Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France (extrait)

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LES ROTHSCHILD, UNE DYNASTIE DE MÉCÈNES EN FRANCE – VOLUME II

SCULPTURES 1933 Philippe Malgouyres

Le visiteur qui découvre la villa Ephrussi est sans doute séduit par la mise en scène des jardins et des collections dans la villa. La sculpture joue un rôle prépondérant dans ce décor, mais son emploi ne rend pas justice à la collection : tout au plus voit-on quelques madones en stuc, divers fragments architecturaux intégrés à l’intérieur avec une pertinence relative et toutes sortes d’éléments lapidaires sur les façades et dans les jardins. Au-delà de cette impression pittoresque, il faut d’abord prendre la mesure de l’importance de la collection, en premier lieu sur un plan numérique, une abondance dont il est difficile de rendre compte : les éléments architecturaux, chapiteaux, pilastres et moulures, qui mériteraient une étude exhaustive, ne seront pas évoqués ici. Le second aspect est son incroyable variété : la collection comprend bon nombre de sculptures médiévales, allemandes, françaises, italiennes ou espagnoles, un ensemble très curieux de madones florentines en stuc, des fragments d’architecture principalement vénitiens et espagnols, de la sculpture de jardin. Outre cette énorme collection lapidaire, il aurait fallu pouvoir étudier les fragments de bois sculpté et doré provenant de retables, de clôtures de chœur, de tabernacles, de dais ; mais aussi les portes françaises du XVIe siècle, les morceaux de meubles. Ce n’est donc qu’un premier aperçu de ces collections complexes que nous pouvons donner ici. L’une des difficultés majeures dans l’étude de ces sculptures est l’absence de sources : autant l’activité de la baronne collectionneuse de porcelaines de Sèvres est lisible, autant ses achats dans ces domaines s’expliquent mal ou pas. Cette grande diversité ne reflète pas, en fait, un goût éclectique mais une absence de choix, comme le laisse entendre la lecture de l’inventaire après décès. C’est aujourd’hui la seule manière de visualiser la disposition des collections à l’époque de la baronne Ephrussi, et de tenter par là de comprendre son goût. Le décor de la villa, largement dominé par le XVIIIe siècle français, est pimenté de meubles piémontais et de plafonds vénitiens, ce qui crée une atmosphère de luxe informel, très « Côte d’Azur ». Le patio avait un caractère plus méditerranéen et archaïque : les objets de « haute époque » s’y mêlaient aux sièges Louis XIII et aux boiseries de la Renaissance. Dans ce contexte étaient accrochés quelques primitifs italiens et espagnols, une niche en albâtre 1 et un fragment de tabernacle florentin en terre vernissée 2 (fig. 7). Dans l’antichambre du patio, outre la cheminée composite encore en place se trouvait une autre façade de tabernacle 3 (fig. 6). En revanche, on cherche en vain les reliefs

d’albâtre espagnols de la Renaissance, les madones florentines ou les statues gothiques. Une seule de ces madones était présentée à l’étage, un « Bas-relief : Vierge et Enfant d’après Della Robbia, dans un cadre Renaissance italienne, plâtre teinté » dont il n’est pas fait grand cas. C’est en fait dans le vaste fourre-tout qu’étaient les sous-sols de la villa que l’on trouve trace de ces œuvres : dans le garde-meubles, « environ 43 pièces en marbre sculpté, pierre sculptée et terre cuite composées de : statues de saintes femmes, enfants, amours, Sts. Personnages bas-reliefs etc… Caisse contenant un haut-relief : Vierge et Enfant, en terre cuite… Environ 30 pièces : encadrements, panneaux, groupes de Vierge et Enfants, sains [sic] personnages en terre cuite, bois, carton et marbre, bustes de personnages de profil en marbre sculpté », et dans les placards « Environ 70 pièces en bois sculpté, marbre sculpté, terre cuite, faïence, mosaïque, Renaissance italienne et autres : encadrements, bas-reliefs, peintures, statuettes, plats, motifs, bustes de saintes femmes, etc. ». Force est donc de constater que ces œuvres n’avaient trouvé aucune place ni aucun emploi dans l’aménagement de la villa tel qu’il nous est connu, et il est fort douteux qu’elles aient été collectionnées très consciemment ou amassées avec un intérêt esthétique ou intellectuel. La lassitude du clerc chargé de l’inventaire devant ces lots (et le désordre dans lequel ces objets devaient se trouver, comme aujourd’hui) contraste avec le soin qu’il apporte d’ordinaire à sa tâche, puisqu’il ne craint pas de comptabiliser « 56 torchons usagés », ou de mentionner scrupuleusement une « table de bois blanc » dans le garage. Il est donc bien difficile de donner du sens à ce rassemblement étonnant. Nous imaginons qu’il a été constitué en vue de la construction de la villa, qui devait sans doute intégrer dans son architecture un grand nombre d’éléments anciens. On dut alors acquérir des lots de jambages, de pilastres, de monuments dépecés, mais aussi de grilles de fer forgé et de portes. Un rapport rédigé par Albert Tournaire (1862-1958) nous donne une image très évocatrice de la villa peu avant 1938. Cet architecte niçois, prix de Rome et premier conservateur du musée Ile-deFrance, fait un rapport à ses confrères de l’Académie des beauxarts. Il y décrit les travaux de transformation menés par lui dans la villa pour en faire un musée ainsi que le « programme » de son accrochage. Il évoque ensuite le jardin : « Parmi tant d’autres parties inabordables, il faut signaler une sorte d’enceinte encadrée de murs et qu’on appelait le cimetière. Là avaient été entassés pendant de

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