», fascination is the ultimate value. That which fascinates sells, even if it means showing the slow destruction of a mind. If reality television and all its voyeuristic excesses are the sick fruits of our morbid nature, obsession is its artistic and aesthetic counterpart.In order to really understand the nature of obsession and especially the aesthetic of insanity, one needs to read the chapter dedicated to cleaning and tidying up in Andy Warhol’s autobiography, The Philosophy of Andy Warhol (From A to B and Back Again). Advertising is obviously all over this trend. Showing people obsessed by products is an advertising agent’s wet dream. Unfortunately, it is impossible as long as obsession is seen for what it is: a form of destruction. Too disturbing. But it is incredibly efficient when obsession becomes an acceptable behaviour. Axe’s bimbos are overwhelmed with desire, Canal Plus subscribers would do anything for quality programmes… obsession is sugar-coated. We are only shown its funny and showbiz side. But make no mistake, it is still obsession. What does this trend say about our times? Going back to Cioran’s quote, it is a sign of a faithless and therefore amoral world. Hopeless and futureless. In a world without any frame of reference, the obsessed person seems lucky, he or she is the atheist counterpart of heroes on the path of destiny (there were many of them at the turn of the century with the Matrix and Lord of the Rings trilogies). Or on the contrary, we can see obsession as a sign of a return to morality. Obsession is a kind of premadness. After serial killers invaded screens and novels for years, their immoral and unacceptable behaviour gave way to simple obsession. Mad, but not criminal yet.

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Obsession is demons of a leading the An obsessed But, as alwa a virtue. Or institution o and the dou From Micha in Take Shel for her role, Obsession a spectacle», the slow des If reality tele is its artistic especially th up in Andy W Advertising agent’s wet of destructio behaviour. Axe’s bimbo programme make no mi Cioran’s quo world witho counterpart with the Ma of a return t novels for ye but not crim


TENDANCE

Le 21 décembre 2012 selon les Mayas. Dans les années à venir selon la crise économique. Dans quelques décennies selon la crise écologique. A priori, nous avons du mal à fixer une date commune, mais l’événement semble inéluctable. Notre monde est entré en soins palliatifs et les spécialistes sont très pessimistes. Nous nageons en pleine ère pré-apocalyptique. La fin du monde. Un sujet extrêmement porteur pour les vendeurs de mots, d’images, de concepts. Porteur parce que fédérateur. Quoi de plus rassembleur en effet qu’une mort commune ? Qu’un grand embrasement de l’humanité ? Que le dépérissement de notre Terre ? Nous pourrions marquer le débarquement de la fin du monde sur nos écrans courant 2008. Un an avant la sortie du film 2012, au moment où l’équipe de marketing viral du film exhume une réinterprétation du calendrier maya. Une liste impressionnante d’arguments sans rapport les uns les autres et bancals, mais tellement nombreux qu’ils s’auto-justifient. Le tout enrichi et colporté par notre inconscient collectif : internet. Bien alimentés par la sinistrose médiatique, nous voilà abreuvés de prédictions aussi noires qu’inévitables. Take Shelter, Melancholia, 4.44 ou Tree of Life, chacun à sa manière, ces films nous annoncent notre fin. Et nous ne parlons pas ici d’un cinéma de seconde zone, de réalisateurs de série B, mais bien de quelques uns des plus grands réals du moment. Même la littérature, d’habitude moins sujette que les autres médias à succomber aux tendances, même la littérature s’est vautrée dans notre fin annoncée. A commencer, en un sens, par la plus belle vente de 2011, l’Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, ou comment combattre la décadence. L’art français de la guerre, le Prix Goncourt accordé à Alexis Jenni, nous plonge dans un désespoir de guerre internationale. Sans oublier le très cash Premier bilan après l’apocalypse de Frédéric Beigbeder. La publicité n’est pas en reste. Axe a fait de la fin du monde son thème central de campagne. Quel rapport avec un déo ? Aucun. Et alors ? Nike, Lotus, Pepsi… toutes les plus grandes marques s’y sont mises. Pendant des décennies, les publicitaires ont frémi à la seule écoute du mot « anxiogène ». La limite absolue. Ne pas faire peur. Alors, qu’est-il arrivé à nos chers pubards ? C’est assez simple, la fin du monde, c’est la porte grande ouverte à l’hédonisme. A la satisfaction des désirs et à la mise à mort des frustrations. Connaissant la propension naturelle de l’homme à prendre le contre-pied de ses propres principes, nous pouvons annoncer l’arrivée d’une tendance d’optimisme, de renaissance, de nouveau monde. Après tout, apocalypse nous vient d’un mot latin voulant dire « révélation ». On retrouve aussi une origine grecque, « découverte ». Quelle découverte ? Quelle révélation ? Plutôt une confirmation. Celle que l’homme capitaliste peut produire à partir de tout, même de sa propre fin.

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illustration - Raphaëlle Martin-Hölger

On 21st december 2012 according to the Mayas. In the coming few years based on the economic crisis. In a few decades based on the environmental crisis. It is hard to agree on a date, but the event itself seems inevitable. Our world is in palliative care and specialists are very pessimistic. We are in a pre-apocalyptic age. The end of the world is a very popular subject for people in the business of selling words, images, concepts. It is popular because it unifies. What can be more unifying than simultaneous death? A great bonfire of humanity? The earth perishing? The end of the world started popping up on screens around 2008. A year before the release of the film 2012, when the film’s viral marketing team dug up a reinterpretation of the Maya calendar. They used an impressive list of unrelated and spurious arguments, but they were so numerous that they justified each other. And everything was built on and transmitted by our collective unconscious: the Internet. Influenced by the media’s pessimism, predictions as bleak as they are inevitable abound. Take Shelter, Melancholia, 4.44 or Tree of Life are all films that tell us about our end. And these are not B-movies or second rate directors, but some of the top contemporary filmmakers. Even literature, generally more immune than other media to the influence of trends, jumped on the apocalypse bandwagon. It started off, in a way, with the best-seller of the year 2011, Stéphane Hessel’s Time for outrage (Indignez-vous !), a book that aims to fight decadence. L’art français de la guerre, Alexis Jenni’s Goncourt-winning novel, throws us into the despair of international war. We could add to it Frédéric Beigbeder’s Premier bilan après l’apocalypse. Advertising is in on it. Axe made the end of the world the central theme of their campaign. What does it have to do with deodorant? Nothing. So what? Nike, Lotus, Pepsi… all the major brands fell for the apocalyptic theme. For decades, advertising agencies have shied away from all disturbing themes. The motto was: above all, do not scare customers away. So what happened to them? It’s simple enough, the end of the world opens the door to hedonism. The quenching of desires and the end of frustrations. With man’s natural tendency to bounce back in the opposite direction, we can predict the birth of a trend to optimism, rebirth, a new world. After all, «apocalypse» comes from a Latin word meaning «revelation». It also has Greek origins: «discovery». What discovery? What revelation ? Or rather a confirmation. The confirmation that the capitalist man can produce from anything, including his own demise.

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TENDANCE

Gustave de Kervern s’incruste au photo-call aux côtés de Brad Pitt, l’enlace avant de lui adresser un somptueux majeur. Geste qu’il répétera toute la journée sur la croisette cannoise. Pendant quelques jours, les deux réalisateurs du Grand Soir ont rappelé au monde entier ce qu’était l’irrévérence. La vraie. Pas une rébellion markétée. Pas une contestation orchestrée. Non, une vraie attitude anarchiste. Celle qui dérange, celle qui emmerde vraiment les responsables. Bref, une attitude punk. C’est que ça couvait depuis un moment. Depuis trois ans environ, le cinéma a commencé à sombrer dans le rock’n’roll. Le superbe documentaire. When we were strange, Nowhere Boy, Les Runaways, Bus Palladium, Good Morning England, Shine a Light, The Other F Word,…. Mais le rock’n’roll est encore trop gentillet, et c’est le punk qui vient foutre le bordel. Un mouvement dont le cri de guerre fut No Future qui débarque en pleine période de désespoir, en pleine sinistrose. Au milieu des crises et des sociétés nihilisto-cyniques. Un être anticonsumériste. Apolitique. Anticapitaliste. Athée. Une surprise ? Vraiment ? Mais le phénomène est récent et dangereux. Le punk veut détruire. Et détruire sans raison. Le monde de la communication doit utiliser des pincettes pour s’en servir. Il faut attendre que la fréquence des messages et que leur nombre aient vidé le mouvement de son idéologie. La littérature, moins frileuse, a déjà fourni quelques succès, à commencer par la bibliographie de Virginie Despentes. Dans la culture populaire et ses mouvements underground, des icônes telles que Hunter S. Thompson refont leur apparition. Le Che Guevara, Gandhi, Martin Luther King étaient de grands hommes. Qui se battaient pour une cause. Mais leur cause a disparu. Et eux avec. Bob Marley va être détrôné par Kurt Cobain. La mode, la musique, les arts en général, ont été très largement influencés cette dernière décennie par un retour du mouvement beatnik et hippie. Un mouvement qui ne croit plus en son présent, mais se bat pour son avenir. Et quand l’avenir s’assombrit, que se passe-t-il ? Le beatnik devient punk. Le nihilisme et le cynisme l’emportent. La skin-party devient la norme devant le pétard convivial. Tout doucement, le mouvement punk s’impose dans tous les compartiments de la création. Un mouvement de violence sans cible, mais aussi de rire et de partage. Un mouvement qui ne cherche à détruire personne, si ce n’est soi-même. Comme un roman de Chuck Palahniuk. Comme un pogo. Et si c’était ça l’apocalypse : un immense pogo planétaire.

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illustration - Raphaëlle Martin-Hölger

Gustave de Kervern crashes Brad Pitt’s photo-call, hugs him before giving him the finger. A gesture he repeats all day at the Cannes Film Festival. For a few days, both Grand Soir’s directors reminded the world of true irreverence. Not prepackaged rebellion. Not orchestrated contestation. A true anarchist attitude that disturbs and really pisses off the establishment. A punk attitude. It had been brewing for a while. Cinema started to go rock’n’roll about three years ago with the amazing documentary When we were strange, Nowhere Boy, The Runaways, Bus Palladium, Good Morning England, Shine a Light, The Other F Word,…. But rock’n’roll is still too polished while punk pisses on everything. This movement, whose war cry was No Future, comes blazing back in these times of despair and pessimism, in nihilistic and cynical societies. Anti-consumerist, apolitical, anti-capitalist, atheist. Is it so surprising? But this is a recent and dangerous phenomenon. Punk wants to destroy for no reason. The world of communication should use it with caution. It should wait for the movement’s ideology to be diluted by the sheer number of messages. Literature, always more daring, has already had a few successes, notably Virginie Despentes’ work. In popular culture and underground movements, cult figures such as Hunter S. Thompson are coming back to the fore. Che Guevara, Gandhi, Martin Luther King were great men who were fighting for a cause. But their cause is gone and so are they. Bob Marley will lose his crown to Kurt Cobain. Fashion, music and arts in general were largely influenced by a revival of the beatnik and hippie movement over the last decade, a movement that ceased to believe in its present, but fought for its future. But when the future gets dark, what happens? The beatnik turns to punk. Nihilism and cynicism take over. Friendly joint smoking gives way to skin-parties. Slowly, the punk movement takes over every field of creation. A movement made of senseless violence, but also humour and sharing. A movement that does not seek to destroy anyone but itself. Like a Chuck Palahniuk novel. Or a pogo.

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TENDANCE

Système D comme Débrouille, Démerde, Do It Yourself. Comme Donoma aussi. Ce film réalisé, dit-on, pour 150 euros et qui est en passe de devenir le représentant d’un nouveau cinéma. C’est que le cheap, le bricolage, le fait-maison a le vent en poupe. Donoma donc, mais aussi Malvivienda, la série espagnole qui cartonne. La nostalgie de la Super 8 bien soulignée par J.J. Abrams et Steven Spielberg, lors de la sortie du film du même nom. Les réalisations de Maïwenn. Les premiers films de Michel Gondry. Le succès de festivals comme le 48 Hours Film Project. Les réalisations coopératives comme le Life In A Day de Ridley Scott. Bref, le cheap est aujourd’hui partout. La faute à la crise et au manque de moyens ? Plutôt, un changement profond de la production visuelle grâce à l’évolution technologique. Tout le monde peut aujourd’hui s’improviser réalisateur en deux clics. Depuis une décennie, les œuvres de qualité, signées par des inconnus, fleurissent sur la toile. D’abord épiphénomène à la fin des 90′s, puis marché à part entière au début des années 2000, c’est aujourd’hui une vraie référence. Une influence majeure. Au point donc, que le cinéma, pour coller à la demande, revienne à cette forme d’artisanat. Et donc se rapproche de l’art. En tout cas, plus prêt de Georges Méliès que du blockbuster. Les productions trop propres sont cataloguées industrielles et coûteuses. Des valeurs négatives à l’heure des crises économique et écologique. La planète entière entame un retour à la terre, aux « vraies valeurs », au fait-main. Il faut sentir le vrai, la sueur et les larmes. L’indé, que ce soit en musique ou en ciné, est devenu mainstream. Qui pourrait encore dire que le festival de Sundance est underground ? Quand il y a les moyens financiers, c’est douteux. Bienvenu dans un monde qui ne croit plus les riches. Un Canon 7D, un 5D, même un smartphone. Une postprod avec Adobe After Effects. Tout le monde peut faire un film. Mais plus qu’une simple conséquence des avancées techniques, c’est une demande de fond. Cette fameuse génération Y, qui a grandi avec la communication, qui en connaît les rouages, ne veut plus d’artifice (ce qui mène doucement vers une nouvelle tendance, la mort de l’imagination). Est-ce la mort de l’image léchée, de la réalisation coûteuse pour autant? Non bien sûr. Mais elle se déplace. Divorcée du cinéma, elle épouse les séries télé, la publicité, les clips. Les grands noms du ciné se tournent un par un vers la télé. Même le très récalcitrant Martin Scorsese. Alors que la pub n’était qu’un tremplin, elle est devenue un refuge pour certains. Innarritu. Fincher. Quel est l’avenir du Do It Yourself ? Si les studios, les décisionnaires ne veulent pas voir le pouvoir se diluer derrière les MacBooks de la terre entière, ils vont devoir récupérer le phénomène. Nous allons voir naître des productions faussement cheap, ou comment faire pauvre quand on est riche. Une illusion dont le public se lassera rapidement. Puisque la règle immuable veut que chaque tendance fasse naître son contraire, nous voyons apparaître de plus en plus de films très grand spectacle (particulièrement la mythologie et les super héros), réaction du cinéma face à un marché laissé vacant. Mais pour la majorité des productions, l’ultra réalisme qui accompagne le Do It Yourself va lasser. Il faut donc s’attendre à une déferlante de l’onirisme, de la magie, du rêve cheap, mais du rêve. Monsieur Méliès, ce temps est à vous.

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illustration - Raphaëlle Martin-Hölger

DIY as Do It Yourself. Or D as Donoma. A film allegedly made for 150 euros which is about to become a symbol of a new cinema. Cheap, homemade, DIY is now trendy. Just like Donoma, but also Malvivienda, the popular Spanish series. The Super 8 nostalgia depicted by J.J. Abrams and Steven Spielberg in their eponymous film. Maïwenn’s movies. Michel Gondry’s first films. The popular success of festivals such as the 48 Hours Film Project. Collective filmmaking projects such as Ridley Scott’s Life In A Day. Cheap is all the rage today. Is it due to the global crisis and a lack of funds? Maybe it would rather be linked to a deep change in visual production based on technological progress. Nowadays, anyone can become a filmmaker in a couple of clicks. Over the past decade, great works by unknown people have popped up all over the Web. First a fringe phenomenon in the late 90s, then a market in its own right at the turn of the century, it has now become an actual reference and a major influence. So much so that cinema turns back to this kind of cottage industry and therefore draws closer to art. Closer to Georges Méliès than blockbusters anyway. Slick productions are considered industrial and expensive – negative values in a time of environmental and economic crisis. The whole planet goes back to basics, to «real values». People want to feel the truth, the sweat and tears. Indie (whether it is music or cinema) has now become mainstream. Who could say that the Sundance festival is underground now? Finances are suspicious. Welcome to a world that distrusts the rich. A Canon 7D or 5D camera, even a smartphone. Post-production with Adobe After Effects. Everyone can make a film. But more than a simple consequence of technical progress, it is a genuine demand. This Y generation, who grew up with communication and knows all its tricks, does not want any more tricks (which slowly leads to another trend, the death of imagination). Is it the death toll of slick image and expensive filmmaking? Of course not. But it shifts. It leaves cinema for TV series, advertising, video clips. All major filmmakers start working for television, even the reluctant Martin Scorsese. When advertising used to be a springboard, it has become a safe haven for some, like Innarritu or Fincher. What is the future of the Do It Yourself trend? If studios and decision makers do not want to lose their powers to millions of MacBook owners, they have to hijack the phenomenon. We see mock cheap productions (or «how to look poor when you are rich»). A trick audiences rapidly grow tired of. Since the pendulum always swings the other way and every trend creates its own opposite, we see more and more very spectacular productions (mostly about mythology and super heroes), as cinema dives head first into a market segment that was left vacant. But for the majority of productions, the ultra realism of the Do It Yourself trend will grow tiresome. We should therefore expect an avalanche of dream, magic, cheap dream, but dream nonetheless. Monsieur Méliès, your time has come again.

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TENDANCE

Reformation, remixe, reprise, revival, remake, recyclage, réédition, rétrospective… Nous voilà bel et bien implanté dans l’air de la récupération. De la réinvention diraient certains, ou comment faire du neuf avec du vieux, oui, mais comme le précisait Pablo Picasso, « tout acte de création est d’abord un acte de destruction ». Et que détruit-on dans ce monde de révérence, de mode du rétro, de contrition ? Dans ce monde où l’ancien est représenté par la génération la plus importante que le monde occidental ait connue ? Dans un monde où l’avenir est présenté comme une impasse ? Comme dans toute impasse, on fait demi-tour. Le cinéma est le premier frappé par le phénomène. Logique. L’industrie du cinéma est une vieille dame frileuse. Elle a abandonné la création à la télé et à ses séries, se contentant de remakes et de reboots sans risque. La musique multiplie les reprises, préférant payer les droits de chansons plutôt que de prendre le risque de laisser place à un jeune songwritter. La littérature réédite à tour de bras. Et même si la publicité n’a pas ressorti ses vieilles égéries, la nouveauté repose sur le changement de supports, basant aujourd’hui la communication sur les happenings, flashmob et déclinaison du street art. Mais au-delà d’un ennui certain, il y a là le symptôme d’un occident vieillissant. Car, le reste du monde, Brésil, Inde et Maghreb en tête, continue de proposer du neuf. Signe d’une population jeune. Car, que se passe-t-il quand une population compte une personne sur deux de moins de 25 ans comme c’est le cas en Tunisie ? Une révolution historique y prend naissance. Mais cette créativité sclérosée ne concerne que le mainstream. Car le neuf trouve toujours un chemin pour se faire entendre. Le Do It Yourself en est l’expression la plus directe.

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illustration - Raphaëlle Martin-Hölger

Remix, revival, remake, recycling, re-release, retrospective… We are in an age of recycling. Some would say reinvention (or «how to put old wine in new bottles»), but as Pablo Picasso said, «every act of creation begins with an act of destruction». And what do we destroy in this world of reverence, retro fashion and contrition? A world where the old is represented by the most important generation the Western world has ever known? A world where the future looks like a dead end? When you reach a dead end, you do a U-turn. Unsurprisingly, the phenomenon strikes cinema first. The film industry loves the safety of comfort Creation is now the province of TV series, while cinema confines itself to remakes and safe adaptations. Cover versions abound in music and labels would rather pay royalties than take chances on a young songwriter. Publishers reissue their back catalogues. And even though advertising isn’t looking back on its past, its innovation relies on a change of media through happenings, flash mobs and street art. But beyond the obvious tedium we see the sign of an aging Western civilization. Because the rest of the world, especially Brazil, India and North African countries, still continues to innovate thanks to their young population.What happens when 50% of the population is less than 25 years old, as is the case in Tunisia? A historical revolution starts. However, creativity is only weakened in the mainstream. Because innovation always finds a way to express itself, DIY being its most direct expression.

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TENDANCE

C’est certainement parce qu’on nous promettait des voitures volantes pour l’an 2000 et qu’on a eu que des trottinettes qu’aujourd’hui les gens se tournent vers le passé plutôt que l’avenir. Peut-être aussi parce que le futur nous est dépeint sans argent, sans nature, sans espoir en fait. Devant un demain qui effraie, courage fuyons, dans un hier, voire un avant-hier. Les hippies ont eu leur revival, en 2011, nous nous sommes immergés dans les 50/60’s. La période de la pleine croissance, de la candeur économique et écologique. Peut-être la période qui a nourri les problèmes que nous connaissons aujourd’hui, mais peu importe. Le premier phénomène de cette tendance, c’est évidemment Mad Men. Société phallocratique, cigarettes pour tout le monde, jouissance de la communication… un vrai paradis. On pensait alors à un épiphénomène. Pas du tout. Tous les magazines, les journaux, les livres se sont fait dernièrement les critiques de cette tendance. Tout en en étant aussi les principaux vecteurs. 2011 a vu l’émergence de Lana Del Rey, le sacre historique de The Artist (qui remonte un peu plus loin que l’après-guerre, il est vrai), le rock rétro de Mustang, la mode hipsters. Le cinéma frappé de plein fouet par le phénomène : Super 8, Drive, Cloclo, My week with Marylin. Certains, comme Simon Reynolds, auteur de l’excellent Rétromania, avance un possible effet de l’internet. L’ouverture d’une bibliothèque géante où tout se mélange, les nouveautés comme le passé. Sauf que le temps a déjà fait le tri du passé, alors que nous sommes tous pris de vertige devant le nombre de nouveautés auxquelles nous avons accès. En même le temps, le numérique permet de copier l’existant sans perdre en qualité et de le diffuser à grande échelle. La mode rétro va cesser. Bientôt. Il n’aura fallu que quelques semaines à Lana Del Rey pour être critiquée en tant que produit. Sur un marché vierge de nouveauté, le premier phénomène innovant à rencontrer son public devrait provoquer un raz-de-marée.

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illustration - Delphine Sauvaget

It’s probably because they were promised flying cars for the year 2000 and ended up with kick scooters that people are now turning to the past rather than the future. Maybe it’s also because the future they are shown is economically dreary, environmentally unsound and hopeless. When tomorrow looks too scary, we turn back to yesterday or even the day before yesterday. 2011 was the year of the 50s & 60s revival.The golden age, the years of economic and environmental innocence. Probably also the age that created the very problems we are dealing with today, but whatever. The phenomenon that started this trend is obviously Mad Men. A male-driven society, cigarettes for everyone, the joy of communication… heaven. It first looked like a fringe phenomenon, but magazines, newspapers, books recently criticized it, whilst spreading it. 2011 was also the year of Lana Del Rey, The Artist’s huge commercial success (even though this particular film refers to a more distant era), Mustang’s retro rock, hipsters.The retro trend flooded cinema: Super 8, Drive, Cloclo, My week with Marylin. Some, like Simon Reynolds, author of the excellent Retromania, say the Internet, this global library where everything is mixed up, both old and new, contributed to it. Except that time has already sorted out the past, whereas we are all overwhelmed by the sheer number of new stuff we now have access to. At the same time, digital media allow us to make copies and distribute them on a large scale without any loss of quality. The retro trend will soon come to an end. It only took a few weeks for Lana Del Rey to be torn apart as a product. On a novelty-free market, the first innovating phenomenon that finds an audience should blow everything away.

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TENDANCE

Impossible de passer à côté en 2011. Publicité, court métrage, long métrage, photos. Valses de pellicules, entrechats d’objectifs, montage en arabesque. Du phénomène oscarisé d’Aronofsky à Innaritu pour Yves Saint Laurent avec Benjamin Millepied, présent sur tous les écrans, y compris en étant responsable de la chorégraphie de Black Swan. La danse aura traversé l’année comme une déferlante de grâce et de beauté. Phénomène logique s’il en est. Art le plus visuel qui soit, en photo comme en mouvement. Pour la publicité, porteur de valeurs de beauté, de pureté, de simplicité, une touche presque divine pour le pataud homme du quotidien. Pour la narration cinématographique, le combat, le défi, l’obstination, le dépassement de soi. La danse est un art unique. Il est le seul à marier la discipline, le support et l’artiste en une même entité. Le danseur en mouvement est à la fois le maître, la toile et le pinceau. A la fois le musicien, l’instrument et la musique. Un art total en somme. Et la production visuelle en aura compris tous les intérêts. Se concentrer sur la chorégraphie et ses valeurs positives et son esthétique immédiate pour la publicité. Focus sur le danseur pour le cinéma avec sa passion, ses douleurs et son abnégation. Cette gémellité de la danse, combinée à sa beauté évidente, pouvant émouvoir même les plus profanes, en fait l’outil parfait du communicant sous toutes ses formes. Le couteau suisse, à qui l’on peut faire dire tout et son contraire. La danse est un message qui ne nécessite aucune explication, porteuse de valeurs antinomiques enrobées dans la plus évidente beauté. Bref, le graal. Dance was everywhere in 2011. Advertising, short films, feature films, photography. A ballet of films, a waltz of lenses, editing arabesques. From Aronofsky’s award-winning film to Innaritu’s clip for Yves Saint Laurent with Benjamin Millepied. Millepied, by the way, is everywhere, notably as a choreographer on Black Swan. Dance overwhelmed the year with a wave of grace and beauty. A logical phenomenon for this most visual art, both in picture and video. For advertising, it stands for beauty, purity, simplicity, it is a quasi-divine spark to the graceless everyday man. For cinematographical narration, it symbolizes fight, challenge, persistence, self-transcendence. Dance is a unique art in that it combines discipline, medium and artist into one. The moving dancer is painter, canvas and brush all at once. Musician, instrument and music. A work of art in him/herself. The visual media knew how to use it to its advantage. Focus on choreography, its positive values and its visual aesthetic in advertising. Focus on dancers with their passion, their woes and their commitment in cinema. The very duality of dance, combined to a beauty capable of moving the coarsest souls, is the perfect tool of the communicator in every field. A versatile medium that can be used for any and every message, for dance needs no explanation, a bearer of paradoxical values wrapped in the most visible beauty. In two words, the holy Grail.

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illustration - Delphine Sauvaget


Michel Hazanavicius « Ne pas faire de calcul c’est le meilleur calcul à faire 128

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Texte - Simon Anthony

Il avait commencé en faisant des petits détournements devenus cultes dans la culture underground. Derrick contre Superman, Ca détourne ou La Classe Américaine sont des perles que beaucoup peuvent citer d’un bout à l’autre, de mémoire. Mais il va être difficile de se prévaloir de cet underground désormais pour Michel Hazanavicius. Car oui, désormais, tout le monde sait prononcer son nom. Après les belles réussites publiques des deux OSS, c’est l’entrée dans l’histoire du cinéma avec The Artist. Plus de 100 récompenses glanées autour du monde, dont évidemment les Oscars du Meilleur Film, Meilleur Réalisateur et Meilleur Acteur. Un triplé français qu’aucun de nous ne reverra de son vivant, on en prend le pari. Michel Hazanavicius a déferlé sur le cinéma français avec ses potes. Aujourd’hui la clique tient les rênes de l’industrie dans l’hexagone et même au-delà. Nous avions rencontré le réalisateur juste avant le festival de Cannes 2011, alors que tout le monde se demandait encore si le film allait être un flop ou un petit succès. Rencontre avec celui dont on écorchait encore le nom. Michel Hazanavicius started off with TV mashups such as Derrick contre Superman, Ca détourne or La Classe Américaine which have since become cult classics of the underground culture. But Michel Hazanavicius does not belong in the underground anymore and now everyone can say his name properly. After the great commercial success of both OSS movies, he made history with The Artist, which won over 100 awards all over the world, including Academy awards for Best picture, Best director and Best actor – an achievement no French film is likely to repeat in our lifetimes. Michel Hazanavicius wanted to conquer the world with his mates. Now they dominate the industry in France and beyond. We met him just before the Cannes Film Festival 2011, when everyone was still wondering whether the film would be an utter failure or a minor success. We met him when no-one could spell his name properly.

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Une fois dans la salle, je sais que les gens s’amuseront, ils sortiront avec la banane. Mais le plus dur sera de les faire entrer. Même mes meilleurs potes qui l’ont vu, m’ont dit : « on a adoré, mais pour être franc, on pensait se faire chier ».

Blended – Quelle est la genèse du projet ? Michel Hazanavicius – C’est la conjugaison de plusieurs facteurs. Mais, avant tout, c’est une envie que j’avais en moi depuis très très longtemps. Et puis, il y a aussi le fait de travailler avec des acteurs qui inspirent. Ils sont comme des outils qui alimentent le film et le projet. Après le succès d’OSS, je n’avais pas envie de refaire une comédie. J’avais besoin de quelque chose de plus stimulant. En fait, j’ai toujours voulu faire un mélo, un film dépourvu d’ironie, où l’on n’est pas distrait de la narration par les personnages. Ca, c’est pour l’idée du film, mais après pour monter le projet, c’est une autre histoire. Et là, il y a Thomas Langmann. Il a eu un rôle prépondérant. Il est allé jusqu’à mettre de l’argent de sa poche sans se demander si on rentrait dans les cases des chaines de télé ou non. C’est un acte rare dans le cinéma d’aujourd’hui, sans calcul. Il a pris des risques comme les producteurs en prenaient dans le passé. Avec ce genre de film, on est condamné à l’excellence. Il fallait donc de l’argent (dix millions de budget. Ndlr). Aujourd’hui, j’ai rempli tous mes objectifs avec ce film, reste à voir s’il aura du succès. A Cannes, ça marche, mais ici il n’y a que des amoureux du cinéma, or mon film touche à l’originel du ciné. C’est normal que les gens aiment. Mais pour le public, je ne sais pas.

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-Qu’est-ce qui change dans l’écriture et dans la réalisation avec un film muet et noir et blanc ? M.H. – Pas grand chose en fait. Je n’ai pas eu à changer d’habitudes parce que j’ai toujours l’impression de ne rien savoir en matière de réalisation. En fait, j’ai maté plein de films muets pour en comprendre le fonctionnement. Et j’étais ravi. Quand on a des restrictions, on découvre aussi de nouvelles libertés. J’ai fait un gros travail d’immersion dans cette époque et dans ce style cinématographique. Sur le tournage, tout s’est fait naturellement. En fait, l’écriture implique la direction. Tout mon travail sur le tournage était de simplifier la tâche des acteurs. Par exemple, j’ai tourné en 22 images/seconde. Comme ça, il y avait un patiné, un grain, une sorte de ralenti qui rappelle les années 20 et que les acteurs n’avaient pas à jouer. J’ai aussi mis de la musique sur le plateau pour porter les acteurs et structurer les scènes. Je n’ai aucune raison de mettre à mal mes acteurs, ils sont mon outil principal. Dans une salle, on ne regarde que les acteurs. -Dans ce genre de projet, le casting est primordial ? M.H. – Bien sûr, mais ils étaient libres de refuser. J’aurais fait le film quand-même. Cela aurait été un autre film, c’est tout. Mais, c’est vrai que Jean (Dujardin) et Bérénice (Béjo) sont des projections de l’image que j’ai d’eux. J’ai écrit le film en pensant à eux. Mais c’est quand-même casse gueule pour

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© Michel Hazanavicius

be to get them in. Even my best friends who saw it told me: «We loved it, but to be honest, we expected to be bored».

Blended – How did the project come about? Michel Hazanavicius – It was a combination of several factors, but above all, I had wanted to do it for a long time. I also worked with inspiring actors, who are like tools to the film and the project. After the success of OSS, I did not feel like directing another comedy. I needed something more challenging. I’ve always wanted to make a melodrama, a film entirely devoid of irony, where characters do not detract from narration. That was the film’s concept, but financing it was a different matter. That’s when Thomas Langmann came along. He played a major part. He even invested some of his own money without wondering if TV stations would be interested. It is a rare thing in today’s cinema industry to act without an investment plan. So he took risks, just like producers used to do. With this kind of film, we had no choice but excellence, so we needed money (editor’s note: a ten million euro budget). I reached all my goals with this film, we’ll see now if it is successful. People love it in Cannes, but the audience is only comprised of cinema lovers and my film deals with the very essence of cinema. So people here love it, but I don’t know about the mainstream audience. Once they are in the theatre, I know they will laugh and they will leave with a big smile on their faces. But the hardest will

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What is specific to the writing and the directing process of a black and white silent movie? M.H. – Nothing much. I did not have to change my way of working because I still feel like I know nothing about filmmaking. In fact, I watched a lot of silent films in order to understand how they worked. And I was thrilled. Restrictions bring new liberties. I immersed myself into this era and this cinematographical style. On the set, everything happened naturally. Writing influences directing. My work during the shooting was to make the actors’ work easier. For instance, I shot in 22 frames/ second, in order to obtain a look and feel, some sort of slow motion reminiscent of the 20s, that the actors did not have to simulate. I also played music on the set to put them in the mood and structure the scenes. I have no reason to mistreat my actors, they are my main tools. In the theatre, people only watch the actors. Is the casting paramount in this kind of project? M.H. – Of course, but even if they had turned it down, I would have made the film. It would just have been a different film. Obviously, Jean (Dujardin) and Bérénice (Béjo) are projections of my image of them. I thought about them when I wrote the film. Nevertheless, it is tricky for an actor. Personally, I don’t take any risk. I know I’ve been thinking about this project for a long time and I don’t appear on the screen. For example, Jean’s only experience with silent movies was Buster Keaton’s films, like everyone else. I had to draw the actors into

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un acteur. Moi, je ne risque rien. Je sais que je porte ce projet en moi depuis longtemps et je ne suis pas à l’écran. Jean, par exemple, ne connaissait du cinéma muet que les films de Buster Keaton. Comme tout le monde. Les acteurs ont eu besoin de se laisser entraîner par l’histoire. Sans dialogue, on n’a pas de vision globale, ils ont dû me faire une confiance aveugle. - Selon vous, est-ce que ce film influencera vos prochains projets ? M.H. – Oui. Pour moi, tous les grands réalisateurs mythiques, Lang, Ford, Hitchcock, viennent tous du muet. J’ai toujours pensé que si j’avais la chance de faire un film muet, j’apprendrais énormément. Ca va changer ma manière de travailler, c’est sûr. Je pense que mon prochain film sera meilleur. - Est-ce que la post-production tient une place encore plus importante que d’habitude ? M.H. – Pour la musique, oui. Pour le reste, non. Déjà mes films précédents étaient des

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films d’époque, de reconstitution. La postproduction avait une grande place. Le noir et blanc permet même d’être plus souple. Mais la musique a une importance énorme. J’ai fait chier le compositeur du début à la fin pour être sûr qu’il comprenne bien ce que j’attendais. Je n’y connais rien en musique, je ne fonctionne qu’au ressenti. Mais du coup, Ludovic Bource le compositeur, fait parti du casting comme les autres acteurs. - Quels sont vos projets ? M.H. – Il y a Les Infidèles. C’est un projet monté par Jean Dujardin et Gilles Lellouche. Une série de sketchs avec un réalisateur différent à chaque fois. Je tourne le mien fin juin, début juillet. Je me mets à leur service, je suis un peu comme un acteur. - De Tuez-les Tous ! à OSS en passant par La Classe Américaine, on a du mal à trouver une ligne directrice dans vos projets ? M.H. – D’abord, je fais ce que je veux. Il y a des réalisateurs qui font toujours les mêmes

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© Michel Hazanavicius

the story. Without a dialogue, there is no global vision, so they had to fully trust me. Do you think this film will influence your next projects? M.H. – Definitely. To me, the greatest directors, such as Lang, Ford, Hitchcock, started off with silent films. I’ve always thought that if I had the opportunity to direct a silent film, I would learn a lot. It will certainly change my way of working. I think my next film will be better. Is post-production even more important than usual? M.H. – As far as music is concerned, it is, but not for the rest. My previous films were already historical films of sorts. Postproduction was very important. Black and white actually allows more flexibility. But music is crucial. I was the composer’s nightmare from beginning to end because I wanted to make sure he understood what I wanted. I know nothing about music, I only

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work on gut feeling. Therefore, my composer Ludovic Bource is as much a part of the casting as the other actors. What are your current projects? M.H. – The Players (Les Infidèles), a project created by Jean Dujardin and Gilles Lellouche. It is a series of segments by different directors. I’ll shoot mine end of June or beginning of July. I will put myself at their service, like an actor. From Tuez-les Tous ! to OSS to La Classe Américaine, it is hard to find a common denominator to all your projects… M.H. – First of all, I do what I want. Some directors keep making the same films, and they are amazing. Others cannot stand to do the same thing twice, like me. For Tuez-les Tous !, three twenty-year-old men asked me to produce their film on the Rwanda genocide. I accepted, but then I also helped them with narration and editing. The common denominator to all my projects

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films, et ce sont des œuvres remarquables. D’autres ne supportent pas de faire deux fois les mêmes choses, c’est mon cas. Pour Tuez-les Tous !, c’est trois jeunes de vingt ans qui viennent me voir pour que je produise leur projet de film sur le massacre du Rwanda. J’ai accepté, mais du coup, je les ai aussi aidés avec la narration, le montage. Ce que tous mes projets ont en commun, c’est que je cherche à me mettre dans les chaussures d’un autre. Une sorte de détournement, comme dans La Classe Américaine. Je ne fais aucun calcul. L’absence de calcul, c’est sûrement le meilleur calcul à faire. Je marche avec mes envies, mon instinct. C’est moi, c’est tout. Donc, je ne prends aucun risque. Si je me plante, c’est une partie de moi qui ne plaît pas.

sautant d’un style à l’autre. Il est génial. De toute façon, j’ai 44 ans, j’ai trois enfants, j’en attends un quatrième. J’avais tout juste vingt ans quand je fais La Classe Américaine pour me marrer, je ne peux pas avoir les mêmes envies aujourd’hui, ça serait triste. - Vous nous dites que vous ne calculez pas, et il faut avouer que c’est rafraîchissant de ne pas entendre la phrase consacrée dans ces cas-là : « j’essaie de me mettre en danger ». M.H. – Jamais vous ne m’entendrez dire une connerie comme ça. Si un jour je vais sauver des enfants en Afghanistan – et vous le saurez si je le fais – alors là, oui, je pourrai peut-être prononcer ce genre de connerie. Moi, je fais des films.

- Comme disait Georges Perros : « On ne se trompe pas, on change » ? M.H. – Oui, c’est exactement ça. Moi, mon modèle, l’homme que j’aurais voulu être, c’est Wim Wenders. Il a une filmographie incroyable,

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is that I try to walk in someone else’s shoes. To mash everything up, just like in La Classe Américaine. I don’t make plans. The absence of plan is certainly the best plan. I follow my whims, my instinct. It’s just me. So I don’t take risks. If I fail, it’s just a part of me that’s unpopular.

from me. If one day I go save children in Afghanistan (and you’ll know it if I do), then I might say this kind of crap. I make films.

© Michel Hazanavicius

Like Georges Perros said: «we do not make mistakes, we change» ? M.H. – Yes, exactly. Wim Wenders is my role model. He has an amazing filmography, spanning a whole spectrum of genres. He is a genius. Anyway, I’m 44 now, I have three kids and a fourth on the way. I was barely 20 when I was doing La Classe Américaine just for a laugh, if I wanted to do the same things now, it would be pretty sad. You say you don’t make plans and it is rather refreshing not to hear the usual cliché: «I need to put myself in danger». M.H. – You’ll never hear this kind of bullshit

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GUY RITCHIE

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es parents sont publicitaires. Cela pourrait suffire à expliquer le talent de Guy Ritchie dans ce domaine, mais ce serait encore trop simple. Certes, il veut devenir réalisateur depuis toujours, mais le parcours de l’homme est plus complexe que cela. Malgré sa passion précoce, jamais le jeune rebelle ne veut intégrer une école de cinéma. Les formatages et les théories ne sont pas faits pour lui. L’école on plus d’ailleurs. A 15 ans, il en est renvoyé. Pour des soucis de drogue selon lui, de coucheries selon son père. Plutôt que se morfondre ou

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is parents are publicists. This reason could quite well explain Guy Ritchie’s talent in the field, but it would be too easy. Of course he has always wanted to be a director but his career is more complex than it seems. In spite of his ferocious passion, the young rebel never wanted to get into a movie school. Formattings and theories weren’t his thing. Neither was school. As a student, at the age of 15 he was expelled from his highschool. Because of drugs according to him, because of sex affairs according to his dad. Rather

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© Guy Ritchie

FILS DE PUB


Texte - Simon Anthony

mal tourner, l’adolescent prend la route. Vit de petits boulots. Juste un petit moment. Dix ans. A 25 ans, il a vécu plus que certains centenaires, alors il revient, l’âme nourrit jusqu’au bord de la gueule et devient réalisateur. Et ça fait 35 ans que ça dure. Evidemment, Guy Ritchie est d’abord un réalisateur de cinéma. Mais ses films publicitaires sont beaucoup trop talentueux pour être passés sous silence. L’avantage d’un grand réalisateur de ciné, c’est qu’il apporte systématiquement en pub un don de la narration. Guy Ritchie ne fait

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than moping or turning out badly, the kid took the road. He survived on little jobs. Only for a short time. Ten years. At the age of 25 he had lived more than some hundredyear-olds. So he came back, with spirit, and became a director. And he has been for 35 years now. Obviously, Guy Ritchie is is primarily a movie director. But his commercials are way too good to be ignored. The good thing about a great movie director is that he systematically brings in the advert a gift for story-telling. Guy Ritchie is no

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© Guy Ritchie

pas exception. A l’instar d’Inarritu avec son film, Write The Future pour Nike, qui a remporté le dernier Lion d’Or à Cannes grâce à un véritable court métrage peignant le poids social du football dans ses plus profondes et folles ramifications. Guy Ritchie, donc, est d’abord un conteur, obnubilé par l’histoire. Un récit dont l’atmosphère drape en douceur les valeurs de la marque. Une approche subtile et indirecte qui place les réalisations à michemin entre la publicité et le placement produit.

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exception. In the manner of Inarritu in his movie Write the Future for Nike, which won the last Gold Lion in Cannes thanks to a short film depicting the social importance of football in its deepest and craziest forms. Therefore, Guy Ritchie is primarily a narrator, obsessed with the plot. An atmosphere tactfully embracing the values promoted by the brand. A subtle and undirect approach that makes these productions at the halfway point between advertising and investment products.

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Dans ses longs-métrages, déjà, toutes les qualités d’une bonne pub percent. Une mise en scène ultra rythmée, une obsession des personnages, bande son léchée et une très grande malléabilité des trois unités de temps, lieu et action. En 2008, c’est lui qui ouvre la campagne Nike avec To the next level, révolution en caméra subjective, qui a ouvert la voie au dernier Lion d’Or. Ses films pour Dior avec Jude Law ou pour Nespresso avec Georges Clooney sont aujourd’hui devenus des références.

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In his long films, all the qualities required for a good commercial emerge. The staging is always super rhythmic, the characters are sophisticated, the soundtrack is great and the three fundamental unities of action, place and time are well mastered. In 2008 he was the one at the origin of Nike’s To the next Level campaign, a revolution, which paved the way for the last Gold Lion. His films for Dior starring Jude Law or for Nespresso starring George Clooney have become benchmarks in the advertising world.

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Andreas Gursky

Mais pourquoi est-il aussi cher ?

4,3 millions de dollars pour les rives du Rhin. 3,3 pour des rayons de magasins. Et deux des trois clichés les plus chers de l’histoire de la photographie. Mais qu’a-t-il de si particulier cet Andreas Gursky, cet alchimiste qui change la pellicule en or ?

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4.3 million dollars for the Rhine banks.3.3 millions for a department in a store. Two of the most expensive snapshots in the History of photography. What’s with Andrea Gursky, the alchemist who turns film into gold?

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Texte - Simon Anthony

A

ndreas Gursky est né en début d’année 1955 à Leipzig. La photo, il l’a dans le sang, ou plutôt dans les gènes. Fils et petit-fils de photographe, la pellicule le poursuit comme un héritage. En 1981, il entre à l’école des Beaux-Arts de Düsseldorf et devient l’élève de Bernd et Hilla Becher. Les deux artistes devenus célèbres pour leurs photos industrielles, donnent à leur jeune apprenti le goût du grand. Car l’une des explications du succès de Gursky : la taille de ses œuvres. C’est en tout cas l’une des clés de compréhension. Avec ses 4×2 mètres par exemple, Rhein II oblige le spectateur à s’approcher et s’éloigner sans cesse, pour tenter de comprendre la photo. Avant de réaliser, épuisé, que la photo n’est tout simplement pas la même de près que de loin. A la manière d’un pop art pixélisé wharolien.

A

ndreas Gursky was born in 1955 in Leipzig. Photography was part of his gene pool. Son and grandson of a photographer, films have always chased him down. In 1981 he got into the prestigious Beaux Arts School of Düsseldorf and became Bernd and Hilla Becher’s student. These two artists who got famous thanks to their factory photographies, passed onto their student a certain taste for greatness. Greatness.One of the possible explanations for Gursky’s success with gigantic works. At least it is one way to see it. Rhein II for example, with its crazy dimensions (4x2 meters) compels the watcher to both approach and move away from the work in order to understand it. Before realizing, exhausted, that the photography just isn’t the same closely and from a distance. Just

Rhein II, 1999 Andreas Gursky

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99 cent ii diptychon, 2007 Andreas Gursky

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Chicago board of trade II, 1999 Andreas Gursky

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Bahrain I, 2005 Andreas Gursky

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Kuwait Stock Exchange II, 2008 Andreas Gursky

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C’est que les photos d’Andreas Gursky ne peuvent pas se penser en petit format. L’artiste prépare et construit ses clichés comme des tableaux. N’hésitant pas à assembler plusieurs photos pour son résultat final. Le but : un tourbillon, un vertige, une mise en abîme. La répétition de l’infini. Encore et encore les mêmes motifs. Comme si l’artiste cherchait à nous donner le goût de l’absolu dans l’immédiat. L’effet hypnotique de la scène perturbe et envoûte. La photo semble vouloir s’affranchir de son propre cadre. Avec Andreas Gursky, le sans-limite reprend ses droits. Ou plutôt, il s’impose. Impossible de déterminer si le cliché ne montre rien ou montre tout. Comme une simple goutte d’eau qui contient tout un monde. Des œuvres qui cherchent évidemment à questionner son spectateur. Parfois de façon spécifique, comme 99 cents qui interroge le consumérisme, mais toujours en filigrane cette question chère aux historiens de l’art : quel est la place de l’homme dans son environnement ? Heureusement, Andreas Gursky n’apporte pas la réponse, sinon ses photos seraient vraiment hors de prix.

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F1, Boxenstopp I, 2007 Andreas Gursky

like a Wharolian Pixelized work. Andreas Gursky’s works cannot be thought out small-framed. The artist thinks and builds his pictures like paintings even if it takes a few snapshots put together. The goal ? A swirl, a vertigo, a mise en abîme. The repetition of the infinite. The same patterns again and again. As if the artist wanted to give us the taste of the Absolute for the time being. The hypnotic effect of the scene unsettles and captivates. The photography seems to want to free itself from its own frame.With Andreas Gursky, the “no limit” returns.Or rather imposes itself. It is impossible to determine whether the snapshot shows it all or doesn’t show anything at all. Just like a small drop of water that holds a whole world. Works that obviously seek to call into question its watcher.Sometimes in a specific way, just like it does in 99 cents, questioning consumerism and always implicitely trying to find out where men belong. Fortunately, Gursky doesn’t have the answer, otherwise his works

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Kamiokande 2007 Andreas Gursky


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LE GÉNIE

OZWALD

BOATENG

Texte - Jean Brumel

O

zwald Boateng est certainement l’homme le plus innovant de ces dernières années dans la mode masculine. Avec la maison Givenchy il a prouvé un sens du beau, de l’art et des formes qui a secoué toute une planète. Alors forcément, quand on s’aperçoit qu’il est aussi réalisateur, on se jette sur les vidéos. Et nous avons une confirmation, même si ce n’est pas toujours le cas, oui, le talent peut-être transdisciplinaire. A force de nous présenter le monde de la mode comme une vitrine, on en oublierait que les créateurs ne sont pas nés sur papier glacé et qu’il s’agit là de véritables artistes.

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O

swald Boateng is for sure the most innovative man of these last years in the industry of male fashion. With Givenchy he found a new definition of beauty, art and shapes which shook the whole world. So, inevitably when one hears that he is also a talented director, one has to pounce on his films. Then one feels relieved, even if it is not always the case. Yes, talents can be multiple.By having the fashion industry presented to us like a store window, we tend to forget that designers weren’t born on glossy paper and that they are real artists. As a cinema addict, Oswald Boateng

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© Ozwald Boateng

Amoureux fou de cinéma, Oswald Boateng a conçu des costumes sur mesure pour de nombreux films (Arnaques crimes et botanique, Demain ne meurt jamais, Sex and the City, Ugly Betty, The Matrix ou encore Miami Vice). C’est lui, aussi, qui dessine les uniformes des sportifs masculins français pour les Jeux olympiques d’été de 2012. Personne ne parle encore de son potentiel en tant que réalisateur. Il reste extrêmement discret sur le sujet. Ses films ne dépassent pas les 1.000 vues sur Youtube. Sa modestie a l’air sans faille. Signe du talent sans doute. Pour l’histoire, sa naissance en tant que réalisateur se joue avec un court métrage intitulé Catching Dreams, basé dans la région du Grand Canyon. Il commandite ensuite une animation de style manga japonais pour son premier show en tant que directeur créatif chez Givenchy. Il enchaîne, toujours pour Givenchy, avec un court métrage remarquable No Boundaries filmé dans le district de Guilin en Chine. Le Londonien, peut-être l’homme le plus créatif de sa génération, le plus jeune tailleur et le premier noir à s’installer dans la prestigieuse Savile Row, celui qui habille absolument toutes les stars hollywoodiennes et que son ami Laurence Fishburn définit comme le mélange entre le flegme de la classe britannique et l’explosion de couleurs africaines, bref, cet homme insatiable et génial, a été le sujet d’un documentaire tourné par Varon Bonicos qui a suivi Ozwald Boateng pendant 12 ans A Man’s Story. Et les chapitres à venir sont les plus intéressants.

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designed custom-made outfits for many movies (Lock, Stock and Two Smoking Barrels,tomorrow never dies, Sex and the City, Ugly Betty, The Matrix or Miami Vice). HE, also was the one who designed the male French athletes’ uniforms for the Olympic Games of 2012. Nobody ever mentions his talent as a director and he keeps extremely quiet about it. His films have not been seen more than a thousand times on Youtube. His selfeffacement is without flaw.Probably a sign for his talent. History has it that, his birth as a director started with a short-film entitled Catching Dreams, set in the Grand Canyon region. Then he sponsored a cartoon, (japanese manga style) for his first show as an art director for Givenchy.Then, he went on, still for Givenchy, with a remarquable short-film No Boundaries shot in the district of Guilin in China. The Londoner, who might be one of the most creative men of his generation, the youngest tailor and the first Black man to settle in the prestigious Savile Row, the Londoner who dresses absolutely all the stars in Hollywood, can be defined as what his friend Laurence Fishburn calls a mix between the composure of the British class and the explosion of African colors. In short, this insatiable and brillant man was the topic of a documentary produced by Varon Bonicos which followed Ozwald Boateng for 12 years. A Man’s Story. And guess what, the chapters to come are even more interesting.

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LE DISCRET

O n

© Mariano Vivanco

a i r a m VIVANCO M

ariano Vivanco est originaire de Lima au Pérou ; il a étudié à Melbourne et, en fait, un peu partout autour du monde. Aujourd’hui, il vit entre Londres et New-York. Photographe de mode reconnu et demandé, il vient de signer la dernière campagne Dolce&Gabbana avec Monica Bellucci. Malgré cette réussite, l’artiste a su repartir à zéro en s’attaquant à la réalisation. Ses photos étant construites comme de véritables tableaux, ses films deviennent des musées vivants. Une succession d’évidentes beautés. Continuant dans la filière de la mode, toujours très fidèle

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à ses modèles, ses muses, comme par exemple Rick Genest (dit Zombie Boy). Un remix de Lady Gaga pour cette vidéo, Madonna pour celle-ci. La maîtrise de la bande-son fait partie de ces qualités nécessaires au passage de la photo au film. Cette qualité, Mariano la possède, teintée par son univers. L’avantage d’une formation de photographe de mode, c’est la facilité à passer d’un monde à l’autre. D’une vidéo à l’autre, Mariano Vivanco sait s’oublier entièrement pour laisser la place aux acteurs. Une beauté omniprésente, un culte du sujet, et même en l’occurrence, du corps.

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Texte - RaphaĂŤl Balzac

M

ariano Vivanco is a native from Lima, Peru. He studied in Melbourne and actually everywhere around the world.Today, he is always on a plane between London and NewYork. Recognized and highly sought-after as a Fashion photographer, he has just signed a new contract for Dolce&Gabbana’s new campaign starring Monica Bellucci. In spite of this success, the artist can start from scratch again by launching into directing. If his snapshots are always constructed like paintings, his films on the contrary turn into living museums.

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A succession of obvious beauties. But he is still faithful to his fashion icons, his models, his muses just like Rick Genest for example (known as Zombie Boy). A Lady Gaga remix for this video, Madonna for that one. Mastering the soundtrack is part of these necessary qualities you need in order to transit from photography to filmmaking. This quality, we all know it, Mariano has it. The good thing with fashion photographers is that it is easy for them to transit from a univers to another. From one video to

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© Mariano Vivanco

Finalement, la mode plie l’artiste à des exigences commerciales, à une image de la marque. Une souplesse imposée que le talent permet de mettre par la suite au service d’une histoire et d’un personnage. Les photographes de mode font souvent ces réalisateurs capables de parler de tout avec beauté, sans jamais s’imposer à la narration. Mariano Vivanco sait nous plonger, sans un mot, dans l’univers et presque dans la psychologie même d’un modèle. Ce respect du sujet, il le doit à l’addition d’une humilité naturelle et du talent (ou du travail, ce qui est synonyme). Mariano Vivanco n’évite aucun sujet. Ses livres sur le Calcio sont certainement les œuvres les plus réussies pour tirer la beauté du football. Et quand on sait repérer le beau n’importe où, alors l’art est votre allié. Bref, vous l’aurez compris, Mariano Vivanco est un réalisateur qu’on a hâte de voir travailler sur ses propres œuvres.


another, Mariano Vivanco knows how to forget about himself to make way for his actors. An omnipresent beauty, a cult for the topic and even, a cult for the body. In the end, fashion bows the artist to the demands of the market, to the demands of a brand. An imposed flexibility which talent enables to serve through a history and a character. Fashion photographers often are these directors able to talk about everything beautifully, without ever narrating. Mariano Vivanco knows how to bury us without a word in the univers and even almost in the very psychology of the model. He owes this respect for the subject to his humility and to his talent (or work). Mariano Vivanco never avoids a subject. His books about the Calcio certainly are the ones that succeeded the most in finding beauty in football. And when one can spot beauty anywhere, art is a precious ally.

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© Joe Wright

LE DERNIER ROMANTIQUE

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Joe Wright

Texte -

L

e romantisme est mort. La bienséance amoureuse des salons du XIXème est morte. La féminité est morte avec le féminisme. Le romanesque est mort. Le chevaleresque également. Bref, la noblesse du cœur est morte… ou pas. Il semblerait que quelques racines aient su porter leurs pousses jusqu’au cerveau de Joe Wright. Ce Britannique de 40 ans a grandi dans la poésie du monde des marionnettes. Celui du théâtre de ses parents. Féérie et direction d’acteur tyrannique. Si le destin n’était pas assez clair avec le jeune Joe, il l’affuble en plus d’une dyslexie qui l’oblige à quitter ses études assez tôt. Il se lance donc dans la seule activité où son handicap n’en sera plus un : l’art. L’art, le refuge des fous et des malades, et par conséquent, le terreau des génies. Des études qui finissent par des stages en réalisation et rapidement, du travail à la télévision. Plusieurs BAFTA et donc le passage logique au cinéma. En 2006 exactement.

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R

omantism is dead. The rules of the polite society of the 19th century for love are dead. Feminity died with feminism. Romanesque is dead. And so is Chevaleresque. In a word, the nobility of the heart is dead… or not. It seems like some roots are still living in Joe Wright’s brain. This 40 years old British man grew up in a world of muppets and poetry. His parents’ world. Fairy and tyranical directing. Fate gave him a strong dyslexia that had him quit school early. He then started working in the art industry, the only place where his handicap was non existant. Art is the haven of the crazy and the sick and consequently, the loam for geniuses. His curriculum : Studies that finish with an internship in producing and rapidly from work to TV. Several BAFTASs and then obviously, the cinema industry. In 2006 precisely. He filmed the very good adaptation of Austen’s Pride and Prejudice. A

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real turning point in his life. First he imposed himself on the big screen.Then he met Keira Knightley whom he directed in two other long-films including Anna Karenina and in two Chanel commercials. In the end, and maybe most importantly, he met Rosamund Pike in his first film. She later on became his wife. From then his career was launched. “Come back to me” enabled him to become the youngest director to open the Venice Film Festival. And then there was the new campaign for a Chanel fragrance with his double egery, Keira. Joe then reached the climax of his career : he found his own definition of a woman. She’s not the lonely working girl whose only sensuality is a social tool.Neither is she a young, weak and dreamy romantic girl. She’s even less of a modern woman, mother, mistress and totally

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© Joe Wright

Il tournera la très réussie adaptation du roman de Jane Austen, Orgueil et Préjugés. Un tournant dans sa vie. D’abord, il s’impose sur grand écran. Ensuite, il rencontre Keira Knightley (nommée aux Oscars pour le film) qu’il dirigera dans deux autres longs dont Anna Karenine, qui sort en octobre 2012, et deux publicités Chanel. Enfin, et peutêtre surtout, Joe Wright rencontre l’actrice Rosamund Pike sur son premier film; elle deviendra sa femme. A partir de là, sa carrière est lancée. Reviens Moi permet à Joe Wright de devenir le plus jeune réalisateur à ouvrir le festival de Venise. Et ensuite, la campagne pour le parfum Chanel, avec la double égérie, Keira. Joe est alors au sommet de son expression : celle de la femme. La vraie. Non pas la working girl solitaire, et dont la seule sensualité est un outil social, fruit du féminisme vindicatif.


Non plus, la jeune romantique faible et rêveuse. Encore moins la femme moderne, mère, entrepreneuse, maîtresse et totalement schizophrène. La femme de Joe, c’est celle de la nouvelle vague. Celle que l’on croyait perdue. Celle qui a su se libérer sans se perdre, car comme le soulignait André Gide, « savoir se libérer n’est rien ; l’ardu c’est savoir être libre ». Joe Wright retourne ensuite au cinéma, avec un film sans femme, mais une amitié profonde et quasi amoureuse, entre Jamie Foxx et Robert Downey Jr. dans Le Soliste. On pense qu’avec Hanna, sorte de Jason Bourne au féminin, Joe Wright change de style, mais la femme moderne et toujours là, la beauté des sentiments aussi. A une époque où téléréalités et réseaux sociaux ont tué la pudeur, Joe Wright lui redonne vie en l’exposant.

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schizophrenic. Joe’s woman is that of the nouvelle vague. The one we thought we’d lost.The one who has known how to liberate herself without losing herself as André Gide highlighted it “to know how to liberate oneself is nothing ; what is arduous is to know how to be free”. Joe Wright then returned to the Cinema industry with a film starring no women, but including a strong friendship almost a romance between Jamie Foxx and Robert Downey Jr in The Soloist.With Hanna, a sort of feminine version of a Jason Bourne, Joe Wright changed his style, but the modern woman remained and the beauty of feelings too. At a time when Reality Tv and social networks killed delicacy, Joe Wright gave birth to it again by exhibiting it.

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LE PUDIQUE

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Ryan Hope

Texte - Claudia Dali

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ur son site internet, à la section des informations personnelles, vous ne trouverez qu’une photo de lui, accompagnée d’une citation de Michael Haneke. « L’art sans humanisme, est une contradiction en soi ». Et tout est dit de Ryan Hope. D’abord, une vraie pudeur personnelle. Plus que quiconque, il sait s’effacer derrière son sujet, sa narration, en un mot, sa réalisation. Ce qui fait de Ryan, l’un des clippeurs les plus efficaces qui soit. Capable de se fondre dans l’univers d’un chanteur et de le rendre sans laisser la moindre trace de son passage. Et puis cette citation dont découle tout le style du réalisateur. L’humanisme avant tout. Et même, pour être plus précis, l’humain.

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n his website, in the personal information section, you’ll only find a picture of him with a Michael Haneke quote “Art without humanism is a contradiction in itself”. And this says it all about Ryan Hope. First of all, he personally is bashful.More than anyone, he knows how to move aside from his topic with his narration and in a word with his directing talent. Which is what makes Ryan one of the best clip makers ever.He’s able to blend in with the universe of a singer and to give no clue of his passage. And that quote we mentionned. His whole style is the result of this quote. Humanism above all. And even, to be more specific, the Human. Ryan Hope’s camera revolves

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Š Ryan Hope 164

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La caméra de Ryan Hope tourne autour de ses sujets, les observe, les caresse presque. Le corps est détaillé, le regard capté, les émotions enregistrées. Comme si la caméra, aussi pudique que son propriétaire, essayait de s’effacer pour un lien direct. Une approche et un respect du corps qui va rapidement interpeler le monde de la mode. Et puis, il y a ce documentaire. Plus de 65.000 vues dès les premiers jours de sa mise en ligne. Un titre brillant, Skin, pour aborder le thème du tatouage comme art. Là, la caméra expérimentée des corps de Ryan Hope se sent dans son élément. Elle scrute les tableaux vivants. Le réalisateur, quant à lui, suit sa ligne de conduite : priorité aux personnages. On ne parlera pas en 40 minutes, ou si peu, des tatoueurs, mais des tatoués. Car tout est là, l’image est faite pour celui qui la reçoit et il est le seul à pouvoir la juger.

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around its topics, it stares at them, it almost caresses them. Bodies are detailed, eyes are captured, emotions are recorded. As if the camera, as bashful as himself, was trying to take a back seat to create a direct link. His approach which respects the body in general, quickly interested the Fashion world. And there’s this documentary too. Watched more than 65 0000 times only a few days after it was released. A brillant title, Skin, which addresses the theme of tattoo as Art. In this video, Ryan Hope’s expert camera is like a fish in the water.It examines the living paintings. The director follows his course of action : the priotrity is the characters. For 40 minutes it’s not the tattoo artists that we hear, but rather the tattoed. Because truth is, the image was made for the one who receives it and only him or her can judge it.

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LA SENSIBILITÉ

Alexis Wanneroy

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© Alexis Wanneroy

H

e lives in L.A but only because he is so talented and because he works for Dreamworks. But Alexis Wanneroy really is French. Cock-a-doodle. This director is far from retirement, and his success is rapidly growing. Exclusively working with a DSLR camera,( digital single-lens reflex camera), or through animation, his immense quality is that he knows how to present emotion. It’s everywhere. In the soundtrack, the angle,the rythm, the light. It tends towards a single goal : restore emotion to its subject. This quality is particularly visible in his films dealing with boot camps and martial arts, or those starring his own baby, delicately bringing the touch of a fatherly eye. His documentaries reveal the same qualities. Within a few minutes, we enter the space of an artist. More than a universe, it’s his psyche that seems to open itself to us, like a flower in the morning. The best example for this might be that of his worldwide success, Pierre or the story a French man earning money playing the role of Spiderman on Sunset Bd,with a stunning sense of tenderness and truth. Alexis Wanneroy is a heart behind the camera, and it feels good.

Texte - Cécile Artaud

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l vit à Los Angeles mais c’est tout simplement parce qu’il est talentueux et qu’il travaille pour DreamWorks. Mais Alexis Wanneroy est bien Français. Cocorico. Ce réalisateur n’a pas fini de faire parler de lui, même si son talent fait déjà pas mal d’écho. Ne travaillant qu’avec une caméra DSLR, (digital single-lens reflex camera), ou par animation, l’immense qualité d’Alexis c’est l’émotion. Bande-son, angle de caméra, rythme du montage, lumière. Tout tend vers un seul et même but : restituer l’émotion du sujet. Une qualité particulièrement visible sur ses films touchant aux arts martiaux ou au boot camp, ou alors quand il met son propre bébé en scène, amenant toute la douceur du regard paternel. Ses documentaires reflètent les mêmes points forts. En quelques minutes, on entre pleinement chez un artiste. Plus que son univers, c’est sa psyché qui semble s’ouvrir devant nous, comme une fleur au matin. Le meilleur exemple est peut-être son documentaire applaudi partout autour du monde, Pierre. L’histoire d’un Français qui gagne sa vie en tenant le rôle de Spiderman, pour les touristes, sur Sunset Bd. Avec une tendresse et une vérité éblouissantes. Alexis Wanneroy, un cœur derrière une caméra, ça fait du bien.


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MATURITÉ

ZAIBA

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Z

aiba Jabbar isn’t only a character from Star Wars but also a British female director. After graduating from the Central Saint Martins College of Arts and Design in the British capital, she launched herself into her career. As soon as 2008, only one year after she graduated, she directed her first fashion video. She got noticed for her super personal touch. Zaiba Jabbar even allowed herself to distort, to mistreat, to assault the works.An audacity which confirms this surprising maturity. Of course Charlie Le Mindu is by nature unstructured but still, few artists before Zaiba dared to be so impudent. Just like all the directors of her generation, Zaiba jumps from fashion to music, using the same esthetical tools in both universes. Her camera is super close to the characters, and the result is an unadorned dive within a story. A camera up to the narration. Quality to also be found in several personal movies.

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Texte - Maxime Aragon

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aiba Jabbar n’est pas un personnage de Star Wars mais une réalisatrice londonienne. Après avoir étudié au Central Saint Martins College of Art and Design dans la capitale anglaise, elle se lance tête baissée dans sa carrière. Dès 2008, un an à peine après avoir obtenu son diplôme, elle réalise son premier film de mode. Un domaine dans lequel elle se fait remarquer par son approche ultra personnelle. Zaiba Jabbar se permet même de déformer, maltraiter, violenter les créations. Une audace qui confirme une étonnante maturité. Certes, Charlie Le Mindu est par essence déstructuré, mais tout de même, peu ont osé ce que Zaiba Jabbar a affirmé. Comme tous les réalisateurs de sa génération, Zaiba passe de la mode à la musique, utilisant les mêmes effets esthétiques pour les deux univers. Un objectif au plus proche du personnage, une plongée sans fioriture au sein d’une histoire. Une caméra à hauteur de narration. Que l’on retrouve aussi dans quelques films plus personnels.

© Zaiba Jabbar

JABBAR


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CONTEURS

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Texte - André Ajar

© Lynn Fox

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endant quelques années, dans les couloirs, circulait cette question lancinante : mais qui est donc Lynn Fox ? Derrière ce nom à exploser les charts ou à truster Hollywood, se cachent en fait trois gentlemen qui se sont rencontrés sur les bancs de la UCL alors qu’ils étudiaient l’architecture. Ce sont d’ailleurs peut-être ces études qui leur serviront, plus tard, au moment d’épouser la réalisation. Leur capacité à créer des environnements, des univers bluffant de beauté. Des 3D à la cohérence parfaite. Des qualités de peintres et de conteurs qui les mènent tout naturellement vers le monde de la musique et vers une collaboration fidèle avec Björk. En 2004, Lynn Fox signe Oceania pour la chanteuse, qui réutilisera la vidéo pour accompagner son show lors de l’ouverture des Jeux Olympiques d’Athènes. En toute logique, Lynn Fox a déferlé dans le monde de la publicité. Peugeot, Axe, Audi, Citroën… avec à chaque fois la volonté de créer du beau. Plus qu’un récit, le film doit ressembler à un conte. Envoûtant et enveloppant. Et la belle histoire continue.

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or several years in the corridors this nagging question was spreading : who the ghell is Lynn Fox? Behind this Hollywoodian name are hiding in fact three gentlemen who met at UCL when they were studying architecture. Incidentally, their curriculum might have been useful to them, later on, while marrying producing with their ability to create atmospheres and universes astonishingly beautiful. Their 3D works are perfectly coherent. They have the qualities of paintors and storytellers which naturally led them to the music industry and to a strong wollaboration with Björk. In 2004, Lynn Fox produced Oceania for the singer who will reuse the video for her show during the opening of the Olympics in Athens. Obviously, Lynn Fox was very big in the advertisement world. Peugeot, Axe, Audi, Citroën each time had them create something beautiful. More than a story, the film must sound like a tale. Captivating and enveloping. And the beautiful story continues...

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EN MOUVEMENT

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usique, films, architecture, happening, photographie, sculpture… le moins que l’on puisse dire, c’est que Doug Aitken a besoin de beaucoup de supports pour exprimer sa sensibilité artistique. Une sensibilité forcément complexe, hirsute, p our nécessiter une telle frénésie d’expressions. Son travail, quel qu’il soit, marie, malaxe et maltraite les notions de temps, d’espace et de mémoire dans un même pattern. C’est-à-dire, les trois éléments qui donnent cohérence à l’existence humaine. Alors, l’artiste californien donne du mouvement. Un mouvement souvent involontaire comme son étude Sleepwalkers, voire instinctif avec Migration. Dans ses œuvres, le sujet est balloté, acteur désincarné et involontaire. Une marionnette

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M

usic, films, architecture, happening, photography, sculpture… the least we can say is that Doug Aitken needs a lot of different supports in order to express his artistic sensitivity. An inevitably complex sensitivity, dishevelled to require such frenzy of emotions. His work, whatever it is,blends together, mixes, the notions of time space ans memory of a same pattern, i.e the three elements which give its coherence to human existence. So, the californian artist gives movement to his works. A movement which often is unintentional just like it was in his study Sleepwalkers, or even instinctive like in Migration. In his works, the subject is torn, the actor is disembodied and unwitting. Like a muppet

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© Doug Aitken

DOUG AITKEN


Textes - Simon Anthony

qui ignore son maître. Ses courts-métrages avec la très expressives et profonde Chloë Sevigny sont des questionnements de l’enfermement social imposé par le mouvement. Un déplacement qui devient immobilisme. C’est justement cette dichotomie entre réalité du corps et vérité du psychisme qui fait tout le bonheur de Doug Aitken. Son œuvre dégage en permanence cette ambivalence bipolaire qui, et c’est son originalité, n’est pas contenue dans la psyché humaine, mais bien plutôt bringuebale l’humain comme un destin infantile et capricieux. Entre ces deux aspects opposés de son existence, sur une brèche, l’humain joue les funambules pour ne pas sombrer dans la folie. Doug, lui, n’est plus sur la brèche depuis lui longtemps.

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ignoring its master. His short-films starring the very expressive and deep Chloë Sevigny are questionings of the social isolation that comes with movement. A trip which turns into stasis. It is exactly this dichotomy between the reality of the body and the truth of the psyche which makes Doug Aitken happy.This bipolar ambivalence permanently emanates from his works. In between these two opposite aspects of his existence, on a breach, the human is a tightrope walker trying not to lapse into madness. Doug as an artist has left the breach a while ago.

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RENCONTRE

Textes - Simon Anthony

DAVID BERTRAM Commençons par le commencement, comment viens-tu à la photo ? Puis à la réalisation ? Ou plutôt, qu’est-ce qui fait que cette sensibilité au fond de toi, cette envie de dire quelque chose, s’est tournée vers ce média plutôt que n’importe quel autre art ? Le cinéma comme la photo proposent de poser un regard sur le monde. Ils impliquent une certaine distance face au réel et imposent d’en devenir spectateur plutôt qu’acteur. Ça me semble tout à fait cohérent avec ma personnalité. Pour un enfant unique, la vie est un vrai spectacle. J’ai commencé par le dessin, qui m’a naturellement emmené vers la photo. Mais le cinéma m’a toujours fasciné, à tel point qu’avec mon appareil, j’essayais non pas de capturer un instant volé comme tout bon reporter, mais au contraire, de créer des mises en scène dans lesquelles le sujet devenait le héros.

Let’s start with the beginning. What made you start photography? And directing ? What made you want to say what you had to say through this channel rather than another one? Cinema like photography offer a vision of the world. They imply a certain distance from the reality and demand that one becomes a watcher rather than an actor. It seems very coherent with my personality. For an only child life is a real show. I started my career with drawing, which naturally took me to photography. But I had always been fascinated with the Cinema insomuch that with my camera I was not trying to capture a moment like a good photojournalist is expected to do, but on the contrary, I was trying to create some mises-en-scenes in which the characters would become the heroes.

Il me semble que le point commun de tous tes travaux c’est le sujet caché. Et par sujet j’entends aussi bien le thème que le personnage. Que ce soit dans tes films engagés pour la fondation Abbé Pierre ou contre la violence faite aux femmes. Que ce soit ta série de photos (on y reviendra plus en détails), ou dans L’avenir est derrière nous, Ciao Mamma, et même dans Interférences où le jeu de miroir semble impliquer un monde parallèle, une seconde lecture possible.

I believe what your works have in common is the hidden subject. And by subject I mean the topic and the character. Whether they are art films for the Abbé Pierre Foundation or against domestic violence.Whether in your series of snapshots (we’ll come back to this later) or in L’avenir est derrière nous, Ciao Mamma or even Interférences, there is always a mirror effect which involves a parallel world, a second vision of the story. The movies you just quoted are works

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Les films que tu cites sont des œuvres de jeunesse : il s’agit pour la plupart de court métrages écrits spontanément, dans un but d’apprentissage, une sorte d’école personnelle dans laquelle je mettais un point d’honneur à occuper tous les postes. Je confiais les rôles à des amis, et je tournais en DV, bien avant l’apparition des appareils photos HD qui proposent une qualité vidéo incontestablement plus cinégénique. La spontanéité et la fraicheur avec laquelle ces films ont été écrits et réalisés ont laissé une large place à mon inconscient. À ce titre, ces films ont effectivement beaucoup de points communs : ils sont quasiment muets, de durées plus ou moins semblables, et dans lesquels l’histoire est plus symbolique que narrative. À mon sens, le sujet principal est l’Humain, et pour rejoindre ton analyse, l’Humain sous ses formes les moins avouables : faible, lâche, violent, bref, tout ce qu’on préfère cacher.

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from my youth : most of them are shortfilms which I created spontaneously, but always in order to learn, like a sort of personal school in which I was occupying every position.I was giving roles to friends using the DV , way before the existence of HD cameras which offer a better quality, more cinegenic. The spontaneity and the freshness with which the films have been written and directed gave space for my unconscious. And rightly, these films do have a few common points with each other : they are almost silent, their lengths are comparable, and in these films the story is more symbolic than narrative. To me, the main subject is the Human, the Human in its most shameful positions : weak, coward,violent. - Let’s talk about your series of photographs. How did you feel this idea ?

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Š David Bertram

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-Parlons de ta série de photo. Comment te vient cette idée ? L’idée vient d’une prise de conscience. Comme je te le disais, il y a une grande part d’inconscient quand on crée. D’autant plus lorsqu’on commence assez jeune. Avec l’âge, on cherche à comprendre, alors, comme toi, j’ai trouvé des points communs à tout ce que j’avais fait. Lorsque j’ai mis le doigt sur mon thème de prédilection, l’Humain sans fard, j’ai commencé à travailler de manière plus pertinente, plus structurée, et certainement plus intellectuelle, en tout cas plus consciente. Ça m’a naturellement amené au portrait photo, et à une question : on dit toujours du regard d’une personne photographiée qu’il est comme une fenêtre sur son âme, sur sa vérité intérieure, mais un regard peut-il vraiment en dire autant ? Je n’en ai jamais été pleinement convaincu. En revanche, la vérité est à l’intérieur, c’est indéniable, alors j’ai cherché à la photographier de manière

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The idea came from an awareness. As I told you before, there is a great part of unconscious in creation. Especially when one starts working very young. With maturity, one tries to understand, and like you, I found similitudes in everything I had done. When I found my favourite topic, the simple Human, I started being more relevant in my work, more organised,certainly cleverer and at least more conscious. It naturally led me to portraits, and to this one question : I always heard that the look of a person being photographied is like a window to his soul, his inner truth, but can eyes really say so much ? I was never really convinced. However the truth is inside, it’s undeniable, so I tried to be mire straightforward in my work. I inspired myself with a psychology exercise which consists of asking the subject to model their own face in clay to find out what vision he has of himself and in order

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© David Bertram

plus directe, à faire tomber les masques… en en fabricant d’autres. Dans les grandes lignes, je me suis inspiré d’un exercice de psychologie qui consiste à demander au sujet de modeler son propre visage dans l’argile pour interroger la vision qu’il a de lui-même, et dévoiler son inconscient dans la terre. J’ai donc soumis des personnes à cet exercice, et ce sont ces personnes qui sont photographiées, chez elles. J’ai simplement remplacé leur vrai visage par leurs propres sculptures. - Que cherches-tu à dire avec cette série ? Je cherche à interroger plutôt qu’à dire. Aujourd’hui nous vivons dans une société extrêmement codifiée. Le marketing aidant, on parle de socio-styles, de catégories et de sous catégories de personnes. Chacun porte un masque et joue de ses propres codes ce qui rend l’analyse beaucoup plus complexe qu’auparavant. En revanche, l’inconscient sera toujours épargné, notre identité psychique ne pourra jamais tricher. C’est elle que j’ai voulu rencontrer à travers cette série de portraits, la radiographier en quelque sorte. Et ce qui m’a paru intéressant, c’était de la confronter à l’identité sociale : l’intérieur personnel des gens et le choix délibéré de leur attitude et de leurs vêtements. - Il y a un effet très paradoxal. Entre le naturel de la pose et la monstruosité du masque, on passe d’un sentiment à l’autre, sans jamais s’arrêter sur une sensation définitive. De façon totalement subjective, ça m’a rappelé l’effet qu’a eu sur moi l’univers de Guillermo Del Toro dans le Labyrinthe de Pan. C’est amusant que tu fasses allusion à un film, puisque beaucoup s’accordent à dire qu’il y a une atmosphère cinématographique dans la série, certainement due au format allongé

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to reveal his unconscious in the earth. So I submitted people to this exercise, and they were shooted in their homes. I simply replaced their real face with their own sculptures. - What were you trying to say through this series ? I question more than I say. Nowadays, we live in an extremely codified society. Sociostyles emerged, categories of people. Each of us is wearing the mask and plays by the rules of our respective categories, which makes analysis harder than before. However, the unconscious will always be safe, our psychic identity will never cheat. She’s the one I was looking to meet through this series of portraits. And what I thought was interesting was to confuse it with social identity : the personality of people and their choices in their attitude and clothes. - There is a very big paradox between natural and prose and the monstruousity of the mask, we jump from one feeling to another without ever stopping on a definitive result. In a totally subjective manner, it reminded me of Guillermo Del Toro’s universe in Pan’s maze. It is amusing that you mentioned this film, because many agree on saying that there is a cinema atmosphere in the series, certainly because of the extended shape of the images, and the light well cared for. To be honest I believe that the uneasiness comes from the presence of two meanings : social reality and psychological reality.Sometimes it is perfectly coherent, other times the face and the mask radically contrast to create a real accident. And this solemn appearance almost morbid, these dark settings participate in the the strangeness of these series. It’s as Freud would call it a worrying

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Š David Bertram

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des images, et à la lumière très soignée. À vrai dire, je pense que le malaise provient des deux niveaux de lecture qui s’entrechoquent : la réalité sociale, et la réalité psychique. Parfois, tout est très cohérent, certains visages sont la continuité quasi organique des corps qui les reçoivent, et d’autres au contraire, contrastent de façon radicale en créant un véritable accident. Et puis, cet aspect solennel, presque morbide (les têtes d’argile évoquant des masques mortuaires), ces ambiances feutrés et closes, participent de ce climat étrange dans lequel le temps semble ne plus avoir de prise. Freud parlait d’inquiétante étrangeté. - Crois-tu que l’on se cache ou que l’on se révèle en mettant un masque ? On se révèle en se cachant, et on se cache en se dévoilant, c’est toute la complexité de la personne. - En mettant les gens en scène dans leur foyer, tu sembles dire que le masque est dans l’intimité ? Ou alors dans la position sociale ? Le foyer est, à mon sens, double. C’est d’une part une manière de se définir socialement : je possède ça, j’aime ce style plutôt qu’un autre, etc. Et d’autre part, une projection psychique, le terme anglais interior est d’ailleurs très parlant parce que c’est dans l’intérieur de notre tête que l’on vit, et dans le cas de ma série, que l’on donne à voir. Il contribue donc à cette dualité psychique et sociale. - Puisque chacun réalise son propre masque, on sombre dans une psychanalyse avec une sorte de transfert matérialisé. Presque un test de Rorschach personnalisé. Effectivement, sauf que la tâche d’encre, ici, on la fabrique.

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strangeness. - Do you think one hides behind a mask or on the contrary reveals himself ? One reveals himself by hiding, and one hides himself by revealing himself, and that’s what makes people complex. - By staging people in their own homes, do you mean that the mask is to be found in privacy ? Or in a social status? The home is double.On the one hand, it is a way to defineourselves socially : I own this, I like this style rather than another etc. On the other hand, it is a psychic projection, it is in our head that we live. Therefore, the home contributes to this social and psychic duality. - As each person makes their own mask, we dive into a psychoanalysis with a sort of materialised transfert. Almost a personalised Rorschach test. Yes, however, the stain of ink is made here. - Violence is often present. But even when it is central to the subject like in Froids it is discreet. And in the end its banality is more shocking than violence in itself. You particularly insist on the consequence of violence, as if you arrived too late for the shocking part but early enough to witness the disaster. Is pain found in mourning rather than death? I love to quote Jerry Seinfeld, who thinks that people’s number one fear is to speak in public. He infers that at a funeral, one would rather be inside the coffin rather than by the pulpit saying the funeral oration. I find this hilarious and so true : the Other often is scarier than death. Unless one considers the Other like a fatality.

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© David Bertram

- La violence est souvent présente. Mais même quand elle est au centre du sujet comme dans Froids, elle est discrète presque pudique. Et au final, c’est sa banalité (soulignée par l’impassibilité des persos et la bande son) qui est plus choquante que la violence en soi. D’ailleurs, tu parles finalement plus de la conséquence de la violence, comme si tu arrivais trop tard pour le choquant mais assez tôt pour le désastre. La vraie douleur est dans le deuil plus que dans la mort ? J’adore citer Jerry Seinfeld, qui dit que la peur numéro 1 des gens dans le monde c’est la peur de parler en public. Il en déduit qu’à un enterrement, on préfère être dans le cercueil. qu’au pupitre en train de prononcer l’éloge funèbre. Je trouve ça hilarant, et terriblement juste : l’Autre est souvent plus effrayant que la mort. Je ne pense pas que l’être humain soit naturellement enclin à vivre en société. À moins qu’il ne considère l’Autre comme une fatalité.

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S

ander Plug et Lernert Engelberts sont deux gamins hollandais de, respectivement, 43 et 35 ans. Ils ne sont pas réalisateurs et pourtant, ils sont rémunérés pour leurs réalisations. Pour nous, Lernert & Sander sont plutôt des metteurs en scène, voir des gosses qui jouent à filmer leurs délires. Difficile d’appeler leurs installations autrement qu’un délire. Depuis 2007 et leur vidéo Chocolate Bunny, où de pauvres petits lapins en chocolat se faisaient dissoudre la face à coup de fer à repasser, de sèche cheveux et de lampes chauffantes dans un décor monochrome, l’univers des deux bataves a conquis le monde de la réalisation. A la fois poétiques et violents, doux et malsains, leurs films ou plutôt leurs installations sont hypnotiques. Comme des enfants brûlant des fourmis à la loupe. Depuis Lernert & Sander ont multiplié leurs expériences. Créant un suspens insoutenable

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S

ander Plug and Lernert Engelberts are two dutch kids, respectively 43 and 35 years-old. They are not producers but still, they get paid for their productions. To us, Lernert & Sander are stagers, or even kids playing with their own madness. Its hard to name their installations otherwise than madness. Since 2007 and their Chocolate Bunny video where poor little chocolate rabbits were dissolved by irons, hair sryers and heating lamps in a monochrome setting, the universe of the two kids has won over the world of direction. Both poetic and violent, sweet and insane, their films are hypnotic. Like kids enjoying burning ants with a magnifying glass. Since then, Lernert & Sander have tested many other things creating an unbearable suspense around this egg. Will the bowling ball avoid it? What about the bottle of Champagne’s cap ?

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© Sander Plug & Lernert Engelberts

SALES GOSSES


Texte - John Perrec

autour de cet œuf. Echappera-t-il à la boule de bowling ? Et au bouchon de champagne ? Leur documentaire intitulé The Procrastinators témoigne de l’art de remettre au lendemain chez les artistes. Peut-être une clé pour comprendre le travail des deux trublions : une ode à la lenteur et au temps qui passe. Comme si la beauté ne pouvait se trouver que dans le ralenti. Et la vérité dans la longueur. Comme avec ce film très remarqué, commandé par Nowness, où Lernert & Sander, pendant 9 heures, appliquent 365 couches de maquillage sur le visage d’une femme. Un an de beauté pour donner un visage qui effraierait John Merrick. Un visage comme dissout à l’acide, comme celui du lapin. Chez Lernert & Sander, on aime détruire. Détruire l’ordre, le beau. Faire fondre la beauté. Parfois par une suite de réactions en chaîne qui révèle le message final. L’ordre est détruit, mais la vérité dévoilée.

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Their documentar y entitled The Procrastinors shows that art of postponing in Art itself. Maybe this could be understood as a key to understand the work of those two hellions : an ode to slowness and to time passing by. As if beauty could only be found in slow motion and truth could only be found in length. Just like in this very noticeable movie ordered by Nowness, where Lernert & Sander, put 365 layers of make up on the face of a woman for 9 hours. One year to obtain a face that would scare John Merrick himself. A face almost dissolved by acid, just like the rabbits. At Lernert & Sander, destruction is good. Destroying order, destrying the beautiful, sometimes by a suite of chain reactions which reveals a final message. Order is destroyed but truth is unveiled.

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L’ARTISAN

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R

omain Chassaing is what we could call a « cliper ». The term is probably simplistic but he still is a cliper. But even Romain followed a classic path, from photography and graphic design to directing, and all along within the music industry. A career written like a partition. Like a pop song, bittersweet, romantic and disenchanted. But Romain Chassaing is above all a specific universe. A traditional universe made of cardboard and scotch-tape. A universe that reminds us of that of Michel Gondry, echoing the popular trend for DIY. But there’s even more than that. His universes are like décors. The characters, the objects are all fake in this very big play where everybody thinks they have the first role and that we call life. Romain Chassaing knocks down illusions, and reveals the backstage. In music, emotions are truth and he gives birth to them.

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Texte - Céline Chardonne

R

omain Chassaing est ce qu’on peut appeler un clippeur. Le terme est certainement réducteur, mais il l’est toujours. Mais, même si Romain suit un parcours presque classique, partant de la photo et du graphisme pour déboucher sur la réalisation, tout son chemin s’est déroulé dans l’industrie de la musique. Une carrière qui s’écrit comme une partition. Comme un morceau de pop moderne, douxacidulé, romantique et désabusé. Mais Romain Chassaing, c’est avant tout un univers. Un univers artisanal, fait de bouts de carton et de morceaux de scotch. Un univers qui rappelle celui de Michel Gondry, qui fait également écho à la poussée du Do It Yourself. Mais il y a beaucoup plus encore. Ses mondes sont des décors. Les personnes, des personnages. Les objets sont faux. Dans cette grande pièce de théâtre où tout le monde croit tenir le premier rôle, et que nous appelons la vie. Romain Chassaing abat les illusions, dévoile les coulisses. En musique, les émotions sont vérités, et il leur donne vie.

© Romain Chassaing

ROMAIN CHASSAING


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LE CHOC

GRANT THOMAS

Grant Thomas is a photographer. No profession. But Confession. Baptised with film at birth. He grew up in a Welsh family. When he was 16 he quit school and moved to London where he bought a camera. One week before his 18th birthday, he was hired by a creative agency, Jed Root. Extremely rare.

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Texte - Lenny Mozar

Grant Thomas est photographe. Pas de profession mais de confession. Baptisé à la pellicule dès sa naissance. Il grandit dans la campagne galloise. A 16 ans, il quitte l’école, emménage à Londres et achète un appareil photo. Une semaine avant son 18ème anniversaire, il signe dans l’agence créative Jed Root. Rarissime.


© Grant Thomas

Mais son ascension fulgurante ne s’arrête pas là. Rankin le prend sous son aile. En septembre 2011, il l’intègre à son exposition en collaboration avec Dazed&Confused, pour ensuite lui offrir de l’espace dans son magazine Hunger. Rapidement, le style très marqué du photographe, la texture ultra travaillée, l’esthétique rétro, l’utilisation préférentielle du noir et blanc, des couleurs tamisées et des lumières filtrées, le mènent à la publicité. Passage obligatoire pour tout photographe et consécration quand on connaît l’exigence absolue de cet univers. Aujourd’hui, devant un tel talent et une telle jeunesse, on espère voir Grant Thomas prendre la caméra. But his dazzling ascension did not stop there. Rankin took him under his wing and in september 2011 he included him into his exhibition collaborating with Dazed&Confused so he could then offer him space in his magazine Hunger. Quickly, his unique touch, his ultra sophisticated texture, his retro aesthetic, his preference for black and white, subdued lighting led him to advertising. Compulsory peiod in the career of a photographer and accolade when one realises the absolute requirements of this universe. Today, facing such talent and youth, we hope to see Grant Thomas taking his camera again.

retrouvez les PHOTOGRAPHIES dE GRANT THOMAS SUR Blended.fr

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ÉROTIQUE

JONATHAN LEDER

Jonathan Leder found himself in a darkroom developing his own photographs for the first time when he was 15. It was in 1987.And we imagine that he must have seen bodies of women appearing on the film, because let’s be honest, New Yorkers have never been good at photographying other things. And we could allow ourselves to wonder if he kept from his teenage years the unstoppable and impossible fantasies, as he has been trying hard for 25 years to strip women off no matter where , no matter when but not no matter how.

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Texte - Tommy Hunter

Jonathan Leder se retrouve dans une chambre noire à développer ses propres photos pour la première fois à l’âge de 15 ans. C’était en 1987. Et on se doute qu’il devait voir apparaître sous ses yeux des corps de femmes, parce qu’à dire vrai, le NewYorkais n’a jamais su photographier autre chose. Et l’on pourrait le soupçonner d’avoir gardé de son adolescence, les fantasmes effrénés et impossibles à assouvir propres à cet âge, tant il s’évertue depuis maintenant 25 ans à dénuder les femmes n’importe où, n’importe quand mais pas n’importe comment.


Š Jonathan Leder

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Mais avant tout ça, le natif de Manhattan étudie au Collegiate School avant de s’envoler parfaire sa formation à Paris puis Florence et de revenir dans les studios de Steven Klein. Un parcours complet et diversifié pour revenir au basique : des femmes nues. Basique peut-être, mais voilà, personne ne photographie la nudité des femmes comme Jonathan Leder. Sans fard, ni retouche. Jonathan aime la beauté féminine et cela se voit. La grâce naturelle qui ressort de ses clichés rappelle aux hommes les coups de foudre aux coins des rues lors des premières journées de printemps. L’abandon des sujets confère une sensualité incroyable à ses photos en même temps qu’il dénote de la confiance portée dans l’artiste. Ses films, comme ses clichés, portent une certaine candeur, un voyeurisme enfantin, qui nous replongent dans une sensualité post soixante-huitarde, où la femme et le sexe se suffisaient à eux-mêmes. C’était avant le culte de l’idéal, avant la maîtrise absolue. Une époque où on n’exigeait pas la perfection de la femme et où justement elle l’offrait.

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© Jonathan Leder

But before all that, the native from Manhattan studied at the Collegiate School before flying to Paris and Florence to improve his technique before coming back to Steven Klein’s studios. An almost perfect curriculum, very diversified .Nut Jonathan came back to basics : naked women. Maybe basic but here’s the thing, nobody captures female nudity like Jonathan Leder does. No make up, no photoshop. Jonathan likes feminine beauty and it’s easily visible in his works. The natural grace that emanates from his snapshots reminds men that love at first sight at the corner of a street at the beginning of the spring are possible. His subjects let themselves go but still trust the artist which gives an incredible sensuality to his photographs. His films, just like his photographs bear a certain candour, a childish voyeurism which brings us back to the post 1968 sensuality. Before the cult of the ideal, before absolute mastering, at a time when the perfection of a woman was not a standard.

retrouvez les PHOTOGRAPHIES D’EMMA SUMMERTON SUR Blended.fr

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FORCE DE RÉALITÉ

alex prager

She’s 32 years-old, she was born in L.A and she is super talented. Alex Prager is the next icon of the photography industry. This year she won the very prestigious Paul Huf Award at the FOAM in Amsterdam. Her work is marked by a very 50/60’s style slightly melancholic and by a will to propose fakely natural photos which look like they were taken spontaneously but which in fact necessitated a super rigorous mise-en-scene.

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Texte - Lorrain Turner

32 ans, née à Los Angeles et pétrie de talent. Alex Prager est la future star de la photographie. Une attente confirmée cette année, en remportant le très prestigieux Paul Huf Award du FOAM d’Amsterdam. Son travail est marqué par une esthétique très 50/60s, légèrement mélancolique et une volonté de proposer des photos faussement naturelles, qui semblent prises sur le fait mais qui ont nécessité une mise en scène ultra rigoureuse.


© Alex Prager

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lex Prager est reconnue pour ses photos que l’on croirait extraites d’un long métrage. Véritables scènes figées, on ne peut s’empêcher de créer une vie à ses personnages. Beaucoup de lumière, beaucoup de couleurs et une préférence pour la femme. Toujours sensuelle, sans être réellement dénudée. Une candeur flamboyante. En fait, une femme purement Hitchcockienne. Alex Prager, ellemême, aurait pu être une égérie du grand Alfred, avec sa beauté blonde à la féminité affirmée. Alex Prager est enfin passée à la réalisation cette année, sur un vrai court narratif. Un film qui répond aux nombreuses questions qui lui ont été adressées à la suite de sa série de 2008 The Big Valley. Naturellement, elle passe donc de photos qui racontent une histoire, à un film qui enchaine les plans, beaux comme des tableaux. Avec La Petite Mort (en français dans le texte), Alex Prager met en scène Judith Godrèche dans ce film questionnant notre condition et dont le titre, allégorie orgasmique, nous oriente sur une réflexion plus complexe et ambigüe qu’il n’y paraît. Alex Prager shoote comme on réalise et réalise comme on shoote. Un amalgame porté par une esthétique impeccable. La recette ne

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lex Prager is recognizable by her pictures which seem to come out of a long-film. Real fixed scenes. One cannot help imagining each character’s life. Prager uses a lot of light, colours and prefers to shoot women. Her women always are sensual without really being naked. A shining spontaneity. In fact her woman is the typical Hitchcockian woman. Alex Prager herself could have been the great Alfred’s muse as a blonde beauty. Alex Prager finally jumped to directing this year. Her film answers many questions which were addressed to her after the release of her 2008 series The Big Valley. She is able to jump naturally from snapshots which tell a story to a film following on shots, beautiful like paintings. In La Petite Mort, she directed Judith Godrèche and managed to question our condition as humans in a more equivocal and complex manner than expected. Alex Prager photographs like a director and directs like a photographer. And this confusion is maintained with an impeccable style.The recipe had to be a success.

retrouvez les PHOTOGRAPHIES d’ALEX PRAGER SUR Blended.fr

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L’AIR DE RIEN

Cliff

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Sans la musique, la vie serait une erreur » criait l’austère Friedrich Nietzsche derrière ses moustaches. Le contemporain des frères Lumière aurait pu ajouter que sans elle, un film serait une erreur. Mais à l’heure du cinéma muet, la précision était-elle nécessaire. La musique d’un film, c’est la magie. Sans elle, nous n’avons que la réalité. Que serait Apocalypse Now sans La Chevauchée des Walkyries ? 2001 l’Odyssée de l’Espace sans Strauss ? Sergio Leone sans Ennio Morricone ? Un réalisateur, aujourd’hui, est comme un chef d’orchestre. Certains ont montré des goûts tellement sûrs que leur OST sont aussi attendues que leurs films. Leone, Tarantino, Richie, Aronofsky. Dernier succès planétaire en date, Drive. Et c’est justement l’homme qui se cache derrière cette BO que nous voudrions vous présenter Cliff Martinez. En passe de devenir le Ennio Morricone du XXIème siècle (mais il devra composer un jour un chef-d’œuvre à la hauteur de The

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Without music, life would be a mistake » the austere Friedrich Nietzsche proclaimed behind his moustache. The contemporary of the Lumière brothers could have added that without it a film would be a mistake too.Well, maybe at the time of silent films this detail was unnecessary. The soundtrack is a key element to a movie : it’s magic.Without it it’s just reality. What would Apocalypse Now be like without its famous Ride of the Valkyries ? What about 2001 a space odyssey without Strauss ? what about Sergio Leone without Ennio Morricone ? Nowadays, a director is a conductor.Some of them have shown such taste that their OSTs are as awaited as the movies themselves. Just like Leone,Tarantino, Richie, Aronofsky. Drive is the last hit. And it is precisely the man hiding behind this soundtrack that we would like to introduce to you : Cliff Martinez, the man about to become the 21st century Ennio Morricone who will one day direct something coming up to The Mission.

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© Cliff Martinez

Martinez


Texte - Jean-Louis Chopin

Mission). Drive, donc, mais pas seulement. Cliff Martinez a signé toutes les musiques de Steven Soderbergh. Autant dire que vous avez forcément déjà entendu ses notes. Ajoutez à cela Pee Wee’s Playhouse, Narc ou encore une pige de trois ans à la batterie des Red Hot Chili Peppers et vous aurez une idée assez précise du talent du monsieur. Beaucoup de réalisateurs préfèrent payer des droits d’auteur pour réaliser une compilation de titres déjà existants autour de leur film. Mais Cliff Martinez est la preuve que les compositeurs sont encore là, bien décidés à ne pas céder leur place. Toujours prêts à prouver que les couples réalisateur/ compositeur, film/bande-son représentent la cohérence des émotions. Une symphonie à quatre mains. Ce qui différencie la prose de la poésie, c’est la musicalité des vers. Cliff Martinez permet aux films de passer de vie à poésie.

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Cliff Martinez is Drive, but not only. Steven Soderbergh also sollicitated him for all his soundtracks. Therefore you have to have heard his notes before. He also worked on soundtracks for Pee Wee’s Playhouse, Narc and was a drummer for the Red Hot Chilli Peppers for three years. Do you now get how talented he is ? Many directors would rather pay for copyright to make a best of around their movie with already existing tracks. But Cliff Martinez is the proof that composers still exist, well determined to hang in.Well determined to prove that the pairs director/ composer and film/soundtrack represent the coherence of emotions, a four-handed symphony. What differenciates prose from poetry is the musicality of the line. Cliff Martinez enables movies to jump from life to poetry.

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Š Chilly Gonzales

FOU DE MUSIQUE

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Textes - Simon Anthony

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ppelez-le Gonzales, Chily Gonzales ou encore, comme l’annonce sa carte d’identité, Jason Beck. Ce n’est pas que le musicien canadien de 40 ans est schizophrène (encore que), mais il possède autant d’appellations que de talent. A son actif, 9 albums d’électro-pop et un cabaret dada, où s’exprime tout son univers faussement naïf et tout en second degré. Reconnu par tous pour ses doigts d’or et son oreille hors du commun, Gonzales a également produit et arrangé les albums de Jane Birkin, Feist, Katerine, Christophe Willem, Housse de Racket, Arielle Dombasle, Abd al Malik, entre autres. Vous avez dit diversifié ? Mais comme l’artiste est passablement fou, il nous faut encore compléter son CV de quelques bizarreries. En 2009, il interprète les mains de Serge Gainsbourg dans le film de Joann Sfar. Malheureusement pour lui, il

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all him Gonzales, Chily Gonzales or even, as his I.D reads Jason Beck. He is not the 40 years-old schizophrenic musician from Canada, but he has got as many nicknames as talents. There are 9 electro-pop albums and one cabaret dada in which his whole universe, fakely naive, is revealed. Known for his gold fingers and his amazingly keen hearing, Gonzales also produced and arranged the albums of Jane Birkin, Feist, Katerine,Christophe Willem,Housse de Racket, Ariele Dombasle, Abd al Malik, among others. Did you say diversified ? But because the artist is passably crazy we have to add to his CV a few quirks. In 2009 he was Serge Gainsbourg’s hands in Joann Sfar’s movie. Unfortunately for him it only entailed piano scenes and not those starring Laeticia Casta. The same year, he breaks the record of the

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© Chilly Gonzales

s’agira des scènes de piano et non de celles partagées avec Laetitia Casta. La même année, il bat d’une heure le record du concert le plus long de l’histoire, jouant pendant 27 heures, 3 minutes et 44 secondes. En 2010, il participe à un battle au piano face à Jean-François Zygel, relevé de contraintes (jouer comme un enfant de 4 ans, n‘utiliser que les touches blanches…). Gonzales est un performeur, pliant la musique à sa folie créatrice. Pour notre plus grand bonheur, ce cerveau déjanté lance également des projets cinéma. Ivory Tower en 2010, dans lequel il joue également, est un bijou autour du monde des échecs, un combat entre beauté et efficacité. Un film défini comme « une comédie à la Will Ferrell à la sauce Wes Anderson ». Il crée aussi la web série Superproducer sur le monde de la musique. Totalement décalée aussi, vous l’aurez saisi. Gonzales est un Ovni, un talent nourri au punk et au classique. Une perle, un diamant. L’homme qui sait tout faire, mais avec humour. Un homme qui ne cherche jamais à taire sa folie. Et quand on sait que seule la folie mène au génie…


longest concert in history, playing for 27 hours 3 minutes and 44 seconds. In 2010 he took part in piano battle with Jean-François Zygel during which he took the challenge to play like a four years-old, only using the white keys. Gonzales is a performer, submitting music to his creative madness. To our great delight, his wild brain also prepares cinema pojects. Ivory Tower, which he directed in 2010 and in which he has a role himself, is a jewel dealing with the world of chess, a battle between beauty and efficiency. This film that could be defined as « a comedy in the style of Will Ferrell with a bit of Wes Anderson ».He also created the web series Superproducer revolving around the muci world. Totally quirky, of course. Gonzales is a UFO, a talent filled with music from punk to classical. A pearl, a diamond. He’s the man who can do anything, but always with humour.He’s also the man who never tries to control his madness. I told you. Only madness leads to genius…

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oiseau de nuit

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epuis des années, le photographe Keffer immortalise la nuit parisienne et ceux qui la font, célèbres ou inconnus. De Sébastien Tellier à Dita Von Teese en passant par Frédéric Beigbeder ou Terry Richardson. Une génération entière se dessine sous l’objectif de Keffer. Il donne à voir les coulisses d’un monde qui n’existe pas le jour, qui se tait, qui attend son heure. La nuit, ce moment magique où le temps qui passe ne laisse plus de trace. Keffer est le témoin des nuits parisiennes du XXIème siècle, mais ses clichés se font l’écho de tous les lieux et de toutes les époques. Avec en commun, la volonté d’oublier une identité diurne. Des clichés qui recouvrent des années et des années de soirées. Impossible pourtant

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de faire la différence, de dater ou de situer. Comme si chacune des nuits était un éternel recommencement. Une histoire en continu, aux acteurs interchangeables. Les clichés sont tous restreints aux intérieurs, coupés d’un environnement qui rappellerait trop la réalité. Keffer photographie ceux qui fuient la réalité ou plutôt qui la réécrivent. Et son travail est une ancre jetée vers on ne sait quel rivage. C’est à la fois voyeur et pudique, attirant et repoussant, glamour et vulgaire, transgressif et banal. Bref, paradoxal. Sans pour autant s’enlever le luxe d’être jubilatoire. Un condensé éthylique défrayant toutes les chroniques nocturnes. Grâce à Keffer, maintenant, on sait qu’on ne peut plus oublier nos nuits.

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night owl

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ince years, Keffer the photographer immortalizes the parisian nightlife and those who make it what it is, celebrities and anonymous.From Sebastien Tellier, Frédéric Beigbeder or Terry Richardson to Dita Von Teese. A whole generation is seen through the lens of Keffer. He presents the backstage of a world that does not exist in the daylight, that shuts itself. Night, this magical moment when time passing by leaving no trace anymore. Keffer is the witness of these 21st century parisian nights but his snapshots echo all places from all times with in common the will to forget a diurnal identity. Snapshots which cover years and years of nights out. And stilll, it is impossible to make

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a difference to date or locate. As if each of these nights was an eternal beginning. An endless story, with interchanging characters. All the snapshots are restricted to the inside, seprate from an environment that would remind of reality. Keffer shoots those who flee from reality or even reinvent it. And his job is an anchor thrown towards nobody really knows where. It’s both his voyeurism and his modesty, attractive and repulsive, glamourous and tacky, oversteping and normal. In a word, paradoxical. More than that, Keffer’s art is jubilatory. An ethylic mix which makes the headlines of the Parisian nightlife. Thanks to Keffer, we can’t really forget our nights.

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Š Keffer 204

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Š Keffer 206

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(n.f) Personne qui devient rapidement connue grâce à son talent talent.

REVELATIO N

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L’ICONOCLASTE

DAVID LEDOUX

Textes - Simon Anthony

« La photographie, c’est mieux qu’un dessin, mais il ne faut pas le dire ». Pendant des années, le secret de Jean-Auguste Ingres a été bien gardé chez Première Heure. Mais au vu des œuvres de David Ledoux, il est temps que le monde sache. David Ledoux manie son appareil photo comme un pinceau, comme une plume, ou quand l’instantané reflète l’éternel. Pour retracer son parcours, il faut commencer par dérouler une mappemonde et s’armer de punaises. « Photography is better than drawing, but keep it to yourself ». For years Jean-Auguste Ingres’s secret was kept by Première Heure. But considering David Ledoux’s works, it is now time to tell the world. David Ledoux handles his camera like a painting brush, like a feather. With him the instaneous reflects the eternal. In order to recconstitute his career, one needs worldmap and a box of pins.

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« Photography is better than drawing, but keep it to yourself ». For years Jean-Auguste Ingres’s secret was kept by Première Heure. But considering David Ledoux’s works, it is now time to tell the world. David Ledoux handles his camera like a painting brush, like a feather. With him the instaneous reflects the eternal. In order to recconstitute his career, one needs worldmap and a box of pins. The first pin could be put on the Haute-Savoie region where he was born.This is the place where his crazy hair grew and where his vision got more sophisticated behind a pair of huge glasses. But rapidly, his spirit felt empty and the young photographer was eager to use human material. In 1998, he puts his second pin on Australia where he did a master in Fine Arts. The big spaces, the melting-pot, the light, his meeting with the end of the earth was a shock. « this first trip made me » he confessed. After that, pins

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© Romain Levy

« La photographie, c’est mieux qu’un dessin, mais il ne faut pas le dire ». Pendant des années, le secret de Jean-Auguste Ingres a été bien gardé chez Première Heure. Mais au vu des œuvres de David Ledoux, il est temps que le monde sache. David Ledoux manie son appareil photo comme un pinceau, comme une plume, ou quand l’instantané reflète l’éternel. Pour retracer son parcours, il faut commencer par dérouler une mappemonde et s’armer de punaises. La première se plante en Haute-Savoie où il voit le jour. C’est là qu’il va laisser pousser sa crinière folle et aiguiser un regard qu’il masque derrière d’imposantes lunettes. Mais rapidement, son âme crie famine et le jeune photographe doit se nourrir de matériel humain au plus vite. En 1998, il plante sa deuxième punaise en Australie pour y passer son master de Fine Arts. Les grands espaces, le melting-pot, la lumière, la rencontre avec le bout du


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monde est un choc. « Ce premier voyage a fait ma lumière » avoue-t-il. Derrière, les punaises s’enchaînent. Afrique du Nord, Guyane, Bosnie, Caraïbes… puis une dernière en Europe. David Ledoux est venu, il a vu, il est repu. Son âme peut exposer sur pellicule son expérience de l’homme et de la lumière. Dire que le travail de David est hétéroclite serait encore loin de la réalité. Schizophrénique serait plus adapté. Au début, ses créations se tournent vers une presse spécialisée mode. Avec des visuels aboutis, où se notent son amour de la peinture et de la mise en scène. Homme de portrait, David a le don de laisser s’exprimer les personnalités, que ce soit pour le photogénique Joey Starr, la star du surf Jérémy Florès ou l’actrice Vahina Giocante. Visuellement, pas de réel lien entre ses trois séries, comme si le photographe s’effaçait pour laisser le sujet s’exprimer. « J’ai fini par m’ennuyer dans la mode, même si j’y ai aiguisé mon sens de l’esthétique. J’ai vite eu besoin de me tourner vers des effets, du fantastique ». David travaille également sur les enfants. Mêlant tous ses savoirs-faire. Parfois à la lumière naturelle, où la pellicule devient sourire du passé tendrement mélancolique. Parfois, dans un montage surnaturel où l’enfant devient l’objet de ses propres fantasmes. Travaillant la plupart du temps au flash, technique de mise en lumière, ou de « mise en réalité » comme il le dit

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were everywhere on his worldmap. North Africa,Guyana, Bosnia, The Carrabeian islands… and finally Europe. David Ledoux came, saw and is now full. Now his spirit can exhibit his film, his experience of man and light. Saying that David’s work is heterogeneous is not enough. Schizophrenic would be a better term. At first, his creations revolved around the fashion press. With a professional visual sense which reveals his love of painting and mise-en-scene. Portrait expert, David has a gift to let personalities express themselves, whether for the photogenic Joey Starr, the star surfer Jérémy Florès or for the actress Vahina Giocante. Visually it seems like the photographer steps aside to let his subject express itself. « I ended up being bored in the fashion world even though I sharpened my my aesthetic sense.I quickly needed to turn to special effects and fatasy. » David also works with children blending all his abilities. Sometimes he uses a natural light, with a film turning into a tenderly melancholic smile. Other times he uses a surnatural photomontage where the child becomes the object of his own fantasies.Working most times with a flash, as a « mise en lumière » technique is a way for him to « revisit painting which I quit ten years ago, because I did not think i was good ».

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lui-même. Une façon de « revisiter la peinture que j’ai quittée il y a dix ans, parce que je ne me trouvais pas bon ». Ses portraits d’anonymes sont magnifiques, renouvelant le genre et assumant le quotidien comme une toile de maître à saisir. Un caractère social, lorsque David capte le regard d’un SDF ou d’un travailleur pressé dans le métro. Un caractère presque sociologique dans son travail intitulé Fast, ceux qui mangent debout. Ajoutez à cela, une recherche expérimentale incessante et quelques pubs remarquées –Nike avec Mamadou Sakho et la voix de Oxmo Puccino – et vous comprendrez pourquoi David Ledoux est l’avenir de la réalisation visuelle. David est une éponge. Sa capacité à s’imprégner de n’importe quel monde (du foot pour Nike à la danse classique pour Repetto) sans jamais sortir d’une esthétique raffinée, ne donne qu’une envie : découvrir son propre monde. Heureusement, en 2008, avec son compère Artus de Lavilléon, le court-métrage Le Dernier Voyage de Maryse Lucas nous offre une plongée dans un monde fou, où les nomes sociales semblent disparaître au profit de la vérité des sentiments. Un road movie qui frôle le documentaire, où Artus et David jouent leur propre rôle, partis à vélo pour répandre les cendres de Maryse Lucas (la mère d’Artus) dans son village natal. Une création qui ne va pas sans rappeler les premières œuvres de Gustave Kervern et Benoît Delépine. David Ledoux est honnête et direct. L’œil candide, il ne cache rien de ses projets. En l’occurrence, deux livres. Un premier sur la jeunesse française, « la jeunesse qui zone ». Un projet qu’il a en commun avec un vieil ami, surtout « parce qu’il possède un van et que j’en ai besoin pour arpenter la France pendant quatre mois ». Un second, à l’opposé, sur cette vieille France aristo, parfois de gens qui « n’ont plus d’argent, mais qui tiennent les murs ».

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His portraits of anonymous are amazing, renewing the genre and embracing every day life like a master painting. His works have a social dimension too as David is able to capture the face of a homeless man or that of a man in a suit hurrying in the metro. He even turned into a sociologist in his work Fast, those who eat standing up. His experimental research is unceasing especially in a few noticeable commercials just like that of Nike with Mamadou Sakho and the voice of Oxmo Puccino. You go tit, David Ledoux is the future of visual realisation. David is a sponge. His ability to immerse himself into any world (that of football for Nike, that of ballet for Repetto) without ever giving up his sophisticated aesthetic sense, makes us want to discover his own world. Fortunately, in 2008 him and his partner Artus de Lavilléon, in the short film Le Dernier Voyage de Maryse Lucas offer us a

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dive into a crazy world where social norms seem to have disappeared to advantage the truth of feelings. This road movie brushes by the documentary, where Artus and David play their own roles, on their bikes gone to spread Artus’s mother’s ashes in his hometown. This creation reminds us of the first works of Gustave Kervern and Benoît Delépine. David Ledoux is honest and straightforward. His candid eye does not hide his plan to write two books. One about the French youth, « the youth which bums around ». This project, he has it in common with an old friend especially « because he owns a van and that I need one to stride along France for four months ». Another book will be on the contrary about the old aristrocratic France, with people who sometimes « have no more money, but hold on ».

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Pour en savoir plus sur l’artiste, voici son entretien Proustien : -Quel est ton principal trait de caractère ? Je suis un insensible motivé. -Quelle est la qualité que tu désires chez un homme ? Le goût. -Chez une femme ? Le goût. -Qu’est-ce que tu apprécies le plus chez tes amis ? Leur humour. -Quel est ton principal défaut ? La susceptibilité. -Quelle est ton occupation préférée ? Créer. -Quel est ton rêve de bonheur ? Créer et surfer. -Quel serait ton plus grand malheur ? Etre malade. -Ce que tu voudrais être ? Le même en mieux. -Dans quel pays désirerais-tu vivre ? En France. -Quelle est ta couleur préférée ? Le bleu. -Ta fleur préférée ? L’edelweiss. -Ton oiseau préféré ? La buse variable.

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-Quels sont tes auteurs favoris ? Russel Banks. Et les philosophes en général. Nietzsche, Platon… La philosophie a été une grande découverte pour moi. J’étais un cancre à l’école, et quand le prof de philo m’a fait quitter le rang du fond pour me mettre devant, ça été la révélation. C’est grâce à ça que j’ai eu mon bac, j’ai eu 17 en philo. -Quels sont tes héros de fiction favoris ? Kubrick. -Quels sont tes peintres favoris ? Van Gogh et tous les grands de manière générale. Les peintres conceptuels. -Quels sont tes héros de la vie réelle ? Peter Beard. Pour ses photos mais aussi pour son life style. -Ce que tu détestes par-dessus tout ? L’impatience. C’est ce que je déteste en moi. Je crois m’en être débarrassé et ça me fait le plus grand bien. -Quel don de la nature aimerais-tu posséder ? Pouvoir parler aux dauphins. -Comment aimerais-tu mourir ? Je ne mourrai pas, monsieur. -Quel est ton état d’esprit présent ? Relax. -Quelle est ta devise ? Ne te sabote pas toi-même.

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In order to get to know him better about the artist, here is his very Proustian interview : « What is your defining trait ? I am a motivated insensitive. What do you look for in a man ? Taste How about a woman ? Taste What do you like most about your friends ? Their sense of humour What is your main flaw ? I’m oversensitive. What is your favourite hobby ? Creation. What is your ideal of happiness ? Creation and surf. What would be the most painful thing to you ? Sickness. Who would you like to be ? A better version of myself. In what country would you want to live ? France. What’s your favourite colour ? Blue. Your favourite flower ? Edelweiss. Your favourite bird ? The chicken hawk.

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Who do you like to read most ? Russel Banks. And philosophers in general. Nietzsche, Plato… Philosophy was a great discover to me. I was a dunce at school and when my philosophy teacher made me leave the back of the class to come to the front, it became a revelation. I passed my baccalauréat thanks to philosophy. I got a first. Who are your favourite fictional characters ? Kubrick. Your favourite paintors ? Van Gogh all the great ones in general. Conceptual paintors. Who are your real life heroes ? Peter Beard. For his work but also for his lifestyle.. What do you hate beyond everything ? Impatience. It’s what I hated about myself. I think I got rid of it now and it feels great. Which gift of nature would you like to possess ? Being able to communicate with dolphins. How would you like to die ? I won’t sir. How do you feel at the moment ? Relaxed. What is your life motto ? Do not sabotage yourself. »

retrouvez les films et photos de david ledoux SUR Blended.fr

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RETOURNEMENT

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et été, il fait son premier pas dans le cinéma français. Un pas décidé qui ne laisse pas de doute sur ses prochaines foulées. Sa bande de potes, menée par le duo Cornillac-Payet, réunit plus d’un demi-million de spectateurs dans les salles. Au vrai, un chiffre quelque peu décevant pour un film aussi populaire. Mais l’essentiel est ailleurs. C’est confirmé, la nouvelle génération débarque avec ses punchlines, ses histoires à « hauteur d’hommes » et ses vannes sur les minorités religieuses, ethniques et sociales. Une rythmique forgée par 15 ans de travail d’auteur. Romain Levy est l’homme de l’ombre, l’homme des mots. Lui, qui pense que pour « être sur de ne pas se tromper, il faut dire la vérité. Parce que le rire n’est pas négociable, c’est binaire. Je ris ou je ne ris pas ». Aujourd’hui, il se documente pour son nouveau film qu’il garde secret tant qu’il ne maîtrise pas parfaitement le sujet, et découvre en parallèle l’univers de la réalisation publicitaire. Rencontre avec votre futur réalisateur préféré. Celui qui aime les mots et la vérité.

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e entered the French cinema world for the first time this summer. He seems very determined, and we are not worried about his future in this world. His group of friends, led by the pair Cornillac/Payet, gathers more than half a million spectators in concert halls. To be honest, this is quite a disappointing number for such a popular movie. But here is not the essential. This new generation is surely coming with its punchlines, its realistic stories an dits digs on religious ethnic and social minorities. Their rythm is the result of 15 years of writing. Romain Levy is the man hidden in the shadow, the man of words. He, the man who thinks that in order to be « sure not to make a mistake, one has to tell the truth. Because laughing is non negociable, it’s binary. I laugh or I don’t. » Today he is doing some research for his new film which he is keeping a secret as long as he doesn’t perfectly master his topic, and he is discovering at the same time the universe of commercial directing. We met your future favourite director for you. The one who likes words and truth.

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© Romain Levy

ROMAIN LEVY


Texte - Simon Anthony

-Pour toi, qu’est-ce qu’un auteur ?

« What is your definition of an author ?

C’est avant tout quelqu’un capable d’encaisser l’humiliation avec le sourire. C’est aussi un mec qui a galéré avec les femmes et qui prend sa revanche devant une page blanche.

It is above all someone who is able to take humiliation with a smile.It is also a guy who used to have issues with women and who can have his revenge and start over.

-Comment passe-t-on du mot à l’image ?

How can one jump from word to image ?

Par instinct. Comme certains savent bien s’habiller et d’autres non. J’y suis allé à tâtons mais avec détermination. J’ai un énorme besoin d’être compris..

Instinctively. Just like some people can dress and others cannot.I felt my way along but with determination. I really need to be understood.

-En quoi ton passé d’auteur t’a-t-il aidé ?

How did your experience as a writer help you ?

Par la frustration et l’aigreur. La plus grande violence quand tu écris, c’est de refiler tes mots à quelqu’un d’autre. Je ne veux pas plaire, je veux être compris. On fait des films pour être moins seul. Je n’aime pas les flous artistiques, je trouve ça impoli. Bien présenter ce qu’on ressent, avec précision et honnêteté, c’est poli. -Peux-tu imaginer réaliser un film que tu n’aurais pas écrit ? Pas vraiment. Même si ce n’était pour rien changer, j’aurai besoin d’intervenir. En fait, ce que je déteste le plus, c’est qu’on sente le papier. Les choses doivent sonner vraies. Je n’aime pas les mots d’auteurs, j’aime les punchlines.

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Frustration and bitterness. The createst violence when one writes is to pass their words to someone else. I’m not seeking to be appreciated, I want to be understood. One directs a movie in order to be less lonely.I do not like artistry, I fin dit impolite. Well presenting what one feels , precisely and honestly, that’s polite. Can you imagine directing a movie whom script you did not write ? Not really. Even if i twas all perfect, I’d need to add my touch. In fact, what I dislike the most is the lack of spontaneity. I don’t like art words, I like punchlines.

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-Y a-t-il un retour des storytellers en France selon toi ?

According to you are storytellers coming back in France ?

Je ne sais pas, mais on remet l’histoire au centre de tout. L’histoire, c’est tout. Si je te pitch Un Fauteuil pour deux, tu ris, parce que l’histoire est bonne. En France, on revient aux histoires, parce que l’autosatisfaction est morte. On manquait de curiosité.

I don’t know, but the story is at the center of everything. It’s all about the plot. In Un fauteuil pour deux the story is a good story. In France, we tend to come back to good stories because self satisfaction is dead. We lacked curiosity.

-Quel est le plus grand auteur selon toi ?

Who do you think is the greatest writer ?

Evidemment, j’ai été influencé par des gens comme James Ellroy, Philip K. Dick, Edward Bunker ou Tom Wolfe, mais j’ai cristallisé tout mon amour autour de Sergio Leone. Tout est beau chez lui. Les plans, la musique, les dialogues. Ce qu’il fait, c’est de l’opéra.

Obviously I was influenced by people like James Ellroy, Philip K.Dick, Edward Bunker or Tom Wolfe but I crystallized all my love around Sergio Leone. Everything about him is beautiful.The angles, the music, the dialogues. What he does is opera.

-Pourquoi cette obsession de la vanne ? De la punchline ? Je parle comme ça dans la vie, avec mes amis. Mais je crois que c’est une tradition française. Les joutes verbales de salon. Je refuse de faire un film où l’on rit au dépend des personnages. Je ne veux pas qu’on juge les personnages. On peut dans les drames, mais surtout pas dans les comédies. C’est pour ça que j’écris et filme à hauteur d’hommes. J’ai même réécrit des vannes. Sincèrement, elles étaient moins drôles après, moins percutantes, mais plus vraies. Et du coup,

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Why this obsession with digs ? with punchlines ? I talk like this to my friends. But I believe it is a French tradition. Sparring matches. I refuse to direct a movie in which one laughs at the expense of the characters.I don’t want people to judge my characters. It is possible in dramas, but surely not for comedies which is why I like to write and film « human ». I even modified some digs. Honestly they were less funny afterwards, less punchy, but more true. Is it hard to be a writer nowadays ? Are the financial pressure, and the politically correct

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elles amenaient plus de rires. Je crois que le vrai crée plus de rires que le drôle. -Est-ce difficile aujourd’hui d’être auteur ? La pression financière, le politiquement correct ? Moi, j’ai eu la chance d’avoir mon producteur. Alain Attal qui est un bulldozer qui déblaie tout et qu’on a plus qu’à suivre. C’est moi qui devais lui rappeler que le projet devait rapporter de l’argent. Il m’a assuré une liberté totale. Mais en général, je pense que c’est surtout de l’autocensure dont les auteurs souffrent. Quand tu démarres comme auteur, c’est un peu comme une rentrée en 6ème. Tu t’habilles différemment pour plaire. -Radiostars assure quelques blagues sur les juifs, ce qui est plutôt rare. C’est aussi une religion qui est très proche du mot et de la transmission d’histoires. Est-ce que tu te sens marqué par ta culture judaïque ? Les juifs sont tués, brûlés, assassinés ou expulsés à peu près tous les 50 ans depuis des millénaires, alors forcément, ils n’ont pas un très gros patrimoine immobilier à transmettre. Donc on transmet le mot. Et puisque l’histoire est plutôt triste, on y ajoute de l’humour.

obstacles to writing? I was lucky to have my own director. Alain Attal who is a bulldozer clears away everything, and I just had to follow him. I was the one who reminded him that the film had to be bankable. He gave me a total freedom. But generally speaking, I think it is above all self-censorship that writers suffer from. When one starts as an author, it’s like a first day in school : you dress differently in order to be appreciated. There are a few jokes about the Jew in Radiostars which is failry rare.It is also a religion which is very close to the words and to the passing on of stories. Do you feel marked by your jewish culture ? Jews have been killed, burnt, murdered or evicted about every 50 years for thousands of years so inevitably, we do not have a great real estate heritage to pass on. Therefore we pass on words. And because the story is often sad we add fun to it.

retrouvez les FILMS De romain lEvy SUR Blended.fr

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Ne pas prendre les gens pour des publicitaires

MANIFESTE.

mais ne pas oublier qu’ils le sont. Chacun aujourd’hui décrypte instinctivement les

techniques des professionnels. La transparence et le devoir de vérité

ne peuvent donc que devenir lois. A

l’heure

où les

marques deviennent médias,

plus question de contourner, de manipuler, de travestir, il faut savoir

raconter une histoire

avec lucidité,authenticité

et subtilité.

Pour ce faire, l’artiste doit être repositionné au centre de la création.

Si tel est déjà le cas pour les réalisateurs

S ans le mot, Le mot est la naissance de tout projet.

et les photographes qu’en est-il pour les auteurs ? point d’idée, point de concept, point

de

réalisation

possible .

Que l’outil soit un magazine, un film, un livre, une série, une pièce de théâtre ou une exposition. La froide

efficacité du concepteur-rédacteur doit donc s ’ enrichir et s ’ allier définitivement à

l’expertise des AUTEURS

ÉCRIVAINS,journalistes,scénaristes, blogueurs, chroniqueurs. Pour enfin basculer DE LA RÉALITÉ à la

vEritE augmentEe.

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