Pax Romana_n3_bataille Gergovie

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Le siège et la bataille, de GergoviE m aire Thie rr y L e

La bataille de Gergovie n’est pas la seule défaite de César. Un an auparavant, il perd pratiquement deux légions au nord des Ardennes. Dans les mois qui suivent, pour venger l’affront, César ordonne le génocide du peuple éburon*. Juste avant l’hiver, dans le doute, il fait exécuter un important chef sénon, Acco. Alors… César parti en Italie pour rendre compte au Sénat et lever de nouvelles légions, l’insurrection éclate. * Province de Liège et Limbourg.

  Oppidum de Gergovie, documentation fournie par Vincent Guichard. (© ARAFA photo René Goguey. )

  La position des belligérants avant la bataille finale. À noter que l’arrivée de César est postérieure de deux à trois jours après celle de Vercingétorix (en vert les positions plausibles de Luctérios et Vercassivellaunos). (© Th Lemaire AssoR hist & BD)


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Très vite cependant, César joint ses légions, profitant pour cela d’une diversion qu’il organise dans les Cévennes avec Brutus. Labienus, basé chez les Trévires, le rejoint. Les deux généraux pénètrent en pays carnute1, Cenabum est prise en moins de deux jours, puis c’est au tour d’Avaricum, la capitale des Bituriges, qui tombe au bout d’un siège éprouvant de plusieurs semaines.

Cependant, si les succès de César, à la tête de douze légions, sont indéniables, les Gaulois lui ont donné du fil à retordre. La durée du siège de la cité biturige, le combat qu’il a livré en zone marécageuse devant Noviodunum 2, où sa cavalerie reçoit in extremis le soutien des cavaliers germains, a laissé entrevoir aux Gaulois les failles de l’armée romaine, failles confirmées pendant le siège d’Avaricum où César échoue, en attaquant un campement de Vercingétorix. 1. Région autour d’Orléans et Gâtinais. 2. Il y a plusieurs Noviodunum, nous évoquons ici la cité des Bituriges, actuel Neung-sur-Beuvron.

Alors, avec une armée romaine plus faible, d’autres possibilités s’offrent aux Gaulois. C’est probablement Commios 3, l’un des chefs de la coalition, en mission chez les Parisii et les Aulerques, qui réussit à diviser l’armée romaine. En effet, César est obligé de laisser Labienus monter sur Lutèce et poursuit Vercingétorix en territoire arverne. César arrive devant Gergovie, enfin c’est ce qu’il écrit, car en fait trois cités gauloises se dressent devant lui. 3. Voir le propos développé plus loin.

  La porte sud de Gergovie d’après documentation fournie par Peter Jud. (© Laurent Libessart - Thierry Lemaire - AssoR Hist & BD)


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Le siège et la bataille de Gergovie

qui effectue de nombreux relevés et corrobore le travail de Stoffel. Plusieurs campagnes de fouilles se sont succédé, à l’initiative de l’Association du site de Gergovie, depuis les années 1980. En 2015, la porte principale de la cité est localisée et révèle enfin ses caractéristiques l’année suivante.

Gondole   Le site du petit camp. (© ARAFA)

  Pointes de traits de scorpion découverts dans les fossés du petit camp. (© BIBRACTE, photo A.Maillier - 1995)

Gondole, Corent, Gergovie, trois cités devant César Trois cités arvernes, existantes au premier siècle av J.-C., se dressent donc devant César. Tous les spécialistes s’accordent sur l’existence de ces importantes villes gauloises au moment même de la guerre des Gaules, mais aucun ne peut affirmer avec certitude laquelle était la capitale des Arvernes, cette Nemossos nommée par l’historien grec Strabon.

Gergovie   Rempart gaulois avec sa rampe côté interne. (© ARAFA, photo T. Pertlwieser - 2007)

En 1861-1862, le commandant Eugène Stoffel, chargé par Napoléon III de localiser les lieux des batailles décrites par César, identifie le grand camp sur la Serre d’Orcet et le petit camp sur la colline de La Roche-Blanche ; il en effectue un bornage. Ces fouilles sont surveillées de près par un observateur sceptique, l’érudit clermontois Pierre-Pardoux Mathieu,

Le site de Gondole, s’il est le moins connu des trois sites, est cependant celui qui fut identifié à un site fortifié (site localisé à la confluence de l’Allier et de l’un de ses affluents, l’Auzon) il y a bien longtemps. Le Florentin Gabriel Siméoni (1560) est, en effet, le premier à proposer, dans son ouvrage sur les Limagne, une identification du site au grand camp de César. Il est vrai que le « talus » est visible de loin. Ce n’est qu’à la fin des années 1980, alors que le site était potentiellement menacé par l’extension d’une gravière, que les recherches reprennent. De même au début des années 2000, où les projets de création d’un contournement routier et d’aménagement d’une ZAC sont l’occasion d’une reprise des recherches, un vaste quartier artisanal au sud des remparts gaulois est découvert.4

Corent Dès le milieu du xix e siècle, des érudits locaux récoltent une multitude d’objets datés de la préhistoire à l’Antiquité. En 1989 les fouilles reprennent jusqu’en 1993, le sanctuaire gallo-romain est alors mis au jour. Depuis le début des années 2000, un quartier aristocratique et artisanal, un théâtre gallo-romain sont révélés, ainsi que des traces d’un hémicycle en forme de fer à cheval. En l’état des recherches actuelles, aucun rempart extérieur ni traces de militaria n’ont été découverts.

Autres lieux en bassin clermontois Parallèlement, le développement de l’agglomération de Clermont-Ferrand suscite de très nombreuses fouilles de sauvetage aux abords des oppida, qui dévoilent souvent des vestiges de la fin de l’âge du fer. Dans ce cadre, Frédéric 4. «Témoignages de la guerre des Gaules dans le bassin clermontois », Revue archéologique du centre de la France, tome 54, 2015.


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Trément, spécialiste de l’archéologie rurale, entreprend entre 2005 et 2007 une vaste prospection dans la plaine de Sarliève, immédiatement au pied de l’oppidum de Gergovie.

Gondole et Corent, cités gauloises occultées du texte césarien Tout d’abord, César tout comme Vercingétorix quelques jours avant lui, vient du nord en longeant l’Allier. César nous précise qu’il a franchi la rivière à cinq jours de marche de Gergovie et donc probablement entre Moulins et Vichy. La découverte de militaria autour de ces cités permet de corroborer, de modifier ou d’infirmer le texte de César. En l’état actuel des recherches, on a retrouvé bon nombre d’artefacts militaires, objets et traces de fossés et retranchements, sur l’oppidum de Gergovie, au sud, à l’ouest de cette cité et dans le quartier artisanal de Gondole, mais pas à Corent. César, venant du nord en longeant l’Allier, doit d’abord trouver Gondole sur sa route puis prendre Gergovie avant de poursuivre plus au sud vers Corent. César ne mentionne pas Gondole, sans doute parce que, la cité étant située en plaine, Vercingétorix l’a fait évacuer. C’est logique, après les prises par les Romains des cités de Cenabum, de Noviodunum et d’Avaricum, toutes situées en plaine en bordure de cours d’eau. C’est d’autant plus plausible qu’aucune trace de combat n’a été trouvée au nord de cette cité. Dans sa narration, pour ce qui est de l’installation de son camp proprement dit, César ne donne aucune information. A fortiori pourquoi évoquer alors l’installation de ses auxiliaires (il est tentant de penser que la cité gauloise abandonnée ait pu servir de campement pour certains d’entre eux) César les évoquant rarement, sauf quand ils le tirent d’un mauvais pas.

César ne mentionne pas Corent, sans doute parce que le revers qu’il essuie devant Gergovie ne lui permet plus de pousser plus au sud. Il est plausible que Vercingétorix convoque à Corent les notables arvernes et leurs invités, puis organise l’évacuation des habitants de Gondole, alors que dans le même temps, Teutomatos le Nitiobroge, installe son campement devant Gergovie. En comparant les traces retrouvées au cours des fouilles et les écrits de César, en changeant un peu l’ordre des chapitres de César, mais en suivant les quelques informations qu’il donne sur la disposition de ses troupes, un récit plausible peut être envisagé.

  Enseigne et Carnyx gaulois. (© Eriamel - les Ambiani, AssoR Hist & BD - 2018)

La bataille de Gergovie Chefs gaulois et romains présents à Gergovie César donne sporadiquement le nom des chefs gaulois qui s’opposent à lui. Avant l’épisode de Gergovie, il cite Commios l’Atrébate, Luctérios le Cadurque, Teutomatos le Nitiobroge. Il nomme également de nombreux chefs éduens : Convictolitavis, Litavicos, Eporédorix, Cotos, Viridomaros. Certains de ces noms subsistent lors de l’épisode de Gergovie, d’autres disparaissent pour réapparaître plus tard à Alésia, c’est le cas de Commios et de Luctérios. Enfin l’un apparaît à Alésia, Vercassivellaunos, Arverne et cousin de Vercingétorix.

  Casque fer gaulois découvert sur l’oppidum de Gondole. (© ARAFA, photo Y. Deberge - 2006)

  Reconstitution gauloise sur le site de Corent. (© Teuta Arverni, photo Julien Romiguière)


  Funérailles d’un chef gaulois. (© Eriamel - les Ambiani, AssoR Hist & BD - 2018)

  Légionnaires romains au travail devant Jules César. (© Pax Augusta)

  La cavalerie gauloise, une arme redoutable contre les légions romaines en terrain accidenté. (© Yann Kervran - les Ambiani)

Le Gaulois dont on est sûr qu’il ne soit pas présent à Gergovie est Convictolitavis, le tout nouveau Vergobret désigné maladroitement par César quelques jours avant l’arrivée des Romains en pays arverne. En effet : « Les lois des Éduens interdisaient à ceux qui géraient la magistrature suprême de franchir les frontières » explique César (De Bello Gallico, liv. VII-33). Le Vergobret ne pouvait donc commander l’armée en dehors des frontières, ce qui obligeait à nommer un général, dans le cas qui nous occupe Litaviccos, dont nous connaissons pratiquement le rôle pour cette bataille. Aucune trace de combats n’a été retrouvée dans la cité de Corent. Dans cette cité se dressent un important sanctuaire et un hémicycle pouvant accueillir au moins 200 individus. Il est donc plausible d’imaginer une armée gauloise prête à protéger les aristocrates réfugiés à Corent. Ce sera d’autant plus vraisemblable si cette cité est la capitale des Arvernes, et qui d’autre, pour superviser cette armée, qu’un Arverne important, Vercassivellaunos. Reste à déterminer où sont passés les deux chefs importants. Puisque nous sommes à Corent, la plus méridionale des trois cités, il est plausible d’imaginer que Luctérios - le Gaulois que Vercingétorix avait envoyé quelques mois auparavant, en émissaire auprès des peuples du sud du Massif central, pour harceler César dans la provincia, ce Cadurque, voisin des Rutènes, qui a traversé le pays vellave pour

rejoindre Vercingétorix - accueille, au côté de Vercassivellaunos, les contingents gaulois qui rejoignent la coalition. Quant à Commios, roi des Morins et des Atrébates, peuples bellovaques5, cet important personnage fin stratège qui servit César, traversant les peuples bellovaques et ceux du Bassin parisien (les Parissii, les Aulerques et les Carnutes), il a rejoint la coalition. Il est plausible qu’après Avaricum, il soit remonté plus au nord, pour lancer une nouvelle insurrection divisant les troupes du général romain. En effet, il advient un élément qui n’est pas anodin et qui est décrit par César : quand ce dernier, qui vient de prendre Avaricum et de massacrer les Bituriges, arrive à Decetia, il est obligé de se séparer de Labienus et de la moitié de ses légions avant de poursuivre Vercingétorix. Pour les légats qui l’accompagnent, César n’est pas plus explicite. On sait que Labienus remonte sur Lutèce, mais on ne connaît pas les noms de ceux qui l’accompagnent. Le légat Trebonius est-il resté à Vellaunodunum (liv. VII – 11) au moment de la bataille de Gergovie ? On l’ignore. En ce qui concerne Gergovie, seuls les légats Titus Sextius et Caïus Fabius sont nommés ainsi que deux centurions.

La position des protagonistes Vercingétorix rejoint Gergovie et s’installe sur les hauts des Rizolles au moment où César commence la construction de son camp fortifié. César nous informe (liv. 7-46) que Teutomatos et son armée occupent trois campements devant la cité, protégés par un mur haut de six pieds. En fait, le chef gaulois installe des troupes sur plusieurs positions. Nous en connaissons au moins une avec certitude, puisqu’elle est le lieu 5. Sans doute à cause de la langue et de la zone géographique, César avait classé les Celtes : Belges (ou Bellovaques), Armoricains, Aquitains, Celtes (au centre), Germains (est du Rhin, nord du Main), Helvêtes (est du Rhin, sud du Main jusqu’au lac Léman).


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du premier affrontement nommé par César pour le siège de Gergovie. « En face de la ville, au pied même de la montagne, était une éminence escarpée de toutes parts et bien fortifiée ; en l’occupant, nous privions probablement l’ennemi d’une grande partie de ses eaux et de la facilité de fourrager ; mais elle avait une garnison, à la vérité un peu faible. César, dans le silence de la nuit, sort de son camp, s’empare du poste, dont il culbute la garde. Avant que de la ville on puisse lui envoyer du secours, y met deux légions et tire, du grand au petit camp, un double fossé de douze pieds pour qu’on puisse aller et venir, même individuellement, sans crainte d’être surpris par l’ennemi. » (Liv. VII-36) Les découvertes archéologiques ont permis, dès le milieu du xix e siècle, de situer ces deux campements et le double fossé qui les relie. On doit cependant émettre l’hypothèse que la prise de cette éminence soit plus tardive. En effet, peu après l’installation de son camp principal, César doit réagir à la défection des Éduens. « Litaviccos, avec l’armée mise sous ses ordres, n’était plus qu’à 30 000 pas environ de Gergovie, quand tout à coup, assemblant les troupes et tout en larmes, leur dit : "Où allons-nous, soldats ? Toute notre cavalerie… nos principaux citoyens, Éporédorix et Viridomaros, ont été, sous prétexte de trahison, égorgés par les Romains…" » (Liv. VII-38) En fait, il n’en est rien et « Éporédorix, informé du dessein de Litaviccos, en donne avis à César au milieu de la nuit… César, sans hésiter un instant, prend quatre légions sans bagage, et toute la cavalerie… Il laissa pour la garde du camp le lieutenant C. Fabius, avec deux légions. Il avait ordonné de saisir les frères de Litaviccos ; mais il apprit qu’ils venaient de s’enfuir vers l’ennemi. » (Liv. VII-40)

 Combats gaulois/romains. (© Pax Augusta)

  Hémicycle et sanctuaire de Gondole. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

  Après avoir pris, la veille, le camp de Teutomatos et soumis la cité à des tirs d’artillerie, dans la nuit précédant l’attaque, neutralisation d’un poste avancé gaulois, les muletiers sortent du camp romain. Deux légions partent vers Gergovie par l’est. Au petit matin, une légion rejoint les muletiers. (© Thierry Lemaire - AssoR Hist & BD)


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Le siège et la bataille de Gergovie

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Pendant l’absence du général romain, son camp, défendu uniquement par deux légions, est attaqué, « … Des cavaliers dépêchés par Fabius lui apprirent quel danger le camp avait couru. Il avait été attaqué par de très grandes forces ; des ennemis frais remplaçaient sans cesse ceux qui étaient las, et fatiguaient par leurs efforts continuels les légionnaires forcés, à cause de la grande étendue du camp, de ne pas quitter le rempart. Une grêle de flèches et de traits de toutes sortes en avait blessé un grand nombre ; pour résister à cette attaque, notre artillerie avait été d’un grand secours. Après la retraite des assaillants, Fabius, ne conservant que deux portes, avait fait boucher les autres et ajouter des parapets aux remparts : il s’attendait pour le lendemain à une attaque identique. À cette nouvelle, et grâce à l’ardeur extrême des soldats, César parvint au camp avant le lever du soleil. » Ce passage nous interpelle, car seul le grand camp semble avoir été attaqué. La prise du promontoire, qui donnera le petit camp, a-t-elle eu lieu avant ou après l’attaque du grand camp ? La question reste posée, avec un problème d’effectif, même si des auxiliaires ont sans doute été amenés à soutenir les légions. Quoi qu’il en soit, Caïus Fabius ne semble pas avoir quitté le grand camp, son collègue Titus Sextius occupant le petit camp avec deux légions, dont la légion XIII comme le précise le De Bello Gallico. Quelle que soit la période de la prise de la position qui deviendra le petit camp, une réaction des Gaulois suit probablement. Il n’est pas impossible que Vercingétorix pose un camp d’observation sur le puy de Jussat d’où on peut voir facilement tous (ou presque) les mouvements romains. Le sommet de cette colline est situé à un kilomètre du petit camp et le domine de près de 100 mètres.

Assaut sur la cité de Gergovie, ruse ou attaque frontale ? En ce qui concerne le déroulement des événements. Quand César visite le petit camp (il évoque cette visite après l’attaque du grand camp), il constate qu’une partie des troupes de Vercingétorix a quitté une colline. On connaît la raison de ce mouvement : « Les Gaulois craignaient beaucoup pour ce point, et sentaient que si les Romains, déjà maîtres de l’autre colline, s’emparaient de celle-ci, ils seraient pour ainsi dire enveloppés sans pouvoir ni sortir ni fourrager. Vercingétorix avait donc appelé toutes ses


troupes pour fortifier cet endroit. » Lorsqu’on connaît un peu la topographie des lieux, monter sur les arrières du général gaulois par une vallée large et en pente douce, et donc dans les cordes de l’armée romaine, pour prendre les Gaulois à revers, est possible par le col d’Opme. Le seul problème, c’est que César évoque dans le même temps : – une attaque-surprise avec la prise du camp de Teutomatos, – une ruse, « il donne des casques aux muletiers, pour qu’ils aient l’apparence de cavaliers, et leur recommande de faire le tour des collines » pour faire croire à une attaque par le col d’Opme. Il complète par d’autres éléments  : des Gaulois qui désertent une partie de la cité pour en fortifier une autre, des légions trop avancées qui étaient au-delà d’un vallon assez large, et ces détails correspondent bien à la ruse évoquée auparavant. En l’absence d’autres textes, nous sommes bien obligés de suivre le De Bello Gallico, écrit quelques mois après les faits. On peut le corriger par l’apport des recherches archéologiques, la poliorcétique et la topographie des lieux pour émettre des hypothèses un peu différentes. Les recherches archéologiques démontrent qu’il y a eu des tirs d’artillerie sur le sud-ouest de la cité. Dans le même temps, on a découvert une carrière intra-muros juste derrière les remparts

  Muletiers et légionnaire dans la vallée de l’Auzon. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

sud-ouest de la ville. On peut ici conclure que l’attaque-surprise tout comme la ruse peuvent convenir. En effet, pour que les tirs d’artillerie soient efficaces, il faut que les machines d’artillerie soient installées à 300-400 mètres des remparts de la cité. César évoque également les positions opposées : – des muletiers partis du grand camp pour faire semblant de contourner les collines (sud-ouest), – d’une légion qui les accompagne et qui se cache dans un fond et dans une forêt,

  La légion VIII progresse sur le flanc abrupt à l’ouest. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

  Les deux légions situées en pointe sont mises en difficulté au sud-est et sous la porte sud. César déploie la légion X. (© Thierry Lemaire - AssoR Hist & BD)


  Les femmes gauloises se déshabillent et lancent leurs vêtements par-dessus les remparts. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

– de deux légions, dont la VIII qui est à l’opposé (donc à l’est), – de la cavalerie éduenne qui arrivera encore plus à droite, et donc pour César (placé pendant le déroulement de la bataille non loin du double fossé entre ses deux camps) qui regarde vers la cité gauloise, encore plus à l’est ou nord-est, – la légion XIII qui sortira du petit camp, – la légion X qui se déploiera au secours de la légion VIII en déroute. Autre constat : si la victoire gauloise est totale, les Gaulois n’ont pris aucune machine de siège. On peut penser que si cela avait été le cas, des copies – les Gaulois possèdent également un savoirfaire technologique aussi élevé que les Romains sur bien des domaines – auraient été fabriquées pour la suite des événements.

Le plan de César, hypothèse ?

  Le centurion Fabius se fait hisser sur le rempart. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

César lance l’attaque sur le camp de Teutomatos. Les archers crétois, dont les arcs composites permettent des tirs moyens de près de 300 mètres, empêchent toute sortie rapide des Gaulois par les portes connues à l’ouest et au sud. Les Romains pilonnent le sud-ouest de l’oppidum6 pour faire croire à une attaque imminente par l’ouest. L’attaque du camp de Teutomatos apparaît alors comme un nettoyage avant l’attaque finale sur la cité. Le mur qui protégeait le camp du chef gaulois peut ensuite servir de mur protecteur des machines si elles sont installées en aval. En effet, 6. « Témoignages de la guerre des Gaules dans le bassin clermontois », Revue archéologique du centre de la France, tome 54, 2015.

leur installation derrière le mur ne gêne en rien un tir parabolique. Son but : faire croire à une grande attaque par l’ouest des légions remontant le col d’Opme7, pour isoler Vercingétorix stationné sur la colline de Rizolles, alors que son idée est d’attaquer à l’endroit où les Gaulois ne l’attendent pas - au sud-est de la cité - là où le terrain est le plus abrupt. On a trouvé les traces8 d’un petit village gaulois, situé à flanc de coteau à 450 mètres d’altitude, ainsi que, non loin, des reliquats de militaria de cette époque9. Au xix e siècle avaient été décelés, également près de cet endroit, plusieurs retranchements parallèles faisant penser à des combats de positions10. De là, une hypothèse crédible : la prise d’un poste gaulois en ce lieu, simultanément à l’attaque du camp de Teutomatos, ou un peu plus tard dans la nuit. D’autant plus que les guetteurs de ce poste ont pu être trompés par le bruit venant du sud : « César y envoie, au milieu de la nuit, plusieurs escadrons, avec ordre de se répandre dans la campagne d’une manière un peu bruyante. » Cela expliquerait d’autant plus que les Gaulois, craignant une attaque par l’ouest, ont demandé aux femmes et aux enfants de se rassembler à l’est de la cité. Le lendemain, César lance une fausse attaque par l’ouest, alors que deux légions, une fois la position gauloise dans le petit village neutralisé, parties dans la nuit, progressent à l’est abrité par les accidents de terrain. Le plan paraît simple, ces deux légions doivent dégager la porte principale de la cité, une partie par l’intérieur, en prenant les remparts sud-est, l’autre par l’extérieur en longeant les remparts sud. La légion XIII sortira 7. Nous sommes obligés ici de nommer les lieux par leur nom actuel. 8. Frédéric Trément (Un ancien lac au pied de l’oppidum de Gergovie, Frédéric Trément, CNRS éditions, Paris 2007 et dans Gallia, tome 64, 2007. pp. 289-351.) 9. « Témoignages de la guerre des Gaules dans le bassin clermontois »,nouveaux apports – fig 32 - Revue archéologique du centre de la France, tome 54, 2015. 10. Les fouilles du xixe siècle réalisées par le colonel Stoffel et les relevés de Pierre-Pardoux Mathieu.


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en soutien quand la cavalerie gauloise venant des hauts des Rizolles arrivera sur le plateau. Enfin, la légion cachée à l’ouest débouchera du ravin de Macon, dans le dos d’une partie des troupes gauloises, au moment où, à l’est, la cavalerie éduenne arrivera en soutien.

Un grain de sable inattendu Deux légions, dont la légion VIII, progressent et arrivent soudainement à proximité des remparts, quand des Gauloises, confinées à l’est, les voient. Une partie des légionnaires doit prendre pied dans la ville, pendant que l’autre longera les remparts jusqu’à la porte principale. Au moment où les hommes, conduits par le centurion Marcus Petronius, arriveront à proximité de la porte, il ne sera plus possible de se cacher, mais le reste de la légion VIII devrait profiter de la surprise et accéder à la porte par l’intérieur.

Mais dès qu’elles ont vu les légions romaines déboucher à quelques dizaines de mètres des remparts (à cet endroit, la pente du terrain est abrupte, elles disposent donc encore de quelques minutes), les femmes ont dû envoyer une des leurs ou un enfant prévenir les hommes tous massés au sud-ouest. Selon César : « Les mères jettent du haut des murailles des habits et de l’argent et s’avançant, le sein découvert, les bras étendus, elles supplient les Romains de les épargner et de ne pas agir comme à Avaricum, où l’on n’avait fait grâce ni aux femmes ni aux enfants. Quelques-unes, s’aidant de main en main à descendre du rempart, se livrèrent aux soldats. Lucius Fabius, centurion de la huitième légion qui, ce jour même, avait dit dans les rangs qu’excité par les récompenses d’Avaricum, il ne laisserait à personne le temps d’escalader le mur avant lui, ayant pris trois de ses soldats, se fit soulever par eux et monta sur le mur. Il leur tendit la main à son tour, et les fit monter un à un. » Seuls quatre hommes sont entrés dans la cité. Des femmes, qui connaissent le sort qui leur est réservé, ont eu la présence d’esprit de descendre au pied du rempart plus ou moins nues. Habituée aux exactions, à la

  La cavalerie gauloise attaque la légion qui sort du ravin de Macon, au loin la légion VIII est déjà en déroute. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

  Mort du centurion Marcus Petronius. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

  Les légions XIII et X se placent en protection des légions malmenées. (© Thierry Lemaire AssoR Hist & BD)


  La légion X proche de César en soutien aux légions en déroute. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

  Combat dans les faubourgs de Gondole. (© Thierry Lemaire AssoR Hist & BD)

prise d’esclaves (les fameuses récompenses d’Avaricum), une partie de la légion VIII oublie, peut-être un court instant, l’objectif prioritaire. Or les femmes ont besoin, compte tenu de la distance qui les sépare des guerriers gaulois, de tenir quinze à vingt minutes environ. Quand l’autre partie de la légion VIII arrive en vue de la porte, elle ne reçoit pas le soutien souhaité. Pire, les Gaulois « intra muros » s’élancent, les uns vers cette porte, les autres vers l’est de la cité. Le centurion Petronius est massacré et sans doute, avec lui, une partie de ses hommes. César entend le son des carnyx, sonnerie d’alarme à destination des Gaulois situés sur les collines proches. Il ordonne à ce moment-là de sonner la retraite. Mais il est trop tard. Le légionnaire Fabius est tué et son corps lancé du haut du rempart. Les femmes dociles deviennent agressives. La légion VIII s’enfuit, et dans la débandade, charge la cavalerie des Éduens qu’elle confond avec la cavalerie gauloise. Du petit camp, Sextius fait sortir la légion XIII. César, dont on ignore l’exacte position, fait sortir la légion X. Ces deux légions, situées un peu plus bas, peuvent se déployer et permettre aux légions en pleine débandade de se réfugier vers les camps. Il ne reste plus à César qu’à faire le point et se tirer du piège dans lequel il est tombé. Car sans doute, après ce revers, les troupes fraîches gauloises, devant protéger Corent, menacent-elles de se mettre en action à leur tour.

Les combats autour de Gondole César vient de subir une première défaite, il lui faut maintenant sortir son armée du péril qui la menace. Une nouvelle hypothèse sur le franchissement de la rivière Allier par les troupes romaines à Gondole peut être envisagée.

« César… persistant dans ses projets de départ, fit sortir les légions du camp et les mit en bataille sur un terrain favorable. Vercingétorix descendit aussi dans la plaine : après une légère escarmouche de cavalerie, où César eut le dessus, il fit rentrer ses troupes. Il recommença le lendemain ; jugeant alors l’épreuve suffisante pour rabattre la jactance des Gaulois et raffermir le courage des siens, il décampa pour se rendre chez les Éduens. Les ennemis n’essayèrent même pas de le suivre et, le troisième jour, il arriva sur les bords de l’Allier, rétablit le pont et le passa avec l’armée. » Il ne faut pas trois jours pour arriver sur les bords de l’Allier, qui coule à trois kilomètres à l’est du grand camp. César vient de perdre 46 centurions, et même si cela ne signifie pas qu’il y ait perte d’une centurie par centurion tué, on peut cependant estimer entre 1 700 et 2 000 les pertes de légionnaires. C’est peu par rapport à l’estimation des 27 000 à 30 000 légionnaires présents sur place. Pour les auxiliaires, un nombre de morts équivalent. Enfin, il faut ajouter les pertes dues à l’attaque du grand camp et des divers affrontements. On est loin, très loin des 700 légionnaires indiqués par César. Nous n’avons pas évoqué le nombre des blessés qui est sans doute supérieur à celui des morts. Nous avons donc là, une armée amoindrie qu’il faut mettre à l’abri. Côté cavalerie, César ne dispose que de quelques Germains (partis avec Labienus), et une partie des Éduens fait défection. César est donc entouré de Gaulois : à l’ouest ceux qui étaient à Gergovie, au sud des Gaulois venant de Corent ; enfin une petite armée menée par l’Éduen Litaviccos est quelque part au nord sur la rive gauche de l’Allier. Pour rappel : le pont réparé par César est à cinq jours de marche au nord de Gergovie. De plus, une ruse du général romain avait été nécessaire pour réparer ce pont sur des pilotis existants sans qu’il soit attaqué par les Gaulois. S’il y a eu bataille de cavalerie, c’est sans doute parce que la cavalerie éduenne a protégé les légionnaires romains dans leur progression vers Gondole. Trois jours semblent bien refléter le temps nécessaire pour que César puisse faire passer son armée sur l’autre rive de la rivière, à la condition toutefois que ses pontonniers puissent travailler sur la rivière à l’abri des charges des Gaulois. Un seul endroit


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  Les auxiliaires décrochent à leur tour vers la cité de Gondole. (© Eriamel, Mogère, Marivain, Woehrel album Gergovie - AssoR Hist & BD, Orep)

se prête à cette opération : la cité gauloise de Gondole qui, même si elle a été partiellement brûlée par les Gaulois lors de son évacuation, possède un solide rempart. Il n’y a aucune autre échappatoire possible pour pouvoir ensuite remonter au nord. Au sud de Gondole, et dans le quartier artisanal proche de l’Allier, ont été trouvés des vestiges de matériel militaire datant de cette époque, signes de combats importants. A. Hyland11 estimait à 18 000 (mules, ânes et chevaux) le nombre d’équidés accompagnant quatre légions. Prenons l’hypothèse de 20 000 équidés (dont 4 000 pour le trait et les bagages), 28 000 légionnaires, les chariots des bagages et enfin 10 000 auxiliaires (au minimum). Tout ce beau monde, passant sur un pont (sans doute plus ou moins bien consolidé) de deux mètres de large, représenterait un convoi de 50 à 80 kilomètres. Avec une vitesse moyenne comprise entre 2 et 2,5 km/h (vitesse moyenne sur terre ferme), le passage de l’Allier demanderait entre 25 et 40 heures sur le goulot d’étranglement du pont, et à condition qu’il n’y ait aucun aléa. 11. The horses in the Roman world, B.T. Batsford, 1990.

Cependant nous ne sommes pas dans un cheminement linéaire sur terre ferme. Il faut ajouter le temps de construction du pont, les combats dans le lit de l’Allier, le harcèlement par les Gaulois des différents corps d’armée romaine quittant le petit camp, puis le grand camp, l’évacuation des blessés, la gestion des départs des différents corps d’armée, les temps de repos, de repas (pour hommes et équidés), etc.… On s’aperçoit que les trois jours correspondent bien, peu ou prou, au temps nécessaire à César pour faire passer son armée dans une zone qui sera sécurisée par la destruction du pont, sans doute ordonnée après le passage des légions. Il perd, là encore, des hommes, en particulier les derniers qui passeront la rivière et qui détruiront l’ouvrage derrière eux. n

  Gondole, cité protégée par un imposant rempart (hauteur huit mètres) et un profond fossé (largeur 30 mètres, profondeur huit mètres). Cité impossible à prendre sans un siège de plusieurs jours. (© ARAFA, Y. Deberge - 2007)

  D’après la documentation de Yann Deberge, situation des militaria découverts en bassin clermontois. (© Thierry Lemaire AssoR Hist & BD)


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