Portrait ou Ma terre natale et celle de mes aïeux C’est un petit coin de la côte du Cotentin, mais je crois que je vais le garder pour moi, car cela fait près de soixante ans que j’ai traîné mes galoches, tout gamin, au bord du Cul-de-Loup, pour retrouver les copains d’école, ou encore l’été, lorsque j’allais en famille, une fois par an, pique-niquer sur le sable, avant de me lancer à l’assaut de la baie pour pêcher des coques. C’est un coin atypique formé par la nature et les hommes. Le paysage se présente comme un véritable tableau impressionniste, où les couleurs et la lumière se donnent rendez-vous. Le peintre Antoine Guillemet a su saisir cette petite perle avec sa palette aux couleurs chaudes et sa note de touche, pleine de délicatesse et de sensibilité. Si le charme de cette contrée m’a toujours attiré, j’essaie de temps à autre de fouler son unique sentier qui serpente entre les buissons d’épines et les tamaris, charmants arbustes des bords de côte au climat tempéré et dont les petits chatons rosés du printemps se balancent au gré du vent. La mer, toute proche, joue à cache-cache, elle vous guette, vous attire. Lorsqu’elle bat son ressac, je la regarde inlassablement malmener une branche d’épinette, l’embarquer, puis la rejeter, la reprendre à nouveau pour la faire rouler comme une pauvre victime, l’épuiser, pour finir par l’abandonner lorsque les flots se retirent. Au cœur de la baie, les mouettes font
leur tapage à coups de cris stridents qui résonnent dans l’atmosphère vide et grandiose. Plus loin, sur la digue, la fortification de Vauban veille comme une sentinelle inlassable à toute menace pouvant surgir de l’horizon. L’unique sentier incite à la balade, on le prend comme un compagnon de route, il nous sert de guide pour nous emmener plus loin dans la découverte, comme cet ancien moulin du Dic (qui veut dire « terre levée »), devenu une ruine avec ses murs lézardés et verdis, croulant sous une épaisse carapace de lierre aux feuilles charnues et luisantes. On y devine encore l’emplacement de la roue entraînée par le ruisseau du Vaupreux. Plus loin, le sentier fait un écart pour se perdre dans une prairie rendue à la nature. Ici, la mer a grignoté les terres en faisant disparaître l’antique village d’Isemberville. Sur le bord de la grève, les pierres de schiste rouge finissent de s’effriter, mêlées au sable fin et à la terre végétale. Au bord de l’eau, au creux du sentier, au milieu des haies, le silence est grand et ce n’est pas les premières maisons du rivage qui modifieront cette belle quiétude propre à la campagne, qui vous met l’esprit à rêver, à profiter du simple bonheur de la vie. La première bâtisse tourne le dos au sentier, elle est basse et trapue, une pelouse d’herbe rase l’entoure. Le long d’une haie, une barque de 23