Voler en éclats

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Alban Bourdy

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© Alban Bourdy, Voler en éclats, 2014.


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Aux conducteurs de scooters et à tous les jardins d’Alexandre



Prologue

Le sol se dérobe sous les pieds d’Alban. Ses poumons sont à l’asphyxie. Il vient de réaliser que l’impensable s’était bel et bien produit. Il était trahi de la plus abjecte des manières par les deux personnes au monde en lesquelles il avait placé le plus de confiance. Sa bouche était amère, sans salive. Son cœur est aux abois, figé dans une arythmie, ne sachant plus s’il devait battre à tout rompre ou s’arrêter. Son esprit est en mode « plantage ». Et pourtant, il avait bien vu venir quelque chose se dessiner dans ce sens-là. Mais jamais, ô grand jamais, il n’aurait pu penser que cela se concrétiserait véritablement sous cette forme. Et puis, l’apprendre comme ça, indirectement, avoir dû le deviner… sans que l’un et l’autre n’aient le courage de lui dire en face… Ah ! Cette alliance dégueulasse, contre nature, bêeheuûrrk ! Comment pouvait se concevoir un tel traitement si cruellement injuste pour lui qui avait consenti à tous les sacrifices et avait fait preuve d’une indéfectible et irrationnelle loyauté ? Comment peut-on conscientiser un tel abus, un tel déni d’existence ? La colère sourde, qui le gagne au-delà de son corps et son esprit presque anéantis, est un monstre tentaculaire ne sachant pas

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vers quelle cible se diriger : lui-même, elle, lui, Dieu (s’il existait…), la Vie (entité désignant la même chose que la précédente), Konstantin Rudnev, Éric Baret ou Avtandil Lomsadze (qui avaient peut-être décidé de cela) … ? Cet état dans lequel il se trouve se prolongea un moment qui sembla demeurer une éternité avant que l’ensemble de l’être que constitue Alban ne s’écroule de fatigue, ravagé par la multitude des questions sans réponses et par les ingérables hyper-signaux reçus et émis dans tous les sens. Son nez est tombé sur son clavier, écrivant une infinie suite de caractères incohérents sur son statut Facebook. Alban gît là inconscient, ses muscles se relâchent petit à petit lui créant des spasmes, de grosses larmes s’écoulent de ses yeux clos. Sa respiration est presque imperceptible.


I. L a genèse orientale

Comme chaque particule de matière a son pendant d’antimatière, la genèse de cette histoire trouve sa source d’une part en Occident dans l’hémisphère Sud et de l’autre en Orient dans l’hémisphère Nord. Il est fort curieux de constater qu’effectivement, une fois n’est pas coutume, l’Occident a devancé l’Orient. Car nous sommes le 4 août 1967 à Novossibirsk. Journée douce d’été, dans un pays beaucoup plus habitué aux grands frimas, qui voit naître au milieu de l’U.R.S.S. de Leonid Brejnev un 3.438.495.222e représentant de la race humaine, un garçon nommé Konstantin Rudnev. L’accouchement de celui-ci est difficile, l’heure de sa mise au monde a failli être aussi celle de son trépas. Mais sa mère est portée par une foi, elle a le sentiment de donner la vie à un être de nature particulière, porteur d’un destin providentiel. Plusieurs manifestations, au moment de ce qu’elle pense avoir été la conception et au long de la gestation, l’ont confortée dans ce sens. Le bébé est plutôt chétif : 2,8 kilogrammes. Comment penser que ce que va accomplir l’homme qu’il deviendra défie toute raison ? Qu’avait donc cette naissance terrienne d’extra-terrestre ?

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Orient, Occident… On pourrait à ce moment-là songer à une opposition de style, mais tout va bientôt se mélanger, les frontières vont bouger. Le personnage nomade de María, voyageuse insatiable née un an auparavant et pouvant sincèrement au cours de sa vie tour à tour se présenter comme du Levant ou comme du Couchant, en est la belle illustration. Comme elle affectionnera de le dire, son corps vient de l’Occident, mais son âme est orientale. Ardu de savoir qui aura le dernier mot, qui déteindra le plus sur l’image qu’elle offrira, la manière dont elle se comportera. Tout comme d’elle et de Konstantin, difficile de déterminer lequel est lunaire et lequel est solaire.


II. A mis’New V ice

Seize heures. Un jour de pluie du mois d’octobre, dans une cité H.L.M. en région Parisienne. Deux lycéens boutonneux, deux amis, s’étaient donné rendez-vous. Ils s’appelaient Jordan et Jérôme. Le premier était blond, le deuxième était brun. Ils étaient vautrés en survêtement dans la chambre de Jordan, discutant et écoutant du rap. Les murs étaient recouverts de posters de footballeurs, de signatures graffs de stars du hip-hop et de photos découpées de femmes dénudées. Les deux pré-adultes à casquette fumaient, ne se souciant pas des retombées de cendres qui changeaient les draps de Jordan en plaque de gruyère. Lorsque le Déterminé de Rohff se termina, une nouvelle chanson d’un autre genre s’enclencha. Les paroles disaient « École, école, merci à toi… ». La musique était un mix entre des sonorités folkloriques Indiennes, des phrases électroniques et des basses rap old-school. Jérôme resta d’abord interdit devant ce drôle de titre qui se mit à jouer. Après avoir été un moment prêt à ricaner, pensant à un sketch, il se laissa emporter et se mit à dodeliner de la tête en cadence, il s’exclama à son pote : – Super chanson ! Où tu l’as trouvée ?

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– J’ai été dans un endroit intéressant. Tu te souviens quand je t’ai parlé du Tantra ? Alors voilà, il y a aussi là-bas des musiques sympas. D’ailleurs, il y a un cours aujourd’hui. Ça te dirait d’y aller ? On va s’amuser avec des meufs… – Clair que ce serait cool ! Mais dis-moi, j’ai pas bien compris l’autre jour… Vous couchez direct comme ça pendant les cours ? – Nan, il n’y a pas de pénétration pendant les cours. Le but n’est pas de pécho, ce sont des ateliers pour travailler l’énergie sexuelle. Mais on pratique toujours en couple avec des filles. Et c’est pas les filles d’ici, c’est des trop chaudes ! – Wah, la vache ! – s’emporta Jérôme en se balançant d’avant en arrière pour instinctivement contenir son excitation. – Mais elles sont à poil ou pas ? – Ils nous obligent pas à nous déshabiller, c’est comme on le sent. Il y en a donc qui restent habillées. Mais en tous cas, tissu ou pas tissu, on peut toujours les tripoter. On y va ? Disant cela, Jordan s’est déjà redressé et a commencé d’amorcer un mouvement vers la porte. – Un peu qu’on y va, tout ça me branche à mort ! Ils se précipitèrent vers la porte défoncée de la chambre puis la claquèrent bruyamment derrière eux. Au moment de sortir de l’appart’ du père de Jordan, ils croisèrent celui-ci qui rentrait avec une paire de rollers sous le bras. L’homme d’une cinquantaine d’années, dépressif chronique, connaissait un retour en adolescence et se vouait corps et âme au roller en club avec


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des jeunes de l’âge de ses fils. Il faisait même du roller derby, ce qui était le fantasme premier qu’avait suivi dans cette aventure ce grand amoureux de Drew Barrymore. Jérôme put difficilement s’empêcher de rire en voyant le père de son ami ainsi affublé d’une tenue de roller et faisant le jeune sportif alors qu’il l’avait toujours connu comme un bon pépère affalé devant sa télévision à maugréer bière à la main. Les deux amis attendirent un moment l’ascenseur avant de se résigner à emprunter les escaliers. Ils maudirent l’ascenseur selon eux « toujours en panne » et envoyèrent des coups de pied rageurs dans la porte bordeaux de celui-ci. La cage d’escalier empestait pire encore que la station Châtelet-les Halles. Elle était toute sale et taguée (parmi les tags souvent haineux ressortait un lapidaire « Alban aime Maria Soledad »). Les chewing-gums incrustés dans les marches étaient si nombreux qu’ils formaient tel un tapis moelleux recouvrant les marches grises de béton brut. Des formes peintes à l’urine sur les murs dessinaient des ombres semblant autant de présences pesantes inspirant le malaise. Nos deux amis avaient sept étages à descendre, souvent dans la quasi-obscurité (la plupart des ampoules étaient hors service). Ils étaient en apnée et essayaient de filer le plus vite possible. À cet exercice, ils finirent par manquer de se faire tomber l’un l’autre et furent bientôt obligés de stopper leur course tant le fou rire les gagnait. Le rire contenu, ajouté à la volonté de ne pas respirer les odeurs pestilentielles du lieu, les pliait en deux. Ils n’avaient plus de jambes, plus de possibilité d’avancer. Après avoir ri tout leur soûl,

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ceux qui étaient potes depuis le bac à sable reprirent leur cavalcade et furent bientôt dehors à l’air libre. Devant l’immeuble, ils tombèrent sur Johnny, une armoire à glace errante, éternellement emmitouflée dans une capuche, qui les apostropha d’une voix lente, grave et appuyée : « Woh ! Les mecs, wesh ! Vous venez au parc Pierre ce soir ? Jordan chercha à esquiver quelque peu le colosse en bredouillant une réponse négative. Jérôme, lui, répondit fièrement : – Ah non, Johnny ! Ce soir, on n’en est pas de vos conneries… On a mieux à faire ! Tout en disant cela, le jeune ténébreux s’approchait de son scooter. Il fut bientôt à la hauteur de son engin et commença à plaquer ses cheveux avant d’enfiler son casque. Son attitude était risible, on aurait dit qu’il était en train de jouer une publicité pour du shampooing. Ses cheveux longs et gonflés sur le dessus étaient rasés à l’arrière et sur les côtés, à la façon des footballeurs de l’équipe de France version 2014. Johnny était resté coi, la mâchoire un peu tombante, les yeux exorbités. Il se reprit bientôt et articula avec une pointe d’agressivité : – Vas-y ! Qu’est-ce que c’est que ce sketch ? Va falloir me dire où vous allez là comme ça… Faut partager les bons plans entre potes, faites-pas les chiens ! Jordan s’était dépêché de s’installer à l’arrière du deux-roues de son ami et lui murmurait à l’oreille qu’il aurait mieux fait de se taire. Jérôme ne semblait pas être


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perturbé par la situation, il enfilait son casque avec soin, sans se presser. Avec un ton se voulant distingué, il dit : – Écoute, Johnny, pour nous c’est mieux que les plans au parc Pierre de Sainte-Gen’. Mais toi, ça ne t’intéresserait sûrement pas… On va prendre des cours, c’est une école où l’on va. Tu t’f ’rais ier-ch. Le géant remit dans sa bouche la Chupa Chup au cola qu’il avait dans la main. Il avait l’air dubitatif. Il finit par se détourner en grommelant : – Bande de crasseux, parce que le bahut ça vous suffit pas… Vous êtes vraiment des crevards ! À ces mots, Jordan laissa échapper un « Ouf ! » murmuré dans l’oreille de son copain qui s’était enfin assis devant lui. Il le prit par la taille au moment du démarrage et ils fendirent bientôt l’air à une vitesse bien excessive pour un déplacement en ville. Sur leur chemin, ils ralentirent quelque peu dans une cité toute bétonnée où de nombreux jeunes faisaient du skate sur des vallons pavés destinés à cet effet. Ils saluèrent quelques-uns de ces skateurs, puis repartirent à encore plus vive allure. Ils arrivèrent devant le pavillon résidentiel où se tenait le cours, Jordan avait guidé son pilote jusqu’ici. Celui-ci clama en enlevant son casque : « Putain, mortelle la baraque ! ». Jordan haussa les épaules : « Bof ! C’est pas mal, mais c’est une villa comme il s’en construit plein, toutes pareilles. C’qu’est cool, c’est ce qui s’y passe ! ». Après avoir consulté sa montre, il arrêta son ami alors que celui-ci s’apprêtait à appuyer sur la sonnette. « Attends deux minutes, on est en avance. – Et alors ?

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– Ben, c’est pas bien. Les profs, ils nous disent toujours qu’il faut être discipliné. Il faut respecter les consignes, les horaires. Avant l’heure, c’est pas l’heure. Après l’heure, c’est plus l’heure. – Ouah ! La galère. – Ouais, au début, ça me gavait trop aussi, ça me faisait flipper. Mais quand tu suis leurs instructions, t’es pas déçu. – OK, attendons alors… C’est dans combien de temps exactement, le cours ? – Presque un quart d’heure. Mais bon, dans une dizaine de minutes, ce sera bon. Et puis, il envoie une tape de connivence sur l’estomac de son camarade, comme ça, on est aux premières loges pour voir arriver les canons. – Et en attendant que le feu soit ouvert, on fait quoi ? – Sais pas. T’as déjà parlé au mec de Courbevoie qu’est arrivé dans l’immeuble en face de chez toi ? – Ouais, un peu. Mais il est zarbi ! – Ouais, c’est sûr, il raconte tout le temps des blagues avec des allemands. – Avec des allemands ? Sérieux ? – Ouais, il dit qu’il a eu un beau-père allemand. – Et ça donne quoi, ces blagues avec des allemands ? Au moins pour une fois, c’est pas eux qui gagnent à la fin… – La première qu’il m’a faite, c’est l’histoire d’un français qui rentre dans un magasin en Allemagne. Et la meuf, la vendeuse, elle lui dit « Hallo ! ». Tu sais, c’est


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comme ça qu’ils disent bonjour là-bas, c’est comme « Hello ! » – Ah bon ! Et les vendeuses, elles te disent ça. J’sais pas, c’est strange… Nous, les vendeuses elles disent pas « Ouais, salut ! » – Ouais, ça doit être moins familier que chez nous leur « Hallo » … – Et alors, la meuf elle dit « Hallo ! » et il se passe quoi ? – Eh ben, le mec, il sait pas ce que ça veut dire « Hallo » alors, il pige pas, il pense qu’elle a peut-être un téléphone puis comme il voit que non, il croit qu’elle a vu qu’il était Français alors qu’elle le vanne avec Nabilla. Il se vexe, le mec. Alors, il dit « Non, mais t’as pas la poitrine pour faire ça… Non, mais allo, quoi ! » Et la meuf, en fait, elle comprend le français, mais elle ne connaît pas Nabilla, donc elle appelle la sécurité… – Et… ? – Ben, c’est tout. Le mec, il se retrouve à expliquer au vigile pourquoi il a parlé à la vendeuse de sa poitrine. Pour elle, il l’a traitée de pute. – Ah ! Et les autres ? – Les autres quoi ? – Ben, ses autres blagues avec des allemands… – Ah ! Elles sont pas mieux, j’te préviens… Il y en a une autre, c’est un mec qui doit trouver, je sais plus pourquoi, comment on dit quatre-vingt-dix-neuf en allemand. Et il ne connaît pas l’allemand. Alors, il panique, il pense qu’il ne peut pas y arriver… Puis, il pense à la chanson en allemand de la meuf, là… Tu

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sais, celle qu’ils reprennent à donf, Youn et Desagnat, dans « La Beuze ». Ninety-nine machinchose. Alors, il répond « Ninety-nine ». Il est content de lui, puis la réponse est super importante. Et là, il perd tout, parce que c’est pas la bonne réponse. En fait, la fille dans la chanson, elle parle allemand, mais quatre-vingt-dixneuf, elle le dit en anglais… Dégoûté ! – Ouais, ben c’est chelou ! L’heure arriva. Ils ne virent personne les rejoindre et sonnèrent donc lorsque furent consumées les dix minutes que Jordan s’était fixées comme délai d’attente. Ils furent invités à entrer et tout en discutant et plaisantant gaiement, ils entrèrent dans la salle où le cours commençait juste. Les élèves étaient déjà installés. Sur l’estrade se trouvait une belle femme bien faite, sans âge. Elle vint à leur rencontre et les pria de se mettre à l’aise et de s’installer parmi les autres. Le teint des deux jeunes hommes virait au pourpre et ils se débarrassaient gauchement de leurs casques et de leurs vestes de survêtement. Ils essayèrent de s’asseoir en position du lotus comme ceux qui se tenaient autour d’eux, mais n’y arrivèrent pas et Jérôme se fit même mal (une douleur dont il réprima le cri). La maîtresse de cérémonie retourna sur son estrade et dit avec une infinie douceur mélodieuse : – Je m’appelle Electra. Je suis très heureuse de vous voir tous dans cette salle. Je vois que se sont rassemblées ici des âmes lumineuses en quête de connaissances véritables. Je vois dans vos yeux votre amour et votre aspiration à la vérité – sa belle voix était de plus en plus charmeuse et des cascades de frissons arpentaient


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le long de l’échine de nos deux novices qui se tenaient bouche bée – beaucoup de gens pensent que le Tantra, c’est du sexe exotique. Eh bien non. Cela n’a rien d’exotique, le Tantra, c’est vous, c’est moi. C’est nous, dans notre essence la plus profonde, la plus dépouillée. Et le Tantra, cela n’est pas qu’une discipline de sexe, c’est un art de vivre. Nous pouvons vivre et réaliser les bienfaits et les merveilles du Tantra à chaque seconde de notre existence. Pas uniquement dans la pratique sexuelle proprement dite. Bien que d’aucuns considèrent que l’on vit au sein d’une civilisation évoluée, malgré tous nos cursus universitaires cumulés, les gens ne connaissent pas les choses élémentaires. Ils ne savent pas correctement se nourrir et c’est ainsi qu’ils tombent malades. Ils ne connaissent rien à la science de la respiration et c’est pourquoi ils sont en permanence en état de stress. Ils ne savent pas comment s’endormir correctement ni interpréter leurs rêves. Ils ne savent pas interagir avec les autres et vivent en permanence dans les conflits. Ainsi donc, le Tantra, c’est l’art de vivre et de savoir parfaitement effectuer n’importe quelle action : qu’il s’agisse de travail, de prière, de sexe, de taches fonctionnelles ou de méditation. C’est l’art de ne rien effectuer de façon mécanique, mais de toujours avoir la conscience d’utiliser chaque action, même une altercation, comme un acte initiatique. Le tantra enseigne également tout spécialement bien sûr la bonne interaction entre les hommes et les femmes et la bonne utilisation du sexe pour son développement personnel.

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En l’écoutant, Jérôme était tout simplement charmé par elle, il buvait béatement ses paroles. Il ressentait à la fois quelque chose d’important et dans le même temps quelque chose de familier, comme s’il venait de trouver ce qu’il cherchait depuis longtemps. La découverte de cette femme était un immense choc dans tout son être. Jordan écoutait lui aussi attentivement, mais se laissait distraire, irrémédiablement soucieux de détailler la plastique et les minois des filles assises dans la salle. Electra reprend son discours savamment distillé, tout en sensualité : – J’ai tout appris auprès des prêtres de Kullu, en Inde. Il existe des temples en Inde sur les murs desquels sont représentées des scènes d’accouplement. Elles racontent comment autrefois on considérait le sexe comme une prière. Vous avez sûrement déjà entendu parler du Kama-Sutra. Eh bien, celui-ci n’est pas un manuel sexuel, mais un livre de prières. Les partenaires s’adulaient l’un l’autre et honoraient la divinité s’exprimant en eux. Ils entraient littéralement dans le rôle de dieux et de déesses. Mais les barbares européens ont conquis cette haute civilisation et détruit de nombreux temples. Et encore aujourd’hui, les prêtres de ces temples ainsi que les pères fondateurs du Tantra doivent se cacher pour éviter les persécutions. Dans le bouddhisme tibétain, il existe encore aujourd’hui des représentations iconiques de Bouddha et sa partenaire Tara en train de s’accoupler. Cela en dit long sur le fait que le Tantra était largement répandu, mais que beaucoup de choses ont été depuis oubliées et réprimées. En Inde, on construit toujours


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des statues Lingam, c’est-à-dire des statues représentant un phallus dressé, incarnant Shiva. On l’associe parfois avec une représentation du Yoni (l’organe sexuel féminin). La majorité des peuples premiers qui ont pu garder leurs rites ont un culte voué à des représentations phalliques. Chez nous, à notre époque, cela serait considéré comme quelque chose de vulgaire, quelque chose de bas, de sale. Mais les hindous adorent ces statues avec humilité, s’inclinant devant elles, considérant que cela représente le phallus de Shiva, source de vie et de créativité, et encore plus sacré lorsqu’il est représenté dans le yoni de son épouse Parvati. Cela nous révèle qu’autrefois les relations sexuelles servaient de voie menant à Dieu. Mais cela ne signifie pas pour autant que toutes les relations sexuelles peuvent s’accomplir dans cette voie, loin de là… Si les partenaires sont mal assortis, s’il n’y a pas d’amour ni d’harmonie entre eux, s’il n’y a pas en chacun une grande acceptation de l’autre comme il est, s’ils ne maîtrisent pas leur énergie sexuelle, alors ces relations ne peuvent mener qu’à la dégradation des deux êtres et à toute espèce de déséquilibres. C’est pourquoi nous allons apprendre avec vous maintenant comment faire de ces relations une voie menant à Dieu. Pour suivre la voie royale du Tantra, il faut d’abord prendre soin de bien déjouer le mauvais tour que l’on a fait à notre esprit de nous faire croire que le sexe était quelque chose de sale ou de mauvais. C’est le grand crime mental contre l’humanité propagé pour nous maintenir faibles, peureux et asservis. Le dégât causé est vicieux, le chemin pour s’en délivrer requiert une attention par-

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