Temoignage prix du livre inter 2014

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30 avril 2014 (préface) : Une fidèle lectrice nous sollicite pour partager avec vous (lectrices-lecteurs de Riom Communauté) son expérience de jurée d’un prix littéraire. Sans hésitation et avec enthousiasme, nous acceptons aussitôt. Enfin presque : le mail se perd, la réponse tarde, les plannings sont chargés mais nous parvenons enfin à rencontrer cette personne. Elle nous propose de nous livrer son témoignage par écrit (voir ci-dessous). Pour recueillir d’autres informations, et sur un mode plus spontané, nous lui proposons de l’interviewer. Avec brio, elle se prête à l’exercice. Nous mettrons en ligne cette interview dans les prochains jours. Nous tenons sincèrement à la remercier pour cette initiative, pour son temps et la qualité de son témoignage. En espérant que ce texte captera toute votre attention comme cela a été le cas pour nous et qu’il suscitera, pourquoi pas ?, des vocations pour devenir à votre tour, juré d’un grand prix littéraire. L’équipe de la bibliothèque de Riom Communauté

Retour d'expérience d'une jurée riomoise du prix du livre Inter 2014 Ayant emprunté à la bibliothèque de Riom –sans doute la meilleure bibliothèque du monde-, depuis ma tendre enfance, la majeure partie des livres que j'ai lus et dont j'ai parlé dans ma lettre de candidature, j'ai proposé de transmettre aux autres lecteurs mes impressions sur ma participation au 40ème “prix du livre Inter” de la station de radio France Inter. Je vais donc essayer de vous faire partager cette belle expérience littéraire et radiophonique tout en conservant religieusement le secret du délibéré, afin, peut-être, d'encourager quelques vocations ! Je me suis en effet rendu compte, au fur et à mesure que je parlais de cette aventure, que beaucoup de personnes me disaient ne pas « oser » ou bien avoir « tenté une fois » de candidater, et je voudrais leur dire, à travers ce modeste écrit, qu'il faut qu'ils se lancent, ou se lancent à nouveau. Ce billet ne concerne évidemment que mon seul ressenti, et n’engage aucunement les autres jurés. S’il faut une rapide description de votre serviteur, je suis une future ex-riomoise de 25 ans, lectrice de la bibliothèque municipale depuis mes 5 ans. J’ai donc connu les divers motifs des totebags1 de la bibliothèque et possède encore quelques modèles qui devraient s’arracher au salon du vintage. Les livres que j’y emprunte me suivent dans mes nombreux déménagements pour études ou stages, et ont notamment séjourné à Bordeaux et Dunkerque. Propos introductifs sur le Prix Ce prix littéraire a été créé en 1975 par Paul-Louis MIGNON. Il se distingue des autres récompenses en ce qu'il est décerné par un jury de 24 auditeurs de la station, 12 femmes et 12 hommes, sous l'égide d'un président-écrivain. Les jurés sont sélectionnés sur lettre de motivation par Eva Bettan, journaliste et critique littérature et cinéma à France Inter, assistée d'une équipe de journalistes de la station. On ne peut être juré qu'une seule fois. Voici quelques présidents du jury : Emmanuel Carrère, Amélie Nothomb, Jean Echenoz, Daniel Penac, JMG Le Clézio, Marie Darrieusseq... et quelques ouvrages ayant reçu le prix : Des demeures et des gens de Catherine Etchéa (1975), le Troisième Mensonge d'Agota Kristof (1992), 1

sacs en coton avec une poignée de chaque côté

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En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Khourouma (1999), La maladie de Sachs de Martin Winckler (1998), Que font les rennes après Noël ? D'Olivia Rosenthal (2011), Sombre dimanche d'Alice Zenitzer (2013) et enfin Faillir être flingué de Céline Minard, prix du livre inter 2014 sous la présidence d'Alain Mabanckou. Le lauréat du prix ne reçoit pas d'argent. Le simple fait de recevoir cette récompense lui assure une forme de nouvelle vie dans les bacs, et les ventes sont multipliées. Les membres du jury élisent leur lauréat parmi 10 auteurs ayant publié depuis la rentrée littéraire précédente. En 2014, nous avions donc à lire des livres parus depuis août-septembre 2013. Les ouvrages doivent avoir été publiés en langue française, sans être passés par le filtre de la traduction. Ils ne doivent avoir reçu aucun « prix majeur » (Renaudot, Goncourt, Femina...). La sélection est établie par Eva Bettan2 et son équipe. Elle interroge un certain nombre de médias (presse papier, radio, télévision, blogs...) et demande aux journalistes d'indiquer leurs livres préférés rentrant dans les critères que je viens de mentionner. Sont ensuite choisis les dix ouvrages ayant reçu le plus de suffrages.

Pour l'édition 2014, les ouvrages et auteurs sélectionnés étaient, par ordre alphabétique : Comment j'ai mangé mon estomac de Jacques A. Bertrand Dernières nouvelles du martin pêcheur de Bernard Chambaz Faber le destructeur de Tristan Garcia La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon En finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis Faillir être flingué de Céline Minard La fille de mon meilleur ami de Yves Ravey L'échange des princesses de Chantal Thomas Nue de Jean-Philippe Toussaint L'invention de nos vies de Karine Tuil Février 2014 : la candidature Début février, chaque année, est annoncé le nom du président du jury. Pour l'édition 2014 il s'agissait d'Alain Mabanckou, écrivain franco-congolais né en 1966. Il est notamment l'auteur de Verre cassé (2005), Mémoires du Porc-Epic, qui a obtenu le prix Renaudot en 2006, Black Bazar en 2009, Demain j'aurai vingt ans en 2010. Il a également écrit de la poésie, des essais et des romans jeunesse. Son dernier ouvrage est paru en 2013, il s'agit de Lumières de Pointe Noire. En 2012 l'Académie française lui a décerné le Grand Prix de littérature Henri Gal (prix de l'Institut de France doté d'un montant de 40.000 euros et qui couronne l'ensemble de l’œuvre d'un écrivain). (Source : site officiel) Je dois avouer que je n'avais jamais lu cet auteur, et que j'étais même incapable de citer le moindre de ses livres, ce qui m'a un peu gênée au moment d'écrire ma lettre de candidature. Je pensais un peu scolairement qu'il fallait quand même connaître l’œuvre du président du jury... Mais après avoir passé deux jours en sa compagnie, j'ai réellement envie de le lire !

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Journaliste à France inter, critique littéraire et cinéma

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Pour en revenir aux candidatures, suite à l'annonce du nom du président, Eva Bettan et son équipe donnent le top départ et précisent la date butoir jusqu'à laquelle nous pouvons envoyer nos lettres. De mémoire il s'agissait de début mars. Il n'y a pas d'autre indication concernant ce que l'on doit écrire dans notre lettre qu'une exhortation générale à parler de soi et des livres que l'on aime. Vaste question... mais qui permet, quand on a un rapport fort aux livres, de pouvoir se décrire à travers le prisme de la lecture. J'ai donc fait le choix de raconter, depuis mes premiers souvenirs, ma relation à la lecture (j'emploie le terme à dessein, plutôt que le vocable « littérature » qui est souvent source de prises de becs enflammées lorsque se pose la question de savoir si tel ou tel livre peut être considéré comme « de la littérature »...). Pour moi, tout se résumait en fait à la question : « pourquoi je choisis de lire tel livre ? ». Cette question pouvait se subdiviser en d'autres : « Pourquoi je choisis de lire ce livre plutôt qu'un autre ? » ; « Pourquoi je prends ce livre à la bibliothèque, ou pourquoi je l'achète ? » ; « Pourquoi j'attends qu'il soit en poche ou pourquoi je le précommande dès avant sa parution ? ». Après en avoir parlé avec d'autres jurés, j’ai découvert que chacun avait mis ce qu'il souhaitait dans la lettre. Le fait de ne pas trop savoir justement ce qu'il fallait y mettre a permis une grande liberté et visiblement des lettres très différentes. Certains ont écrit à la main, d'autres ont tapé. Certains ont fait des brouillons, d'autres un seul jet qu'ils ont posté de suite. Certains souhaitaient que leurs lettres soient rendues publiques, d'autres considéraient que cela était trop intime. Nous nous sommes quand même reconnus sur une question qui nous a bien trotté dans la tête lors de la rédaction : « Quels livres je cite ? Qu'est-ce que cela dit de moi lorsque j'écris que j'aime ce livre ou cet auteur ? ». Eva Bettan et son équipe ont reçu cette année un peu plus de 2500 lettres je crois. La France est découpée en grandes régions (qui concordent peut-être avec le futur découpage, je ne sais plus...) et il y a un ou deux « lecteurs de lettre », salariés de Radio France (des voix actuelles ou passées de France Inter) par grande région. Chacun d'eux présélectionne quelques lettres, et ils se réunissent tous, les lisent à haute voix et une deuxième sélection s'effectue pour désigner les 24 jurés ainsi que quelques jurés suppléants qui pallieront l'éventuelle défaillance de jurés titulaires, un peu comme lors d'un procès d'Assises. Me concernant, l'idée me trottait dans la tête depuis quelques temps. J'écoute France Inter depuis très longtemps, mes parents étant branchés sur cette station depuis, je pense, avant ma naissance, et je crois l'écouter moi « volontairement » et attentivement depuis mes 16 ans, tous les jours dès que je me lève/entre dans mon bureau/retourne chez moi. Cela fait donc des années que j'entends les annonces concernant le Prix. Je me suis dit que ce serait la seule année où je pourrais être relativement disponible pour lire. J'ai profité de quelques temps morts lors de révisions pour taper un brouillon de lettre sur l'ordinateur, que j'ai dû retoucher une fois, puis l'ai recopié et envoyé la veille de la deadline, sans en parler autour de moi. 27 mars 2014 : l'annonce du jury Cette dernière a été faite dans l’émission « Comme on nous parle » de Pascale Clarck, entre 9h et 10h. C’est plutôt en fin de séquence, et l’on attend fébrilement un bon moment que les premiers sujets soient passés. Les noms des jurés sont annoncés à l’antenne avec leur âge, leur profession et la commune depuis laquelle ils ont postulé. Un des jurés est appelé en direct pour qu’il explique quels sentiments lui inspire le fait d’avoir été sélectionné. Pour l’anecdote, j’étais en train de me laver les cheveux et avais interrompu mon action pour écouter la radio, les cheveux plein de shampoing me dégoulinant dans les yeux, et je craignais fortement d’être appelée et de devoir répondre avec les yeux en feu… 3


Suite à l’annonce du jury, Eva Bettan révèle la sélection des 10 ouvrages qui concourent pour le Prix. C’est réellement à ce moment que j’ai pour ma part pris conscience de ce qui m’attendait. Etant dans la cambrousse corse en vacances cette semaine-là, je ne pouvais pas aisément me connecter à internet et je me rappelle avoir noté à la va-vite sur un bout de billet sncf la liste des 10 livres. J’avoue avoir éprouvé une certaine joie en constatant que j’avais déjà lu 5 des 10 ouvrages sélectionnés, étant donné que nous avions jusqu’au 1er juin pour les lire attentivement et qu’il fallait déjà que nous recevions les livres, ce qui laissait au final environ 1 mois et demi. Mais je me suis vite rendue compte que cette première lecture que j’avais pu faire – en prenant notamment La petite communiste qui ne souriait jamais et Faber le destructeur à la bibliothèque de Riom – n’avait pas été faite dans des conditions adéquates, à savoir que je n’avais pas lu ces livres en pensant que j’aurais à argumenter devant 24 autres personnes. Je pensais donc avoir à les relire. Le fait d’entendre son nom est évidemment une grande joie. En en parlant avec les jurés, nous nous sommes tous dits que nous n’y avions jamais cru avant l’annonce de nos noms. Après le plaisir vient très rapidement une bouffée de stress : et si je n’avais pas le temps de lire tous ces ouvrages ? Et si je n’arrivais pas à argumenter ? Et si je n’osais pas prendre la parole ? Avril 2014 : la préparation Le jour même, j’ai reçu un appel de France Inter me confirmant que j’avais été sélectionnée, et me demandant si j’étais toujours partante. Il faut savoir que les délibérations ont lieu un dimanche, et que l’annonce du prix se fait un lundi. Le lundi, les jurés assistent à certaines émissions de la station en compagnie du lauréat. Il convient donc de pouvoir se libérer a minima pour un lundi, voire un mardi si vous êtes auvergnat et que le dernier train depuis Paris-Bercy est à 19h. S’en sont suivis de nombreux échanges avec une équipe très réactive afin d’envoyer les livres. Je crois avoir reçu les premiers aux alentours du 6 avril, et les suivants une semaine plus tard. Je pensais que nous allions recevoir un « mode opératoire » concernant la préparation, un peu comme en commentaire composé, mais cette réflexion était finalement assez scolaire… Et au final chaque juré a eu sa propre méthode, celle qui lui a permis de se forger un avis sur chacun des livres. Le jour des délibérations, certains avaient un carnet où ils avaient pris des notes sur chaque ouvrage, voire recopié des citations ; d’autres avaient ramené leurs exemplaires avec de nombreux post-its ; un autre groupe n’avait pas pris de notes concernant les romans qui avaient été appréciés… De toute façon, la discussion avec 24 personnes sur un roman amène souvent à évoluer dans ses propres positions. Pas forcément à changer radicalement d’avis, mais nous avons souvent pu nous dire « ah oui, je ne l’avais pas lu comme cela, maintenant que tu le dis… ». Pour en revenir à la préparation, il m’a semblé important de ne pas lire les livres du Prix comme je le faisais habituellement. Ayant à motiver mes impressions, je me suis interdite de « lire en diagonale » quand un livre ne me plaisait pas, ou bien de lire plusieurs romans en même temps… S’il m’arrive de faire traîner de gros romans quelque temps du fait d’importants horaires de travail, je me suis astreinte à les lire sur des plages de temps resserrées, afin d’être vraiment immergée dedans et de pouvoir en « extraire la substantifique moelle », pour reprendre une expression de juré. J’ai notamment pu profiter de trajets en train ou en bus, voire à l’arrière du véhicule paternel lors de mon déménagement, pour me consacrer pleinement à l’analyse du texte. Sur ce point justement, chacun sa méthode également. La question à se poser était : aime-ton ou non ce roman, et pourquoi ? Ma crainte était de faire des analyses trop scolaires, basées sur la stylistique comme j’avais pu le faire durant mes études littéraires. Là encore, les avis étaient 4


partagés. Attend-on une « belle histoire » ? Un « style » ? Un livre qui « pose des questions » ? Un roman « engagé » ? Un livre qu’on relira ? C’est de la mise en commun de toutes ces réflexions que doit sortir une décision de vote pour tel ou tel roman. Je n’ai pas relu tous les livres que j’avais déjà lus avant de savoir que je serai jurée. En effet, j’avais trop en tête les critiques du « Masque et la plume »3 les concernant, et je craignais de trop les avoir en tête à la relecture et de les faire miennes alors que ce n’était pas ce que j’avais ressenti à la première lecture. Toujours à ce sujet, France Inter a diffusé dix jours avant les délibérations, chaque matin, l’interview d’un des auteurs sélectionnés. Je n’ai pas souhaité les écouter à ce moment-là car pour moi les auteurs avaient produit leur livre et les entendre m’expliquer ensuite tel ou tel point aurait pu m’influencer, ou à tout le moins me faire considérer différemment l’ouvrage mais sans que ce ressenti soit issu de mon expérience de lectrice. C’est un point de vue personnel que j’adopte également pour le cinéma, considérant que si je comprends autre chose au film lorsque c’est le réalisateur qui l’explique, il serait dommage que je me base là-dessus plutôt que sur mon impression à la sortie de la salle pour émettre un jugement, voir notamment les multiples théories sur le sens de Mulholland Drive. 31 mai 2014 : le jour J Plus le jour des délibérations approche, moins je me sens sûre de mes choix ou de ma préparation. Et si je n’avais pas pris suffisamment de notes ? Et si je m’étais complètement trompée sur le sens d’une intrigue ? Et si … Je révise rapidement mes arguments pour et contre chaque livre dans le train, et me dirige vers la maison de la Radio (après avoir pris 750 ml de café chez Starbucks pour la première fois de ma vie). Nous commençons par une prise de contact entre jurés, président du jury et membres de l’équipe de la station s’occupant du livre. Quelques mots d’angoisse s’échangent : « et si j’étais la seule à aimer ce livre ? ». Puis viennent les délibérations proprement dites. Chacun est invité à se présenter et à expliquer rapidement quels livres il a particulièrement aimés, et ceux avec lesquels il a plutôt eu du mal. Très vite se dessinent de la sorte des grandes tendances. Cependant, le président nous rappelle à plusieurs reprises que chaque livre doit être traité de manière équivalente, car ce qu’un auteur a mis plusieurs années de sa vie à écrire ne doit pas être balayé d’un revers de la main. Chaque ouvrage est annoncé par le président, et nous devons désigner en notre sein quelques personnes pour le défendre, et quelques autres pour en pointer les travers. Je ne sais si c’est la pratique de tous les présidents du jury, mais sous la houlette d’Alain Mabanckou chacun a eu tout le loisir de s’exprimer, ce dernier tentant même de donner la parole à ceux qui ne la prenaient pas spontanément. En effet, la délibération à 25 personnes issues d’horizons différents n’est pas chose aisée. Du fait des caractères, des situations professionnelles, certains ont plus de facilités à s’exprimer tandis que d’autres sont plus réservés, alors même qu’ils ont un avis tout aussi argumenté et pertinent. S’il m’est interdit d’aborder le fond des délibérés et les positionnements de chacun, je peux tout de même indiquer que les débats ont été très riches et nourris cinq heures durant. Si nous n’étions évidemment pas là pour prétendre jouer les critiques littéraires, j’ai trouvé que les échanges étaient vraiment profonds, et les analyses pointues. Les jurés avaient pris à cœur leur rôle et leur mission, et les argumentations étaient préparées et fouillées. Sur la forme, certains étaient partisans d’avoir des échanges plus tranchés, voire « sanglants », tandis que d’autres préféraient une conversation posée, en sachant que nous allions passer deux jours ensemble et qu’il pouvait 3

Le Masque et la plume est une émission culturelle diffusée sur France inter le dimanche soir à 20h, animée par Jérôme Garcin. Une tribune de critiques passe en revue les derniers films, livres ou pièces de théâtre.

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apparaître préférable de ne rien dire d’irréparable dans un moment d’emportement dès la première demi-journée… Sur le fond, la question s’est à un moment posée de savoir « ce que » nous voulions primer. Simplement le livre que nous avions préféré ou un ouvrage qui enverrait un message aux auditeurs d’Inter et à tous les potentiels lecteurs ? Ou les deux à la fois ? La conversation purement critique sur les ouvrages se doublait donc d’une réflexion sur le statut du livre auquel nous allions décerner le prix. Le vote s’est déroulé à un moment idoine, celui où nous avons ressenti que nous avions épuisé nos argumentaires et que nous nous répéterions à prolonger les débats. Nous avons donc élu Faillir être flingué, de Céline Minard, aux éditions Rivages. Nous avons ensuite été dîner ensemble et continué à faire connaissance entre jurés et membres de la station. Les débats se sont poursuivis autour du plat, et nous avons attendu l’arrivée de la lauréate et de son éditrice. 1er juin 2014 : le jour J+1, la journée à France Inter Réveil matinal pour une journée qui a commencé avec un bon litre de café par personne à disposition dans nos hôtels. Après les deux crises de tachycardie qui ont suivi, direction la matinale de Patrick Cohen4 pour l’annonce officielle, dans le journal de 8h, du nom de la lauréate. Daniel Pennac, ancien président et ancien lauréat, nous a rejoints. Quelques jurés ayant ardemment défendu Faillir être flingué la veille sont invités en studio à exprimer leur point de vue à l’antenne, tandis que le reste du groupe assiste à l’émission depuis la régie voisine, où se tiennent des paris sur le nombre de secondes de retard avec lequel Patrick Cohen rendra l’antenne à 9h. Nous assistons également à l’émission « On va tous y passer »5 d’André Manoukian et de ses nombreux chroniqueurs. Certains d’entre eux étaient présents la veille, pour observer le déroulement des délibérations et en faire le matériel de leur chronique. L’émission est (était) en effet entièrement consacrée au 40ème prix du livre inter. Sont invités Catherine Clément et Charles Dantzig, en plus d’Alain Mabanckou et Céline Minard. L’émission étant publique, c’est un moment à ne pas manquer si on a la possibilité d’être à Paris un midi. La configuration de la salle permet une très bonne vision sur le plateau des chroniqueurs ainsi que sur la scène où joue le groupe invité. Le repas qui suit se déroule dans une ambiance différente de celle de la veille, où l’heure n’est plus à « refaire le match ». Nous avons ainsi pu parler des livres que nous lisions et de nos goûts culturels en général. Nous nous sommes rapidement rendus compte que nous avions des appétences communes pour certains auteurs. Je pense qu’il y a une forme de logique : à écouter la même station, qui promeut un grand nombre d’écrivains, et d’artistes en général, il est par suite normal que nous ayons beaucoup de goûts en commun. Sont par exemple souvent revenus Emmanuel Carrère, Philip Roth, ou encore, dans un genre totalement différent, David Lodge. Lors de ce déjeuner étaient présentes les personnes qui avaient lu et sélectionné nos lettres, ce qui nous a permis de leur demander ce qui avait pu les intéresser dans nos candidatures. Après un quartier libre diversement occupé, nous sommes conviés, avec notre président et notre lauréate, à l’émission « Jour de Fred »6 de Frédéric Mitterrand. Ce dernier nous a permis de nous glisser dans son studio, et nous pouvons ainsi vivre l’émission au plus près. Contrairement aux autres séquences où était conviée Céline Minard, c’est réellement lors de ce moment qu’elle a pu 4

Journaliste de France inter qui anime une émission quotidienne : le 7/9 (de 7h à 9h) Emission quotidienne de France Inter qui décrypte l’actualité avec humour (de 11h à 12h30) 6 Entretien avec une personnalité qui fait l’actualité politique ou culturelle, émission animée par Frédéric Mitterand (du lundi au jeudi à 18h20 sur France Inter) 5

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s’exprimer sur le fond du livre. En effet, depuis que nous l’avions élue la veille, nous avions hâte de l’entendre parler de son ouvrage, que nous avions bien disséqué entre nous. Or, le format des autres émissions auxquelles nous avions pu assister jusque lors ne lui permettait pas d’approfondir, tandis que le concept de « jour de Fred » donne la parole à l’invité sur son œuvre pendant quasiment une heure. Nous terminons enfin ces deux jours par un cocktail au sommet de la maison de la radio, pour fêter la remise officielle du prix à la lauréate. D’autres auteurs, des éditeurs ainsi que des journalistes de la station sont présents. Ce fut surtout l’occasion pour nous de pouvoir bien parler avec Céline Minard et avoir l’opportunité de lui poser des questions sur son œuvre de façon générale, ou bien concernant son rapport à la littérature. Nous avons la surprise de constater lors d’un discours que nous sommes en tant que jurés remerciés d’avoir fait l’effort de délibérer et d’élire un lauréat, mais aussi celui d’être venus à Paris… Il est vrai que parfois nous sentions un léger décalage entre nos vies « provinciales » de lecteurs que l’on a pu qualifier d’ « ordinaires » (sic), et le quotidien des gens de radio. Ce qui nous apparaissait à nous, fans de France Inter depuis des années, comme quelque chose d’extraordinaire n’est finalement que leur travail ordinaire. Nous finissons la journée entre nous et nous nous séparons pour retourner vers nos contrées, des images de Tour Eiffel plein les yeux et surtout des conseils de lecture plein la tête. En ce qui me concerne, je recommande vigoureusement cette expérience. J’y ai rencontré des gens très sympathiques et avec qui je partageais grand nombre de goûts culturels, j’ai pu parler avec des auteurs et chroniqueurs que j’admire… On ne peut être juré qu’une fois « dans sa vie », mais c’est une fois à ne pas manquer si on aime les livres et la station. Comme le disait le directeur de mon école : « 100% des lauréats ont tenté leur chance ». Si je n’avais qu’un conseil à donner, ce serait de se lancer, sans réfléchir.

(vue depuis le 22ème étage de la maison de la radio, où ont eu lieu les délibérations)

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