Blaulicht 1/6 2018

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[ français ]

En un quart de siècle seulement, notre vie a profondément changé : notre façon de communiquer, de penser et d'apprendre ; notre façon d'acheter, de dormir et de nous déplacer ; notre façon de nous disputer et de nous réconcilier, de planifier et de décider, de croire, d'aimer, de souffrir et d'espérer. Tout ceci est mesuré à la seconde et au centimètre près, puis stocké dans un nuage de données aux dimensions inconcevables. Mais la création d'un monde virtuel modifie non seulement notre vie, mais aussi notre cerveau. Cela vaut vraiment le coup de jeter un œil sur ces dimensions inimaginables avant de réfléchir aux effets de l'ère du numérique sur le travail de la police, des pompiers, des secours et surtout sur le domaine du soutien psychosocial d'urgence (SPSU). J'ai placé ce dernier service au centre de mes observations. D'une part, parce que je travaille et suis chargé de la formation dans l'intervention de crise. D'autre part, parce que nous sommes le plus durablement confrontés à des personnes dans des situations exceptionnelles qui utilisent ces nouveaux médias et augmentent ainsi involontairement leur niveau de stress.

Il est impossible d'arrêter cette évolution. Cependant, je suis décidé à ce qu'on ne se laisse pas écraser, mais qu'on intervienne de manière constructive. Pour cela, il est important d'avoir une compréhension plus approfondie de ce que les nouveaux médias font de nous, plus exactement ce qu'ils font dans et avec nos têtes. Je ne suis pas un expert en informatique, mais je perçois les interventions et j'établis un lien entre ce que j'ai vécu et mes connaissances spécialisées. Je ne peux pas donner de réponses complètes. La matière est bien trop complexe. Mais une réflexion approfondie libère la tête pour de nouvelles idées.

Nous naviguons dans l'espace numérique avec nos cerveaux de l'Âge de pierre En mars de cette année, Karl-Markus Gauss écrit un article dans la « Süddeutsche Zeitung » à propos d'un congrès sur le thème des « Nouveaux médias contre le journalisme (à l'ancienne) ». Une intervenante, qui a traité la communication par les nouveaux médias après un séisme dans une région reculée de l'Amérique du Sud, s'est exclamée triomphante à la fin de sa présentation : « En l'espace de deux minutes après le début du séisme, nous avions les images sur la toile. Nous avons été plus rapides que la catastrophe ! »

Intervenir de manière constructive ! Il est indéniable que les services d'intervention utilisent à bon escient les avantages de l'information et de la communication rapides, de la surveillance améliorée, des possibilités d'investigation élargies et de la médecine d'urgence moderne. Mais en parallèle,

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« Par 'nous' », poursuit Gauss, « elle voulait dire tout ce qui représentait le progrès : la technique innovante, les nouveaux médias, la grande communauté de ceux qui participent à la chronique permanente du présent à travers des brèves sur Facebook ou Twitter, des vidéos tremblantes et des selfies des quatre coins du monde. » Bien sûr, cette formulation était volontairement succincte et a chamboulé la chronologie correcte de par son intonation. L'information vient après. Il y a bien sûr d'abord eu le séisme, les informations se sont répandues à travers le monde deux minutes plus tard. C'est une petite inexactitude, mais elle est significative. La communication en temps réel possible aujourd'hui est une bonne chose. Le revers de la médaille est que nous avons fait du téléphone portable une prothèse cérébrale que nous portons dès l'enfance. Pourquoi ? Et quelles sont les conséquences pour nous ? Afin de trouver une réponse possible, nous devons encore retourner brièvement à l'évolution de l'humanité. La structure de base de notre cerveau provient de l'Âge de pierre. Nous nous en souvenons, la vie est apparue il y a 3,8 millions d'années sur notre planète. Le début de l'Âge de pierre est estimé à 2,3 millions d'années. D'accord, les structures des réseaux de neurones ont changé depuis, mais le fonctionnement de base du tronc cérébral est le même. C'est fou, nous portons des reliques d'il y a 2,3 millions d'années dans notre tête. Cela signifie que notre centrale de défense contre les dangers dans le tronc

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L'ère du numérique se trouve à la fin provisoire de cette évolution, c'est-àdire aujourd'hui. Cependant, certaines voix qu'il faut prendre au sérieux disent que la numérisation n'est pas le plus grand bouleversement de tous les temps, mais qu'elle n'est que le début. Le rythme auquel l'humanité fait des poussées de développement se réduit de façon exponentielle, sa vitesse devient de plus en plus vertigineuse. Autrement dit : le temps et l'espace se densifient, nous pauvres créatures sommes tout simplement écrasées par les développements.

nous nous sentons dépassés par les phénomènes qui rendent notre travail plus difficile en raison de l'utilisation extensive des nouveaux médias.

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La numérisation n'est-elle que le début ?


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