ARTHUR DE ROTHSCHILD
de se faire une idée de sa collection de timbres, qui sera vendue en 1893 pour une somme dérisoire à son principal concurrent, le duc de Galliera 18. Mais, comme le précise Henri dans ses Mémoires, son originalité tient dans ce domaine à l’exhaustivité : « Arthur avait réuni des exemplaires des timbres les plus rares, des séries complètes d’essais, des maquettes de timbres, des premiers états et des épreuves d’artistes qu’il achetait aux graveurs de l’époque ou à des brocanteurs à qui il donnait mission de trouver ce qui manquait dans sa collection 19. » Contrairement à celle d’autres amateurs, sa passion se double d’une démarche d’érudition. Arthur appartient très certainement à la troisième des catégories de collectionneurs définies par Albert de La Fizelière dans ses « types de Paris », parus dans Le Musée universel 20 : « Enfin nous arrivons aux véritables collectionneurs, aux savants, aux érudits, qui ont un but déterminé. Ils poursuivent la recherche d’une ou de plusieurs spécialités d’art ou de science, d’histoire ou de voyages dans l’intention de réunir sous leurs yeux les éléments d’une étude préférée, ou pour l’enthousiasme qu’inspire un goût décidé… Après un travail attrayant et de laborieuses observations, ils laissent derrière eux quelque livre utile, instructif, aimable qui servira peut-être de flambeau à l’histoire et de guide à ceux qui les suivront dans le domaine des recherches archéologiques 21. » Dès 1871, Arthur publie plusieurs articles dans des revues spécialisées 22 ; il élargit son propos en consacrant, deux ans plus tard, un ouvrage à l’histoire de la poste depuis ses origines, qui fera autorité : « Nous avons cru qu’une histoire de la poste aux lettres pouvait avoir son intérêt et ses curiosités comme l’histoire de toutes les inventions humaines », écrit-il dans la préface de l’édition de 1873 23. À ce propos, le changement de titre de la quatrième édition (1880) et l’ajout d’illustrations ne sont pas insignifiants : en faisant appel au célèbre dessinateur caricaturiste Bertall (1820-1882), l’un des illustrateurs les plus féconds du e 24 XIX siècle , Arthur de Rothschild transforme, comme il le précise dans la préface, « un ouvrage de recherches érudites en un livre d’instruction populaire 25 ». Cette diffusion s’appuie sur de nouveaux réseaux de relations sociales, où les collectionneurs confrontent leurs idées et leurs acquisitions. Le tournant se situe en 1875, date à laquelle Arthur fonde la Société de timbrologie, qui deviendra l’une des sociétés les plus importantes dans le domaine avec le Groupement philatélique de France 26. Elle a pour objet « l’étude des timbres considérés soit en eux-mêmes, soit dans leur rapport avec la chronologie, l’histoire et la géographie, avec l’administration et les finances, avec la linguistique et les beaux-arts 27 ». L’année suivante, le nombre des adhérents a augmenté de manière significative : dans son rapport, Arthur de Rothschild dit y voir le signe « de la juste récompense de leurs efforts, quelque modeste que soit leur but scientifique », et un encouragement à poursuivre l’œuvre entreprise, « car dans le vaste champ de la science, il n’est pas de place, si humble qu’elle soit, qui ne puisse être utilement occupée, pour le progrès et l’instruction de tous 28 ». Ce projet fait écho aux préoccupations éducatives d’Henri de Rothschild, qui fonde en 1880 la bibliothèque de Gouvieux (Oise) 29.
QUELQUES REMARQUES SUR LE GOÛT D’ARTHUR DANS LE DOMAINE ARTISTIQUE Il est très difficile, en l’absence d’inventaire, de se faire une idée précise de la collection personnelle d’Arthur : tout au plus pouvonsnous souligner certains points. Comme le rappelle Raymond Kœchlin en 1909, « Arthur avait trouvé dans la galerie que lui
laissait sa mère assez d’œuvres d’art pour ne pas prétendre à en acquérir d’autres et, passionné de sport […] il ne fréquentait pas les musées bien assidûment 30 ». Il a cependant acheté quelques tableaux qui rappellent le double héritage familial : la prédilection pour la peinture nordique de son père et le goût de sa mère pour la peinture du XVIIIe siècle 31. La constitution d’une collection est souvent liée à l’achat ou à la construction d’une demeure. Sa mort soudaine, le 3 décembre 1903, l’empêchera de réaliser ses projets. Rappelons brièvement qu’Arthur habite à Paris, jusqu’à sa mort, l’hôtel familial, 33, faubourg SaintHonoré 32. Fervent de chasse à tir, il aménage un territoire cynégétique dans les Yvelines et possède un pavillon de chasse dans la commune de Rambouillet, au Perray-en-Yvelines 33. En 1899, il hérite à la mort de sa mère, la baronne Nathaniel, de l’abbaye des Vaux-de-Cernay et de la moitié de sa collection 34 mais, dérogeant aux clauses du testament, il vend ce qui ne correspond sans doute pas à son goût : « Les meubles gothiques, les bibelots du XVIe et e 35 XVIII […] les Boulle, les Riesener avaient disparu . » Sa mort quatre ans plus tard empêchera l’achèvement de l’important château des Vindrins, projeté pour Guy Babault, probablement le fils naturel d’Arthur, à qui ce dernier avait fait don en 1902 du domaine, ainsi que des autres propriétés et d’une forte somme d’argent 36. Les rares documents disponibles (essentiellement quelques factures de marchands) ont permis de montrer qu’il s’intéresse à la peinture dès les années 1870 mais que ses principaux achats se situent à la fin de sa vie, entre 1898 et 1903, au moment où il entreprend la construction du château des Vindrins. Il ne semble pas non plus avoir fréquenté les salles de vente, préférant s’en remettre aux marchands, principalement Marius Paulme ou Mallet 37. Arthur a formé son goût au contact de la forte personnalité de sa mère, Charlotte de Rothschild, qui semble avoir guidé ses choix artistiques, lui faisant acquérir au Salon plusieurs œuvres d’artistes qu’elle collectionnait elle-même : il achète ainsi en 1887 une vue de Paris par Henri Zuber, Boulevard d’Enfer 38, et la même année deux bas-reliefs en marbre de Victor Peter, Chienne d’arrêt et Chien épagneul 39. Sur ses conseils, il se lie d’amitié avec l’expert Léon Gauchez 40, qui joue auprès de lui à la fois le rôle de conservateur et celui de conseiller artistique, comme le montre une petite note de frais de 1874 qui lui est adressée à propos de l’achat de cadres pour un Diaz et pour un Detaille 41. Industriel reconverti dans l’art, Gauchez mène de front, sous divers pseudonymes (Paul Leroi, Léon Mancino…), de multiples activités internationales : tour à tour marchand, expert auprès des musées de Bruxelles et de Paris, collectionneur et mécène, il est surtout le principal fournisseur en œuvres d’art d’Alphonse, de son frère Edmond James et, dans une moindre mesure, de leur sœur, Charlotte de Rothschild 42. Fervent admirateur de la peinture romantique, Arthur achète en 1874, par l’intermédiaire du célèbre marchand, quatre tableaux de cette école : Chiens et Chevaux dans la prairie de Narcisse Diaz, Lion dévorant un lapin et Lion maintenant un lézard d’Eugène Delacroix 43. Ces choix n’ont rien non plus de très original : ils correspondent au goût de sa mère, qui possède plusieurs œuvres de ces artistes romantiques 44. Il semble également évident qu’Arthur achète ce qui lui est devenu familier par le biais de ses voyages, de ses hobbies – conseiller municipal au Perray, il est membre du comité départemental d’admission des espèces chevalines (classe 77) –, ou ce qui est directement lié à certains épisodes de sa vie, comme son engagement dans l’armée (tableaux d’Alexandre Protais et d’Édouard Detaille). Alors que la baronne Nathaniel s’était rendue célèbre pour avoir formé une collection de peintures du XVIIIe siècle de premier plan 45, son fils Arthur limitera ses achats pour cette période à quelques
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