La demeure médiévale à Paris (extrait)

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La demeure médiévale à Paris La demeure médiévale à Paris

Hôtels de Cluny, de Sens, de Clisson : ces monuments nous sont familiers. Mais qui sait qu’il existe encore à Paris des dizaines d’autres demeures et bien plus encore de caves du Moyen Âge ? Ces richesses méconnues n’ont pas toujours eu la place qu’elles méritaient dans les études d’histoire et d’archéologie alors que c’est cette époque qui a donné à la plupart des villes anciennes la forme qu’on leur connaît aujourd’hui en y suscitant des types d’habitats adaptés aux besoins des citadins. Paris, la plus grande ville de l’Occident médiéval avec ses 200 000 habitants et ses milliers de maisons et d’hôtels, joua un rôle majeur dans l’élaboration de ces modèles résidentiels qui ont connu une grande longévité et n’ont cessé, jusqu’à nos jours, d’alimenter la création artistique ou littéraire et l’imaginaire. Cet ouvrage propose, à l’occasion d’une exposition tenue aux Archives nationales, à la fois un ensemble de documents rares sur ce patrimoine millénaire – archives, images et objets – et un bilan des connaissances sous forme d’essais et d’études de cas par des spécialistes issus des diverses disciplines qui contribuent aujourd’hui à la redécouverte de ces témoignages saisissants du paysage monumental d’un passé brillant.

Couverture Montage réalisé par Nicolas Dubret (Toile Concept) avec les figures 151 et 205. 978-2-7572-0587-7

35 €

Rabat Relevé de la tour Jean sans Peur par Charles-Gustave Huillard, 1877 (figure 145).


Ouvrage publié sous la direction scientifique de Étienne Hamon et Valentine Weiss, à l’occasion de l’exposition présentée aux Archives nationales, du 17 octobre 2012 au 13 janvier 2013. Coordination éditoriale : Claire Béchu et Pierre Fournié, assistés de Sarah Boitelle, Alexandra Hauchecorne, Monique Hermite

© Somogy éditions d’art, Paris, 2012 © Archives nationales, Paris, 2012 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Atelier Rosier Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie Suivi éditorial : Isabelle Pelletier ISBN 978-2-7572-0587-7 ISBN Archives nationales : 978-2-86000-356-8 Dépôt légal : octobre 2012 Imprimé en Italie (Union européenne)


La demeure médiévale à Paris



LISTE DES AUTEURS

PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP

docteur en histoire de l’art et archéologie, Société française d’archéologie

J EA N - P I E R R E G É LY SABINE BERGER

doctorante, université de Paris-Sorbonne

MONIQUE BLANC

conservateur en chef du patrimoine, musée des Arts décoratifs

FRANÇOIS BLARY

maître de conférences en histoire et archéologie du Moyen Âge, université de Picardie – Jules-Verne

MARION BOUDON-MACHUEL

maître de conférences en histoire de l’art moderne, université François-Rabelais, Tours

VIOLAINE BRESSON

conservateur du patrimoine – archéologue au Département Histoire de l’Architecture et Archéologie de Paris (DHAAP)

C ATH E R I N E B R UT

conservateur en chef du patrimoine – archéologue au Département histoire de l’architecture et archéologie de Paris (DHAAP)

SANDRINE BULA

conservateur en chef du patrimoine, Archives nationales (chargée de mission pour les archives photographiques)

R O B E RT C A RVA I S

directeur de recherche au CNRS (Institut d’histoire du droit, UMR 7184 – université de Panthéon-Assas), professeur associé à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles

JEAN-LUC CHASSEL

maître de conférences en histoire du droit, université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense, Société française d’héraldique et de sigillographie

GRÉGORY CHAUMET

architecte DPLG, professeur à l’EPSAA, doctorant à l’université de Paris-Sorbonne

CARMEN DECU TEODORESCU

doctorante, université de Paris-Sorbonne

JEAN-DENIS CLABAUT

doctorant en archéologie, spécialiste des caves médiévales urbaines

ÉLIANE DERONNE-CAROUGE

conservateur en chef honoraire du patrimoine

membre du CTHS, chercheur associé, équipe d’Histoire des Techniques, Paris 1-CNRS, UMR 8589 LAMOP

NOËLLE GIRET

conservateur général honoraire des bibliothèques

M A R I E -T H É R È S E G O U S S E T

ingénieur de recherche honoraire au CNRS (Centre de recherche des manuscrits enluminés)

ÉTIENNE HAMON

professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Picardie – Jules-Verne

MICHEL HÉROLD

conservateur général du patrimoine, Centre André-Chastel

MARIE HOULLEMARE

maître de conférences en histoire moderne, université de Picardie – Jules-Verne

GUILLAUME LE GALL

maître de conférences d’histoire de l’art contemporain, université de Paris-Sorbonne

YVONNE-HÉLÈNE LE MARESQUIER-KESTELOOT ingénieur de recherche honoraire au CNRS (Centre de topographie parisienne)

CLAIRE MARTIN

restauratrice au Département histoire de l'architecture et archéologie de Paris (DHAAP)

FLORIAN MEUNIER

conservateur du patrimoine, musée Carnavalet

E V E LYN M U L L A L LY

chercheuse honoraire en francais médiéval à la Queen’s University (Belfast)

ODILE NOUVEL-KAMMERER

conservatrice honoraire des collections du XIXe siècle, musée des Arts décoratifs

BÉNÉDICTE PERFUMO

architecte voyer et directrice générale adjointe des services de la Ville de Paris (mairie du XIIIe arr.)

PIERRE PINON

professeur d’histoire de l’architecture, École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville

ROBERT DESCIMON

PHILIPPE PLAGNIEUX

CÉCILE FABRIS

JOËLLE PRUNGNAUD

JACQUES FREDET

THOMAS RAPIN

directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) conservateur du patrimoine, archives départementales de Seine-et-Marne architecte DPLG, ancien professeur d’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville

J E A N - C L AU D E G A R R E TA

directeur honoraire de la bibliothèque de l’Arsenal

Fig. 1 Scène de rue commerçante. Gilles de Rome, Livre du gouvernement des princes ; nord de la France, vers 1500-1508. B.n.F., Arsenal, ms. 5062, fol. 149 r°.

professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Franche-Comté, École nationale des chartes professeur émérite de littérature comparée, université Charles-de-Gaulle – Lille 3 docteur en histoire de l’art médiéval

ANNE RICHARD-BAZIRE

docteur en histoire de l’art contemporain

DANY SANDRON

professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Paris-Sorbonne, directeur du Centre André-Chastel

VALENTINE WEISS

conservateur du patrimoine, Archives nationales, responsable du Centre de topographie historique de Paris au département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime

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LISTE DES PRÊTEURS

M. le maire de Paris Archives de Paris :

Agnès MASSON, directrice

Archives départementales de la Côte-d’Or : Gérard MOYSE, directeur

Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques : Anne GOULET, directrice

Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) :

Patrice GUÉRIN, directeur ; Carole MARTIN, adjointe

Association des amis de la tour Jean Sans Peur :

Patrice BONSEIGNOUR, président ; Rémi RIVIÈRE, directeur

Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique :

Pierre HOUSIEAUX, président

Bibliothèque historique de la Ville de Paris :

Emmanuelle TOULET, directrice, ainsi que Pauline

GIRARD ; Maryse GOLDEMBERG, conservateur responsable

des Cartes et plans ; Marie-Françoise GARION-ROCHE, conservateur responsable des Manuscrits

Bibliothèque nationale de France : Bruno RACINE, président,

et Jacqueline SANSON, directrice générale ; Département des Manuscrits : Thierry DELCOURT (†), directeur ;

Anne-Sophie DELHAYE, adjointe du directeur ; Isabelle LE MASNE DE CHERMONT, directrice ;

Charlotte DENOËL et Pierre-Jean RIAMOND, conservateurs

6

Bibliothèque de l’Arsenal :

Bruno BLASSELLE, directeur ;

Nathalie COILLY, conservateur Bibliothèque royale de Belgique :

Patrick LEFÈVRE, directeur ; Bernard BOUSMANNE,

directeur du Cabinet des manuscrits ; Michiel VERWEIJ,

chargé de recherche au département des manuscrits

Centre André-Chastel :

Dany SANDRON, professeur à l’université de Paris-

Sorbonne (Paris IV), directeur, responsable scientifique et technique d’un groupe de recherche sur les caves

de Paris dans le cadre du PRES-Sorbonne Universités, Catherine LIMOUSIN et Véronique SOULAY

Centre hospitalier national des Quinze-Vingts : Jean-François SÉGOVIA, directeur

Collection Debuisson :

Roxane DEBUISSON et Florence QUIGNARD-DEBUISSON

Département histoire de l’architecture et archéologie de Paris (DHAAP) :

Laurent ALBERTI, chef du Département ; Catherine BRUT, conservateur en chef du patrimoine – archéologue ; Violaine BRESSON et Élisabeth PILLET, conservateurs

du patrimoine – archéologues ; Marc LELIÈVRE,

Christian RAPA et Pascal SAUSSEREAU, photographes ;

Claire MARTIN, restauratrice

École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) :

Nicolas BOURRIAUD, directeur ; Emmanuel SCHWARTZ, conservateur


Institut national d’histoire de l’art (INHA) :

Antoinette LE NORMAND-ROMAIN, directrice générale ;

Martine POULAIN, directrice de la bibliothèque

de l’INHA ; Jérôme DELATOUR, conservateur Maison de Victor Hugo :

Gérard AUDINET, directeur

Médiathèque de l’architecture et du patrimoine : Jean-Daniel PARISET, directeur

Musée Carnavalet :

Jean-Marc LÉRI, directeur ; Florian MEUNIER, conservateur du département de l’archéologie et du Moyen Âge ;

Thierry SARMANT, conservateur en chef du patrimoine,

responsable des collections de monnaies et médailles Musée des Arts décoratifs :

Béatrice SALMON, directrice ; Monique BLANC,

conservateur en chef ; Odile NOUVEL-KAMMERER,

conservateur en chef

et, à la Direction des fonds des Archives nationales :

Nadine GASTALDI, conservateur en chef du patrimoine

aux Archives nationales, chargée de mission pour les cartes et plans ;

Département de l’Éducation, de la Culture et des Affaires sociales :

Catherine MÉROT, conservateur général du patrimoine, responsable

Département des archives privées :

Isabelle ARISTIDE, conservateur général du patrimoine, responsable

Département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime : Jean-Pierre BRUNTERC’H, conservateur général

du patrimoine, responsable

Département du Minutier central des notaires de Paris : Marie-Françoise LIMON-BONNET, conservateur général du patrimoine, responsable

Musée du Louvre :

Henri LOYRETTE, président ; Guillaume FONKENELL,

conservateur du patrimoine, responsable de la Section

sur l’histoire du Louvre au département des Sculptures Musée national du Moyen Âge :

Élisabeth TABURET-DELAHAYE, directrice ;

Jean-Christophe TON-THAT, responsable

de la documentation

Musée Vivenel (Compiègne) :

Claire ISELIN, conservateur des musées de la ville de Compiègne

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SOMMAIRE

AVANT-PROPOS

I. LES SOURCES DE L’HISTOIRE D E L A D E M E U R E 15

11 AGNÈS MAGNIEN D I R E C T R I C E D E S A R C H I V E S N AT I O N A L E S

PRÉFACE

13 J EA N F AVI E R MEMBRE DE L’INSTITUT PRÉSI DENT DU COMITÉ D’H ISTOI R E

La demeure à travers les archives DE

PARIS

La demeure à travers les plans

16 20

La demeure d’après l’enluminure La demeure dans la littérature

28 34

II. STATUTS, USAGES ET MISE EN ŒUVRE D E L A D E M E U R E 37 La demeure dans l’espace seigneurial parisien et les règlements d’urbanisme

38

La mise en œuvre : chantiers, techniques, contrôle Usages et dépendances

79

À l’enseigne de la demeure médiévale parisienne

III. LA DEMEURE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE PARISIENS Typologie des demeures parisiennes : évolution chronologique 98 Les hôtels ecclésiastiques Les hôtels laïques

8

126

62

104

97

93


IV. REGARDS SUR L’ARCHITECTURE

139

Les demeures parisiennes des xiiie et xive siècles L’hôtel parisien sous Charles VIII et Louis XII

140

186

La maison parisienne à pan de bois de l’époque gothique tardive : restitution du processus de mise en œuvre Le décor monumental de la demeure

206

Entre gothique et Renaissance : La demeure parisienne des années 1510-1530

V. MOBILIER ET DÉCOR INTÉRIEURS

198

212

221

Le mobilier d’une demeure parisienne au xve siècle La period room médiévale aux Arts décoratifs

222

225

Le menuisier, principal maître d’œuvre du décor de la demeure parisienne 227 La fenêtre et son vitrage

232

Les tentures dans la demeure parisienne à la fin du Moyen Âge 235 Images de dévotion sculptées dans la demeure parisienne à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance 237 Ustensiles et vaisselle en usage à Paris au Moyen Âge

239

VI. POSTÉRITÉ : VISIONS MODERNES D U « V I E U X P A R I S » 243 Guides et littérature

244

L’habitat néo-gothique à Paris au xixe siècle Redécouverte : destructions et archéologie

250 258

275

Liste des demeures médiévales conservées

Une anticipation rétrospective : l’exposition du Vieux Paris d’Albert Robida en 1900 269 Visions cinématographiques du Paris médiéval

ANNEXES Bibliographie

273

276

277

Table des matières

290

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LES SOURCES

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DE L’HISTOIRE

DE LA DEMEURE


AVANT-PROPOS AGNĂˆS MAGNIEN

Les Archives nationales prĂŠsentent Ă l’automne une exposition consacrĂŠe Ă la demeure mĂŠdiĂŠvale Ă Paris. PubliĂŠ en mĂŞme temps que le rĂŠpertoire des demeures sur lequel il s’appuie, le prĂŠsent ouvrage vise Ă ĂŠbaucher une synthèse inĂŠdite sur un sujet Ă la fois central dans l’histoire de l’urbanisme en Occident et relativement mĂŠconnu. La pĂŠriode considĂŠrĂŠe, qui porte sur plusieurs siècles, du e siècle Ă , prend en compte aussi des sources postĂŠrieures permettant d’Êclairer cette histoire. Elle tĂŠmoigne de l’Êvolution historique de la maison dans la ville, de la mise en Ĺ“uvre des constructions et du dĂŠcor des demeures qui reflètent les conditions sociales de leurs habitants et s’adaptent aux structures et Ă la topographie de la ville. La typologie des documents est d’une grande variĂŠtĂŠ et les sources sont d’origine très diverse, ces deux aspects renforçant par lĂ mĂŞme l’intĂŠrĂŞt du sujet. En effet, outre les sources ĂŠcrites, archĂŠologiques et figurĂŠes rĂŠparties dans la plupart des sĂŠries des Archives nationales, les prĂŞts proviennent de nombreuses institutions Ă Paris (Archives de Paris, archives de l’Assistance publique – hĂ´pitaux de Paris, archives hospitalières des Quinze-Vingts, Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Institut national d’histoire de l’art, Centre AndrĂŠ-Chastel, MĂŠdiathèque de l’architecture et du patrimoine et Maison de Victor Hugo), en province (archives dĂŠpartementales de la CĂ´te-d’Or et des PyrĂŠnĂŠes-Atlantiques), Ă l’Êtranger, comme la Bibliothèque royale de Belgique, et de collections particulières. Les sources mettent en lumière l’approche historique et archĂŠologique de l’habitat mĂŠdiĂŠval parisien au e siècle. S’y ajoutent maquettes, dessins, meubles, tableaux et objets divers (issus du musĂŠe Carnavalet, du musĂŠe national du Moyen Ă‚ge, de la section Histoire du Louvre, du musĂŠe des Arts dĂŠcoratifs, du

musĂŠe Vivenel de Compiègne, de l’École nationale supĂŠrieure des beaux-arts, mais ĂŠgalement du DĂŠpartement histoire de l’architecture et archĂŠologie de Paris, des associations de sauvegarde du patrimoine parisien). Nous tenons Ă remercier très chaleureusement l’ensemble de ces prĂŞteurs, ainsi que les commissaires et les contributeurs de cet ouvrage pour le travail qu’ils ont accompli. L’exposition fournit ainsi l’occasion de nouer des relations scientifiques de qualitĂŠ entre les institutions et d’envisager un partenariat solide avec plusieurs d’entre elles, Ă l’image de la contribution des enseignants, chercheurs et conservateurs du Centre AndrĂŠ-Chastel de l’universitĂŠ de Paris IV, que les Archives nationales ont rĂŠcemment rejoint dans le PRESSorbonne UniversitĂŠs ; Ă l’image aussi de l’Êtude historique et archĂŠologique menĂŠe conjointement par des archĂŠologues du DĂŠpartement histoire de l’architecture et archĂŠologie de Paris, des membres de la SociĂŠtĂŠ française d’archĂŠologie et les Archives nationales sur l’hĂ´tel de Clisson.

Fig. 2 Place de marchĂŠ. Enluminure du MaĂŽtre de la CitĂŠ des Dames, Thomas de Saluces, Le chevalier errant, vers 1394. B.n.F., ms. fr. 12559, folio 167.

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LES SOURCES

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DE L’HISTOIRE

DE LA DEMEURE


PRÉFACE J EA N F AVI E R

À l’œil, une ville dessine d’abord un panorama, un ensemble qui s’inscrit dans le paysage. Pour le citadin, elle est d’abord faite de sa maison, et de celles des autres de son côté de la rue. Cette maison n’est pas que l’un des éléments de la façade sur la rue. Elle est aussi le reflet d’une position sociale et d’un moment dans un destin familial. L’historien se doit d’être sensible à ce que furent les premières préoccupations de l’habitant, les dimensions, les matériaux, les éléments de la solidité et ceux de la protection contre les éléments. Pour chacun la maison est un moyen de vie, de confort, de travail, et c’est aussi un placement. Tout cela, l’historien le mesure grâce à une documentation exceptionnelle à Paris par son ampleur, par sa diversité. C’est à la lourdeur des procédures qui président à la construction, à l’acquisition, à la modification, à la cession, que nous devons cette documentation. Elle mentionne des accès, des pierres, des tuiles, le bois, des ameublements. Elle fait leur place aux commodités, comme au besoin de lumière et de regard. De cette matière, les historiens de l’art comme Étienne Hamon savent, forts d’un siècle et demi d’érudition savante et de nouvelles méthodes d’investigation, tirer les informations pertinentes pour identifier les grands courants et les modèles de la création monumentale. Si l’historien de Paris est aussi bien servi en documents et en informations, il le doit à l’importance de l’immobilier bâti dans le patrimoine des établissements ecclésiastiques, comme à celle des monastères et des collèges dans le partage du sol, dans le bâti, qui font la ville. Nombre de nos informations sont naturellement de source domaniale, et la conservation scrupuleuse des preuves de propriété par les gestionnaires ecclésiastiques aura rendu un immense service à Valentine Weiss pour les travaux qu’elle mène depuis quelques années. Mais, là, c’est chacun chez soi. La documentation d’origine fiscale met chacun à sa place, et conjoint le regard de l’administrateur avec celui du propriétaire ou du futur propriétaire. Là comme ailleurs, l’intervention de la puissance publique dans les affaires de l’individu et de la famille nourrit la recherche historique. Fig. 3 Marie de Blois et Louis II d’Anjou accueillis à Paris. À l’arrière plan, vue générale de la ville depuis le nord. Enluminure du Maître d'Antoine de Bourgogne. Jean Froissart, Chroniques. Bruges, vers 1470. B.n.F., ms. fr., 2645, fol. 321 v°.

Nous empruntons l’œil du propriétaire et celui du plaideur, celui du maçon et celui du couvreur. C’est eux qui ont voulu la ville et en ont connu et servi la croissance, et non les urbanistes. Ceux-ci n’ont fait qu’adapter à leur vue les réalités matérielles. Vient ensuite pour l’historien le temps de la vie et de tout ce qui nous informe du cadre de vie et de l’adaptation des fonctions à la construction. Ce livre offre à notre interrogation des réponses combien nouvelles. Il ouvre la voie à de nouveaux cheminements que ne manqueront pas d’emprunter d’autres historiens.

Fig. 4 3, rue Volta (IIIe arr.). Maison à pan de bois du XVIIe siècle, jadis datée du XIIIe siècle. Cliché Alain Berry, Arch. nat.

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LES SOURCES

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DE L’HISTOIRE

DE LA DEMEURE


I. LES SOURCES DE L’HISTOIRE DE LA DEMEURE VALENTINE WEISS

Paris se présente sous la forme d’une île reliée à deux rives, mais comprend surtout une enceinte fortifiée ponctuée par des portes, de nombreux clochers ou tours d’abbayes, de prieurés, d’églises paroissiales ou d’hôpitaux ; la forteresse du Louvre, celle de la Bastille ou bastide Saint-Antoine dès le règne de Charles V et les deux Châtelet de part et d’autre du fleuve. Excepté quelques marchés, places et rues un peu larges comme la rue Saint-Antoine, Paris est un dédale de rues étroites dont les dénominations s’enchevêtrent . Entre l’édification du mur de Philippe Auguste et l’enceinte de Charles V, la physionomie de Paris change considérablement, englobant de grands espaces jusqu’alors suburbains, patents dans les documents de seigneuries foncières comme Saint-Magloire, Saint-Martin-des-Champs, le Temple ou, vers Saint-Paul, celle de Saint-Éloi. Telle est la vision de l’historien d’aujourd’hui qui dispose de sources très diverses dont on s’efforcera d’énumérer les carences autant que les apports. Celle qu’a le Parisien de l’époque médiévale de sa ville est très certainement bien différente de la perception actuelle : c’est celle, plus ou moins sublimée, déformée ou orientée, qui s’exprime dans les sources narratives et les enluminures dès le XIVe siècle et s’épanouit au siècle suivant, et dont les premiers plans de l’extrême fin de ce siècle et du XVIe siècle rendent compte également. La ville médiévale est caractérisée par des seigneuries, des justices, des paroisses et des quartiers qui se superposent. Mais au-delà de ces diverses circonscriptions, ces maisons sont la marque d’une ville qui se définit aussi, voire avant tout, par une coexistence du sacré et du profane, par des implantations guidées par le désir de regroupements identitaires de communautés sociales fortes, dans le paysage urbain qu’il convient de reconsidérer comme des ensembles humains et non comme des territoires. Les découpages municipaux sont le signe le plus évident de cette affirmation bourgeoise des notables sur la maison parisienne. Fig. 5 La cour de l’Hôtel du Prévôt. Eau forte de Gabrielle Niel parue dans Eaux fortes sur le vieux Paris, vers 1866. Épreuve avant la lettre. Coll. part. E. Hamon.

Sur la parcelle, qui est caractérisée par une certaine stabilité, la demeure s’implante selon des particularités d’orientation, suivant certaines règles que les voyers sont chargés de faire appliquer et dont le respect n’est toutefois constaté qu’a posteriori. Le lotissement progressif témoigne de l’essor urbain qui subit les aléas économiques et les événements politiques que traverse la capitale. Après les Halles, « qui voudrait compter le nombre des autres maisons de Paris, travaillerait probablement en vain, à peu près comme celui qui essaierait de compter les cheveux de plusieurs têtes abondamment fournies, ou les épis d’une vaste moisson, ou les feuilles d’une grande forêt. Que de grands et beaux hôtels de riches fameux ! Les uns sont ceux des rois, des comtes, des ducs, des chevaliers et des autres barons ; les autres appartiennent aux prélats ; tous sont nombreux, grands, bien bâtis, beaux et splendides, au point qu’à eux seuls et séparés des autres maisons, ils pourraient constituer une merveilleuse cité ». Ainsi s’exprime Jean de Jandun dans son Traité des louanges de Paris en . Six siècles plus tard, Adolphe Berty s’exprime ainsi dans sa monumentale Topographie historique du vieux Paris : « Quant aux hôtels seigneuriaux, leur histoire est pleine d’erreurs, et les historiens de Paris n’ont point mentionné le quart de ceux qui méritaient de l’être. Il a été encore moins question des maisons de bourgeois ou d’artisans, que distinguaient de si pittoresques dénominations […] de telle sorte […] qu’on ne savait presque jamais retrouver la demeure d’un personnage célèbre ». Même si nombre d’études ont été publiées depuis lors, elles ne sont malheureusement que bien ponctuelles face à la masse des demeures dont l’histoire reste encore à découvrir… Les articles publiés livrent un éclairage sur des lieux, des ensembles communautaires, des usages particuliers. L’essai de synthèse historique qui les illustre, en dépit du caractère encore réduit des connaissances sur cette immense matière, pose des jalons qui permettront sans doute d’ouvrir la voie à des recherches plus poussées. 1 Favier 1997, p. 13-22. 2 Le Roux de Lincy et Tisserand 1867, p. IX et 52-53. 3 Berty 1876-1897, t. I, p. XII.

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LA DEMEURE À TRAVERS LES ARCHIVES VALENTINE WEISS

Fig. 6 Chronique du règne de Louis XI, dite Chronique scandaleuse de Jean de Roye, 1460-1483. B.n.F., ms. fr. 5062, fol. 53 v°. LES SOURCES

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DE L’HISTOIRE

DE LA DEMEURE

Les mĂŠdiĂŠvistes dĂŠplorent les destructions massives de documents et parfois de fonds entiers d’archives qui auraient ĂŠtĂŠ bien utiles Ă la recherche parisienne, dues en grande partie Ă l’incendie de la Chambre des comptes en , aux ĂŠliminations rĂŠvolutionnaires ou Ă l’incendie de l’HĂ´tel de Ville en . En ce qui concerne les documents domaniaux – essentiellement des registres –, un tiers de la production a ainsi disparu au fil des siècles . Il reste nĂŠanmoins de superbes fonds d’archives et de nombreux documents rĂŠpartis dans les sĂŠries des Archives nationales, aux Archives de Paris, aux archives de l’Assistance publique de Paris ou aux archives hospitalières des Quinze-Vingts, dans les institutions parisiennes – dĂŠpartement des Manuscrits de la Bibliothèque nationale, bibliothèques de l’Arsenal, de la Ville de Paris, Sainte-Geneviève, Sorbonne ou Mazarine –, dans des fonds de province comme Ă Rouen – collection Leber pour la copie de registres de la Chambre des comptes – et dans les autres dĂŠpĂ´ts qui ont recueilli les fonds des prĂŠlats ou d’institutions religieuses (Bourges, Autun, Beauvais, Reims) et des princes possessionnĂŠs Ă Paris (Arras, Lille, Dijon, Pau), ou encore des fonds ĂŠtrangers, anglais, belges ou russes . Pour ne prendre qu’un exemple, les archives du duc Louis d’OrlĂŠans, dispersĂŠes au XVIIIe siècle, ont subsistĂŠ pour une partie Ă la chambre des comptes de Blois, l’essentiel ĂŠtant conservĂŠ au dĂŠpartement des Manuscrits, auquel s’ajoute un seul compte de conservĂŠ aux Archives nationales . Le mĂŞme constat de dispersion des sources s’impose pour les archives du duc de Berry . Certaines sources ont ĂŠtĂŠ en partie sauvĂŠes de l’oubli par des publications d’Êrudits : Sauval, dans ses Antiquitez, a publiĂŠ des extraits des ÂŤ registres des Ĺ“uvres royaux Âť. Après lui, on peut citer les ÂŤ Preuves Âť contenues dans l’Histoire de la ville de Paris de FĂŠlibien et Lobineau ( ), les appendices de la Topographie historique du Vieux Paris d’Adolphe Berty et ses continuateurs ( - ) ou le Cartulaire gĂŠnĂŠral de Paris de Robert de Lasteyrie ( ) ou les Documents parisiens du règne de Philippe VI de Valois de Jules Viard ( ). S’ajoutent Ă cela les sources littĂŠraires publiĂŠes dans Paris et ses historiens aux XIVe et XVe siècles par Antoine Le Roux de Lincy et Lazare-Maurice Tisserand ( ) et les ĂŠditions de journaux ou chroniques, notamment : Chronique du Religieux de Saint-Denis de LouisFrançois Bellaguet ( - ), le Journal d’un bourgeois de Paris, Journal de Nicolas de Baye, Journal de ClĂŠment de Fauquembergue

au nombre des nombreuses publications d’Alexandre Tuetey ( , , - ), Journal de Jean de Roye, connu sous le nom de Chronique scandaleuse de Bernard de Mandrot ( ). Parmi les ĂŠditions de sources concernant des institutions, relevons, entre autres, le Cartulaire de Notre-Dame de Benjamin GuĂŠrard ( ), les appendices Ă l’Histoire de l’HĂ´tel de Ville de Paris d’Antoine Le Roux de Lincy ( ) et son ĂŠtude sur la Grande ConfrĂŠrie Notre-Dame ( ) complĂŠtĂŠe par celle d’Henri Omont ( ), Les MĂŠtiers et corporations de la ville de Paris de RenĂŠ de Lespinasse et d’Alfred Bonnardot ( ), les Registres des dĂŠlibĂŠrations du Bureau de la Ville de Paris de François Bonnardot, Alexandre Tuetey et Paul GuĂŠrin, commencĂŠs en et poursuivis jusqu’à nos jours, le Chartularium

fig 1


LA DEMEURE À TRAVERS LES PLANS VALENTINE WEISS

Fig. 15 Copie du plan de la Gouache, vers 1540. BHVP, rouleau 9.

Ă€ quelques exceptions près, tous les plans conservĂŠs sont postĂŠrieurs Ă la pĂŠriode mĂŠdiĂŠvale. L’Êdifice laĂŻque, notamment la maison ordinaire, reconnaissable Ă sa façade Ă pignon sur rue, gĂŠnĂŠralement de deux ĂŠtages au dĂŠbut du XVe siècle (jusqu’à sept par la suite Ă l’ouest de la rive droite), appendances Ă l’arrière, apparaĂŽt dans les plans gĂŠnĂŠraux et seigneuriaux ou sur le plan figuratif de la place Royale – des Vosges. Outre les plans gĂŠnĂŠraux, les maisons sur les ponts sont reprĂŠsentĂŠes dans le plan seigneurial de Saint-Merry. Les appendances sont plus visibles encore sur les plans seigneuriaux suburbains des Cordelières ou de la Grande ConfrĂŠrie. Figurant ĂŠgalement sur certains plans ruraux , la structure Ă pan de bois apparaĂŽt dans les plans des Cordelières ou les archives de la chambre des Bâtiments. En revanche, Ă la diffĂŠrence de l’enluminure, le parement, typique des maisons mĂŠdiĂŠvales Ă encorbellement, est presque totalement absent des plans.

PLANS

GÉNÉRAUX

Dans sa Topographie historique du vieux Paris, Adolphe Berty considĂŠrait avec scepticisme la vĂŠracitĂŠ des plans gĂŠnĂŠraux de la capitale avant le plan de Gomboust, voire celui de Delagrive . Les plans qui retiennent l’attention des historiens sont les plans de la Tapisserie et de Bâle au XVIe siècle, Quesnel et Vassalieu sous Henri IV, Merian, Gomboust, Bullet et Blondel au XVIIe siècle, Bretez (sous les ordres de Turgot) et Verniquet, premier plan gĂŠomĂŠtral, au XVIIIe siècle. Les plans, jusqu’en offrent la vision d’une ville circulaire, dans la tradition idĂŠale d’une capitale du monde, ÂŤ caput mundi Âť, notamment dans le plan de Bâle, ou elliptique dans le plan de Merian en perspective de , lequel schĂŠmatise rues et maisons sur un tissu urbain en perspective, mais les principaux monuments sont reprĂŠsentĂŠs de manière soignĂŠe. Il en est de mĂŞme du plan de Gomboust de , premier essai de restitution gĂŠomĂŠtrique de l’ensemble des ĂŠdifices publics et privĂŠs, (notamment les hĂ´tels) dans la lignĂŠe des prĂŠcĂŠdents, qui reprĂŠsente tous les lieux, ou du plan de Bullet de . Le plan de Quesnel de est orientĂŠ au sud-est, le plan contemporain de Vassalieu mettant lui aussi en valeur la ville forte. Delagrive, Ă travers ses plans cadastrĂŠs entre et , renseigne sur les ĂŠdifices, ĂŠchoppes et boutiques. Le plan de Louis Bretez, levĂŠ sous les ordres de Michel Étienne Turgot en - , qui LES SOURCES

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offre une vue cavalière dĂŠtaillĂŠe de Paris, a pour but une reprĂŠsentation parfois plus thÊâtrale que scientifique de la capitale . La chanson de geste Les Narbonnais, de la fin du XIIIe siècle, ĂŠvoque une reprĂŠsentation de la ville avec les portes, le Palais, la Sainte-Chapelle, les clochers des ĂŠglises et les moulins sur le fleuve, ÂŤ au milieu d’un amas inĂŠgal d’habitations Âť, mais aussi les maisons Ă tours, les textes les mentionnant souvent, telles celle d’Étienne de Garlande, une autre situĂŠe en haut de la rue Saint-Jacques ou celle de Jean sans Peur . De mĂŞme que l’enluminure des XIVe et XVe siècles , les premiers plans gravĂŠs sur bois de l’extrĂŞme fin du XVe siècle sont des ÂŤ vues imaginaires Âť, une vue gravĂŠe vers reprĂŠsentant les enceintes, les ĂŠglises, la tour et l’hĂ´tel fortifiĂŠ de Nesle . Un plan manuscrit perdu, des annĂŠes , sert de modèle aux autres du XVIe siècle . Les principaux plans de Paris au XVIe siècle reprĂŠsentent enceintes, ponts, ĂŽles, rues, ĂŠglises et un certain nombre d’hĂ´tels,


Fig. 25. Dave, l’esclave de Simon rencontre Mysis, la servante de Glycère, au dĂŠtour d’une rue. B.n.F., Arsenal, ms. 664, fol. 10 r°, TĂŠrence, ComĂŠdies ; (L’Andrienne, acte I, scène 3).

LA DEMEURE D’APRĂˆS L’ENLUMINURE M A R I E -T H É R Ăˆ S E G O U S S E T

Un peu plus d’un demi-siècle avant que ne s’Êveille l’art du paysage, des enlumineurs parisiens avaient dĂŠjĂ cĂŠdĂŠ Ă l’attrait qu’exerçait la capitale du royaume de France, la plus grande ville de l’Occident chrĂŠtien. Plus que l’architecture urbaine, c’est l’activitĂŠ portuaire et artisanale qui a fascinĂŠ le MaĂŽtre de la Vie de saint Denis au point d’illustrer, en , l’histoire du martyr et de ses compagnons au-dessus d’une frise quasi continue reprĂŠsentant le trafic fluvial et les ponts maisonnĂŠs reliant la CitĂŠ aux deux rives, avec la vie grouillante qui les anime au quotidien . De cette ĂŠvocation, rendue au demeurant avec un sens remarquable de l’observation, un seul ĂŠlĂŠment est intĂŠressant Ă retenir en ce qui concerne la demeure mĂŠdiĂŠvale : c’est l’implantation des maisons dont les pignons donnent sur la chaussĂŠe et leurs ĂŠchoppes s’ouvrant sur la rue. Ă€ deux ou trois annĂŠes d’intervalle, la plume alerte du MaĂŽtre du Roman de Fauvel esquisse, dans son Ĺ“uvre ĂŠponyme, la silhouette du palais de la CitĂŠ . CĹ“ur de la ville, la CitĂŠ est effectivement le site qui va retenir le plus souvent l’attention des meilleurs artistes depuis les frères Limbourg jusqu’à Jean Fouquet. C’est Ă l’aube du e siècle que, sous l’influence des enlumineurs venus du Nord, se dĂŠveloppe l’intĂŠrĂŞt pour le paysage. TantĂ´t panoramiques, tantĂ´t ciblĂŠes sur un ĂŠdifice prĂŠcis, les vues parisiennes apparaissent dès le dĂŠbut des annĂŠes . L’illustration de livres de dĂŠvotion, d’ouvrages politiques ou de chroniques est l’occasion de choisir Paris comme dĂŠcor pour des scènes de martyre ou de vie des saints tutĂŠlaires de la capitale, de dĂŠdicace ou d’histoire. Les vues cavalières que l’on trouve dĂŠjĂ chez le MaĂŽtre de Boucicaut dans le BrĂŠviaire de Louis de Guyenne vers , puis chez le MaĂŽtre de Dunois dans un livre d’heures peut-ĂŞtre exĂŠcutĂŠ pour Charles VII vers , enfin chez Fouquet tant dans les Heures d’Étienne Chevalier vers que dans les Grandes Chroniques de France aux environs de , montrent bien Ă quel point le tissu urbain est resserrĂŠ. Des peintures prĂŠsentant un plan plus rapprochĂŠ permettent de discerner les caractĂŠristiques extĂŠrieures des maisons et, Ă ce propos, il est utile de se rĂŠfĂŠrer ĂŠgalement Ă des paysages urbains qui ne sont pas censĂŠs figurer prĂŠcisĂŠment Paris, mais qui sont dus Ă des artistes travaillant in situ et, de ce fait, qui reproduisent ce qu’ils ont sous les yeux, comme c’est le cas du MaĂŽtre de la CitĂŠ des Dames et de certains de ses collaborateurs. Leur tĂŠmoignage peut ĂŞtre ainsi considĂŠrĂŠ comme fiable mĂŞme si parfois l’intrusion d’un pignon en ÂŤ saut de moineau Âť rappelle l’origine flamande de plusieurs d’entre eux. LES SOURCES

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DE L’HISTOIRE

DE LA DEMEURE


LA DEMEURE DANS LA LITTÉRATURE E V E LY N M U L L A L LY

Ă€ l’intĂŠrieur du rempart de Charles V les habitations des gens ordinaires ĂŠtaient bien Ă l’Êtroit. Il ĂŠtait normal de vivre dans un immeuble de plusieurs ĂŠtages, comme nous le voyons dans une enluminure du milieu du XVe siècle . Il peut paraĂŽtre ĂŠtrange de voir ces ensembles de maisons si près de Notre-Dame, mais, avant les transformations dues Ă Haussmann, mĂŞme l’Île de la CitĂŠ ĂŠtait un rĂŠseau de rues ĂŠtroites bordĂŠes d’immeubles. Si on traversait le Petit Pont pour gagner la rive gauche, il ne fallait pas s’Êtonner de voir très peu de demeures privĂŠes. Toute la partie sud de la ville Ă l’intĂŠrieur du rempart s’appelait globalement l’UniversitĂŠ. Outre les nombreuses maisons religieuses, les collèges foisonnaient. Comme Ă Oxford et Ă Cambridge, les collèges ĂŠtaient des institutions caritatives qui permettaient aux ĂŠtudiants pauvres de venir ĂŠtudier Ă Paris. Des esquisses faites au milieu du XIVe siècle ĂŠvoquent les activitĂŠs des ĂŠtudiants dans leur tout petit collège de Hubant . Si, en revanche, on traversait le Grand Pont Ă la rive droite, on se trouvait dans la Ville, partie de Paris qui s’Êtait tant dĂŠveloppĂŠe qu’il a fallu construire un plus grand rempart sous Charles V. C’est donc sur la rive droite que se trouvaient tous les hĂ´tels des grands bourgeois qui nous permettent d’imaginer les demeures des familles aisĂŠes Ă Paris au Moyen Ă‚ge. Ă€ la fin du XIVe siècle, un anonyme, qu’il faut très probablement identifier Ă Guy de Montigny, chevalier au service du duc de Berry, rĂŠdigea un traitĂŠ Ă l’usage de sa très jeune ĂŠpouse . Ce MĂŠnagier de Paris nous instruit sur tous les devoirs que doit remplir une maĂŽtresse de maison. Ce faisant, il nous laisse apercevoir toutes les ressources que doit contenir une maison appartenant Ă une famille aisĂŠe mais prudente. La maison de Guy de Montigny occupait l’angle de la rue Saint-Antoine et de la rue PercĂŠe (auj. du PrĂŠvĂ´t). Elle semble assez grande, mais au Moyen Ă‚ge l’absence de tout appareil pour faciliter et simplifier toutes les besognes domestiques nĂŠcessitait une main-d’œuvre importante. Le personnel qui vivait sur place comprenait maĂŽtre Jehan, son intendant, dame Agnès, bĂŠguine et compagne de la jeune maĂŽtresse de maison, l’huissier, le jardinier, Richard le garçon de cuisine, sans compter ÂŤ les hommes et les femmes Âť qui s’occupaient de la cuisine, du chauffage, des chevaux et ainsi de suite. Quelques dĂŠcennies plus tard, nous obtenons des dĂŠtails intĂŠressants sur les demeures Ă Paris grâce Ă un texte terminĂŠ en , la Description de Paris par le Flamand Guillebert De LES SOURCES

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DE L’HISTOIRE

DE LA DEMEURE

Mets (fig. 30). Parmi les personnages notables Ă Paris dans son temps, Guillebert mentionne Nicolas Flamel, cĂŠlèbre Ă plusieurs ĂŠgards : c’Êtait un alchimiste, mais aussi un calligraphe et un homme d’affaires très prospère et en plus, de concert avec sa femme Pernelle, c’Êtait un philanthrope qui possĂŠdait plusieurs maisons ÂŤ oĂš gens de mĂŠtiers demeuraient en bas et du loyer qu’ils payaient ĂŠtaient soutenus pauvres laboureurs en haut Âť. Une de ces maisons existe encore au rue de Montmorency (IIIe arr.). Ces logements gratuits permettaient Ă quelques ouvriers pauvres d’avoir une demeure Ă Paris. Les moins chanceux se logeaient tant bien que mal. Guillebert nous assure qu’il y avait mendiants Ă Paris Ă cette ĂŠpoque. Il exagère sans doute, mais les pauvres ĂŠtaient probablement très nombreux. Les familles plus fortunĂŠes, en revanche, sont bien mieux documentĂŠes. Guillebert mentionne cinq riches bourgeois qui, sans ĂŞtre nĂŠs nobles, vivaient comme des ÂŤ petits royetaux Âť. Tous les cinq sortaient de familles bien ĂŠtablies dans de riches mĂŠtiers, tels des orfèvres ou des changeurs, et qui fonctionnaient en effet comme des banquiers. Tous avaient fait fortune dans l’administration royale, notamment Ă la Chambre des comptes. Guillebert fait allusion Ă la demeure splendide de chacun : Dino Rapondi ( / - ), grand banquier lucquois, argentier des ducs de Bourgogne, possĂŠdait un grand hĂ´tel qui combinait les nos - rue de la Vieille Monnaie (auj. - boulevard SĂŠbastopol, IVe arr.). Ă€ la vente en , cette propriĂŠtĂŠ comprenait non seulement quatre pignons sur rue, mais une grande porte, diverses entrĂŠes et sorties, une cave, un cellier, un puits, une cuisine, une ĂŠcurie, des salles, des chambres, des galeries, des ĂŠgouts et des latrines . Bureau Dampmartin, orfèvre et changeur, avait un ÂŤ bel hostel Âť rue de la Courroirie (auj. section sud de la rue Quincampoix au nord de la rue des Lombards, IVe arr.). Guillemin Sanguin, changeur bourgeois lui aussi, mais qui acquit enfin des lettres de noblesse, avait un hĂ´tel ĂŠquipĂŠ ÂŤ d’autant de serrures comme il y a de jours dans l’an Âť. Il demeurait rue Bourdonnois (auj. rue Bourdonnais, Ier arr.). Miles Baillet, trĂŠsorier du roi, vivait rue de la Verrerie (IVe arr.). Son hĂ´tel avait ÂŤ une chapelle oĂš l’on cĂŠlĂŠbrait chaque jour l’office divin Âť. On ne s’Êtonne pas d’apprendre qu’il y avait des ÂŤ salles, chambres et ĂŠtudes Âť au rez-de-chaussĂŠe, mais curieusement on avait les mĂŞmes pièces Ă l’Êtage, pour permettre de vivre en bas en ĂŠtĂŠ et en haut en hiver. Dernier luxe, l’hĂ´tel avait d’innombrables fenĂŞtres.


STATUTS, USAGES

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ET MISE EN Å’UVRE

DE LA DEMEURE


II. STATUTS, USAGES ET MISE EN ŒUVRE DE LA DEMEURE ÉTIENNE HAMON

Avant d’être un modèle architectural pour ses semblables puis de devenir, au fil du temps, un bien patrimonial objet d’un marché fluctuant, enfin un matériau de l’histoire et de l’archéologie, la demeure urbaine d’une grande cité de la fin du Moyen Âge se définit par son appartenance à un espace juridique et physique et par le choix d’un ou de plusieurs programmes fonctionnels ; elle résulte d’un processus complexe, humain et technique, de conception et de mise en œuvre. Les contributions qui suivent proposent de cette forme d’appropriation du sol discontinue, élastique et dynamique une série d’éclairages qui rendent compte de la diversité des approches et des sources mobilisables. La maison parisienne est soumise au régime commun de la seigneurie foncière qui détermine les droits et les devoirs du citadin au regard des tribunaux, des receveurs et du personnel chargé de l’application des règlements que les maîtres du sol ou les corps municipaux imposent à mesure qu’ils organisent l’expansion urbaine. Le parcellaire issu de cette croissance nullement spontanée forme, les historiens l’ont compris de longue date, une matrice d’une exceptionnelle stabilité. Mais pas un carcan. Remembrements et dérogations négociées avec les voyers accompagnent en effet la croissance, qui s’opère par à-coups, et les mutations du bâti. La construction est l’un des aspects les mieux connus de l’économie de la demeure parisienne. C’est surtout vrai de son volet technique pour lequel les textes sont nombreux, variés et représentatifs d’un large champ typologique et chronologique de bâtiments, limité cependant aux deux derniers siècles du Moyen Âge. L’intérêt grandissant porté à ces questions a mis en lumière les particularismes parisiens comme le recours, en fonction des ressources, des réseaux de distribution et des modes, à certains matériaux. Plus difficile à définir est le rôle des bâtisseurs dans le processus de création. Identifier les maîtres d’œuvre, leurs réseaux, leur champ d’intervention et leur place dans la hiérarchie des responsabilités et des talents appelle en effet une exploration méthodique de fonds hétérogènes. Certains ont récemment livré leur matière, comme ceux du Minutier central pour la fin de la période. D’autres sont des plus prometteurs, comme ceux de la série S des mêmes Archives nationales. Fig. 31 Détail de la fig. 40.

Ce que les acteurs de cette économie du bâtiment puissante et structurée traduisent en termes monumentaux, ce sont les programmes qui leur ont été assignés en fonction des usages dévolus à ces édifices. Les archives offrent à ce sujet un matériau inépuisable mais imparfait puisque ses données manquent bien souvent d’un calage précis dans l’espace. L’archéologie du sol et du bâti s’est imposée depuis quarante ans par ses découvertes spectaculaires, tout en restant tributaire de monuments remaniés et de vestiges partiels à l’accessibilité incertaine. De toutes ces approches, qu’un programme de recherche pluridisciplinaire et diachronique sur les caves parisiennes mobilise actuellement, on peut tirer certains enseignements. Le premier est une polyvalence généralisée. Même les résidences de l’élite abritent des ateliers, des zones de stockage ou de traitement des marchandises, des parties locatives et d’autres soumises à la culture… La maison bourgeoise combine de manière plus stable logis et « ouvroir », mais ses usages résidentiels sont à géométrie variable : de la maison entière qui se confond avec le feu à la chambre meublée, en passant par l’appartement familial en copropriété ou en « louage ». La pression démographique et les enjeux spatiaux-économiques modulent, au fil du temps, ces équilibres entre espaces de vie, de représentation, de production, d’échange, de stockage, de dégagement et leur interconnexion. Ils déterminent aussi l’importance des éléments de confort, d’hygiène et de récréation. Car le croisement des regards dévoile parfois des espaces où se déroulent des activités plus informelles, comme les aires de jeu et les « salles à faire fêtes », qui prennent leurs aises dans le tissu urbain en temps de dépression foncière et à la faveur de la désaffectation progressive des grandes salles aristocratiques ; ou encore les étuves collectives qui tendent à concurrencer les maisons de plaisirs à l’activité très réglementée. Nom, culture, statut ou fonction de l’occupant, du propriétaire éminent ou réel, toutes ces caractéristiques peuvent se résumer à un élément de la demeure à la fois dérisoire et essentiel, et tour à tour immuable ou éphémère : l’enseigne figurée. C’est sa mise en place qui, à l’instar de la pendaison de crémaillère et du rituel qui l’accompagne aujourd’hui, marque le terme d’un chantier, insuffle la vie dans la maison et lui confère son identité.

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LA DEMEURE DANS L’ESPACE SEIGNEURIAL PARISIEN ET LES RĂˆGLEMENTS D’URBANISME LA DEMEURE PARISIENNE ET LE TRAVAIL DES LIMITES AU MOYEN Ă‚GE ET AU DÉBUT DES TEMPS MODERNES ROBERT DESCIMON et VALENTINE WEISS

Les risques de l’anachronisme ne menaceraient-ils pas l’historien des villes plus que les autres ? C’est que ÂŤ les constructions territoriales sont avant tout du temps consolidĂŠ Âť. Ce temps si particulier produit Ă la fois du viaire (des rues, des places, etc.) et des espaces bâtis, du vide et du plein. Plus encore, ÂŤ la ville ne se construit pas rĂŠgulièrement, mais par spasmes, par rythmes de crĂŠation, de transformation et de digestion progressives Âť, dit Marcel Roncayolo . ÂŤ Le territoire est essentiellement une mĂŠmoire et tout son contenu n’est fait que de formes passĂŠes Âť, cependant la ville n’est pas un ÂŤ palimpseste Âť . Car les usages qui sont faits d’un territoire et des diverses mĂŠmoires qu’il porte sont toujours et par dĂŠfinition contemporains, y compris les actions politiques et organisatrices ou manipulatrices de ces passĂŠs sĂŠdimentĂŠs qui ne disent en eux-mĂŞmes rien de leur signification historique ancienne et des usages particuliers, peut-ĂŞtre pĂŠrimĂŠs, qui ont assurĂŠ leur pĂŠrennitĂŠ apparente. Le territoire urbain est donc l’objet d’une praxis qui improvise Ă partir des contraintes lĂŠguĂŠes. Il est de la libertĂŠ appliquĂŠe Ă des hĂŠritages. En ce sens, il peut laisser libre cours Ă des lectures trompeuses qui projettent sur le passĂŠ les conceptions et les pratiques qui fondent nos propres usages de ce passĂŠ urbain transmis qui apparaĂŽt, fallacieusement peut-ĂŞtre, si essentiellement nĂ´tre. En ville, le remploi ne concerne pas les seuls matĂŠriaux, il regarde aussi les mĹ“urs et coutumes. Les legs architecturaux sont au cĹ“ur de telles contradictions qui n’Êpargnaient pas plus nos ancĂŞtres que nous-mĂŞmes. STATUTS, USAGES

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ET MISE EN Ĺ’UVRE

DE LA DEMEURE

DES

HÔTELS ET DES RÉSIDENCES

CO M M E M A R Q U E U R S S PAT I AU X

Pour se repĂŠrer dans la ville, le Parisien du Moyen Ă‚ge ne dispose ni de plaques de rues, ni de leur numĂŠrotation. La numĂŠrotation des maisons, dans les actes, sur les deux ponts Notre-Dame successifs, en et , n’est qu’un palliatif Ă l’absence, pour ces constructions toutes neuves, d’enseignes, lesquelles continuent d’identifier les maisons . Le janvier , l’administration dĂŠcide de fixer les noms des voies en les inscrivant, au coin des rues, sur des ĂŠcriteaux de fer blanc peints, qui sont remplacĂŠs un an et demi plus tard, en vertu d’une ordonnance de police, par des tables de pierre. Après un essai lors de l’ouverture de la Halle au blĂŠ vers , le numĂŠrotage gĂŠnĂŠralisĂŠ commence en avec un dĂŠnommĂŠ Kreenfelt . La numĂŠrotation actuelle est instituĂŠe en par Nicolas Frochot, prĂŠfet de la Seine, d’amont en aval du fleuve pour les rues parallèles Ă la Seine, Ă partir du fleuve pour les rues perpendiculaires Ă la Seine. Avant ces transformations fondamentales, la localisation d’une demeure se fait donc par le biais du nom de la rue et d’un dĂŠtail topographique comme une enceinte, une rue voisine, un hĂ´tel, une ĂŠglise, un couvent, un carrefour, une fontaine. Ce peut ĂŞtre aussi une enseigne, plus stable que le nom d’un propriĂŠtaire, malgrĂŠ de frĂŠquents changements de dĂŠnomination – voir Ă ce chapitre –, une maison en pierre, encore rare au e siècle, une couverture de tuile, matĂŠriau qui apparaĂŽt peu Ă peu au cours de ce siècle avec l’Êtablissement de tuileries Ă l’ouest du Louvre et près de Saint-Germain-des-PrĂŠs, ou la hauteur de son pignon . L’hĂ´tel comme point de repère Ainsi serait-ce sans doute une erreur de considĂŠrer que les maisons parisiennes du Moyen Ă‚ge ĂŠtaient de simples rĂŠsidences, des ÂŤ demeures Âť. L’espace urbain n’est lisible pour ses habitants qu’au sein de configurations mentales qui doivent ĂŞtre pensĂŠes dans leur historicitĂŠ. La remarque est ancienne qui associe une exacte perception gĂŠnĂŠrale d’un plan urbain Ă la rĂŠgularitĂŠ de la trame des rues et qui suggère que la confusion propre Ă l’urbanisme mĂŠdiĂŠval amène les citoyens Ă se repĂŠrer Ă l’aide de dĂŠtails visuels, souvent monumentaux, parfois fonctionnels ou utilitaires, mais plus souvent religieux et ecclĂŠsiaux .


L’URBANISME L’OCCUPATION DU SOL : PARCELLAIRE ET PLANS MASSE ÉTIENNE HAMON

LA

ET

VALENTINE WEISS

PA R C E L L E ,

FONDEMENT

DE LA DEMEURE URBAINE

Fig. 37 Restitution du parcellaire d’une partie de l’Îlot de la rue du Roule en 1459, d’après un censier du fief de Tirechappe. CHASTEL 1965-1966, fig. 16.

Le mouvement d’urbanisation qui transforme le visage de Paris au cours du Moyen Ă‚ge par des phĂŠnomènes cycliques d’extension, de densification ou, au contraire, de relâchement du tissu s’est opĂŠrĂŠ sur une base stable, qui est cependant difficilement saisissable dans les sources ĂŠcrites anciennes sur l’habitat : le parcellaire. Dans l’historiographie française, longtemps marquĂŠe par des travaux ponctuels, il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour voir cette rĂŠalitĂŠ prise en compte de manière systĂŠmatique avec une vision englobant de larges pĂŠrimètres. L’approche dynamique, surtout, a renouvelĂŠ les connaissances hĂŠritĂŠes des pionniers de cette archĂŠologie comme Berty, dont l’Êbauche d’un plan parcellaire du Paris mĂŠdiĂŠval reste cependant un outil toujours irremplaçable pour tout travail d’histoire urbaine dans la capitale. Pour avoir rĂŠussi Ă identifier près de maisons dans les sources mĂŠdiĂŠvales et Ă les localiser sur un plan dĂŠrivĂŠ de celui de Verniquet, premier plan gĂŠomĂŠtral parisien levĂŠ peu avant la RĂŠvolution, Berty avait en effet bien compris le caractère pĂŠrenne, sauf accident, du parcellaire sur lequel s’est dĂŠveloppĂŠe la demeure urbaine : ÂŤ les murs latĂŠraux n’Êtaient presque jamais dĂŠplacĂŠs Âť, alors que les modifications en profondeur de parcelle ont ĂŠtĂŠ plus frĂŠquentes . Longtemps axĂŠes sur des ensembles atypiques comme les lotissements , les ĂŠtudes urbaines ont renouĂŠ dans les annĂŠes avec les essais d’exploration systĂŠmatique d’Îlots reprĂŠsentatifs de la diversitĂŠ parcellaire mĂŠdiĂŠvale (fig. 37 et 39) . Plusieurs facteurs ont contribuĂŠ Ă l’affinement de la cartographie rĂŠgressive Ă commencer par la prise en compte de documents peu exploitĂŠs jusque-lĂ comme les plans parcellaires modernes qui gardent le souvenir de l’organisation mĂŠdiĂŠvale, Ă l’image du grand plan du fief de Poissy de (fig. 38) , les minutes notariales qui remontent Ă la Renaissance et surtout les censiers dont les plus anciens datent du XIIIe siècle, qui ĂŠnumèrent les bâtiments selon un parcours très tĂ´t stabilisĂŠ rendant possible le positionnement sur les plans modernes. Ce tournant mĂŠthodologique a ĂŠtĂŠ pris Ă l’occasion des ĂŠtudes menĂŠes sur le quartier des Halles par une ĂŠquipe rĂŠunie autour d’AndrĂŠ Chastel. Elles englobaient toute la partie ouest de la rive droite jusqu’au mur de Charles V , secteur mal couvert par l’entreprise avortĂŠe de Berty et de ses continuateurs. Ă€ l’occasion de cette enquĂŞte sur la

STATUTS, USAGES

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ET MISE EN Ĺ’UVRE

DE LA DEMEURE

très longue durĂŠe, la parcelle a ĂŠtĂŠ rĂŠhabilitĂŠe comme ÂŤ l’ÊlĂŠment fondamental de la structure urbaine Âť dont la morphologie et l’Êvolution permettent de comprendre les principes et les transformations dans la conception de la demeure, et les rapports de cette dernière avec la voie publique , Ă commencer par sa principale caractĂŠristique, sa façade sur rue, mur pignon ou mur gouttereau.

ORIGINE

ET ÉVOLUTION

D U PA R C E L L A I R E PA R I S I E N

ÂŤ Fixer et dater les conditions d’occupation du sol de la capitale semble impossible en l’Êtat actuel de nos connaissances Âť . Cette formule lancĂŠe il y a vingt ans Ă l’issue du constat de carence des ĂŠtudes sur les conditions de l’appropriation du sol parisien, on peut Ă peine la tempĂŠrer aujourd’hui. La principale raison invoquĂŠe par les auteurs demeure : le manque de sources antĂŠrieures au e siècle. D’après ce que l’on peut saisir du mouvement d’urbanisation de la capitale, ce sont surtout les sources exploitables des e- e siècles dont nous devons dĂŠplorer la raretĂŠ. Car c’est au cours de ce moment fondateur pour une grande partie de l’urbanisation de la ville mĂŠdiĂŠvale qu’il faut placer la fixation du parcellaire, Ă l’occasion de la mise Ă disposition par le maĂŽtre du sol d’une portion de terrain Ă un tenancier invitĂŠ Ă y bâtir une maison. Faute de documents, les auteurs de l’Êtude de rĂŠfĂŠrence sur les Halles n’ont pu remonter au-delĂ de la fin du XIVe siècle. Mais c’est suffisant pour ĂŠtablir, comme l’ont confirmĂŠ toutes les ĂŠtudes diachroniques, la stabilitĂŠ du parcellaire ordinaire parisien sur la longue durĂŠe, du XIIIe au XIXe siècle, en dĂŠpit


OPÉRATIONS URBAINES, LOTISSEMENTS ET HABITAT SUR LES PONTS À LA FIN DU MOYEN ÂGE ÉTIENNE HAMON

L’expansion de Paris au Moyen Ă‚ge est un phĂŠnomène majeur dans l’histoire de l’urbanisme occidental puisque c’est au cours de cette pĂŠriode que cette ville est devenue une très grande agglomĂŠration et que ses principales articulations se sont fixĂŠes pour longtemps . Après six siècles de stagnation ou de dĂŠclin, le tournant du premier millĂŠnaire marque le dĂŠbut d’une longue phase de croissance Ă partir des noyaux autour desquels l’habitat s’Êtait repliĂŠ durant le haut Moyen Ă‚ge, dans la CitĂŠ et sur quelques ĂŠminences entre Saint-Germain-l’Auxerrois et SaintGervais. Les modalitĂŠs juridiques et surtout ĂŠconomiques et pratiques de cette expansion, en dehors du constat d’une croissance en ĂŠventail et multipolaire qu’accompagne la densification du rĂŠseau des rues et des ĂŠglises, ne sont pas toujours claires. Ce sont souvent des documents fiscaux tardifs qui les suggèrent comme les censiers, qu’il faut interprĂŠter avec prudence. Mais quelques opĂŠrations volontaires exceptionnelles sont ĂŠclairĂŠes par des textes prĂŠcis, que l’on peut confronter Ă l’archĂŠologie et Ă l’observation du tissu urbain actuel.

ESSOR :

X I I e- X I I I e S I Ăˆ C L E S

Sur la rive droite l’urbanisation semble couvrir, vers , tout l’espace dĂŠlimitĂŠ par une nouvelle enceinte qui suit un arc de cercle entre le Louvre et Saint-Gervais, en longeant au nord Sainte-Opportune et Saint-Merry. Des bourgs extra urbains existent autour de Saint-Martin-des-Champs, fondĂŠ en , et de Saint-Paul. L’expansion vers le nord se prĂŠcise au cours du XIIe siècle : fondation du marchĂŠ aux Champeaux en , installation de Saint-Magloire en qui entraĂŽne le regroupement du Bourg-l’AbbĂŠ. La construction par Philippe Auguste de la troisième enceinte de la ville vers assure l’essor de ces ÂŤ bourgs Âť rĂŠsidentiels (Beaubourg, Bourg-Thibourg ) et du secteur des Halles Ă vocation plus commerciale pour lequel l’hypothèse d’un lotissement a ĂŠtĂŠ posĂŠe par Anne LombardJourdan . Deux gĂŠnĂŠrations plus tard, la densification est Ă son comble et la muraille protectrice est devenue une gĂŞne. Le nombre des maisons a ainsi doublĂŠ dans le deuxième quart du XIIIe sur les domaines du Temple intra-muros . La bourgeoisie ĂŠclairĂŠe a anticipĂŠ le mouvement en acquĂŠrant des parcelles extra-muros attenantes aux murailles ; des faubourgs naissent au-devant de chaque porte, oĂš les artisans jouissent d’une plus grande libertĂŠ que dans la ville. Le nombre des censitaires de Saint-Martin croĂŽt rĂŠgulièrement et, comme Ă Saint-Magloire mais avec une plus grande rĂŠgularitĂŠ dans le tracĂŠ des nouvelles voies et une meilleure rentabilitĂŠ des acensements , il atteint son maximum vers . Les activitĂŠs agricoles sont peu Ă peu relĂŠguĂŠes hors de la ville close, et au dĂŠbouchĂŠ des poternes les STATUTS, USAGES

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ET MISE EN Ĺ’UVRE

DE LA DEMEURE

lotissements fleurissent, comme derrière Saint-Paul oĂš l’abbaye de Saint-Maur et son prieurĂŠ de Saint-Éloi accensent, vers , des terres arables pour ĂŠtablir des ÂŤ hebergeages Âť le long d’une nouvelle voie . C’est alors que se fixe, intra-muros, le rĂŠseau des paroisses et des rues. La plupart de leurs noms apparaissent dans la documentation au XIIIe siècle . Leur liste est Ă peu près stabilisĂŠe vers , comme on le constate dans des documents fiscaux ou dans le Dit de Guillot . Rive gauche, les textes ĂŠpars montrent qu’au XIIe siècle beaucoup de ÂŤ clos Âť sont encore en culture le long de la Seine : Mauvoisin, Garlande, Bruneau, Laas ou Chardonnet sont couverts de vignes. Leur densification est cependant en marche . En , le roi Louis VI encourage le chapitre de Notre-Dame Ă lotir le clos de Garlande. Le vaste clos de Laas est loti Ă son tour par l’abbĂŠ Hugues de Saint-Germain-des-PrĂŠs en - , aux termes d’une concession de terrain Ă charge pour les hĂ´tes de construire moyennant une redevance dĂŠterminĂŠe, rare exemple de volontarisme . Puis vient le clos Bruneau par l’ÊvĂŞque en . La construction de l’enceinte de Philippe Auguste offre la sĂŠcuritĂŠ aux habitants ; la densification s’accĂŠlère comme le constate l’historiographe du roi, Rigord , notamment sur les domaines de Sainte-Geneviève (clos Mauvoisin vers ), entre l’abbaye et le Petit-Pont, et sur ceux de Saint-Victor. De nouvelles paroisses accompagnent ici aussi le mouvement, ainsi que de nouveaux procĂŠdĂŠs de gestion des redevances seigneuriales qui montrent que le fait urbain s’impose enfin au dĂŠtriment d’une conception ÂŤ rurale Âť de la ville . La rive gauche restera cependant longtemps clairsemĂŠe en dehors des principales artères et de ses deux bourgs ĂŠtablis hors de l’enceinte, Saint-Germaindes-PrĂŠs et Saint-Marcel. Dans la CitĂŠ, le remodelage de l’Île par le roi Louis VII et l’ÊvĂŞque Maurice de Sully vers , moyennant une rĂŠorganisation du rĂŠseau d’Êglises et une active campagne d’Êchanges, est organisĂŠ autour de l’Êlargissement de la rue qui relie les deux ponts et du percement de la rue Neuve-Notre-Dame dans l’axe du portail de la nouvelle cathĂŠdrale .

TASSEMENT ET Ă€-COUPS : FIN XIIIe SIĂˆCLE-1420

MalgrĂŠ un ralentissement, l’essor urbain continue après . Entre et , le Temple crĂŠe, entre son enclos et l’enceinte, le lotissement de La Ville-Neuve . Au prix de rachats massifs et de dĂŠmolitions de maisons, neuf nouvelles rues, larges de toises chacune, sont tracĂŠes au cordeau. Elles accueillent des tenanciers exemptĂŠs de taxes sur des parcelles de taille variable mais


BĂ‚TIR ET HABITER DANS UN ENVIRONNEMENT CONTRAIGNANT : LA MAISON SOUS SURVEILLANCE R O B E RT C A RVA I S

ET

ÉTIENNE HAMON

PartagÊe, enclavÊe, bordÊe par la rue et par d’autres Êdifices ou espaces privatifs, la maison urbaine est soumise, dans sa construction et son utilisation, à de fortes contraintes dont la dÊlimitation, l’application ou la contestation ont produit un nombre considÊrable de documents. Ceux-ci forment l’un des corpus de sources Êcrites – et plus tard figurÊes – les plus riches pour la connaissance des techniques de construction, de la morphologie de la maison et de ses usages, et pour l’identification des principaux maÎtres d’œuvre de la construction civile parisienne. Car les garants de son harmonieuse insertion dans son environnement monumental et humain, les maÎtres des œuvres, les jurÊs et les voyers, Êtaient ceux-là mêmes qui en inspiraient les formes.

LES

RĂˆGLES DE BON VOISINAGE

NUISANCES, USAGES

:

ET SERVITUDES

Les jurisconsultes du Moyen Ă‚ge ĂŠtant nourris des classifications romaines , il n’est pas ĂŠtonnant de les voir considĂŠrer les servitudes comme des droits incorporels, constituĂŠs sur la propriĂŠtĂŠ d’autrui dans l’intĂŠrĂŞt d’une personne ou d’un fonds. Cependant seules les servitudes rĂŠelles, ou prĂŠdiales, retiendront notre attention puisqu’elles seules s’intĂŠressent Ă la demeure comme bien immobilier. De plus, elles seules font l’objet d’une rĂŠglementation parisienne nĂŠe ÂŤ spontanĂŠment Âť des usages et coutumes, en raison du dĂŠveloppement important de la ville dans un espace restreint. La contiguĂŻtĂŠ matĂŠrielle des propriĂŠtĂŠs place la question des servitudes au centre des querelles de voisinage. Les rapports entre propriĂŠtĂŠs privĂŠes sont donc rĂŠgis, en pratique, par les usages et coutumes de France. La justification des servitudes pesant sur un hĂŠritage est liĂŠe Ă l’usage et Ă l’utilitĂŠ d’un hĂŠritage voisin, appartenant Ă un autre propriĂŠtaire. Dès la fin du XIIe siècle, la pratique mentionne des accords entre voisins au sujet d’une servitude d’Êcoulement des eaux pluviales et de l’utilisation d’un mur de clĂ´ture, Ă propos de vues, de gouttières et de murs communs ( ) , ou encore sur la mitoyennetĂŠ ( ) . Ce n’est qu’à la fin du XIVe siècle que la coutume se prĂŠcise Ă ce sujet, après une sĂŠrie d’enquĂŞtes par turbe au Châtelet de Paris qui tentent de fixer la rĂŠglementation. Celles-ci sont incluses dans Les Coutumes notoires du Châtelet de Paris ainsi que dans les DĂŠcisions attribuĂŠes Ă l’avocat gĂŠnĂŠral Jean Desmarès . Ces enquĂŞtes serviront de base Ă la rĂŠglementation parisienne en la matière. Elles passeront du Grand Coutumier de Jacques d’Ableiges aux deux rĂŠdactions STATUTS, USAGES

56

ET MISE EN Ĺ’UVRE

DE LA DEMEURE

officielles successives de la coutume de Paris en et . Pour François Olivier-Martin, la question des servitudes est gouvernĂŠe par des dispositions traditionnelles remontant Ă la seconde moitiĂŠ du XIVe siècle. Nous ne pouvons douter que les rapports de voisinage et les relations entre propriĂŠtĂŠs fussent rĂŠglĂŠs avant tout par des liens contractuels de constitution de servitude Ă l’amiable ou par des dĂŠcisions jurisprudentielles rĂŠglant tel conflit entre propriĂŠtaires ou occupants de propriĂŠtĂŠs contiguĂŤs. De fait, ces mentions de servitude nous parviennent souvent par le biais de l’expertise sollicitĂŠe par les parties, le juge ou l’arbitre. Si les juristes parviennent Ă formuler ces règles, ce sont avant tout les gens de mĂŠtiers qui les construisent, les apprĂŠcient et les vĂŠhiculent. Cependant, lorsqu’aucun texte ne servait de rĂŠfĂŠrence, en dehors de toute convention particulière, les usages locaux admettaient l’utilisation ÂŤ raisonnable et normale Âť des servitudes. Celles-ci ne pouvaient ĂŞtre aggravĂŠes qu’en vertu d’un titre. Faute de titre, on s’en remettait aux ÂŤ us et coutumes de la ville de Paris Âť qui n’Êtaient pas encore ĂŠcrits. Pourtant, après quelques hĂŠsitations, la coutume de Paris opte pour un rĂŠgime radical selon lequel nulle servitude ne peut ĂŞtre acquise par prescription sans titre. Autrement dit, les servitudes ne peuvent donc s’Êtablir que par titre et non par l’usage plus ou moins long de celles-ci. Lors d’un transfert de propriĂŠtĂŠ, l’acte doit prĂŠciser exactement les servitudes qui pèsent sur le bien aliĂŠnĂŠ sinon on s’en rĂŠfère aux us et coutumes de Paris, c’est-Ă dire que les servitudes se trouvent limitĂŠes au strict nĂŠcessaire pour l’utilisation ou la commoditĂŠ du fonds immobilier . Les rapports de voisinage concernaient principalement deux domaines, si l’on excepte l’Êcoulement des eaux pluviales et mĂŠnagères et les servitudes de passage sur lesquelles nous sommes peu renseignĂŠs : les vues et la mitoyennetĂŠ. - L’Êcoulement direct des eaux des toits sur le terrain du voisin n’est probablement pas admis, les gouttières devant se dĂŠverser sur la rue. De mĂŞme les ĂŠgouts pour les eaux mĂŠnagères ne peuvent emprunter le fonds du voisin qu’en cas d’enclave . Cette règle d’Êquilibre permet ĂŠgalement de trancher la question de la servitude d’Êcoulement des eaux. Les lois de Newton n’Êtant pas encore dĂŠcouvertes, on se contente du bon sens. Un rapport du juillet de jurĂŠs maçons et charpentiers contraint un propriĂŠtaire Ă dĂŠtruire ou modifier les gouttières ĂŠvacuant ÂŤ abusivement Âť les eaux chez un voisin . Une sentence du prĂŠvĂ´t de Paris en date du avril homologue un accord selon lequel est octroyĂŠ Ă une maison appartenant aux Quinze-Vingts un droit de passage afin de puiser au moins le


LA MISE EN ŒUVRE : CHANTIERS, TECHNIQUES, CONTRÔLE LA DEMEURE EN CHANTIER : HOMMES ET TECHNIQUES À LA FIN DU MOYEN ÂGE ÉTIENNE HAMON

Fig. 51 Dessin du portail de l’allée du cloître de SaintJacques-aux-Pèlerins, 1474. Arch. AP-HP, SaintJacques-aux-Pèlerins, liasse 41, n° 709.

DE

Paris vit, à la fin du Moyen Âge, au rythme incessant des constructions et reconstructions de son tissu résidentiel. À en juger par le nombre des chantiers et des artisans qui y sont impliqués, il est clair que cette activité du bâtiment, dont la composante domestique constitue le ressort le plus puissant, contribue pour une part significative au dynamisme de l’économie au point qu’elle en reflète par ses orientations les fluctuations autant qu’elle les conditionne. Toutes ces entreprises résultent de la mise en œuvre par des professionnels du bâtiment d’un projet porté par un commanditaire. Selon la nature du programme et les moyens financiers engagés, les intermédiaires entre ces deux parties sont plus ou moins nombreux. Les propriétaires peuvent laisser le soin de traiter avec les artisans à des hommes de confiance plus au fait du marché local – les concierges des hôtels notamment – ou à des parents . Ils peuvent se voir imposer par décision de justice un administrateur . S’il est lui-même un homme de l’art, le maître d’ouvrage peut se confondre avec le maître d’œuvre. Pour l’exécution, tous les montages sont envisageables. Les bâtisseurs de grands hôtels ont à cœur de s’adresser à un artiste de renom, comme le fait Mahaut d’Artois en confiant en la maîtrise d’œuvre de ses hôtels à l’imagier Évrart d’Orléans . Le phénomène est surtout connu dans la capitale au tournant des XIVe et XVe siècles, avec la mainmise des architectes des œuvres royales sur les grands chantiers des princes apanagés et le recours aux meilleurs artistes parisiens de la part de l’aristocratie des principautés alliées attirée par la présence de la cour. Par leur connaissance des techniques, des hommes et par leur expérience, ils sont en mesure « de coordonner les données du programme et d’en donner une résolution optimale » . Ils les transcrivent le cas échéant en « portraits » de présentation ou en dessins techniques qui seront soumis à des entrepreneurs généraux – qui peuvent se confondre avec l’archi-

ET MISE EN ŒUVRE

DE LA DEMEURE

À LA

R É A L I S AT I O N

STATUTS, USAGES

62

LA CONCEPTION


UN CHANTIER CIVIL DE LA FIN DU MOYEN Ă‚GE (1427-1428) : LA BOUCHERIE DE SAINT-MARTIN-DES-CHAMPS PHILIPPE PLAGNIEUX

Le novembre , Philippe de Morvilliers, premier prĂŠsident du Parlement de Paris, et son ĂŠpouse, Jeanne Du Drac, signèrent avec les religieux de Saint-Martin-des-Champs l’accord fixant les termes de leur fondation funĂŠraire. En ĂŠchange d’une concession perpĂŠtuelle, ils s’engageaient Ă reconstruire au profit des moines un hĂ´tel de boucherie totalement ruinĂŠ . L’ensemble des actes concernant cette fondation fut collationnĂŠ par deux notaires le juillet . En raison de son mauvais ĂŠtat, le volume fit l’objet d’une copie scrupuleuse, le octobre . On y transcrivit, entre autres, le dossier concernant le chantier de la boucherie. Probablement s’agit-il pour Paris du plus important et du plus ancien corpus de textes se rapportant Ă l’Êdification d’une maison. On y trouve d’abord, Ă la date du fĂŠvrier (n. st.), un acte sous le sceau du Châtelet qui rĂŠsume : - °) les conclusions de la visite des ruines de la boucherie, authentifiĂŠe par deux notaires. Cette opĂŠration ne mobilisa pas moins de neuf experts – probablement en raison du statut social du commanditaire –, parmi lesquels les principaux reprĂŠsentants des mĂŠtiers du bâtiment Ă Paris : Pierre Robin et Pierre de Servilliers, maĂŽtres des Ĺ“uvres de maçonnerie et de charpenterie du roi pour la vicomtĂŠ de Paris, ainsi que Denis Bonhomme, Robert de Layeville et Simon Richier, maçons jurĂŠs, Sanson Hubert et Robert Chauvin, charpentiers jurĂŠs, Jean Le Danois et Jean Gautier, maçons bacheliers. Philippe de Morvilliers ĂŠtait reprĂŠsentĂŠ par Jean Vivien, conseiller du roi et prĂŠsident de la Chambre des enquĂŞtes du Parlement, et le prieurĂŠ par Dom Jean de La Bretonnière, sous-prieur et cellĂŠrier de Saint-Martin-des-Champs. Ă€ la suite de la visite, on dressa ÂŤ en un roolle de parchemin Âť, le devis descriptif du bâtiment Ă ĂŠdifier ; - °) le compte rendu de lecture, dans la priorale, du devis par les deux notaires et devant les jurĂŠs, pour l’adjudication, au rabais et Ă la chandelle, du gros Ĺ“uvre de maçonnerie. Celle-ci fut remportĂŠe par le maçon et entrepreneur parisien Adenet Thierry, selon une sĂŠrie de prix Ă la toise, en fonction des matĂŠriaux employĂŠs : s. p. pour les gros murs et parties en pierre de taille ; s. p. pour les cheminĂŠes, marches d’escalier et tuyaux de descente de latrines ; s. p. pour les planchers et cloisons en bois. Selon la procĂŠdure coutumière, l’entrepreneur se chargeait ĂŠgalement de conduire les terres et gravois en dehors de la ville. Hormis la fourniture des matĂŠriaux pour la maçonnerie et la main d’œuvre, assurĂŠe par l’entrepreneur, la charpente et le second Ĺ“uvre demeuraient Ă la charge de la maĂŽtrise d’ouvrage, par marchĂŠs ou en rĂŠgie ;

- °) la transcription intĂŠgrale du devis descriptif comportant articles. Pour tenir lieu de compte rĂŠcapitulatif gĂŠnĂŠral, on recopia suivant l’ordre chronologique les mandats de paiement et quittances qui s’Êchelonnèrent entre le fĂŠvrier (n. st.) et le janvier (n. st.) . Ces ordres de paiement furent rĂŠgulièrement ĂŠtablis par les reprĂŠsentants des deux parties – Jean Vivien et Dom Jean de La Bretonnière – puis adressĂŠs au caissier du chantier, le marchand, orfèvre et changeur Guillaume Sanguin, Ă qui l’on confia la somme et la gestion des l. t., suivant un acte de reconnaissance sous le sceau du Châtelet du dĂŠcembre . Au vu de ces documents, il est possible de reconstituer la maison dans ses principaux traits. La façade principale ouvrait sur la rue Saint-Martin, l’un des deux murs latĂŠraux ĂŠtant mitoyen de la maison Ă l’enseigne du Pot d’Êtain, sur la mĂŞme rue, tandis que le second bordait la rue Au Maire. Une ĂŠcorcherie s’adossait Ă la façade arrière, suivie d’une cour renfermant deux ĂŠtables. Les murs extĂŠrieurs devaient ĂŞtre rĂŠalisĂŠs en moellons et plâtre, renforcĂŠs par des chaĂŽnes en pierre de taille. Ainsi, l’angle commun aux rues Saint-Martin et Au Maire ĂŠtait bâti en grosses pierres taillĂŠes Ă la broche pour les fondations, puis en liais, alors que deux chaĂŽnes en ÂŤ blanc caillou Âť consolidaient la façade sur la rue Saint-Martin, l’une du cĂ´tĂŠ du Pot d’Êtain et l’autre probablement au milieu. Une troisième chaĂŽne de pierre, mĂŠnagĂŠe dans le mur sur la cour, devait ÂŤ porter les poultres de ladicte escorcherie qui entrerront audict mur Âť. Le mur mitoyen au Pot d’Êtain, le mur de refend central, ainsi que celui sur la rue Au Maire comportaient chacun une chaĂŽne de pierre, aux emplacements destinĂŠs Ă soutenir les poutres du plancher, disposĂŠes transversalement. Par ailleurs, le mur cĂ´tĂŠ cour ainsi que celui sur la rue Au Maire reposaient sur un soubassement moulurĂŠ constituĂŠ de trois assises en pierre de taille s’Êlevant en deux retraits successifs. Ă€ l’intĂŠrieur, depuis la façade sur rue et rejoignant celle sur cour, un mur de refend divisait l’habitation en son milieu. Au-dessus d'un niveau de caves, constituĂŠ de deux berceaux voĂťtĂŠs, s'ĂŠlevaient un rez-de-chaussĂŠe et deux ĂŠtages carrĂŠs. Outre le mur de refend central, chacun des niveaux se trouvait partagĂŠ par des cloisons en bois, disposĂŠes transversalement Ă ce dernier. Ă€ usage commercial, le rez-de-chaussĂŠe abritait du cĂ´tĂŠ de la rue Saint-Martin une ĂŠchoppe, ou ouvroir puisque pourvue d’un volet rabattable maintenu par deux chaĂŽnes et servant d’Êtal. Ă€ l’arrière, il existait une dĂŠpendance puis, vers l’Êcorcherie, une cuisine pavĂŠe de pierres de liais et pourvue

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L’APPROVISIONNEMENT EN MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION DES CHANTIERS PARISIENS AU MOYEN ÂGE J E A N - P I E R R E G É LY

UNE

VILLE PLEINE

DE RESSOURCES

De tout temps, Paris et sa proche banlieue bĂŠnĂŠficièrent de l’approvisionnement d’une grande variĂŠtĂŠ de roches facilement accessibles. De nombreux matĂŠriaux de construction ĂŠtaient extraits aux environs immĂŠdiats de la ville (argile, sable, gypse, calcaire) et arrivaient sur les chantiers urbains par voie de terre. D’autres, exploitĂŠs Ă plus grande distance, ĂŠtaient transportĂŠs de prĂŠfĂŠrence par bateau sur la Seine et ses affluents (calcaire, grès, bois d’œuvre, mĂŠtaux). Les matĂŠriaux pondĂŠreux ĂŠtaient alors dĂŠbarquĂŠs dans les ports de la ville dĂŠdiĂŠs Ă chaque nature de produit ou au plus près des grands chantiers. StockĂŠs sur des aires d’entreposage, ils ĂŠtaient transportĂŠs jusqu’au lieu de construction par chariot ou simplement Ă dos d’homme dans les rues et ruelles de la ville. Bien que le remploi des pierres de construction, du plâtre gros, des tuiles et carreaux, du bois d’œuvre, des mĂŠtaux, soit systĂŠmatique dans la sociĂŠtĂŠ mĂŠdiĂŠvale, il fallait nĂŠanmoins, en pĂŠriode d’expansion urbaine, faire venir des matĂŠriaux neufs en grande quantitĂŠ (fig. 58). De nombreux corps de mĂŠtiers contribuaient Ă la construction des bâtiments, depuis l’extraction et la fabrication jusqu’à la mise en Ĺ“uvre : carriers, marchands-carriers, chaufourniers, plâtriers, tuiliers, tailleurs de pierre, maçons, mortelliers, paveurs, couvreurs, manouvriers, transporteurs, mais aussi bĂťcherons, charpentiers, menuisiers, fondeurs, plombiers, forgerons, marĂŠchaux, cloutiers, serruriers, vitriers, imagiers ‌ Les professionnels vivaient et exerçaient leurs mĂŠtiers prĂŠfĂŠrentiellement près des lieux d’arrivage des matĂŠriaux, aux alentours des ports et des aires de stockage pour la voie fluviale, Ă proximitĂŠ des portes de la ville pour les voies de terre ou pour les installations de production comme les fours tuiliers situĂŠs sous les murs de la ville. Ă€ Paris, cette organisation complexe des mĂŠtiers Ă la fin du Moyen Ă‚ge transparaĂŽt dans les sources ĂŠcrites, comme l’a bien mis en ĂŠvidence rĂŠcemment Étienne Hamon . Les calcaires pour la pierre de construction Le calcaire grossier du LutĂŠtien, appelĂŠ communĂŠment ÂŤ pierre de Paris Âť , ĂŠtait extrait sur les flancs de la vallĂŠe de la Bièvre en carrière Ă ciel ouvert au dĂŠbut Moyen Ă‚ge, puis en carrière souterraine Ă partir du dĂŠbut du XIIIe siècle, lors du dĂŠveloppement de la ville sous le règne de Philippe Auguste. Le couvent des chartreux, le prieurĂŠ bĂŠnĂŠdictin de NotreDame-des-Champs, la commanderie des hospitaliers de SaintJean-de-JĂŠrusalem et l’HĂ´tel-Dieu possĂŠdaient chacun leurs carrières souterraines . Vers la fin du XIVe siècle, les exploitations de carrières souterraines se multiplièrent sous de petites STATUTS, USAGES

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ET MISE EN Ĺ’UVRE

DE LA DEMEURE

propriĂŠtĂŠs foncières qui commençaient Ă s’individualiser dans les anciennes seigneuries. Ă€ la fin du XVe siècle, les carrières souterraines ĂŠtaient ouvertes au sud du faubourg Saint-Jacques, Ă l’emplacement actuel de l’Observatoire . La pierre de Paris extraite des carrières de Charenton-le-Pont, d’Ivry-sur-Seine et de CrĂŠteil, circulait sur les chemins ou arrivait par bateaux aux chantiers de la cathĂŠdrale (Le Terrain), aux ports des BarrĂŠs, Saint-Paul et de la tour de Billy. La pierre extraite Ă BicĂŞtre et Ă Gentilly transitait probablement par la Bièvre. Des carrières de Chaillot et de Vaugirard, la pierre circulait par voie de terre. De toutes ces carrières ĂŠtaient extraits de simples moellons, des moellons ĂŠquarris (libages) et de grandes pierres d’appareil. Au cours du XIVe siècle, du calcaire grossier exploitĂŠ dans la vallĂŠe de l’Oise, aux environs de Creil, appelĂŠ communĂŠment ÂŤ pierre de l’Oise Âť ou ÂŤ pierre de Saint-Leu Âť, commença Ă alimenter les grands chantiers comme celui du Louvre de Charles V ou de l’Êglise des Bernardins . La pierre de l’Oise ĂŠtait alors dĂŠbarquĂŠe au port Saint-Nicolas et Ă l’École Saint-Germain. Ă€ Paris, le marchĂŠ de la pierre Ă la fin du XVe siècle ĂŠtait complexe avec la production locale de pierre de Paris et les importations de plus en plus importantes de pierre de l’Oise . Le calcaire pour la fabrication de la chaux Les dĂŠchets de taille des carrières de pierre Ă bâtir fournissaient en abondance des pierres Ă chaux. Les fours devaient ĂŞtre situĂŠs Ă la pĂŠriphĂŠrie de la ville, toutefois assez proches des carrières de pierres calcaires ou des stockages de bois Ă brĂťler. De la chaux fabriquĂŠe dans la vallĂŠe de la Seine aux environs de Melun pouvait ĂŠgalement arriver Ă Paris. Le grès Ă pavĂŠs Les pavĂŠs et carreaux de grès ĂŠtaient largement utilisĂŠs pour l’amĂŠnagement de la voirie urbaine parisienne depuis la fin du XIIe siècle et, dans une moindre mesure, pour le pavage des cours des hĂ´tels aristocratiques oĂš l’on utilisait plutĂ´t du ÂŤ rabot Âť de liais . Au XVe siècle, en amont de Paris, les blocs de grès, provenant pour l’essentiel des environs de Fontainebleau , ĂŠtaient dĂŠbarquĂŠs sur la Grève et entreposĂŠs sous les piliers de l’HĂ´tel de Ville pour ceux achetĂŠs par la municipalitĂŠ . En moindre quantitĂŠ, des pavĂŠs ĂŠtaient embarquĂŠs Ă La FertĂŠ-sous-Jouarre dans la vallĂŠe de la Marne. En aval de Paris, les marchands de Louveciennes exportaient les grès du massif forestier de Marly jusqu’à l’École-Saint-Germain. Le sable pour les mortiers et le vitrail De nombreuses formations gĂŠologiques fournissaient, dans une multitude de petites sablières, des sables pour le corroyage


SCEAUX DE JURÉS ET MÉREAUX DE CONFRÉRIES JEAN-LUC CHASSEL

De gauche Ă droite

Les demeures parisiennes ont ĂŠtĂŠ l’objet d’une foule de contrats de vente, de constitution de rentes, par exemple, passĂŠs sous le sceau du Châtelet. Quant aux prisĂŠes des immeubles, aux chantiers de construction, de dĂŠmolition et de rĂŠparation, ils rĂŠclamaient de multiples expertises. Choisis principalement parmi les maĂŽtres maçons et charpentiers, les experts avaient le statut de ÂŤ jurĂŠs du roi Âť qui supposait, comme aujourd’hui, d’être agrĂŠĂŠ par la juridiction et de prĂŞter devant elle un serment. Engageant la responsabilitĂŠ des experts, les rapports ĂŠtaient validĂŠs par leurs marques personnelles, sceaux ou seings manuels (voir fig. ). Les seings manuels apparaissent Ă la fin du XVe siècle ; cependant, en , un rapport mentionne que certains jurĂŠs ne savent pas signer. Jusqu’à ce que le seing ne prenne l’avantage, c’est le sceau qui sert de mode de validation aux rapports d’expertise. En rĂŠgion parisienne, en effet, comme dans une large partie de l’Europe oĂš le notariat public a tardĂŠ Ă s’implanter, l’usage du sceau dans la validation des actes juridiques n’est pas restĂŠ confinĂŠ aux ĂŠlites aristocratiques ou clĂŠricales. Dès le XIIIe siècle, on connaĂŽt des sceaux de bourgeois et, en Normandie, mĂŞme, se multiplient les sceaux de petits notables paysans . Plusieurs sceaux de maçons et de charpentiers, jurĂŠs du roi, ont ĂŠtĂŠ recensĂŠs par Louis-Claude DouĂŤt d’Arcq , et les recherches menĂŠes par les commissaires de la prĂŠsente exposition ont permis d’en retrouver d’autres. De cire rouge et de petite dimension ( Ă mm de diamètre, en gĂŠnĂŠral) pour ĂŞtre apposĂŠs sur de simples queues, ils comportent normalement une lĂŠgende au nom du titulaire autour d’une image de valeur emblĂŠmatique. Le choix de ces emblèmes, qu’aucune autre source ne nous permet de connaĂŽtre, rĂŠvèle plusieurs tendances. Certains jurĂŠs font usage d’armoiries de type traditionnel, que rien ne permet de distinguer de l’hĂŠraldique chevaleresque. Ainsi, en , le maçon Jean Gaucel orne son sceau d’un ĂŠcu au sautoir (fig. 60) . De mĂŞme, en , FrĂŠmin Charpentier, charpentier jurĂŠ du roi, qui exerce aussi la fonction de garde de la voirie du Temple, porte un ĂŠcu Ă la croix, chargĂŠe en cĹ“ur d’une ĂŠtoile et accompagnĂŠe en chef de deux ĂŠtoiles ĂŠgalement (fig. 61). Cette tendance traduit sans doute la volontĂŠ de s’affir-

mer comme un notable, membre de la bourgeoisie parisienne. La volontaire absence de diffĂŠrenciation entre l’hĂŠraldique bourgeoise et celle des nobles a d’ailleurs ĂŠtĂŠ notĂŠe dans le milieu ĂŠchevinal Ă Paris comme Ă Bruxelles . Les jurĂŠs parisiens, toutefois, ne sont pas très nombreux Ă faire ce choix. Certains prĂŠfèrent des emblèmes ÂŤ parlants Âť faisant allusion Ă leur nom. Inclus ou non dans le champ d’un ĂŠcu, ce type d’emblèmes est bien connu au Moyen Ă‚ge dans tous les groupes sociaux, mĂŞme dans la plus haute aristocratie. En , sur le sceau du maçon Jean Chevrin, on voit une chèvre dressĂŠe contre un arbuste. Mais l’allusion prend parfois des tours moins ĂŠvidents : le maçon Jean Poireau, en , place dans son ĂŠcu un petit pot oĂš pousse un magnifique bouquet de lis : gageons que cette plante est un noble substitut au vulgaire poireau (fig. 62) ! Un autre mode d’emblĂŠmatique parlante a recueilli la plus grande partie des suffrages : la reprĂŠsentation des outils professionnels. Cette tendance, qui est ancienne, est prĂŠsente dans les mĂŠtiers du bâtiment comme dans tous les autres : aux fèvres les tenailles, aux pelletiers les ciseaux, aux tisserands la navette, aux pĂŞcheurs l’hameçon‌ L’historien puise dans cette source une riche documentation sur l’Êvolution des outils et des techniques au Moyen Ă‚ge , mais il est possible aussi d’y dĂŠcouvrir des significations symboliques dont les dĂŠveloppements de la maçonnerie ont donnĂŠ l’exemple . Chez les maçons, les outils les plus frĂŠquents sont le marteau taillant, l’Êquerre et la truelle, comme chez Jean Pintoin en (fig. 63) ; chez les charpentiers, on trouve le plus souvent la hache : ainsi Robert Foucher, charpentier gĂŠnĂŠral du roi, en , charge son ĂŠcu de deux haches accompagnĂŠes de deux fleurs de lis . D’autres choix encore se rĂŠvèlent çà et lĂ dans les sceaux des jurĂŠs, comme dans l’ensemble des sceaux de l’Êpoque. On trouve ainsi une image hagiographique chez le charpentier Renier de Saint-Laurent : en , Ă cĂ´tĂŠ d’un ĂŠcu Ă deux haches accompagnĂŠes d’une fleur de lis et d’une ĂŠtoile, il fait figurer le saint dont il porte le nom, identifiable par l’instrument de son martyre, un gril . Le maçon Raimond du Temple, en ,

Fig. 60 Sceau de Jean Gaucel (empreinte originale en cire rouge), maçon jurĂŠ, apposĂŠ au rapport de visite d’une maison Ă Paris appartenant au Temple, avec devis de travaux, 20 aoĂťt 1449. Arch. nat., S 5067 – Écu au sautoir. LĂŠgende : [i]ehan [ga]usel (rinceau). Fig. 61 Moulage du sceau de FrĂŠmin Charpentier, charpentier jurĂŠ du roi, garde de la voirie du Temple, d’après une empreinte de 1474. Arch. nat., sc/D5874 (original dans S 5072B, n° 1). Fig. 62 Sceau de Jean Poireau, maçon jurĂŠ du roi, 1480. Arch. nat., S 5072B, n° 1. Fig. 63 Moulage du sceau de Jean Pintoin, maçon jurĂŠ du roi, d’après une empreinte de 1349. Arch. nat., sc/D5886. Fig. 64 Sceau de GĂŠrard Chapeau, maçon jurĂŠ du roi, 1474. Arch. nat., S 5072B, n° 1.

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USAGES ET DÉPENDANCES ÉLIANE DERONNE-CAROUGE et VALENTINE WEISS

Le bien immobilier est dĂŠcrit parfois avec ses appartenances, ÂŤ appendances Âť, louages, ĂŠdifices, habitations, autant de termes gĂŠnĂŠraux pour dĂŠsigner des annexes destinĂŠes Ă faciliter la vie quotidienne, la circulation intĂŠrieure ou la communication avec l’extĂŠrieur ; d’autres ne visent que l’agrĂŠment ou l’ornement ; certaines enfin ont un but ĂŠconomique : production alimentaire, ateliers ou commerces, rentabilisation du bien (voir fig. ). Elles sont plus ou moins nombreuses en fonction de l’espace disponible, du luxe de la demeure et du train de vie de ses habitants. Elles sont attenantes ou non au corps de logis selon leur nature et les nuisances qu’elles provoquent. Citons pour mĂŠmoire les cours d’hĂ´tels et de maisons, qui sont très nombreuses, et les allĂŠes, voies privĂŠes qui les jalonnent sans ĂŞtre Ă proprement parler des dĂŠpendances.

A P PA RTE N A N C E S ET

DÉPENDANCES

Les divers types d’immeubles : hĂ´tels, maisons et maisonnettes Les dĂŠpendances se trouvent dans les ÂŤ hĂ´tels Âť et ÂŤ maisons Âť, termes parfois interchangeables s’agissant du mĂŞme ĂŠdifice mais qui ĂŠvoquent cependant une distinction. On appelle ÂŤ hĂ´tel Âť un bâtiment important occupant gĂŠnĂŠralement une assez vaste emprise foncière, dite ÂŤ pourpris Âť. Ce mot, employĂŠ au fĂŠminin dans le Dictionnaire de l’ancienne langue française, est synonyme d’enclos ou de clĂ´ture, puis d’habitation, pour de grands hĂ´tels comme le sĂŠjour de Navarre ou l’hĂ´tel de Rouen. C’est effectivement Ă propos des hĂ´tels qu’on trouve le plus souvent la mention de murs de clĂ´ture : par exemple l’hĂ´tel de Gamaches appelĂŠ anciennement maison aux CrĂŠnaux, la Petite Bretagne dont la cour est clĂ´turĂŠe en , l’hĂ´tel de Mesmes qui prĂŠsente un mur crĂŠnelĂŠ en . En , l’hĂ´tel de Saint-Brieuc consiste en deux pourpris communiquant par des portes . Si la plupart des maisons sont pourvues de cours, il est en revanche rare qu’elles soient closes de murs : elles sont accolĂŠes. On rencontre cependant en rue du Chaume et du Grant Chantier – auj. partie de la rue des Archives – une maison dotĂŠe d’ une petite tournelle et un bas mur a crenaux Âť , le tout

nĂŠanmoins sans doute trop modeste pour que cette belle maison accède Ă la dĂŠnomination d’hĂ´tel. Mais une grande maison divisĂŠe en plusieurs logements pourra, quoique non close de murs, ĂŞtre dite ÂŤ hĂ´tel Âť en raison de sa taille. Une petite maison ou maison basse (ce qui donne Ă entendre que la maison ordinaire est Ă plusieurs niveaux) concerne une maison ÂŤ a appentis Âť , attenante Ă une autre maison ou Ă un hĂ´tel. Ces petites maisons font donc souvent partie d’un corps de logis plus vaste dont elles sont une dĂŠpendance. Dans les registres du Temple, le terme de ÂŤ maisonnectes Âť ou ÂŤ maisonnettes Âť dĂŠsignent les ÂŤ petites maisons d’aumosne Âť de la rue des Poulies – voir article sur la maison d’aumĂ´ne de Nicolas Flamel. Certaines habitations enfin sont la dĂŠpendance d’un ĂŠdifice industriel, oĂš loge l’exploitant. En , un boulanger et son compagnon tiennent Ă ferme le moulin du Temple contigu Ă la grande arche vers le Palais, Ă charge de construire une maison ÂŤ du haut et du large dudit moulin Âť . Selon l’usage gĂŠnĂŠral, la boutique ou l’atelier jouxte le logis du commerçant ou artisan. Clore et circuler : portes, huis et galeries EntrĂŠes et issues sont souvent prĂŠcisĂŠes lorsque la maison donne sur deux rues Ă la fois. Certaines portes servent Ă clore les rues. Le terme de ÂŤ grant porte Âť est ĂŠgalement employĂŠ pour les hĂ´tels, comme ceux de Langres en , des Bordes rue Barbette – auj. Vieille-du-Temple – en ou des hĂŠritiers d’Antoine Raguier rue de Paradis – auj. partie de la rue des Francs-Bourgeois – en . On parle aussi d’ entree principalle Âť ou de ÂŤ maistre entree Âť . Les maisons ĂŠtaient probablement de plain-pied. Le contraire est prĂŠcisĂŠ : Ă la fin du XIVe siècle, rue Saint-Denis, on trouve l’hĂ´tel Ă l’ex-enseigne de la Tasse ÂŤ ou l’en monte Ă trois marches de degrĂŠs Âť . Le terme d’Êtages qui peut ĂŠquivaloir Ă celui de plancher est liĂŠ Ă ceux de bouges, de chambres ou de louages. Les galeries sont assez frĂŠquentes : elles font partie des maisons, comme le montre une enluminure des Chroniques de Jean Froissart du XVe siècle , ou sont accolĂŠes aux jardins comme Ă l’hĂ´tel de la Moufle dans la censive de Sainte-Catherine-duVal-des-Écoliers en ou l’hĂ´tel Raguier en . Ă€ l’hĂ´tel Saint-Pol, des galeries communiquent de plain-pied avec les jardins, d’autres aux ĂŠtages. On les trouve ĂŠgalement sous le terme de galeries hautes et basses, sur cour, comme Ă l’hĂ´tel de

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LES CAVES MÉDIÉVALES DANY SANDRON

Comme tous les mondes enfouis, les caves fascinent en laissant entrevoir des origines lointaines, un sentiment exacerbé par la qualité des rares témoins accessibles, souvent liés à des établissements religieux (fig. 73), avec la conscience pleine de frustration que la plupart d’entre elles nous échappent. Plus rationnellement, elles nous offrent l’occasion de remonter le temps en explorant des structures qui peuvent superposer trois niveaux ou davantage. C’est le cas rue de la Montagne-SainteGeneviève (Ve arr.) ou rue de l’Arbre-Sec (Ier arr.) près des anciens magasins de la Samaritaine où l’on peut descendre en ligne droite du Paris haussmannien aux premiers temps de l’urbanisation de cette région de la rive droite, en passant par des vestiges d’habitat du XVIIe siècle. Les caves permettent en effet, au propre comme au figuré, de saisir la profondeur historique d’une cité

qui s’est formée par stratifications successives. Les premières couches qu’elles constituent échappent à l’homme de la rue, mais elles restent disponibles aux investigations de l’historien et de l’archéologue entre autres spécialistes. Le bilan historiographique s’avère au demeurant encore modeste. Des repérages multiples ont été réalisés depuis plus

Fig. 73 Cave, 16, rue de l’Abbaye, VIe arr. Relevé par Violaine Bresson, DHAAP.

Fig. 74 Carte des caves repérées par la Commission du Vieux Paris. DHAAP.

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LA MAISON D’OURSCAMP : 44-48, RUE FRANÇOIS MIRON GRÉGORY CHAUMET

Située dans la haute vallée de l’Oise, à quelques kilomètres de Noyon, l’abbaye Notre-Dame d’Ourscamp, huitième fille de Clairvaux, fut fondée en . Les premières mentions montrant qu’elle possède une maison à Paris, à l’angle des rues Geoffroyl’Asnier et Saint- Antoine , remontent à . En février de cette année, un bourgeois de Paris, Mathieu de Saint-Germain, et sa femme Héloïse reconnaissent le don qu’ils font à l’abbé et au couvent d’Ourscamp d’une maison située près de la porte Baudoyer . Mais, en , les religieux sont en conflit avec Oudard Arrode, bourgeois de Paris, qui revendique tous les droits sur la demeure qui lui sont revenus d’une succession paternelle, et les tient « en fief » du propre fils du comte Henri de Grand Pré, seigneur de Livry . Le point important de ce texte est la

mention : « magnam domum lapideam ». Le matériau de la maison, la pierre, est pour la première fois cité. De plus, cette mention semble confirmer une probable reconstruction par les moines d’une plus grande demeure dans un matériau solide, noble et coûteux. Comme beaucoup d’autres abbayes, les moines font de cette maison de ville un pied-à-terre parisien qui loge leurs étudiants et sert de lieu de stockage pour la production agricole excédentaire du couvent. Sur le plan juridique, jusqu’à la fin du XIVe siècle, la dénomination officielle est « maison ou hôtel d’Ourscamp ». Or la désignation populaire est plus parlante : « l’hôtel de l’Ours ». Elle fait référence à l’enseigne qui, elle-même, rappelle la légende de l’ours et saint Éloi, fondateur de l’abbaye d’Ourscamp . L’hôtel de l’Ours, situé dans le fief de la porte Baudoyer de l’Hôtel-

Fig. 79 Les caves de la maison d’Ourscamp. © Cl. G. Chaumet.

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À L’ENSEIGNE DE LA DEMEURE MÉDIÉVALE PARISIENNE ÉTIENNE HAMON et VALENTINE WEISS

Encore rare au XIIIe siècle, l’enseigne fleurit ensuite et se gĂŠnĂŠralise dans la seconde moitiĂŠ du XIVe siècle au grĂŠ des inspirations ou des activitĂŠs professionnelles des habitants. Elle est en effet l’apanage de la maison polyvalente ; la demeure Ă usage exclusivement rĂŠsidentiel se singularise, en gĂŠnĂŠral, par sa morphologie dans le tissu urbain. ÉlĂŠment d’identification qui participe au dĂŠcor des façades, l’enseigne emprunte Ă de multiples thèmes : hĂŠraldique (ĂŠcus), images de dĂŠvotion, animaux, thèmes littĂŠraires, dĂŠtails topographiques, plus rarement mĂŠtiers avant l’Êpoque moderne. Il en est parfois plusieurs de mĂŞme dĂŠnomination dans la mĂŞme rue, dont le nom est gĂŠnĂŠralement dĂť Ă des enseignes, ou inversement (Marmousets en la CitĂŠ, Huchette, Arbre-Sec, Mauvais-Garçons, Harpe, Coq), Ă des habitants du lieu ou Ă des particularitĂŠs topographiques ou quotidiennes . L’imagination des rĂŠsidents est fĂŠconde pour faire parler les enseignes Ă leur nom, prĂŠnom ou profession. Au XVe siècle, la famille HĂŠron a mis le volatile sur sa maison de la rue Saccalie , tandis que la famille Arbaleste a placĂŠ cette arme sur sa maison de la rue de la Mortellerie . On verse Ă l’occasion dans le calembour comme chez les Barbedor, orfèvres, qui logent Ă l’enseigne de la Barbe d’Or . L’image de son patron offre un moyen d’identification plus respectable : un saint Nicolas pour Rion Nicolas, au bout du Grand-Pont, en ; un saint Michel pour Jean Michel, rue du Temple ; un saint Étienne pour Étienne Delahaye, rue Plâtrière, la mĂŞme annĂŠe , etc. Enfin dans la catĂŠgorie peu commune des enseignes professionnelles, on signalera celle de la famille de huchiers Des Aubeaux au vieux cimetière SaintJean, la Huchette, qui ne survivra pas Ă la reconversion de cet atelier au XVIe siècle, celle des fondeurs Pierre Saniet puis Jacques Brochet rue aux Ours, la Cloche d’or, ou celle qu’a choisie le verrier Florent de HĂŠmon, rue de la Verrerie, la Rose de verre . Les enseignes prennent des formes variĂŠes. SculptĂŠes, elles participent Ă l’ordonnance monumentale de la maison – voir le chapitre consacrĂŠ au dĂŠcor monumental. Peintes sur les murs, elles occupent des emplacements privilĂŠgiĂŠs : au-dessus de la porte d’entrĂŠe le plus souvent ; parfois sur les jambes de pierre du rez-de-chaussĂŠe comme sur les terres de Saint-Magloire dans les annĂŠes oĂš l’on rencontre ÂŤ la Truye et ses pourceaux Âť, ainsi que l’image de saint Laurent, cette dernière ornant une jambe sĂŠparant les seigneuries de Saint-Magloire et de SaintMartin-des-Champs . Plus rarement, c’est le pignon qui accueille ce dĂŠcor mural . Mais ce dernier sert aussi de signalĂŠtique

Fig. 81 Scènes de rixes à Paris entre les Êtudiants et les bourgeois. Enluminure de la fin du xve siècle. B.n.F., ms., fr. 2829, fol. 11 v°.

juridique qui peut se superposer Ă celle de l’enseigne. Vers , une maison double de la rue des FossĂŠs-Saint-Germain est peinte des images de saint Germain et de saint Vincent, patrons du chapitre qui la possède. Mais elle porte pour enseigne la Barbe d’Or . L’hĂ´pital Saint-Jacques-aux-Pèlerins possède de son cĂ´tĂŠ une maison rue Saint-Denis ÂŤ sur l’uys de laquelle est paint pour enseigne la Coquille et le BourdonÂť , et, en , il paie un peintre pour avoir peint ÂŤ contre le posteau de l’uisserie de la maison nefve en la rue au Cigne l’enseigne de la Marguerite et contre le mur de la maison devant lad. maison de la Marguerite l’enseigne de la Coquille Âť .

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LA DEMEURE

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DANS LE TEMPS

ET L’ESPACE PARISIENS


III. LA DEMEURE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE PARISIENS

Page de gauche Fig. 85 Détail de la fig. 136. Fig. 86 Carte des principales demeures médiévales à Paris. Réalisée par Valentine Weiss, Archives nationales, et Laurent Antoine, Lemog, 2012.

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TYPOLOGIE DES DEMEURES PARISIENNES : ÉVOLUTION CHRONOLOGIQUE VALENTINE WEISS

Fig. 87 Donation de la maison des Piliers à Henri de Sully après forfaiture de Jean Le Flament, aoÝt 1319. Arch. nat., 1 AP 2218.

LA DEMEURE

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Le rĂŠpertoire des demeures publiĂŠ sĂŠparĂŠment, divers articles et la carte des lieux identifiĂŠs permettent une synthèse des implantations et de leur ĂŠvolution au cours du Moyen Ă‚ge. Demeures ecclĂŠsiastiques (abbĂŠs ou prĂŠlats) et laĂŻques (rois, princes, nobles, officiers du rois ou bourgeois) ont ĂŠtĂŠ rĂŠparties en cinq grandes pĂŠriodes : avant , de Ă , de Ă correspondant Ă peu près au règne de Charles VI, la domination anglaise et ses suites jusqu’à , et la pĂŠriode de reconstruction jusqu’aux annĂŠes . Les ĂŠglises servent de points de repère, ainsi que les collèges, quelques-uns ayant ĂŠtĂŠ Ă l’origine des demeures laĂŻques ou ecclĂŠsiastiques – voir article sur les collèges. La carte (fig. 86) et son commentaire ont tout naturellement principalement pris appui sur la carte archĂŠologique d’Adolphe Berty, sur celles de Jean Favier et leur synthèse publiĂŠe dans Paris au XVe siècle et sur la carte ĂŠditĂŠe par le CNRS, sans pour autant nĂŠgliger de consulter les ĂŠtudes rĂŠcentes, plus ou moins probantes. Les recherches sur telle ou telle demeure, en particulier la consultation quasi systĂŠmatique des sources de gestion domaniale, permettent de livrer ponctuellement quelques ĂŠclairages nouveaux. Il faut cependant remarquer l’extrĂŞme complexitĂŠ d’une telle ĂŠtude, car si l’on peut observer la permanence de quelques demeures, notamment ecclĂŠsiastiques, il est indĂŠniable que la plupart de ces lieux passe de main en main, qu’elle soit ecclĂŠsiastique ou laĂŻque.

AVANT 1320

En ce qui concerne les ecclĂŠsiastiques, on peut relever avant deux grands secteurs d’implantation : rive gauche, essentiellement dans les paroisses de Saint-AndrĂŠ-des-Arts et de Saint-CĂ´me – voir article sur ces deux paroisses –, oĂš très tĂ´t s’installent de grands prĂŠlats comme les archevĂŞques de Rouen ( ), le long de l’enceinte, et de Reims ( ), ainsi que l’abbĂŠ de Molesme ( ), les ĂŠvĂŞques d’Auxerre jouxtant eux aussi les murs, de Chartres (vers ) et de Clermont, et rive droite, oĂš les abbayes, notamment cisterciennes (Chaalis, Longpont, Jouy, Ourscamp, Preuilly et Maubuisson), s’installent au cours du XIIIe siècle autour de la rue François-Miron, seules Clairvaux, Royaumont, l’abbaye de Val-Notre-Dame, hors les murs de Philippe Auguste et celle des Vaux-de-Cernay, rive gauche, ĂŠchappant Ă ce principe – voir article sur les maisons cisterciennes. La nĂŠcessitĂŠ de sĂŠjourner dans la capitale est la raison majeure de ces installations, ainsi que, pour les cisterciens, celle d’y vendre leurs produits et d’y parfaire leurs ĂŠtudes tout en ĂŠvitant soigneusement les lieux de fièvre estudiantine. Les chanoines, eux, se concentrent dans les cloĂŽtres comme celui de Notre-Dame – voir article sur le cloĂŽtre de Notre-Dame. En marge de ces implantations, rive gauche, le monastère de Bourg-Moyen ( ), jusqu’au rachat par Charles V pour l’Êdification des fossĂŠs, et celui des Vaux de Cernay ( ) s’installent en bordure orientale de la rue de la Harpe, l’abbĂŠ de FĂŠcamp ( ) Ă l’est de la rue Hautefeuille ; Saint-Père de Chartres ( ), Saint-BenoĂŽt-sur-Loire ( ) et Notre-Dame de la Couture ont une demeure le long de la rue Saint-Jacques ; l’hĂ´tel des ĂŠvĂŞques de Tournai (avant ), un peu tardif, s’Êtablit Ă l’est de l’abbaye de Sainte-Geneviève ; hors les murs, l’abbĂŠ de Corbie ( ) possède temporairement une grande demeure au bourg Saint-Germain, entre l’abbaye et l’enceinte. Rive droite, les bĂŠnĂŠdictines de Chelles ( ) et d’Yerres ( ), les abbĂŠs du Bec Hellouin ( ), jusqu’à la fin du XIVe siècle, et l’ÊvĂŞque de Beauvais ( ) se fixent Ă proximitĂŠ des cisterciens, tandis que les abbĂŠs de Saint-Maur ( ), rue Saint-Antoine, et les archevĂŞques de Sens ( ), en bordure de Seine, sont en pĂŠriphĂŠrie de la ville, seuls les prĂŠmontrĂŠs de Joyenval ( ) prĂŠfĂŠrant l’ouest du Châtelet. Il semble qu’à la mĂŞme ĂŠpoque, avant , les grandes demeures laĂŻques soient rĂŠparties de manière un peu plus homogène sur le sol parisien, avec des prĂŠfĂŠrences nĂŠanmoins simi-


LES HÔTELS ECCLÉSIASTIQUES LES HÔTELS DANS LES PAROISSES DE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS ET DE SAINT-CÔME : LE QUARTIER DES PUISSANTS AU MOYEN ÂGE J E A N - C L A U D E G A R R E TA

Alors que Philippe Auguste put faire ĂŠlever Ă la charge de la Ville l’enceinte de la rive droite, la ville commerçante, dĂŠjĂ dense mĂŞme s’il restait, vers l’est, quelques prĂŠs, c’est Ă ses frais que, dans un second temps, il rĂŠalisa hâtivement l’enceinte de la rive gauche, enclavant cette fois un espace peu bâti Ă l’ouest, au-delĂ du bourg du Petit-Pont. Dans cette partie retirĂŠe Ă la paroisse Saint-Sulpice, il fut prĂŠvu en de dĂŠlimiter une ou deux paroisses, et cette hĂŠsitation marque combien la population ĂŠtait encore peu nombreuse. Il en rĂŠsulta finalement les deux paroisses considĂŠrĂŠes ici, Saint-AndrĂŠ-des-Arts avec le Laas et la ÂŤ terre d’Arondel Âť, et Saint-CĂ´me-Saint-Damien (voir fig. et ). On peut imaginer que les premières constructions vinrent spontanĂŠment s’Êlever le long de la grand’rue menant de l’Île de la CitĂŠ Ă l’abbaye de Saint-Germain-des-PrĂŠs, mais aussi au bord de la Seine, avant que les textes laissent entrevoir au XIIIe siècle l’installation de grands ensembles seigneuriaux, Ă commencer par les rĂŠsidences royales. De moindre ĂŠtendue, mais plus durables furent les deux hĂ´tels d’archevĂŞque, Rouen et Reims. Nous examinerons ensuite, dans l’ordre de leur apparition dans les sources, les demeures de moindre importance mises sous le nom d’ÊvĂŞques ou d’abbĂŠs, mais il ne s’agit plus dĂŠsormais que de propriĂŠtĂŠs vendues ou lĂŠguĂŠes dans de grandes familles dont quelques membres, au cours de leur carrière administrative, ont ĂŠtĂŠ revĂŞtus des ornements ĂŠpiscopaux ou abbatiaux. L’hĂ´tel dit d’Arras, plus que l’hĂ´tel de Laon, prĂŠsente le cas d’une mobilitĂŠ foncière compliquĂŠe par les partages successoraux qui mettront fin Ă l’Êpoque des grandes rĂŠsidences. Le tracĂŠ de l’enceinte de la rive droite imposait en vis-Ă -vis des extrĂŠmitĂŠs symĂŠtriques sur la rive gauche, et le relief incitait Ă englober l’abbaye de Sainte-Geneviève et son bourg, avec la rue Saint-Jacques, seule grande voie vers le sud, alors que, sur la rive droite, la rue Saint-Denis double la rue Saint-Martin. Depuis le point haut – la porte Saint-Jacques –, on contourna les vestiges du forum romain (rue Soufflot) avant de dĂŠvaler la pente en droite ligne pour aboutir en face de la tour du coin – Ă cĂ´tĂŠ, mais en deçà de la grosse tour du Louvre. En arrivant Ă la Seine, le tracĂŠ marque un dĂŠcrochement dĂť Ă l’existence d’une LA DEMEURE

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construction prolongeant la ÂŤ tornella Philippi Hamelin Âť, comme en tĂŠmoignent des enluminures du XVe siècle confirmĂŠes par le relevĂŠ en ĂŠlĂŠvation fait par Le Vau avant la dĂŠmolition de la tour de Nesle en (voir fig. et ). Il pourrait s’agir d’une tour d’observation, ĂŠlevĂŠe au coude que fait le fleuve en aval des ĂŽlots plus tard rattachĂŠs Ă l’Île de la CitĂŠ. En , un emplacement rue de l’Hirondelle est situĂŠ ÂŤ de retro magnam domum defuncti Philippi dicti Hamelin Âť. On est donc portĂŠ Ă croire que tout l’espace au nord des maisons jalonnant la grand’rue SaintGermain – auj. Saint-AndrĂŠ-des-Arts – appartint d’une manière ou d’une autre Ă ce Philippe Hamelin, qui n’est jusqu’à prĂŠsent pas autrement connu. En cette pĂŠriode du XIIIe siècle apparaĂŽt Gui le Queux, dont le nom dĂŠformĂŠ en GĂŽt le CĹ“ur garde le souvenir, la rue ÂŤ quae est juxta masuram Guidonis Coci Âť, sans doute en face de la rue de l’Hirondelle, lors d’une concession faite en Ă Eudes, le queux du roi. Mais ÂŤ Le Queux Âť pourrait ĂŞtre le patronyme de Gui car il y a, Ă la fin du XIIe siècle en Anjou, un sergent d’armes du roi Richard qui porte ce nom (il s’agit peut-ĂŞtre d’un Anglais). Il servit ensuite Jean Sans Terre avant de se rallier Ă Philippe Auguste. Ce domaine parisien s’Êtend loin vers l’ouest : en l’abbĂŠ de Saint-Denis achète (rue du Collège) une grange qui tenait ÂŤ aux jardins de Gui le Queux Âť. On lit d’autre part ÂŤ super domibus que fuerunt Guidonis Coci Âť. Certes la rue PavĂŠe coupe cet ensemble mais elle ne mĂŠritera son nom qu’un peu plus tard et ce n’est encore qu’un sentier Ă travers un terrain nu pour aller Ă la rivière (Philippe le Bel fera aussi paver la grand’rue SaintGermain et le chemin suivant la Seine jusqu’à l’hĂ´tel de Nesle). Ă€ la mĂŞme ĂŠpoque, Gilles de Trasignies, dit Gillon le Brun, est nommĂŠ connĂŠtable bien que sa famille soit dans le comtĂŠ de Hainaut, donc hors du royaume. Il semble avoir possĂŠdĂŠ un vaste terrain car il est citĂŠ fort au-delĂ de la rue de l’Hirondelle, Ă l’ouest, en Ă propos de l’hĂ´tel de Sancerre (le futur hĂ´tel d’Hercule, Ă l’angle de la rue du Collège et de la Seine) et en Ă la porte Saint-Germain. Il doit s’agir de concessions de vastes domaines faites par le roi Ă ses officiers pour les aider Ă tenir leur rang, comme le souligne Brussel . Fort du dominium royal sur toutes les terres


LE CLOÎTRE DE NOTRE-DAME : UN VILLAGE AU CŒUR DE LA VILLE ÉLIANE DERONNE-CAROUGE

Fig. 100 Confirmation par Charles le Simple de l’immunité accordée par Charlemagne au cloître de Notre-Dame, 17 juin 911. Arch. nat., K 16, n° 7 A (AE II 78).

Fig. 101 Plan de la Cité, par l’abbé Delagrive, 1754. Arch. nat., N II Seine 62.

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La règle de vie commune qu’on tenta d’imposer au clergé des cathédrales – les canonici – au début du IXe siècle, peu compatible avec le mode de vie de clercs séculiers, se relâcha rapidement. Il n’en subsista généralement que l’obligation de résider dans un quartier clos proche de la cathédrale, le « cloître », où chaque chanoine avait sa maison. Des églises qui n’étaient pas siège cathédral, les collégiales, étaient de même desservies par un chapitre de chanoines logés à proximité de leur église. Il existait plusieurs de ces cloîtres à Paris : à Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Benoît-le-Bétourné, Sainte-Opportune, Saint-Merry, la Sainte-Chapelle, auxquels s’ajoutaient ceux des hôpitaux et commanderies. L’organisation résidentielle de certains d’entre eux est assez précisément connue . Dans les chapitres cathédraux, l’évêque assura l’entretien du chapitre en lui attribuant une part des biens de la cathédrale, dont le territoire du cloître . À Paris , cette partition s’est faite en et des logis canoniaux sont attestés dès le Xe siècle. Cet espace relève de la seule autorité du chapitre : en Charles le Simple lui a accordé l’immunité


LES MAISONS DE COLLĂˆGES CÉCILE FABRIS

Le premier collège parisien, le collège des Dix-Huit, est fondĂŠ en : il s’agit en rĂŠalitĂŠ d’une simple pièce achetĂŠe Ă l’intĂŠrieur de l’HĂ´tel-Dieu pour hĂŠberger dix-huit ĂŠcoliers clercs . Ce premier ĂŠtablissement marque pourtant le dĂŠbut d’un mouvement de fondations appelĂŠ Ă se dĂŠvelopper au XIIIe et surtout au XIVe siècle. ConcentrĂŠs en majoritĂŠ sur la rive gauche, près de ĂŠtablissements en , et plus de en , impriment profondĂŠment leur marque Ă son urbanisation et son architecture. RĂŠpondant Ă la problĂŠmatique du logement et des moyens de subsistance des ÂŤ pauvres ĂŠcoliers Âť , le collège est caractĂŠrisĂŠ par une fondation lĂŠgale, des textes statutaires rĂŠglant le fonctionnement quotidien – recrutement, rĂŠpartition des espaces et des revenus, cadre institutionnel et charges administratives, obligations des collĂŠgiens, etc. –, une maison et des revenus permettant de faire vivre une communautĂŠ d’Êcoliers. Leur vocation est dans un premier temps essentiellement matĂŠrielle, pour des membres qui sont hĂŠbergĂŠs et reçoivent une bourse, mais suivent les leçons des ĂŠcoles de l’UniversitĂŠ. Cet aspect ĂŠvolue cependant, notamment avec l’apparition des grands collèges rĂŠguliers – la première installation des Dominicains Ă Paris date de et celle des Franciscains de – dans lesquels sont assurĂŠs en interne les enseignements pour les religieux qui passent leurs grades

Fig. 107 Don par Saint Louis d'une maison à Robert de Sorbon, 1257. Arch. nat., S 6213, n° 85 (AE II 2407).

LA DEMEURE

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auprès de l’UniversitĂŠ. Ce modèle influence les fondations sĂŠculières qui se multiplient par la suite , au premier rang desquelles la Sorbonne. Sa fondation vers , entreprise appuyĂŠe par le roi et destinĂŠe Ă promouvoir les ĂŠtudes de thĂŠologie, marque un vĂŠritable tournant (fig. 107). C’est cependant seulement en que l’enseignement dans l’Êtablissement est prĂŠvu d’emblĂŠe, lors de la fondation du collège de Navarre . Les fondateurs se caractĂŠrisent principalement par leur rang, leurs moyens financiers et les appuis dont ils disposent, ce qui explique qu’ils se trouvent principalement parmi les grands prĂŠlats et les officiers et conseillers royaux, les deux statuts n’Êtant d’ailleurs pas exclusifs . Ils sont mus par des prĂŠoccupations charitables, ainsi que par le souci d’assurer le salut de leur âme grâce aux prières perpĂŠtuelles des ĂŠcoliers . Les considĂŠrations politiques ne sont pas non plus absentes, qu’il s’agisse de garantir la qualitĂŠ de la formation de l’administration royale ou du haut clergĂŠ . C’est souvent par testament que la fondation est dĂŠcidĂŠe et organisĂŠe , avec parfois une marge d’apprĂŠciation importante laissĂŠe aux exĂŠcuteurs testamentaires . Au rang des premières prioritĂŠs figure toujours le souci d’assurer un logement et des revenus aux ĂŠcoliers , ce qui passe dans les deux cas par le transfert de propriĂŠtĂŠ d’une ou plusieurs maisons.


MAISONS CISTERCIENNES À PARIS FRANÇOIS BLARY ET VALENTINE WEISS

Le fait qu’une abbaye cistercienne ait des possessions en ville peut paraĂŽtre incompatible avec les idĂŠaux de l’Ordre. Les premiers règlements cisterciens de prĂŠcisent, en effet, que les monastères doivent ĂŞtre construits ÂŤ dans des lieux ĂŠloignĂŠs du commerce des hommes Âť.

L’ I M P L A N T A T I O N RUPTURE

OU CONTINUITÉ

URBAINE

?

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Trois raisons justifient l’Êtablissement de telles maisons en ville. La première raison est d’ordre ĂŠconomique et ne concerne pas seulement Paris. Les moines cisterciens travaillaient pour vivre : le fruit de leur travail, essentiellement des produits agricoles, devait ĂŞtre entreposĂŠ en ville pour en faciliter la vente. La prĂŠsence d’Êtablissements urbains jouait donc un rĂ´le important pour ces communautĂŠs : ils permettaient essentiellement d’Êcouler les productions des diffĂŠrentes granges, les celliers pouvant aussi servir de lieu de production de vin, et, ce faisant, d’hĂŠberger les religieux ou les hĂ´tes de passage. Cela ne transgressait pas la règle de l’Ordre, puisqu’il ne s’agissait pas d’un monastère mais d’une simple maison oĂš ni moine ni convers ne rĂŠsidaient . Bien que les moines cisterciens aient interdiction de rĂŠsider en ville, de nombreuses abbayes disposaient donc de maisons dans les centres urbains proches de leurs diffĂŠrents domaines. Ainsi l’abbaye de Chaalis (Oise), pour ne prendre qu’un exemple, possède des maisons installĂŠes dans les principales villes des environs. Les moines ont, Ă Senlis, deux bâtiments situĂŠs l’un en face de l’autre, rue du Petit-Chaalis : un manoir, louĂŠ dès , dĂŠnommĂŠ par la suite l’hĂ´tel du petit Chaalis, au numĂŠro , aujourd’hui totalement disparu et, au numĂŠro , le logement du prieur, conservant des parties remontant au XVIe siècle. Ă€ Beauvais, un notable du nom d’Hugues de Conti donne aux moines, en , une maison rue Guy-Patin, dont dĂŠpendent des vignobles situĂŠs sur des coteaux Ă l’ouest de la ville dans le quartier de Saint-Just-des-Marais ; un nouveau bâtiment y est construit vers , l’ensemble est vendu en . Le bâtiment a ĂŠtĂŠ entièrement dĂŠtruit ainsi que ses caves. La troisième ville est Paris oĂš une maison est donnĂŠe Ă l’abbaye en par dame HĂŠloĂŻse de Palaiseau, rue François-Miron. L’abbaye est quelque temps en possession d’une autre maison rue Saint-Jacques, rive gauche. Les deux autres raisons d’implantation Ă Paris lui sont plus spĂŠcifiques. RĂŠsidence royale Ă partir de Philippe Auguste, capitale du royaume, Paris ne laissait pas l’Ordre indiffĂŠrent. Comme saint Bernard, les abbĂŠs cisterciens, amenĂŠs Ă jouer un grand rĂ´le LA DEMEURE

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DANS LE TEMPS

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dans les affaires de la ChrĂŠtientĂŠ, devaient quelquefois sĂŠjourner Ă Paris pour effectuer des dĂŠmarches, rencontrer le roi ou les princes. L’hĂ´tellerie parisienne de l’Êpoque ne leur offrait pas des conditions de vie convenables, d’oĂš la nĂŠcessitĂŠ de possĂŠder une petite maison oĂš ils pourraient rĂŠsider. Les rapports avec la monarchie se dĂŠveloppent très tĂ´t. Vers , Étienne Harding ĂŠcrit Ă Louis VI pour protester contre le sort fait par le roi au clergĂŠ parisien. MalgrĂŠ les interventions de l’Ordre, qui ne vont pas toujours dans le sens souhaitĂŠ par le souverain, les CapĂŠtiens favorisent les cisterciens Ă Paris. En , Louis VII accorde une rente importante de l. p. aux moines de Clairvaux sur les revenus des changes du Grand Pont . Surtout, l’essor de l’Ordre s’inscrit dans la mĂŞme chronologie que le dĂŠveloppement des ĂŠcoles parisiennes qui, Ă la fin du XIIe siècle, donnent naissance Ă l’UniversitĂŠ, haut lieu de la thĂŠologie sous AbĂŠlard. Le Grand Exorde de CĂŽteaux raconte comment Bernard est venu prĂŞcher Ă Paris pour ramener avec lui des ĂŠtudiants Ă Clairvaux, mais cette mĂŠfiance Ă l’Êgard des ĂŠtudes universitaires n’a durĂŠ qu’un temps. MalgrĂŠ les rĂŠticences de l’abbĂŠ de Clairvaux, la nĂŠcessitĂŠ s’est imposĂŠe Ă ses successeurs de donner une formation intellectuelle Ă des membres de l’Ordre. Ces maisons pouvaient par consĂŠquent servir aussi bien de lieu de rĂŠsidence provisoire pour des ĂŠtudiants que de refuge momentanĂŠ en cas de conflits touchant l’abbaye. Au nombre des possessions immobilières des moines blancs dans Paris, le collège des Bernardins occupe une place particulière. Si l’idĂŠal cistercien repose Ă l’origine sur la simplicitĂŠ, la vie de prière et le travail manuel, il faut comprendre qu’au dĂŠbut du XIIIe siècle, les abbĂŠs de Clairvaux ont ressenti la nĂŠcessitĂŠ de prendre une part dans les ĂŠtudes intellectuelles et de crĂŠer un collège en relation ĂŠtroite avec l’universitĂŠ de Paris. Ainsi, en , Raoul de La Roche-Aimon acquiert une maison au port Saint-Landry, dans l’Île de la CitĂŠ ; Évrard obtient ensuite du chapitre gĂŠnĂŠral de l’Ordre, en , la permission d’y envoyer des moines suivre une formation universitaire . C’est finalement sous l’impulsion d’Étienne de Lexington, abbĂŠ de Clairvaux de Ă , avec le soutien du pape Innocent IV, du cardinal Jean Tholet et du comte Alphonse de Poitiers, frère du roi Louis IX, qu’est transformĂŠe cette simple maison en un vĂŠritable collège dotĂŠ des mĂŞmes privilèges que les ĂŠtablissements des ordres mendiants. Des pièces de terre sont acquises en auprès du chapitre et du doyen de Notre-Dame, Ă l’extĂŠrieur de l’enceinte de Philippe Auguste, Ă cĂ´tĂŠ de l’abbaye Saint-Victor. Étienne de Lexington s’empresse d’Êchanger ce lot de terre initial avec l’abbaye pour prendre une parcelle d’Êgale ĂŠtendue


LES HÔTELS LAÏQUES LES HÔTELS ROYAUX DE SAINT-POL ET DES TOURNELLES : DEUX DESTINS TRAGIQUES VALENTINE WEISS Fig. 115 Hôtel de la Reine : arrêt du Parlement et plaidoiries au sujet d’un vol commis par Jacques Binot et ses complices (gobelets, bijoux, objets de culte, linge, pierres précieuses), 3 décembre 1406. Arch. nat., X2A 14, fol. 353 r°.

LA DEMEURE

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DANS LE TEMPS

ET L’ESPACE PARISIENS

Les hôtels royaux de Saint-Pol et, dans une moindre mesure, des Tournelles, sont liés de près aux événements de l’histoire nationale et présentent, à eux deux, à la fois un cas particulier, de par leurs illustres propriétaires, et un résumé parfait du panorama typologique et sociologique des hôtels parisiens au Moyen Âge.

Le désir d’installation de Charles V est, en effet, intimement lié au souvenir, relativement récent et douloureux, des émeutes ayant directement menacé le dauphin au Palais de la Cité. Les diverses acquisitions visant à constituer l’hôtel royal concernent tous les types de résidences parisiennes – voir le répertoire, publié séparément, à ces différents noms – : des hôtels ecclésiastiques, qu’ils soient abbatiaux comme l’hôtel de Saint-Maur, ou archiépiscopaux comme le premier hôtel des archevêques de Sens, et des hôtels laïques, qu’ils soient comtaux avec l’hôtel d’Étampes, bourgeois pour ce qui concerne la résidence de Simon Verjal ou ducaux comme l’hôtel du Petit-Musc. En dépit de l’incorporation de son nouvel hôtel royal au domaine de la Couronne en et de son inaliénabilité, Charles V affecte lui-même très tôt certains de ces hôtels à sa famille et à son entourage : l’hôtel de la Reine (fig. 115) comme logis de la reine, l’hôtel de Saint-Maur dès à des seigneurs, d’où son nom d’hôtel de la Conciergerie. Ainsi, malgré la magnificence de l’ensemble, où se remarquent notamment des chapelles, de nombreuses galeries, des fontaines, des étuves, une cerisaie, une ménagerie et un jeu de paume, il ressort que l’hôtel Saint-Pol se présente sous l’aspect d’une succession d’hôtels et de cours. Le règne de Charles VI marque un tournant pour cet hôtel royal : l’hôtel du Petit-Musc est sans doute donné par le roi à son frère, Louis d’Orléans, et passe entre plusieurs mains avant d’échoir en à l’amiral de France Louis Malet de Graville, puis à ses successeurs. Si le roi y habite dès l’âge de ans, le bal des ardents où Charles VI faillit périr en (fig. 117) et sa longue maladie conduisent inéluctablement à une lente mais certaine désaffection, Isabeau de Bavière préférant séjourner à l’hôtel Barbette, situé non loin de là, rue Vieille-duTemple. Après la mort du roi, l’hôtel Saint-Pol reste inoccupé, ses successeurs lui préférant désormais l’hôtel des Tournelles, exception faite de Louis XI qui loge parfois à l’hôtel Neuf, futur hôtel d’Étampes, situé à l’est de la rue du Petit-Musc. Uni au domaine de la Couronne au retour de Charles VII, l’hôtel, voisin, des Tournelles, a eu, quant à lui, pour propriétaires un chancelier de France en la personne de Pierre d’Orgemont, un évêque de Paris, avant que ne s’y succèdent les ducs de Berry (fig. 116), d’Orléans et de Bedford, qui l’embellit, puis le


L’HÔTEL ARISTOCRATIQUE PARISIEN AUTOUR DE 1400 FLORIAN MEUNIER

Le Bal des ardents Ă l’hĂ´tel Saint-Pol et l’assassinat du duc d’OrlĂŠans devant l’hĂ´tel Barbette ont confĂŠrĂŠ aux hĂ´tels parisiens du règne de Charles VI ( - ) le rĂ´le de dĂŠcor tragique des pages les plus sombres de l’histoire de France. Quant Ă l’hĂ´tel de Clisson, il rĂŠsonne tout autant au nom du connĂŠtable Olivier de Clisson, qui dĂŠclencha la campagne militaire oĂš le roi connut sa première crise de folie, qu’en raison de son usage Ă l’Êpoque contemporaine : encadrĂŠe de ses tourelles, cette porte majestueuse fut un temps l’entrĂŠe de la première École des chartes au XIXe siècle et abrite aujourd’hui, et depuis quelques annĂŠes, les grandes expositions des Archives nationales (voir fig. ). Mais, au-delĂ des estampes romantiques, que sait-on des hĂ´tels parisiens Ă la fin du XIVe siècle et au dĂŠbut du XVe siècle ? Aux sources ĂŠcrites, conservĂŠes pour l’essentiel aux Archives nationales, mais aussi dans les provinces d’origine des princes installĂŠs Ă Paris , s’ajoute le travail de comparaison avec les documents figurĂŠs les plus anciens qui existent.

LA

COMMANDE PRINCIĂˆRE

EN TĂŠTE

Le nombre ĂŠlevĂŠ des hĂ´tels princiers est l’une des consĂŠquences les plus visibles du statut de capitale du royaume de France : Paris, siège permanent du pouvoir depuis Philippe Auguste, accueille les grands personnages de la cour, mais aussi les grands dignitaires ecclĂŠsiastiques qui avaient donc vocation Ă y possĂŠder un hĂ´tel, dont la richesse reflĂŠtait leur rang. Mais ce qui caractĂŠrise la fin du XIVe siècle est sans doute le gouvernement des princes apanagĂŠs qui aboutit Ă la multiplication de ces rĂŠsidences princières Ă un point inĂŠgalĂŠ. Les relations familiales très ĂŠtroites entre le roi Charles VI, son frère Louis, duc d’OrlĂŠans, et leurs oncles et cousins expliquent sans doute les nombreux ĂŠchanges et ventes d’hĂ´tels qui ĂŠmaillent les annĂŠes Ă . La rapiditĂŠ de ces transformations, naissances, agrandissements et ventes des hĂ´tels est connue des ĂŠrudits depuis le dĂŠbut du XXe siècle, mais elle n’en reste pas moins ĂŠtonnante. Outre la famille royale des Valois proprement dite, Ă savoir Charles VI, son frère, Louis d’OrlĂŠans, leur oncle paternel, le duc de Berry (avec son petitfils AmĂŠdĂŠe VIII de Savoie) et leur cousin, Jean sans Peur, duc de Bourgogne, il faut ajouter l’oncle maternel du roi, Louis II de Bourbon, dont l’hĂ´tel a survĂŠcu Ă la guerre de Cent Ans sans grand dommage (fig. 120). L’hĂ´tel parisien du XIVe siècle n’est pas seulement princier, Ă l’instar de ses successeurs modernes et contemporains. Il faut aussi compter avec les autres grands personnages, bien que les LA DEMEURE

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DANS LE TEMPS

ET L’ESPACE PARISIENS

sources soient beaucoup plus rares les concernant. Les hĂ´tels des proches serviteurs de la couronne reflètent leur rĂŠussite et leur fortune. Ainsi en fut-il de deux favoris dont l’ascension fut aussi rapide que la chute : Charles de Savoisy, dont l’hĂ´tel connu par des mentions admiratives du Religieux de Saint-Denis fut rasĂŠ en , et Jean de Montaigu, fils de GĂŠrard de Montaigu, conseiller du roi, noble de robe d’extraction bourgeoise toute rĂŠcente . Ce financier de Charles VI et du fastueux duc de Berry possĂŠda et amĂŠnagea plusieurs hĂ´tels dont certains attirèrent l’attention de ses protecteurs puissants Ă qui il les vendit : l’hĂ´tel Barbette plut Ă la reine, la conciergerie de la Bastille au frère du roi. Le roi Charles VI fut particulièrement gĂŠnĂŠreux envers son oncle Jean, duc de Berry, et son frère Louis, duc d’OrlĂŠans, tous deux ĂŠtroitement associĂŠs au gouvernement du royaume. Les dons royaux en argent, en nature ou en biens immobiliers, qui devaient couvrir bien des frais de reprĂŠsentation au-delĂ de leurs seules rĂŠsidences parisiennes, ne furent sans doute pas ĂŠtrangers au faste architectural des hĂ´tels parisiens de ces deux grands commanditaires. Ainsi le duc d’OrlĂŠans fut-il propriĂŠtaire, durant sa courte existence, de neuf hĂ´tels diffĂŠrents au moins, dont on suit l’histoire de Ă . Parmi ceux-ci, on retiendra particulièrement l’hĂ´tel de BohĂŞme oĂš intervint le cĂŠlèbre architecte Raymond du Temple , la conciergerie de la Bastille donnĂŠe au duc d’OrlĂŠans par le financier Jean de Montaigu, l’hĂ´tel du PrĂŠvĂ´t (ou du Porc-Épic) dĂŠcorĂŠ de peintures par le renommĂŠ Colart de Laon (voir fig. ) et enfin l’hĂ´tel des Tournelles, remarquable par ses vastes jardins et qui allait devenir le siège du gouvernement du duc de Bedford sous l’occupation anglaise. Les relations ĂŠtroites entre les ducs d’OrlĂŠans et de Berry dessinent dĂŠjĂ l’alliance politique de la guerre civile ultĂŠrieure, le futur clan des ÂŤ Armagnacs Âť. Les deux princes ĂŠchangèrent ainsi en deux de leurs rĂŠsidences : l’hĂ´tel du PrĂŠvĂ´t passa de Louis d’OrlĂŠans au duc de Berry, qui le donna immĂŠdiatement après Ă son financier Jean de Montaigu dĂŠjĂ citĂŠ, tandis que l’hĂ´tel des Tournelles, achetĂŠ ĂŠcus d’or deux ans auparavant par le duc de Berry, passait Ă la famille d’OrlĂŠans.

LA

GÉOGRAPHIE

VERS

DES HÔTELS À

1400

PARIS

Les contraintes du parcellaire urbain, mĂŞme si elles furent moindres sous Charles VI qu’aux siècles suivants, ont dĂŠjĂ modelĂŠ l’hĂ´tel parisien de façon diffĂŠrente de ses homologues placĂŠs hors des murs. Sans parler des forteresses comme le château de Vincennes, les manoirs dans lesquels les princes sĂŠjournaient et


Fig. 119 Paris vers la fin du XIVe siècle par Leuridan et Mallet (rééd. CNRS 1991, 1999). Les hôtels de la fin du xive siècle et du début du XVe siècle ressortent en jauneorangé sur le plan.

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LA MAISON DE RAPPORT DE PHILIPPE TURQUAM, RUE DE LA TANNERIE YVON N E-HÉLĂˆN E LE MAR ESQU I ER-KESTELOOT

L’histoire de la maison de la Fleur de Lys, rue de la Tannerie, est pour plusieurs raisons exemplaire. Elle montre d’abord la fragilitĂŠ des habitations mĂŠdiĂŠvales vouĂŠes Ă la ruine si les propriĂŠtaires nĂŠgligent leur entretien. Elle illustre ensuite les stratĂŠgies immobilières des ĂŠlites parisiennes qui, Ă la fin du XVe siècle, prĂŠfèrent placer leur argent dans des biens patrimoniaux plutĂ´t que dans les affaires . Cette histoire, enfin, bien documentĂŠe, retrace les ĂŠtapes de son acquisition jusqu’à sa location en passant par sa rĂŠhabilitation de fond en comble, comme l’atteste un ensemble d’actes et de quittances passĂŠes devant notaires . La maison de la Fleur de Lys est situĂŠe sur la rive sud de la rue, près du pont Notre-Dame. Elle a une issue, Ă l’arrière, sur la Seine, nĂŠcessaire Ă ses occupants pour l’exercice de leur mĂŠtier. En effet, depuis le dĂŠbut du XVe siècle, elle est la propriĂŠtĂŠ de tanneurs : Jean Le Grant, dit Regnault, puis Robin de Nicolle , Georges Du Ponceau, enfin . PressĂŠ par les difficultĂŠs financières, il constitue le mars une rente annuelle et perpĂŠtuelle de l. p. en faveur de l’avocat au Parlement Philippe Turquam qui lui verse sur le champ l. p. . N’ayant pu rĂŠtablir sa situation, trois ans plus tard, il vend le tiers de sa maison aux enchères, avant que le reste ne fasse l’objet d’une procĂŠdure de criĂŠes rĂŠservĂŠe, selon une ordonnance de Philippe le Bel, renouvelĂŠe par la suite, aux maisons en dĂŠshĂŠrence. Philippe Turquam est ainsi devenu propriĂŠtaire en de toute la maison et il peut alors entreprendre sa restauration . Les travaux se sont dĂŠroulĂŠs d’avril Ă novembre , comme l’attestent les huit quittances dĂŠlivrĂŠes par les fournisseurs de matĂŠriaux et les artisans qui ont travaillĂŠ sur le chantier (fig. 122). Le charpentier en est l’artisan principal. Il a perçu en tout l. s. d. t. ÂŤ tant pour ses penes et saleres d’avoir mis tout le merrien dessusdit que aussi le merrien baillĂŠ et livrĂŠ par Nicolas de La Planche Âť, ainsi que pour neuf manteaux de cheminĂŠes et un linteau pour l’escalier qu’il a fournis. Il a dĂŠjĂ perçu des acomptes, la quittance de s. t. n’Êtant que la ÂŤ parpaye Âť ou solde du marchĂŠ. Il a pu ainsi payer ses valets et ses manĹ“uvres au fur et Ă mesure. Sa tâche a consistĂŠ Ă mettre en place les ĂŠlĂŠments de structure de la maison en bois d’œuvre, que lui ont livrĂŠ en deux fois les marchands de merrien, le premier entre le avril et le aoĂťt, le second en octobre. La quantitĂŠ et la qualitĂŠ de ces matĂŠriaux montrent l’ampleur de cette restauration : vingt-trois sablières de taille et d’Êpaisseur diffĂŠrentes, une grande quantitĂŠ de solives, certaines grosses, d’autres ÂŤ de couche Âť ou ÂŤ de bout Âť et quarante-huit ÂŤ pour faire planchers Âť, plus quatre membrures ; des poteaux pour former les cloisons et les murs, neuf poutres dont une de plus de m

de long sur une trentaine de centimètres d’Êpaisseur, la poutre maĂŽtresse sans doute. La variĂŠtĂŠ des chevrons sur lesquels sont fixĂŠes les lattes pour la couverture est immense ; enfin environ m de gouttières, quelques grosses planches et ÂŤ une establie Âť de , m sur cm. C’est un sergent qui a louĂŠ le charretier pour le transport du merrien, du port des BarrĂŠs, lieu de dĂŠbarquement obligatoire sur la Seine , au chantier et les scieurs de planches qui ont prĂŠparĂŠ sur place les marches de l’escalier .

Fig. 122 Quittances de paiement des travaux rÊalisÊs dans la maison de Philippe Turquam, rue de la Tannerie, avril-novembre 1497. Arch. nat, Min. centr., Ét. XIX/12.

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LA MAISON D’AUMÔNE DE NICOLAS FLAMEL RUE DE MONTMORENCY PHILIPPE PLAGNIEUX ET VALENTINE WEISS

Nicolas Flamel (†mars ), maĂŽtre d’Êcriture et libraire-jurĂŠ de l’UniversitĂŠ, habitait au coin de la rue des Écrivains – auj. rue Nicolas Flamel – et de la grande rue de Marivaux – auj. rue de Pernelle –, en face du portail de l’Êglise Saint-Jacques-de-laBoucherie, une maison qui fut dĂŠtruite en lors du percement de la rue de Rivoli. Il ĂŠpousa Perrenelle (†septembre ) – qui ĂŠtait deux fois veuve et sans enfant – en , dont il n’eut pas d’enfants. Tous les deux ont un certain nombre de maisons – et de rentes – dans la censive de Saint-Martin-desChamps, d’après un relevĂŠ systĂŠmatique opĂŠrĂŠ dans les registres et censiers. Ils achetèrent le novembre rue des Gravilliers la maison de l’Image Saint-Martin dont la cour est dans la censive

de Saint-Victor. Ils dĂŠtiennent avant une maison situĂŠe rue Au Maire. En , les Flamel sont ĂŠgalement propriĂŠtaires d’une maison rue Saint-Martin, près du coin mĂŠridional de la rue du Cimetiere. Flamel est mentionnĂŠ comme propriĂŠtaire de la maison de la Heuse en mai . Sur la place qu’il a acquise au coin de la rue Saint-Martin, une maison ÂŤ nouvelement ediffiĂŠ Âť est attestĂŠe en mars . D’après Charles Fegdal , Flamel possède ĂŠgalement la maison de l’Image Saint-Martin rue Saint-Martin, a priori diffĂŠrente de celle des Gravilliers pour cause de mitoyennetĂŠ de la censive de Saint-Victor, la maison de l’Image Saint-Jacques dans la mĂŞme rue, ainsi que la maison du Mouton Saint-Jacques, rue Troussevache – auj. partie de la rue de La Reynie. Fig. 124 Maison de Nicolas Flamel, 51 rue de Montmorency (IIIe arr.). Š Cl. M. Paturange, Arch. nat.

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REGARDS

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SUR

L’ARCHITECTURE


IV. REGARDS SUR L’ARCHITECTURE ÉTIENNE HAMON

Dans l’histoire brillante de l’architecture mĂŠdiĂŠvale de la capitale, la demeure a souvent jouĂŠ les seconds rĂ´les. Elle a acquis depuis peu la place qui lui revient grâce aux donnĂŠes combinĂŠes des sciences historiques et des enquĂŞtes de terrain et Ă leur mise en perspective dans un concert foisonnant d’Êtudes urbaines et de monographies qui couvrent dĂŠsormais un grand nombre de rĂŠgions d’Europe. SollicitĂŠes dans des proportions variables selon le matĂŠriau disponible, l’histoire, l’histoire de l’art, l’archĂŠologie du sol et du bâti nous livrent ici un ensemble de synthèses par type ou par phase, illustrĂŠes d’Êtudes de cas. Sans prĂŠtendre Ă l’exhaustivitĂŠ – les rĂŠsidences des rois et des ĂŠvĂŞques de Paris ont ĂŠtĂŠ laissĂŠes de cĂ´tĂŠ –, elles se veulent reprĂŠsentatives des moments clĂŠs de la crĂŠation monumentale autant que de la vitalitĂŠ et de la pluridisciplinaritĂŠ de la recherche actuelle dont la qualitĂŠ des dĂŠcouvertes doit inviter les acteurs des futurs amĂŠnagements urbains Ă une vigilance redoublĂŠe. Longtemps rĂŠduite aux informations ĂŠparses livrĂŠes par les sources ĂŠcrites et aux images de quelques caves voĂťtĂŠes, notre vision de la demeure antĂŠrieure Ă la fin du XIVe siècle, pĂŠriode clĂŠ dans l’affirmation des caractères du bâti urbain, s’est tout rĂŠcemment clarifiĂŠe et nuancĂŠe. L’Êtude du bâti menacĂŠ a brièvement rĂŠvĂŠlĂŠ, derrière un rhabillage moderne, la plus ancienne façade de maison mĂŠdiĂŠvale, rue du Renard, datable du XIIIe siècle. Elle a aussi affinĂŠ le repĂŠrage et la comprĂŠhension des structures souterraines. Unique par son ampleur, la fouille du Carrousel du Louvre a mis au jour dans un contexte pĂŠriurbain les restes d’un manoir au riche dĂŠcor peint des annĂŠes , attribuĂŠ Ă Pierre des Essarts. La redĂŠcouverte des relevĂŠs du fonds de l’archĂŠologue Albert Lenoir a permis de restituer une grande demeure du temps de Saint Louis aux accents rayonnants dignes des plus belles ĂŠglises, l’hĂ´tel d’Harcourt. La relecture des sources confirme la prĂŠĂŠminence, dans la crĂŠation de la fin XIVe siècle, des hĂ´tels de l’Êlite. Si les rĂŠsidences royales cĂŠlĂŠbrĂŠes par les chroniques, dont la perte est mal compensĂŠe par une iconographie dĂŠcevante, peinent Ă se dĂŠvoiler, celles des princes Valois, mieux loties en la

matière, nous ĂŠclairent sur les acquis durables de ces grands programmes : plans et distribution complexes ; grandes salles, escaliers et galeries d’apparat ; ordonnances et dĂŠcors personnalisĂŠs, etc. Il convient dĂŠsormais d’en apprĂŠcier les singularitĂŠs Ă l’aune de l’hĂ´tel d’un grand officier, celui du connĂŠtable Olivier de Clisson, pour lequel sont ici rĂŠunies, pour la première fois, des ĂŠtudes sur l’histoire, l’architecture, le dĂŠcor et le mobilier de la vie quotidienne dans ce qui est devenu le quadrilatère des Archives nationales. Au sortir de la guerre de Cent Ans, les jalons se font bien plus nombreux, sans toutefois que les approches sur les textes et le bâti puissent toujours se rejoindre. Ils dessinent nĂŠanmoins un panorama marquĂŠ par des tendances profondes Ă la rĂŠgularisation que tempèrent les recherches plastiques individuelles. Mais plusieurs repères dans le brillant ĂŠpisode flamboyant des annĂŠes rĂŠsistent toujours Ă une chronologie et Ă une attribution serrĂŠes : hĂ´tels de Cluny, Le Gendre, La Faye, HĂŠrouet. Et la mutation vers l’hĂ´tel classique au dĂŠbut du règne de François Ier est, paradoxalement, l’un des processus les plus insaisissables de l’histoire de l’architecture parisienne. En revanche, les regards portĂŠs sur la morphologie urbaine doivent tenir compte de la dĂŠmonstration, au prix d’Êtudes topographiques rigoureuses que de nouvelles mĂŠthodes de datation sont venues ĂŠtayer, de la longĂŠvitĂŠ des formes et des techniques de la maison bourgeoise Ă pan de bois et pignon sur rue, paradigme de la ville mĂŠdiĂŠvale. Si les principaux tĂŠmoins vivants doivent ĂŞtre rajeunis, Ă l’instar de la maison du de la rue Volta jadis datĂŠe du XIIIe siècle et rendue au XVIIe (voir fig. ), leur examen couplĂŠ Ă celui des images et des documentations de chantiers autorise une restitution de la maison type telle qu’on la voit s’Êlaborer, Ă Paris comme ailleurs oĂš son ĂŠtude est plus avancĂŠe (Normandie, Centre), au cours du XIVe siècle. Quant aux atours de toutes ces demeures de la fin du Moyen Ă‚ge, la relative raretĂŠ des tĂŠmoignages de toute nature laisse penser que le monumental ne cĂŠda jamais tout Ă fait devant le pittoresque du dĂŠcor ou des matĂŠriaux qui fut, en revanche, Ă l’honneur dans d’autres contextes urbains français. C’est en arrière de la rue que se concentrait le dĂŠcor architectural, annonçant le raffinement des amĂŠnagements de l’espace privĂŠ.

Fig. 126 Une procession place de Grève. BĂŠnĂŠdictionnaire de Jacques Juvenal des Ursins, reproduction d'une enluminure disparue du dĂŠbut du xve siècle. D’après LEROUX DE RINCY et TISSERAND 1867.

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LES DEMEURES PARISIENNES DES XIIIe ET XIVe SIĂˆCLES PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP

Alors que l’Êtude de l’habitat mĂŠdiĂŠval est en plein renouveau, les maisons de Paris restent les grandes absentes des publications. En la matière, l’Île-de-France est plutĂ´t reprĂŠsentĂŠe par Provins ou par Senlis. L’idĂŠe dominante est que tous les ĂŠdifices domestiques parisiens antĂŠrieurs au XVe siècle ont disparu et que ce type de construction est en outre peu documentĂŠ ; nous partagions d’ailleurs quelque peu cet avis naguère . De fait, il ne semblait pas, il y a peu encore, qu’une seule maison mĂŠdiĂŠvale des XIIIe et XIVe siècles fĂťt conservĂŠe dans la capitale, pourtant la plus grande ville d’Europe dès le règne de Philippe Auguste. Les causes en sont multiples : la richesse de la ville a provoquĂŠ un incessant renouvellement du tissu bâti et des formes de l’habitat, tandis que les grandes opĂŠrations d’urbanisme du XIXe siècle ont dĂŠtruit la plupart des ĂŽlots du centre de Paris. Aussi la majoritĂŠ des ĂŠtudes publiĂŠes est-elle fondĂŠe sur des sources ĂŠcrites , parfois sur les donnĂŠes de fouilles , mais il n’existe presque aucune monographie rĂŠalisĂŠe Ă partir de l’Êtude d’un bâtiment, conservĂŠ en ĂŠlĂŠvation . Or, il reste des constructions mĂŠdiĂŠvales reprĂŠsentatives de l’habitat parisien, mais elles n’ont, Ă ce jour, guère bĂŠnĂŠficiĂŠ d’Êtude archĂŠologique ; il est vrai que ce sont pour la plupart des substructions, dites caves, d’accès difficile et souvent jugĂŠes peu dignes d’attention. Par ailleurs, un certain nombre d’Êdifices disparus sont relativement bien documentĂŠs, notamment grâce aux relevĂŠs de ThĂŠodore Vacquer, dont une partie seulement a ĂŠtĂŠ publiĂŠe par Albert Lenoir . ComplĂŠtant les sources ĂŠvoquĂŠes ci-dessus, la rĂŠunion de donnĂŠes recueillies sur le terrain et d’informations fournies par les documents graphiques, si elle n’est pas encore suffisante pour dresser un tableau complet de l’habitat parisien des siècles considĂŠrĂŠs, jette nĂŠanmoins de vives lueurs sur une composante importante du paysage urbain de la capitale, que l’on jugeait encore il y a peu inaccessible . L’interprĂŠtation des documents n’en soulève pas moins de nombreuses difficultĂŠs, comme l’illustre le cas de l’Êdifice dit Parloir aux bourgeois, qui avait ĂŠtĂŠ inclus dans le couvent des dominicains, mais faisait saillie d’une quinzaine de mètres hors de l’enceinte de Philippe Auguste (fig. 127). Or, au nord, le mur de ville ĂŠtait de biais par rapport Ă l’axe de l’Êdifice ; qui plus est, en dĂŠpit des grandes fenĂŞtres Ă croisĂŠes qui ajouraient ses deux longs cĂ´tĂŠs et sont datables du XIVe siècle ou, au plus tĂ´t, de la deuxième moitiĂŠ du XIIIe siècle, l’enveloppe paraissait bien plus ancienne : en attestent, sans le moindre doute, les chapiREGARDS

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SUR

L’ARCHITECTURE

teaux des piliers, trois libres et un engagĂŠ dans le mur sud, qui appartenaient au vocabulaire roman du XIIe siècle. Dès lors, les arguments convergent pour identifier un ĂŠdifice antĂŠrieur Ă la construction du mur de Philippe Auguste, sectionnĂŠ par celui-ci, mais conservĂŠ, et rĂŠamĂŠnagĂŠ un siècle après sa construction, durant une pĂŠriode de grande tranquillitĂŠ publique. La partie documentĂŠe ĂŠtait une grande salle basse plafonnĂŠe, selon toute vraisemblance surmontĂŠe par au moins un ĂŠtage. Son plan, barlong avant la mutilation de l’extrĂŠmitĂŠ nord, son ĂŠlĂŠvation Ă deux niveaux au moins et le rythme des contreforts sur toutes les faces renvoient Ă une architecture de type seigneurial, tels le manoir de Lavilletertre ou le ÂŤ donjon Âť de Clermont, tous deux dans l’Oise . Cet exemple illustre les problĂŠmatiques Ă affronter pour exploiter la documentation parisienne : avant de produire une ĂŠtude architecturale et, si possible, une restitution des formes et du programme, il faut souvent d’abord procĂŠder Ă une identification, restituant Ă l’habitat un ĂŠdifice dont la fonction a beaucoup variĂŠ et avait perdu celle de rĂŠsidence privĂŠe.

LES

CAVES,

R É V É L AT E U R S

D ’ U N TI S S U U R BA I N D I S PA R U

L’essentiel du patrimoine bâti mĂŠdiĂŠval subsistant est composĂŠ de caves architecturĂŠes, voĂťtĂŠes en berceau ou couvertes de voĂťtes d’arĂŞtes ou sur croisĂŠes d’ogives. Que nous apprennent-elles quant aux plans de masses des demeures urbaines, ĂŠtant entendu que l’Êtude de leur typologie et de leurs fonctions est traitĂŠe dans une autre contribution ? Il convient d’emblĂŠe de rappeler une donnĂŠe presque constante, celle de l’identitĂŠ du plan de la cave et de l’emprise du corps de logis principal de la maison ; ce constat est fondĂŠ sur des sĂŠries de maisons Ă Chartres, Ă Provins et Ă Senlis, et il est confortĂŠ Ă Paris, lĂ oĂš tout ou partie de la maison est conservĂŠe (voir les encarts sur les maisons d’Ourscamp et de la rue du Renard, voir fig. - et - ). En outre, la prĂŠsence d’une cave architecturĂŠe pose une forte prĂŠsomption d’existence d’une maison dont l’enveloppe ĂŠtait maçonnĂŠe, au moins en grande partie. Cet ĂŠtat de fait est vĂŠrifiĂŠ hors de Paris comme Ă Paris, ce que prouvent diverses observations de ThĂŠodore Vacquer. Ainsi d’une maison du XIVe siècle, dĂŠtruite en , qui s’Êlevait quai de la MĂŠgisserie, Ă l’angle de la rue Thibaut aux


Fig. 127 Parloir aux bourgeois, rĂŠsidence seigneuriale, vers 1200. Dessin dans Lenoir 1867, Atlas, Couvent des Dominicains, pl. II.

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ÉTUDE DE CAVES AUX 11 ET 13 RUE DU RENARD ET 77 RUE DE LA VERRERIE (IVe ARR.) : UN PALIMPSESTE JEAN-DENIS CLABAUT ET BÉNÉDICTE PERFUMO

Fig. 139 Détail d’une des colonnes du premier niveau de la cave du 11 rue du Renard (IVe arr.). © Cl. B. Perfumo.

REGARDS

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SUR

L’ARCHITECTURE

Lors de travaux menés il y a quelques années, des éléments remarquables avaient été observés dans la façade de la maison sise au n° rue du Renard – voir le répertoire, publié séparément, à ce nom –, sous la forme de colonnettes aux chapiteaux feuillagés au premier étage, laissant soupçonner l’existence d’une belle bâtisse médiévale. L’étude de la cave a permis d’apporter des éclaircissements sur cette vaste demeure. Dans ses dispositions actuelles, cette cave dessine un plan rectangulaire perpendiculaire à la rue et comporte deux niveaux superposés. Le premier, auquel on accède par un escalier en arrière de parcelle, est couvert d’une voûte grossière, qui contraste avec la qualité

d’exécution des deux colonnes qui la supportent, dont les chapiteaux sont ornés de feuilles délicatement travaillées (fig. 139). Dans les parois latérales, des pilastres engagés supportent la voûte, qui repose directement sur le mur de façade. Celui-ci, monté en assises très régulières comme les autres parois, possède quatre niches qui s’ouvrent sous des arcs en plein-cintre, au ras du sol actuel. Au dessus de ces niches, le départ de deux larges soupiraux est encore visible, occultés par la voûte actuelle. Un puits a été ménagé contre la façade, qui communiquait directement avec le rez-de-chaussée et le second niveau. Le long du mur mitoyen, un large escalier interne permet d’y descendre, en bas duquel une porte communiquant avec la cave voisine est encore visible, aujourd’hui murée. Le second niveau est voûté de deux berceaux à l’architecture régulière, qui reposent au centre de la cave sur un large mur de refend, percé de trois ouvertures, mettant en relation les trois travées ainsi dessinées. La qualité d’exécution que l’on peut observer dans la mise en œuvre de la voûte contraste avec celle du niveau supérieur. L’unité de cet ensemble architectural n’est qu’une apparence, et l’étude rigoureuse de cette cave permet de proposer des hypothèses de restitution de son agencement d’origine. En effet, au premier niveau, différents éléments ne laissent pas de surprendre, comme les niches ouvertes au ras du sol, ou la présence de deux colonnes surmontées de chapiteaux richement décorés pour soutenir une voûte grossière. Ajoutons à cela les soupiraux de façade obturés et l’absence de base pour les colonnes, et cela suffit pour faire naître le doute sur l’intégrité actuelle de cette cave. C’est dans la descente de l’escalier, qui met en communication les deux niveaux de cave, que se trouve conservé dans la paroi un élément important. Il s’agit du départ d’un arc aux claveaux réguliers et chanfreinés, qui repose dans la paroi sur une console abîmée, mais semblable, autant par le matériau que par le décor, aux deux chapiteaux de colonnes conservés. Cet arc, parfaitement intégré dans la paroi, est l’ultime témoin du système de couvrement de la cave à l’origine. Comme les chapiteaux des colonnes et cette console ne sont pas situés à la même hauteur, cela indique clairement que le niveau de sol actuel n’est pas celui d’origine. C’est également ce que révèlent les niches maçonnées en façade, qui, dans d’autres caves, s’ouvrent à environ un mètre du sol. Comment expliquer ces distorsions de l’architecture ? Ce que nous avons sous les yeux est le résultat de plusieurs campagnes


LE MANOIR DES TUILERIES DE PIERRE DES ESSARTS SABINE BERGER

Ă€ l’occasion des fouilles des jardins du Carrousel conduites Ă la fin des annĂŠes par la direction des AntiquitĂŠs historiques d’Île-de-France et l’Établissement public du Grand Louvre, un manoir pĂŠri-urbain datant du XIVe siècle a ĂŠtĂŠ mis au jour . Son propriĂŠtaire pourrait avoir ĂŠtĂŠ le bourgeois parisien d’origine rouennaise devenu conseiller du roi, Pierre des Essarts. Celui-ci joua un rĂ´le important dans la politique monĂŠtaire de Philippe de Valois comme receveur de la reine, argentier du roi puis maĂŽtre Ă la Chambre des comptes comme le fut son frère Martin , et enfin comme principal crĂŠancier du prince Jean, duc de Normandie. Il occupa une position privilĂŠgiĂŠe au sein du patriciat parisien, contractant notamment pour ses proches les alliances matrimoniales les plus avantageuses : Étienne Marcel, Robert de Lorris et Henri Baillet furent ses gendres. EmprisonnĂŠ avec plusieurs agents financiers du roi après la dĂŠfaite de CrĂŠcy, en , il dut payer une forte amende pour ĂŞtre libĂŠrĂŠ mais mourut peu après, probablement de la peste, entre fĂŠvrier et septembre . En , Pierre des Essarts disposait de la Couture-l’ÉvĂŞque, un clos de terre labourable de quarante-deux arpents et trois quartiers, fermĂŠ de murs, situĂŠ près du chemin – ou chaussĂŠe – du Roule – auj. Saint-HonorĂŠ –, au sud de l’hĂ´pital des QuinzeVingts, Ă l’ouest de l’hĂ´tel de la Petite-Bretagne et Ă l’est des Tuileries, de la maison de Pierre de Bonneuil et du jardin de Jean de Courbeul. Cette annĂŠe-lĂ , en accord avec sa seconde ĂŠpouse, Jeanne de Pacy, il cĂŠda Ă l’hĂ´pital une pièce de terre contenant une ÂŤ fosse a fiens Âť, ainsi que la Couture-l’ÉvĂŞque avec la rĂŠsidence qui s’y dressait et qu’il occupait alors, en ĂŠchange de l’institution de six messes annuelles Ă perpĂŠtuitĂŠ . L’ÊvĂŞque de Paris, de qui le fonds relevait, amortit ces deux terrains le septembre . Le er mai , Pierre des Essarts donna aux Quinze-Vingts une rente d’un montant ĂŠquivalent Ă celle qu’ils devaient Ă l’ÊvĂŞque pour ces deux parcelles . Pierre des Essarts et Thomasse, sa première ĂŠpouse, avaient acquis le clos peu avant le juillet d’un certain Arnoul de la Haute-Maison , mentionnĂŠ dans le rĂ´le de la taille de comme rĂŠsidant rue Saint-Thomas-du-Louvre , et dans celui de l’annĂŠe . Arnoul et Isabelle, sa femme, avaient eux-mĂŞmes, le mai , pris Ă cens la Couturel’ÉvĂŞque de l’ÊvĂŞque Guillaume de Baufet, Ă charge pour eux de dĂŠpenser l. en trois ans pour amĂŠliorer la terre ou y construire . Dans cet acte d’accensement, les constructions occupant la Couture sont qualifiĂŠes d’ hostel des tuileries Âť et de ÂŤ manoir [...] prĂŠs des tuileries Âť. La dĂŠnomination ÂŤ hotel des Tuilleries Âť est encore rapportĂŠe par Henri Sauval qui consacre quelques paragraphes dissĂŠminĂŠs dans son Ĺ“uvre Ă

la ÂŤ maison de campagne Âť de Pierre des Essarts . En , Pierre et sa première ĂŠpouse avaient aussi pris Ă bail des Aveugles , moyennant l. p. de rente annuelle, un ÂŤ chantier Ă merrain Âť situĂŠ près des Tuileries, derrière l’hĂ´pital et touchant la propriĂŠtĂŠ des Essarts, les Quinze-Vingts se rĂŠservant toutefois la possibilitĂŠ de poser en ce terrain des canalisations pour amener l’eau de la Seine en leurs ÂŤ aisemens et chambres Âť. Dans une charte de , il est fait mention d’un ÂŤ jardin et hostel que ledit des Essars avoit [...] Âť sur la Couture . Les niveaux infĂŠrieurs d’une habitation retrouvĂŠs au sud de l’ancienne place du Carrousel, sur une superficie de près de m , pourraient correspondre Ă cette rĂŠsidence. Si son plan d’ensemble reste difficile Ă restituer, certains traits de sa physionomie se dĂŠgagent nĂŠanmoins. Trois corps de bâtiments, disposĂŠs en U autour d’une cour ouverte vers la Seine ont ĂŠtĂŠ identifiĂŠs (fig. 142). Le corps occidental comportait une vaste pièce rectangulaire divisĂŠe dans sa longueur par des piliers (dont

Fig. 142 Plan des fouilles du manoir de Pierre des Essarts, d'après VAN OSSEL 1998.

153


L’HÔTEL D’ARTOIS ET LES RÉSIDENCES PARISIENNES DES DUCS DE BOURGOGNE Philippe PLAGNIEUX

RÉSIDER

Ă€

PARIS PARIS

ET HORS

Au dĂŠbut du XIVe siècle, le duc de Bourgogne Eudes IV ( ), qui exerçait un rĂ´le important Ă la cour de France, abandonna sa rĂŠsidence de la montagne Sainte-Geneviève, situĂŠe entre les rues des Sept-Voies et Chartière , lui prĂŠfĂŠrant le somptueux hĂ´tel d’Artois, sur la rive droite, construit par les aĂŻeux de son ĂŠpouse, le comte Robert II d’Artois (†) puis sa fille Mahaut (†) . Cette première demeure passa ensuite, avec l’hĂŠritage des ducs de Bourgogne de la branche capĂŠtienne, Ă Philippe le Hardi, par une concession du duchĂŠ octroyĂŠe par son père, le roi Jean le Bon, en septembre et par un acte de confirmation de Charles V, le juin . Alors qu’il n’Êtait encore que duc de Touraine, Philippe le Hardi avait dĂŠjĂ acquis, en fĂŠvrier , grâce Ă un versement de fr octroyĂŠ par son frère, le futur Charles V et pour l’heure rĂŠgent du royaume, une maison Ă proximitĂŠ du palais du Louvre, rue des Bourdonnais, Ă l’angle de la rue de la Fosseaux-Chiens . Devenu duc de Bourgogne, il ressentit la nĂŠcessitĂŠ d’agrandir sa propriĂŠtĂŠ par l’achat d’une nouvelle maison en – sur l’arrière, du cĂ´tĂŠ de la rue Tirechappe – et de remanier l’ensemble en profondeur : transformation de la chambre Ă parer et de la grande salle (reconstruction Ă neuf et en pierre de taille, sur douze toises de haut, des deux pignons du cĂ´tĂŠ de la rue de la Fosse-aux-Chiens) ; rĂŠfection des gros murs, cloisons et planchers de l’hĂ´tel ; rĂŠalisation de cheminĂŠes et d’escaliers ; vidange des fosses d’aisances sous la grande salle et dans la cour. Un nouvel achat, en , sur la rue Tirechappe, permit d’augmenter encore la surface. Philippe le Hardi entreprit ĂŠgalement des travaux somptuaires, rĂŠalisĂŠs par le peintre Jean d’Arbois, qu’il fallut aller chercher en Lombardie en et qui y travailla plus de deux ans . Avant , le duc se dĂŠfit de cette propriĂŠtĂŠ au profit de son chambellan, Guy V de La TrĂŠmoille, qui possĂŠdait dĂŠjĂ , semble-t-il, une maison dans le voisinage . Ă€ la suite de son mariage en avec Marguerite de Male puis du dĂŠcès de son beau-père, Louis de Male (†janvier ), le duc de Bourgogne entra en possession de l’hĂ´tel des comtes de Flandre , au coin des rues Coquillière et du Coq-HĂŠron, non loin du sĂŠjour d’Artois. Dès , la comtesse Marguerite de Flandre avait achetĂŠ une maison, situĂŠe Ă l’extĂŠrieur de la ville et contre l’enceinte de Philippe Auguste. La propriĂŠtĂŠ s’agrandit au moyen de deux acquisitions rĂŠalisĂŠes par le fils et hĂŠritier de la comtesse, Guy de Dampierre, en , qui entreprit de faire ĂŠlever une nouvelle demeure, puis par Louis de Male en . Un compte de travaux ordonnĂŠs par le concierge de

l’hĂ´tel en - tĂŠmoigne d’une rĂŠsidence caractĂŠristique de la haute aristocratie : prĂŠsence, entre autres, d’un donjon et de deux grosses tours (appartenant probablement Ă l’enceinte de Philippe Auguste), d’une grande salle, d’une chapelle avec un oratoire, ainsi que de diverses chambres, galeries, jardins et autres bâtiments de service. Afin de suivre Charles V et la cour lors de leurs dĂŠplacements au château de Vincennes et dans les rĂŠsidences royales environnantes, Philippe le Hardi s’assura en outre plusieurs logements dans ce secteur . Depuis son mariage en , il bĂŠnĂŠficiait dĂŠjĂ de certaines demeures appartenant Ă son beau-père – dont il hĂŠrita en –, l’hĂ´tel d’Artois, mais aussi le manoir de Conflans, situĂŠ sur les bords de la Marne et proche du bois de Vincennes, alors qu’il avait dĂŠjĂ achetĂŠ en , non loin de lĂ , la rĂŠsidence agreste de Plaisance, dans la paroisse de Nogentsur-Marne. Il la revendit Ă Charles V en mais, dès , le jeune Charles VI restitua Plaisance au duc de Bourgogne. Par lettres patentes du novembre , le duc et la duchesse de Bourgogne organisèrent leur succession. L’une des clauses particulières concernait la rĂŠpartition de leurs rĂŠsidences parisiennes : Antoine, duc de Brabant, reçut l’hĂ´tel de Flandre et le manoir de Plaisance, Philippe, comte de Nevers, celui de Bourgogne, tandis que leur hĂŠritier Ă la tĂŞte du duchĂŠ, Jean sans Peur, recueillait les hĂ´tels de Conflans et d’Artois, ayant d’ailleurs lui-mĂŞme prĂŠfĂŠrĂŠ ce dernier Ă celui de Flandre.

L’ H Ô T E L D ’A R T O I S

La constitution de l’hĂ´tel des comtes d’Artois remonte Ă la fin du XIIIe siècle. Possesseur d’un simple logis situĂŠ entre les rues Mauconseil et PavĂŠe (actuelle rue Tiquetonne), Robert II, neveu de Saint Louis, acquit le mai une nouvelle maison jouxtant l’enceinte de Philippe Auguste, du cĂ´tĂŠ de la pointe Saint-Eustache. L’annĂŠe suivante, en dĂŠcembre , le comte acheta un jardin situĂŠ rue PavĂŠe, contre l’enceinte mais cette fois Ă l’extĂŠrieur. Par la suite, en une quinzaine d’annĂŠes, il ĂŠtendit sa propriĂŠtĂŠ tant Ă l’intĂŠrieur qu’à l’extĂŠrieur du rempart. Puis, sa fille, Mahaut d’Artois, nĂŠgocia deux autres maisons rue PavĂŠe, en et . Des travaux d’amĂŠnagement et de construction suivirent ces acquisitions. Le mars , Guillaume de Charny, bourgeois de Paris, reçut la somme de l. p. pour des ouvrages en l’hĂ´tel du comte. La mĂŞme annĂŠe, il est question de la destruction d’une tourelle alors qu’on intervient sur plusieurs bâtiments : grande salle, chambre pourvue d’une cheminĂŠe, chapelle, cuisine, etc.

155


LES DEMEURES PARISIENNES DU DUC DE BERRY ET L’HÔTEL DE NESLE THOMAS RAPIN

Fig. 149 L’hĂ´tel de Nesle au dĂŠbut du XVIe siècle. DĂŠtail du plan de Bâle. Bibl. univ. de Bâle, AA 124.

REGARDS

160

SUR

L’ARCHITECTURE

Jean de France ( - ), frère du roi Charles V, duc de Berry et d’Auvergne, comte de Poitou, bien connu pour ses palais et châteaux du centre de la France, rĂŠsidait en fait principalement Ă Paris. Le cĂŠlèbre mĂŠcène s’y plaisait au point de provoquer chez Henri Sauval ce commentaire ironique : ÂŤ VoilĂ bien des palais pour ĂŞtre si proches les uns des autres, pour un seul prince, quelque grand qu’il fĂťt. Mais peut-ĂŞtre alors ĂŠtoit-ce la mode ? Âť . Effectivement cette pratique ĂŠtait largement rĂŠpandue au sein de la haute aristocratie. D’ailleurs l’initiative en revenait souvent au souverain lui-mĂŞme et parfois Ă grands frais pour le TrĂŠsor royal. Les donnĂŠes fournies, essentiellement par le TrĂŠsor des chartes et par les censiers, permettent de dĂŠnombrer huit rĂŠsidences intra-muros acquises par Jean de Berry Ă proximitĂŠ du Louvre, du palais de la CitĂŠ et de l’hĂ´tel de Saint-Pol. Parmi ces logis – dont l’histoire est rĂŠsumĂŠe sur la carte (fig. 150) et le tableau ci-dessous – seul l’hĂ´tel de Nesle tint le rĂ´le de vĂŠritable rĂŠsidence, tandis que plusieurs demeures situĂŠes hors les murs servaient plus occasionnellement : les hĂ´tels de la Grange-auxMerciers et l’hĂ´tel de BicĂŞtre. C’est effectivement Ă Nesle que le prince tenait sa cour et recevait ses hĂ´tes, et c’est aux abords de l’hĂ´tel, notamment dans le bourg de Saint-Germain-des-PrĂŠs,

que ses grands officiers et ses services domestiques s’installèrent . Source de confusion de la part des historiens, le nom d’hĂ´tel de Nesle ĂŠtait aussi portĂŠ, aux XIIIe et XIVe siècles, par une rĂŠsidence royale de la rive droite autrement dĂŠsignĂŠe hĂ´tel de Bohème et qui fut donnĂŠe au duc d’OrlĂŠans en . Il est fort probable que, dans ce mĂŞme secteur, la prĂŠsence d’une autre rĂŠsidence de Jean de Berry (rue du Four) ajoutait Ă la confusion. Le octobre , le jeune Charles VI donnait au duc de Berry ÂŤ trop petitement logĂŠ a Paris Âť sa maison de Nesle sur la rive gauche de la Seine Ă l’abri des murs de l’enceinte philippĂŠenne, relevant de la paroisse de Saint-AndrĂŠ-des-Arts et de la censive de Saint-Germain-des-PrĂŠs. L’Êtendue de la donation faite alors au prince est connue par un acte remontant Ă l’annĂŠe : la rĂŠsidence royale ĂŠtait contiguĂŤ, d’une part, au chemin qui longeait l’enceinte depuis la tour de Nesle jusqu’au PrĂŠsaux-Clercs et, d’autre part, Ă la maison et au verger du gouverneur d’Artois, Miles de MĂŠsy, ainsi qu’aux vergers et jardins du collège de Saint-Denis et des Augustins. Un autre document ( ) nous apprend que la demeure ĂŠtait dĂŠjĂ divisĂŠe en deux entitĂŠs : l’hĂ´tel de Nesle, plus tard dĂŠsignĂŠ sous le terme de ÂŤ grand Nesle Âť, et le ÂŤ petit Nesle Âť contigu Ă la porte de la ville . L’hĂ´tel de Nesle ĂŠtait probablement restĂŠ peu entretenu avant


L’HÔTEL DE CLISSON L’HÔTEL DE CLISSON ET SES VOISINS : ÉTUDE HISTORIQUE VALENTINE WEISS

SituĂŠ rue du Chaume – auj. partie de la rue des Archives –, Ă l’angle de la rue des Quatre Filz Hemon – auj. rue des QuatreFils –, l’hĂ´tel de Clisson (fig. 152) – voir notice du rĂŠpertoire publiĂŠ sĂŠparĂŠment pour cet hĂ´tel et tous les autres citĂŠs dans cet article – fait partie d’un vaste ĂŽlot dĂŠlimitĂŠ Ă l’est par la rue Barbette – auj. rue Vieille-du-Temple – et au sud par la rue de Paradis – auj. partie de la rue des Francs-Bourgeois –, actuellement le quadrilatère des Archives nationales. L’espace est traversĂŠ d’ouest en est par une ruelle appelĂŠe rue du Petit Chantier et devenue plus tard rue de la Roche, dont le tracĂŠ est encore visible et qui ĂŠtait Ă l’origine un cul-de-sac faisant issue rue du Chaume et butant sur les propriĂŠtĂŠs de la rue Barbette.

DES

SOURCES DÉCEVANTES

En comparaison de la notoriĂŠtĂŠ de ce qui fut la demeure d’Olivier de Clisson, connĂŠtable de Charles V, force est de constater que les documents historiques ou figurĂŠs sont minces pour l’histoire de l’hĂ´tel avant son achat par le duc de Guise. Les archives concernĂŠes, dissĂŠminĂŠes, sont pour la plupart conservĂŠes dans les sĂŠries M et S des Archives nationales. Elles se limitent aux registres d’ensaisinements et aux documents domaniaux du Temple, auxquels s’ajoutent quelques actes, gĂŠnĂŠralement brefs : l’ensaisinement de Nicolas Braque en , l’autorisation par le Temple de clĂ´turer la ruelle du Petit Chantier (fig. 153), la cession d’une parcelle par le Temple Ă Olivier de Clisson en pour l’Êdification de son hĂ´tel (fig. 154), l’acquisition par Philibert Babou de La Bourdaisière en . Le rapport d’expertise de aux ĂŠchevins sur l’adduction des eaux Ă l’hĂ´tel de Clisson se trouve parmi les titres domaniaux de la sous-sĂŠrie Q (fig. 155), les lettres de remerciement de François de Guise aux ĂŠchevins pour le rĂŠtablissement de la conduite d’eau en dans les papiers isolĂŠs de la sous-sĂŠrie AB XIX. ExceptĂŠ ce dernier, tous ces actes ont ĂŠtĂŠ ĂŠditĂŠs par LĂŠon Mirot dans l’Annuaire-bulletin de la SociĂŠtĂŠ de l’histoire de France de , qui comprend en outre de nombreuses transcriptions de documents domaniaux. Quelques rares documents conservĂŠs dans les titres de la famille d'Albret aux archives dĂŠpartementales des PyrĂŠnĂŠesAtlantiques donnent certains renseignements sur la propriĂŠtĂŠ après la mort de Clisson, principalement une transaction de et, surtout, un ĂŠtat des rĂŠparations de , ĂŠditĂŠs par Paul Raymond dans la Bibliothèque de l’École des chartes en et .

Fig. 152 Vue de l’hĂ´tel de Clisson, entrĂŠe sur rue. Š Cl. É. Hamon.

163


L’HÔTEL DE CLISSON ET SA PLACE DANS L’ARCHITECTURE DES ANNÉES 1400 PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP

Parmi les hĂ´tels ĂŠdifiĂŠs durant la seconde moitiĂŠ du XIVe siècle dans le nouveau quartier Ă la mode, le Marais, non loin des rĂŠsidences royales, l’hĂ´tel de Clisson ĂŠtait un des plus cĂŠlèbres. Cependant, son architecture reste mĂŠconnue, bien que sa porterie (voir fig. ), pour le commun rĂŠsumĂŠe aux ÂŤ tourelles Âť, soit souvent citĂŠe. Pourtant, Ă la diffĂŠrences des hĂ´tels des autres familiers de Charles V qui s’Êlevaient Ă proximitĂŠ, ceux de Bertrand Du Guesclin, Olivier de Mauny, Bureau de La Rivière, Silvestre de La Cervelle, Guy de Champdivers ou Jean Le Mercier, apparemment intĂŠgralement dĂŠtruits, celui d’Olivier de Clisson conserve de très importants vestiges, presque ignorĂŠs. En outre, des textes en offrirent des descriptions prĂŠcises un siècle après sa construction, en un temps oĂš il avait ĂŠtĂŠ encore peu modifiĂŠ, un peu avant le dĂŠbut des grandes transformations et des destructions que lui feront subir les Guise. Ils autorisent des hypothèses de restitution de son plan de masses . Quelles ont ĂŠtĂŠ les ĂŠtapes et les raisons du relatif oubli dans lequel ĂŠtait tombĂŠe cette belle rĂŠsidence aristocratique ? Que peut-on prĂŠciser sur son ĂŠtendue, sa topographie et ses composantes ? En quoi la demeure d’Olivier de Clisson ĂŠtait-elle reprĂŠsentative de la grande architecture rĂŠsidentielle de son temps ?

LES

Fig. 157 a : Plan de Saint-Victor, vers 1550, à partir d’une version des annÊes 15231530, dÊtail de l’hôtel de Clisson. b : plan de Quesnel, 1609, dÊtail de l’Hôtel de Clisson. c : plan de Vassalieu, 1609. REGARDS

168

SUR

L’ARCHITECTURE

É TA P E S

D’UNE REDÉCOUVERTE

L’hĂ´tel de Clisson fut très cĂŠlèbre au temps de la splendeur du connĂŠtable et renommĂŠ pour l’Êclat de son dĂŠcor, Ă la mesure d’une fortune qui avait fait bien des envieux, jusqu’à irriter la colère des princes du sang. Par la suite, sans jamais disparaĂŽtre de la mĂŠmoire des Parisiens, il tomba dans un relatif oubli. Examinons le cas, d’abord dans la toponymie et sur les reprĂŠsentations de Paris, puis dans la littĂŠrature savante. Les constructions gardèrent le nom de Clisson, ou Clichon, durant près de deux cents ans, et le grand pourpris avec elles, jusqu’à ce qu’une très illustre famille, les Guise, y ĂŠtablisse sa rĂŠsidence parisienne pour plus d’un siècle ( - ). C’est alors, Ă ce qu’il semble, que s’effaça le souvenir de la belle maison mĂŠdiĂŠvale, sans doute au rythme des transformations et du train de vie somptueux des nouveaux occupants, qui en firent un des pĂ´les de la vie parisienne : l’hĂ´tel de Guise, par ailleurs beaucoup plus vaste, s’Êtait substituĂŠ Ă l’hĂ´tel de Clisson, dans les fastes architecturaux comme dans les fastes mondains. L’oubli ne pouvait qu’être confirmĂŠ lors d’un troisième acte monumental, celui de l’Êrection de l’hĂ´tel de Soubise, rĂŠalisation de premier plan de la première moitiĂŠ du XVIIIe siècle. Dès lors, seules les ÂŤ tourelles de Clisson Âť rappelaient encore le souvenir de la demeure du connĂŠtable.


LES CAVES DE L’HÔTEL DE CLISSON VIOLAINE BRESSON

Si la porterie de l’hĂ´tel de Clisson situĂŠe le long de la rue des Archives et flanquĂŠe de ses deux ĂŠlĂŠgantes tourelles a fortement contribuĂŠ Ă pĂŠrenniser le souvenir de cet ĂŠdifice fondĂŠ par le grand seigneur fĂŠodal Olivier de Clisson entre et au moins , la conservation exceptionnelle de ses caves a nettement moins attirĂŠ l’attention des spĂŠcialistes. Charles-Victor Langlois, en , puis Jean-Pierre Babelon, en , avaient tous deux dĂŠjĂ ĂŠmis l’hypothèse que les niveaux de caves de l’ancien hĂ´tel de Soubise, qui avait succĂŠdĂŠ Ă l’hĂ´tel de Clisson puis Ă celui des Guise, conservaient d’importants ĂŠlĂŠments architecturaux datant de l’Êpoque d’Olivier de Clisson. NĂŠanmoins, seule une ĂŠtude rĂŠcente a non seulement permis de confirmer que les caves sous l’ancien corps de logis principal de l’hĂ´tel de Clisson avaient ĂŠtĂŠ en grande partie conservĂŠes, mais encore qu’elles

avaient largement intĂŠgrĂŠ dans leur bâti les vestiges de caves de maisons plus anciennes. Cette ĂŠtude a ĂŠtĂŠ menĂŠe dans le cadre d’un groupe de recherches sur les caves parisiennes par le DĂŠpartement histoire de l’architecture et archĂŠologie de Paris, avec le concours de Valentine Weiss, conservateur du patrimoine aux Archives nationales , et de Jean-Denis Clabaut, spĂŠcialisĂŠ dans l’Êtude du bâti mĂŠdiĂŠval. Un grand ensemble architectural cohĂŠrent a ĂŠtĂŠ identifiĂŠ sous le corps de logis principal nord-sud de l’ancien hĂ´tel de Soubise, parallèle Ă la rue des Archives et en limite orientale de la cour dite ÂŤ de Clisson Âť (fig. 166). Il est constituĂŠ d’une grande pièce de , mètres de long sur de large en moyenne, divisĂŠe par huit murs diaphragmes en neuf travĂŠes (fig. 167). Chacun de ces murs diaphragmes est percĂŠ de deux arcs en berceau brisĂŠ et est parementĂŠ au moyen d’un appareil rĂŠglĂŠ, avec des assises en pierre de taille de calcaire Ă milioles et cĂŠrithes issu des bancs francs parisiens . Les arcs ne prĂŠsentent pas de chanfrein, ce qui conduit Ă dater cet ensemble de la fin du Moyen Ă‚ge, puisque le chanfrein est d’un usage presque systĂŠmatique Ă Paris aux XIIIe et XIVe siècles . La grande majoritĂŠ des pierres prĂŠsente des traces de bretture, un outil dont l’emploi s’est gĂŠnĂŠralisĂŠ en ĂŽle-de-France Ă partir du XIIIe siècle, avant d’être remplacĂŠ par la ripe Ă la fin du XVe siècle. Quatre-vingt-quatorze types de signes lapidaires diffĂŠrents ont ĂŠtĂŠ identifiĂŠs sur les murs de cette salle, pour

Fig. 166 Plan des ĂŠlĂŠments anciens ayant appartenu aux caves de l’hĂ´tel de Clisson (la plupart des ĂŠlĂŠments architecturaux d’Êpoque moderne n’ont pas ĂŠtĂŠ figurĂŠs dans les caves mĂŠdiĂŠvales, pour une meilleure comprĂŠhension). Violaine Bresson, d’après un plan des Archives nationales. Fig. 167 L’un des murs diaphragmes de la cave principale de l’hĂ´tel de Clisson. Š Cl. P. Saussereau, Ville de Paris.

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LES CARREAUX DE PAVEMENT DE L’ANCIEN HÔTEL DE CLISSON C AT H E R I N E B R U T

Les bâtiments dĂŠvolus au Archives nationales, appelĂŠs communĂŠment le ÂŤ quadrilatère Âť par ses habituĂŠs, ont connu des transformations successives, incorporant les bâtiments anciens dans une trame de plus en plus serrĂŠe visant Ă gagner de la place. Le sol et le sous-sol ont de nombreuses fois ĂŠtĂŠ retournĂŠs sans ne jamais faire rĂŠellement l’objet d’une fouille archĂŠologique qui aurait permis d’en connaĂŽtre l’histoire passĂŠe et d’en lire les archives du sol. Les premiers bâtiments sont des maisons achetĂŠes par la famille de Braque et mentionnĂŠes au XIVe siècle. Elles sont cĂŠdĂŠes Ă Olivier de Clisson qui les transforme en hĂ´tel parisien pour ses sĂŠjours dans la capitale royale. Les propriĂŠtaires suivants, les Penthièvre, le duc de Bedford lors de l’occupation anglaise de Paris pendant la guerre de Cent Ans, les Guise puis les RohanSoubise, vont transformer les bâtiments, densifiant l’occupation jusqu’à l’installation des Archives nationales dont les fonds ont besoin d’espace. De nouveaux bâtiments se construisent, occupant ce quadrilatère prestigieux qui abrite la mĂŠmoire tangible de l’histoire de France. La première mention d’une dĂŠcouverte est relatĂŠe par Eugène Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonnĂŠ de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, publiĂŠ en . Ă€ l’article ÂŤ carrelage Âť, qu’il dĂŠcrit ÂŤ comme un assemblage de carreaux de pierre, de marbre ou de terre cuite Âť, il donne une longue description de toute une sĂŠrie de carreaux de pavement mĂŠdiĂŠvaux dont les plus anciens sont conservĂŠs dans l’Êglise abbatiale de

Saint-Denis. Passant des carreaux de terre cuite, dĂŠcoupĂŠs pour former par assemblage des motifs, aux carreaux dont le motif est estampĂŠ, il mentionne en quelques lignes ÂŤ deux portions de carrelages de cette ĂŠpoque qui proviennent des fouilles exĂŠcutĂŠes en dans les jardins de l’hĂ´tel des Archives Ă Paris (ancien hĂ´tel Soubise), et dont les dessins rouges sur jaune sont exĂŠcutĂŠs avec une rare perfection. Des fragments d’une bordure bleue et blanche furent dĂŠcouverts en mĂŞme temps Âť. Cette courte mention est accompagnĂŠe de deux figures, numĂŠrotĂŠes et (fig. 172-173). La figure est un dessin de quatre carreaux assemblĂŠs prĂŠsentant un quart de motif avec un dĂŠcor stylisĂŠ de feuilles de vigne, d’une grappe de raisin et de petits quatrefeuilles stylisĂŠs dans un annelet et dans les ĂŠcoinçons. La figure montre un carreau ornĂŠ, toujours sur fond jaune, d’un M gothique entourĂŠ de quatre lobes, trilobĂŠs, sĂŠparĂŠs par des pointes. Le M ĂŠtant la devise d’Olivier de Clisson, ces carreaux ont ornĂŠ les sols de l’hĂ´tel particulier du connĂŠtable. L’indication du jardin de l’hĂ´tel des Archives pour ces fouilles exĂŠcutĂŠes en n’est pas très prĂŠcis et ne permet pas d’en dire plus sur leur localisation d’origine, ni de savoir s’ils sont en remploi dans un pavement postĂŠrieur. La bordure bleue et blanche, si elle indique des carreaux de faĂŻence, reste ĂŠgalement trop imprĂŠcise pour aller plus loin. Bien que ces carreaux ne soient pas rĂŠpertoriĂŠs dans les collections des Archives nationales et que leur localisation n’ait pas ĂŠtĂŠ identifiĂŠe, ils ont servi de rĂŠfĂŠrence pour dater d’autres

Fig. 172 Dessin de quatre carreaux de pavement dĂŠcouverts dans les fouilles exĂŠcutĂŠes en 1840 aux Archives nationales. Extrait de Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonnĂŠ de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, t. 2, p. 274, fig. 14. Ces carreaux ne sont pas localisĂŠs. Fig. 173 Dessin d’un carreau de pavement portant un M, devise d’Olivier de Clisson et dĂŠcouvert dans les fouilles exĂŠcutĂŠes en 1840 aux Archives nationales. Extrait de Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonnĂŠ de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, t. 2, p. 275, fig. 15. Ce carreau n’est pas localisĂŠ.

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L’HÔTEL PARISIEN SOUS CHARLES VIII ET LOUIS XII ÉTIENNE HAMON

Le tournant des XVe et XVIe siècles constitue un moment privilégié pour l’étude de l’architecture parisienne de la fin du Moyen Âge puisque cette période à laquelle appartiennent la majorité des églises gothiques en place est aussi celle au cours de laquelle bon nombre de grandes demeures médiévales que nous connaissons de vue ou de mémoire ont été créées : celles ayant conservé, par-delà les inévitables remaniements, des disposiFig. 178 Hôtel de Sens. © Cl. M. Paturange, Arch. nat.

REGARDS

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SUR

L’ARCHITECTURE

tions proches de celles d’origine comme les hôtels de Sens, de Cluny, Hérouet (fig. 178 à 181) ; celles victimes du vandalisme plus ou moins radical des XIXe et XXe siècles, période marquée par les hésitations quant aux noms des véritables bâtisseurs, comme pour les hôtels Le Gendre (alias La Trémoille), de Sansac (alias Tison) et d’Aumont (alias La Vieuville) [fig. 185, 191 et 265] ;


LA MAISON PARISIENNE À PAN DE BOIS DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE TARDIVE : RESTITUTION DU PROCESSUS DE MISE EN ŒUVRE

JACQUES FREDET

MORPHOLOGIE

D E S CO R P S D E B Ă‚T I

Page de droite Fig. 197 Plans, coupes et ÊlÊvations de la maison type. Dessins J. Fredet. Fig. 198 ÉcorchÊ de la maison type de l’Êpoque gothique tardive. ModÊlisation Olivier Netter. REGARDS

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SUR

L’ARCHITECTURE

La parcelle foncière de la maison que nous allons dĂŠcrire a pieds de large ( , m) par pieds de profondeur ( , m) [fig. 197 et 198]. Elle est situĂŠe sur une rue secondaire dĂŠbouchant sur une rue fondatrice, telle que la rue Saint-Martin ou SaintAntoine et sur laquelle on trouve successivement : ¡ un corps de logis principal entre rue et cour, d’environ pieds hors Ĺ“uvre ( m), double en ĂŠpaisseur, avec façades en pan de bois apparent de pieds de haut ( toises, , m), prĂŠsentant pignons sur rue et sur cour, de profil tiers-point ou ĂŠquilatĂŠral, deux travĂŠes de baies rĂŠglĂŠes sur rue et une travĂŠe de baie sur cour. Ce corps, divisĂŠ en trois travĂŠes de planchers composĂŠs, apparents, comporte une boutique au rez-de-chaussĂŠe, une petite porte dĂŠgageant une allĂŠe d’accès latĂŠrale desservant la cour et la cage d’escalier ; l’ensemble est surmontĂŠ de deux ĂŠtages carrĂŠs d’habitation, de hauteurs dĂŠcroissantes, et d’un ĂŠtage de comble habitĂŠ, surhaussĂŠ, Ă deux versants symĂŠtriques perpendiculaires aux murs de face. Les travĂŠes de poutres maĂŽtresses portent parallèlement Ă ces murs, de mĂŞme que les chevrons formant fermes du comble, tandis que le couvrement des caves se fait par un berceau en plein cintre pontant en sens contraire ; ¡ une tourelle d’escalier hors Ĺ“uvre, en pan de bois, desservant ce corps de logis ainsi que le suivant et recevant un escalier Ă vis montant de fond, Ă noyau plein, charpentĂŠ. La vis communique par quelques degrĂŠs avec une galerie ajourĂŠe en pan de bois, desservant le corps de logis du fond ; elle se prolonge en sous-sol par une descente de cave en maçonnerie ; ¡ un corps de logis sur cour, adossĂŠ en fond de parcelle, simple en ĂŠpaisseur, d’environ pieds hors Ĺ“uvre ( , m), avec façade en pan de bois apparent, comportant atelier ou remise au rez-de-chaussĂŠe, un ĂŠtage carrĂŠ d’habitation couvert d’un comble surhaussĂŠ, Ă deux versants parallèles au fond de parcelle avec lucarne de chargement Ă chevalet, en pĂŠnĂŠtration dans ce comble. Les planchers sont faits de cours de solives portant entre la façade et le fond de parcelle, de mĂŞme que les chevrons formant fermes Ă entraits retroussĂŠs du comble.

LE

PA N D E B O I S PA R I S I E N

À LA FIN DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE

Au dĂŠbut du XVIe siècle, on utilise conjointement Ă Paris deux procĂŠdĂŠs pour construire les pans de bois. Le premier, frĂŠquemment rencontrĂŠ dans les murs de face, se sert de poteaux montant de fond, continus de bas en haut, aux extrĂŠmitĂŠs des pans ainsi qu’à leurs changements de direction. Ils sont ĂŠtablis sur des socles en maçonnerie et s’Êlèvent d’un seul tenant sur la plus grande longueur de bois possible qui correspond gĂŠnĂŠralement Ă un peu plus de deux ĂŠtages, avec assemblages bout Ă bout appelĂŠs entures, selon l’axe des poteaux. Les sablières hautes, pièces de charpente disposĂŠes horizontalement, servent Ă porter


ENTRE GOTHIQUE ET RENAISSANCE : LA DEMEURE PARISIENNE DES ANNÉES 1510-1530 ÉTIENNE HAMON

De ces maisons fut faicte une citÊ, Et des citez fut un royaulme faict : Beaucoup vault donc de la maison l’effect, Veu que de soy petit de lieu contient Et touteffois grand empire soustient.

Lorsqu’il compose ses vers en en tĂŞte de ses Blasons domestiques , Gilles Corrozet songe sans le dire Ă Paris qui a retrouvĂŠ sa forte densitĂŠ urbaine, gage pour les contemporains de prospĂŠritĂŠ et de grandeur politique. La maison idĂŠale dont il dĂŠcrit les techniques, la distribution et l’amĂŠnagement intĂŠrieur est sur bien des points celle des gĂŠnĂŠrations passĂŠes. Son dĂŠcor en revanche est marquĂŠ par un nouveau rĂŠpertoire : l’Antique. Entre l’achèvement vers des grands hĂ´tels gothiques flamboyants conservĂŠs et les premières grandes rĂŠalisations Ă l’Antique du règne de François Ier consĂŠcutives du retour de la Cour Ă Paris en , une vingtaine d’annĂŠes se sont ĂŠcoulĂŠes, moins fĂŠcondes que les dĂŠcennies prĂŠcĂŠdentes en raison du retour des ĂŠpidĂŠmies ( , ), des accidents ĂŠconomiques ( - ) et des alertes politiques (captivitĂŠ du roi en ), mais encore portĂŠes par le dynamisme de la reconstruction. Desservi par l’absence d’œuvres majeures conservĂŠes et de relevĂŠs systĂŠmatiques des sources notariales , ce mouvement reste Ă ce jour plus difficile Ă apprĂŠhender que celui des pĂŠriodes qui l’encadrent . Son bilan apparaĂŽt pourtant, numĂŠriquement et qualitativement, dĂŠterminant au regard de l’histoire de l’architecture car, bien plus radicalement que dans d’autres villes oĂš ces mutations furent souvent lentes, la grammaire de l’architecture s’est alors transformĂŠe en profondeur. DĂŠmentant sa rĂŠputation de conservatisme, l’architecture religieuse a d’ailleurs ĂŠvoluĂŠ au mĂŞme rythme ; que l’on en juge au chemin parcouru entre le chevet de Saint-Merry projetĂŠ peu avant – et dont le presbytère qui subsiste au sud doit ĂŞtre contemporain – et celui de Saint-Eustache entrepris en . Dans ce laps de temps assez court, le statut, les fonctions et la morphologie de la demeure parisienne n’ont pas ĂŠtĂŠ bouleversĂŠs. Mais les tendances de la gĂŠnĂŠration prĂŠcĂŠdente se sont affirmĂŠes dans la plupart des rĂŠalisations. Le dĂŠcor et son ĂŠconomie ont en revanche brutalement mutĂŠ au point de modifier en profondeur l’aspect de la demeure, du moins celle d’un certain rang. REGARDS

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SUR

L’ARCHITECTURE

MAĂŽTRES

D’OUVRAGE

ET MAÎTRES D’ŒUVRE

Cette vitalitĂŠ s’appuie sur une maĂŽtrise d’ouvrage Ă la base sociologique renouvelĂŠe. Sensible dès le dĂŠbut des annĂŠes , l’attrait de Paris s’est renforcĂŠ au dĂŠbut du règne de François Ier de la part des premiers cercles de l’administration dans lesquels les notaires et secrĂŠtaires du roi occupent une place grandissante : entre alors en scène la nouvelle gĂŠnĂŠration des Morelet de Museau, Jean RuzĂŠ, Nicolas de Neufville, Jean Grolier, Gaillard Spifame, bientĂ´t rejoints par le berruyer Philibert Babou qui achète l’hĂ´tel de Clisson en . Ils partagent une solide expĂŠrience de la commande architecturale, Ă Paris et ailleurs puisqu’ils ne sauraient dĂŠroger au principe du couple ÂŤ hĂ´tel urbain – maison des champs Âť . Neufville, qui a hĂŠritĂŠ ce goĂťt de son oncle Pierre Le Gendre, et Babou formeront le premier noyau de l’administration des bâtiments du roi après et ils auront pour successeur un ancien clerc des jurĂŠs maçons et charpentier Ă Paris, Pierre Des Hostels. Grolier sera l’homme de confiance d’Anne de Montmorency sur ses chantiers. En , Neuville a cĂŠdĂŠ au roi d’importants terrains aux Tuileries pour un projet d’installation de la reine mère . Et tous ont dĂŠjĂ prĂŠparĂŠ le terrain au retour de la Cour Ă Paris par leurs propres commandes. Dans un contexte oĂš les entrepreneurs sont Ă l’avant-scène des grands travaux, peu d’entreprises connues sont associĂŠes, dans les sources, Ă des architectes de renom. Ainsi Pierre Chambiges qui se distingue après dans la construction de châteaux en ĂŽle-de-France, n’est encore repĂŠrĂŠ que sur des chantiers d’Êglises ou pour des expertises. Dominique de Cortone travaille ĂŠpisodiquement Ă Paris mais ce n’est qu’en qu’il y fait son grand retour en donnant les plans de l’hĂ´tel de Ville . Son successeur comme maĂŽtre des Ĺ“uvres de maçonnerie du roi, Guillaume de La Ruelle, est un entrepreneur courtisĂŠ par l’aristocratie dès les annĂŠes , mais ses talents d’architecte restent Ă dĂŠmontrer. Il en va de mĂŞme pour Jean Boucher (†), maçon attirĂŠ de Jean RuzĂŠ depuis les annĂŠes , qui doit lui aussi sous-traiter les ouvrages de taille de pierre Ă son frère Louis. Celui-ci jouit cependant d’une certaine notoriĂŠtĂŠ auprès des milieux de la chancellerie et des finances puisque Gilles Berthelot, bâtisseur d’Azay-le-Rideau, l’emploie aux travaux du collège de la Merci.


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MOBILIER

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ET DÉCOR

INTÉRIEURS


V. MOBILIER ET DÉCOR INTÉRIEURS ÉTIENNE HAMON

En franchissant la porte d’entrée du logis, l’historien de la demeure médiévale parisienne pénètre un univers aux repères plus familiers que sont pour lui les formes architecturales qui se dérobent souvent au regard. Les sources écrites décrivant le mobilier d’une maison, prolixes, laissent l’impression rassurante de pouvoir appréhender dans tous ses détails une culture matérielle à laquelle objets et images connus donnent corps. Les objets conservés en quantité dans les musées sont peu dénaturés ; l’iconographie qui s’y rapporte est riche. Mais il s’agit là, à bien des égards, de faux-semblants. L’exhaustivité de ces innombrables inventaires (levés après un décès généralement) n’est qu’apparente puisque les immeubles par destination leur échappent, tout comme les objets d’usage courant. Une grande incertitude – amplifiée par l’emploi encore très limité à Paris de marques de fabrication – règne aussi quant à l’origine et à la représentativité de ces pièces de musées, presque toutes sorties désormais d’un contexte souvent impossible à restituer. En témoignent les zones d’ombre qui entourent encore la provenance de la suite tissée de la Dame à la licorne du Musée du Moyen Âge, dont on peut raisonnablement supposer qu’elle a orné une grande demeure parisienne au début du XVIe siècle. Ont donc été privilégiés ici des éclairages sur les aspects du mobilier et du décor qui contribuaient le plus directement à l’embellissement du cadre de vie alors qu’ils étaient souvent les moins prisés des enquêteurs, dans tous les sens du terme. On s’attardera ainsi sur ce qui forme, à nos yeux, des « œuvres d’art » au détriment, soyons honnêtes, des vraies richesses domestiques de la société urbaine médiévale : linge fin, vêtements de prix, vaisselle d’argent, réserves alimentaires qui occupent la plus grande partie de ces énumérations… Mais avant cela, on s’appliquera à restituer le mobilier type d’une demeure parisienne de la fin du Moyen Âge avec sa répartition dans la maison. La concordance entre les textes et les objets connus y invite tandis

que les sources iconographiques, dont la rareté des repères locaux est palliée par les vastes corpus étrangers, montre le soin mis dans le positionnement de chaque objet et dans ses rapports avec les ouvertures. Cette period room virtuelle est aussi l’occasion d’évoquer un phénomène muséographique universel issu d’expériences individuelles remontant aux premiers courants du romantisme et nourri de modèles graphiques diffusés dans certains milieux artistiques « nostalgiques » depuis la Renaissance. L’accent a aussi été mis sur l’approche professionnelle à travers un essai de définition du rôle et des compétences du principal artisan – et parfois artiste – du décor de la demeure parisienne, le menuisier. Non seulement parce qu’il meuble la maison d’objets fonctionnels et parfois décoratifs, mais aussi parce qu’il l’équipe d’huisserie et de revêtements muraux qui en améliorent le confort. D’autres types d’objets vont combiner, à partir du XIVe siècle, les fonctions de confort et d’enrichissement visuel du cadre de vie. C’est le cas du vitrail, incolore ou peint, et des tentures de toile ou tissées, décoratives ou figurées. Ils offrent une alternative à la peinture murale qui semble décliner au XVe siècle, à supposer que le mutisme des sources ne soit pas trompeur. Sans rôle fonctionnel ni intérêt pour le confort des occupants, et souvent sans valeur marchande, les images de dévotion sculptées mettent en scène dans l’espace les croyances les plus intimes des habitants. S’agissant d’une époque où l’art de la capitale se nourrit de multiples courants européens, les rapprochements entre les objets énumérés dans les textes et les œuvres plastiques conservées sont incertains. L’histoire de l’art avance rapidement dans ce domaine, avec parfois le concours de l’archéologie du sol. Si aucune fouille de maison n’a permis de mettre au jour des chefs d’œuvres comparables à ceux découverts dans les opérations du Grand Louvre depuis trente ans, la plupart des sites domestiques ont livré du mobilier de table ordinaire, en terre cuite et en bois, qui offre désormais un émouvant éventail des éléments les plus usuels qui soient de la civilisation matérielle urbaine médiévale.

Fig. 222 Robert Campin, Annonciation, panneau central du triptyque de Mérode vers 1425. © The Metropolitan Museum of Art, dist. RMN / image of the MMA.

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LE MOBILIER D’UNE DEMEURE PARISIENNE AU XVe SIĂˆCLE MONIQUE BLANC

L’architecture parisienne sous le règne de Charles V fut novatrice et rĂŠvolutionnaire. Le roi, suite Ă la rĂŠvolte de la Jacquerie de au Palais de la CitĂŠ, fait construire l’hĂ´tel Saint-Pol et rĂŠnover le Louvre. Dès le XIVe siècle, la noblesse et la riche bourgeoisie, dont font partie magistrats, notaires, secrĂŠtaires des finances, trĂŠsoriers, suivent les nouvelles tendances et adoptent les modes en usage Ă la Cour, tel maĂŽtre Jacques DuchiĂŠ qui se fit construire un hĂ´tel particulier, rue des Prouvaires Ă Paris, particulièrement sophistiquĂŠ avec salle de jeux, salle de musique, une ĂŠtude dont les parois ĂŠtaient couvertes ÂŤ de pieres precieuses et d’espices de soueve odeur Âť, une chambre haute ou solarium qui servait de salle Ă manger . Guillebert de Metz en fait l’Êloge en dans sa Description de Paris : ÂŤ les oiseaux dans la cour, la salle d’entrĂŠe, les instruments de musique, les jeux de toutes sortes, la chapelle, le cabinet d’Êtude, les lits, les tables sculptĂŠes, les tapis qui les couvraient, les fourrures, les armes, les salles hautes Âť . Cet auteur flamand, libraire du duc Jean de Bourgogne, dĂŠcrit aussi l’hĂ´tel de Digne Responde, rue de la Vieille Monnaie, et l’hĂ´tel de Bureau Dampmartin, rue de la Courroirie, qui abritait un poète cĂŠlèbre, Laurent du Premierfait (voir fig. ). La clientèle du marchand Digne Responde ĂŠtait pour le moins prestigieuse. Parmi elle, le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi : ÂŤ payĂŠ Ă Digne Responde marchant et bourgeois de Paris pour trois pièces de drap d’or de Chippre‌ Âť . Ă€ partir du XIVe siècle, on assiste Ă une explosion des ĂŠtoffes et des tissus coĂťteux qui font partie intĂŠgrante du mobilier. Le lit et la cathèdre prĂŠsentĂŠs dans l’exposition des Archives nationales (fig. 223 et 224) ont appartenu au château auvergnat de Villeneuve-Lembron. Il ĂŠtait la propriĂŠtĂŠ de Rigault d’Oureille, sĂŠnĂŠchal de Gascogne et de l’Agenais, maĂŽtre d’hĂ´tel et diplomate des rois Charles VIII, Louis XII et François Ier, mort en . Dans ce château, le corps de logis distinct des communs comporte un rez-de-chaussĂŠe avec une galerie, aux extrĂŠmitĂŠs de laquelle deux escaliers Ă vis conduisent aux salles du premier ĂŠtage : trois grandes salles (ou tinel), une chambre de parement avec une vaste cheminĂŠe, une chambre de retrait, une antichambre, une garde-robe, un cabinet, une salle d’Êtude. L’amĂŠnagement intĂŠrieur du château de Villeneuve rĂŠpond globalement Ă ce qui se fait Ă Paris, Ă Bourges ou en Normandie Ă la mĂŞme ĂŠpoque. L’accent est mis sur des ĂŠlĂŠments de prestige tels que la vis desservant les ĂŠtages, la galerie en façade et la chapelle . La chambre (camera) est une pièce essentielle de la demeure, MOBILIER

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ET DÉCOR

INTÉRIEURS

qui en compte plusieurs, plus ou moins privĂŠes selon leur destination et leur situation. La chambre de retrait (retro camera) est en principe rĂŠservĂŠe Ă la famille et aux proches. On peut y recevoir, lire, ĂŠcrire, s’y baigner, y prendre ses repas, accoucher, mourir : ÂŤ en la chambre oĂš ledict deffunct est allĂŠ de vie Ă trespas estant au-dessus de la salette fut trouvĂŠ ung banc Ă perche de huit piedz de long Ă ung guichet Ă l’ung des boutz fermant Ă clef et taillĂŠ Ă feuillaiges, une table Ă deux parements de la dicte longueur et trĂŠteaulx Ă entretoise, le tout de boys de chesne Âť . L’ensemble de l’espace s’organise autour du lit, le premier et le plus confortable de tous les meubles, il fait l’objet d’un grand soin. La chambre peut ĂŞtre composĂŠe d’un lit principal Ă ciel (ou demi-ciel) et ÂŤ dossiel Âť en ĂŠtoffe et d’une ÂŤ couchette Âť parfois surmontĂŠe d’un pavillon confectionnĂŠ dans un beau damas ou une belle soierie ; au sol, des tapis turcs sur un plancher de bois ou de paille tressĂŠe ; Ă la droite du lit, une chaire Ă haut dossier souvent pourvue d’un coffre dissimulĂŠ sous le rabat de l’assise : ÂŤ Une grant selle (chaise seigneuriale), une petite chaise Ă femme couverte de cuir courtepoinctĂŠ Âť ou d’un fauteuil en X (sedia dantesca) ou encore Ă dossier incurvĂŠ. Vers la fin du XVe siècle apparaissent les lits Ă colonnes encore rares Ă cette ĂŠpoque. La period room, dite Raoul Duseigneur, au musĂŠe des Arts dĂŠcoratifs, en possède un Ă deux colonnes sculptĂŠes de fines torsades rythmĂŠes par des fleurs de lys, boules, losanges, feuilles de palmier et ĂŠcusson armoriĂŠ du propriĂŠtaire des lieux : ÂŤ d’azur Ă la bande fuselĂŠe de sable, posĂŠe de travers Âť ; les custodes (ou courtines) coulissent sur des verges en fer composĂŠes d’anneaux et fixĂŠes sur la retombĂŠe du dais sculptĂŠ de motifs Ă remplages. Les couleurs vives choisies pour ce lit rĂŠvèlent le goĂťt prononcĂŠ au Moyen Ă‚ge pour la lumière. Notons que la majoritĂŠ des lits au XVe siècle sont dotĂŠs d’un dais en tissu rigidifiĂŠ par des artibois, le tout rattachĂŠ au plafond par des crochets qui le soutiennent. Le caractère privĂŠ d’une chambre peut ĂŞtre renforcĂŠ par la prĂŠsence de latrines dont l’usage tend Ă se gĂŠnĂŠraliser au XVe siècle. Entre le mur et le lit, se situe la ruelle ou venelle souvent ĂŠclairĂŠe par un pot de terre rempli de suif qui se consumait lentement et donnait un repère dans la nuit ; le dressoir se trouve ĂŠgalement non loin du lit, gĂŠnĂŠralement contre un mur, mais aussi au milieu d’une chambre Ă vantaux latĂŠraux fermant Ă clef, on y pose souvent une aiguière et un verre ; le coffre se situe gĂŠnĂŠralement au pied du châlit, la scabelle, lĂŠgère et mobile, se dĂŠplace d’autant plus


LA PERIOD ROOM MÉDIÉVALE AUX ARTS DÉCORATIFS ODILE NOUVEL-KAMMERER

Lorsqu’Émile Peyre ( - ) lègue l’ensemble de sa collection d’art mĂŠdiĂŠval Ă l’Union centrale des arts dĂŠcoratifs, sait-il qu’il permettra d’ouvrir la première period room mĂŠdiĂŠvale de France ? L’UCAD achève alors les travaux d’installation de ses salles en vue de l’ouverture du musĂŠe en au pavillon de Marsan. La question des ÂŤ ensembles dĂŠcoratifs Âť avait fait l’objet de vifs dĂŠbats depuis au sein de la Commission du musĂŠe, nourris par l’ouverture massive, dans les pays anglo-saxons, de period rooms jugĂŠes excessives et factices par les esprits cultivĂŠs et positivistes français : cette nouvelle mode avaitelle le sĂŠrieux scientifique que tout musĂŠe se devait d’offrir Ă

ses visiteurs ? Ou empruntait-elle aux mĹ“urs mercantiles des antiquaires et des organisateurs des pavillons nationaux des expositions universelles ? La première installation de la chambre mĂŠdiĂŠvale met en scène le lit de parade aux armes de Rigault d’Oureille, provenant du château de Villeneuve-Lembron, un lit d’angle, la grande tapisserie Les BĂťcherons, ainsi que d’autres tapisseries plus petites, une scabelle et une bancelle, seul meuble Ă ĂŞtre posĂŠ sur une petite estrade. Paul Vitry, conservateur au Louvre, note que l’intention est de donner aux collections ÂŤ leur valeur d’enseignement mĂŠthodique et clair Âť, et il ajoute prudemment : ÂŤ Il est Fig. 225 La period room de l’UCAD en 1905. Š Cl. UCAD.

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LE MENUISIER, PRINCIPAL MAÎTRE D’ŒUVRE DU DÉCOR DE LA DEMEURE PARISIENNE ÉTIENNE HAMON

Mobilier, lambris, huisseries : dans une demeure parisienne souvent avare en fantaisies monumentales, les ĂŠlĂŠments du second Ĺ“uvre ou le mobilier en bois jouent un rĂ´le dĂŠcisif dans le confort et l’agrĂŠment de la vie quotidienne. En tĂŠmoignent abondamment les sources comptables et les inventaires depuis le dĂŠbut du XIVe siècle, puis les sources notariĂŠes Ă partir du XVe siècle. Elles montrent, notamment, combien le raffinement du dĂŠcor mobilier ou mural en bois fut l’un des traits marquants de l’amĂŠnagement intĂŠrieur des palais et hĂ´tels princiers sous Charles V et Charles VI Ă Paris et dans les environs, comme les rĂŠcentes dĂŠcouvertes effectuĂŠes sur les murs du château de Vincennes en ont apportĂŠ la preuve matĂŠrielle. Les tĂŠmoignages historiques relatifs Ă l’hĂ´tel aristocratique et Ă la maison confirment l’ampleur du phĂŠnomène. Du dĂŠbut du XIVe au dĂŠbut du XVe siècle, l’Êlite plĂŠbiscite les grandes salles lambrissĂŠes : Mahaut d’Artois (hĂ´tel d’Artois), les comtes de Dreux (hĂ´tel d’Ardoise), le duc de Bourgogne (hĂ´tel de La TrĂŠmoille), Louis d’OrlĂŠans dans ses diverses demeures etc., et couvre de la mĂŞme manière ses plus belles chambres et chapelles, comme peut-ĂŞtre Ă Clisson. Par leur coĂťt modĂŠrĂŠ en raison de l’abondance du matĂŠriau et du nombre d’ouvriers qui le travaillent , le mobilier et le dĂŠcor de bois sont accessibles Ă toutes les classes de la sociĂŠtĂŠ urbaine. Au minimum, comme on l’a vu dans la contribution de Monique Blanc, chaque foyer possède une couche, une table Ă trĂŠteaux, quelques scabelles et un coffre, le tout pour une valeur de quelques livres. Les meubles plus ĂŠlaborĂŠs comme les dressoirs qui servent Ă exposer la vaisselle d’argent et des images de dĂŠvotion sculptĂŠes valent une trentaine de sous, plus si les serrures bĂŠnĂŠficient d’un traitement particulier . Ă€ cela s’ajoutent les indispensables huisseries et les ĂŠventuels ÂŤ porches Âť (dais ?) et cloisons. Pour satisfaire cette ĂŠnorme demande, des dizaines d’artisans sont installĂŠs en ville et dans les faubourgs : une soixantaine de maĂŽtres sont nommĂŠs dans les statuts de , et plus de menuisiers de tous rangs ont ĂŠtĂŠ repĂŠrĂŠs pour les seules annĂŠes - . Cette production parisienne, qu’il est difficile d’identifier aujourd’hui dans la masse des Ĺ“uvres mobilières rĂŠunies depuis deux siècles par les collectionneurs et les musĂŠes, reflète l’Êvolution des modes en matière de typologie et surtout de formes et de techniques, grâce Ă l’inventivitĂŠ et Ă la virtuositĂŠ de ses professionnels qui, pour leurs crĂŠations, avaient recours aux modèles et aux outils graphiques .

UN

LARGE PÉRIMĂˆTRE

D’INTERVENTION TECHNIQUE

ET GÉOGRAPHIQUE

Dans le Paris de la fin du Moyen Ă‚ge, la profession de menuisier (le terme dĂŠtrĂ´ne Ă la fin du XVe siècle celui de ÂŤ hucher Âť ou ÂŤ huchier Âť) est, Ă l’instar de celle des peintres, polymorphe. Elle ouvre le champ Ă trois niveaux qualitatifs d’intervention : fabrication d’huisseries et de cercueils ; fabrication de meubles ou de dispositifs monumentaux Ă moulure ou dĂŠcor ; fabrication d’objets ou de dĂŠcor monumental figurĂŠ ou historiĂŠ. Et comme dans les arts figurĂŠs, les ouvriers les plus qualifiĂŠs n’ont pas renoncĂŠ Ă une production ordinaire. D’autres mĂŠtiers du bois opèrent aussi en marge de l’activitĂŠ des menuisiers, comme les charpentiers – dont les menuisiers-huchiers se sont sĂŠparĂŠs au dĂŠbut du XIVe siècle –, tourneurs (qui travaillent le ÂŤ bois blanc Âť), chalissiers et facteurs d’instruments. Cette diversitĂŠ des acteurs de la production, et des objets en bois eux-mĂŞmes, explique pourquoi la menuiserie parisienne est particulièrement encadrĂŠe et soumise Ă une dĂŠfinition assez stricte du pĂŠrimètre de ses interventions et de la qualitĂŠ des produits. Plusieurs fois rĂŠorganisĂŠs aux XIIIe-XIVe siècles , rĂŠunis dans une confrĂŠrie installĂŠe aux Billettes et dĂŠdiĂŠe Ă sainte Anne dont l’image figure sur les mĂŠreaux de la corporation (fig. 227), les mĂŠtiers de la menuiserie sont donc impliquĂŠs dans le contentieux commercial que nous rapportent les registres des justices spĂŠciales. La provenance et la qualitĂŠ des produits sont ĂŠtroitement surveillĂŠes Ă Paris et dans les deux seigneuries ecclĂŠsiastiques oĂš ce mĂŠtier a reçu des statuts particuliers, Sainte-Geneviève et Saint-Germain-des-PrĂŠs. Les inspections dans les ateliers ou chez les particuliers constituent une part importante de l’action des

Fig. 227 MĂŠreau de la confrĂŠrie Sainte-Anne des menuisiers de Paris. D’après Forgeais 1862, p. 91-93.

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Fig. 230 L’atelier du menuisier. Enluminure de J. Bourdichon extraite de Les quatre états de la société, Tours, vers 1505-1510. ENSBA, Mn. mas 92.

MOBILIER

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ET DÉCOR

INTÉRIEURS


LA FENÊTRE ET SON VITRAGE MICHEL HÉROLD

Fig 233 Fenêtre provenant d’un immeuble dÊtruit de la commanderie SaintJean-de-Latran à Paris. Dessin de Viollet-le-Duc, Dictionnaire‌, article  Menuiserie , p. 376.

MOBILIER

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ET DÉCOR

INTÉRIEURS

ÂŤ Le vitrail civil du Moyen Ă‚ge [‌] constitue un des nombreux chapitres du dictionnaire de nos ignorances. C’est sans doute parce qu’il s’est rendu pour ainsi dire invisible Âť . Cette sentence reste aujourd’hui parfaitement d’actualitĂŠ, en l’absence d’Êtude rĂŠcente. Pour Paris, les textes patiemment rĂŠunis livrent des renseignements ĂŠpars, qui ne compensent pas la disparition de toutes les fenĂŞtres de la fin du Moyen Ă‚ge, dont aucun exemplaire n’a ĂŠtĂŠ relevĂŠ dans des conditions satisfaisantes (fig. 233 et voir fig. ) . Les reprĂŠsentations des maisons dans les arts figurĂŠs offrent un secours relatif Ă une question complexe . La forme et la nature de la fenĂŞtre correspondent Ă l’espace oĂš elle se trouve. Elles suivent une hiĂŠrarchie subtile en partie liĂŠe Ă la fonction du lieu, et diffĂŠrente selon le type d’architecture, sa richesse, le mode de sa construction, en pierre, ou en pan de bois. Une reprĂŠsentation fiable, semble-t- il, de maisons rue du Roi-de-Sicile, dans leur ĂŠtat vers , insĂŠrĂŠe dans un vitrail de l’Êglise Saint-Jean-Baptiste de Nemours , montre clairement cette diversitĂŠ (fig. 234). Les documents l’attestent ĂŠgalement, comme la description, en , des ouvertures percĂŠes en remplacement de trois baies dans le mur d’une maison rue du Feurre : il s’agit au rez-de-chaussĂŠe, en la ÂŤ sallette Âť, de deux ÂŤ bees de fenestraiges Âť ; au premier ĂŠtage est percĂŠe une ÂŤ bee de fenestre Âť ; le second ĂŠtage, pour sa part, possède une ÂŤ croisee Âť et une ÂŤ petite bee de fenestrage Âť . La structure de la fenĂŞtre subit des contraintes liĂŠes aux questions de mitoyennetĂŠ. Une fenĂŞtre ne donnant pas sur l’espace public ne doit ni pouvoir s’ouvrir, ni permettre de voir chez son voisin. Une sentence du Châtelet de condamne ainsi l’abbĂŠ de Cluny Ă faire transformer quatre fenĂŞtres de son hĂ´tel Ă Paris, devant la Sorbonne, donnant sur le jardin d’une maison rue du Foin appartenant aux mathurins, de façon qu’elles rĂŠpondent ÂŤ aux us et coutumes de Paris Âť : elles seront ÂŤ Ă verre dormant Âť et placĂŠes Ă pieds de haut du rez-de-terre et Ă pieds du rezde-plancher . Par ailleurs, les baux de locations de la fin du xve siècle prĂŠcisent parfois la nature juridique du vitrage en tant qu’immeuble : le bailleur doit veiller Ă son bon ĂŠtat ; le locataire pour sa part est tenu de le rendre dans les mĂŞmes conditions lors de son dĂŠpart . Il faut imaginer les fenĂŞtres des maisons parisiennes fort diverses. Toutes ne sont pas dotĂŠes d’un vitrage. Les ÂŤ châssis Ă coulisse Âť, parfois mentionnĂŠs, sont des volets Ă glissières en bois plein . L’usage de la toile cirĂŠe ou du papier huilĂŠ reprĂŠsente une vĂŠritable alternative . Sans oublier la question du coĂťt, ces clĂ´tures, que posent les châssissiers, se voient attribuer


LES TENTURES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE CARMEN DECU TEODORESCU

Maniable, isolante et dĂŠcorative, la tapisserie joue un rĂ´le capital dans l’esthĂŠtique et le confort de la demeure mĂŠdiĂŠvale parisienne depuis son apparition Ă la fin du XIVe siècle et jusqu’à l’Êpoque moderne . En possĂŠder une Ă la fin du Moyen Ă‚ge est toutefois le signe d’un rang social ĂŠlevĂŠ. En effet, son coĂťt (env. l. p. l’aune Ă la fin du XVe siècle), justifiĂŠ en partie par la prĂŠsence de matĂŠriaux constituants chers comme la laine, la soie et parfois l’or et l’argent, restreint l’accès de la tapisserie Ă une ĂŠlite. Sa fonction couvrante et mobilière en dĂŠtermine la forme, surtout carrĂŠe ou rectangulaire, ainsi que les dimensions, potentiellement importantes mais pas toujours adaptĂŠes aux espaces très contraints de la demeure urbaine. Le processus d’acquisition d’une tapisserie Ă Paris implique diffĂŠrents acteurs dont les noms, rĂŠseaux et implantation gĂŠographique sont aujourd’hui plus prĂŠcisĂŠment cernĂŠs ainsi que leurs interactions mutuelles . Plaque tournante pour le nĂŠgoce de productions nordiques dont certains marchands se sont fait la spĂŠcialitĂŠ – le cĂŠlèbre Nicolas Bataille Ă la fin du XIVe siècle –, la capitale accède Ă certains moments au rang de centre de production, notamment vers . L’acquĂŠreur aguerri ou occasionnel pouvait, de ce fait, passer commande auprès de personnes compĂŠtentes ou acheter directement sur le marchĂŠ des pièces dĂŠjĂ tissĂŠes, gĂŠnĂŠralement issues d’une production sĂŠrielle dont les mille-fleurs sont une parfaite illustration Ă la fin du XVe siècle . En marge des officines, la possession de dispositifs de confection comme le ÂŤ metier de bois a faire tapisserie Âť, inventoriĂŠ le septembre chez l’audiencier en la cour de l’officialitĂŠ de l’ÊvĂŞque de Paris Jean Valton, atteste de la pratique d’une fabrication domestique Ă caractère non commercial chez des individus ĂŠtrangers Ă la corporation des tapissiers . Autant qu’il soit possible d’en juger Ă la lecture de sources documentant l’usage de la tapisserie dans la demeure parisienne, la prospĂŠritĂŠ du propriĂŠtaire n’impliquait pas obligatoirement l’ostentation : la tapisserie pouvait faire l’objet d’une utilisation restreinte dans le temps et l’espace. Ainsi, dans l’hĂ´tel du trĂŠsorier Pierre Le Gendre, rue des Bourdonnais, les murs n’en ĂŠtaient couverts que dans la chambre Ă coucher – Ă la fois chambre de rĂŠception et chambre de retrait – oĂš dix grandes pièces de tapisserie constituaient une chambre de tapisserie . Dans sa version complète, il s’agit alors d’un ensemble composĂŠ de tentures murales, d’une garniture de lit (ciel, dossier, courtines, couvertures), de coussins permettant de s’asseoir au niveau du sol (carreaux) et des banquiers faits pour amĂŠliorer le confort des bancs et des sièges. Les ĂŠlites pouvaient en possĂŠder de un

Ă plusieurs exemplaires, cependant rarement exposĂŠs en mĂŞme temps. Mis Ă l’abri dans des sacs ou pliĂŠs dans des coffres et armoires, comme chez le duc d’OrlĂŠans vers et encore chez Pierre Le Gendre en , ces textiles onĂŠreux n’Êtaient dĂŠployĂŠs qu’à l’occasion d’ÊvĂŠnements importants, fĂŞtes ou cĂŠrĂŠmonies. En toute logique, il importait peu au propriĂŠtaire que la muraille de certaines pièces de son logis fĂťt laissĂŠe Ă dĂŠcouvert du moment que l’essentiel de la vie privĂŠe et publique se dĂŠroulait dans un seul endroit de la maison ou de manière sporadique. Ă€ titre d’exemple, dans la rĂŠsidence parisienne du cardinal Rolin, souvent absent de la capitale, une seule chambre de tapisserie soigneusement rangĂŠe dans un coffre mais incomplète est inventoriĂŠe en , annĂŠe de la mort du prĂŠlat . En l’absence de leurs maĂŽtres, certaines riches demeures parisiennes semblent donc dĂŠpouillĂŠes non seulement du faste, mais aussi du nĂŠcessaire. C’est ainsi que Philippe le Bon se voit obligĂŠ d’envoyer en de la vaisselle et des tapisseries Ă Paris afin de parer l’hĂ´tel d’Artois-Bourgogne, en vue d’une rencontre de ses ambassadeurs avec ceux de Charles VII . Et du cĂ´tĂŠ des rois de France, le nomadisme incessant qui caractĂŠrise la maison des Valois, la nĂŠcessitĂŠ de faire courir moins de risques de dĂŠgradation Ă une collection prestigieuse, ou tout simplement la commoditĂŠ du procĂŠdĂŠ, font qu’ils recourent souvent Ă la location comme celle contractĂŠe le juin auprès du tapissier Jean Passavant en vue du sĂŠjour de Louis XII Ă l’hĂ´tel de Tournelles . L’unitĂŠ textile des chambres de tapisserie n’Êtait pas toujours respectĂŠe. Ă€ la lecture des inventaires, on est souvent surpris de voir se cĂ´toyer dans une mĂŞme pièce des tapisseries dont les prix pouvaient atteindre plusieurs centaines de livres et des tissus moins nobles comme le chanvre, le lin ou la serge. Aussi la chambre de tapisserie pouvait-elle ĂŞtre remplacĂŠe, au besoin, par un ĂŠquivalent moins sophistiquĂŠ comme l’atteste l’ensemble en serge tendu dans une des pièces de l’hĂ´tel parisien de Pierre Le Gendre . Plus qu’une dĂŠmarche ĂŠconomique, peut-ĂŞtre s’agit-il d’une prolongation ou d’une rĂŠminiscence dĂŠcorative de l’ancienne chambre de parement tendue d’Êtoffes ordinaires, antĂŠrieure Ă l’apparition de la tapisserie et qui survit, Ă l’Êvidence, Ă la gĂŠnĂŠralisation de celle-ci. On notera ĂŠgalement que dans les milieux modestes, Ă dĂŠfaut de textiles somptueux, on se contentait de recouvrir les murs et les meubles de simples courtepointes de toile blanche ou de couvertures de qualitĂŠ ordinaire . Sur le plan iconographique, les grandes sĂŠries tirĂŠes de la bible ou des romans historiques, apparues Ă la fin du XIVe siècle

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IMAGES DE DÉVOTION SCULPTÉES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE ET À LA RENAISSANCE MARION BOUDON-MACHUEL

Un peuple de statues, insaisissable aujourd’hui si ce n’est par les documents, habitait la maison parisienne des XVe et XVIe siècles. Ă€ l’extĂŠrieur, au-dessus du portail ou dans la cour, dans une niche ou sur une console, des sculptures participaient au dĂŠcor architectural, certaines, eu ĂŠgard Ă leur sujet et Ă leur emplacement, jouant aussi un rĂ´le de protectrices de la demeure. Dans l’espace intĂŠrieur, parmi d’autres ĂŠlĂŠments du mobilier – panneaux peints de dĂŠvotion, tapisseries, vitraux, orfèvrerie et meubles – des ÂŤ images Âť sont parfois mentionnĂŠes dans les inventaires après dĂŠcès. Leur emplacement n’est pas rĂŠservĂŠ : elles trĂ´nent souvent dans la salle principale, et jusque dans l’intimitĂŠ de la chambre. Ĺ’uvres mobiles, les statues occupaient des niches, souvent au-dessus d’une porte, mais elles reposaient le plus souvent sur des petits meubles, pour l’essentiel des dressoirs. L’expression, Ă connotation gĂŠnĂŠrique, d’une statue ÂŤ servant Ă mettre sur un dressoir Âť, dans l’inventaire après dĂŠcès du vendeur de vin Jean George, en , suggère la frĂŠquence de cette disposition . La fonction dĂŠvotionnelle des sculptures conservĂŠes dans une chapelle ou un oratoire privĂŠ est sans ambiguĂŻtĂŠ, mais ce type de salles ĂŠtait gĂŠnĂŠralement rĂŠservĂŠ Ă des grandes demeures, celles des dignitaires de l’Église ou de l’État. Dans la chapelle de l’hĂ´tel de Germain de Marle, conseiller et gĂŠnĂŠral des Monnaies du roi, dĂŠcĂŠdĂŠ en , est ainsi mentionnĂŠ un retable en albâtre surmontĂŠ, semble-t-il, de statues de saint Pierre et de saint ClĂŠment . Par leur importance, certains ensembles de sculptures ĂŠtaient comparables Ă ceux que l’on pouvait trouver dans les ĂŠglises. Celui de la chapelle que fit ĂŠdifier Jacques d’Amboise dans l’hĂ´tel des abbĂŠs de Cluny comprenait notamment un groupe de la Vierge de pitiĂŠ entourĂŠ de saint Jean et de Joseph d’Arimathie, des statues de saintes, mais aussi de membres de la famille d’Amboise . Dans les maisons plus modestes, les sculptures pouvaient remplir la mĂŞme fonction. Il faut alors imaginer des Ĺ“uvres de petites dimensions posĂŠes sur des dressoirs, l’ensemble faisant office d’oratoire ; certaines ĂŠtaient surmontĂŠes d’un ÂŤ chapiteau Âť, soit un dais qui participait Ă les solenniser. Le Christ ĂŠtait souvent reprĂŠsentĂŠ, notamment le crucifiĂŠ, mais le sujet de loin le plus frĂŠquent ĂŠtait celui de la Vierge. Chez Germain de Marle, on n’en compte pas moins de quatre .

Fig. 237 Le retable de la DĂŠploration, Bourgogne, vers 1430-1440. MusĂŠe national du Moyen Ă‚ge, inv. cl. 23311.

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USTENSILES ET VAISSELLE EN USAGE À PARIS AU MOYEN ÂGE C AT H E R I N E B R U T

En dehors des carreaux de pavement provenant de l’ancien hĂ´tel de Clisson, le musĂŠe des Archives nationales conserve un mobilier archĂŠologique cĂŠramique venant de travaux rĂŠalisĂŠs dans ses murs (fig. 239). L’ensemble est conservĂŠ sous la cote AE VIa . Il s’agit d’une boĂŽte Ă neuf compartiments avec des fragments de terre cuite et de cĂŠramique. Ces tessons, une fois triĂŠs, ont rĂŠvĂŠlĂŠ une cinquantaine de fragments de la seconde moitiĂŠ du XIVe siècle et une cinquantaine de fragments d’Êpoque plus rĂŠcente, datables du XVIe au XVIIIe siècle, dont une poterie anthropomorphe Ă pâte blanche et glaçure verte du Beauvaisis. La provenance de ce mobilier est indiquĂŠe par une inscription au crayon sur le cĂ´tĂŠ de la boĂŽte : ÂŤ Tessons trouvĂŠs dans la Cour de Soubise en - Âť. Si ces travaux restent difficiles Ă localiser, les tessons de terre cuite et les fragments de carreaux et de tuiles du XIVe siècle rĂŠvèlent un ensemble certes très fragmentaire mais contemporain des premières maisons de la famille de Braque ou de l’hĂ´tel de Clisson, comparable au mobilier issu d’autres dĂŠpotoirs de la mĂŞme ĂŠpoque du Paris mĂŠdiĂŠval. Ces ensembles mobiliers, mis au jour au grĂŠ des fouilles archĂŠologiques, ressuscitent ces anciens tĂŠmoins, miroir de leurs occupants, de leur quotidien et de leur activitĂŠ.

Ville toujours en mutation, Paris possède un service spĂŠcialisĂŠ chargĂŠ d’en prĂŠserver la mĂŠmoire. La Commission du Vieux Paris, dont dĂŠpend le service archĂŠologique municipal (DHAAP) , Ĺ“uvre ainsi, depuis plus d’un siècle, dans la capitale. Ce service a permis de mettre au jour quantitĂŠ de vestiges, reflets du Paris ancien . Si les niveaux mĂŠdiĂŠvaux sont le plus souvent très perturbĂŠs, les très nombreux dĂŠpotoirs et latrines, objet de fouilles archĂŠologiques de plus en plus nombreuses, ont livrĂŠ terres cuites et traces d’artisanat rĂŠvĂŠlatrices de l’activitĂŠ de la ville. Ă€ l’Êpoque oĂš se rĂŠpandait l’usage des pavements colorĂŠs, les tuileries fabriquaient ĂŠgalement par milliers tuiles Ă crochet et tuiles faĂŽtières (voir fig. ) destinĂŠes aux toits des maisons, des hĂ´tels, mais aussi aux collèges, abbayes et couvents de la ville. Les tuiles sont rarement retrouvĂŠes intactes, car elles faisaient l’objet de ce commerce de la rĂŠcupĂŠration qui caractĂŠrise le Moyen Ă‚ge. Deux exemplaires provenant de deux dĂŠpotoirs parisiens en sont nĂŠanmoins les rares tĂŠmoins. Ă€ cĂ´tĂŠ d’une vaisselle mĂŠtallique ou de bois comme les ĂŠcuelles mises au jour lors des fouilles archĂŠologiques de la rue de Lutèce , les tables et les cuisines sont ĂŠquipĂŠes au Moyen Ă‚ge de pots de terre cuite aux formes et aux dĂŠcors variĂŠs produits majoritairement par des ateliers parisiens. Les potiers de terre sont connus grâce au Livre des mĂŠtiers. En , en effet, le prĂŠvĂ´t royal Étienne Boileau recueille les statuts de plus de cent un mĂŠtiers parisiens reprĂŠsentant et touchant des activitĂŠs aussi variĂŠes que l’alimentation, l’habillement, l’armement, le bâtiment, les mĂŠtiers d’art et de luxe ou, plus simplement, la fabrication d’ustensiles de cuisine en bois, la chaudronnerie maniant le cuivre ou la poterie d’Êtain. Plus que le consommateur, ces règlements ĂŠtaient surtout destinĂŠs Ă protĂŠger l’artisan installĂŠ alors dans les zones pĂŠriphĂŠriques, Ă proximitĂŠ des marchĂŠs et des grands axes de circulation facilitant l’approvisionnement en matière première, le transport et la commercialisation de leurs produits. Ainsi en est-il Ă Paris pour la zone d’habitat qui se dĂŠveloppe entre l’enceinte de Philippe Auguste, construite au dĂŠbut du XIIIe siècle, et l’enceinte de Charles V, bâtie Ă partir de . Cette zone de terrain d’environ cinq cents mètres entre les deux enceintes voit se construire des hĂ´tels et se densifier l’habitat comme en tĂŠmoignent les maisons de la famille de Braque et l’hĂ´tel de Clisson, mais aussi une maison avec cave, situĂŠe le long de la petite impasse Saint-Denis donnant sur la rue du mĂŞme nom. Elle a fait l’objet de fouilles archĂŠologiques rĂŠalisĂŠes en par la Commission du Vieux Paris , lors de travaux dans le sous-sol de l’immeuble actuel. La cave, abandonnĂŠe vers le

Fig. 239 Tessons du xive siècle conservĂŠs au musĂŠe des Archives nationales et provenant de travaux rĂŠalisĂŠs en 1962 Ă l’emplacement de l’ancien hĂ´tel d’Olivier de Clisson. 1. Couvercle de rĂŠchaud ; 2. Fragment de pichet Ă glaçure jaune et dĂŠcor horizontal Ă la molette ; 3. Fond de pichet ; 4. Fond de petite tasse Ă glaçure jaune ; 5. Rebord de poĂŞlon ; 6. Col de petit pot Ă rebord arrondi ; 7. Fond de tasse en grès gris du Beauvaisis. Dessin Catherine Brut, Mairie de Paris.

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POSTÉRITÉ :

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VISIONS MODERNES

DU « VIEUX PARIS »


VI. POSTÉRITÉ : VISIONS MODERNES DU  VIEUX PARIS  ÉTIENNE HAMON

Faute de monuments assez nombreux et reprĂŠsentatifs de la complexitĂŠ et de la diversitĂŠ du bâti rĂŠsidentiel ancien, la perception que nous avons aujourd’hui de la demeure mĂŠdiĂŠvale parisienne dĂŠpend largement du prisme Ă multiples facettes des temps modernes. Si la pĂŠriode qui s’Êtend du milieu du XVIe Ă l’aube du XXe siècle a fixĂŠ la mĂŠmoire de cet objet, elle l’a aussi progressivement effacĂŠ du paysage. Les ĂŠtapes de ce double processus sont donc contrastĂŠes et chaotiques. Les XVIe et XVIIe siècles voient se succĂŠder des zĂŠlateurs de la grandeur parisienne minĂŠe par les troubles politiques, comme Corrozet, et des historiens formĂŠs aux nouvelles mĂŠthodes de l’histoire, comme Sauval ou Brice qui confrontent les monuments aux sources ĂŠcrites dont ils assurent, ce faisant, la conservation indirecte. Les Lumières du XVIIIe siècle, sauf exception, se montrent bien plus critiques envers les formes d’habitat du passĂŠ dont certaines sont alors mĂŠthodiquement ĂŠradiquĂŠes comme les maisons sur les ponts ; et elles inaugurent une mythologie qui corrompt durablement le discours archĂŠologique en associant sans prĂŠcaution des monuments et des figures historiques. La RĂŠvolution ĂŠpargne les rĂŠsidences de l’aristocratie dont les plus anciennes acquièrent une dimension pittoresque. Elle ne s’applique pas pour autant Ă prĂŠserver les vestiges de ce passĂŠ, Ă quelques exceptions près comme pour le poteau cornier de l’arbre aux Singes qu’Alexandre Lenoir recueille dans la maison natale de Molière. En recul sous la Restauration, l’intĂŠrĂŞt pour les vestiges mĂŠdiĂŠvaux gagne les ĂŠlites de la Monarchie de Juillet. La vision nostalgique magnifiĂŠe par le romantisme de Notre-Dame de Paris ( ) irriguera la littĂŠrature jusqu’à la fin du siècle, le naturalisme y compris. Elle est relayĂŠe par l’imagerie populaire et par les illustrations plus savantes d’un ÂŤ vieux Paris Âť de connaisseurs : Turpin de CrissĂŠ dĂŠdie au duc de Bordeaux ses Souvenirs du vieux Paris illustrĂŠs de dix-huit lithographies ( ). Les Anglais introduisent la couleur dans ces images de maisons anciennes, comme Shotter Boys ( ), et rĂŠhabilitent l’eau-forte qui conforte une vision plus sombre du Moyen Ă‚ge, comme Meyron ( ) et son ĂŠmule française, Gabrielle Niel. La veine romantique, avec personnages mis en scène dans une ambiance intimiste, est encore sensible dans le Paris dans sa splendeur publiĂŠ en . Toute cette imagerie fixe les appellations fantaisistes ; les ÂŤ maisons de

la Reine blanche Âť se multiplient. Le Second Empire, qui dĂŠtruit Ă grande ĂŠchelle, encourage cependant le travail de relevĂŠ des archĂŠologues et des architectes, et il suscite campagnes photographiques et travaux historiques, comme ceux de Berty. Mais il faut attendre les dernières annĂŠes du siècle et la crĂŠation de la Commission municipale du Vieux Paris pour que la maison et l’immeuble courants soient l’objet d’attentions systĂŠmatiques. Cette commission assiste encore, impuissante, aux grandes opĂŠrations d’Êradication des ilots insalubres des annĂŠes . Mais dès lors, la demeure mĂŠdiĂŠvale parisienne devient un objet archĂŠologique aussi prĂŠcieux que les ĂŠglises et les palais. Sur le terrain, le phĂŠnomène international que reprĂŠsente le renouveau de l’art mĂŠdiĂŠval au XIXe siècle se traduit, tout au long de ce siècle, par des vagues successives d’expĂŠriences inĂŠgales. La veine pittoresque produit des immeubles Ă dĂŠcor nĂŠogothique dès le premier Empire. Un second souffle crĂŠatif est trouvĂŠ dans les annĂŠes - oĂš se cĂ´toient la rigueur archĂŠologique d’un Lassus et le pittoresque d’un Danjoy. Les ĂŠmules de Viollet-le-Duc imaginent ensuite, ça et lĂ , des crĂŠations singulières. Mais c’est vĂŠritablement la IIIe RĂŠpublique qui sème dans les arrondissements pĂŠriphĂŠriques des crĂŠations de tous styles mĂŠdiĂŠvaux et de toutes sortes : maisons, hĂ´tels, immeubles collectifs en style du XIIIe, flamboyant ou composite, sans parler du rationalisme nourri de l’observation des techniques mĂŠdiĂŠvales ; le tout accompagnĂŠ d’un brusque essor de la production de meubles d’une qualitĂŠ discutable. Les conditions et les circonstances de cette diffusion Ă grande ĂŠchelle ne sont pas encore toutes ĂŠclaircies. ConcurrencĂŠ par l’art nouveau, le mouvement ne passe pas le tournant du siècle. C’est donc au moment oĂš ses derniers souvenirs authentiques s’effacent et oĂš le revival s’essouffle que la ville mĂŠdiĂŠvale renaĂŽt dans une ÂŤ anticipation rĂŠtrospective Âť. Le ÂŤ Vieux Paris Âť reconstituĂŠ Ă l’exposition universelle de est l’œuvre d’un Robida Ă la fois dessinateur prolifique, visionnaire et thĂŠoricien du pittoresque de la ville mĂŠdiĂŠvale. Ses simulacres, comme les restitutions imaginĂŠes par Hoffbauer vingt ans plus tĂ´t, assureront Ă la demeure mĂŠdiĂŠvale son entrĂŠe prĂŠcoce dans le rĂŠpertoire du dĂŠcor du cinĂŠma naissant ; dès chez MĂŠliès (Le roi du maquillage), et durant tout le XXe siècle de part et d’autre de l’Atlantique, jouant sur les ressorts puissants du pittoresque moyenâgeux mais selon des dĂŠclinaisons esthĂŠtiques des plus variĂŠes.

Fig. 244 Tourelle de l'hôtel de Sansac identifiÊe comme  Maison de l'amiral Coligny . Lithographie de Delpech sur un dessin de Th. Shotter Boys, dans Architecture pittoresque dessinÊe d'après nature, Paris, 1833.

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GUIDES ET LITTÉRATURE LA DEMEURE MÉDIÉVALE À PARIS DANS LES GUIDES DE L’ÉPOQUE MODERNE Marie HOULLEMARE

Les guides et autres descriptions de Paris, qui apparaissent au XVIe siècle, sont construits comme des discours historiques sur la ville. Celle-ci est prĂŠsentĂŠe comme un espace dense, en extension constante, marquĂŠ par le nombre ĂŠlevĂŠ de rues. Le plus ancien guide, celui de Gilles Corrozet ( ), se termine par une liste des rues divisĂŠes selon les trois parties de Paris : la CitĂŠ ; la Ville sur la rive droite ; l’UniversitĂŠ sur la rive gauche. Fig. 245 Vue gravĂŠe de l’abbaye Saint-Germain-des-PrĂŠs. Pierre BONFONS, Les Antiquitez et choses plus remarquables de Paris, Paris, 1608, p. 13.

POSTÉRITÉ :

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VISIONS MODERNES

DU ÂŤ VIEUX PARIS Âť

Cette nomenclature des rues, puis des ĂŠglises, des collèges et des quartiers de Paris, est une vĂŠritable litanie visant Ă suggĂŠrer l’immensitĂŠ de la ville. La grandeur de celle-ci rĂŠside dans l’accumulation de ses maisons mais aussi dans son unitĂŠ : la blancheur du bâti est soulignĂŠe par Du Breul ( ) qui l’attribue Ă l’utilisation du plâtre tirĂŠ des plâtrières de Montmartre, en usage selon AndrĂŠ Thevet depuis , qui limite progressive-


LA MAISON MÉDIÉVALE DANS LA LITTÉRATURE DU XIXe SIÈCLE JOËLLE PRUNGNAUD

Que la littérature du XIXe siècle ait une prédilection pour les cathédrales et les châteaux forts n’est guère surprenant dans le contexte culturel du retour au Moyen Âge. Mais qu’en est-il des demeures proprement dites, c’est-à-dire de l’habitat domestique, de l’hôtel seigneurial prestigieux à l’humble maison du peuple ? Et qu’en est-il plus particulièrement à Paris ? Sous l’emprise de la mode troubadour qui sévit pendant la Restauration, la scène du mélodrame déploie de vastes tableaux dans le goût moyenâgeux plutôt que médiéval et les romans imités de l’anglais perpétuent les châteaux du genre sombre. Cette fabrique « de carton et de terre cuite qui n’a du Moyen Âge que le nom » , raillée par Théophile Gautier, gagne les intérieurs parisiens comme en témoigne le « boudoir gothique » de la comtesse Foedora, au « plafond formé de solives brunes sculptées », aux boiseries « artistement travaillées », aux vitraux « coloriés et précieux » . La fiction porte la trace de cet engouement mondain de la première moitié du siècle pour un gothique en réduction, rapporté à l’échelle domestique. Dans son roman satirique, Louis Reybaud se moque de la « maison Moyen Âge » née de l’imagination d’un architecte parisien « de l’école chevelue » : croisées à ogive et à tête de trèfle, meurtrières, tourelles en saillie, clochetons, toit en forme d’éteignoir, façade de pierre ouvragée comme une dentelle… tout est mis en œuvre à grands frais pour aboutir au « pastiche du plus mauvais goût » , où Jérôme Paturot, l’heureux propriétaire, est censé « respirer » le Moyen Âge à défaut de pouvoir y vivre. En réaction contre ces fantaisies néo-gothiques et sous l’influence du courant porté par Walter Scott, le drame romantique prône l’authenticité, exigeant des décorateurs de théâtre et d’opéra d’éphémères reconstitutions archéologiques. Le roman historique s’empare des icônes de l’architecture monumentale pour en faire le lieu de résidence de ses héros. Les protagonistes de Victor Hugo habitent véritablement la cathédrale Notre-Dame ; ceux de La Reine Margot logent dans l’ancien Louvre, cette forteresse bâtie au temps de Philippe Auguste, qu’Alexandre Dumas imagine truffée de chausse-trapes, couloirs et cabinets secrets. Pour exister dans l’imaginaire romanesque, le Paris médiéval ne doit pas seulement être une toile de fond, il doit être habité. Selon les besoins de la fiction, il sera rendu par la saisie panoramique du paysage urbain ou par la description détaillée de ses demeures singulières. Nul mieux que Victor Hugo, avec son goût pour l’architecture et son talent visuel, n’a réussi à combiner les deux approches et à tirer parti de sources savantes, sans briser l’essor de l’imagination, pour ressusciter sous les yeux du lecteur le Paris du

quinzième siècle. L’esquisse de sa physionomie générale « à vol d’oiseau », animée par le sens des lignes et des volumes, rythmée par le découpage du tissu urbain avec l’entassement des palais, les « grappes de maisons » qui « se pressent les unes sur les autres », l’ascension des tours, flèches et donjons, les rues « étroites et tortues », est ponctuée par une série de vignettes qui devaient inspirer les illustrateurs et les inviter à embellir encore des lieux disparus (fig. 247). Ainsi l’hôtel Saint-Pol est-il longuement décrit dans l’extravagance de ses luxueux ajouts, « excroissances hybrides dont la fantaisie des architectes l’avait chargé depuis deux siècles », ce qui aboutit à une représentation du palais de Charles V plus proche du fantasme que de la réalité historique (fig. 248). La quête du pittoresque et de la couleur locale conduit les romanciers de l’époque romantique à concevoir l’ancien Paris comme un cabinet de curiosités, avec ses loges de recluses, ses ponts garnis de maisons. La logette de la TourRoland, creusée dans la muraille de l’antique demeure devient l’improbable Trou aux Rats où languit la mère d’Esmeralda . Dumas place le logis de Maître René, parfumeur de la reine mère (comprendre empoisonneur), sur le pont Saint-Michel, arborant façade à pans de bois et devanture de boutique « aux

Fig. 247 Almanach pour 1843 inspiré de Notre-Dame de Paris, par Numa de Lalu. Maison de Victor Hugo.

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L’HABITAT NÉO-GOTHIQUE À PARIS AU XIXe SIÈCLE ANNE RICHARD-BAZIRE

du Caire est éclectique » . Nous sommes un an après l’expédition d’Égypte et les motifs égyptisants de la partie inférieure de cet immeuble situé au n° de la place du Caire, têtes de la déesse Hathor surmontées de petits mastabas et frise représentant l’armée égyptienne au combat, se mêlent dans la partie supérieure aux arcades gothiques reposant sur des colonnes à chapiteaux lotiformes et composites (fig. 251). Cet immeuble à loyer, le premier à Paris à présenter une façade néo-gothique ( ), est aussi une des premières manifestations de l’éclectisme architectural . D’inspiration gothique, la Maison des Goths construite avant au n° de la rue Saint-Martin, présentait avant sa démolition en une étroite façade de cinq étages, percée d’arcades brisées en tiers point, géminées aux derniers étages, lui donnant l’allure d’un palais vénitien. L’immeuble tirait son nom d’une frise en bas-relief proposant un abrégé de l’histoire des Goths qui ornait le premier étage. Légendée en caractères gothiques, cette frise évoquait l’Origine des Goths, la Trahison de Stilicon5 et l’Expulsion des Goths de Rome (fig. 252). L’immeuble à loyers, au programme contraignant, laisse peu de place à la fantaisie d’un décor médiéval. Deux immeubles

Fig. 250 Catalogue des établissements Dufayel. Coll. part. Debuisson. Fig. 251 Immeuble 2 place du Caire, Paris IIe, construit en 1799. © Cl. A. Berry, Arch. nat. Fig. 252 Maison des Goths, rue Saint-Martin, construite vers 1810 (disparue). B.n.F., Est., Va 247f fol., H 29849.

La Révolution française fut anti-médiévale par sa haine de la féodalité et de la foi chrétienne. « Tout semblait détourner la France du Moyen Âge » . La création du musée des Monuments français par Alexandre Lenoir, à l’encontre de la politique destructrice dont beaucoup de monuments du Moyen Âge avaient fait les frais, contribue en France, et à Paris notamment, à l’éclosion de cette mode médiévale qui connaît son apogée sous la Restauration. Si, depuis la Renaissance, la forme et les structures gothiques ont été conservées pour les églises, et si le naturalisme médiéval n’a pas disparu du répertoire décoratif des édifices, au XIXe siècle, l’architecture résidentielle parisienne se montre peu réceptive au néo-gothique qui se manifeste plus volontiers dans le décor intérieur (fig. 250) . Mais ce courant suscite cependant, en plusieurs temps, quelques réalisations originales.

LE

VISIONS MODERNES

DU « VIEUX PARIS »

ET LE STYLE TROUBADOUR

« Avant , on connaît peu de constructions néo-gothiques à Paris : la brasserie Weel, rue Richer, par Damesne, fait figure d’exception, mais l’élément gothique y est limité à une transposition de la travée serlienne, tandis que la façade de la place

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DÉBUT DU SIÈCLE


REDÉCOUVERTE : DESTRUCTIONS ET ARCHÉOLOGIE DESTRUCTION DE LA DEMEURE MÉDIÉVALE X I X e- X X e S I Ăˆ C L E S PIERRE PINON Il ne reste de maisons mĂŠdiĂŠvales, ou de tradition mĂŠdiĂŠvale, Ă Paris, que de très rares exemples dont les plus connus sont visibles rue de Montmorency ou rue Galande (fig. 260 et voir fig. ) . Comme, manifestement, il a existĂŠ au cours du Moyen Ă‚ge des milliers de maisons, la plupart en colombage, c’est autant de demeures qui ont disparu. La question est de savoir pourquoi, comment et quand elles ont ĂŠtĂŠ dĂŠmolies. Les causes peuvent ĂŞtre accidentelles ou volontaires. Peuvent dĂŠtruire des maisons, Ă Paris, des incendies ou des inondations. Les incendies ont ĂŠtĂŠ limitĂŠs dans la capitale, qui n’a pas connu de gigantesques brasiers comme Bourges en et , Toulouse en , et Poitiers en . On connaĂŽt l’inondation de , qui a entraĂŽnĂŠ la ruine de maisons, et l’effondrement du pont NotreDame et de ses soixante maisons en . Mais ces catastrophes sont très rares. Ce n’est pas parmi les causes accidentelles qu’il faut donc chercher. La raison première, c’est ce qu’on appelle le ÂŤ renouvellement Âť urbain. Un propriĂŠtaire choisit de dĂŠmolir sa maison pour la reconstruire, afin de moderniser son style, de la rendre plus confortable, rarement pour l’agrandir – sauf par surĂŠlĂŠvation – puisque le parcellaire foncier est particulièrement contraignant. Dans bien des quartiers, le dĂŠcoupage foncier est, au XIXe siècle, encore d’origine mĂŠdiĂŠvale. Et l’on voit dans un parcellaire laniĂŠrĂŠ, composĂŠ de lots ÂŤ gothiques Âť comme les appellent les chercheurs italiens, s’Êtablir aisĂŠment des maisons du XVIIe ou du XVIIIe siècle . Ă€ Paris, on trouve probablement assez peu de façades du XVIIIe siècle apposĂŠes Ă un gros Ĺ“uvre mĂŠdiĂŠval, comme c’est frĂŠquemment le cas en Flandres pour des maisons en briques ou en Bourgogne pour des maisons en pierre. Manifestement l’essentiel des maisons mĂŠdiĂŠvales de Paris a disparu aux XVIIe et au XVIIIe siècle, selon la procĂŠdure du renouvellement. Ă€ cĂ´tĂŠ de celles qui ont ĂŠtĂŠ conservĂŠes (hĂ´tels de Clisson, de Cluny et de Sens), bien des grandes demeures mĂŠdiĂŠvales ont ĂŠtĂŠ rasĂŠes, afin que leurs terrains soient lotis, notamment trois grandes demeures royales sous François Ier : les hĂ´tels de Bourgogne, de Flandre et Saint-Pol. Le roi avait remarquĂŠ qu’il existait Ă Paris des hĂ´tels ÂŤ inutiles, inhabitez, et dĂŠlaissez Âť, lesquels ÂŤ ne servent que d’encombrer et defformer grandement POSTÉRITÉ :

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VISIONS MODERNES

DU ÂŤ VIEUX PARIS Âť

nostredite Ville de Paris, et nĂŠanmoins seroit fort Ă propos, utile et convenable Ă bastir et ĂŠdiffier plusieurs beaux logis, maisons et demeures fort nĂŠcessaire pour y retirer et loger un inestimable nombre et multitude de peuple, qui ordinairement afflue et vient habiter en nostredite Ville, et dont la plus grande part sont contraints de faire maisons et bâtiments hors le mur et enclos de nostredite Ville, pour ne pouvoir trouver place en icelle Âť . Ainsi, en , il les mit tous trois en vente et les fit lotir. L’hĂ´tel des Tournelles quant Ă lui, construit pour l’essentiel en , avait ĂŠtĂŠ dĂŠmoli entre et après l’accident qui coĂťta la vie Ă Henri II. Quant aux autres hĂ´tels particuliers des XIIIe et XIVe siècles, ils ont ĂŠtĂŠ ĂŠgalement soumis Ă la loi du renouvellement. On ne compte pas ceux qui ont ĂŠtĂŠ remplacĂŠs par des hĂ´tels aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est sur un hĂ´tel bâti au XIVe siècle qu’a ĂŠtĂŠ construit, vers , l’hĂ´tel de Chevreuse par l’architecte ClĂŠment MĂŠtezeau . Quelques hĂ´tels rĂŠsistèrent plus longtemps. Ainsi l’hĂ´tel Le Gendre, rue des Bourdonnais, ĂŠlevĂŠ au dĂŠbut du XVIe siècle, ne fut abattu qu’en , malgrĂŠ les protestations d’E. Viollet-le-Duc . Des fragments en furent sauvĂŠs, que FĂŠlix Duban remonta dans la cour de l’École des beaux-arts, rue Bonaparte (voir fig. ). D’ailleurs, de tout temps, on dĂŠmolit. La disparition de certaines maisons mĂŠdiĂŠvales remonte tout simplement Ă la fin du Moyen Ă‚ge. Quand, aux XIIIe et XIVe siècles, des grandes demeures se sont installĂŠes dans le centre de Paris, le mouvement s’est fait au dĂŠtriment de maisons. On sait que, dans les tissus urbains denses, on ne peut pas construire sans dĂŠmolir au prĂŠalable. Quand a ĂŠtĂŠ construit l’hĂ´tel de Bourbon, quai du Louvre, par Louis de Clermont, plusieurs maisons acquises entre et ont ĂŠtĂŠ dĂŠmolies. Et ce dernier a disparu au profit du Louvre en . De mĂŞme, au milieu du XIIIe siècle, diverses maisons sont achetĂŠes par Alphonse de Poitiers pour agrandir son hĂ´tel de la rue des Poulies, lui-mĂŞme dĂŠmoli par Nicolas de Neufville au dĂŠbut du XVIe siècle . L’autre cause volontaire est l’opĂŠration d’urbanisme. Ces entreprises ont ĂŠtĂŠ assez limitĂŠes avant le Second Empire ; nĂŠanmoins elles ont existĂŠ. Une des plus anciennes semble ĂŞtre la destruction de l’hĂ´tel des Ursins (dĂŠbut XVe siècle), en ,


POSTÉRITÉ :

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VISIONS MODERNES

DU « VIEUX PARIS »


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LA MAISON MÉDIÉVALE DANS LES RELEVÉS D’ARCHITECTURE ET D’ARCHÉOLOGUES PIERRE PINON

Double page prÊcÊdente Fig. 262 Maisons historiques de l’ancien Paris. Gravure colorisÊe, vers 1860. Coll. part. Debuisson.

Il convient de distinguer les relevĂŠs qui concernent les belles demeures de ceux qui concernent les maisons ordinaires. Non seulement ils diffèrent par la chose reprĂŠsentĂŠe, mais aussi par les circonstances du relevĂŠ. Les grandes demeures apparaissent naturellement dans les ouvrages Ă caractère archĂŠologique depuis le milieu du XIXe siècle, parce qu’elles prĂŠsentent un intĂŠrĂŞt pour l’histoire de l’art. Pour les simples maisons, la curiositĂŠ se manifeste plus tardivement (fig 262). Donc, pour voir enregistrer la forme des maisons mĂŠdiĂŠvales ordinaires, il faut des circonstances particulières. Pour Paris, ce sera Ă l’occasion des grands travaux du Second Empire qu’une importante campagne de relevĂŠs sera entreprise, notamment lors des dĂŠmolitions pour le percement de la rue de Rivoli entre et . L’Êtude des maisons mĂŠdiĂŠvales a commencĂŠ très tĂ´t dans certaines rĂŠgions oĂš elles ĂŠtaient nombreuses et remarquables. Par exemple, FĂŠlix de Verneilh a menĂŠ pour le PĂŠrigord une telle ĂŠtude, exceptionnelle , publiĂŠe dans les Annales archĂŠologiques en et . E. Viollet-le-Duc donne, en , une ĂŠlĂŠvation et les plans d’une maison assez fantaisiste de Cluny dans son

Fig. 263 ThĂŠodore Vacquer. RelevĂŠ des charpentes de l’hĂ´pital Sainte-Catherine. BHVP, ms. 232, fol. 109 v°-110. Š Ville de Paris, BHVP, Parisienne de Photographie.

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VISIONS MODERNES

DU ÂŤ VIEUX PARIS Âť

Histoire de l’habitation humaine, sur laquelle s’appuiera Charles Garnier pour ses reconstitutions de l’exposition universelle de . L’habitation rouennaise de Raymond Quenedey ( ) est un classique, mais il ne parle que de construction. D’ailleurs l’essentiel des ouvrages portant sur les maisons mÊdiÊvales, aujourd’hui encore, s’intÊresse surtout au colombage, donne des ÊlÊvations, mais presque jamais de plan. Pour Paris, l’ouvrage de Charles Lefeuve, Anciennes maisons de Paris, publiÊ par livraisons à partir de , recense bien quelques maisons anciennes, notamment celle de Nicolas Flamel, les hôtels de La TrÊmoille (Le Gendre) et de Torpanne (dÊmoli en ), mais il n’est pas illustrÊ. Il arrive qu’une maison soit relevÊe, mais avant qu’elle soit dÊmolie ou dÊmontÊe, comme c’est le cas de l’hôtel Le Gendre, que l’on appelait alors La TrÊmoille, par Viollet-le-Duc en . Ce n’est d’ailleurs qu’à la fin des annÊes que les relevÊs de cet architecte, avec ceux de ThÊodore Vacquer, Adolphe Berty et Albert Lenoir dressÊs à partir des annÊes dans les mêmes conditions d’urgence (fig. 263), sont publiÊs par ce dernier dans l’atlas de


LES DEMEURES FIXÉES PAR LES PHOTOGRAPHES SANDRINE BULA

Fig. 265 Henri Le Secq, hôtel de Sansac en cours de dÊmolition à l'angle des rues d'Avron et Jean-Tison. Š RÊunion des musÊes nationaux.

Depuis la seconde moitiĂŠ du XVIIIe siècle, en l’espace d’une centaine d’annĂŠes, Paris connut des opĂŠrations d’urbanisme entraĂŽnant la destruction d’Êdifices religieux et civils, mais qui contribuèrent surtout Ă l’extension de la ville sans modifier en profondeur les quartiers les plus anciens rĂŠpartis sur les rives de la Seine de part et d’autre de l’Île de la CitĂŠ. Ce tissu urbain très dense, conservant encore de nombreuses traces d’habitat mĂŠdiĂŠval, subira dans la seconde moitiĂŠ du XIXe siècle des trans-

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VISIONS MODERNES

DU ÂŤ VIEUX PARIS Âť

formations radicales qui seront saisies par la photographie, nouveau medium Ă mĂŞme de capter de manière instantanĂŠe l’ampleur et la rapiditĂŠ de cette mĂŠtamorphose. Ces grands travaux commencèrent dès , sous la direction du prĂŠfet de la Seine Jean-Jacques Berger, qui entreprit notamment la prolongation de la rue de Rivoli vers l’est ainsi que la dĂŠmolition des habitations situĂŠes entre le vieux Louvre et les Tuileries. Henri Le Secq rĂŠunit en album ĂŠpreuves photographiques, offertes en au prĂŠfet Ă l’occasion de son dĂŠpart en retraite. Il ne s’agissait pas d’une commande officielle, mais vraisemblablement d’un hommage amical, car le père du photographe, ayant occupĂŠ les fonctions de chef de bureau des archives Ă la PrĂŠfecture, connaissait Jean-Jacques Berger. Peintre formĂŠ dans l’atelier de Paul Delaroche, Henri Le Secq mena parallèlement une carrière de photographe consacrĂŠe essentiellement Ă la reprĂŠsentation de l’architecture. En , il fut un des cinq photographes chargĂŠs par la Commission des Monuments historiques, lors de la ÂŤ mission hĂŠliographique Âť, de constituer un corpus de clichĂŠs de monuments antiques et mĂŠdiĂŠvaux avant restauration. Au cours des deux annĂŠes suivantes, il tenta de saisir par la photographie les traces du Paris ancien qui disparaissait sous la pioche des dĂŠmolisseurs : sa sensibilitĂŠ toute romantique retint des vestiges de demeures mĂŠdiĂŠvales ĂŠmergeant tels des spectres dans un chaos de ruines (fig. 265 et voir fig. ). Le prĂŠfet Haussmann, poursuivant de façon radicale l’œuvre de son prĂŠdĂŠcesseur, ĂŠventra les quartiers de la rive gauche pour y ouvrir le boulevard Saint-Germain et la rue Monge, tandis que des rues entières ĂŠtaient dĂŠmolies pour mieux dĂŠgager l’HĂ´tel de Ville, ĂŠdifier les halles de Baltard. Le cĹ“ur historique de la CitĂŠ fut presque entièrement rasĂŠ afin d’isoler Notre-Dame et de laisser place Ă de nouveaux ĂŠdifices : HĂ´tel-Dieu, caserne, palais de justice. Ces destructions suscitant les critiques d’une partie du public, notamment des sociĂŠtĂŠs d’histoire qui se constituaient alors Ă Paris, la municipalitĂŠ dĂŠcida de crĂŠer des conservatoires de la mĂŠmoire parisienne, dont un musĂŠe historique de Paris (le futur musĂŠe Carnavalet), ainsi qu’une Commission des travaux historiques ( ) chargĂŠe, via son Service des travaux historiques, de rassembler les documents nĂŠcessaires Ă la publication d’une ÂŤ histoire gĂŠnĂŠrale de Paris Âť. Le photographe Charles Marville , qui avait, en , documentĂŠ les rĂŠalisations du Service des promenades et plantations, reçut en une commande du Service des travaux historiques : rĂŠpertorier les rues sur le point d’être dĂŠtruites. Il rĂŠalisa vues, vĂŠritables relevĂŠs topographiques : les voies ĂŠtaient photographiĂŠes dans leur ensemble, non dans leur axe mais avec un lĂŠger dĂŠcalage laissant apparaĂŽtre leur tracĂŠ ainsi


UNE ANTICIPATION RÉTROSPECTIVE : L’EXPOSITION DU VIEUX PARIS D’ALBERT ROBIDA EN 1900 Guillaume LE GALL

 Ces grandes expositions sont exactement un coup de Kodak universel, un instantanÊ d’humanitÊ photographiÊ à un moment donnÊ, sous toutes ses faces, physiques et morales, matÊrielles et intellectuelles . Gaston de Wailly, .

Pour l’exposition universelle de , Albert Robida conçoit la reconstitution d’ un Vieux Paris Âť qui marque, après un demisiècle d’Êtudes historiques et de dĂŠbats passionnĂŠs , Ă la fois une nouvelle ĂŠtape dans l’intĂŠrĂŞt pour la vieille ville et une nouvelle forme de l’exposition. Dessinateur, historien-amateur du Vieux Paris, mais aussi ĂŠcrivain de textes d’anticipation illustrĂŠs, Robida a toutes les ressources nĂŠcessaires pour mener Ă bien ce projet. C’est d’ailleurs dans la convergence et la combinaison de ces qualitĂŠs que l’on doit aujourd’hui comprendre une telle entreprise. La reconstitution d’un ÂŤ Vieux Paris Âť est comme une anticipation rĂŠtrospective, c’est-Ă -dire une projection imaginaire d’un passĂŠ – plus ou moins proche – dans un prĂŠsent qui connaĂŽt une formidable mutation de l’apprĂŠhension du temps, due en partie aux progrès techniques de l’exposition et des objets exposĂŠs au sein de la mĂŞme manifestation. AidĂŠ de l’architecte diocĂŠsain restaurateur de monuments historiques LĂŠon Benouville et de l’architecte paysagiste Henri Martinet, Robida va dĂŠployer un Vieux Paris rĂŞvĂŠ sur mètres carrĂŠs, dont une partie gagnĂŠe sur la Seine, grâce Ă des milliers de pilotis qui soutiennent une vaste terrasse (fig. 268 et 269) . L’intention de Robida est de juxtaposer des bâtiments grandeur nature dans une configuration urbaine inĂŠdite et des scènes de la vie quotidienne passĂŠe. Il fait appel pour cela Ă des figurants qui viennent animer les ruelles de leurs cris et leurs chants folkloriques. Le propos est alors de montrer ÂŤ la vie d’autrefois Âť reconstituĂŠe ÂŤ avec le souci de toute l’exactitude possible, par des comitĂŠs d’artistes et d’archĂŠologues Âť . Mais, pour Robida, ÂŤ il ne pouvait ĂŞtre question, bien entendu, d’être sèchement et purement archĂŠologique, de tout sacrifier Ă l’exactitude momentanĂŠe, Ă l’exactitude d’un siècle qui n’Êtait plus celle d’un autre, les ĂŠdifices, comme les organismes vivants, changeant et se transformant Ă travers les âges Âť . L’auteur des ouvrages Paris, de siècle en siècle ( ) et Le cĹ“ur de Paris ( ) se dĂŠfend de faire de la ÂŤ froide archĂŠologie Âť, de copier ÂŤ servi-

lement les documents connus Âť et prĂŠfère une histoire vivante, ÂŤ un Paris pittoresque et grouillant, avec tout le mouvement et le charme de la vie Âť . Ce n’est que par le truchement de la publication d’un Guide historique, pittoresque et anecdotique , que le lecteur est invitĂŠ Ă poser un cadre plus scientifique Ă ces reconstitutions. Cette approche n’est pas sans provoquer un dĂŠbat. Tous ne voient pas d’un bon Ĺ“il cette libertĂŠ prise vis-Ă -vis de l’histoire. Pour ne prendre qu’un exemple, Émile Goudeau et Henri Paillard se moquent de ces tableaux oĂš ÂŤ des gens moyenâgeux, quoique vĂŞtus en mousquetaires, promenant des justaucorps rouges de hallebardiers du XVIe siècle, s’abouchent avec des demoiselles du XIIIe siècle. Les chanteurs de Saint-Gervais psalmodient du Palestrina sous l’œil de MĂŠrovack, le pitre des cathĂŠdrales Âť . Surtout, les auteurs critiquent un Vieux Paris privĂŠ de son contexte et conçu comme une fantaisie oĂš ÂŤ l’on se promenait comme en un dĂŠcor [‌] sans souci des bonimenteurs Âť . D’autres, en revanche, saisissent davantage l’effet d’une histoire condensĂŠe, instantanĂŠe et accessible. Pour Gaston de Wailly, ÂŤ ce Vieux Paris est une fantaisie gĂŠniale, un poème de pittoresque et d’effet ; mais c’est en mĂŞme temps un document de premier ordre Âť . La Commission municipale du Vieux Paris, qui avait soutenu le projet dès son ĂŠlaboration, abonde dans ce sens et y voit une exposition dans laquelle les monuments reconstituĂŠs ÂŤ indiquent si ĂŠloquemment la longue traversĂŠe des âges, ses perspectives aux allures grandioses qui symbolisent si hautement la capitale d’un grand pays Âť . C’est pour les dĂŠfenseurs de la mĂŠmoire du vieux Paris une promenade pĂŠdagogique et une ÂŤ leçon de choses admirable pour apprendre le passĂŠ d’une ville Âť . Au-delĂ des dĂŠbats et des oppositions que ce ÂŤ Vieux Paris Âť suscite, comme les attractions concurrentes qui jouent sur les mĂŞmes ressorts (fig. 270), le projet apparaĂŽt comme une nouvelle forme d’Êcriture de l’histoire. Robida a construit son Ĺ“uvre comme ÂŤ un abrĂŠgĂŠ du Paris des siècles passĂŠs, du Paris de l’histoire Âť . Ce ÂŤ Vieux Paris Âť, qui est en rĂŠalitĂŠ conçu sur le modèle des expositions d’Anvers, d’Amsterdam ou de Berlin qui avaient chacune proposĂŠ une reconstitution historique de leur patrimoine urbain, devait permettre aux visiteurs de ÂŤ voir renaĂŽtre un instant sous leurs yeux le passĂŠ de leur pays Âť .

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VISIONS MODERNES

DU « VIEUX PARIS »


Fig. 268 Albert Robida, dessin préparatoire au Vieux Paris ; aquarelle sur papier. Compiègne, musée Vivenel, SN4, boîte 41. Fig. 269 La construction des pavillons du Vieux Paris en bord de Seine, 1 900. Photographie d’Henri Deneux. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. © Réunion des musées nationaux.

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VISIONS CINÉMATOGRAPHIQUES DU PARIS MÉDIÉVAL NOËLLE GIRET

Nous nous hasarderons en tremblant dans le terrible Paris du Moyen Ă‚ge1 Les films qui mettent en scène un Paris mĂŠdiĂŠval sont en majeure partie adaptĂŠs de Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, de La Tour de Nesle, d’Alexandre Dumas père ou Michel Zevaco et de biographies romancĂŠes de François Villon. Tributaires du roman historique, ils hĂŠritent de ses licences avec l’Histoire et de ses dĂŠcors mythiques, Notre-Dame, l’ombre menaçante de la Tour de Nesle, les maisons Ă colombage, les ruelles tortueuses infrĂŠquentables la nuit. Potences et gibets parsèment une citĂŠ qui repose sur le monde des bas-fonds, tavernes mal famĂŠes, cour des miracles, souterrains, cachots et chambres des tortures.

DÉCORS

ET COSTUMES

Notre Paris mĂŠdiĂŠval est celui du XVe siècle, ĂŠpoque dont l’architecture, la mode et les arts de vivre sont riches de telles possibilitĂŠs dĂŠcoratives que les cinĂŠastes, bravant l’accusation d’anachronisme, n’hĂŠsitent pas Ă y transporter l’action de La Tour de Nesle. En règle gĂŠnĂŠrale, le dĂŠcor des films respecte l’image d’un habitat parisien très dense, oĂš voisinent logis populaires et hĂ´tels aristocratiques, oĂš alternent le bois et la pierre. Les maisons Ă colombages ont toute la faveur des dĂŠcorateurs. Éminemment visuelles par leur graphisme et leur polychromie, elles sont une ÂŤ valeur sĂťre Âť, qui nous renvoie Ă notre mĂŠmoire collective. Quel enfant ne l’a pas dessinĂŠe comme symbole de la maison mĂŠdiĂŠvale ? Le François Villon d’AndrĂŠ Zwobada imagine un Paris bucolique, oĂš les jardinets enclosent les maisons. Certains films mĂŠtamorphosent Paris en place forte, dĂŠcor traditionnel du film de chevalerie. La dimension religieuse, visuelle et sonore, est la grande absente de la majeure partie des films, nous privant de la vision d’une citĂŠ hĂŠrissĂŠe de clochers et de la symphonie de ses cloches et clochetons. Visiblement inspirĂŠs par la miniature, les intĂŠrieurs sont peu chargĂŠs en meubles. Seul Le Bossu de Notre-Dame, de Wallace Worsley , s’autorise un intĂŠrieur encombrĂŠ, dans le style ÂŤ troubadour Âť, oĂš ne manque au fronton de la cheminĂŠe que la devise ÂŤ Vive jadis Âť .

Un âtre, des tables et des bancs constituent l’invariable dĂŠcor de la taverne. Si le film appartient au genre ÂŤ cape et ĂŠpĂŠe Âť, elle s’enrichit d’une mezzanine, indispensable aux acrobaties du hĂŠros. Ă€ contre-courant, la taverne du François Villon de Zwobada se fait cafĂŠ rive gauche oĂš ÂŤ l’escholier Âť Jean-Roger Caussimon rĂŠcite des vers dans une ambiance très ÂŤ SaintGermain-des-PrĂŠs Âť. Sous l’influence de la mode ou des canons changeants de la sĂŠduction fĂŠminine, le costume rĂŠsiste difficilement Ă l’intrusion du contemporain. Ă€ l’opposĂŠ, les costumes des Rois maudits5 crĂŠent un climat mĂŠdiĂŠval très convaincant par leur coupe et leurs couleurs franches inspirĂŠes de la miniature.

FRANÇOIS VILLON,

H É R O S N AT I O N A L A M É R I C A I N

En , le romancier anglais Justin Hunty Mac Carthy publie Si j’Êtais roi6, biographie romancĂŠe de François Villon, dont s’emparent avec succès le thÊâtre et la comĂŠdie musicale. Par un ÂŤ besoin très anglais de rapprocher le poète d’un certain concept moral acceptable Âť , Villon est un ÂŤ good guy Âť, gentiment paillard, solidaire des pauvres, vainqueur de Charles le TĂŠmĂŠraire et qui obtient de Louis XI la main de mademoiselle de Vauxcelles. Si j’Êtais roi fut l’objet, entre et , de six films amĂŠricains. De cette production, retenons L’Êtrange aventure du vagabond poète, oĂš John Barrymore, moins Villon que Robin des Bois , affronte un Louis XI hallucinĂŠ, interprĂŠtĂŠ par Conrad Veidt. Très chatouilleuse sur le traitement de notre histoire nationale par les AmĂŠricains, la critique fut cependant conquise par le talent et le charme irrĂŠsistible du film, mais fut franchement hostile aux adaptations suivantes, dont Villon eut pu ĂŠcrire : ÂŤ Je ris en pleurs Âť.

PARIS,

FA N TA S M E H O L LY W O O D I E N

Il revient aux AmĂŠricains de nous avoir restituĂŠ un Paris fantastique, hĂŠritĂŠ des romantiques et des contemporains du baron Haussmann, traumatisĂŠs par la perte d’une vieille citĂŠ ĂŠtrange et pittoresque. Paradoxalement, ce parti ne fut pas celui du cinĂŠma français. Dans Notre-Dame de Paris9, Jean Delannoy, Ă qui la critique reprocha un manque de ÂŤ fibre hugolienne Âť,

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ANNEXES

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LISTE DES PRINCIPALES DEMEURES MÉDIÉVALES OU DE TRADITION MÉDIÉVALE VISIBLES À PARIS

RIVE

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RIVE

GAUCHE

¡

, rue Étienne-Marcel : tour Jean Sans Peur, ancien hôtel des ducs de Bourgogne, -

¡

, rue de Montmorency : maison d'aumĂ´ne de Nicolas Flamel,

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, rue Saint-Denis : façades de maisons bourgeoises à pignon sur rue, e- e siècles

¡

¡

, rue Saint-Denis : façade de maison bourgeoise à pignon sur rue, XVe-XVIIe siècles

¡

, rue Galande : enseigne sculptĂŠe de Saint-Julien, vers

¡

¡

, rue Volta : façade de maison bourgeoise en pan de bois à pignon sur rue, XVIIe siècle

- , rue Galande : façades de maisons bourgeoises à pignon sur rue, XVe-XVIIe siècles

¡

¡

, rue Quincampoix : façade de maison bourgeoise à pignon sur rue, XVe-XVIIe siècles

, place Paul-PainlevĂŠ : hĂ´tel des abbĂŠs Cluny (MusĂŠe national du Moyen Ă‚ge), vers -

¡

- , rue Valette : bâtiments du collège de Fortet, vers

¡

, rue du Temple : maison en pierre de taille Ă mur gouttereau sur rue, vers

¡

, rue Scipion : hĂ´tel Scipion, vers

¡

, rue des Gobelins : maison en pierre de taille Ă mur gouttereau sur rue, vers

¡

, rue des Lombards : maison d’angle, XVe-XVIIe siècles

¡

, rue du Renard : maison du XIIIe siècle rhabillÊe au XIXe siècle

¡

, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie (sur la cour) : hĂ´tel de La Faye, vers

¡

- , rue des Francs-Bourgeois et , rue Vieille-du-Temple : hĂ´tel HĂŠrouet, vers

¡

- , rue des Archives : maison dite de Jacques CĹ“ur, vers

¡

, rue des Archives : hĂ´tel de Clisson, châtelet d’entrĂŠe, vers

¡

, rue François-Miron, façades de maisons bourgeoises en pan de bois à pignon sur rue, XVIIe siècle

¡

, rue François-Miron, caves voĂťtĂŠes de la maison de l’abbaye d’Ourscamp, XIIIe siècle

¡

, rue François-Miron, caves voĂťtĂŠes de l’hĂ´tel de l’abbaye de Chaalis, XIIIe siècle

¡

, rue des Barres et , rue Grenier-sur-l’Eau : hĂ´tel de l’abbaye de Maubuisson, XIVe-XVIe siècles

¡

, rue du Figuier : hôtel des archevêques de Sens (bibliothèque Forney), vers

ĂŽLE

ANNEXES

DROITE

DE LA

CITÉ

¡

- , rue du CloÎtre-Notre-Dame : maison des prêtres de Saint-Jean, XVe-XVIe siècles

¡

Crypte archÊologique de Notre-Dame : caves des anciennes maisons de la rue Neuve-Notre-Dame, XVe-XVIe siècles

¡

, rue Bonaparte, cour de l’École nationale supÊrieure des beauxarts : vestiges de l’hôtel Le Gendre (rue des Bourdonnais, dÊtruit en ), vers

¡

, rue Hautefeuille : hôtel de FÊcamp, vers , rue Boutebrie : façade de maison bourgeoise à pignon sur rue, siècles

XVe-XVIIe

¡

, rue Gustave-Geffroy : hôtel dit de la Reine Blanche, siècles

XVe-XVIIe


TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES AUTEURS LISTE DES PRÊTEURS

I.

5 6

LES SOURCES DE L’HISTOIRE DE LA DEMEURE

VALENTINE WEISS

AVANT-PROPOS AGNÈS MAGNIEN

PRÉFACE

J EA N F AVI E R

13

11

15

LA DEMEURE À TRAVERS LES ARCHIVES 16

VALENTINE WEISS

LA DEMEURE À TRAVERS LES PLANS 20 VALENTINE WEISS

LA DEMEURE D'APRÈS L'ENLUMINURE 28 M A R I E -T H É R È S E G O U S S E T

LA DEMEURE DANS LA LITTÉRATURE 34 E V E LY N M U L L A L LY

II. STATUTS, USAGES ET MISE EN ŒUVRE 37 DE LA DEMEURE ÉTIENNE HAMON

LA DEMEURE DANS L’ESPACE SEIGNEURIAL PARISIEN ET LES RÈGLEMENTS D’URBANISME

38

LA DEMEURE PARISIENNE ET LE TRAVAIL DES LIMITES AU MOYEN ÂGE ET AU DÉBUT DES TEMPS MODERNES 38

ROBERT DESCIMON

ET

VALENTINE WEISS

L’URBANISME 46 L’occupation du sol : parcellaire et plans masse ÉTIENNE HAMON ET VALENTINE WEISS

ANNEXES

290

46


Opérations urbaines, lotissements et habitat sur les ponts à la fin du Moyen Âge 50 ÉTIENNE HAMON Bâtir et habiter dans un environnement contraignant : la maison sous surveillance 56 R O B E RT C A RVA I S E T É TI E N N E H AMO N

LA MISE EN ŒUVRE : CHANTIERS, TECHNIQUES, CONTRÔLE 62

LES HÔTELS ECCLÉSIASTIQUES

Le cloître de Notre-Dame : un village au cœur de la ville 114 ÉLIANE DERONNE-CAROUGE

L’approvisionnement en matériaux de construction des chantiers parisiens au Moyen Âge 74 J E A N - P I E R R E G É LY

ÉLIANE DERONNE-CAROUGE Les caves médiévales DANY SANDRON

ET

ET

79

LES HÔTELS LAÏQUES

87

VALENTINE WEISS

118

Maisons cisterciennes à Paris 122 FRANÇOIS BLARY ET VALENTINE WEISS

VALENTINE WEISS

À L’ENSEIGNE DE LA DEMEURE MÉDIÉVALE PARISIENNE 93

ÉTIENNE HAMON

Les maisons de collèges CÉCILE FABRIS

77

La maison d’Ourscamp : 44-48,rue François-Miron GRÉGORY CHAUMET

104

Les hôtels dans les paroisses de Saint-André-des-Arts et de Saint-Côme : le quartier des puissants au Moyen Âge 104 J E A N - C L A U D E G A R R E TA

Un chantier civil de la fin du Moyen Âge (1427-1428) : la boucherie de Saint-Martin-des-Champs 71 PHILIPPE PLAGNIEUX

USAGES ET DÉPENDANCES

TYPOLOGIE DES DEMEURES PARISIENNES : ÉVOLUTION CHRONOLOGIQUE 98

VALENTINE WEISS

La demeure en chantier : hommes et techniques à la fin du Moyen Âge 62 ÉTIENNE HAMON

Sceaux de jurés et méreaux de confréries JEAN-LUC CHASSEL

III. LA DEMEURE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE 97 PARISIENS

91

126

Les hôtels royaux de Saint-Pol et des Tournelles : deux destins tragiques 126 VALENTINE WEISS L’hôtel aristocratique parisien autour de 1400 FLORIAN MEUNIER

128

La maison de rapport de Philippe Turquam, rue de la Tannerie 133 YVON N E-HÉLÈN E LE MAR ESQU I ER-KESTELOOT La maison d’aumône de Nicolas Flamel rue de Montmorency 135 PHILIPPE PLAGNIEUX ET VALENTINE WEISS

291


IV. REGARDS SUR L’ARCHITECTURE

139

ÉTIENNE HAMON

JACQUES FREDET

LES DEMEURES PARISIENNES DES XIIIE ET XIVE SIÈCLES 140 Étude de caves aux 11 et 13 rue du Renard et 77 rue de la Verrerie (IVe arr.) : un palimpseste JEAN-DENIS CLABAUT ET BÉNÉDICTE PERFUMO

150

ÉTIENNE HAMON

Les demeures parisiennes du duc de Berry et l’hôtel de Nesle 160 THOMAS RAPIN

V.

163 163

LA PERIOD ROOM MÉDIÉVALE AUX ARTS DÉCORATIFS 225 ODILE NOUVEL-KAMMERER

179

LE MENUISIER, PRINCIPAL MAÎTRE D’ŒUVRE DU DÉCOR DE LA DEMEURE PARISIENNE

Les carreaux de pavement de l’ancien hôtel de Clisson 183 C AT H E R I N E B R U T

ÉTIENNE HAMON

LE MOBILIER D’UNE DEMEURE P A R I S I E N N E A U X V E S I È C L E 222 MONIQUE BLANC

L’hôtel de Clisson et sa place dans l’architecture des années 1400 168 PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP

L’HÔTEL PARISIEN SOUS CHARLES VIII ET LOUIS XII

MOBILIER ET DECOR INTÉRIEURS

ÉTIENNE HAMON

L’hôtel de Clisson et ses voisins : étude historique VALENTINE WEISS

Les caves de l’hôtel de Clisson VIOLAINE BRESSON

ÉTIENNE HAMON

ENTRE GOTHIQUE ET RENAISSANCE : LA DEMEURE PARISIENNE DES ANNÉES 1510-1530 212

153

L’hôtel d’Artois et les résidences parisiennes des ducs de Bourgogne 155 PHILIPPE PLAGNIEUX

L’HÔTEL DE CLISSON

ÉTIENNE HAMON 186

292

TABLE DES MATIÈRES

227

La vaisselle médiévale en bois de la rue de Lutèce FLORIAN MEUNIER

231

LA FENÊTRE ET SON VITRAGE

232

MICHEL HÉROLD

ANNEXES

198

LE DÉCOR MONUMENTAL DE LA DEMEURE 206

PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP

Le manoir des Tuileries de Pierre des Essarts SABINE BERGER

LA MAISON PARISIENNE À PAN DE BOIS DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE TARDIVE : RESTITUTION DU PROCESSUS DE MISE EN ŒUVRE

221


LES TENTURES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE 235

REDÉCOUVERTE : DESTRUCTIONS ET ARCHÉOLOGIE

258

Destruction de la demeure médiévale siècles 258 PIERRE PINON

CARMEN DECU TEODORESCU

XIXe-XXe

IMAGES DE DÉVOTION SCULPTÉES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE ET À LA RENAISSANCE 237

La maison médiévale dans les relevés d’architecture et d’archéologues 264 PIERRE PINON

MARION BOUDON-MACHUEL

USTENSILES ET VAISSELLE EN USAGE À PARIS AU MOYEN ÂGE 239 C AT H E R I N E B R U T Restauration des céramiques archéologiques CLAIRE MARTIN

241

Les demeures fixées par les photographes SANDRINE BULA

266

UNE ANTICIPATION RÉTROSPECTIVE : L’EXPOSITION DU VIEUX PARIS D’ALBERT ROBIDA EN 1900 269 GUILLAUME LE GALL

VISIONS CINÉMATOGRAPHIQUES DU PARIS MÉDIÉVAL 273

VI. POSTÉRITÉ : VISIONS MODERNES DU « VIEUX PARIS »

ÉTIENNE HAMON

GUIDES ET LITTÉRATURE

244

La demeure médiévale à Paris dans les guides de l’époque moderne 244 MARIE HOULLEMARE La maison médiévale dans la littérature du XIXe siècle 247 JOËLLE PRUNGNAUD

NOËLLE GIRET

243

ANNEXES

275

LISTE DES PRINCIPALES DEMEURES MÉDIÉVALES OU DE TRADITION MÉDIÉVALE VISIBLES À PARIS 276 BIBLIOGRAPHIE

277

L’HABITAT NÉO-GOTHIQUE À PARIS AU XIXE SIÈCLE 250 ANNE RICHARD-BAZIRE

293


La demeure médiévale à Paris La demeure médiévale à Paris

Hôtels de Cluny, de Sens, de Clisson : ces monuments nous sont familiers. Mais qui sait qu’il existe encore à Paris des dizaines d’autres demeures et bien plus encore de caves du Moyen Âge ? Ces richesses méconnues n’ont pas toujours eu la place qu’elles méritaient dans les études d’histoire et d’archéologie alors que c’est cette époque qui a donné à la plupart des villes anciennes la forme qu’on leur connaît aujourd’hui en y suscitant des types d’habitats adaptés aux besoins des citadins. Paris, la plus grande ville de l’Occident médiéval avec ses 200 000 habitants et ses milliers de maisons et d’hôtels, joua un rôle majeur dans l’élaboration de ces modèles résidentiels qui ont connu une grande longévité et n’ont cessé, jusqu’à nos jours, d’alimenter la création artistique ou littéraire et l’imaginaire. Cet ouvrage propose, à l’occasion d’une exposition tenue aux Archives nationales, à la fois un ensemble de documents rares sur ce patrimoine millénaire – archives, images et objets – et un bilan des connaissances sous forme d’essais et d’études de cas par des spécialistes issus des diverses disciplines qui contribuent aujourd’hui à la redécouverte de ces témoignages saisissants du paysage monumental d’un passé brillant.

Couverture Montage réalisé par Nicolas Dubret (Toile Concept) avec les figures 151 et 205. 978-2-7572-0587-7

35 €

Rabat Relevé de la tour Jean sans Peur par Charles-Gustave Huillard, 1877 (figure 145).


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