Aymé, Marcel - Les Contes Du Chat Perché -- Ebook french Clan9

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Les contes du chat perché

Le mauvais jars

— Voyons, mon ami, disait-elle, voyons... ce n'est pas convenable... on nous regarde. Il réussit à se remettre d'aplomb, mais il avait encore mal à la tête et resta une minute sans voix. Aussitôt qu'il put ouvrir le bec, ce fut pour se défendre d'avoir été maladroit. Cependant, Marinette lui réclamait sa balle. — Tu vois bien que ce n'est pas un jeu pour les oies, lui dit-elle. — Et encore moins pour les jars, dit l'âne, on l'a bien vu tout à l'heure, et tu t'es rendu assez ridicule. Allons, rends la balle. — J'ai dit que je la confisquais, risposta le jars. Il n'y a pas à y revenir. — Je savais déjà que tu étais un brutal et un menteur. Vraiment, il ne te manquait plus que d'être un voleur. — Je n'ai rien volé, tout ce qui est dans mon pré m'appartient. Et puis, laisse-moi tranquille. Je n'ai pas de leçon à recevoir d'une bourrique. A ce dernier mot, l'âne baissa la tête et n'osa plus rien dire. Il avait autant de honte que de chagrin et, regardant les petites à la dérobée, ne savait pas quelle contenance prendre. Mais Delphine et Marinette n'y prenaient pas garde, très ennuyées elles-mêmes d'avoir perdu leur balle. Elles prièrent encore une fois le jars de la leur rendre, mais il n'écouta même pas. Il se préparait à partir pour l'étang avec sa famille, et il donnait l'ordre à la mère l'oie de prendre la balle dans son bec. Comme l'étang se trouvait derrière les prés, à la lisière du bois, il défila avec les oisons devant la clôture où se tenaient les petites et leur ami l'âne. A ce moment-là,

un oison qui aimait s'instruire, montra la balle que portait sa mère et demanda qu'elle espèce d'oiseau l'avait pondue. Ses frères se mirent à rire et le jars dit sévèrement : — Allons, taisez-vous. Vous êtes un âne. Il avait fait exprès de parler très haut en jetant un regard de côté. L'âne en reçut un coup au cœur. Voyant les petites sur le point de pleurer et entendant Marinette qui reniflait déjà, il essaya d'oublier son chagrin pour les consoler. — Votre balle n'est pas perdue. Savez-vous ce que vous allez faire ? Tout à l'heure quand le jars sera dans l'eau, vous irez à l'étang. Il aura sûrement laissé la balle sur le bord et vous n'aurez qu'à la reprendre. Je vous dirai quand ce sera le moment de partir. En attendant, nous allons causer un peu. Justement, je voudrais vous dire... L'âne poussa un soupir et toussa pour s'éclaircir la voix. Il paraissait embarrassé. — Eh bien ! voilà, dit-il. Tout à l'heure, le jars m'a traité de bourrique... Oh ! je sais bien que c'est un de mes noms, mais il l'a dit d'une certaine façon. Et après, quand il est passé devant nous et qu'il a dit à l'un des oisons : « Vous êtes un âne », comme pour le traiter d'imbécile, vous vous rappelez? Je voudrais savoir pourquoi, en parlant d'un idiot, l'on dit toujours : « C'est un âne. » Les petites ne purent s'empêcher de rougir, car c'était là une injure qu'elles employaient assez souvent. — Tenez, reprit l'âne, je me suis laissé dire qu'à l'école, quand un enfant ne comprend rien aux leçons, le maître l'envoie au coin avec un bonnet d'âne sur la

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