15. Les Bergers d’Arcadie
Alors que, sur le tableau de Chatsworth, les bergers se jettent sur le tombeau et sur son inscription latine « Et in Arcadia Ego », rencontre mouvementée et confrontation dramatique avec la mort symbolisée par le crâne, sur la version du Louvre, sans crâne, ils se recueillent et méditent sur cette mort inéluctable. À la composition dynamique en diagonale répond ici une toile frontale, intemporelle, toute de sérénité et de mélancolie contemplative, une pastorale bucolique. Poussin s’est attaché aux expressions ou plutôt aux attitudes et aux gestes de chacun des bergers, celui qui lit l’inscription sans en avoir compris la portée comme celui qui la montre interrogateur à sa compagne (voir p. 153). Ainsi que l’écrit, non sans humour, Charles Dempsey : « Interpreters have remained as perplexed as the shepherds by this inscription » (Dempsey, 2012, p. 133). Deux textes fondateurs nous paraissent devoir être cités intégralement : celui de Bellori (1672), le plus ancien, qui après avoir évoqué deux des trois « poésies morales » souhaitées par Rospigliosi, Le Temps délivrant la Vérité de l’Envie et de la Discorde (tableau perdu) et La Danse de la Vie humaine (Londres, Wallace Collection), écrit : « La felicità soggetta alla morte. La terza moral poesia è la memoria della morte nelle prosperità umane. Finse un pastore della felice Arcadia, il quale, piegato un ginocchio a terra, addita e legge l’inscrizzione di un sepolcro scolpito in questi caratteri: “et in Arcadia ego”, cioè che il sepolcro si trova ancora in Arcadia, e che la morte ha luogo in mezzo le felicità. Evvi dietro un giovine inghirlandato che s’appoggia a quel sepolcro e guarda intento e pensieroso, ed un altro incontro s’inclina ed addita le parole ad una leggiadra Ninfa vagamente adorna, la quale tiene la mano su la spalla di esso, e nel riguardarvi sospende il riso e dà luogo al pensiero della morte » (Bellori, 1672, p. 448). Pour sa part, Félibien observe, en paraphrasant Bellori : « Le troisième Tableau represente le souvenir de la mort au milieu des prosperitez de la vie [ce sera le titre donné par Étienne Picart à sa gravure]. Le Poussin a peint un Berger qui a un genou à terre, & montre du doigt ces mots gravez sur un tombeau, Et in Arcadia Ego. L’Arcadie est une contrée dont les Poëtes ont parlé comme d’un Païs délicieux : mais par cette inscription on a voulu marquer que celui qui est dans ce tombeau, a vécu en Arcadie, & que la mort se rencontre parmi les plus grandes félicitez. Derriere le Berger il y a un jeune homme, la tête couverte d’une guirlande de fleurs, lequel s’appuye contre le
Cat. 15, détail.
Fig. 67. Giovanni Francesco Barbieri, dit le Guerchin, Les Bergers d’Arcadie, Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica (huile sur toile ; H. 81 ; L. 91).
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