HISTOIRES D'OUTRE-MER (extrait)

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HISTOIRES

En 1966 ouvrait à Aix-en-Provence le Dépôt des archives d’outre-mer, destiné à accueillir les archives rapatriées des anciennes colonies françaises et de l’Algérie. Depuis cinquante ans, les Archives nationales d’outre-mer (ANOM) sont un passage obligé pour toute recherche en histoire coloniale, mais aussi pour

D’OUTRE-MER

tout citoyen désireux de retrouver un parcours familial lié à l’histoire de la France outre-mer. Dans ce livre anniversaire, plus d’une centaine de documents, dont certains inédits et insolites – écrits, cartes et plans, photographies –, sélectionnés dans les quarante kilomètres d’archives conservées par

978-2-7572-1204-2 35 €

HISTOIRES D’OUTRE-MER

mêlées de peuples et de civilisations ».

LES ARCHIVES NATIONALES D’OUTRE-MER ONT 50 ANS

les ANOM, nous racontent « des histoires vastes comme l’histoire romaine, des histoires d’empires, des

LES ARCHIVES NATIONALES D’OUTRE-MER ONT 50 ANS

Couverture Angkor, 1913 Photographie de Louis Cuisinier, plaque de verre positive FR ANOM 38Fi 4/685 4e de couverture Mirador du poste de Ra-el-Mâ (Soudan français), 1896-1897 FR ANOM 8Fi122/67

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CONTRIBUTIONS Fabien Bordelès Isabelle Chiavassa Isabelle Dion Jacques Dion Marie-Andrée Durand Frédéric Gilly Pierre Gombert Daniel Hick Élisabeth Martinez Béatrice Olive Olivia Pelletier Joël Poivre Gilles Poizat Sylvie Pontillo Françoise Reynier Anne-Laure Vella Anne-Isabelle Vidal

PHOTOGRAPHIES

© Atelier photographique des ANOM : Pierre Barthe Jean-Yves Dissais

© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Archives nationales d’outre-mer, 2017

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Coordination et suivi éditorial : Sarah Houssin-Dreyfuss Conception graphique : Sophie Charbonnel Contribution éditoriale : Françoise Cordaro Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

ISBN 978-2-7572-1204-2 Dépôt légal : février 2017 Imprimé en Union européenne

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HISTOIRES

D’OUTRE-MER

LES ARCHIVES NATIONALES D’OUTRE-MER ONT 50 ANS

Sous la direction de Benoît Van Reeth,

directeur des Archives nationales d’outre-mer

Coordination scientifique d’Isabelle Dion, conservateur en chef du patrimoine

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SOMMAIRE 6 AVANT-PROPOS

par Hervé Lemoine

8 PRÉFACE

par Benoît Van Reeth

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ARCHIVES D’OUTRE-MER

par Isabelle Dion

12 INTRODUCTION 14

LES ARCHIVES COLONIALES

par Georges Hardy

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LES ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES

17

Les origines

28

La mission Schefer (1912-1914)

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La création du service des archives du ministère des Colonies

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LES ARCHIVES OUTRE-MER

46

En Algérie

51

En Afrique occidentale française

56

En Indochine

64

À Madagascar

67

En Inde

68

En Afrique équatoriale française

72

En Côte française des Somalis

72

Aux Nouvelles-Hébrides

72

Dans les futurs départements et territoires d’outre-mer

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LE RAPATRIEMENT DES ARCHIVES

76

En Indochine

78

En Inde

78

En Afrique

81

À Madagascar

82

En Algérie

83 Ailleurs 84

LES ARCHIVES NATIONALES D’OUTRE-MER AUJOURD’HUI

96 HISTOIRES D’OUTRE-MER 98

ÉTONNANTES ARCHIVES

246

« CEUX DE NOS SUJETS […] QUI PASSENT DANS LES COLONIES »

LE DÉPÔT DES PAPIERS PUBLICS DES COLONIES

258

LA MÉMOIRE LIBÉRÉE DES BAGNES

276

LES BIBLIOTHÈQUES

294

CARTES ET PLANS

306 PHOTOGRAPHIES

328 TÉMOIGNAGES 358 BIBLIOGRAPHIE

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PRÉFACE Hervé Lemoine

Directeur chargé des Archives de France

1966 : André Chamson, directeur des Archives de France, inaugure le bâtiment d’archives qu’il avait décidé de construire à Aix-en-Provence pour y conserver l’ensemble des archives rapatriées des anciennes colonies et de l’Algérie. Cet acte fondateur permettait de rassembler en un seul lieu des documents qui n’avaient pour seul point commun que d’avoir été produits par l’administration française hors de la métropole. C’était à n’en pas douter le point de départ d’une politique qui, prio­ritairement tournée vers la conservation proprement dite des archives, se devait de prendre en compte un ensemble de facteurs qui dépassaient immédiatement le seul aspect archivistique. L’autre date fondatrice des ANOM se situe vingt ans plus tard lorsque la décision est prise de transférer à Aix-en-Provence l’ensemble des archives jusqu’alors conservées à Paris, à la section outre-mer des Archives nationales, et produites par les différents ministères ayant eu les colonies et l’Algérie dans leur portefeuille depuis le xviie siècle. Concentrer en un seul lieu ces archives permettait de donner à la nouvelle institution une visibilité de premier plan, à l’échelle nationale. Du point de vue international également, puisque le principe même du rapatriement d’une partie des

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archives avait fait l’objet, parfois pendant plusieurs années, de discussions, de tensions, de désaccords et d’accords entre la métropole et chaque nouveau pays accédant à l’indépendance. Mais le partage des archives et le concept de « mémoire partagée » qui en a découlé, ont maintenu un lien encore extrêmement vivant aujourd’hui entre les parties. Grâce aux technologies contemporaines de numérisation et de mise en ligne des documents et des instruments de recherche, on peut reconstituer un ensemble archivistique naguère homogène. Le dialogue est par conséquent extrêmement riche et fécond encore de nos jours entre la France et les pays ayant accédé à l’indépendance. Du point de vue scientifique ensuite, puisque la recherche sur l’histoire coloniale s’est depuis longtemps intéressée aux conditions dans lesquelles les colonies et l’Algérie avaient été administrées. Les Archives nationales d’outre-mer ont cette particularité de se trouver au croisement de la recherche historique, menée tant par les chercheurs de la métropole que par les chercheurs étrangers issus ou non des anciennes possessions outre-mer. La constitution des publics fréquentant la salle de lecture à Aix témoigne quotidiennement de cette diversité.

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Enfin on prend la mesure de l’importance des ANOM à l’aune du quotidien. Les documents conser­ vés per­ mettent bien souvent de répondre à l’attente de très nombreux citoyens qui recherchent des traces de leur passé ou de celui de leur famille. La quête généalogique n’est pas le seul moteur de cette démarche : la délivrance de certificats, d’attestations liés à l’état civil ou à la condition des personnes pour faire valoir un droit, la reconnaissance et l’officialisation d’un statut personnel, sont au cœur de l’activité des ANOM, comme de tout service d’archives, mais avec une dimension internationale qui leur est propre. Sous l’impulsion des Archives de France, les ANOM ont joué un rôle de pionnier dans la mise à disposition des ressources scientifiques et généalogiques via Internet. Depuis plus de dix ans, une politique extrêmement active de numérisation des documents originaux et de publication d’instruments de recherche leur permet de répondre aux demandes d’un public qui exprime régulièrement des attentes renouvelées. L’opération la plus aboutie est celle de la numérisation de l’état civil : chaque année, les Archives nationales d’outre-mer mettent en ligne des milliers d’actes d’état civil dressés dans les colonies. Mieux encore, l’état civil européen établi en Algérie a fait l’objet d’une indexation

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au nom des personnes jusqu’en 1904. De même, la contribution des Archives nationales d’outre-mer au programme « Grand mémorial de la Grande Guerre » initié par les Archives de France a permis d’accéder via Internet à plus de 300 000 feuillets matricules de citoyens français recensés dans l’ensemble des colonies. Le site Internet n’est pas le seul moyen utilisé par les ANOM pour valoriser leurs fonds. Une collection d’ouvrages richement illustrés intitulée « Histoires d’outre-mer » met en valeur des documents choisis selon des thématiques fortement représentées au sein des archives : esclavage, bagnes, explorateurs… La qualité des liens tissés au long cours avec les Archives nationales des anciennes colonies et de l’Algérie, la permanence des contacts au quotidien avec le monde de la recherche, toujours exigeant et tout autant stimulant, et la satisfaction de répondre aux attentes des citoyens de plusieurs continents, permettent de regarder avec fierté le chemin parcouru depuis cinquante ans, mais aussi d’envisager l’avenir avec confiance, sérénité et volonté d’aller toujours de l’avant dans nos programmes de Mémoires partagées qui sont un préalable indispensable à une mémoire apaisée et une histoire éclairée.

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AVANT-PROPOS Benoît Van Reeth

Directeur des Archives nationales d’outre-mer

Célébrer les cinquante ans des Archives nationales d’outre-mer (ANOM), c’est pour leur directeur l’occasion de partager sa fierté de diriger l’un des plus beaux services qu’il a eu le bonheur de connaître. Ce service est une fenêtre grande ouverte vers une nouvelle façon d’exercer son métier d’archiviste. Car c’est bien la première particularité des ANOM : avoir reçu en seulement deux étapes (1966 et 1986) l’équivalent de plusieurs dizaines d’années de collecte dans un service d’archives traditionnel. Cela donne une idée du temps qu’il a fallu et de celui qu’il faudra encore pour permettre l’exploitation d’un tel volume. Certes, tout n’était pas à faire : d’une part, comme on le verra dans cet ouvrage, entre 1906 et 1945, des services d’archives avaient été créés dans les colonies et en Algérie pour répondre aux besoins de l’administration. Il faut souligner ici l’incroyable ténacité de ces archivistes qui, dans des conditions autrement plus difficiles qu’en métropole, avaient réussi à con­vaincre leur hiérarchie de la nécessité de mettre en place ce qu’on appelle de nos jours la fonction archives. D’autre part, les archives provenant de la Section outremer des Archives nationales avaient pour leur plus grande part été classées car il s’agissait d’archives

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ministérielles, pour lesquelles un certain savoir-faire en matière de collecte, de classement et de description existait depuis longtemps. Mais cinquante ans plus tard, la mise à disposition du public du contenu de ces dossiers est encore au cœur des enjeux que les ANOM tentent de relever. La première partie de cet ouvrage retrace bien les contours de cette belle aventure, à laquelle l’ensemble des agents ayant travaillé sur ces fonds doit être associé, quels que soient leurs métiers. En étant nommé à la tête des ANOM, je savais qu’il s’agissait d’un défi extraordinaire à plusieurs titres. Les témoignages des anciens directeurs sont là pour en attester : chacun à sa façon, ils ont découvert des fonds d’une très grande richesse, les premiers pour en assurer le transfert à Aix-en-Provence, les suivants pour penser et organiser leur mise en valeur. Et les options retenues par chacun d’entre eux ont correspondu à une étape de la construction d’une politique raisonnée. Comment signaler d’une façon pertinente non seulement l’existence de fonds d’une richesse qui reste souvent à découvrir, mais encore la parution d’un instrument de recherche ? Comment programmer les classements quand il s’agit d’une telle masse

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(22 kilomètres linéaires en 1966, 12 supplémentaires en 1986) ? Quelles priorités faire apparaître dans les opérations de mise en valeur des fonds ? Je suis, nous sommes, redevables de cette politique scientifique construite tout au long de ces cinquante années. Comment passer sous silence l’autre défi qu’a constitué le tournant de l’informatique qui, ici plus qu’ailleurs, a transformé notre regard sur les archives ? C’est bien sur le socle du numérique que les ANOM ont bâti leur politique de mise en valeur de leurs fonds depuis plusieurs années et comptent prolonger cette approche, sans doute sous d’autres aspects qui permettront de concilier la démarche de structuration des instruments de recherche avec la rapidité de leur mise en ligne. Car le lecteur qui veut exploiter nos fonds est bien souvent éloigné et ne peut se rendre aussi souvent qu’il le voudrait à Aix-en-Provence. D’où la nécessité de « faire venir » les documents à lui, d’abord en les décrivant et, le plus possible, en les reproduisant. Outre les témoignages des anciens directeurs, nous ne pouvions pas faire autrement que de réserver la meilleure place de ce livre aux documents et aux fonds eux-mêmes. Car en définitive, ce sont eux qui sont le substrat, la raison d’être d’une vie d’archiviste et

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de chercheur. Et le choix s’est porté sur ce qui pouvait donner la meilleure idée de la diversité de la matière historique. C’est de tout cela que ce livre veut rendre compte. Une histoire de l’institution, éloignée de toute linéarité, soumise aux aléas de l’Histoire et aux décisions politiques et institutionnelles calquées sur l’histoire du monde, des trajectoires d’archivistes dont la différence et les parcours constituent leur unité même, des récits d’archives qui font toucher du doigt l’ordinaire et l’extraordinaire. Cinquante ans : l’âge de raison est dépassé depuis longtemps. Ne serait-ce pas le moment de donner un nouveau souffle aux Archives nationales d’outre-mer en les impliquant encore plus qu’avant dans le siècle présent, en les inscrivant davantage dans le mouvement de modernisation de la connaissance archivistique dont elles ont été et sont encore le porte-parole dans bien des domaines ? Ce livre est le témoignage de tout ce qui s’est passé depuis bien plus d’un demi-siècle : il doit nous encourager à poursuivre dans la voie de la connaissance et du partage pour que le moment venu d’une autre célébration, nous puissions garder ce même sentiment d’envie et de fierté.

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ARCHIVES

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INTRODUCTION Isabelle Dion

Les Archives nationales d’outre-mer, service à compétence nationale 1 rattaché au service interministériel des Archives de France 2, implanté à Aix-en-Provence, ont pour mission la conservation des archives de l’expansion coloniale française. Héritières de trois siècles d’histoire, elles conservent deux grands ensembles au passé administratif et archivistique différent : d’une part les archives des ministères en charge, du xviie au xxe siècle, de l’empire colonial français, d’autre part les archives transférées des anciennes colonies et de l’Algérie lors de leurs indépendances. Elles conservent également des archives privées (particuliers, associations, entreprises…) relatives à l’outre-mer français, une cartothèque, une iconothèque et une bibliothèque spécialisées. Parmi les fonds ministériels, deux d’entre eux illustrent les spécificités de l’administration coloniale : le Dépôt des papiers publics des colonies (DPPC), créé par l’édit de 1776 3, qui regroupe les doubles des registres paroissiaux et d’état civil, des minutes de notaires, des greffes des tribunaux, des hypothèques, des recensements, ainsi que le Dépôt des fortifications des colonies (DFC), créé en 1778 pour conserver cartes, plans et mémoires concernant les possessions françaises (xviie-xixe siècle).

La présence française outre-mer commence au xvi siècle, mais l’administration spécifique aux colonies ne voit le jour qu’en 1710 avec la création au ministère de la Marine du bureau des Colonies. C’est la conséquence de la lente spécialisation de bureaux chargés de régler les problèmes touchant l’administration et la vie des possessions outre-mer. Jusqu’en 1858, les colonies sont rattachées à la Marine, mais les fonds sont séparés physiquement. En 1858 est créé l’éphémère ministère de l’Algérie et des Colonies avant que les colonies ne soient à nouveau rattachées à la Marine en 1860. Toutefois, l’idée d’une administration distincte pour les colonies commence à faire son chemin. En 1881 est créé un sous-secrétariat d’État aux Colonies rattaché au ministère du Commerce, qui, e

1. L’arrêté du 24 décembre 2006 précise les missions du service : « Collecter, trier, classer, inventorier, conserver, restaurer, communiquer et mettre en valeur les archives publiques de la présence coloniale française outre-mer », mais aussi « Collecter ou acquérir à titre onéreux ou gratuit, trier, classer, inventorier, conserver, restaurer, communiquer et valoriser les archives relatives à la présence coloniale française outre-mer. » 2. Lui-même rattaché au ministère de la Culture. 3. Voir p. 246.

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ARCHIVES COLONIALES LES

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Georges Hardy

« Il n’y a pas d’archives aussi dispersées que les archives de l’histoire coloniale, et cela se comprend. Elles ressemblent au mobilier du colonial de carrière, dont il sera toujours malaisé de dresser un catalogue complet et dont il faudrait pointer les différentes fractions sur un planisphère : un pied-à-terre à Paris, des bibelots à la campagne, un matériel de campement au fond de la brousse, de menus dépôts en divers ports français ou étrangers, au total, une pauvre famille de meubles, qui n’est jamais réunie et dont certains membres disparaissent sans qu’on s’aperçoive de leur disparition. On serait tenté de penser que l’essentiel de la documentation manuscrite se trouve à Paris […]. Mais le ministère des Colonies est un jeune ministère, et ses aînés, en lui passant la main, n’ont pas cru devoir se dessaisir de toutes les preuves de leur activité passée ; ils ont gardé dans leurs tiroirs des petits souvenirs, des reliques coloniales, qui présentent pour l’historien une très grande importance. Si bien que, même à Paris, on ne peut entreprendre une étude d’histoire coloniale sans voyager un peu : au ministère de la Marine, au ministère des Affaires étrangères, au ministère du Commerce, aux Archives nationales – voire au Val de Grâce, car la vie coloniale ne peut guère se passer de médecins […].

Et nous n’avons pas encore parlé des archives locales, qui sont, ou du moins qui étaient les plus abondantes et qui, celles-là, ne sont vraiment pas à la portée de tout le monde. On peut, à la rigueur, entreprendre le voyage de Londres pour parfaire la documentation d’un ouvrage, mais Dakar et Hanoi sont bien loin. On ne peut compter que sur les coloniaux de métier, qui vivent làbas : encore faudrait-il que ces coloniaux fussent autre chose que des amateurs éclairés et qu’il se trouvât chez eux des professionnels d’archives et d’histoire. Il s’en

9. Georges Hardy, Les Éléments de l’histoire coloniale, Paris, [1921]. Ancien élève de l’École coloniale, normalien, agrégé d’histoire et de géographie, Georges Hardy (1884-1972) a commencé par enseigner. Remarqué par le gouverneur de l’AOF William Ponty, il devient directeur de l’enseignement en AOF, puis directeur de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Antiquités au Maroc. En 1926, il prend la direction de l’École coloniale, qu’il réforme profondément. Nommé recteur de Lille en 1937, il devient recteur d’Alger en 1940 sous Vichy. Il participe à la révocation de nombreux enseignants, dont certains, juifs. Président du comité de la Légion française des Combattants, organe pétainiste, il sera démis de ses fonctions en juillet 1943. Georges Hardy est un des principaux théoriciens de l’histoire coloniale. Il affirme que si l’histoire coloniale ne diffère pas de l’histoire en général, la critique des sources est plus délicate, compte tenu de leurs dispersions, mais surtout parce que cette histoire requiert une connaissance approfondie du milieu colonial.

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LES ARCHIVES

DU MINISTÈRE DES COLONIES 10

LES ORIGINES Les archives de la Marine et des Colonies ont vu le jour sous Colbert, comme la plupart des grands dépôts d’archives 11. Leur histoire est commune jusqu’à la fin du xixe siècle, même si, dès l’époque de Colbert, dépêches et instructions relatives aux colonies étaient copiées dans des registres à part ; mais ce fut une histoire chaotique. Comme l’écrit Étienne Taillemite, durant toute la période qui précéda la séparation des deux institutions, on note une continuité dans les « maux qui accablèrent les archives : absence presque constante de la sollicitude la plus élémentaire de la part des autorités supérieures, insuffisance chronique de locaux convenables et de personnel qualifié entraînant l’incertitude des méthodes, des pertes sans nombre, l’impossibilité de tout contrôle des archives en formation, l’irrégularité des versements, bref une véritable paralysie du service » 12. Constat bien accablant quand on sait que les archives départementales bénéficiaient depuis de nombreuses années déjà d’un personnel qualifié 13. [fig. 1] Par décret du 3 février et arrêté du 14 février 1882, les archives des Colonies sont séparées de celles de la Marine. Elles sont rattachées au sous-secrétariat

d’État au Commerce et aux Colonies, qui donnera naissance le 20 mars 1894 au ministère des Colonies. Déjà en 1881, Güet, alors archiviste des Colonies, avait préconisé la séparation des archives des Colonies de celles de la Marine : « Les documents coloniaux sont ceux qui ont trait exclusivement aux Colonies : les papiers publics, les dossiers des administrateurs, magistrats et agents coloniaux, la correspondance générale des colonies, les grandes compagnies de commerce, la correspondance ministérielle adressée aux colonies, les milices coloniales […]. Il y a égalité de volume entre les deux services 14. »

10. Ces archives ont formé la section outre-mer des Archives nationales, rue Oudinot à Paris. 11. Voir l’important article d’Étienne Taillemite, « Les archives et les archivistes de la Marine des origines à 1870 » dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. CXXVII, 1969, p 27-86. 12. Ibid. 13. Le décret du 4 février 1850 assure le monopole des postes d’archiviste départemental aux archivistes paléographes. 14. Aristide, Isidore Güet (1828-1903) commença sa carrière de fonctionnaire en 1850 comme écrivain de la marine à Rouen. Il est nommé en 1858 archiviste du Dépôt des papiers publics des colonies. Il veillera pendant trente ans sur les archives coloniales. En 1896, il entre à la Commission supérieure des archives des colonies. FR ANOM SOM 45.

ARCHIVES D’OUTRE-MER

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LES ARCHIVES

OUTRE-MER

« En matière d’archives coloniales, écrivait Jean Glénisson, il n’est, je crois, que des cas d’espèce 57. » Les archives coloniales présentent des caractères propres, posent des problèmes archivistiques, juridiques, et diplomatiques. Elles sont « originales ». Jusqu’au début du xxe siècle, quasiment rien n’a été fait pour la sauvegarde des archives locales. Si l’administration centrale a parfois attiré l’attention des gouverneurs sur les nécessités d’assurer la conservation et le classement des archives, peu de mesures ont été prises par suite de négligence, d’insuffisance de locaux, de moyens, parfois de volonté réfléchie. Pourtant la conservation des archives outre-mer est fréquemment évoquée dans les rapports, à tel point qu’une dépêche ministérielle de 1883 envisageait l’envoi des documents manuscrits antérieurs à 1790 pour être classés aux archives coloniales. Une autre dépêche ministérielle préparée par Güet et adressée aux différents gouverneurs indiquait : « Je crains qu’il ne soit pas pris de précautions suffisantes pour la conservation des archives coloniales gardées dans chacun de nos établissements d’outremer. J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien recueillir des renseignements précis à cet égard et me dire dans

quelles conditions sont rangées et installées les archives […]. Je désire qu’il me soit envoyé un état sommaire de ces documents, ce qui existe et signalant les lacunes qui ont pu se produire par suite d’événements ou par l’effet du climat. Je me réserve ensuite de vous adresser des instructions pour le classement et la conservation de ces précieux papiers 58. » En 1905, le ministre des Colonies Clémentel adresse une circulaire aux gouverneurs afin d’obtenir des renseignements sur les archives locales, leur classement et leur état de conservation. Les questions sont très précises : existe-t-il des archives historiques anciennes ? Sont-elles classées et inventoriées ? Quelle est la date du plus ancien document ? Quel est l’état de conservation ? Existe-t-il un inventaire ? Quel est le lieu de conservation ? Y a-t-il d’autres dépôts dans la colonie ? Peu de colonies répondent [fig. 16 et 17]. En 1907, le ministre réitère sa demande. Il indique que de nombreux documents ont été donnés à des personnes étrangères à l’administration :

57. Jean Glénisson, « Les archives de l’Afrique équatoriale française », dans La Gazette des archives, 1957, p. 23-30. Jean Glénisson fut en poste en AEF de 1952 à 1957. 58. FR ANOM SOM 2.

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LE RAPATRIEMENT

DES ARCHIVES

Alors que les services d’archives sont enfin constitués dans les territoires, que des classements sont en cours, c’est l’heure de la décolonisation. Il faut organiser les rapatriements d’archives de manière réfléchie ou dans la hâte. De 1951 à 1954 sont rapatriées partiellement ou en totalité les archives de l’Indochine, en 1954 celles de l’Inde, en 1960 celles de Madagascar et de l’AEF, en 1962 celles de l’Algérie, en 1974 celles des Comores, en 1977 celles des Afars et des Issas, en 1980 celles des Nouvelles-Hébrides. Les archives de l’ancienne AOF resteront à Dakar. Les archives sont une partie constitutive du patrimoine d’un pays. La question du rapatriement des archives s’est posée bien avant les décolonisations. La France devait-elle emporter l’intégralité des archives produites par l’administration dans les territoires qu’elle allait quitter ou en laisser une partie ? Qu’est-ce qui pouvait justifier l’un ou l’autre choix ? Y avait-il des fondements juridiques ? Selon Carlo Laroche, « l’histoire de la dévolution des archives coloniales est celle d’un semi-tâtonnement, aboutissant peu à peu à une doctrine qui est actuellement celle des archivistes 105 ».

La notion d’archives publiques utiles a émergé lentement 106. Au xviiie siècle, cette idée prend force. « Le transfert des archives est une conséquence naturelle de l’annexion : elles suivent généralement et fatalement les destinées du territoire à l’administration duquel elles se rapportent. Personne ne pense plus à les prendre comme un butin ou à les acquérir comme des sources éventuelles de droits : on n’en dépouille le pays démembré qu’autant qu’elles sont utiles à l’établissement ou au fonctionnement de l’administration nouvelle 107. » Une clause explicite concernant les archives apparaît dans les traités internationaux. Jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle, la majorité des transferts d’archives se fait lors du passage d’une province d’une souveraineté à une autre. Il n’en est plus de même avec la décolonisation. Il s’agit d’un territoire éloigné de la métropole accédant à l’indépendance,

105. FR ANOM SOM 66. Note confidentielle de Carlo Laroche à André Chamson en septembre 1966. 106. Actes de la 6e conférence internationale de la Table ronde des archives. Les archives dans la vie internationale, Paris, 1963. 107. Ibid.

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LES ARCHIVES

NATIONALES D’OUTRE-MER AUJOURD’HUI

En 1960, des tractations ont lieu pour la construction d’un bâtiment à Aix-en-Provence où se conçoit un projet universitaire incluant faculté des Lettres, bibliothèque et cité universitaire. Le directeur des Archives de France, André Chamson, justifie ainsi son choix : « D’abord parce que je suis méridional, d’autre part Aix est situé tout près de Marseille, porte de l’Orient et point de départ de la colonisation. La terre de Provence se souvient en effet qu’elle fut, elle aussi, terre colonisée, et elle en garde le souvenir, l’héritage et l’orgueil 112. » Le principe est rapidement acquis, mais les délais et les difficultés se multiplient en raison des polémiques liées aux expropriations et aux tensions entre l’université et le ministère des Affaires culturelles. La construction est confiée à Charles Musetti, architecte des Bâtiments civils et Palais nationaux. Pierre Boyer, ancien directeur des archives départementales d’Alger, est nommé à la tête du service en août 1962. Sur place, « c’était une vaste prairie, coupée de ruisselets où les vaches de la ferme voisine broutaient paisiblement sans se douter de rien 113 ». En attendant, Pierre Boyer avait été « gratifié, entre deux travées d’archives dans le magasin non chauffé de l’annexe d’Aix des archives départementales des

Bouches-du-Rhône, d’une table de bois blanc ». Son personnel – trois employés – dispose du garage de la bibliothèque de l’université « où une sorte de table a pu être dressée. Ce local n’est pas chauffé. Il est de plus insuffisamment éclairé. D’autre part, lors des réparations ou mises au point des moteurs des véhicules entreposés, l’atmosphère devient rapidement irrespirable ». Boyer commence le récolement des fonds dispersés un peu partout en France. Le premier chantier concerne les archives d’Algérie. Devant l’exiguïté des locaux dont il dispose à la bibliothèque universitaire, une partie des sacs a été évacuée sur les archives départementales du Gard. Il a fallu effectuer un classement sommaire des sacs et caisses entreposés en vrac. Les premières recherches par courrier sont traitées. Le chantier démarre en février 1965. Pierre Boyer dispose alors d’un rez-de-chaussée de villa avec téléphone et machine à écrire. Le chantier s’achève la veille de l’inauguration. Le dépôt construit dans l’urgence va accueillir

112. Le Méridional, 7 octobre 1966. 113. FR ANOM 13APOM.

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HISTOIRES

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ÉTONNANTES

ARCHIVES

Pouvoir donné au capitaine Rigaut pour s’établir et commercer à Madagascar, 1643. FR ANOM C5a 1

Dès le début du xviie siècle, des marins français relâchent et trafiquent à Madagascar. Le capitaine Rigault, ayant obtenu, en 1642, le privilège d’habitation et de commerce, fonde la Compagnie des Indes orientales et envoie un navire qui débarque en septembre à Sainte-Luce. Sous la direction du commis Pronis, une palissade est bâtie à la pointe de Taolankara que l’on baptise Fort-Dauphin, en l’honneur du futur Louis XIV. Mais la situation sur place demeure très

instable. Le gouverneur Étienne de Flacourt débarque à Madagascar en décembre 1648, afin de faire cesser les désordres. Cette première tentative d’établissement français à Madagascar, l’île Dauphine, se termine par un massacre le 27 août 1674, perpétré par surprise par les populations locales : la moitié de la colonie, une centaine d’hommes, est exterminée ; soixante-trois survivants parviennent à gagner l’île Bourbon (Réunion) sous le commandement du major La Bretèche. Abandonnée pendant de nombreuses années, la côte est malgache devient, pour un temps, le repaire de la piraterie.

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Images des colonies, 1921-1954. a. FR ANOM 9FI 468 b. FR ANOM 9Fi 550 c. FR ANOM 9Fi 582 d. FR ANOM 9Fi 22

Hormis les expositions coloniales qui suscitent un véritable engouement populaire, les Français, dans leur ensemble, se désintéressent de leurs colonies. Aussi, pour promouvoir l’essor colonial et susciter des

investissements, l’administration est contrainte d’élaborer une politique de propagande. C’est ainsi qu’est d’abord créé l’Office colonial en 1899, qui devient en 1919 l’Agence générale des colonies. Son but est de présenter une image positive de la colonisation en utilisant de multiples supports : affiches, photographies, brochures, dépliants touristiques…, et en se servant de thématiques durables : éducation, hygiène, construction, mise en valeur, tourisme…

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« CEUX DE NOS SUJETS […]

QUI PASSENT DANS LES COLONIES » LE DÉPÔT DES PAPIERS PUBLICS DES COLONIES

Le 15 avril 1777, la Chambre des comptes, à Paris, enregistre un édit donné à Versailles en juin de l’année précédente, portant création du Dépôt des papiers publics des colonies. Il s’agit de centraliser à Versailles, sous forme d’expéditions légales et authentiques, de copies et doubles minutes, les actes les plus importants rédigés dans les colonies et pouvant garantir les droits des personnes et la sûreté de l’État. Le terme « papiers publics » englobe, à cette époque, diverses catégories d’actes : actes de catholicité, minutes de notaires, sentences judiciaires, recensements, rôles des passagers, inscriptions hypothécaires. [fig. 1] Dès le 31 juillet 1776, une circulaire est expédiée vers les colonies, ordonnant aux gouverneurs de ces territoires « qu’il fût fait des doubles de tous les registres, titres et actes qui pourraient intéresser le gouvernement et les citoyens » 1. Le texte même de l’édit est enregistré progressivement auprès des conseils souverains coloniaux : en Martinique le 8 novembre 1776, en Guyane le 25 novembre 1776. [fig. 2-3] L’application de ce texte va avoir des conséquences durables. Le but recherché, en créant ce lieu de la mémoire coloniale, est de pallier les rigueurs du climat tropical, destructeur de papiers, et d’abolir les

distances qui séparent les colonies de la mère patrie. Cette création répond véritablement à un besoin. Plus encore, le DPPC est novateur à deux titres au moins. Il s’agit d’une des premières institutions spécifiquement coloniales ; sa création relève d’une démarche centralisatrice unique en son genre, où la copie systématique est utilisée comme un moyen efficace d’administration. L’inventeur du DPPC fait en effet preuve de perspicacité et d’esprit de synthèse : l’obligation de fournir des copies est exigée de toutes les colonies, les actes demandés sont assez divers pour permettre à l’autorité d’exercer son commandement. Car, en dehors des simples exigences de conservation dans l’intérêt des individus et des familles, le DPPC doit aussi « fournir sur l’existence de nos sujets qui passent dans lesdites colonies, des renseignements que le trop grand éloignement ne permet de se procurer qu’avec peine ». Il y a là, en quelque sorte, un désir de contrôle 2.

1. Martinique, Guadeloupe, Guyane, Saint-Domingue, Gorée, Saint-Pierre-et-Miquelon. FR ANOM SOM 1. 2. On peut lire Paul Roussier, « Le dépôt des papiers publics des Colonies », dans Revue d’histoire moderne, Paris, 1929.

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1. Édit de 1776 créant le DPPC. FR ANOM SOM 1

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LA MÉMOIRE LIBÉRÉE

DES BAGNES

Louise Michel, Dreyfus, Seznec, ou encore Henri Charrière dit Papillon ; Cayenne, l’île du Diable, l’île des Pins : ce sont là quelques-uns des noms – personnages et lieux, parmi tant d’autres – emblématiques de la noire légende des bagnes coloniaux français. Sombre et fascinant récit dont la culture populaire, comme la « grande histoire », se sont emparées depuis longtemps. Pour autant, la terrible et protéiforme réalité du bagne ne saurait se réduire à quelques trajectoires individuelles inlassablement invoquées, aussi exemplaires fussent-elles. Et à qui veut dépasser les représentations mythiques, fantasmées, voire mythomanes du bagne, les archives conservées aux ANOM 1 s’offrent comme une ressource indispensable. Héritier des galères d’Ancien Régime et des bagnes portuaires, le bagne colonial a été institué en 1852 par le Second Empire. Durant un siècle, ce sont plus de 100 000 hommes et 2 000 femmes – forçats transportés, déportés politiques et relégués multi-récidivistes, pour reprendre la catégorisation en usage –, qu’on a envoyés expier leurs fautes dans deux de nos territoires ultramarins : la Guyane, de 1852 à 1938, et la Nouvelle-Calédonie, de 1864 à 1897 2.

Aux origines de son instauration, cette nouvelle modalité pénale n’était pas dénuée d’un certain idéalisme. Il s’agissait, par le travail forcé, certes de châtier, mais aussi de réinsérer des individus et de mettre en valeur et peupler des territoires relativement délaissés. En Guyane, confrontée aux redoutables épidémies et autres fléaux 3, l’ambition initiale a vite cédé à la fatalité de la répression à outrance. Le produit du travail forcé, si l’on met à part les équipements nécessaires au fonctionnement du bagne lui-même, y fut assez dérisoire 4. De même, le système du « doublage », c’està-dire l’astreinte à demeurer dans la colonie après l’expiration de la peine principale 5, qui avait été imaginée dans l’espoir de transformer les libérés du

1. Sous l’intitulé « Administration pénitentiaire coloniale et bagnes coloniaux – série H ». 2. Dans les deux cas, la fermeture complète et définitive interviendra plus tard, respectivement en 1953 et 1931, les condamnés déjà sur place n’étant pas rapatriés. 3. Jusqu’à 26 % de taux de mortalité pour la seule année 1855 ! 4. L’introuvable et meurtrière route no 1 de Cayenne à SaintLaurent reste à jamais un cruel symbole de cette « déroute ». 5. Temporairement ou définitivement selon la nature et la durée de la peine initiale.

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LES

BIBLIOTHÈQUES

Au fil des ans et au fur et à mesure de la disparition des institutions coloniales, les ANOM sont devenues dépositaires d’un ensemble bibliographique considérable, formé par le rassemblement de plusieurs bibliothèques tombées en déshérence. De nombreux donateurs privés et institutionnels ont eux aussi largement contribué à son enrichissement. Avec les archives rapatriées d’Algérie, une partie minime de la bibliothèque du Gouvernement général de l’Algérie arrive à Aix-en-Provence et constitue le noyau natif de la bibliothèque. Il s’agit d’un modeste début, très insuffisant pour couvrir les besoins du service et de la recherche. En 1975, un accord est passé avec la bibliothèque de l’Institut international d’administration publique, relevant de l’École nationale d’administration, installé avenue de l’Observatoire à Paris, dans les locaux de l’ancienne École coloniale. Le fonds historique de cette bibliothèque datait de la fin du xixe siècle : constitué pour servir à la formation des élèves de l’École, futurs administrateurs de la France d’outremer, il avait été précieusement conservé et présentait toutes les caractéristiques d’un fonds patrimonial. Il était indispensable de s’assurer de sa pérennité et

de lui redonner un sens et une utilité. L’opération de transfert vers Aix s’est achevée en 2005. Fonds clos, à l’origine très technique, on y trouve de nombreux manuels de langues indigènes, des traités de droit, des ouvrages de géographie ainsi que des ouvrages sur les colonisations anglaise et hollandaise. En 1986, lors du déménagement des archives ministérielles conservées rue Oudinot à Paris, se pose la question de l’importante bibliothèque qui en dépend. Doit-elle rester à Paris comme le demandent de nombreux lecteurs, ou suivre les archives dont elle dépend ? Là aussi, comme pour les archives, faute de lieu disponible et malgré bien des réticences, décision est prise de la transporter à Aix. Créée en 1894, en même temps que le ministère des Colonies, cette bibliothèque tenait lieu de centre de documentation pour les fonctionnaires coloniaux qui y trouvaient la matière nécessaire à leurs missions. Les textes juridiques y tenaient une large place. Le premier catalogue fut publié par Victor Tantet en 1905. [fig. 1] Cette bibliothèque eut également à gérer un grand nombre d’abonnements à des journaux et revues publiés outre-mer et régulièrement expédiés rue Oudinot, où ils

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furent soigneusement conservés. Elle servit également, après la guerre, de dépôt légal colonial pour la presse coloniale. De plus, elle était dépositaire de la bibliothèque du jurisconsulte Moreau de Saint-Méry 1, grand spécialiste de l’histoire de Saint-Domingue, qui avait accumulé, au début de la Révolution, un grand nombre de factums, mémoires et revues concernant les Antilles françaises. Le ministère de la Marine s’en était rendu acquéreur auprès des héritiers de Moreau, puis l’avait dévolu au ministère des Colonies. Elle ne fut dotée que tardivement d’un catalogue sur fiches. Ce corpus ainsi rassemblé s’intègre naturellement au sein des archives de la colonisation dont il est devenu un complément indispensable. Plus de 120 000 ouvrages anciens et modernes sont disponibles ; auxquels il faut ajouter un très grand nombre de publications administratives. Chaque colonie était dotée d’une imprimerie qui publiait et diffusait tous les actes officiels : journaux officiels, comptes et budgets, actes des assemblées locales, recueils judiciaires, discours des autorités, annuaires locaux, bulletins des chambres de commerce et d’agriculture…

Les journaux locaux connurent une expansion rapide. Les ANOM en conservent près de 3 000 titres arrivés de toutes les colonies et parfois rédigés dans les langues locales : arabe, malgache, quoc-ngu (vietnamien romanisé), cambodgien… Cette collection de presse, miraculeusement rassemblée et conservée, est le miroir des faits et gestes coloniaux. Instrument d’information, c’est un outil de propagande et aussi un passeur de culture. En 2008, la bibliothèque se dote d’un catalogue informatisé qui permet d’unifier les divers fonds et, pour la première fois, un accès universel. Telle qu’elle est devenue en cinquante ans, elle constitue, pour une large communauté de chercheurs et d’amateurs, et aussi pour les institutions officielles, un lieu de référence incontournable. Cet ensemble bibliographique continue d’évoluer et de s’accroître par des achats réguliers et grâce à de nombreux dons. 1. Sur Moreau, voir Dominique Taffin, (dir.), Moreau de Saint-Méry ou les ambiguïtés d’un Créole des Lumières, actes du colloque organisé par les archives départementales de la Martinique et la Société des amis des archives et de la recherche sur le patrimoine culturel des Antilles, 2006.

HISTOIRES D’OUTRE-MER

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CARTES ET

PLANS

Riche aujourd’hui d’environ 60 000 documents, la cartothèque des Archives nationales d’outre-mer regroupe à la fois des fonds cartographiques constitués par les administrations de métropole ou des colonies, et des pièces isolées relatives aux colonies, soit retirées des fonds papier conservés par le service pour des raisons de conservation, soit entrées par voie extraordinaire (achat et don principalement).

LES FONDS CONSTITUÉS Soucieux de maîtriser les territoires conquis, et donc confrontés à la nécessité de connaître les espaces colonisés, les services de l’administration centrale comme des administrations coloniales en place dans les différents territoires ont constitué des ensembles cartographiques importants.

Les fonds ministériels Le Dépôt des fortifications des colonies (DFC) En 1778 est créé à Versailles, dans les locaux du secrétariat d’État de la Marine, un Dépôt des fortifications des colonies chargé de rassembler des copies de

tous les plans et levers que les ingénieurs du roi ont faits font et feront dans les colonies. Destiné à l’origine tant à l’information des services du secrétariat d’État qu’à parer aux accidents de conservation que l’on redoute pour les documents originaux dans les colonies, soumises notamment aux aléas climatiques et pas toujours dotées de personnel suffisant et de locaux adaptés, cet ensemble de plus de 16 000 cartes et plans et de quelques milliers de mémoires est le plus ancien et le plus important fonds cartographique conservé aux Archives nationales d’outre-mer. Bien plus riche que son intitulé peut, de prime abord, le laisser supposer, il ne contient pas uniquement les plans des ouvrages strictement militaires, fortifications ou casernes. Les plus anciens documents qu’il renferme remontent au xviie siècle, et les plus récents datent de 1940 ; la quasi-totalité sont des originaux, à tous les stades de réalisation : croquis manuscrits des ingénieurs, calques du cartographe destiné au dessinateur, cartes achevées et richement décorées aux armes du dédicataire. Certains, en particulier les plans aquarellés du xviiie siècle, sont de véritables œuvres d’art d’une grande qualité esthétique, qui ferait presque oublier leurs raisons d’être, pourtant avant tout techniques et utilitaires.

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PHOTOGRAPHIES

Riche de près de 140 000 photographies de formats divers – plaques de verre négatives ou positives, négatifs souples, cyanotypes, épreuves albuminées ou argentiques, aristotypes –, le fonds photographique des Archives nationales d’outre-mer couvre la période 1844-1970. Entièrement dévolu aux anciennes colonies françaises et à l’Algérie, il est constitué de fonds issus de l’administration coloniale et de fonds privés. Parmi les premiers, il est important de signaler celui de l’Agence économique de la France d’outre-mer : plus de 20 000 clichés proviennent de cet organisme chargé de l’information et de la propagande au sein du ministère des Colonies. Créé en 1899 sous le nom d’Office colonial, il a perduré sous différentes dénominations jusqu’aux décolonisations. Ces images insistent sur la grandeur politique de la France, la « mission civilisatrice » de celle-ci, avec l’objectif d’inciter commerçants et industriels à investir dans les colonies ou à acheter des produits coloniaux. De fait, les photographies de l’Agence économique, classées par thèmes, présentent les réalisations obtenues sur

place dans tous les domaines : agriculture, commerce et industrie, habitat, travaux publics... Une rubrique intitulée « types et races » dévoile à l’objectif les populations rencontrées. Cet organisme a acquis des clichés exécutés sur place dans les territoires soit d’administrateurs coloniaux, soit de photographes particuliers. Le travail de l’Agence était relayé outre-mer par des agences spécifiques, relevant des gouvernements généraux, comme le service de l’aéronautique militaire en Indochine chargé des prises de vues aériennes, ou encore le service cinéphotographique. S’ajoutent à cet ensemble près de 400 photographies rassemblées pour l’exposition permanente des Colonies créée en 1855, connue sous le nom de musée des Arts d’Afrique et d’Océanie. Conçues comme un vaste inventaire visuel du domaine colonial français, ces photographies constituent un témoignage inégalable. Les ANOM conservent également des albums d’amateurs, des photographies ou plaques de verre d’explorateurs ou d’administrateurs (Gaden, Dauvilliers, Laperrine, Moll), de gouverneurs (Baudouin), de médecins (Hocquard, Cureau, Pineau, Heckenroth),

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Vue des remparts d’Alger. Daguerréotype, 1844 2. FR ANOM 2Fi 2849

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TÉMOIGNAGES

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SOUVENIRS

D’UN ARCHIVISTE D’OUTRE-MER

Jacques Charpy

Au printemps 1951, à l’époque des soutenances de thèses de l’École des chartes, me rendant aux Archives nationales, je rencontre mon confrère Michel Denieul, archiviste de la Martinique, qui me fait savoir que l’on recherche un chartiste pour reconstituer le service des Archives du Gouvernement général de l’Afrique occidentale française. Les postes étaient alors fort rares en France. Pourquoi pas l’Afrique ? Et c’est ainsi que j’obtiens de Charles Braibant, le directeur général des Archives, mon détachement en Afrique. Trois mois de stage aux Archives de la rue Oudinot, sous l’autorité de Carlo Laroche et la tutelle bienveillante de Marie-Antoinette Menier, m’initient à l’histoire de l’Afrique et à ce qu’il fallait ne pas faire en matière de classement… Les articles d’archivistique parus dans la Gazette des Archives complétèrent fort utilement ma formation.

CONSERVATION Comme je l’ai raconté récemment 1, je suis nommé à Dakar pour « libérer » les Archives de l’autorité de l’Institut français d’Afrique noire et de son directeur Théodore Monod, dont les théories et la pratique en

la matière étaient à la fois peu orthodoxes et néfastes à leur préservation et à leur développement. Ma première démarche est d’étudier sur place la situation des archives dans les territoires soumis à ma juridiction : Sénégal, Niger, Haute-Volta, Soudan français, Dahomey (et Togo sous mandat), Côte d’Ivoire, Guinée. De décembre 1951 à avril 1952, je fais la découverte de l’Afrique. Toutes sortes d’aventures m’accompagnent tout au long de mes 10 000 km en avion, 6 000 km sur pistes et 1 000 km sur le Niger : l’avant-veille de Noël, crevaisons à répétition, je couche en pleine brousse en Haute-Volta ; plus loin, il faut attendre la reconstruction du pont effondré pour poursuivre son chemin ; le 1er janvier à Tombouctou, je fête la nouvelle année en participant à un galop dans le désert avec les officiers de la garnison. L’accueil des administrateurs coloniaux est souvent chaleureux et passionnant, parfois nuancé, étonnés par la jeunesse de l’archiviste dont ils ignorent le plus souvent le rôle : à Lomé, je suis fort mal reçu, pris pour un inspecteur des colonies ; à Gagnoa, par contre, à la suite d’une erreur de transmission télégraphique, 1. « Des archives de l’AOF aux Archives du Sénégal », dans Ultramarines, no 28, 2015, p. 32-39.

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LES ARCHIVES

NATIONALES

D’OUTRE-MER :

AU COMMENCEMENT… Bruno Delmas

Conservateur aux Archives d’outre-mer (1966-1967 et 1969-1973) Président de l’Académie des sciences d’outre-mer (2015)

Jeune conservateur aux Archives nationales depuis mai 1966, je fus presque immédiatement mis à disposition de Pierre Boyer, conservateur en chef, chargé du dépôt annexe des Archives d’outre-mer, alors en fin de construction à Aix-en-Provence. Il s’agissait d’une mission temporaire pour l’assister dans la préparation de l’inauguration du nouveau dépôt et de la tenue du congrès annuel de l’Association des archivistes français qui devaient s’y dérouler trois mois plus tard. J’arrivai à Aix le 6 juillet, le bâtiment administratif était achevé et l’embryon du service, logé jusqu’alors dans une villa voisine, y avait emménagé deux jours plus tôt ; Pierre Boyer et sa famille s’étaient installés dans le logement de fonction. Quant à la première tranche du bâtiment des magasins, on commençait à ranger des livres dans la bibliothèque au rez-dechaussée, des archives aux 1er et 2e étages, les seuls à être achevés et rayonnés, on implantait des rayonnages aux 3e, 4e et 5e étages, tandis que les Compagnons du devoir montaient la charpente et la couverture de cuivre au sommet de l’édifice. La petite équipe des archives était composée, outre de Pierre Boyer, ancien archiviste en chef des archives régionales d’Alger qui s’était occupé du rapatriement

des archives d’Algérie, d’un sous-archiviste, Charles Uthéza, ancien du Gouvernement général de l’Algérie, d’un commis, Firmin Calcar, ancien sous-officier originaire des Antilles, bon géant efficace, Fazencani, un ancien colon de Tunisie où il avait une ferme, et un concierge. Cette équipe allait s’étoffer rapidement après mon arrivée dans la perspective de l’inauguration : le 15 juillet arrivait Annie Mata, jeune rapatriée d’Alger, amie de la fille de Pierre Boyer, qui venait de terminer ses études de secrétaire dactylographe ; le 1er août, un ouvrier photographe des Archives nationales, Roger Guyard, chargé de monter et de mettre en route l’atelier de photographie et de microfilmage ; enfin, en septembre, Hector Menozzi. Le festival d’Aix battait son plein. Trouver dans ces circonstances un logement en ville était une gageure : Pierre Boyer m’installa dans un bureau, encore inoccupé, près des douches ; on le meubla d’un lit de fer, d’une chaise, d’une table et d’un vestiaire métallique. Ma cellule me permit d’être à pied d’œuvre. Heureusement, je rencontrai un ami parisien, qui chantait au festival dans la chorale d’Élisabeth Brasseur. C’était le temps où triomphait le baryton Gabriel Bacquier dans ce festival international d’art lyrique, alors exclusivement

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HISTOIRES

En 1966 ouvrait à Aix-en-Provence le Dépôt des archives d’outre-mer, destiné à accueillir les archives rapatriées des anciennes colonies françaises et de l’Algérie. Depuis cinquante ans, les Archives nationales d’outre-mer (ANOM) sont un passage obligé pour toute recherche en histoire coloniale, mais aussi pour

D’OUTRE-MER

tout citoyen désireux de retrouver un parcours familial lié à l’histoire de la France outre-mer. Dans ce livre anniversaire, plus d’une centaine de documents, dont certains inédits et insolites – écrits, cartes et plans, photographies –, sélectionnés dans les quarante kilomètres d’archives conservées par

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mêlées de peuples et de civilisations ».

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