Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France (extrait)

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LES ROTHSCHILD, UNE DYNASTIE DE MÉCÈNES EN FRANCE – VOLUME III

MÉCÉNAT AU BÉNÉFICE DES MUSÉES Marc Bascou

À maintes occasions, comme par le passé 1, le mécénat de la famille Rothschild s’est manifesté par un soutien financier apporté à d’importantes acquisitions et à des campagnes de restauration au bénéfice de divers musées nationaux ou régionaux. 1963 L’achat le 3 juillet 1963, dans une vente de prestige chez Sotheby à Londres, de La Belle Strasbourgeoise de Nicolas de Largillière (1656-1746) (fig. 1) reste l’une des opérations les plus mémorables menées par un musée français : en l’espèce, le conservateur du musée de Strasbourg, Hans Haug, bénéficiait de l’appui de Cécile de Rothschild, qui assistait avec lui à la vente, où le tableau atteignit l’enchère record de 145 000 livres, soit 1 253 310 francs 2. Par sa singularité, ce portrait énigmatique occupe une place unique dans l’œuvre de Largillière, connu surtout pour ses élégants et nombreux portraits de l’aristocratie et de la meilleure société parisienne. La pose frontale du modèle, sans effet de geste particulier, le costume étonnant avec son large « chapeau à cornes », la présence tendre du petit épagneul porté par sa maîtresse, les frondaisons automnales à l’arrière-plan, la discrète harmonie de noirs, d’ocre et de rose, tout contribue à en faire l’une des compositions les plus saisissantes de l’artiste 3. Cette effigie de La Belle Strasbourgeoise passait déjà au XVIIIe siècle pour l’une des plus belles peintes par Largillière : elle orna les cabinets de grands amateurs tels que La Live de Jully et le duc de Choiseul-Praslin. Le tableau, réapparu au début du XXe siècle dans les collections de la comtesse de Sarcus au château de BussyRabutin, passa ensuite dans celles de Charles Pradinel, directeur de la maison de couture Jacques Doucet. Il fit sensation lors de la vente des collections du parfumeur François Coty à Paris en novembre 1936, en se vendant 1 510 000 francs, le prix le plus élevé à cette date pour un tableau ancien de l’école française. Il figura à plusieurs reprises dans des expositions mémorables à Paris et à Londres 4. La Belle Strasbourgeoise appartenait en dernier lieu à une parente de la branche anglaise de la famille Rothschild, Mrs. Meyer Sassoon. Largillière était aussi apprécié pour son talent de portraitiste par plusieurs Rothschild français : deux portraits étaient signalés chez le baron Edmond – une réplique de celui de Mademoiselle Duclos de la Comédie-Française et celui plus austère d’un magistrat parisien –, ainsi qu’un portrait de femme chez le baron Henri. L’œuvre la plus

attachante était sans doute un Portrait de femme à l’œillet avec un jeune serviteur noir acquis par le baron Gustave 5. Aucune de ces œuvres n’égalait cependant La Belle Strasbourgeoise ! 1981 En 1981, le Louvre se rendait acquéreur, avec la participation du baron et de la baronne Élie, d’une impressionnante composition de Jacob Jordaens (1593-1678), L’Adoration des bergers 6 (fig 2). D’illustre provenance, puisqu’il a appartenu à la famille Six d’Amsterdam jusqu’en 1928, ce Jordaens paraît être la version la plus aboutie d’une longue série 7. Il s’agit en effet de l’un des thèmes de prédilection de l’artiste, qu’il a traité à maintes reprises : l’exemplaire le plus ancien connu remonte à 1616 (New York, Metropolitan Museum), les derniers datent de la fin des années 1650 (exemplaires aux musées d’Anvers, Bristol et Raleigh), alors que le thème parallèle de L’Adoration des Mages est nettement moins fréquent dans son œuvre. Tout concourt à reconnaître dans ce tableau, avec Jacques Foucart, un chef-d’œuvre de la fin des années 1640 ou du début des années 1650 : « les belles cadences, l’ordonnance riche, la facture coulante, large et souple, d’une belle sonorité qui sait composer toutefois avec des pénombres demi-éclairées et des modelés aux bruns adoucis, un clair-obscur chaud et pénétrant mais sans relief tranché, la vivacité si humaine du chien, la fluidité de certains morceaux comme le canard offert au premier plan ». Aux côtés des grands maîtres de la peinture flamande du Siècle d’or, Rubens et Van Dyck, magnifiquement représentés dans les collections Rothschild, il manquait effectivement une œuvre majeure de leur grand contemporain, Jordaens. Et le soutien apporté à cet achat du Louvre paraissait d’autant plus justifié qu’une autre Adoration des bergers de Jordaens ayant fait partie des anciennes collections royales – elle avait été achetée à la vente du duc de Saint-Aignan en 1776 – était sortie du patrimoine national, du fait de son envoi au musée de Mayence dès 1803. 1988 Le baron et la baronne Guy et leurs enfants, ainsi que les enfants du baron Alain, sont au nombre des grands donateurs qui ont généreusement répondu à la souscription nationale ouverte par la direction des Musées de France du 21 mars au 30 avril 1988, afin de réunir les 32 millions de francs demandés pour l’acquisition du Saint Thomas à la pique de Georges de La Tour. L’une des rares

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