Journal 2 2019

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Bulletin ESPERANZA T-M a.s.b.l

Trimestriel n° 2 - 2019

Editeur resp. : Jérôme de Roubaix 5 Chemin de Gabelle – 4500 HUY esperanza.tiersmonde@gmail.com

Belgique – Belgie P.P. 4500 HUY P20 22 94

. Retour sur l’AG 2019

pp. 2-4

. Bilan financier

p. 5

. Posada verde (Pérou)

p. 6

. ‘Justice et Paix’ (1ère partie)

pp. 7-8

. Interview G.Duquenne

pp. 9-10

. Patchwork démobilisateur !

pp.10-11

. Rincón de las cosas buenas p. 12

Votre participation pour soutenir ces initiatives en Bolivie et au Pérou est précieuse : Compte commun:

ESPERANZA TIERS-MONDE BE74 0000 25 77 36 07


Dimanche 19 mai dernier, à Boncelles, une majorité d’administrateurs et de membres effectifs de notre ASBL se réunissaient pour l’AG annuelle. A l’ordre du jour, l’examen du bilan et des comptes de l’année 2018. En lisant le bilan financier ci-joint, le niveau des ressources est resté assez stable par rapport aux années antérieures. Cela nous a permis d’ assurer les engagements pris vis-à-vis des initiatives partenaires en Bolivie et au Pérou. Ce beau résultat, c’est évidemment à nos donateurs et sympathisants que nous le devons, à vous qui êtes solidaires de nos actions. Soyez-en chaleureusement remerciés ! Au nom de notre ASBL, je voudrais aussi remercier Gilles, notre nouveau trésorier, qui a su prendre le train en marche, prennant le relais de Jacqueline. Autre bonne nouvelle : au prix d’un travail opiniâtre et de pas mal de stress, fin mars nous avons obtenu du Ministère des Finances la reconduction de l’agrément de notre ASBL en matière de déductibilité fiscale des dons reçus et ceci pour les 5 années à venir. Sur ce plan, nos généreux donateurs peuvent à présent être rassurés, comme nous le sommes nous-mêmes ! L’AG n’a pas seulement discuté ‘chiffres’. Grâce aux nouvelles récentes, elle a analysé l’évolution des initiatives soutenues, leurs avancées et leurs difficultés, ceci de manière à bien cibler nos interventions en 2019. Une résolution prise : renforcer la fréquence du dialogue avec les entités péruviennes et boliviennes en confiant aux membres du C.A. qui manient la langue espagnole l’initiative d’un courrier régulier avec les groupes locaux. A. EDUCATION / JEUNESSE

‘Alcides Vasquez’ - Bambamarca ( Pérou) :

Le projet est affecté par des jalousies et dissensions entre religieuses. Les écoles primaire et secondaire continuent de fonctionner tandis que l’école normale a fermé ses portes. Au vu des exigences de l’Etat péruvien, on peut s’interroger sur le maintien du caractère alternatif de l’enseignement prodigué. L’AG regrette l’évolution négative de ce qui fut un projet intéressant et convient d’attendre les développements futurs.

‘Puckllay’ - Caraballyo (Lima) :

L’école du cirque continue d’offrir une activité culturelle aux jeunes du bidonville. Architectes Sans Frontières a octroyé une aide au projet et celui-ci tire un revenu des spectacles qu’il organise. ETM est vraisemblablement la seule ONG internationale à soutenir le projet dans la durée et certains se demandent si l’allocation annuelle de 1.500 € est suffisante.

‘Posada Verde’ - Tablada (Lima) :

3 membres du groupe de jeunes ont été élus pour se charger de la gestion de la maison des jeunes, ceci avec un petit pécule (100 Soles/ mois) à la clé.

RETOUR SUR

L’AG 2019

Jusqu’à présent, l’apport d’ETM servait à payer l’électricité et autres frais. La maison des jeunes peut générer quelques rentrées. En résumé, le projet est vivant et bien géré. 2


‘Chibolitos’ - Cajamarca (Pérou) :

Fred Struys avait fourni un rapport de mission très complet lors du dernier CA. Alain nous informe que le groupe a trouvé une maison à louer. Après pas mal de difficultés, une nouvelle dynamique paraît s’installer (suite à la mission de Fred qui s’est rendu sur place). «C’est pas l’Pérou» est bien actif (souper, week-end cabanes, soirée bières spéciales...).

‘Luz de Esperanza’ - El Alto (Bolivie) :

Le dialogue n’a pas encore abouti (après un contact établi par Thomas). Alain et Myriam Laigneaux vont tenter de renouer le contact. Il conviendra de s’assurer de sa viabilité.

B. CULTURE / FORMATION

‘Bibliothèques Rurales’ - Cajamarca (Pérou): Un rapport d’activités détaillé

nous informe que leur rôle dans les écoles s’est renforcé et leur portée géographique s’est étendue. En 2018, quatre publications ont vu le jour et des échanges de livres ont été organisés. Le projet n’a pas encore chiffré ses besoins financiers pour 2019 et est à la recherche d’un successeur au poste de coordinateur.

‘Cascas’ ( Pérou) :

Le projet (soutenu par la fondation Roi Baudouin) est cité pour mémoire.

Rolando prête toujours son concours à des sessions de formation et de conscientisation. ETM n’a pas reçu de nouvelles récentes. L’AG note que Cascas est bénéficiaire des dons d’une paroisse ardennaise (FisenneSoy) qu’elle lui fait parvenir via ETM.

Alota (Nor Lipez – Bolivie) :

‘Yurimaguas’ (Amazonie péruvienne) :

‘Nidelbarmi’ - El Alto/Potosi ( Bolivie) :

Le projet (internat pour étudiants du campo) est cité pour mémoire.

‘Colquechaca’ ( Bolivie) :

Le vaste projet animé par André Verheyleweghen continue à apporter une structure et un appui aux groupes de jeunes en matière de formation. Dans certains cas, le coût des études et séjours scolaires est pris en charge.

Pas de nouvelles récentes sur les financement reçus ou demandés, ce qui peut s’expliquer par l’agenda chargé du coordinateur (Jorge Velez). Ce dernier, figurait parmi les candidats à un prix en Espagne ; Entraide & Fraternité, tout comme ETM, ont appuyé son dossier de candidature. ETM envisage le même soutien que l’an dernier (2.000 €).

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‘Colquechaca’ ( Bolivie) :

L’action continue en matière d’éducation à la non-violence, de prévention de l’alcoolisme et de l’usage des stupéfiants. C. ORGANISATION POUR LA SANTÉ

‘Ayuda en Accion’ - Tablada (Lima) :

Cette initiative prend en charge des enfants handicapés et réalise un effort de formation des promoteurs de la santé. Elle fait face à un problème : le terrain qu’elle occupait vient d’être vendu suite au décès du propriétaire. Christine Grard pense que davantage de prise en charge locale serait souhaitable pour que Rosa, la coordinatrice, parvienne à mieux déléguer. La finalité reste très positive et même en l’absence de local, les visites à domicile peuvent continuer tout comme notre soutien.

‘Una gotita de salud para los ancianos’ Ayata (Bolivie) : Pas de nouvelles depuis 2 ans. Le Père Javier a été muté. L’AG décide de clôturer ce poste.

‘Colquechaca’ (Bolivie) :

Dans ce domaine, des actions sont menées au niveau des soins (p.ex. vaccinations), des formations en santé et prévention des maladies. Une partie des ressources est consacrée au transport des patients. D. DÉFENSE DE L’ENVIRONNEMENT

‘Grufides’ - Cajamarca :

La situation reste tendue dans la région et la défense, au niveau juridique, des droits des campesinos contre l’action des puissantes compagnies minières reste bien nécessaire*.

‘Colquechaca’ - (Bolivie) :

Diverses initiatives en cours en matière agricole (irrigation, semences, pépinières, produits phytosanitaires) et d’infrastructures telles que routes, ponts et locaux multifonctionnels.

‘Creamos’ - Cochabamba (Bolivie) :

Le groupe de Beaufays-Ninane a rétabli le contact. La collaboration s’orienterait vers un volet ‘environnement’ avec une activité apicole, la culture de potagers et de plantes médicinales. La partie apiculture (‘La miel de la vida’), vise 56 familles dont, à ce stade, 26 sont aidées. Les aides venant d’Italie et d’Espagne ayant baissé, Creamos a émis une demande de subside bien trop importante pour les moyens de notre ASBL. L’AG décide, d’une part, de solliciter l’avis d’Etienne Dubois quant aux coûts et techniques d’ apiculture et, d’autre part, de demander à Creamos des précisions supplémentaires. Sortant des sentiers battus, l’aprèsmidi fut consacrée à une réflexion commune sur l’orientation et les perspectives à terme de notre ASBL compte tenu de l’âge, l’état de santé, la disponibilité, l’énergie et les motivations des uns et des autres. Notre mode de fonctionnement fut également scruté sous la loupe. Pour une association qui s’est structurée il y a bientôt 45 ans, un tel exercice de remise en question n’est pas du luxe ! Cette réflexion vient à peine d’être entamée. Dès lors, nos lecteurs comprendront qu’il serait prématuré de publier ici des conclusions. Il faut toutefois souligner que cet échange s’est déroulé en toute liberté et dans un esprit résolument constructif. Ce débat continuera donc lors de prochaines réunions. Jean-Louis

* Voir à ce sujet les articles pp. ...

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BILAN FINANCIER 2018 Disponible au 01/01/2018 Colquechaca Chibolito (provision) Sous-total reporté de 2017 :

15.246,92 11.144,50 8.000,00 34.391,42

Recettes 2018 : Souper St Valentin Marche ADEPS Pièce de théâtre Dons Colquechaca Dons divers Pérou / Bolivie et compte commun Cotisations 2018 Intérêts bancaires

2.131,86 1.567,00 975,00 26.898,28 14.889,74 80,00 ---,--

Total recettes de l’ exercice : Total recettes 2018 et solde 2017 :

46.541,88 80.933,30

Dépenses 2018 : Bolivie → Colquechaca Pérou → Chibolito Grufides Tablada Cascas ( P.Rolando) Bibliothèques Rurales Yurimaguas Projet Puckllay

30.984,01 2.000,00 (*) 3.000,00 2.000,00 1.478,22 1.500,00 2.000,00 (*) 1.500,00

Total projets Pérou :

13.478,22

Éducation au développement (journal et timbres) 2.013,52 Frais financiers 274,77 Total dépenses 2018 :

46.750,52

Solde au 31.12.2018 :

34.182,78

Disponible : 34.182,78 - 12.000 provisionnés Chibolito - 2.000 provisionnés Posada Verde (Tablada) - solde de 7058,77 Colquechaca = 13.124,01. (*) transférés début 2019 5


‘Posada Verde’ (Pérou)

Le projet Posada verde (Auberge verte) se situe à Tablada de Lurin, un bidonville perché à flanc de montagne au sud de Lima. Le nom de ce projet prend source dans le but de celui-ci : être une « posada » c'est à dire un lieu d'accueil . le mot verde qui y est associé « verde » (verte) lui est ajouté car le terrain à un espace jardin avec quelques arbres, ce qui est assez rare dans ce lieu construit dans le desert. Il s'agit d'un lieu de réunion qui permet à des jeunes de 16 à 30 ans et à des mères de famille de se rencontrer une fois par semaine et de façon plus ponctuelle tous les jours, pour suivre des formations s'étalant sur plusieurs mois ou pour mener des activités diverses. Quatre adultes animent ces activités : une sociologue responsable du projet, une ingénieurcomptable, une institutrice animatrice et une conseillère. Les mères de famille ont ainsi la possibilité de discuter de problèmes familiaux, entre autres concernant leurs enfants, en présence d'une sociologue. Les cours et ateliers pour les jeunes ont porté sur plusieurs thématiques : la menuiserie, la musique (guitare), des ateliers de développement personnel, des mises à niveau durant les vacances et la formation de leaders.

Des activités culturelles et de solidarité pensées avec les jeunes sont aussi subsidiées telles que des visites de villes, ou des voyages solidaires (comme lors du dernier tremblement de terre). Par ailleurs, un groupe de jeunes de 12 à 16 ans est également pris en charge par une animatrice chevronnée et des jeunes plus âgés désireux de s'impliquer. Le but est d'offrir un lieu et des activités en prévention de la délinquance et de la violence des bandes urbaines nombreuses à Tablada lesquelles recrutent parmi les jeunes qui trainent dans la rue. L'aide de notre association a servi à la construction d'un local en briques et à son entretien, au payement des factures d'eau et d'électricité, mais aussi au financement des cours et ateliers. Pour 2019, nous avons budgété 1500€, somme qui peut sembler modique, mais qui est précieuse dans le cadre d'une petite organisation qui n’a pas d'autres subsides. Une somme de 4000€ supplémentaires va leur être exceptionnellement accordée pour leur permettre de mettre un toit solide sur le local. Ajoutons que Christine (membre active d'Esperanza) se rend régulièrement au Pérou et que les projets soutenus à la Tablada lui tiennent particulièrement à cœur. Elle entretient de vrais rapports d'amitié avec les responsables locaux et nous ramène donc, après chaque voyage, un compte rendu de l'évolution.

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Extractivisme destructeur au Pérou (‘Justice et Paix’) Pour le Pérou, qui se situe dans le top 10 mondial des producteurs d’or, d’argent, de cuivre, de zinc, de plomb, d’étain, etc. le secteur minier reste essentiel à son économie. Hélas, ces activités minières sont encore synonymes de dégâts environnementaux parfois irrémédiables et d’atteintes aux droits de l’homme. Nous avons déjà fait écho à ces méfaits notamment à Cajamarca où l’ONG Grufides, l’un de nos partenaires, dénonce les abus liés au Projet Conga. Suite à une mission de ‘Justice et Paix’ menée en décembre 2018 nous vous proposons un nouveau regard sur cette problématique. Zoom cette fois-ci sur une autre région, celle de la sierra centrale du Pérou et sur La Oroya et Cerro de Pasco*, deux villes qui portent les stigmates de l’activité minière.

La Oroya ou le mépris de l’État péruvien pour les droits humains

Lorsqu’on pénètre dans la ville de La Oroya (4000m d’altitude), on perçoit directement l’omniprésence de la compagnie Doe Run. Des affiches vieillies présentent l’engagement de celle-ci en faveur de la protection de l’environnement. Les logements des travailleurs de l’usine bordent l’axe routier central où le trafic est dense. Des rails de chemin de fer traversent la ville et assurent le transport quotidien des laminés de cuivre, de zinc et de plomb jusqu’à Lima. Plus on avance et plus le paysage change ; les collines verdoyantes laissent place à des flancs de montagne blanchis par les fumées toxiques de la cheminée de l’usine.

Stratégie de séduction

Doe Run Pérou est propriétaire du complexe depuis 1997, suite à son rachat à l’entreprise d’État Centromin Pérou. Fondé en 1920, le complexe métallurgique dispose d’une technologie vétuste de fonderie et de raffinerie du cuivre (1922), du plomb (1928) et du zinc (1952). Malgré des rénovations en 1983 et 1994, l’usine est conçue pour traiter des concentrés de métaux ‘sales’, c’est-à-dire avec des niveaux prohibitifs d’arsenic, de cadmium, de plomb, etc… Ainsi, entre 1997 et 2004, Doe Run a transformé des concentrés de cuivre ‘sales’ provenant de l’étranger dont 41,6% contenait 1,53 fois plus d’arsenic que les concentrés ‘sales’ nationaux. C’est contraire à la Convention de Bâle sur l’importation de matériaux et déchets toxiques dangereux. Dès son arrivée, la compagnie états-unienne tente de gagner les faveurs de la population. « Les premières années, Doe Run offrait énormément de choses à la population : des cadeaux, des grandes fêtes annuelles, etc. Ils cherchaient à se faire apprécier » explique Liliana Carhuaz, de l’ONG Red Muqui.

* Dans ce journal le premier volet (La Oroya), le second dans le prochain (Cerro de Pasco).

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De nombreux habitants travaillent dans l’usine pour subvenir aux besoins de leur famille. L’activité de l’usine est intense, la pollution qui en émane aussi. D’épaisses fumées s’échappent de la cheminée du complexe. «Vers 2003, 2004, c’était impossible de respirer quand on sortait de chez soi » se rappelle Liliana. A l’époque, des ONG commencent à dénoncer les émissions toxiques de l’usine. Elles se retrouvent vite sous le feu des critiques, notamment de la part des travailleurs qui soutiennent vivement l’entreprise. L’impasse judiciaire Les ONG réclament que des analyses de sang soient réalisées pour pouvoir évaluer le niveau de contamination de la population. En 1999, l’État péruvien sous pression réalise des analyses et constate que 99% des enfants qui habitent autour du complexe souffrent d’une intoxication au plomb avec des niveaux 6 à 7 fois supérieurs aux limites admises. Aucune action n’est cependant mise en place. En 2004, les Centres pour le Contrôle et la Prévention des Maladies et le Centre de Santé Environnementale des ÉtatsUnis réalisent une autre étude et découvrent chez tous les enfants analysés des niveaux élevés non seulement de plomb mais également de cadmium, d’arsenic et d’autres métaux lourds. Malgré ces révélations, aucune mesure n’est adoptée, ni par l’État, ni par l’entreprise. « Doe Run a rejeté la faute sur le trafic automobile intense de la ville, sur la mauvaise alimentation des familles ou encore sur les comportements à risque des enfants qui lèchent les murs de terre chargés en métaux lourds des maisons » explique Liliana. En guise de solution, l’État préconise de se laver les mains régulièrement, de bien nettoyer sa maison et de manger du calcium. Des mesures bien insuffisantes face à la gravité de la situation. Face à l’inertie, un groupe d’habitants décide de présenter une action contre l’État dans le but de protéger ses droits à la santé et à un environnement sain. En 2006, le Tribunal Constitutionnel déclare l’action fondée et ordonne à l’État de mettre en place des mesures dans les 30 jours : un système d’urgence médicale, un plan d’action pour améliorer la qualité de l’air, une déclaration d’état d’alerte lors des pics d’émission, des programmes de surveillance épidémiologique et environnementale. À ce jour, ces obligations n’ont toujours pas été mises en place par les autorités péruviennes. En 2009, l’entreprise fait face à des difficultés financières et paralyse ses activités. Le niveau de contamination insoutenable de la population a également influencé cette décision. Depuis lors, elle ne fonctionne plus qu’à 35% de ses capacités. « Ils ont rejeté la faute de l’arrêt de leurs activités sur les ONG, en disant qu’ils ne pouvaient surmonter les normes environnementales trop strictes » explique Liliana. Pourtant, « nous ne sommes pas contre l’entreprise mais on souhaite qu’ils agissent correctement et dans le respect des droits des populations » se justifie Liliana. Assumer leurs responsabilités reviendrait selon les entreprises et l’État à reconnaître les externalités négatives évidentes de leurs actions, ce qu’ils ne sont pas disposés à faire franchement. 8


Interview Géraldine Duquenne (‘Justice et Paix’) Quel est le but du travail de Justice et Paix ? Notre but est de montrer les interdépendances qui existent entre le « Nord », la Belgique et les conditions de l’extraction minière dans les pays du « Sud », comme le Pérou par exemple. Lorsqu’on achète un smartphone en Belgique, on se questionne rarement sur sa composition, on ignore qu’il contient environ 40 minerais extraits dans des conditions qui nuisent bien souvent aux populations locales. Nous voulons informer le consommateur de cette réalité afin qu’il puisse faire évoluer son comportement, adopter une consommation responsable. Vous menez aussi un travail au niveau politique ? Oui, en effet, nous pensons que les changements se produisent en articulant différents niveaux d’action. Le politique a clairement son rôle à jouer. C’est pourquoi nous menons des actions de plaidoyer. Un exemple est la plainte que nous avons présentée avec 27 organisations péruviennes auprès de la Commission européenne pour des violations du Pérou de l’accord commercial qu’il a signé en 2012 avec l’Union européenne. Cet accord (dont nous doutons du bénéfice) contient des engagements de protection de l’environnement et des droits du travail. Nous avons observé que le Pérou ne les respectait pas. Depuis lors, la Commission européenne a exigé du Pérou de rectifier le tir. Nous resterons attentifs aux changements concrets sur le terrain. Comment agir contre les abus des multinationales que vous avez observés ? Aujourd’hui, c’est clairement une problématique centrale. Les abus des multinationales en matière de droits humains sont nombreux à travers le monde et il est très compliqué de les poursuivre en justice pour cela. Pour mettre un terme à cette impunité, un traité international contraignant est en négociation au Conseil des droits de l’homme de l’ONU depuis 2014. Afin que les entreprises fassent notamment preuve de diligence raisonnable, c’est-àdire qu’elles prouvent que leur chaîne d’approvisionnement, à toutes les étapes, respecte les droits humains. L’Union européenne s’est pratiquement retirée des négociations. Justice et Paix et ses partenaires de la société civile plaident pour que l’UE reprenne un rôle actif dans ce processus. Peut-on imaginer une mine responsable ? C’est une question difficile. Je dirais qu’une mine propre n’existe pas mais qu’il y a moyen de faire beaucoup mieux. Quand vous parlez avec les communautés, elles vous disent ne pas être contre la mine mais exiger le respect de leurs droits. Comparé à ce qu’il se passe aujourd’hui, oui, le respect des droits des populations doit être une condition non-négociable tout comme le fait de les consulter avant tout projet et de leur permettre de dire non à celui-ci. Si un projet a lieu, les communautés doivent être parties prenantes de celui-ci. La transparence doit être fortement améliorée ainsi que la redistribution des revenus issus de l’exploitation minière dont les populations doivent bénéficier et décider de l’allocation. 9


Il faut payer le juste prix, celui qui inclut les externalités négatives que génère l’extraction. Globalement, il faut réduire notre dépendance à l’extraction minière et privilégier d’autres voies : comme mieux profiter du stock de métaux en circulation, développer les ‘mines urbaines’ et puis mieux réfléchir le développement technologique. Aujourd’hui, les ‘high-tech’ sont des produits bien trop complexes qui ne sont pas conçus dans une optique de durabilité. Il y a donc bien des choses à faire à différents niveaux !

Patchwork démobilisateur Dernièrement, je suis impressionné par le patchwork idéologique que peuvent se construire certaines personnes. Ceux qui me connaissent savent mon goût inaltérable pour l'autostop qui m’offre aux détours d’un pouce levé bien des rencontres improbables. La diversité de tranches de vie rencontrées est incomparable à celle de mon quotidien. En plus, la particularité du contexte m'amène à être bien plus à même d'écouter avec un intérêt sincère des points de vue que je suis très loin de partager. Il m'est ainsi arrivé de rencontrer un français, électeur du front national, le coeur sur la main, connaisseur et admiratif de la lutte des femmes kurdes. Vous avouerez que le cocktail est pour le moins surprenant. Le mélange, en apparence contradictoire, qui m'intrigue le plus dernièrement et celui qui, sans sourciller, associe un mode vie respectueux de la nature (je pense en l'occurence à un agriculteur bio ou à un ami architecte en terre-paille) tout en étant climato-sceptique convaincu.

Intéressant étude librement téléchargeable : https://cpalsocial.org/documentos/355.pdf

En ce qui concerne le changement climatique, je ne suis pas à même de tenir tête à de puissants ou plus loufoques argumentaires scientifiques. Je n'ai, pourtant, aucun mal à être certain de l'urgence de la lutte à mener contre la destruction de notre environnement. Je n'ai pas besoin d'être capable de chiffrer la part de CO2 dans l'atmosphère au cours du Xxème siècle ni de comparer l’impact humain actuel à celui d’un volcan au Pléistocène ou encore de dire avec précision combien de temps il faut à la nature pour ‘absorber’ le plastique. Sans base scientifique solide cela ne tient pas la route me direz-vous ? Ma conviction se fonde avant tout sur l'expérience concrète, sur les témoins aux premières loges de ce dérèglement (économique autant qu’écologique). Je pense, en particulier, aux populations indigènes du nord au sud de l'Amérique Latine. Nous vous avons souvent fait part de résistances andines face aux voraces intérêts de multinationales occidentales désireuses d'extraire coûte que coûte jusqu'au dernier gramme de minerai du sous-sol. 10


Aujourd'hui, le même schéma s'applique dans bien d'autres régions entre la Terre de Feu et le Nord Méxicain. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il ne s'agit pas de rhétorique ni de théorie mais bien d'actes et de réalité concrète. "Au Brésil, les défenseurs de l’environnement comme les indigènes protégeant leurs terres payent souvent de leur vie le prix de leur engagement. Les effets de la prise de fonction de Jair Bolsonaro en janvier, qui ne cache pas son soutien à l’agro-industrie, se font déjà sentir, comme l’accélération de la déforestation".

Malheureusement, cette publication ne suffirait pas à rendre hommage à toutes les victimes de l'appétit vorace du profit. A Esperanza, nous pensons qu'il est essentiel de se rappeler de ces femmes et ces hommes pour lesquels destruction environnementale rime avec violence et mise à mort.

"Rosane Santiago Silveira, 59 ans, a été torturée et assassinée chez elle dans la ville de Nova Viçosa (État de Bahia) le 29 janvier. Elle s’opposait à l’exploitation d’eucalyptus, prédatrice de terres. Militante écologiste et défenseur des droits humains pendant 18 ans, Rosane était membre de l’association de protection de l’île de Barra Velha et membre du C.A. de la réserve de Cassurubá, une zone de 1.000 km2 située dans l’État de Bahia entre mangrove et forêt atlantique".

Sur les réseaux sociaux les voix criant gare à la prétendue pensée unique écologiste, aux dangers d’un discours moralisateur voire aux premiers signes d’un éco-fascisme (qui n’est pas à mes yeux un risque complètement farfelu) me laissent pantois. Dans un sens, je me fiche bien de savoir si la catastrophe écologique du réchauffement nous affectera de plein fouet, nous Européens, d’ici 10 ou 50 ans. Je sais que pour bien des populations du globe la catastrophe est bel et bien déjà là. Et cela fait belle lurette que ça dure. Alors oui, selon moi, il y a, sans aucun doute, urgence. L’enrichissement prédateur sur le dos des autres et de la biodiversité n’est pas une nouveauté. Et ce n’est pas Aimé Césaire qui dira le contraire :

«On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vignes plantés. Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières».* Thomas

* Discours sur le Colonialisme, 1950, Aimé Césaire 11


Gracias por todo ‘Cochita’ ! 1 Un ‘Rincón’ pas comme les autres, un ‘Rincón’ en guise d’hommage, un hommage à une grande dame, une grande dame partie le 1er mai... Le genre de dame que l’Histoire oubliera, mais le genre de personne que celles et ceux qui l’ont rencontrée ne risquent pas d’oublier de sitôt. Moi personnellement je ne connaissais, au fond, qu’assez peu Isabelle Beaufumé mais elle était vite rentrée dans ma liste des ‘incontournables’ lorsque j’ai eu la chance de retourner au Pérou et à Cuzco. Soixante-huitarde dans l’âme Isabelle décide d’arrêter ses études pour parcourir le monde. Arrivée au Pérou en 1972 elle y aura vécu près d’un demi-siècle, ayant même été naturalisée péruvienne.

«Les agents de développement ont déjà accepté que les pauvres et les femmes doivent avoir une voix dans leur propre développement; le prochain groupe à prendre en considération ce sont les propres enfants !». Cette phrase n’est pas d’elle mais elle introduit un ouvrage qu’elle a coécrit2 et résume assez bien la philosophie de l’association qu’elle a contribué à fonder, Qosqomaki. Comme elle le raconte dans une courte vidéo que je vous conseille vivement (Interview d'Isabelle3) elle n’a fait qu’accompagner une inspiration, une envie de jeunes vivant dans la rue. L’idée n’est jamais seulement de ‘faire pour’ mais bel et bien de ‘faire avec’, une façon de voir les choses que nous partageons à Esperanza. Le moins que l’on puisse dire c’est que depuis ses débuts, en 1986, Qosqomaki, dont Isabelle est restée une des chevilles ouvrières pendant plus de 30 ans, a évolué, grandi et pris de la bouteille. Au départ les jeunes ont voulu fabriquer des jeux en bois comme petit gagne-pain. Désormais, outre l’expertise acquise dans le domaine particulier de l’accompagnement d’enfants et adolescents vivant dans la rue, Qosqomaki compte avec une menuiserie, une boulangerie, un accueil de tourisme solidaire, une maison d’accueil d’enfants et adolescents, des programmes de volontariat... Alors pour tout ça et pour le reste merci Isabelle et bon vent à toi ! 1 Dans le prochain journal nous partagerons un texte plus complet sur la vie de notre amie ! 2 ‘Trabajando en las calles de mi ciudad’ - Isabelle Beaufumé/Jesus Astete. 3 Pour voir l’interview tapez: ‘Local Shakers + Isabelle Beaufumé’


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