Daily-Movies 04

Page 14

14

il faut l’avoir vu ! « Le Doulos » sages quasiment expressionnistes (la scène du réverbère, la scène dans le couloir), qui écartent volontairement le film du réalisme. Le plan séquence du générique d’ouverture, dans lequel Faugel chemine dans un passage souterrain, passant constamment de l’ombre à la lumière, est emblématique de l’usage qu’il fait des contrastes pour faire passer son message sur les protagonistes.

Des personnages de tragédie

J

ean-Pierre Melville fait partie du panthéon des grands réalisateurs français, dont l’œuvre a marqué    le cinéma avec des films comme « L’armée des ombres » ou « Le cercle rouge ». Mais c’est à un de ces films plus mineurs que nous allons nous intéresser, un film charnière dans le parcours du cinéaste, qui donne les premiers signes de ce que sera le style Melville. En effet, « Le Doulos » se situe en place médiane du parcours du réalisateur, il réalisa six films avant et six après. Comme souvent, il s’inspire d’un livre éponyme de Pierre Lesou, et le porte à l’écran, avec toujours en tête sa fascination pour les grands réalisateurs américains de polars (Huston, Mann, Walsh), genre qu’il ne quittera plus par la suite. Il se sert du matériel de base pour mettre en

avant les thématiques qu’il affectionne : l’amitié virile, la solitude, la fatalité, une certaine nostalgie.

Une adaptation réussie Le roman de Lesou est un polar classique, quoique assez retors et malin dans son dénouement, qui se déroule à Montmartre et se plaît à dépeindre le milieu avec un certain folklore : l’argot parisien y est omniprésent, les références à la géographie de ce quartier populaire parisien aussi. On suit Maurice Faugel, caïd récemment sorti de prison, qui a du mal à réintégrer le milieu et semble traîner un sourd mal-être. Hébergé par le receleur Varnove, il le descend pourtant par vengeance. Il s’empare du magot et le cache avec l’arme du crime dans un terrain vague. Le lendemain, il rencontre Silien, son meilleur ami, pour préparer un casse. La nouvelle compagne de Maurice, Thérèse, ne l’apprécie pas car il a la réputation d’être un « doulos », c’est-à-dire un indicateur. Mais le casse tourne mal, le complice de Faugel meurt et il est contraint de tuer l’inspecteur Salignari, avant de s’évanouir après avoir pris une balle. Pourtant un mystérieux inconnu le met à l’abri avant qu’il ne soit embarqué. Faugel soupçonne Silien de l’avoir donné car tout l’accuse, encore plus lorsque Thérèse meurt dans des conditions louches et que la police le cueille. De son côté Silien mène un jeu trouble, ourdissant des machinations mais faisant sortir son ami de prison. On

se demande jusqu’au bout ce que le « doulos » mijote, avant une conclusion limpide et dramatique. Melville commence vraiment dans ce métrage à affirmer sa patte de mise en scène, léchée, précise et minimaliste. Il expurge tout le côté folklorique du film : l’action se déroule dans des quartiers anonymes de Paris ou dans des coins miteux de banlieue (ce qui était rare à l’époque), les protagonistes parlent un français impeccable, seul le terme « Doulos » (en argot le chapeau, mais aussi celui qui le porte, donc l’indic) demeure. Lesou affirmera après avoir vu le film qu’il aurait préféré écrire son livre comme Melville l’avait transformé, car l’histoire en gagnait plus de force. En outre, il fait un usage magnifique du noir et blanc, avec des pas-

Car cette distanciation du réel n’a qu’un but : sur-caractériser les personnages afin qu’ils soient le point central de l’attention du spectateur. Aussi malin que soit le scénario, Melville veut surtout que nous suivions la destinée de ses personnages au plus près, que nous comprenions leurs sentiments et leurs codes de vies (l’amitié et la loyauté avant tout, même au prix de la vie). Bien que Belmondo soit en haut de l’affiche en incarnant un Silien délicieusement antipathique, c’est l’immense Serge Reggianni qui tient le film, tant il transmet le désarroi de Faugel et incarne avec sincérité ce personnage pourtant archétypal. L’essentiel du cinéma de Melville est déjà présent ici, le style typique d’un réalisateur de génie qui inspirera des cinéastes du monde entier, de John Woo aux frères Cohen, qui lui rendront même hommage avec un discret remake du « Doulos », « Miller’s Crossing ». [YG] Jean-Pierre Melville

Ecoutez c’est du muet «Sir Arne’s Treasure» ■ De Mauritz Stiller, avec Mary   Johnson, Richard Lund Willy Lugeon

Une fois n’est pas coutume, « Ecoutez, c’est du muet » fusionne ce mois avec la rubrique « Swiss Made » à l’occasion d’une association pour le moins atypique ! En effet,

le collectif lausannois pop rock Hemlock Smith, emmené par son leader Michael Frei (interviewé dans ce numéro) a composé une surprenante bande son originale pour un étonnant film muet suédois de 1919 : « Sir Arne’s Treasure ». Edité sous la forme d’un DVD comprenant le film remasterisé et un CD de la musique isolée, cette initiative des plus excitante constitue une aubaine pour tout amateur de 7ème art. D’autant plus que ce film méconnu, d’une modernité effarante, représente une certaine quintessence du cinéma. Réalisé par Mauritz Stiller, cinéaste suédois à qui l’on doit la découverte de Greta Garbo, « Sir Arne’s Treasure » détonne par rapport aux traditionnels films muets de l’époque. De par la sobriété du jeu des acteurs, inconcevable alors, de par une expérimentation de procédés cinématographiques inhabituels, comme le travelling, des angles de prises de vues nouveaux, des mouvements de caméra fluides ou encore par un tournage en décors naturels, malgré le milieu hostile (l’hiver

scandinave) dans lequel se déroule l’action du film, cette histoire adaptée d’un récit de la grande romancière suédoise Selma Lagerlöf nous plonge dans une atmosphère hypnotique constamment à la frontière du fantastique, bien que le récit soit ancré dans une réalité historique (16ème siècle), le tout renforcé par le score « instinctif » du groupe suisse. Tout bonnement indispensable ! [JYC]

Notre avis

10/10


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.