Journal 3 2019

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ESPERANZA T-M asbl Trimestriel n° 3 - 2019

Editeur responsable: Jérôme de Roubaix ChemindeGabelle 5 BE74 0000 2577 3607 4500 Huy esperanza-tm.blogspot.be

Belgique -België PP. 4500 HUY P20 22 94


EDITO Il y a quelques jours l'adolescente suédoise la plus célèbre du moment reprenait la parole dans une instance de prestige : l'ONU. Son discours soulève chez certains les plus méprisantes et hypocrites réactions. Comme nous en parlions dans notre précédent journal les climatosceptiques ne manquent pas y compris parmi des personnes défendant de louables valeurs. A Esperanza, nous avons malheureusement trop de preuves de l'urgence de nous mobiliser et nous organiser contre les injustices et l'oppression. Au nom du profit, la destruction environnementale suit son cours effréné (pp.8-9), la corruption des dirigeants politiques atteint des niveaux invraisemblables (p.6) et l’appât du gain justifie les violences les plus viles. En couverture le portrait de Samir Flores Soberanes. Cet activiste écologiste indigène mexicain (du peuple Nahuatl) a été assassiné le 20 février dernier de deux balles dans la tête, dans l'Etat de Morelos. Il s'opposait avec détermination à un méga plan énergétique du gouvernement et notamment à la construction d'une centrale thermo-électrique (production d'électricité à partir de gaz) dans sa région. Il était un défenseur des droits humains, membre d'une association de protection de l'environnement et animateur d'une radio communautaire. Au-delà des débats scientifiques (sérieux ou loufoques) sur l'influence humaine dans le réchauffement de notre planète et sur son degré de gravité, nous avons que trop de motifs de nous révolter. Ils nourrissent notre détermination, notre envie de continuer notre engagement selon des principes clairs (pp. 3-5), de soutenir des personnes pour qui nous sentons respect et confiance (p.10), d'être solidaires avec les êtres humains forcés à migrer (p.7 et pp.10-11) et de nous inspirer de femmes combatives (p.12). Votre soutien, vos encouragements, vos retours sont précieux et nous permettent d'affirmer que la belle histoire humaine de notre petite et tenace association, longue de plus d'un demisiècle, n'est pas prête de s'arrêter. Le thermomètre peut augmenter plus ou moins vite, la situation se détériorer de façon plus ou moins dramatique, l'envie de continuer à croire en la beauté de l'espèce humaine et en en la possibilité de titiller son meilleur côté ne va pas nous quitter de ci-tôt. Bonne lecture et bel automne à tous.tes ! Thomas ●

Editorial

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Valeurs et principes d'Esperanza

pp.3 – 5

Perou : corruption et migration

pp.6 – 7

Extractivisme (suite):Cerro de Pasco pp.8 – 9

News d'Andre Verheylewegen

p. 10

^ des gens... Titiller le bon cote

pp.10 – 11

Ni soumises ni pieuses !

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Valeurs et principes d'Esperanza TM La petite association Esperanza Tiers-Monde a été créée en 1963 (plus de 50 ans donc de fidélité : certains de nos membres sont des petits-enfants de fondateurs). Notre asbl a fondé son travail de coopération avec des pays en voie de développement (Pérou et Bolivie en l’occurrence) sur le "partenariat", partant du principe que la confiance dans les capacités locales était primordiale. Le choix d’Esperanza s’est toujours porté vers des initiatives dans lesquelles nous avions pleinement confiance, que nous connaissions de près (visites répétées de divers membres, et ce sans aucun frais pour l’association, puisque chacun s’y rend à ses frais). La communication (lettres, courriels et téléphone), le sérieux et la transparence de nos relations avec les collectifs soutenus au Pérou comme en Bolivie sont essentiels à nos yeux. Ce choix nous a permis de nouer des contacts qui se sont prolongées sur des décennies, de tirer les enseignements du passé et d'ancrer le partenariat dans une démarche qui évite tant que faire se peut le paternalisme et la dépendance. Notre asbl privilégie toujours des initiatives collectives qui s’inscrivent sur le long terme. La plupart existent depuis plusieurs dizaines d’années, ce qui témoigne de la persévérance du travail accompli, du fait qu’il est apprécié par les bénéficiaires. Au fil du temps, la qualité des actions menées, grâce à une incontestable expertise acquise au long des années a pu être notablement améliorée. Nous tentons d’œuvrer dans une perspective de "changement de société" tout à l’opposé d’un modèle qui caricaturalement ressemblerait à de "l’apitoiement des bourgeois belges" face aux malheurs du tiers-monde. Nous prônons des valeurs réelles "d’auto-développement solidaire" mené avec un peu d’aide d’Esperanza par les plus défavorisés eux-mêmes. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons choisi, depuis de nombreuses années, de soutenir des initiatives éducatives originales, dont certaines ont prouvé leur durabilité notamment parce que là-bas, comme ici, parmi les membres actifs belges, on voit des enfants de bénéficiaires emprunter les pas de leurs parents. Il est sans doute utile de se rendre compte de notre mode de fonctionnement interne. Notre association se caractérise par le fait que : ●

le travail en Belgique est principalement supporté par une bonne vingtaine de personnes réparties sur la francophonie : région liégeoise (Liège, Embourg, Beaufays), région hutoise (Wanze, Héron, Huy, Marchin), mais encore Bruxelles, Louvain-la-Neuve, Floreffe, SommeLeuze, Clavier et Ocquier; nos frais de fonctionnement sont limités (seuls rentrent dans cette catégorie les frais afférents à la réalisation et envoi du journal, les frais bancaires ainsi que ceux correspondant aux envois d’attestations fiscales) ; p.3


nous sommes organisés, comme le laisse entrevoir le nom des localités citées ci-dessus, en divers sous-groupes, eux-mêmes parfois plus spécifiquement attachés à une des initiatives avec lesquelles ils se chargent d’entretenir une relation suivie (ex : Beaufays pour les actions héritées de l'amitié pour le père Francisco Hulsen en Bolivie ; Floreffe pour l’action Posada Verde à Tablada; le groupe des jeunes pour l’action Puckllay à Carabayllo). Nous somme aussi en partenariat avec le groupe 'C’est pas l’Pérou' (basé autour de Marchin) qui se consacre au soutien du Chibolito.

Le fait que plusieurs membres de notre association aient vécu pendant de longues années sur place nous a permis de toujours prendre en considération les vicissitudes du jeu politique local. Nous avons donc tenu à cultiver la relation entre les initiatives soutenues et les "autorités locales compétentes" en créant dans certains cas des collaborations fructueuses. Toutefois nous veillons à éviter tout risque de récupération de la part d’instances politiques ou ecclésiastiques afin de garantir l’autonomie. Plusieurs des groupes partenaires, tant péruviens que boliviens, sont reconnus notamment par des institutions publiques pour la qualité de leur travail. Depuis ses origines, Esperanza T-M n’a soutenu que des initiatives dont les responsables étaient péruviens ou boliviens (ou belges mais "naturalisés de cœur", présents là-bas depuis plus de 30 ans), tous ancrés dans la vie et le travail de la région de très longue date. Cela traduit la volonté de notre association de ne rien faire "à la place de" mais bien de faciliter le travail de, par et avec les personnes locales. Notre connaissance directe de la réalité locale, les nombreuses relations nouées au fil des ans ainsi que les voyages sur place (jamais financés par l'asbl) nous ont permis de garantir "l’ancrage local". N’étant pas des projets venus de l’extérieur (conçus et pensés ici) mais bien nés et portés par des collectivités locales ils répondent aux besoins et aspirations de la population en étant en accord avec les exigences du contexte. Une des évolutions positives est le fait que nos partenaires savent désormais que le choix de notre asbl se portera toujours vers des initiatives qui s’inscrivent sur le long terme, dans une perspective de "changement de société" tout à l’opposé de ce qui serait des "cadeaux individuels" (du type parrainage par exemple). Bien que notre association ait des moyens limités elle veille à inscrire sa démarche de solidarité dans une visée de "développement structurel durable". En ce sens, elle diversifie les domaines d’action tout en privilégiant l’aspect éducatif. Toutefois, certaines des actions soutenues sont une sorte de pari ou "projet-pilote" (comprenant une dimension de risque, qui se solde parfois par un échec ou plus souvent par une nécessaire réorientation des objectifs, par exemple à cause de changements politiques).

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Cette variabilité dans le temps (qui n’altère pas, bien au contraire, la durabilité) est rendue possible grâce à leur caractéristique, également valorisée, de "malléabilité concertée". En effet, la collaboration avec nos partenaires ne se limite pas à un simple envoi d’argent mais bien à une réflexion, à une prise de distance sur la réalité afin de pouvoir comprendre au mieux la situation. Nous souhaitons ainsi mettre sur pied des actions qui provoquent des changements sur le long terme et en profondeur en évitant au maximum la dépendance. Les initiatives partiellement (ou entièrement) financées par notre association sont actuellement au nombre de dix-sept. Ce sont quelques 10 actions qu’Esperanza soutient aujourd’hui au Pérou : 6 dans le département de Cajamarca, 3 autres à Lima et une en Amazonie dans le département de Madre de Dios (dans la forêt vierge au long du bassin de la rivière Paranapura, affluent de l’Amazone). Mais, historiquement notre association est née pour soutenir le sud de la Bolivie et aujourd’hui en Bolivie nous suivons toujours une demidouzaine d'actions dont plusieurs en relation avec André Verheylewegen et une autre « héritée » d'une relation rendue possible par Francisco Hulsen. En fait, il est à noter que nous parlons indifféremment de "projets", "d’actions", "d’initiatives", parce que le terme "projet" peut aujourd’hui, même s’il est encore communément le plus utilisé, être considéré comme un peu désuet voire comporter une connotation critiquable*. Jérôme * Voir cette excellente analyse sur le terme 'projet' : http://www.scoplepave.org/les-cahiers-du-pave-le-projet

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, , , Peru : corrupcion y migracion ! A Esperanza nous apprécions de vous relayer des informations des deux pays qui nous sont chers grâce aux échos que nous recevons de personnes compétentes et de confiance. L'actualité politique péruvienne est pour le moins agitée au point de me demander s'il y a déjà eu un pays avec autant de chefs d'états derrière les barreaux simultanément. Seule bonne nouvelle dans l'histoire l'impunité ne semble pas absolue même dans les plus hautes sphères et ce quelque soit le camp. Nous reprenons ici un petit résumé de nos amis d'INAMBARI : Démission du président Kuczynski, emporté par l’agitation politique et la corruption. Il est remplacé par son vice président Martin Vizcarra. Juillet 2018, grâce au travail d’une jeune fiscaliste qui a mis sur écoute autorités et magistrats, apparaît au grand jour l’existence d’une mafia au plus haut niveau du système judiciaire. Tout le pays écoute avec indignations, les conversations scandaleuses de hauts magistrats négociant nominations, sentences, pour sauver la tête d’hommes politiques corrompus ou de violeurs d’enfants… Le nouveau président s’engage à prendre la tête de la lutte anti corruption. De jour en jour, tombent les révélations et preuves de l’énorme scandale de corruption mis en œuvre par Odebrecht, une entreprise de construction brésilienne géante. Depuis plus de 20 ans, elle paye d’énormes pots de vin aux politiciens et décideurs afin de gagner tous les contrats dans de nombreux pays d’Amérique Latine, dont le Pérou. Suite aux confessions des dirigeants de l’entreprise Odebrecht, on sait que l’ex président Toledo a reçu plus de 30 millions de dollars. Le Pérou a demandé aux USA qu’il soit extradé. La justice demande 26 ans de prison pour l’ex président Ollanta Humala et sa femme Nadine. Il est fort probable qu’ils seront condamnés avant la fin de l’année. Keiko, fille de l’ancien président Fujimori est en prison. Son père purge une peine de 25 pour crimes de lèse humanité. L’ex-président Alan Garcia s’est suicidé il y a quelques semaines, accablé par les révélations venues du Brésil.

Susana Villaran, ancienne mairesse de Lima est elle aussi en prison… Le plus scandaleux, c’est que les millions qu’ils ont tous reçu, étaient au prix d’une surenchère du prix des œuvres réalisées. La route interocéanique a finalement coûté presque 4 milliards de dollars au lieu des 800 millions prévus. Le gazoduc du sud est passé d’un milliard à 7 milliards… Et cela dans un pays où tant de gens vivent dans la pauvreté, n’ont pas de travail digne, n’ont pas accès à la santé et à une éducation de qualité. La majorité des parlementaires liés au parti des anciens présidents Fujimori et Alan Garcia, se consacre à empêcher que les réformes visant à réduire la corruption soient votées. Dernier épisode, le gouvernement a mis un ultimatum au congrès. Si les réformes n’avancent pas, le parlement pourrait être dissous. Aujourd’hui même a lieu le débat au congrès. L’espérance nous vient des équipes de fiscalistes et de juges qui au péril de leur vie, luttent pour que justice soit faite. Elle vient aussi de la rue, des réseaux sociaux, des jeunes… mobilisés dans la lutte contre la corruption ! Jean Bouquet

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Autre sujet brûlant au pays du ceviche et du pisco les migrants vénézuéliens. Parmi nos amitiés les avis sur la question peuvent avoir quelques nuances sans tomber, évidemment, dans les caricatures outrancières voire les rumeurs surréalistes à leur sujet malheureusement de mise : Sur les 4 millions de migrants VénéXavier A. est évidemment un excellent témoin de zuéliens plus de 860'000 sont accueillis au l'Amazonie, et un bon critique de la situation Pérou. En juin ce furent 44'700 péruvienne. Ses observations sur la selva valent Vénézuéliens qui passèrent la frontière la peine! Sur un point cependant, il me semble depuis l’Équateur En juillet ils n’étaient que son texte exagère un peu la mauvaise plus que 3'800 depuis que le Pérou a influence des Vénézuéliens. Il y a bien sûr des rendu obligatoire l’obtention d’un « visa délinquants parmi eux (on en a renvoyé un humanitaire ». Pour l’obtenir il faut faire certain nombre!), et la télévision s'en empare, d’immenses queues devant le consulat mais il y a surtout d'innombrables personnes de péruvien. L’option est soit de payer un tout genre, beaucoup de jeunes, de femmes poste avancé dans la queue ou de payer seules avec petits enfants, de familles entières... un passeur. Dans les deux cas il s’agit de qui essaient de survivre (au moins 400.000 à mafias qui s’imposent comme des Lima) en vendant n'importe quoi et en acceptant vautours. Il est intéressant de savoir, à des travaux encore plus mal payés que les titre de comparaison, que 3 millions de Péruviens, louant une chambre pour cinq péruviens ont quitté le pays dans les personnes, etc. Et le plus grand nombre a mêmes but de trouver un avenir meilleur. l'intention de rester!! Problème social énorme, Surtout il y a vingt ans, au temps de donc, et pour longtemps, et la xénophobie Fujimori. pourrait augmenter. [...] Les Vénézuéliens s’ajoutent aux Cubains et Colombiens qui viennent au Pérou pas toujours pour des motifs humanitaires mais pour reproduire ici les délits qu’ils commettaient chez eux. C’est pour cela qu’ils n’ont pas la cote auprès de la population. Les Vénézuéliens sont vus comme des voleurs violents, les Colombiens comme des prêteurs sans pitié qui tuent ceux qui ne les remboursent pas et les cubains comme des paresseux etc. Et pourtant la majorité d’entre eux essayent de s’en sortir honnêtement pour envoyer des fonds à leurs familles restées au pays. Tous se sentent mal dans la vie de tous les jours car leur accent les trahit et le gros de la population les regarde de travers. Même les services sociaux sont sur leurs gardes et font une enquête plus sérieuse qu’avec les nationaux avant de leur offrir une aide. Comme souvent les justes payent pour les pécheurs… Xavier Arbex

L'Église est pratiquement seule à se prononcer en faveur des Vénézuéliens, et à organiser un certain nombre d'actions et d'organisations pour leur venir en aide (c'est le cas à San Juan de Lurigancho)... Ce sont les "pauvres" du moment! (il y en a toujours beaucoup d'autres). D'autre part, notre nouvel archevêque de Lima (et vieil ami et dirigeant de la JEC et de l'UNEC), Carlos Castillo, a bien démarré et donne un souffle d'air frais par gestes et paroles (notamment une remarquable homélie devant les autorités à la Messe-Te Deum du 28 juillet); il s'est aussi entouré de bons conseillers. Plusieurs évêques nommés récemment vont dans la même ligne, et on sent dans les journaux une nouvelle attitude... Bien sûr, il reste beaucoup à faire. Le prochain Synode sur l'Amazonie a suscité pas mal d'intérêt et de rencontres. Le Pape reste une source impressionnante d'enseignements et de gestes importants, mais tout ne peut dépendre de lui, et il est loin d'être toujours suivi et accepté! Pedro de Guchteneere p.7


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, , Cerro de Pasco ou le prix demesure de l’exploitation miniere* Une mine gargantuesque…

La ville de 90 000 habitants (4330 m d’altitude), capitale minière du Pérou, se caractérise par une mine à ciel ouvert qui s'étend sur plus de 2 kilomètres et atteint près de 400 mètres de profondeur en son centre, rognant et menaçant directement les habitations qui se trouvent parfois à seulement quelques mètres de distance. Le site appartient aujourd’hui à Volcán, entreprise péruvienne dont la majorité des actions sont détenues depuis 2017 par la multinationale suisse anglo-suisse Glencore. Suite à la chute des prix des métaux en 2013, les activités minières ont diminué. Mais avec la remontée du prix du zinc et de l’argent, celles-ci ont repris avec de nouvelles structures, notamment une usine de traitement des montagnes de déchets miniers qui contiennent encore des minerais exploitables.

…aux conséquences désastreuses pour l’environnement Cerro de Pasco est considérée comme une des villes aux conditions de vie les plus difficiles, non seulement à cause de l’altitude et du climat, mais surtout à cause des effets négatifs et irréversibles de l’exploitation minière. En effet, celle-ci a des conséquences terribles pour l’environnement et la santé de la population aux alentours. Les deux lagunes Quiulacocha et Yanamate près de Cerro Pasco symbolisent bien la catastrophe écologique provoquée par l'extraction minière dans la région. Ces zones naturelles, essentielles à l’équilibre de l'écosystème andin, ont été polluées par les eaux usées de l’usine de traitement des minerais. Les métaux lourds - l'arsenic, le cadmium, le chrome, le cuivre, le fer, le manganèse, le plomb et le zinc - trouvés dans l’eau sont supérieurs aux normes nationales et internationales. Le fer, le manganèse et le zinc par exemple dépassent respectivement approximativement les limites de 6000, 2200 et 197 fois leur niveau de garde, au-dessus duquel il y a des dommages à l'environnement et des risques pour la santé. Elisabeth Perez, la représentante de l’ONG Labor que nous avons rencontrée nous a expliqué que « l’eau est devenue très acide (avec un pH respectif de 2.5 et 1.7, soit 50 000 fois plus acide que le pH neutre). La vie aquatique a ainsi disparu et la biodiversité reste très affectée ». Plusieurs fleuves (Tingo, San Juan la rivière Huallaga) prennent leur source à Cerro de Pasco et présentent tous des niveaux élevés de pollution. La vie de centaines de milliers de personnes situées en aval dépend de ces fleuves. Ceci explique d’ailleurs que l’élevage ait drastiquement diminué, aussi bien quantitativement (d’environ 30 à 35%) que qualitativement (les animaux sont plus maigres et malades). La population souffre ainsi d’insécurité alimentaire ainsi que d’un stress hydrique C’est-à-dire que la demande dépasse la quantité d'eau disponible ou que la mauvaise qualité de l’eau en limite l'usage. à certains endroits (à Cerro de Pasco par exemple l’eau est rationnée à une heure par jour). De plus, les habitants de la région sont exposés aux métaux lourds (plomb, arsenic, etc.) à travers l’eau qu’ils utilisent, les aliments qu’ils consomment, mais aussi à travers l’air qu’ils respirent car de fines particules provenant des terrils de déchets miniers non protégés sont transportées par le vent. Ils souffrent ainsi de graves problèmes de santé. *Cet article est la suite et fin de celui paru dans notre journal précédent. Il a été publié par Justice et Paix !

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Les droits à un environnement sain, à une eau potable et en quantité suffisante, à une alimentation saine et sans substance toxique, pourtant fondamentaux, sont donc clairement violés à Cerro de Pasco et dans la région. L’ONG italienne Source International, qui a mené des études dans la ville, n’hésite d’ailleurs pas à qualifier la situation de crime environnemental, de crime contre les ressources naturelles (selon la Loi péruvienne n° 29263) et de crime contre l’humanité . .

Des alternatives au niveau local

Non loin de La Oroya, dans le district de Santa Rosa de Sacco, Yolanda Surita, agente pastorale, a décidé d’agir à son échelle avec un groupe de femmes. Depuis 1999, elles mènent bénévolement un projet de reforestation des zones contaminées. À ce jour, elles ont reforesté 21 ha de terrain que leur a concédé la communauté. Maintes fois persécutées par Doe Run, qui a détruit durablement l’unité de la communauté via différentes stratégies, elles continuent de mener ce travail au profit des générations futures. « Notre rêve serait de pratiquer un jour l’agriculture familiale ici » témoigne Yolanda. En aval de La Oroya, à Cruz Pampa, les habitants ont été approchés il y a dix ans par une entreprise minière qui souhaitait exploiter le phosphate présent dans leurs terres. Après concertation, les habitants ont décidé de refuser l’offre car, selon eux "l’entreprise donne de l’argent mais l’agent ne nourrit pas". Conscients des impacts négatifs de la mine et de la raréfaction des ressources naturelles, notamment de l’eau, ils ont plutôt décidé de se tourner vers un projet d’agriculture et de reforestation (soutenu par Caritas). Le pin a été choisi comme arbre car, en plus de grandir rapidement et de fournir du bois, il améliore l’écosystème en captant l’eau dans le sol. Comme dit Luis, le président de la communauté : "Ici on est tranquille. Il n’y a pas de violence mais un air pur, un mode de pensée sain. La communauté est la preuve que la mine n’est pas la seule alternative, comme ils veulent le faire croire !"

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News d'Andre Verheylewegen André est un ami de longue date d'Esperanza qui coordonne plusieurs actions soutenues par notre petite ONG*.

Titiller le bon , ^ des gens ! cote

Prêtre et médecin il n'épargne ni sa peine ni sa santé. Il n'est plus de prime jeunesse et lors de son dernier passage il nous raconte ce qui lui est arrivé d'émouvant et touchant mais aussi de hautement symptomatique des habitudes des gens en Bolivie ! Récemment, il s'est brusquement senti handicapé par de violentes douleurs. Diagnostic implacable : il lui faut une prothèse de hanche. Habituellement peu inquiet pour lui-même (ne se préoccupant qu'après tout le reste de sa propre santé), il décida cette fois de consulter ses collègues hospitaliers locaux. Mais voilà c'est cher et là-bas non remboursé, d'où émoi parmi ses proches sur place. Ceux-ci organisèrent aussitôt une collecte parmi tous ceux qui le connaissent, l'apprécient et lui sont très reconnaissants. Voilà qu'en dix jours à peine ils purent lui apporter un chèque de 5.000 dollars, excusez du peu ! Impressionnant et fort touchant évidemment ! Mais étonnant ? Pas tant que cela ! Au Pérou, comme en Bolivie, les gens sont en effet coutumiers du fait. Lorsque dans les bidonvilles un voisin est hospitalisé ou endeuillé, pour faire solidairement face aux grosses dépenses encourues, très vite s'organise une 'pollada' (gigantesque barbecue de poulet), des voisins cuisinent des dizaines (voire des centaines) de repas avec les apports de chacun et tous viennent y manger en payant leur place d'un prix qui financera la cagnotte remise à la victime. C'est devenu, une habitude admirable qui leur parait tout ce qu'il y a de plus naturel. La sécu n'a rien inventé ! Jérôme Nous vous conseillons cet excellent film sur son travail : https://1950saintdominique.com/voix-deglise/ et ce texte écrit à l'occasion d'un prix qu'il a reçu : http://www.md.ucl.ac.be/ama-ucl/prix2007.html

Elle s’appelle Tatiana, elle aura 60 ans dans quelques jours, elle est d’origine équatorienne (de la capitale Quito), vit en Espagne depuis 20 ans, est chauffeur poids lourds depuis 12. Nous nous sommes connus dans une station essence d’Aragon où je m’adonnais à une activité qui me tient à cœur et que j’aime appeler "titiller le bon côté des gens" : l’auto-stop ! Les raisons de mon attachement sont diverses : échange non monétarisé, confiance mutuelle, incertitude inévitable quant à l’issue, exercice psychologique d’optimisme et de patience, bousculement de mes stéréotypes et, par-dessus tout, incroyable diversité des rencontres humaines. Non seulement, en une journée, il m’arrive d’entrer en contact avec des personnes de toute sorte que je n’aurais pas pu connaître autrement, mais en plus, la particularité du contexte permet une qualité d’échange particulière. J’ai souvent eu l’impression de réussir à m’intéresser avec sincérité aux récits et aux idées des individus derrière le volant, même lorsque celles-ci étaient diamétralement opposées à celles qui me sont chères. Dans le cas de Tatiana, ce qui m’a touché c’est son parcours de vie qui m’a semblé symptomatique de notre époque, de notre société et de ses aberrantes injustices. Et ce n’est pas qu’elle soit du genre à se plaindre, bien au contraire ! Enseignante de formation, adventiste convaincue, elle perdit son mari très jeune et éleva ses deux enfants seule. p.10


Elle décida de migrer en Espagne pour tenter de leur offrir un ‘meilleur avenir’, acceptant de venir au pays des corridas pour s’occuper d’une personne âgée. Faisant face à la ‘crise économique’ sa fille de 33 ans (maman, à son tour, d’une petite de 3 ans) et son fils de 35 ont migré à nouveau et vivent aujourd’hui à Londres. Elle a tenté de les rejoindre mais sans que l’expérience ne soit une réussite. Elle dit adorer son travail qui lui permet de voir du pays, de savourer des paysages et des luminosités variées depuis la hauteur de sa cabine et avec un pare-brise qui vaut le meilleur des écrans géants. Elle rêve d’écrire un livre dont elle a déjà trouvé le titre alléchant : "Ma vie a 90 km. heure !".

Désormais, il taffe dans une exploitation de milliers de porcs élevés dans des conditions atroces, étant lui-même exploité pour un salaire de 1000 € par mois. "Réjouissons-nous, on a ainsi, dans nos supers, de la viande bon marché pour nos barbecues !" me dit ironiquement Tatiana, alors que nous passons à côté du blinquant neuf plus grand abattoir d’Europe*. Tout cela le rend malade mais elle l’encourage à tenir bon jusqu’à ses 65 ans pour bénéficier d’une retraite. Je ne me serais pas permis de porter le moindre jugement mais je lui ai quand même glissé affectueusement, descendant de son semi-remorque : "Courage à votre mari et faites quand même attention : vivre pour l’après peut s’avérer un pari risqué si on se fait trop de mal maintenant !".

Il y a quelques temps, sans trop s’y attendre, elle a ‘retrouvé l’amour’ (en version couple). Elle a épousé une connaissance de l’enfance, écuatorien et adventiste lui aussi, chirurgien vétérinaire qui a réussi, après bien des démarches, à la rejoindre en Espagne. Le récit de la vie qu’il mène m’a bouleversé. Amoureux des animaux, son diplôme n’étant pas reconnu par la vieille Europe colonialiste, il s’est retrouvé contraint d’accepter divers ‘petits boulots’.

Une rencontre comme celle de Tatiana me rappelle pourquoi j’essaie de privilégier l’autostop au lieu de céder à la tentation des vols low-cost. En terme d’expérience cela n’a pas de point de comparaison. Tendre le pouce a le mérite de me faire goûter à cette forme d’inconfort de la découverte et m’offre un sentiment de liberté que Kundera décrit avec ces mots :

Il a commencé par être ouvrier dans un élevage de vaches en mode industriel, passant à la traite 3 fois par jour bien que ce soit interdit. Cela lui imposait des horaires surréalistes : un jour sur deux il commençait à 6h du matin terminant à 4h du matin suivant, l’autre jour il avait la chance de ne travailler ‘que’ 4 heures (au lieu de 22).

"Elle, qui avait toujours eu peur de chaque pas qu’elle devait donner, soudain se sentait complètement libérée. Cette vie ‘étrangère’ dans laquelle elle se trouvait était une vie sans gêne, sans déterminations biographiques, sans passé et sans futur, sans attaches ; c’était une vie exceptionnellement libre. La fille, étant autostoppeuse, pouvait tout faire : tout lui était permis ; dire n’importe quoi, faire n’importe quoi, sentir n’importe quoi." (M.Kundera – "Le jeu del’autostop") Thomas p.11



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