4 minute read
Dre KARINE IGARTUA, UNE PSYCHIATRE ACTIVISTE
Cofondatrice du Centre d’identité sexuelle de l’Université McGill (CISUM), la Dre Karine Igartua est présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ) depuis 2013. À ce titre, elle est de toutes les tribunes portant sur la santé mentale. Elle met ses talents de revendicatrice au service de la population en poursuivant un but : faire changer les mentalités.
Dès l’école secondaire, la jeune Karine Igartua est une véritable activiste (voir « Entre chance et travail »). Cette forme d’engagement lui permet d’acquérir des compétences qui lui seront utiles tout au long de sa carrière.
Comme nombre de cégépiens forts en sciences qui optent pour la médecine au début des années 1990, elle passe directement du Collège Jean-de-Brébeuf à l’Université McGill.
Rapidement, elle est captivée par les stages en psychiatrie, spécialité qui pose des défis passionnants : la réponse au traitement peut varier d’une personne à l’autre selon son histoire de vie, sa façon de réagir à la médication ou les ressources émotives ou cognitives dont elle dispose pour s’investir en thérapie. En outre, la relation de confiance est essentielle en psychiatrie.
On aura beau avoir les meilleurs traitements du monde, si la relation de confiance patient-médecin ne s’établit pas, ça ne marchera pas.
Elle est si passionnée par cette spécialité qu’elle intègre à sa formation six mois de stages optionnels dans diverses branches de la psychiatrie, notamment deux mois dans une clinique psychiatrique pour adolescents en Australie. La médecine d’urgence étant également dans son champ d’intérêt vu les imprévus qu’elle comporte, elle choisit de travailler en urgence psychiatrique. Elle exerce depuis 20 ans à l’Hôpital général de Montréal (HGM).
Quand je suis témoin d’actions injustes, j’ai de la difficulté à me taire. J’ai toujours voulu améliorer les choses. Et aujourd’hui, j’ai beaucoup d’occasions de le faire !
L’identité sexuelle, son cheval de bataille
Pendant sa résidence, la Dre Igartua rencontre le futur psychiatre Richard Montoro. C’est le début d’une solide amitié et d’un rêve commun, celui de créer le CISUM, où une minorité sexuelle ostracisée pourrait consulter un professionnel de la santé mentale en toute confiance. Le CISUM est inauguré en 1999, au moment où la Dre Igartua fait sa surspécialité en psychiatrie pour gais et lesbiennes… un programme qu’elle a dû créer de toutes pièces. Quand il n’y a pas de voie, elle en trace une ! Sa première recherche porte sur l’impact de l’homophobie sur la dépression, l’anxiété et les idées suicidaires dans cette population.
Quand nous avons ouvert les portes, je croyais que notre centre existerait pendant une dizaine d’années et qu’on n’aurait ensuite plus besoin de nous, vu l’évolution de la société et la perception de l’homosexualité qui changeait.
Cette prédiction était à la fois vraie et fausse. Effectivement, l’homosexualité étant mieux acceptée qu’il y a 20 ans, les personnes gais et lesbiennes se sentent généralement plus à l’aise aujourd’hui de consulter un psychiatre hors du CISUM, et la plupart des psychiatres de les traiter. Cependant, le Centre a toujours sa raison d’être, mais il répond désormais principalement aux besoins des personnes transgenres, des adultes et des jeunes qui explorent et affirment leur identité de genre, ainsi que des parents qui cherchent à accompagner leurs enfants dans leur démarche. Elle a le ferme espoir que cette clientèle n’étant un jour plus marginalisée, le CISUM ne sera plus nécessaire.
Le Mouvement Alphas connectés
À partir de 2007, la Dre Karine Igartua fait partie du conseil d’administration de l’AMPQ ; elle en devient la présidente en 2013. Elle entreprend une vaste réforme de la gouvernance et investit en relations publiques afin de redorer l’image de l’Association.
Entre chance et travail
En collaboration avec diverses organisations issues de toutes les sphères de la société qui s’intéressent à la santé mentale des jeunes, l’AMPQ lance le Mouvement Alphas connectés en octobre 2019.
Les enfants nés depuis 2010 appartiennent à la génération Alpha, ainsi nommée par un sociologue parce que cette année-là correspond à celle du lancement du premier iPad. Ces enfants n’ont donc jamais connu un univers sans tablette électronique, avec les conséquences que peut avoir cette technologie sur d’aussi jeunes cerveaux.
De plus en plus souvent et longtemps devant leurs écrans, les jeunes sont devenus sédentaires, ont moins de relations sociales en face à face que les générations précédentes et manquent de sommeil parce qu’ils gardent leurs appareils allumés toute la nuit. Ces trois facteurs influent négativement sur leur santé mentale.
La Dre Karine Igartua dit avoir eu beaucoup de chance dans la vie. Ce mot revient souvent dans ses propos. D’abord, en ayant deux parents professeurs, pour qui cesser les études avant d’avoir un diplôme universitaire n’était pas une option. Puis, en étant admise en médecine immédiatement après le cégep grâce à sa facilité d’apprendre et à ses excellentes notes. « J’ai aussi eu la chance d’être adolescente à l’époque des mouvements contre l’armement nucléaire et pour la protection de l’environnement, ce qui m’a donné l’occasion d’apprendre très tôt le sens de l’engagement et du militantisme. Par ailleurs, comme j’ai étudié dans un cégep privilégié, qui m’a permis de faire du bénévolat auprès de prisonniers à vie, j’ai pris conscience de la détresse humaine. »
À maintes reprises, elle s’est trouvée à la bonne place au bon moment. Par exemple lorsqu’elle a rencontré Richard Montoro pendant sa résidence, ou encore lorsque le chef de l’urgence de l’HGM – à qui elle avait osé dire, alors qu’elle n’était qu’en Résidence II, qu’elle occuperait un jour son poste – a pris sa retraite à un moment opportun pour la Dre Igartua ! Elle sera chef de l’urgence pendant 11 ans, pour ensuite conserver uniquement le volet clinique, faute de temps pour le volet administratif depuis son accession à la présidence de l’AMPQ.
Rétrospectivement, elle convient toutefois qu’il lui a fallu aussi une bonne dose de détermination et de travail.