MÊME PAS PEUR ! collection de la baronne Henri de Rothschild (extrait)

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collection de la baronne Henri de Rothschild

MÊME PAS PEUR !

a représentation de la Mort, de la Renaissance à la Belle Époque, est à l’origine de la collection étonnante de la baronne Henri de Rothschild (1874-1926). Historiens de l’art, anthropologue et spécialistes de l’art d’Extrême-Orient proposent un éclairage nouveau sur cette collection éclectique, aussi méconnue qu’inédite, en la replaçant dans le contexte historico-social. Des grains de chapelet aux netsuke en passant par les épingles de cravate, les œuvres profanes ou sacrées témoignent d’un goût pour le macabre teinté parfois d’un esprit potache. D’autre part, la présence symbolique du crâne dans l’art est mise en perspective par un florilège de vanités de la Renaissance à nos jours, peintures et installations de maîtres anciens mais aussi d’artistes contemporains tels que Vincenzo Dandini, Cornelis Gysbrechts, Annette Messager, Brassaï, Robert Mapplethorpe ou Giuseppe Penone.

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978-2-7572-1392-6 35 €

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Illustration de couverture et 4e de couverture : cat. 12 Pommeau de canne à système Briggs & Sons Paris ou Londres, vers 1900 Ivoire, polychromie, verre Inv. 25678

Droits Patrimoniaux

© ADAGP 2 018 pour les artistes suivants : Jean-Michel Basquiat, Annette Messager, Stephan Balkenhol, Yan Pei-Ming, Georges Braque, Giuseppe Penone, Erik Dietman, Niki de Saint-Phalle, Miquel Barceló © Succession Picasso 2 018

© Gerhard Richter 2 018 (0304208)

© The Robert Mapplethorpe Foundation © Estate Brassaï – RMN-Grand Palais Somogy éditions d’art, Paris, 2018 Fondation Bemberg, Toulouse, 2018 978-2-7572-1392-6 Dépôt légal : juin 2018 Imprimé en Union européenne

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MÊME PAS PEUR ! collection de la baronne Henri de Rothschild (1874-1926) SOUS LA DIRECTION DE SOPHIE MOTSCH

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Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial Nicolas Neumann Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Coéditions Jean-Louis Fraud Coordination éditoriale Maud Villeret Conception graphique Marine Bezou Contribution éditoriale Fabrication Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros Stagiaire édition Lolita Wotin

Ce catalogue a été réalisé dans le cadre de l’exposition « Même pas peur ! Collection de la baronne Henri de Rothschild » organisée et présentée du 29 juin au 30 septembre 2018 par la Fondation Bemberg à Toulouse. Alfred Pacquement Président de la Fondation Bemberg, Toulouse COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE Commissariat général Sophie Motsch Attachée de conservation au musée des Arts décoratifs, Paris

Commissaire Philippe Cros Directeur de la Fondation Bemberg, Toulouse SCÉNOGRAPHIE Hubert le Gall assisté de Laurie Cousseau

R EMERCIEMENTS POUR « COLLECTION DE L A BA RONNE HENR I DE ROTHSCHILD » Au musée des Arts décoratifs à Paris, nous remercions chaleureusement Monique Blanc et Pauline Juppin (département Moyen Âge), Anne Forray-Carlier (département XVIIe -XVIIIe siècles), Audrey Gay-Mazuel (département XIXe siècle), Évelyne Possémé (département Bijoux anciens), Bénédicte Gady et Catherine Gouedo-Thomas (cabinet des Dessins), Romain Lebel et Michèle Jasnin (publicité), Denis Bruna (collections Mode antérieure au XIXe siècle), MarieSophie Carron de la Carrière (collections Mode de 1800 à 1939), Chloé Demey (service éditions), Florence Bertin, Catherine Didelot, Emmanuelle Garcin, Cécile Huguet, Benoît Jenn et Myriam Teissier (service de la restauration et conservation préventive), Annie Caron (service de l’inventaire), Stéphane Perl, Sarah Benhamida et Mathilde Fournier (service des expositions), Sylvie Bourrat, Dominique Régnier, Luna Violante, Joe-Louis Arumainayagam, Jean-Jacques Bagot, Alain Bleuzen, Antoine De Melo, Maxime Lebredonchel, Maÿlis Pradier, Denis Rière et Estelle Savoye (régie des œuvres), Carol Chabert (service photographique), Lysiane Allinieu-Thévenin (bibliothèque). Nous exprimons toute notre gratitude aux restaurateurs : Patricia Dupont-Aulagnier, Antoine Leménager et Julie Maure. Aubusson, Cité internationale de la tapisserie Bruno Ythier Bruxelles, association Le Tricorne Alain Tripnaux Bruxelles, centre de la culture judéomarocaine Paul Dahan Dieppe, musée des Ivoires Pierre Ickowicz Jérusalem, the Israel Museum Anna Nizza Londres, Ranger’s House Sarah Moulden Paris, Automobile club de France Emmanuel Piat Paris, bibliothèque du Saulchoir Frère Michel Albaric, o.p., Pierre Dourthe

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Paris, Bibliothèque nationale de France Catherine Aurerin, Geneviève GuilleminotChrétien, Laurent Héricher, Cristina Ion, Michèle Le Pavec Paris, Centre André Chastel – Paris-Sorbonne Michel Hérold Paris, Mobilier national Thomas Bohl Paris, musée de la Franc-maçonnerie Ludovic Marcos, Éloïse Auffret Paris, musée de l’Armée Émilie Robbe, Dominique Prevot Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques Juliette Trey Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art Philippe Malgouyres Paris, musée du Louvre, département des Peintures Guillaume Faroult Paris, musée du Louvre, département des Sculptures Sophie Jugie Paris, musée du Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris Maryline Assante, Patrick Lemasson, Dominique Morel Saint-Étienne, musée d’Art et d’Industrie, département Textiles Sylvain Besson Toulouse, musée Paul Dupuy Marie-Pierre Chaumet Que ceux dont l’aide et les conseils furent indispensables et précieux lors de la préparation de l’exposition comme du catalogue trouvent ici l’assurance de notre profonde gratitude : Jean Baumgarten, Madeleine Blondel, Frédéric Bodet, Jaelle Chouraqui, Romain Condamine, Nicolas Courtin, Pierre-François Dayot, Patrick Declerk, Jean-Marie Del Moral, Yves Desfossés, Annie Dubourg, François-Gilles Egretier, Franz Fray, Pierre Garcin, abbé Jean-Eudes Gilbert, Cyril Grange, Emmanuel Guy, Chloé Jantzen, Laurence Jantzen, Jocelyne Krief, Nicolas Kugel, Georg Laue, Jean-Paul Leclercq (✝), Dominique Libert, Dominique Lobstein, Sophie Malville, Noémie Margotteau, Patrick Mauriès, Peggy Nicholson, Françoise Niederhauser, Odile Nouvel, Olivier Omnès, Harry W. Paul (✝), abbé Alexandre Pincé, Alexandra Popescu, Pauline Prevost-Marcilhacy, Éric Pujalet-Plàa,

Emmanuel Sarmeo, Nicolas Schwed, Guillaume Séret, Benjamin Simon, Juliette Sirinelli, Federica Tamarozzi, Louise Thomas, Jean-Didier Urbain, Thomas Veniant et Yorick. Nous tenons à remercier chaleureusement Marie Mouterde dont l’aide a été précieuse pour l’élaboration du catalogue.

Musée de la Chartreuse, Douai Anne Labourdette, directrice Musée Lambinet, Versailles J.-M. Guinebert, directeur Palais des Beaux-Arts, Lille Donatienne Dujardin, attachée de conservation Musée d’Arts, Nantes Sophie Lévy, directrice

R EMERCIEMENTS POUR « VA NITÉS D’HIER ET D’AUJOUR D’HUI » Musée des Abattoirs, Toulouse Fondation Cartier pour l’art contemporain Chambéry, musée des Beaux-Arts Musée des Beaux-Arts de Dole Musée de la Chartreuse – Douai Musée Lambinet, Versailles Lille, palais des Beaux-Arts Nantes, musée des Beaux-Arts Pau, musée des Beaux-Arts Musée national Picasso, Paris Paris, musée d’Orsay Centre Pompidou Paris / musée national d’art moderne / centre de création industrielle Rennes, musée des Beaux-Arts Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart Musée de Soissons – ancienne abbaye Saint-Léger Strasbourg, musée des Beaux-Arts Toulouse, musée des Augustins The Robert Mapplethorpe Foundation Galerie Thaddaeus Ropac, Paris Galerie Massimo De Carlo Galerie Papillon Galerie G.-P. & N. Vallois Collection Karmitz Collection Chantal Crousel Collection A-M et M Robelin Collection privée Atelier Yan Pei-Ming Cécile Delattre Musée des Abattoirs, Toulouse Annabelle Ténèze, directrice Fondation Cartier pour l’art contemporain Hervé Chandès, directeur Musée des Beaux-Arts, Chambéry Caroline Bongard, directrice Atelier Miquel Barceló Victoria Comune Musée des Beaux-Arts de Dole Amélie Lavin, directrice

Musée des Beaux-Arts, Pau Dominique Vazquez, régie des collections Studio Giuseppe Penone Federica Grosso Musée national Picasso, Paris Laurent Le Bon, président Musée d’Orsay, Paris Laurence des Cars, présidente Centre Pompidou, Paris / Musée national d’art moderne / centre de création industrielle Bernard Blistène, directeur Musée des Beaux-Arts, Rennes Anne Dary, directrice Musée départemental d’art contemporain, Rochechouart Sébastien Faucon, directeur Musée de Soissons – ancienne abbaye Saint-Léger Christophe Brouard, directeur Musée des Beaux-Arts, Strasbourg Dominique Jacquot, conservateur en chef Musée des Augustins, Toulouse Axel Hémery, directeur The Robert Mapplethorpe Foundation Joree Adilman, Managing Director Galerie Thaddaeus Ropac, Paris Bénédicte Burrus, directrice ; Séverine Waelchli, directrice Galerie Massimo De Carlo Ellie Nearchou, Head Registrar Galerie Papillon Claudine Papillon ; Marion Papillon, directrice ; Marion Prouteau, Gallery Manager Galerie G.-P. & N. Vallois Marianne Le Métayer Galerie Chantal Crousel Chantal Crousel A.-M. et M. Robelin Marin Karmitz Ainsi que les collectionneurs qui ont souhaité rester anonymes. 5

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es cabinets de curiosités sont au goût du jour. Mêlant des objets de toutes origines géographiques et concentrant un échantillonnage des productions humaines et de celles de la nature, ils furent à l’origine de sortes de microcosmes du monde entier attisant la curiosité de leurs visiteurs. Alors que l’on traverse la terre aujourd’hui en une poignée d’heures, et que les technologies donnent dans l’instant accès aux textes et aux images les plus divers, l’accumulation d’objets dits « de curiosité » fascine toujours autant par sa singularité. Telle est l’une des raisons pour lesquelles la généreuse proposition du musée des Arts décoratifs de mettre à la disposition de la Fondation Bemberg l’étrange collection de la baronne Henri de Rothschild a recueilli notre enthousiasme. Dans un musée de collectionneur comme le nôtre, témoignant du goût classique et sûr de Georges Bemberg, il est captivant de confronter la traversée de quelques siècles d’art, vus à travers le regard d’un amateur, avec l’approche originale d’une autre personnalité dans son domaine de prédilection. Tel fut le cas l’année dernière avec le remarquable ensemble réuni par Louis-Antoine et Véronique Prat exclusivement consacré aux dessins français qui rencontra un franc succès. Cette fois, c’est à la découverte d’une collection très surprenante de têtes de mort, rassemblée par une donatrice appartenant à une remarquable dynastie de collectionneurs mécènes, la famille Rothschild, que nous invitons nos visiteurs. En témoigne l’ouvrage très complet publié récemment sous la direction de Pauline Prevost-Marcilhacy : Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France. La baronne Henri de Rothschild (1874-1926), née Mathilde de Weisweiller, légua au musée cette collection insolite dont on sait peu de choses quant à sa constitution et à son exposition dans ses résidences de son vivant. Pour rappeler que malgré sa particularité, le thème des memento mori et autres vanités traverse les siècles et fascine toujours les artistes, il nous a semblé intéressant de compléter l’exposition par un choix de peintures anciennes des siècles passés et par une sélection d’œuvres contemporaines. Le visiteur de la Fondation rencontrera ainsi tout au long de sa visite un choix d’œuvres sur ce sujet éternel qui pose la question fondamentale du passage de la vie à la mort. Je remercie vivement Olivier Gabet, directeur des musées des Arts décoratifs, de nous avoir confié cette précieuse collection, et Sophie Motsch, attachée de conservation, qui en est l’éminente spécialiste et a assuré le commissariat de l’exposition et la direction de l’ouvrage qui l’accompagne. Il fallait le talent d’un brillant scénographe pour la mettre en scène et je suis très reconnaissant à Hubert le Gall d’avoir accepté notre invitation afin de traduire la fantaisie de cette collection. Enfin je remercie les nombreux prêteurs, musées, collectionneurs, galeries et artistes qui ont bien voulu nous confier leurs œuvres afin de compléter le parcours et de voyager ainsi à travers plusieurs siècles de vanités dans l’histoire de l’art.

ALFRED PACQUEMENT PR É SI DEN T DE L A FON DATION BEMBERG

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L A BA RONNE , LES VA NITÉS ET LE MUSÉE

ur le tableau peint l’année de ses vingt et un ans, c’est à la fois la fraîcheur des traits, le regard intelligent, l’élégance de l’allure enserrée dans la silhouette corsetée que l’on imagine signée d’un Worth ou d’un Doucet, que l’on retient du portrait de Mathilde de Weisweiller par Jean Béraud en 1895. Depuis peu devenue, par son mariage, la baronne Henri de Rothschild, la jeune modèle rayonne de beauté et d’une personnalité déjà singulière : elle n’est pas encore ce que son mari, lui rendant hommage longtemps après sa mort, dans un livre paru en 1946, nomme « une dame d’autrefois ». C’est plutôt la jeune femme fine et pétillante, pleine de vie, qui marque l’esprit de qui observe attentivement ce portrait de la baronne Henri – les Rothschild ont cela de singulier que le prénom masculin de leurs rejetons se suffit à leur titre. Entre leur hôtel parisien de La Muette et leur résidence de l’abbaye des Vaux-de-Cernay, le baron et la baronne Henri restent dans les mémoires comme un couple accompli, passionné du bien commun comme l’exprime leur investissement respectif dans les œuvres sociales et médicales, et mû par une même passion de la collection, trait partagé par la quasi-unanimité des membres de leur famille. Ce goût de la collection n’a d’égal que le sens inné de la philanthropie et de la générosité qui, à l’instar de leurs cousins Rothschild, s’incarne dans de nombreuses libéralités faites au bénéfice des institutions publiques françaises. Ayant soutenu Pierre et Marie Curie dans leurs recherches si cruciales, le baron Henri s’illustre aussi comme un bibliophile de premier plan, offrant à la Bibliothèque nationale ses collections merveilleuses d’autographes et de livres. Plus originale encore, la baronne Henri réunit au fil des années une collection de vanités, de memento mori, et décide de léguer par disposition testamentaire cet ensemble unique au musée des Arts décoratifs – à son décès en 1926, les œuvres en rejoignent les salles. Impliquée dans la vie mondaine et sociale qui accompagne les premières décennies du musée, c’est assez naturellement qu’elle songea à lui pour abriter le moment venu cette collection si originale aujourd’hui exposée à la Fondation Bemberg de Toulouse. À bien des égards, le musée des Arts décoratifs est un musée de collectionneurs – n’ayant pas été décidé par un souverain ou un président, mais fondé par une communauté d’industriels, d’amateurs d’art, d’artistes et de manufacturiers, il est un peu comme une collection de collections, chaque génération de connaisseurs et de passionnés ayant enrichi son patrimoine de fonds entiers, comme autant de fruits de leurs vies de collectionnisme et de « chine ». C’est ce qui façonne son identité et son caractère original, et ce qui rend évidente, presque naturelle, l’idée lancée l’année dernière de présenter à la Fondation Bemberg de Toulouse cette collection exceptionnelle. Le geste de Georges Bemberg s’inscrit dans une longue histoire de générosité d’une élite éclairée, soucieuse de partager le fruit de ses trouvailles et de ses amours artistiques, et dont les Rothschild comptent parmi les exemples les plus insignes. Aussi est-ce un grand motif de réjouissance que de répondre à l’invitation d’Alfred Pacquement, président de la Fondation Bemberg, tant ce projet fait sens pour nos deux institutions. Qu’il soit sûr de mon affectueuse et respectueuse admiration, tout comme j’ai plaisir à saluer la confiance des membres de son conseil, liés si intimement à la figure de Georges Bemberg. Je tiens à remercier ici très chaleureusement Sophie Motsch, attachée de conservation au musée, merveilleuse d’érudition joyeuse, qui connaît cette collection de vanités comme personne et qui a imaginé cette exposition avec enthousiasme, en complicité avec Philippe Cros, directeur de la Fondation, et grâce au talent vif et curieux d’Hubert le Gall qui en signe la scénographie brillante. Au seuil de ces pages, redonnons à Mathilde de Rothschild son prénom et son caractère. Elle rejoint ces femmes du monde de l’art qui ont tant contribué à la vie des musées en général, et à l’épanouissement du musée des Arts décoratifs en particulier, Martine de Béhague, Augustine Bulteau, Alexandrine Grandjean, Charlotte de Rothschild (l’aïeule de son époux), Marie-Louise Arconati-Visconti, et, bien plus proche de nous, notre présidente d’honneur Hélène DavidWeill. Présentée dans son ensemble pour la première fois depuis fort longtemps, la collection de Mathilde retrouve une unité et redonne la sienne à sa vie de femme et de collectionneuse. OLIVIER GABET DI R EC TEU R DU M USÉE DE S A RTS DÉCOR ATI FS

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SOMMAIRE

I.

II.

III.

IV.

V.

VI.

VII.

VIII.

IX.

X.

MÊME PAS PEUR ! COLLECTION DE LA BARONNE HENRI DE ROTHSCHILD

10

Tempête sous un crâne : Mathilde de Rothschild (1874-1926) collectionneuse

13

La jeune fille et la mort : la collection de la baronne de Rothschild

27

Chapelets et têtes de mort : Memento mori ou bonne comptabilité ?

61

Netsuke et okimono, le Japon sculpté en miniature

75

Les crânes japonais : une autre vision de la mort

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Dans l’œil des crânes. Collectionnisme macabre et autres fantaisies fin de siècle

99

Dramatis personae et dramatis res : le collectionnisme à la Belle Époque

115

Le cœur des crânes : notes sur la collection de la baronne Henri de Rothschild

125

MÊME PAS PEUR ! VANITÉS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

132

Ce qui passe et ce qui dure : les peintures de vanités

135

Vanités contemporaines

153

Bibliographie

169

Index des noms propres

174

Sophie Motsch, attachée de conservation, département xviie-xviiie siècles, musée des Arts décoratifs, Paris Sophie Motsch Andrew Gentry, historien du château de La Muette

Philippe Malgouyres, conservateur en chef, musée du Louvre

Béatrice Quette, chargée des collections asiatiques, musée des Arts décoratifs, Paris Léonore de Magnée, expert en art de l’Extrême-Orient Damien Delille, maître de conférences en histoire de l’art contemporain, université Lumière Lyon 2

Janell Watson, professeur de civilisation et littérature françaises, University of Virginia Tech Marc Rochette, anthropologue

Philippe Cros, directeur de la Fondation Bemberg, Toulouse Annabelle Ténèze, directrice du musée des Abattoirs, Toulouse

cat. 1 Squelette xixe siècle ? Ivoire, H. 26 ; L. 6,1 cm Inv. 25658

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TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE : MATHILDE DE ROTHSCHILD (1874-1926) COLLECTIONNEUSE SOPHIE MOTSCH

DEPUIS TRENTE-CINQ ANS Paris n’avait pas connu de mariage au sein de la famille Rothschild1. Le 21 mai 1895, on célèbre l’alliance entre deux familles originaires de Francfort, Mathilde de Weisweiller épouse le baron Henri de Rothschild. Dès lors, Mathilde sera connue sous le nom de baronne Henri ou simplement Math pour les centaines de soldats blessés et nécessiteux auxquels elle apporte, comme infirmière et philanthrope, réconfort moral et secours matériel, en restant fidèle à la devise de la famille Rothschild Concordia, industria, integritas (union, travail, honnêteté), pour qui la philanthropie est la plus respectable des vertus. Sa discrétion contraste avec la notoriété de son mari, auteur prolifique et bon vivant.

GRAND MARIAGE ET ALLIANCE PRESTIGIEUSE

Pages précédentes : cat. 2 Tête de mort xixe siècle ? Ivoire, H. 5 ; L. 4,5 ; l. 5,7 cm Inv. 25687

LE MARIAGE CIVIL a lieu le 21 mai 1895 à la mairie

du VIIIe arrondissement et le lendemain après-midi au temple de la rue de la Victoire, la cérémonie est présidée par le rabbin Zadoc Kahn. À l’issue de celle-ci, les invités se rendent à la réception donnée par la baronne Charlotte, dans ses salons, 33 rue du Faubourg-Saint-Honoré. La foule considérable admire les bijoux de la corbeille, en particulier les présents du fiancé : une spectaculaire pièce de corsage, un bracelet en perles à bandes de diamants, un tour de cou de douze rangs de perles, et ceux de sa belle-mère, un diadème émeraude et un bracelet en diamants tous signés J. et P. Bapst et fils. Le Figaro et Le Gaulois consacrent de longues colonnes à cette actualité mondaine en soulignant le caractère original du marié qui ne

1 Le Figaro, jeudi 23 mai 1895, p. 1.

cat. 3 Jean Béraud (1849-1936) Portrait de Mathilde de Weisweiller (détail) Paris, 1895 Huile sur toile Collection particulière

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fig. 5 Jean-Louis Forain (1852-1931) Affiche Le Bon Feu Paris, 1916 H. 119,5 ; L. 80 cm Paris, musée des Arts décoratifs Inv. 12788

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cat. 3 Jean Béraud (1849-1936) Mathilde de Weisweiller Paris, 1895 Huile sur toile Collection particulière

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LA JEUNE FILLE ET LA MORT : LA COLLECTION DE LA BARONNE DE ROTHSCHILD SOPHIE MOTSCH ANDREW GENTRY Sic transit gloria mundi

CONTEXTE ET VIE CULTURELLE DE LA SECONDE MOITIÉ du XIXe siècle aux années

1920, le goût du macabre est en vogue. En littérature par exemple, cette veine est explorée par des auteurs aussi divers que George Sand, Alfred de Vigny, Victor Hugo et Paul Bourget (1852-1935) ; ce dernier choisit, pour illustrer son ex-libris, une image de charnier au bord de la mer, dont un crâne émerge au premier plan tandis qu’une silhouette spectrale s’estompe vers l’horizon, le tout accompagné de la devise « Hora fugit »1. Au quotidien, Paris s’amuse à se faire mourir de rire dans les cabarets montmartrois au décor macabre comme Le Cabaret du Néant ou L’Enfer, boulevard de Clichy où, sous l’éclairage blafard d’un lustre fait d’un crâne et de fragments de squelette, les clients sont attablés autour de cercueils et servis par des garçons habillés

cat. 8 Sainte (?) tenant un crâne et un cœur (détail) Espagne ?, xixe siècle Bois peint et doré, H. 29 ; L. 13 ; l. 7 cm Inv. 25657

en croque-morts. Dans le même esprit, Sarah Bernhardt (1844-1923) s’inscrit dans cette tendance en incarnant Hamlet à la scène (fig. 9) et en faisant, à la ville, ses débuts de sculpteur avec Le Fou et la Mort (fig. 8), tandis que le soir venu, elle s’endort dans un cercueil, BlancheNeige symboliste. L’amateur de sensations fortes frissonne durant les séances de spiritisme dont la mode se répand, ou alors se rend au théâtre du Grand Guignol dont les représentations avaient lieu, entre 1897 et 1962, dans une chapelle désaffectée2. Il peut aussi acheter des vues stéréoscopiques aux noms évocateurs « Revue de la garde infernale », « Cabinet d’étude de Satan » ou encore « La torture en enfer » rassemblées sous le nom de « Diableries », qui montrent des squelettes singeant les humains dans des scènes de la vie quotidienne du diable aux Enfers3. Déjà Baudelaire (1821-1867), dans une de ses critiques d’art, s’intéressait à l’évolution de la représentation du squelette : « On croit généralement, peut-être parce que l’Antiquité ne le connaissait pas ou le connaissait peu, que le squelette doit être exclu du domaine de la sculpture. C’est une grande erreur. Nous le voyons

1 Ebenstein, 2017, p. 242. 2 Idem, p. 314-315. 3 Idem, p. 304-305. Vendues à Paris entre 1860 et 1900 environ, les vues stéréoscopiques étaient une critique du Paris décadent durant le second Empire. Une fois projetées, les images en noir et blanc imprimées apparaissaient en relief et les yeux des créateurs diaboliques s’illuminaient en rouge pour un effet des plus saisissants.

fig. 8 Sarah Bernhardt (1844-1923) Le Fou et la Mort ou Fou posant la main sur un crâne humain France, 1877 Bronze fondu par G. Martin, H. 32 ; L. 28 ; Pr. 28 cm Dijon, musée des Beaux-Arts, inv. DG 2006-15

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cat. 12

POMMEAU DE CANNE À SYSTÈME Briggs & Sons Paris ou Londres, vers 1900 Ivoire, polychromie, mécanisme en métal H. 3,5 ; L. 3,5 ; Pr. 5 cm Inv. 25678

Cette tête de mort tirant la langue est un pommeau de canne à système semblable à celle qui est reproduite dans le catalogue commercial de Briggs & Sons, fabricant anglais établi au 23 St James’s Street à Londres et dont la succursale parisienne se trouvait au 33 avenue de l’Opéra à Paris. Sur la page des « cannes à système », au milieu des cannes pisseuses envoyant des gerbes d’eau, des cannes-sifflets ou des cannes porte-allumettes, est illustrée une canne dont le pommeau est composé d’une tête de mort, représentée langue tirée et yeux exorbités (fig. 16)1. Vendue 115 francs, soit près du triple des autres objets du même type, c’est la plus chère des cannes à système, sans doute en raison de la complexité du mécanisme, actionnant les yeux selon trois positions, et faisant sortir la langue. On ignore si la baronne avait fait l’acquisition de la canne complète à Londres ou à Paris ou si elle n’en avait jamais possédé que le pommeau. SOPHIE MOTSCH

1 Catalogue commercial Briggs & Sons, vers 1900, no 23 p. 15. Je remercie vivement mesdames Laurence et Chloé Jantzen, antiquaires, de m’avoir consacré du temps et fait connaître la Maison Briggs & Sons.

fig. 18 Briggs & Sons Catalogue commercial Paris, vers 1900 Collection Jantzen

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cat. 16 Vitrail France ?, xvie ou xviie siècle ? Verre, plomb, diam. 34 cm Inv. 25749

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VANITÉS OBJETS NOIRS SUR FOND BLANC Dans les beaux-arts, lorsque la nature morte, qui porte déjà en elle la notion de vanité en opposant les termes nature et mort, est composée de symboles évoquant la précarité de la vie et l’inanité des occupations humaines, elle est appelée « vanité ». Ainsi, le sablier rappelant le temps qui passe, les fleurs aux pétales fanés, la bougie consumée dont la flamme s’éteint et le livre qui symbolise souvent la Bible comptent parmi les éléments récurrents des représentations. Le crâne prend place dans ce paysage mental imaginaire replaçant l’homme au sein de ses vains plaisirs et occupations. SOPHIE MOTSCH

1. Crâne, xviie siècle (?), bois H. 8 ; L. 10 ; l. 7,5 cm Inv. 25655

2. Crâne, France (?), xviie siècle (?), buis H. 11,5 ; L. 13 ; l. 8,5 cm Inv. 25727 3. La Mort archer, Allemagne du Sud, vers 1630, buis H. 15,5 ; L. 6 ; l. 13 cm Inv. 25738 4. Crâne, buis H. 5,5 ; L. 8 ; l. 4 cm Inv. 25689

5. Crâne, bois H. 6,2 ; L. 4 ; l. 5,5 cm Inv. 25723

6. Crâne, fer forgé H. 18 ; L. 17 ; l. 12 cm Inv. 25792

7. Crâne, buis H. 6,5 ; L. 5,5 ; l. 4 cm Inv. 25677

8. Crâne, Allemagne, xvie siècle, aulne H. 14,5 ; L. 16,5 ; l. 13 cm Inv. 25758 9. Crâne, buis H. 3 ; L. 3 ; l. 2 cm Inv. 25754

10. Crâne, xviie siècle (?), chêne H. 11 ; L. 11 ; l. 8,5 cm Inv. 25656

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VANITÉS OBJETS BLANCS SUR FOND NOIR Toutes les œuvres sont en ivoire, sauf indication contraire. 1. Pendentif, France, xviie siècle, cristal de roche H. 4 ; L. 3,3 ; l. 4 cm Inv. 25645

2. Crâne H. 3 ; L. 3,5 ; l. 2,5 cm Inv. 25694 3. Crâne H. 4,5 ; L. 5 ; l. 7 cm Inv. 25735

4. Crâne H. 3 ; L. 3,5 ; l. 2,5 cm Inv. 25693

5. Crâne, pierre H. 5,4 ; L. 5,3 ; l. 6,3 cm Inv. 25699

6. Crâne, pierre H. 2,6 ; L. 2,2 ; l. 2,4 cm Inv. 25675

12. Crâne H. 4 ; L. 4,5 ; l. 3 cm Inv. 25724

7. Crâne, xviiie siècle, faïence H. 13 ; L. 16 ; l. l0 cm Inv. 25793

13. Squelette, xixe siècle (?) H. 14 ; L. 3,5 ; l. 2 cm Inv. 25726

9. Crâne, xviiie siècle, pierre H. 14,5 ; L. 21 ; l. 14 cm Inv. 25757

15. Crâne H. 5,6 ; L. 5 ; l. 5,9 cm Inv. 25695

8. Crâne H. 4,5 ; L. 4,2 ; l. 5 cm Inv. 25706

10. Crâne H. 5 ; L. 4,5 ; l. 5,7 cm Inv. 25687

11. Crâne H. 5,2 ; L. 5,3 ; l. 6,7 cm Inv. 25731

14. Crâne H. 11,5 ; L. 12 ; l. 10 cm Inv. 25732

16. Crâne H. 2,4 ; L. 2,6 ; l. 2,2 cm Inv. 25697

17. Crâne H. 6,2 ; L. 5,3 ; l. 4,9 cm Inv. 25685

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CHAPELETS ET TÊTES DE MORT : MEMENTO MORI OU BONNE COMPTABILITÉ ? PHILIPPE MALGOUYRES

SOUS LE NOM COMMODE de chapelet, nous ran-

geons divers objets composés de perles enfilées qui servent à compter des prières récitées, dizains, patenôtres, rosaires et couronnes de prière. Le nombre et le rythme des perles, comme le type d’oraison que l’on y récite, caractérisent la dévotion mais l’instrument de calcul, surtout avant le XVIIe siècle, peut rester indifférencié, du moment qu’il permet de tenir ses comptes. Ce peut être une simple corde nouée, quelques noyaux enfilés ou un somptueux bijou de pierres précieuses. Lorsqu’il se fait ainsi accessoire du costume, tel qu’on le voit si souvent entre les mains des hommes et des femmes qui posèrent pour leur portrait au début du XVIe siècle (fig. 23), il s’enrichit de nouveaux éléments qui ne sont pas fonctionnels mais expriment certains aspects symboliques de cette pratique. Par exemple, ce sont des pommes de senteur en orfèvrerie, que l’on manipule de toute façon pour se parfumer les mains, qui deviennent la métaphore du parfum agréable des prières : elles composent, avec les Ave que l’on répète, un bouquet de roses offert à la Vierge. Ce sont aussi les imitations en buis de ces sphères profanes, qui ne contiennent pas du musc ou de l’ambre gris, mais la représentation miniature des fig. 23 Christoph Amberger (vers 1505 - 1561 ou 1562) Portrait d’un homme de vingt-cinq ans. Entre ses doigts, un chapelet portant un crâne Huile sur bois, H. 39 ; L. 33 cm Paris, musée du Louvre, département des Peintures, inv. 1350

mystères du salut1. Ces « grains de chapelet » qui s’adressent à l’œil et non au doigt, en plaçant sous le regard l’image de la passion du Christ ou des fins dernières, rappellent la fonction salvifique de la prière et donc du chapelet. D’autres accessoires peuvent être attachés à ces perles, jouant le rôle de parerga : ils contribuent au sens de manière périphérique et marquent à la fois la possession de l’objet et la piété de son propriétaire (reliquaires, statuettes, souvenirs de pèlerinage, etc.). L’une des adjonctions les plus expressives à ces séquences de perles est celle d’un crâne (fig. 24). Il peut bien sûr s’agir d’une simple vanité, d’un memento mori bienvenu sur un objet de piété. C’est ainsi que ces perles sont généralement interprétées2, dans un sens qui reste vague car la tête de mort est un motif presque aussi banal aux XVIe et XVIIe siècles que maintenant. La plupart de ces perles ne se trouvent pas aujourd’hui sur des chapelets et l’on doit s’interroger : furent-elles dissociées à un certain moment d’un chapelet ou sontelles autre chose ? Il ne faut pas assimiler trop vite ces perles portant des figures de vanité à des grains de chapelet : dans les inventaires anciens, ces têtes de mort

1 Scholten, 2016 ; Malgouyres, 2017a, p. 52-59. 2 Par exemple dans Speakman, 2017, p. 210-227.

fig. 24 Chapelet xviiie-xixe siècle Bois et ambre sur cuivre, laiton Collection particulière

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CHAPELETS ET TÊTE S DE MORT : MEMENTO MOR I OU BONNE COMPTABILITÉ

Une œuvre inédite de Diego Reinoso y Sandoval, Mexique, 1647

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CRUCIFIXION Diego Reinoso y Sandoval Mexique, 1647 Albâtre, traces de polychromie H. 4,5 ; L. 3 ; l. 1,4 cm Inv. 25789

En étudiant cette collection, nous nous sommes arrêtés sur une curieuse sculpture miniature (fig. 1 a, b, c, d) : il s’agit d’un relief en albâtre double face, dont les tranches sont également sculptées et qui porte des traces de polychromie. D’un côté, le Christ crucifié et encadré des larrons est accompagné de la Vierge et de saint Jean. La croix est plantée sur un énorme crâne, qui explique la présence de ce relief dans la collection. De l’autre côté, la Vierge couronnée et entourée de chérubins étend son manteau sur deux orants, comme une Vierge de miséricorde médiévale. Son costume est celui d’une religieuse, avec robe, manteau et scapulaire sur lequel on devine les restes d’un emblème. La Vierge de Miséricorde ainsi vêtue et couronnée est la Vierge de l’ordre des Mercédaires ou du rachat des captifs, qui porte sur sa poitrine l’emblème de l’ordre dont on voit ici la trace. Les petits côtés sont sculptés de figures de saints moines barbus dans des niches. Un relief de bois de même sujet (fig. 29), autrefois à Quito1, permet d’en préciser le sens : la Vierge tient sous sa

protection les deux orants, probablement les esclaves libérés, et deux saints de l’ordre de la Merci, peut-être saint Pedro Nolasco et saint Ramon Nonato, tous deux canonisés en 1628, qui sont ici représentés sur les côtés. Le canon trapu des figures, les détails des costumes, la stylisation des plis et des plumes et le type des visages permettent de rapprocher cette sculpture du monde hispanique. Plus précisément, par sa taille et sa structure double face, elle rappelle certains ivoires polychromés produits au Mexique au XVIIe siècle2. Le petit côté inférieur porte une inscription fragmentaire : [...] REINO [...] / fesit Ano DEI [?] 1647, dans laquelle nous proposons de lire la signature de Diego Reinoso, un sculpteur actif au Mexique au XVIIe siècle qui laissa son nom sur trois autres petites sculptures d’un genre apparenté. La plus anciennement connue est celle du Victoria & Albert Museum à Londres3 (fig. 30). Le relief est en pierre avec des traces de dorure et de polychromie et des incrustations de cristal de roche dans le

cat. 39 Détail de la signature Inv. 25789

cadre. Il représente saint Dominique et porte au revers l’inscription, sur un médaillon d’ivoire rapporté : DiEGO REiNOSO / iNVEN / TOr EN / mxico / 1696. Le relief allie les caractéristiques de la sculpture hispanique dans ses inflexions du Nouveau Monde et quelques traits empruntés à l’ExtrêmeOrient (l’animal aux pieds du saint qui semble un chien Fô), un type de synthèse qui apparaît dans les ivoires dits hispanophilippins, produits en Chine pour le marché américain et européen et qui, pour une part, transitaient par le Mexique. Un second relief signé de l’artiste apparu dans une collection californienne (fig. 31 a) fut publié par Pál Kelemen en 19694. Il s’agit d’une plaque double face représentant la Vierge de l’Immaculée Conception entourée des attributs des litanies. Au dos, une inscription très complète où le nom de l’auteur prend une forme aristocratique : DIEGO DE REiNOSO ISaNDOVAL ME FECiT EN LA SviDaD [sic] DE MEXiCO 1637. Kelemen indique que le médaillon est en ivoire, ce qui est surprenant vu sa taille. Un examen

fig. 29 Vierge de la Merci Bois

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NETSUKE ET OKIMONO, LE JAPON SCULPTÉ EN MINIATURE BÉATRICE QUETTE « Un beau netsuke, avec son poli merveilleux, son originalité, son fini sans égal, son esprit, où souvent éclate la plus fidèle observation de la nature, constitue tout simplement le bibelot idéal 1. »

PARMI LES QUELQUE deux cents objets qui constituent la collection de têtes de mort léguée, en 1926, par la baronne Henri de Rothschild à l’Union centrale des arts décoratifs, plus de vingt d’entre eux sont d’origine japonaise. Ils se répartissent en une dizaine de netsuke et une douzaine d’okimono, datables de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle, soit pour une grande majorité de l’ère Meiji (1868-1912).

INDISPENSABLES NETSUKE POUR LES « CHOSES À SUSPENDRE »

1 Trower, 1890, no 27, p. 29-35.

LE VÊTEMENT TRADITIONNEL JAPONAIS étant

Netsuke

Obi

Ojime

dépourvu de poches, ce sont les manches qui permettent de ranger les effets petits ou légers que l’on souhaite avoir avec soi. La ceinture, obi, peut servir à fermer les vêtements généralement portés superposés, mais elle est également le support indispensable de tous les objets trop lourds ou trop grands pour entrer dans les manches. Les samouraïs, par exemple, se servent de la ceinture pour y glisser leurs sabres qui viennent souvent en paire, mais aussi leur éventail. Les petits objets utiles lorsqu’on se déplace sont appelés sagemono ou « choses à suspendre ». Ainsi l’étui à pipe (kiseru), la boîte ou la blague à tabac (tonkotsu / tabako-ire), le nécessaire à écrire portatif

Inrō

fig. 32 Schéma

cat. 44 Okimono tête de mort surmontée d’un serpent dévorant un crapaud Japon, seconde moitié du xixe siècle Ivoire, H. 5,8 ; L. 4,7 ; l. 5 cm Inv. 25653

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LES CRÂNES JAPONAIS : UNE AUTRE VISION DE LA MORT LÉONORE DE MAGNÉE

« La maison, la femme avait disparu dans la brume. Au milieu des herbes sèches, je me retrouvai seul avec mes bottes de neige à moitié lacées. À mes pieds, un crâne blanchi 1. »

LA PARTIE JAPONAISE de la collection de la

baronne de Rothschild est composée de netsuke et d’okimono en forme de crâne, et de squelettes. Le motif du crâne nous est familier en Occident, le thème du memento mori y est ancien, puisqu’il s’agit d’une tradition chrétienne, celle des vanités. Si le Japon a également une tradition de représentation des crânes et squelettes pour signifier le caractère transitoire de la vie et rappeler la certitude de la mort, les origines et significations religieuses, littéraires et artistiques de ces images sont sensiblement différentes de celles exécutées en Europe. L’image du crâne blanchi, abandonné à terre parmi les herbes, se rencontre depuis les temps anciens dans l’imaginaire japonais, notamment dans une célèbre légende mettant en scène deux des plus grands poètes de l’histoire du Japon, ayant vécu à l’époque Heian (794-1185). Ono no Komachi (circa 825 - circa 900) fut une poétesse célébrée pour son talent et sa beauté, qui aurait fini sa vie pauvre, vieille et laide, errant dans le pays. C’est ainsi, dans son grand âge, assise sur un sotoba (tablette funéraire) tombé au sol qu’elle sera souvent représentée au XIXe siècle, sous forme de netsuke ou

sur des estampes. Cette légende raconte qu’Ariwara no Narihira (825-880), autre poète fameux de cette période dont les aventures, authentiques ou inventées, en ont fait un quasi-héros de roman, aurait quitté la capitale vers l’est pour fuir un scandale, et une nuit qu’il s’était arrêté, il entendit sur la lande une voix récitant le début d’un poème : « Le vent d’automne (Akikaze no) Quand il se met à souffler (fuku ni tsukete mo) Ah mes yeux ! mes yeux ! (ana me ana me2 ). » C’était si étrange qu’il se mit à chercher mais ne vit personne, seul un crâne abandonné dans la lande. Le lendemain matin, il retourna voir le crâne et vit que des roseaux (susuki) sortaient de ses orbites vides : c’était la plainte des tiges bruissant sous le vent qu’il avait entendue. Il questionna les gens des environs et on lui raconta qu’Ono no Komachi était venue par ici et y avait fini ses jours. Ce crâne était donc le sien. Saisi d’une profonde tristesse, Narihira composa alors la fin du poème : « Je ne parlerai plus d’Ono/ de cette lande (Ono3 to ha iwaji ) Les roseaux ont poussé (susuki oikeri). »

1 L’écrivain japonais Kôda Rohan, dans sa nouvelle Face au crâne (1890), où il rencontre une femme magnifique en pleine montagne, croit passer la nuit dans la cabane de la belle à lui parler, et se retrouve seul aux premières lueurs de l’aube, un crâne blanchi à ses pieds. Face au crâne dans Rohan, 2009, p. 81-117. 2 Expression de douleur à l’œil. 3 Ono signifie « petite lande » et désigne ici aussi Ono no Komachi.

fig. 43 Kuniyoshi Nozarashi Gosuke portant un long sabre (détail) de la série Mercenaires célèbres vus par Kuniyoshi Japon, vers 1845, époque d’Edō Gravure sur bois Boston, Museum of Fine Arts

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DANS L’ŒIL DES CRÂNES. COLLECTIONNISME MACABRE ET AUTRES FANTAISIES FIN DE SIÈCLE DAMIEN DELILLE

LE MOTIF de la tête de mort appartient plus qu’à tout autre au passage du XXe siècle, et les différentes évoca-

tions artistiques et littéraires ne sauraient contredire cette idée. Dans sa nouvelle Les Trous du masque, Jean Lorrain (1855-1906) évoque en 1895 l’étrange déréliction urbaine qui mène son narrateur à contempler l’image squelettique de la mort dans son propre reflet : « Je sentais ma raison sombrer dans l’épouvante ; le surnaturel m’enveloppait ! Cette rigidité, le silence de tous ces êtres masqués ! Quels étaient-ils ? Une minute d’incertitude de plus, c’était la folie ! Je n’y tenais plus1. » Cette démarche introspective correspond aussi à la constitution d’une collection macabre que la baronne Henri de Rothschild confie à sa mort, en 1926, au musée des Arts décoratifs de Paris. Deux collections semblent être, en partie, à l’origine de cet ensemble de plus de cent quatrevingts pièces : une première collectée par Maurice Le Barbier de Tinan (1842-1918) et dont la vente en 1919 a permis d’identifier certaines pièces2 ; une seconde de 1900, plus mystérieuse, qui provient de la collection d’Auguste Ducoin (1814-1894), banquier grenoblois et féru d’art3. L’étude de ces collections doit permettre de désépaissir le mystère qui hante l’étrange collectionnisme de Mathilde de Rothschild.

COLLECTIONNISME ET EXCENTRICITÉ LA PSYCHOLOGIE du collectionneur évolue tout au long du XIXe siècle au gré de l’essor d’une classe bourgeoise, qui conduit le collectionneur marginal et excentrique, à l’image du Cousin Pons de Balzac, à s’intégrer socialement dans les dons qu’il fait au musée4. L’acceptation et la respectabilité vont de pair avec une dimension spéculative. Le collectionneur et le bibliomane témoignent d’un goût original qui touche à l’art et à l’érudition, tout en conciliant cette passion avec les valeurs utilitaires de la bourgeoisie. L’accession progressive aux objets rares, grâce aux salles de vente comme l’hôtel Drouot, modifie le rapport du collectionneur à l’objet. À la fin du siècle, de nombreux ouvrages dispensent des manuels de « savoir-collectionner », en correspondance avec une grammaire des styles qui sert à l’amateur ou au curieux. Comme le soutient Spire Blondel, l’objectif est d’égayer l’intérieur bourgeois et de jouir de l’accumulation des objets, dont l’authenticité et l’originalité

1 Lorrain, 1895, p. 197. 2 Catalogue des objets d’art…, 1919. Nous renvoyons aux premiers éléments de l’enquête dans Motsch, 2016, II, p. 228-235. 3 Catalogue de la très curieuse collection d’objets macabres…, 1900. 4 Pety, 2001, p. 71-81 ; Charpy, 2007, p. 105-128.

fig. 48 L’Office de la Vierge Marie Paris, 1586 Cuir doré aux petits fers Reliure macabre offerte par Henri III à Nicolas de Thou, évêque de Chartres (1528-1598) Bibliothèque d’Angers, Rés. T 1341

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cat. 55 Épingle de cravate Banquier fumant le cigare Paris, vers 1890-1900 Or, émail, diamants taille rose H. 1,7 ; L. 2 ; l. 1 cm Inv. 25772

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ÉPINGLE DE CRAVATE « PIRATE » Angleterre ou France ? xixe siècle Ivoire, or, émail, diamants taille rose, rubis taille cabochon H. 6 ; l. 1,5 cm Inv. 25783

Bibliographie : Mauriès et Possémé, 2018, p. 121 repr.

Avec ses yeux de rubis, ses os émaillés et sa minuscule tête en ivoire, cette petite épingle de cravate ne devait pas passer inaperçue. Pourrait-il s’agir d’un bijou de deuil, distribué lors des funérailles comme les bagues dont le chaton est une tête de mort émaillée ? Immanquablement, elle nous fait penser au symbole représenté sur le pavillon des pirates, tête et tibias croisés, blancs sur fond noir, qui était utilisé et diffusé dans l’imagerie populaire via les armées européennes dès le XVe siècle, bien qu’on attribue généralement la création du premier pavillon noir dit Jolly Roger au capitaine français Emmanuel Wynne1. SOPHIE MOTSCH

1 Emmanuel Wynne serait mort en 1700 dans les Caraïbes lors de l’attaque de son navire au large de Santiago de Cuba.

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DRAMATIS PERSONAE ET DRAMATIS RES : LE COLLECTIONNISME À LA BELLE ÉPOQUE JANELL WATSON

COMMENT EXPLIQUER qu’un couple Rothschild

vivant à Paris et possédant d’importantes collections d’art et d’œuvres littéraires ait aussi collectionné des têtes de mort décoratives d’un goût, d’une valeur marchande et d’un intérêt artistique très diversifiés ? La thématique de la tête de mort n’aurait guère surpris du temps des symbolistes, des décadents et des mystiques1. La collection n’étonne que parce qu’elle a appartenu à Mathilde de Rothschild, qui vivait alors dans un hôtel rempli de peintures et de mobilier du XVIIIe siècle hérités pour la plupart de la grand-mère de son mari Henri2, la baronne Nathaniel, dont le goût était même admiré par Edmond de Goncourt, arbitre autoproclamé des sensibilités artistiques à la Belle Époque3. Les maigres informations disponibles sur Mathilde ne permettent pas d’expliquer les motivations qui l’ont conduite à collectionner ces objets macabres4. Le lien collectionneurcollection entre Mathilde et ses crânes reste un mystère. Étant donné l’absence d’informations sur la collectionneuse de ces crânes, je propose de renoncer au modèle d’analyse habituel du collectionnisme qui se fonde sur le lien sujet-objet, ainsi qu’au couple paradigmatique « collectionneur-collection » qui postule l’existence d’un

individu humain (le collectionneur) considéré dans sa relation avec un ensemble d’objets non-humains (la collection). Plutôt, dans la lignée de Bruno Latour, je souhaite reconceptualiser le collectionnisme en tant qu’« acteur-réseau » humain / non-humain, soit une entité hybride composée de collectionneurs, de marchands, d’artisans, du marché et de « quasi-objets » – ces biens matériels dotés d’un mystérieux pouvoir d’agir5. Michel Serres décrit le pouvoir du quasi-objet en se servant de l’image d’un ballon de rugby, objet banal lorsqu’il repose sur la ligne de touche mais qui, au cours du jeu, fonctionne tel un quasi-objet dirigeant l’action des joueurs des deux équipes et les transformant en « quasisujets ». « Nous croyons que des sujets manipulent cette boule gonflée ; quelle erreur, elle trace leurs relations », souligne Serres. « À suivre sa trajectoire, leur équipe se crée, se connaît, se représente. Oui, actif, le ballon joue6. » La balle joue les joueurs. De même, les objets de collection « jouent » les collectionneurs, constituant les relations entre les humains quasi-sujets qui les achètent, les vendent, les collectionnent ou les conservent. En retraçant la trajectoire des quasi-objets d’art au XIXe siècle, je resitue l’acteur-réseau que forme Mathilde et sa

1 Motsch, 2016. 2 Prévost-Marcilhacy, 2016. 3 Goncourt, 1959, t. 3, p. 460. 4 Motsch, 2016. 5 Latour, 1991. 6 Serres, 1994, p. 47-48.

cat. 63 Tête de mort France, xviie siècle ? Ivoire, H. 11,5 ; L. 12 ; l. 10 cm Inv. 25732

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DR A M ATIS PERSONAE E T DR A M ATIS R ES : L E COL L EC T ION N ISM E À L A BE L L E ÉPOQU E

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ÉPINGLE DE CRAVATE BANQUIER FUMANT LE CIGARE Paris, vers 1890-1900 Or, émail, diamants taille rose H. 10 ; l. 1,3 ; Pr. 2,4 cm Inv. 25784

Bibliographie : Mauriès et Possémé, 2018, p. 123 repr.

Cette spectaculaire épingle de cravate en or émaillé aux yeux de diamants est d’un réalisme saisissant. C’est une véritable caricature du bourgeois capitaliste et, en particulier, du banquier fumant un gros cigare et portant des bésicles, diffusée au cours du XIXe siècle en même temps que se développait le métier de banquier. En faisant l’acquisition de ce bijou, la baronne de Rothschild a fait preuve d’une autodérision qui est à l’image de certains des objets composant cette collection thématique. SOPHIE MOTSCH

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CANNE France, vers 1890-1900 Ivoire, jonc de malacca Pommeau : H. 12,5 ; l. 4,4 cm Inv. PR 2015.2.9

Avec son pommeau vertical composé d’un crâne posé sur deux fémurs entre lesquels se glisse un serpent, cette canne se démarque de l’ensemble de la collection par la finesse de sa sculpture. Avec le netsuke taillé dans un os humain (cat. 53), cet objet est le seul pour lequel la provenance est connue ; en effet, sur la liste des œuvres établie dans le cadre du legs, il est noté que la canne a été achetée chez Cazal. Établi au 169 rue Montmartre, ce fabricant et marchand de cannes, de parapluies et d’ombrelles est aussi l’auteur d’une histoire des cannes à travers les âges1. En 1836, dans le Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, il avait même proposé des perfectionnements techniques pour ces objets avant tout utilitaires2. Dans la troisième partie de son ouvrage dédiée à L’histoire de la canne et de sa fabrication, Cazal consacre plusieurs lignes aux matériaux les plus usités : « On sait généralement que l’on trouve les dents d’éléphants soit dans les forêts que ces animaux habitent en troupes, soit dans les lieux fangeux où ils aiment se vautrer. Ainsi au Sénégal, aux abords du lac appelé dans le pays de Paniefoul, on trouve constamment des dents d’éléphants ; il en est de même dans l’île immense que forme le cours du Sénégal et que l’on nomme île au Morphil, à cause de la grande quantité de dents d’éléphants, ou morphil, que l’on y rencontre ; aussi la colonie du Sénégal exporte-t-elle une grande quantité de dents par les navires de Marseille, de Bordeaux, de Nantes et du Havre. Il y a des défenses de 5 mètres de longueur et d’épaisseur de la cuisse d’un homme. Il y en a qui pèsent de 30 à 100 kilos. Les dents, dont nous venons de parler, produisent l’ivoire le plus blanc de tous. [...] La matière dont on fait le plus communément des cannes est le jonc, qui compte de soixante à soixante-dix espèces : c’est celui de Madagascar et de l’Inde qui est surtout employé à faire ces belles tiges de cannes quelquefois difficiles à trouver dans toute une cargaison3. » SOPHIE MOTSCH

1 Cazal, 1844. 2 Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, 1836. 3 Cazal, 1844, p. 81-82.

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LE CŒUR DES CRÂNES : NOTES SUR LA COLLECTION DE LA BARONNE HENRI DE ROTHSCHILD MARC ROCHETTE

« Nul ne peut prendre son mourir d’autrui. [...] Son mourir, tout Dasein doit nécessairement à chaque fois le prendre lui-même sur soi. La mort, pour autant qu’elle “soit”, est toujours essentiellement mienne, et certes elle signifie une possibilité spécifique d’Être du Dasein à chaque fois propre. » HEIDEGGER1

CONSTITUER UNE COLLECTION est un acte anthropologique total. Il s’appuie non seulement sur les fondements profonds de l’imaginaire de la société dans laquelle celle-ci est constituée hic et nunc mais encore, il est comme une source vive du développement psychique de l’individu qui la constitue. Ce double mouvement, qui va de l’esprit du temps de la culture dans laquelle se déploie cette collection aux soucis intimes de son créateur, il convient d’en évoquer les deux composantes pour aborder et peut-être mieux appréhender la logique interne, qui nous parle sans paroles, de l’accumulation de représentations de crânes factices que la baronne Henri de Rothschild a léguée au musée des Arts décoratifs en 1926. Collectionner, remarquait justement Krzysztof Pomian, permet de parler de l’invisible à travers des objets, par-delà leur forme visible. Ouvrant un espace imaginaire pour non seulement « parler des morts comme s’ils étaient présents [...], du lointain comme s’il était proche, et du caché comme s’il

était apparent2 ». L’acte créatif d’accumulation du collectionneur, comme le concevait Thorstein Veblen dans une perspective de critique culturelle, met en valeur le temps improductif par excellence : le loisir. La collection remplace alors avantageusement les anciens trophées, prestige du chasseur, par de nouveaux symboles témoignant de l’exploit de vivre sans nécessité productive, par et pour le loisir. Quoi de plus exemplaire dans cette perspective qu’une collection fondamentalement « inutile » pour montrer cet usage du temps hors du travail dans le loisir3 ? Ce qui, pour une femme collectionneuse et lettrée, chasseuse passionnée, rapporte sa passion pour l’accumulation des crânes et squelettes fictifs à une possibilité de consacrer un temps hors du temps mondain, disponible pour dialoguer avec ses invisibles. 1 Heidegger, 1985, p. 194. 2 Pomian, 1987, p. 37. 3 Veblen, 1970.

fig. 56 Tête-trophée : Parinaa Munduruku, Brésil, xixe siècle Tête humaine, coton, plumes, poix, boules de résine, dents d’agouti, H. 27 ; L. 30 ; l. 24 cm Paris, musée du Quai Branly, inv. 71.1950.87.1

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MÊME PAS PEUR !

VANITÉS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

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CE QUI PASSE ET CE QUI DURE : LES PEINTURES DE VANITÉS PHILIPPE CROS

LA VANITÉ OU COMMENT DIRE L’ÉPHÉMÈRE… LORSQU’ON ABORDE le sujet de ce type de peintures, il convient tout d’abord de rappeler que le terme de vanité, genre particulier de nature morte, est issu de la phrase de l’Ecclésiaste, livre de l’Ancien Testament : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Le mot lui-même vient du mot latin « vanitas » et de « vanus » signifiant « vain ». Le ton est en quelque sorte déjà donné... Une vanité, représentation allégorique du passage du temps (le sujet de la vanité n’est en fait stricto sensu ni la mort, ni la vie, mais la « transition » entre l’une et l’autre), rappelle la vacuité des activités et des passions humaines, et désigne donc ce qui est frivole et insignifiant. Les vanités, ces « memento mori » (« Souviens-toi que tu vas mourir »), sont des œuvres qui nous rappellent que

cat. 72 Sébastien Bonnecroy, (1618 ? - 1676) Vanité, 1641 Huile sur toile, H. 50 ; L. 40 cm Strasbourg, musée des Beaux-Arts

nous sommes mortels, et le message est donc de méditer sur la nature passagère de la vie humaine. La vanité transmet à l’observateur un message spirituel à grave valeur symbolique : face à la mort qui guette, ce dernier est invité à modérer ses passions et à renoncer de bonne grâce aux plaisirs existentiels. Illustrant symboliquement le thème philosophique de l’impermanence de la vie humaine, les vanités peuvent être diversement des natures mortes, des images de saints ou encore des allégories qui représentent l’aspect dérisoire des biens terrestres, la vanité des plaisirs et l’inéluctabilité du trépas. Ces rappels sont en fait non seulement présents dans les représentations du plaisir et de la richesse, mais aussi dans l’évocation des activités humaines en général, telles que la science, rappelant là encore la relativité de la connaissance humaine.

Pages précédentes : cat. 71 Jean-Michel Alberola (né en 1953) Crâne, 1995 Néon, H. 18,5 ; L. 25 cm Fondation Cartier pour l’art contemporain

Sébastien Bonnecroy

Dans la composition, une lettre pliée porte l’adresse suivante : « Monsieur, Mr Sébastien Bonnecroy… » On ne sait pas grand-chose de Sébastien Bonnecroy (1618 ? - 1676). Peut-être était-il un protestant d’origine française (sans doute de souche ardéchoise) réfugié aux Pays-Bas. Il aurait vécu à Anvers et à La Haye où on le suit entre 1650 et 1676 comme peintre de natures mortes et vanités souvent composées de livres. Cette composition datée de 1641 montre, en contrepoint du plaisir éphémère du tabac, de la richesse, de la bougie dont la flamme vient de s’éteindre, du pouvoir évoqué par le parchemin cacheté, la promesse de la résurrection symbolisée par l’épi de blé.

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CE QUI PASSE ET CE QUI DURE : LES PEINTURE S DE VANITÉS

Charles-Émile Cuisin

Charles-Émile Cuisin est né en 1832 à Paris et mort en 1900 dans cette même ville. En 1850, il entre à « l’École nationale et spéciale de dessin, de mathématiques, d’architecture et de sculpture d’ornement, appliqués aux arts industriels » où il obtient le premier prix en dessin de mémoire. L’année suivante, il s’inscrit aux cours d’Horace Lecoq de Boisbaudran, pédagogue attentif puisque ce dernier s’abstenait rigoureusement d’exposer sa peinture, afin d’éviter que son style n’entrave le développement des élèves. Chez lui, Cuisin rencontre des artistes de plus haut parage tels que Fantin-Latour. Il se passionne à cette époque pour la botanique et devient dessinateur botaniste, ce qui restera sa spécialité toute sa vie durant. Cuisin expose pour la première fois au Salon en 1853. Il commence à graver en 1860 ses premières eaux-fortes, et se met également à exécuter des chromos. On connaît surtout de lui cette fascinante toile conservée au musée d’Orsay, Nature morte au violon, ainsi qu’une série de vues de Paris conservée au musée Carnavalet. Dès le xviiie siècle, les vanités avaient tendu à disparaître sous l’effet de la civilisation des Lumières, voire même de la laïcisation de la société. Si par la suite les natures mortes ont proliféré en peinture, le xixe siècle fut très pauvre en vanités proprement dites. Le crâne tendit à l’emporter sur le plan iconographique par rapport à d’autres symboles des vanités classiques, moins intelligibles pour le public moderne et, chronologiquement, entre certaines œuvres de Géricault et le Cézanne du début de carrière, Cuisin nous laisse un bel exemple de vanité moderne.

LA VANITÉ A DU STYLE OUTRE LA DIMENSION ICONOGRAPHIQUE,

il est évident que suivant les centres de production, la vanité revêtit des réalités esthétiques fort différentes. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, notamment sous l’influence de Rembrandt, les peintres du Nord introduisent dans la vanité le si célèbre clair-obscur, et ce afin de mieux mettre en valeur par l’éclairage les éléments, et de conférer à l’œuvre une dimension plus mystérieuse. Ensuite, dans les dernières décennies du siècle, pour pousser à son paroxysme le réalisme pictural, certains artistes peindront des vanités en trompel’œil, troublantes de réalisme et parfois censées susciter l’effroi. Cependant, après une période d’intense production picturale qui s’étendit à l’Europe entière, le sujet de la vanité fut au cours des siècles suivants délaissé par les peintres. Au XVIIIe siècle (cat. 90), si la nature morte rencontre un grand succès au Salon parisien (les œuvres de Chardin [1699-1779], notamment, y suscitent l’admiration), elle devient presque exclusivement décorative et perd sa dimension de vanité, et il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour voir un regain d’intérêt à l’égard du sujet (cat. 89).

LA VANITÉ : L’ÉPHÉMÈRE OU L’ÉTERNEL ? SUJET AUSSI VASTE que le questionnement de

l’homme sur son devenir, si la vanité en tant que création artistique remonte au moins à l’Antiquité grecque, elle a nourri d’ailleurs aussi bien la peinture que la réflexion philosophique ou la littérature. Elle a traversé les siècles et la peinture sous des genres divers, qui vont de l’accumulation d’objets au portrait, en passant par le trompe-l’œil et la scène de genre. Il faut croire que le temps et la mort n’ont cessé de fasciner les peintres et l’on retrouve à travers cette volonté de saisir l’indicible, le lien fraternel entre les vanités classiques et bien des œuvres contemporaines. Et si donc rien ne mourait jamais tout à fait ?

cat. 89 Charles-Émile Cuisin (Paris, 1832 – Paris, 1900) Nature morte au violon Huile sur toile, H. 32 ; L. 53 cm Paris, musée d’Orsay

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Jean-Denis Attiret

cat. 90 Jean-Denis Attiret (Dole, 1702 – Pékin, 1768) Paysage avec ruines antiques et trois moines 1741 Huile sur toile, H. 36 ; L. 46 cm Dole, musée des Beaux-Arts

Jean-Denis Attiret, ayant adopté le nom chinois de Wang Zhi-cheng (Dole, 1702 – Pékin, 1768), était un jésuite missionnaire et peintre qui connut la célébrité dans la Chine impériale du xviiie siècle. Notre tableau est d’ailleurs localisé et daté en bas à droite « Pékin 1741 ». Après avoir été l’élève de son père, peintre et menuisier à Dole, il alla se perfectionner à Rome, sous la protection d’un seigneur de la région qui, de passage dans l’atelier de son père, avait remarqué les dispositions artistiques du jeune homme. À son retour de Rome, Attiret s’arrêta à Lyon, où il peignit plusieurs portraits de notables. Il revint ensuite à Dole et y passa quelques années, et sa

carrière de peintre était bien lancée lorsqu’il décida en 1735 d’entrer dans la Compagnie de Jésus. La mission jésuite de Chine demandant un peintre de talent pour le service de l’empereur, il se porta volontaire. Il partit fin 1737 et, vers 1743, devint peintre attitré de Qien-Long. Il installa son atelier dans le palais impérial et là se formèrent quelques collaborateurs chinois. Il décora les églises chrétiennes, travailla pour les grands personnages de l’aristocratie et se familiarisa avec les thèmes favoris de la Cour. En 1754, Attiret reçut le titre de mandarin, qu’il refusa, mais dont on lui rendit les honneurs après sa mort. D’après tous les témoignages, une véritable

amitié se développa entre Attiret et l’empereur. En 1765, ce dernier ordonna que seize dessins des tableaux d’Attiret soient envoyés en France pour être gravés et cette suite est dite des Conquêtes de l’empereur de Chine. Les planches furent expédiées à Pékin. Attiret vécut trente et un ans au palais impérial, le décorant et peignant au moins deux cents portraits de courtisans, ainsi que quelques œuvres religieuses. Notre Paysage avec ruines antiques et trois moines fut donc peint à Pékin en 1741. La majeure partie de l’œuvre d’Attiret fut cependant détruite par les troupes franco-anglaises en 1860, lors du sac du palais d’Été.

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VANITÉS CONTEMPORAINES ANNABELLE TÉNÈZE

« L’ART DOIT TOUJOURS UN PEU FAIRE RIRE ET UN PEU FAIRE PEUR 1 », énonce dès ses premiers

écrits Jean Dubuffet, alors à la recherche d’un art qui diffère des productions issues de la culture des beauxarts dont la Seconde Guerre mondiale aurait montré l’échec, ainsi que de créations qui puissent retrouver, dans le dépassement des frontières de l’art classique, une universalité et un sens commun pour lui perdus. Les deux sentiments faussement contradictoires que sont le rire et la peur, et que rapproche le futur inventeur de l’art brut, se retrouvent dans maintes œuvres de l’exposition « Même pas peur », quelles que soient leur origine géographique et leur époque. Pour beaucoup de ceux qui les regarderont, la manière dont elles rappellent la tragi-comédie de la vie suscitera, malgré la gravité du sujet, un rire grinçant. Étonnamment on trouve davantage à rire et à pleurer devant ces œuvres à la dérision grotesque que de tenter de dépasser la fatalité de la mort en la représentant par un artefact basé sur l’expression la plus crue et nue du mort, le crâne. Les réactions que sont le rire et la peur, que l’on peut tenter de susciter sans les créer, mais qui ne peuvent être contenues, sont ultimement humaines : immaîtrisable,

irrépressible, le rire est l’expression bizarrement sérieuse, pathétique, mais aussi conjuratoire, d’une dernière humanité possible face au destin, le sursaut de la vie face à la mort. L’« humour noir » permet, en effet, de regarder avec détachement les choses les plus horribles et les plus inacceptables, et nous offre, sinon de nous réconcilier, du moins de faire face à ce que l’on rejette le plus, ce qui nous dégoûte hautement, ce que l’on refuse de voir – même ce qu’il y a de plus tabou – grâce à cette hilarité que le malaise et la gêne de l’impertinence font paradoxalement naître. Ce rire existentialiste et cruel à la fois, s’il diffère d’une culture à l’autre, d’un temps à l’autre, paraît inné. Pourtant, « l’humour noir »2 est une notion moderne théorisée seulement récemment (à l’échelle de l’histoire) par le surréaliste André Breton, au début de la Seconde Guerre mondiale. En excluant la sentimentalité, il allie à sa fonction cathartique la jubilation de l’irrévérence et du désespoir. Ces deux réactions complémentaires, humainement salutaires – pouvoir craindre et se moquer à la fois de ce à quoi personne n’échappe –, sont notamment présentes dans Black Kites3 de Gabriel Orozco, qui fait littéralement de la mort un jeu.

1 Dubuffet, 1946, p. 43. 2 Breton, 1940. 3 Gabriel Orozco, Black Kites, 1997, graphite sur crâne, 21,6 × 12,7 × 15,9 cm, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie.

cat. 91 Gabriel Orozco (né en 1962) B.K.I. 2004 Giclée sur papier aquarelle, édition 45 / 175, H. 27,9 ; L. 19,7 cm Collection Chantal Crousel

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VANITÉS CONTEMPORAINES

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VANITÉS CONTEMPORAINES

cat. 105 Miquel Barceló (né en 1957) Crâne aux allumettes 2006 Technique mixte sur toile, H. 200 ; L. 200 cm Collection de l’artiste

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VANITÉS CONTEMPORAINES

BIOGRAPHIES DES ARTISTES Jean-Michel Alberola

Jean-Michel Alberola est né en 1953 à Saida (Algérie) et vit à Paris. Depuis le début des années 1980, il mène à travers son œuvre une réflexion sur l’histoire, la religion, la mythologie, la tradition picturale et la légitimité de la peinture, le rôle de l’artiste et le pouvoir de l’image. Véritable pensée du monde, sa peinture se prolonge souvent à travers de multiples moyens d’expression : film, texte, photographie, installation, sculpture, néon… Syncrétique et métissée, son œuvre s’articule alternativement autour de réminiscences de la peinture ancienne – de Watteau à Goya – ou d’évocations de la culture africaine. Faites de « signes » entremêlés et de références éclatées, ses toiles gardent la trace d’une mémoire dont l’unité s’échappe sans cesse, où l’abstrait bouscule les formes reconnaissables et où le mot rencontre la couleur. Ses œuvres sont, depuis le début des années 1990, régulièrement exposées à la Fondation Cartier, que ce soit dans les expositions « À visage découvert » (1992), « By Night » (1996) ou encore « Mathématiques, un dépaysement soudain » (2011). Son exposition personnelle, « L’Effondrement des enseignes lumineuses » (1995), interrogeait la place laissée aujourd’hui à la peinture par la société des images. L’ensemble exceptionnel que forment les œuvres de l’artiste dans la collection de la Fondation Cartier (plus de vingt) traduit toute l’amplitude de ses recherches et de ses questionnements. Texte : collection Fondation Cartier

Gabriel Orozco

Né à Jalapa dans l’État de Veracruz (Mexique) en 1962, Gabriel Orozco vit et travaille entre Paris, Mexico et New York. Il s’est imposé dès le début des années 1990 comme l’un des artistes les plus importants de sa génération. En constant déplacement, sans atelier fixe, il rejette les identifications nationales ou régionales, et puise son inspiration dans les différents lieux où il vit et voyage. Son travail se caractérise par un vif intérêt pour les éléments du paysage urbain et du corps humain. Les incidents du quotidien et du familier, dont la poésie est celle du hasard et du paradoxe, nourrissent son travail. Les frontières entre l’objet d’art et l’environnement quotidien sont délibérément brouillées, art et réalité volontairement mélangés. Le mouvement, l’expansion, la circularité, l’articulation entre géométrique et organique, sont des constantes qui animent sa recherche plastique depuis plus de vingt ans. Son œuvre est présentée dans de nombreuses

institutions : South London Gallery, Royaume-Uni (2016) ; Yokohama Museum of Art, Yokohama, Japon (2016) ; Museum of Contemporary Art, Tokyo, Japon (2015) ; domaine de Chaumont-sur-Loire, France (2015) ; Moderna Museet, Stockholm, Suède (2014) ; Faurschou Foundation, Beijing, Chine (2013) ; Deutsche-Guggenheim, Berlin, Allemagne (2012) ; Tate Modern, Londres, Royaume-Uni (2011) ; Kunstmuseum, Bâle, Suisse (2010) ; Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, France (2010) ; Museum of Modern Art, NY, USA (2009) ; Dallas Museum of art, USA (2007) ; Museo Palacio de Bellas Artes, Mexico, Mexique (2006) ; White Cube Gallery, Londres, Royaume-Uni (2006) ; Museum Ludwig, Cologne, Allemagne (2006) ; Museum of Contemporary Art, Los Angeles, USA (2000) ; musée d’Art moderne de la ville de Paris, France (1998). Texte : galerie Chantal Crousel

Brassaï (Gyula Halász, dit)

Brassaï, pseudonyme de Gyula Halász, est né en 1899 à Brașov, et mort en 1984 à Beaulieu-sur-Mer. Il a trois ans quand sa famille emménage à Paris. Jeune homme, celui qui saura plus tard capturer l’âme de Paris, étudie à l’École des beaux-arts de Budapest avant de se battre durant la Première Guerre mondiale dans l’armée austro-hongroise. Après la guerre, il travaille à Berlin en tant que journaliste, tout en étant élève de l’Académie des beaux-arts. Il se réinstalle en 1924 à Paris et là, habitant Montparnasse, il côtoie tout le Paris artistique des années 1920, notamment Jacques Prévert (une de ses photographies de la série des Graffiti fut utilisée en 1946 en couverture du recueil de Jacques Prévert Paroles) et Henry Miller. Reprenant sa carrière de journaliste, il commence à photographier la nuit parisienne et, utilisant son lieu de naissance, il invente dès 1923 le pseudonyme de Brassaï (« de Brașov »). Il publie en 1932 un premier recueil intitulé Paris de nuit qui attire l’attention et le fait surnommer par Henry Miller « l’œil de Paris ». Les signes et dessins grattés ou tracés sur les murs de la ville ont dès ces années et jusqu’à la fin de sa vie fasciné Brassaï. Durant toute sa carrière il a photographié ces expressions, et leur a consacré une ample série qui devait donner naissance à un ouvrage et à plusieurs expositions. Dans les années 1950, en plein conflit d’Algérie, les murs de la capitale deviennent des lieux de débat et Brassaï, en s’intéressant aux graffitis politiques, se fait le témoin des crispations de l’époque. Ses photographies valurent à Brassaï une célébrité internationale mais, en dehors de ses photos du Paris nocturne, Brassaï s’est aussi attaché à photographier les intellectuels (Jean Genet, Henri Michaux), la haute société ou la vie artistique et ses

étoiles (Dalí, Picasso ou Matisse, parmi bien d’autres). En 1978, il gagna à Paris le premier « Grand Prix national de la photographie » et, en plus de la réalisation de son œuvre photographique, il écrivit près d’une vingtaine de livres.

garde populaire et pionnier de la mouvance underground, laisse derrière lui plus de huit cents tableaux et mille cinq cents dessins. En 2010, le musée d’Art moderne de Paris lui consacre une exposition rétrospective.

Jean-Michel Basquiat

Annette Messager

Jean-Michel Basquiat est né à Brooklyn en 1960 et mort en 1988 également à New York. Il naît de parents d’origines portoricaine et haïtienne et, enfant précoce (il lit couramment à cinq ans), ses premières années influent beaucoup sur sa sensibilité imaginative et écorchée vive. Après la séparation de ses parents, il déménage régulièrement et quitte à seize ans la maison paternelle. Il fonde alors un groupe musical, et sous l’influence de son ami le graffeur Al Diaz, il commence à graffer à proximité des galeries de Manhattan sous le pseudo de SAMO. Lorsque cette collaboration prend fin, Basquiat entreprend de vendre des collages sous forme de cartes postales photocopiées ainsi que des dessins et des T-shirts qu’il peint lui-même. Il se met également à peindre sur des objets quotidiens, tels que des réfrigérateurs ou des fenêtres. C’est en 1981 qu’il fait sa percée artistique, lorsque ses travaux sont présentés à côté de ceux d’artistes tels que Keith Harring ou Robert Mapplethorpe, dans le cadre de l’exposition « New York / New Wave ». Il a donc à peine vingt ans lorsque les galeries commencent à s’arracher ses œuvres spontanées, énergiques et naïves, associations de matières et d’inspirations hétéroclites. À vingt-cinq ans, il fait la une du New York Times Magazine. Son œuvre reste empreinte des graffitis de ses débuts, où il mélange couleurs vives et textes à thèmes. Il inspire toute une génération d’artistes et se lie d’amitié avec Andy Warhol avec lequel, à partir de 1984, il collabore régulièrement. Le décès de Warhol en 1987 choque profondément Basquiat, qui décède quelques mois plus tard d’une overdose d’héroïne. La carrière de Basquiat se divise en trois grandes périodes, qui néanmoins se chevauchent : pendant la première, de 1980 à fin 1982, Basquiat privilégiait la peinture sur toile, représentant le plus souvent, outre des éléments tirés de sa vie dans la rue, des visages ressemblant à des masques et des personnages squelettiques. Une seconde période de fin 1982 à 1985 révèle un fort intérêt pour l’identité hispanique et noire de l’artiste, et son identification avec les personnages noirs historiques ou contemporains. La surface de ses tableaux est alors dense avec des écritures et des collages. La dernière période, qui débute vers 1986 et s’étend jusqu’à sa mort, montre un nouveau genre de peinture figurative contrastant avec son style précédent. En mourant, ce peintre d’avant-

Annette Messager est née en 1943 à Bercksur-Mer. Elle a étudié aux Arts décoratifs de Paris et, interrompant ses études, elle vit alors de la vente d’objets artisanaux de sa création. Ses premiers articles décoratifs sont tous également appréciés. Au début des années 1970, elle réunit ses premières collections, constituées de phrases extraites de la presse, qu’elle annote et détourne, et d’albums de photographies. La galerie Germain lui commande en 1971-1972 une œuvre avec de la laine : Messager crée Les Pensionnaires, alignement de moineaux empaillés et emmaillotés dans des tricots. Son œuvre, proche de celle d’autres artistes comme Boltanski ou Sarkis, relève de ces démarches dénommées « mythologies individuelles ». Hostile à la politisation qui avait suivi mai 68 comme à tout académisme, Annette Messager prône la prééminence dans l’œuvre de l’élément affectif. En 1973, elle expose ses œuvres à Munich. Ses collections formées par un assemblage composite de savoir-faire artistiques (notamment des installations incorporant diverses techniques dont la photographie ou le dessin) fascinent le public. Puis elle expose en 1974 au musée d’Art moderne de la ville de Paris et, à cette époque, elle se réintéresse à des techniques plus classiques dans ses petits carnets brodés. Après ces expositions successives, les collections d’Annette Messager sont connues de toute l’Europe et progressivement ses travaux se structurent et sont exposés à l’échelle internationale (1999 est notamment marqué par une exposition à Buenos Aires). Grâce à ses travaux sur le Casino en 2005, la carrière d’Annette Messager est couronnée du Lion d’or à Venise lors de la 51e Biennale. Elle a enseigné à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Elle a également dessiné le laissez-passer du Centre Pompidou pour l’année 2007 – centre qui lui a consacré la même année une exposition rétrospective. Celle-ci a été suivie d’une deuxième en 2012 au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg. Son travail figure dans les collections du Museum of Modern Art.

Stephan Balkenhol

Né en 1957 à Fritzlar, Stephan Balkenhol vit et travaille de part et d’autre du Rhin, à Karlsruhe et à Meisenthal en France. Il poursuit un travail sur la figure humaine depuis plus de vingt ans. Il commence à sculpter des personnages en bois en

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collection de la baronne Henri de Rothschild

MÊME PAS PEUR !

a représentation de la Mort, de la Renaissance à la Belle Époque, est à l’origine de la collection étonnante de la baronne Henri de Rothschild (1874-1926). Historiens de l’art, anthropologue et spécialistes de l’art d’Extrême-Orient proposent un éclairage nouveau sur cette collection éclectique, aussi méconnue qu’inédite, en la replaçant dans le contexte historico-social. Des grains de chapelet aux netsuke en passant par les épingles de cravate, les œuvres profanes ou sacrées témoignent d’un goût pour le macabre teinté parfois d’un esprit potache. D’autre part, la présence symbolique du crâne dans l’art est mise en perspective par un florilège de vanités de la Renaissance à nos jours, peintures et installations de maîtres anciens mais aussi d’artistes contemporains tels que Vincenzo Dandini, Cornelis Gysbrechts, Annette Messager, Brassaï, Robert Mapplethorpe ou Giuseppe Penone.

collection de la baronne Henri de Rothschild

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MÊME PAS PEUR !

978-2-7572-1392-6 35 €

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