Nicolas Poussin. Les tableaux du Louvre (extrait)

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7. L’Inspiration du poète épique

de Mantegna] acquis un Poussin considérable, également une œuvre hors de pair, ces deux acquisitions consolent un peu du départ de la Joconde [qui venait d’être volée] » (Vallotton, (ms. 19001914) éd. 1973, II, p. 183). Le tableau est saisissant. Sur la gauche de la composition, l’on reconnaît la Muse de la poésie épique, Calliope appuyée sur sa flûte ; au centre, Apollon, sa lyre posée sur sa hanche, pointe le doigt vers le poète (voir p. 89). Ce dernier, légèrement en retrait, qu’un putto s’apprête à couronner de laurier, la plume à la main, lève les yeux au ciel à la recherche de l’inspiration. Poussin a, semble-t-il, ajouté le putto au premier plan (voir p. 90) en un second temps, remplaçant un putto qui se voyait à l’origine entre Apollon et la Muse. Le tableau a été considérablement modifié en cours d’exécution, notamment le visage du poète, comme le démontre la radiographie de l’œuvre (fig. 31). Ce poète, quel est-il ? Selon Marc Fumaroli, « il n’a pas été possible jusqu’ici de trancher le point de savoir si le modèle de ce portrait a été le poète néolatin Virgilio Cesarini, ou le poète mariniste Marcello Giovanetti, ou tel autre » (2001, p. 68). Des inscriptions maladroites, difficilement lisibles – « Olissea », « ilias », « Eneide » –, dont nous ne pouvons affirmer qu’elles sont de la main de Poussin, se voient sur les trois livres qui figurent au centre de la composition, deux aux pieds d’Apollon, le troisième tenu par le putto (voir p. 90). Il faut en venir au tableau du Niedersächsisches Landesmuseum à Hanovre, L’Inspiration du poète lyrique (fig. 32), dont on se doit de comparer le sujet à celui du tableau du Louvre mais dont les dimensions sont bien différentes (T. H. 94 ; L. 69,5). Sur la gauche du tableau de Hanovre, l’on reconnaît Calliope, vêtue de blanc et de bleu, les seins nus (identifiée par Erwin Panofsky (1960), Milovan Stanic´ (1994) et Claire Pace (1999) avec Euterpe), qui se tourne vers Apollon. Celui-ci, entièrement nu, tend une coupe d’or à un poète. Dans un geste de génuflexion, les bras largement ouverts, les yeux mi-clos, le poète, que l’on a souvent identifié avec Anacréon, boit avec avidité le breuvage de l’inspiration. La remarque de Chantelou – « il y avait plus de quarante ans qu’il était fait » – a donné lieu à de nombreux commentaires. Si l’on suivait à la lettre les mots du guide et interprète du Bernin lors de son séjour parisien, l’on daterait le tableau de 1625 au plus tard, hypothèse qui n’a pas grand sens. Dès 1960, Mahon avançait que Poussin n’avait pu peindre son tableau sans une connaissance directe d’œuvres d’une inspiration toute nouvelle, en particulier L’Allégorie de la Sagesse divine d’Andrea Sacchi (1599-1661) et la Sainte

Suzanne de François Duquesnoy (1597-1643), postérieures à 1630 (Mahon, 1960a, I, p. 250). Savante démonstration, répétée à plusieurs reprises, qui a convaincu Wright, Dempsey et Solinas. Au contraire, Blunt, qui, dans son catalogue de 1966, consacre une notice particulièrement développée au tableau, date celui-ci de 1629, suivi par un nombre non négligeable de poussinistes (Keazor, Oberhuber…). Prudemment, Thuillier, Fumaroli, Verdi et Mérot se prononcent pour 1630 environ. Pour notre part, nous pensons, comme en 1994-1995 déjà (no 30), qu’il faut placer l’exécution du tableau entre celle du Martyre de saint Érasme (musées du Vatican, Pinacothèque) (fig. 36) (no 26) et celle de La Vierge apparaissant à saint Jacques le Majeur (cat. 8) (no 31), qui date de 1630, court

Fig. 31. Radiographie du tableau. Fig. 32. Nicolas Poussin, L’Inspiration du poète lyrique, Hanovre, Niedersächsisches Landesmuseum (huile sur toile ; H. 94 ; L. 69,5).

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