Nota numéro 2 juin — août 2022

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En rayon

nota n°2

Le tournis : c'est ce qui nous prend face à la tornade tourbillonnante de la culture manga. Tournis des chiffres, pour commencer. Avec ses 500 millions d'exemplaires écoulés dans le monde, la saga One Piece (une histoire de pirates en quête d'un trésor) est la série d'albums de bande dessinée la plus vendue de tous les temps, loin devant Astérix avec ses 370 millions. Et l'hebdomadaire Weekly Shōnen Jump, spécialisé dans le manga d'aventure, est le magazine de BD le plus répandu de la planète avec ses 7,6 milliards d'exemplaires depuis sa création en 1968 (la Bible, plus gros best-seller de tous les temps, compte à titre de comparaison 5 à 7 milliards d'exemplaires écoulés à ce jour selon le Livre Guinness des records). Vertige, aussi, de la circulation en bibliothèque. « Certaines séries, telles que Naruto, bougent tellement vite entre un prêt et l'autre qu'on ne les voit pratiquement jamais dans nos rayons. Suivre le fil de l'histoire d'un volume à l'autre s'avère du coup très compliqué. Mais les enfants se débrouillent, vont dans plusieurs bibliothèques, réservent les exemplaires, empruntent les volumes dans le désordre et se les échangent ensuite dans les cours d'école, donnant vie à un réseau de prêt parallèle », raconte Géraldine Maion, bibliothécaire à la BM Cité. Tournis également face aux rythmes de production. Les magazines hebdomadaires du type Weekly Shōnen Jump, dans lesquels les mangas sont « pré-publiés » avant d'être recueillis en livres, comptent 500 pages par numéro. Aussi épais que des annuaires téléphoniques, ils donnent aux kiosques à journaux japonais une allure particulière. « J'ai des échanges avec des amateurs et amatrices de bande dessinée qui refusent de lire des mangas parce que le dessin n'est pas assez élaboré à leur goût. Je leur explique que les dessinateurs et dessinatrices de mangas font 40 planches par semaine, alors que dans la BD franco-belge on en fait plutôt 40 en une année », signale à ce propos Sandra Woelffel, bibliothécaire à la BM Minoteries.

juin – août 2022

a commencé via la télé avec le Club Dorothée (19871997), l'émission qui a permis aux dessins animés japonais, généralement tirés de mangas, de prendre leur essor sous nos latitudes », se souvient Sandra. Cette première immersion laisse des souvenirs émus, mais aussi l'écho de quelques controverses et d'un certain nombre de chocs télévisuels. « L'équipe du “Club Do'” ne se renseignait visiblement pas assez sur ce qu'elle achetait, et finissait souvent par diffuser des séries pas adaptées aux enfants », reprend Sandra. « Après un épisode de Candy, on tombait par exemple sur une série hyper violente intitulée Ken le survivant. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles à cette époque-là, les dessins animés japonais n'étaient pas très bien vus », renchérit Géraldine. Mathieu Rocher, journaliste français spécialisé dans la culture pop japonaise, revenait sur ces flottements lors d'une conférence à la BM SaintJean, en avril dernier : « Lorsque la France a ouvert le robinet au dessin animé japonais, dans les années 80,

Alors que la culture manga traverse la quatrième décennie d’une carrière triomphale en francophonie, on plonge dans cet univers où tout donne le tournis en compagnie des bibliothécaires des BM et du journaliste français Mathieu Rocher

Quand Dorothée ouvrait le robinet Production frénétique, propagation massive, circulation ultra rapide… Avec tout cela, la culture manga traverse actuellement sa quatrième décennie de carrière en francophonie. Flash-back : « Pour moi, comme pour beaucoup de monde de ma génération, la découverte 10

les chaînes de télé se sont dit que tout était forcément destiné aux enfants, et n'ont pas trop pris la peine de vérifier. En réalité, les Japonais hallucinaient en apprenant que Ken le survivant était diffusé chez nous à 10 heures du matin pour le jeune public… » Aujourd'hui, le partage selon les âges reste très cadré au Japon, mais un certain flou subsiste en Europe autour de séries telles que L'Attaque des Titans ou Demon Slayer, qui circulent auprès d'un public plus jeune que celui auquel elles sont destinées. « En bibliothèque, nous mettons des codes couleur pour indiquer l'âge conseillé, mais nous suggérons aussi que les parents mettent le nez dans les mangas pour éviter les mauvaises surprises », ajoute Géraldine Maion.


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