Urban Utopias - villes rêvées, villes habitées. La Grande Motte, Brasilia, Chandigarh (extrait)

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Lumière sur trois villes ouvertes au monde Carole Lenfant

La Grande Motte, Brasília, Chandigarh, trois villes baignées de lumière, solaires, se révèlent ici dans le prisme d’un regard photographique, celui de Stéphane Herbert. Pour chacune, une architecture qui vibre et qui vit, trois villes aux architectures habitées au sens pluriel du terme : humain, social et poétique. Pour chaque ville qu’il explore dans ses lignes, dans ses creux, dans ses courbes, dans ses traces, Stéphane Herbert s’imprègne en se documentant longuement tout en laissant la part belle à l’intuition. C’est au pas humble du voyageur qu’il capte dans leur densité les architectures et les êtres pour leur rendre hommage. Ainsi s’offrent en images des villes où l’on peut se retrouver disponible pour rêver, être habité et permettre cette forme de béatitude que procure la promenade urbaine : « De jeunes déesses indiennes drapées d’éclatants saris traversent l’esplanade du Capitole. En retrait de la place des Trois-Pouvoirs, un couple métis se love sous les palmiers impériaux. Entre les pyramides Concorde et Commodore, un enfant prend son élan vers la mer. Accord architectural, temporalité des corps. » Il a pu appréhender ces villes grâce à ses rencontres avec Oscar Niemeyer et Lucio Costa, mais aussi grâce à son père, Jean-Loup Herbert, qui lui a transmis une passion pour l’architecture de Le Corbusier. Stéphane Herbert expérimente, analyse et interroge ces œuvres modernes avec la vie qui les occupe, dans leur rythme, leur profondeur, leur respiration. Il s’efface derrière son sujet pour trouver une justesse avec la ville qu’il côtoie. Se dégagent de ses photographies des thèmes qui lui sont chers tels que l’ombre et la trace, la ville et le rêve, la ville ouverte, libre. Résonnent ainsi en lui des photographes tels Lucien Hervé, maître des jeux de lumière et des contrastes, notamment pour exalter l’éclat des bétons de Le Corbusier, ou encore, pour la ville, Eugene Smith et Pittsburgh, Bruno Barbey et Fez, et même l’artiste JR filmant la favela (Women Are Heroes). Saisir par l’image un instant, un mouvement, une émotion, une architecture, c’est plus que voir, c’est regarder, regarder vraiment ce que Stéphane Herbert, avec une apparente simplicité, nous invite à établir en nous. Cheminer, s’imprégner, partager.

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L’incroyable voyage que représente ce livre est celui d’une architecture vivante, celle où les éléments sont toujours présents, celle qui nous enracine, celle qui détermine une identité collective, matérielle, immatérielle, onirique et poétique. Certes, Chandigarh et Brasília sont un peu comme les « grandes sœurs » de La Grande Motte. Si elles ont successivement créé la surprise au moment de leur construction, elles furent aussi discréditées durant quelques décennies. Elles sont maintenant arrivées à maturité et, dans les trois cas, il s’agit de villes-parcs paysagers propices à la félicité. Alors, même s’il n’y a pas formellement de lien de parenté, la « station balnéaire » s’affirme aujourd’hui comme l’héritière des deux capitales symboles de la modernité. Des plages de la Méditerranée, nous pouvons convier les deux autres cités. Nous méditons alors sur la nouvelle civilisation qu’est le Brésil, sur l’Inde immémoriale. Trois continents, trois villes où la dialectique et le fantastique s’entremêlent. La Grande Motte, Brasília, Chandigarh : trois villes universelles. Ces trois villes restent toutefois des expériences uniques et permettent encore aujourd’hui la réflexion du « comment vivre la ville ? ». Ville invitant à d’autres sociabilités. Ville offerte aux citoyens. Ville ouverte aux horizons. Ville proposant une autre manière d’habiter sur la Terre, sous le ciel. Serait-ce une forme de sérénité, de « sérénité urbaine », telle que la nomme Lucio Costa ? Que soient ici remerciés pour leur collaboration à cet ouvrage Fabienne Chevallier et Gilles Ragot, qui nous éclairent sur la place de l’homme dans la cité, la modernité et l’utopie urbaine. Ce livre est une promenade respectant pour chacune des villes une unité de lieu. Entre extérieur et intérieur, il est aussi une invitation à un dialogue, celui où se rencontrent l’écriture poétique et l’écriture photographique. Un hymne rendu à la beauté, à la capacité de l’homme à fournir l’émotion profonde tenue en lui, à sa force infinie à pouvoir rêver et réaliser les ouvrages les plus insoupçonnés.


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