ARTCOTEDAZUR N°11

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edmond Vernassa L’art et la matière

Supplément culturel deS petiteS AfficheS deS AlpeS mAritimeS

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Nice: +33 (0) 48 306 6230 / New York: +1 (347) 332 6907 / Montreal: + 1 514 907 9321 / Mexico: +52 (555)351 2744


Art Côte d’Azur Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes Numéro 3500 du 16 au 22 avril 2010 Bimestriel ISSN 1962- 3569 Place du Palais 17 rue Alexandre Mari 06300 NICE Ont collaboré à ce supplément culturel : Rédacteurs Alain Amiel Rodolphe Cosimi Olivier Marro Faustine Sappa

Il y a des moments singuliers dans la vie, la ren-

Le printemps c’est aussi le temps des festivals et des événements

contre avec Edmond Vernassa revêt ce caractère

d’importance axant toutes les attentions sur notre région ; à

particulier et symbolique puisque nous étions

moins que l’Islande déjà au sommet de son « art volcanique » ne

sans le savoir le dernier magazine à l' interviewer

vienne déranger les intentions des faibles mortels que nous som-

pour relater son magnifique travail ; Edmond

mes et nous amène à considérer la nature si fragile et si puissante

nous a quittés, nous souhaitions lui rendre un

comme la seule force capable de nous poser les vraies questions

hommage à la hauteur de son talent en lui of-

sur nos devenirs.

frant la couverture de ce numéro, salut l’Artiste. Nos anciens avaient donc raison en nommant Hermès Dieu du Le printemps est là ; dans ce nouveau numéro quelques effluves ar-

commerce et des voyageurs, en liant l’économie à la capacité de

tistiques Italiennes feront éclater le noir d’Yves Hayat, le feu de la

se transporter. N’économisons donc pas ce qu’il nous reste, nos

fonderie JLB, les couleurs de Nivèse, les transparences du géant an-

cœurs et nos âmes pour nous transporter artistiquement et émo-

tibois face à la mer de Jaume Plensa : en somme en cette période tout

tionnellement plus haut et plus loin.

est une affaire de lumière et de regards, en expert de circonstance Jean-Jacques Chaubard nous offrira sa « vision future » de l’art.

Bienvenue sur nos lignes.

Les Ronds d’Ailes ne font pas le Printemps

Direction Artistique François- Xavier Ciais Création Graphique Maïa Beyrouti Photographes Stéphane Coda Hugues Lagarde Photo de Couverture Extrait d’une œuvre d’Edmond Vernassa ©R.Cosimi Contacter la Rédaction : Valérie Noriega Tél : 04 93 80 72 72 Fax : 04 93 80 73 00 valerie@artcotedazur.fr www.artcotedazur.fr Publicité : Anne Agulles Tél : 04 93 80 72 72 anne@petitesaffiches.fr Abonnement : Téléchargez le bulletin d'abonnement sur : www.ArtCotedAzur.fr ou contactez-nous par tél : 04 93 80 72 72

La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, cellesci n’engagent que leur auteur. Tous droits de reproduction et de traductions réservés pour tous supports et tous pays.

© J-Ch Dusanter

Art Côte d’Azur est imprimé par les Ets Ciais Imprimeurs/ Créateurs « ImprimeurVert », sur un papier répondant aux normes FSC, PEFC et 100% recyclé.

Le ciel gris Lourd comme l’acier S’est effondré Sur l’hiver assassiné Premier jour de Printemps Et aucune Hirondelle Venant de la ligne d’horizon Rien dans mon champ de vision Juste un ptérodactyle Qui survole Avec style Un stade de football Aux places désertées Entouré De branches mortes Le mimosa jaune Capture Le soleil Les mouches D’un battement d’aile Dans l’air d’azur Vont rejoindre Un air moins pur. Tranquille Une jeune fille En robe légère À fleurs imprimées Froissée Déchirée Achète des fraises Rouge sang Je la regarde Elle me sourit La terre reverdit Et des papillons Trop colorés S’enflamment Et grillent Dans la lumière. Les hirondelles meurent De peur Au Printemps. Arnaud Duterque


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HORS LES MURS : ITALIE

© H Lagarde

MiART Artnow 2010 - Milan Giorgione - Castelfranco

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Jaume Plensa, l’âme des mots

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© R Cosimi

Bibliothèque patrimoniale Cessole

16 CARROS

Château de Carros - CIAC

18 VENCE VALLAURIS

© Jean-Louis Andral © Adagp, Paris, 2010

FRéJUS

Chapelles d’artistes

© Alain Amiel


La Vie des Arts 22 ART CONTEMPORAIN 24 COLLECTIONNEUR 26 PORTRAIT Jean-Antoine Hierro

© S Coda

Jean-Jacques Chaubard

école de Nice Nivèse

30 EN MUSIQUE 32 ART CONTEMPORAIN 34 MéTIER D'ART 36 FIgURE DE L'ART 40 LITTéRATURE

© R Cosimi

Chinaski

Yves Hayat

Fonderie JLB

© H. Lagarde

Edmond Vernassa

éditions l'Amourier

© H. Lagarde


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HORS LES MURS

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MiART 2010

Foire Internationale d’Art Moderne et Contemporain de Milan Si les foires d’art contemporain ont le vent en poupe, c’est qu’elles se sont multipliées depuis les années 1990 et qu’elles correspondent aux tendances du marché. Les galeries se montrent, exposent leurs artistes, nouent des contacts. Le public, quant à lui, se délecte au détour des allées, des stands, à la rencontre des artistes. Le MiArt Art Now de Milan est le rendez-vous incontournable des experts et des amateurs d’art de l’autre côté de la frontière italienne.

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ntre la traditionnelle Arte Fiera de Bologne et l’Artissima de Turin, le MiArt a quand même réussi très largement à trouver ses marques à l’International depuis sa création en 1996. Nous nous y sommes rendus… Linea metropolitana rossa 1. Uscita Lotto Fiera. Sous un soleil radieux, une marée humaine se presse sur la Viale Scarampo pour rejoindre la Porta Teodorico. Pendant quatre jours, du 26 au 29 mars, c’est la quinzième édition de la Foire Internationale d’Art Moderne et Contemporain de Milan, MiArt, qui se déroule dans le centre ville de Milan au Fieramilanocity et fait parler d’elle. Car, en présentant les galeries les plus fines, spécialisées dans l’art du XXème siècle avec ses avant-gardes historiques et celles proposant les innovations de la scène artistique actuelle, MiArt est réellement devenue la seule foire exposition complète d'Italie. Qu’il vienne pour dégotter la perle rare ou tout simplement pour flâner, le visiteur trouve lors de ce salon un panorama assez étonnant de créations et de générations d’artistes, qu’il prend plaisir à découvrir ou à redécouvrir. Le prétexte n’est pas seulement de déambuler au milieu des 141

Photos, de gauche à droite et haut en bas :

 matthias Bitzer, The Dimensionist's Wife Courtesy France

 Entrée de la Foire  lucio del pezzo 100x70cm  Xhixha  michelangelo pistoletto Violonista in attesta 1977

 isgro emilio Porfirio, 2009 81x121cm  Vue de l'exposition

 Blue & JOY, Joy 2010

Courtesy galleria Paola Colombari

 rabarama Toutes photos © Rodolphe Cosimi

galeries ni des 866 artistes représentés, mais bien celui de revisiter l’histoire de l’Art, comme on pourrait le faire lors d’une exposition rétrospective. Ici, les maîtres modernes tels que Picasso, Fontana, Klee, De Chirico, Ernst, Tapiès, Severini, Manzoni côtoient librement et sans gêne, les artistes contemporains Damien Hirst ou Jan Fabre ou encore Hempel, Welz, Favelli, Angioletti. Une ouverture entre deux « mondes » qui semble à priori bien improbable. Sous le commissariat de giancinto Di Pietrantonio pour la partie Contemporaine et de Donatella Volontè pour la partie Moderne, toutes les formes d’expressions artistiques sont bien présentes, qu’il s’agisse de peintures, de sculptures, de photographies, de vidéos, de performances et d’installations qui animent chaque espace de la foire à tout moment. L’originalité première de cette foire réside dans un agencement intelligent des différentes périodes de l’Art alors que l’association Moderne/Contemporain est souvent une gageure. Au MiArt, un secteur Moderne est réservé aux galeries qui présentent les œuvres et les artistes sur une période qui s'étend du début du vingtième siècle aux années 60. Un secteur Contemporain est, quant à lui, dédié aux exposants qui donnent


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à voir les travaux effectués au cours des dernières décennies. Un troisième secteur intitulé «Avant-première» inclut les galeries qui présentent les nouveaux artistes de moins de 35 ans. Enfin, une section spéciale «Art & Co.» est dédiée aux exposants appartenant au secteur historique ou contemporain qui repoussent les frontières entre l'art et le design. Elle se limite à des pièces uniques présentées par les grands noms. Pour cette dernière, les organisateurs ont montré une volonté affirmée de tisser des liens étroits entre l’art contemporain et le design, l’un des points forts de la capitale lombarde. Une façon d’insister également sur sa spécificité. Textile, verre, céramique, c’est un véritable travail sur les matériaux que l’on peut apprécier à travers des œuvres parfois surprenantes d’inventivité dans une réelle recherche de qualité. Si la foire Internationale est devenue l’une des principales formes du spectacle de l’art, elle reste pour le spectateur un événement culturel à part entière au-delà de ce qui, communément, se mesure en terme de chiffre d’affaire et en niveaux de ventes. “Per business o per passione”, le MiArt de Milan propose à chacun d’y trouver son compte… rc

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(Castelfranco 1477 - Venise 1510†)

Giorgione Castelfranco, la cité de naissance de Giorgione, a enfin un musée consacré à son enfant le plus célèbre. À l’occasion du 500e anniversaire de sa mort a été organisée une exposition exceptionnelle pour laquelle 46 musées ont prêté leurs œuvres, offrant un panorama quasi complet de sa création.

L

a maison Barbarella qui recèle des fresques de Giorgione a été réaménagée en Musée et présente une collection permanente nous permettant de resituer le contexte de la Venise du XV et XVIe siècle grâce à des plans, des objets, des peintures. Bâtie au cœur du village, à côté de l’église du Duomo, cette maison-musée, rebaptisée Casa Giorgione offre une vision enfin complète de cet artiste secret, peu connu du grand public mais dont les œuvres sont le clou des plus belles collections : National Gallery de Londres, Accademia de Venise, Offices de Florence, Hermitage de Saint Petersbourg, Kunsthistorisches Museum de Vienne, pour en nommer quelques-uns. Toute la petite cité entourée de ses hauts murs joliment crénelés est "giorgionisée" : restaurants, boutiques de mode, hôtels, etc., sont parés de peintures de Giorgione pour notre grand plaisir. Rares sont les villes où la peinture est si souvent présente et participe au développement de la cité. Depuis le Musée Guggenheim de Bilbao, le rôle actif de la culture sur l'économie n’est plus à prouver. Le peu de choses que l'on connaît de Giorgione nous vient de Vasari (1511-1574), un historien d'art particulièrement précieux, à qui l’on doit le premier recueil d'histoire de l'art. Vivant dans une époque particulièrement riche, il nous a apporté de nombreuses informations sur Cimabue, Botticelli, Léonard de Vinci et Michel Ange. Il serait l'inventeur du terme « Renaissance » pour qualifier son époque. Les deux pages qu'il consacre à Giorgione nous apprennent qu'il est né à Castelfranco, non loin de Venise. Issu d’un milieu mo-


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Ci-contre et en bas à gauche : Frises de la maison Barbarella de Castelfranco

deste, très jeune il est élève de Bellini auprès duquel il passe une dizaine d'années avant de créer son propre atelier, entraînant Titien, Piombino, et d'autres avec lui. Beau garçon, distingué, élégant, musicien, il a servi de modèle à Bellini, notamment en Saint Sébastien, le plus bel homme des Evangiles. Formé à l’école de Padoue à l’enseignement d'Aristote et de Pétrarque. Humaniste, au fait de la culture de son temps, dans une Venise en guerre peu assurée de son avenir, il fait partie de la jeunesse dorée vénitienne qui se réfugie dans l’imaginaire, à la recherche d’utopies romantiques, d’un monde idyllique, fait de plaisirs et de fêtes. Il fréquentait la cour de Catarina Cornaro, ex-reine de Chypre, retirée à Venise qui a réuni autour d’elle un cercle d’érudits, d’artistes et de poètes. Il se fera apprécier de cette nouvelle intelligentsia qui prend ses distances avec la religion et ses codes. Virtuose en jeux d'images et d'esprit, Giorgione saura répondre à leurs attentes en produisant des œuvres énigmatiques et sensuelles. Influencé par son Maître Giovanni Bellini et par Léonard de Vinci, Giorgione trouve sa propre manière par le réalisme de ses personnages, notamment incarnée par Laura, l’amour de sa vie, souvent représentée dans ses peintures : en vierge, en madone, en princesse. Il peignait directement sans dessin, utilisant des couleurs vives et profondes, des personnages aux visages très expressifs, intériorisés, des femmes nimbées de lumière dorée, des mises en scène mystérieuses. Le paysage cesse d’être un élément décoratif et devient un élément constitutif du tableau. La nature est enveloppante,

Page de gauche : Vues de Castelfranco : l'église, Casa Giorgione, La Pala de l'église. Photos Alain Amiel

A droite : La Tempesta (1508)

d'une étrange luminosité. Un autre de ses apports non moins importants est l’intrusion de jeux d’esprit et de métaphores, liant l’homme et la nature. Ces paysages s’animent et célèbrent la beauté d’une nature fécondée par la pensée.

Le désir et le temps : La Tempête (1508) Musée de l'Académie, Venise. Plus mystérieux que La Joconde, La Tempesta est probablement le plus énigmatique tableau au monde. Ce tableau destiné à Gabriele Vendramin, une des principales figures du mi Portrait de Giorgione en David avec la tête lieu intellectuel de Venise, de Goliath (gravure) a été pensé comme une énigme. Par ses références à l'antique, le paysage qui cesse d’être un élément décoratif pour se charger de sens, les rochers anthropomorphes, etc., Giorgione a de façon évidente donné un sens caché à cette œuvre qui, depuis cinq siècles, ne cesse de nous interroger.

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La Tempesta a longtemps été appelée la Famille de Giorgione, tant la tendresse qui se dégage de cette œuvre, et du visage de Laura, sa compagne de toujours, nous renvoient à un moment de bonheur familial. On a pu y voir l'artiste observant avec un regard amusé sa maîtresse presque nue allaitant son fils. Le paysage, les murailles caractéristiques, et le ruisseau (La Musone) renvoyant évidemment à Castelfranco, son village natal. Mais le tableau montre plus de complexité, notamment avec le jeu de regards qu'il présente : le jeune patricien regarde la femme presque nue allaitant son bébé dont son regard à elle est tourné vers le peintre (et donc vers nous, qui sommes à sa place). Son sourire amusé, « jocondesque », semble dire : je t’ai vu m’épier. Plusieurs désirs semblent se jouer : celui du jeune homme de l'autre côté du ruisseau,

Ci-dessus :  Laura Ci-contre :  Pala

celui du peintre et celui de l'enfant. Le héron, sur une altana, lieu des femmes, évoque aussi le désir, la luxure. La femme est ici l'objet de tous les désirs. Le peintre est à la fois l'enfant, le jeune homme désirant (le renflement de sa braguette est remarquable), et le peintre-voyeur. On y retrouve les trois âges de la vie, thème récurrent chez Giorgione. Le mausolée à droite et les colonnes évoquent un passé enseveli, le pont, le lieu de passage entre son village dont on reconnaît les murs caractéristiques et le dôme de l’église où est exposée sa Pala, encore une femme, la Vierge (surélevée) entourée de deux saints. Le ciel en camaïeu de vert est barré d'un éclair qui renforce aussi cette idée de temporalité. Il marque un avant, un après (à craindre) et surtout un instant très court, celui du présent.

Les trois âges (1510), un autre de ses chefs d'œuvres, montre aussi trois figures d'hommes : un adolescent, un homme et un vieillard (qui nous regarde). Les Trois Philosophes (1509), dans ce tableau : trois savants : un jeune homme vénitien, un grec et un arabe, qui nous renvoient aux courants intel-

Ci-dessous :  Les trois âges


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Lors de l'inauguration du Colleone, la grande statue équestre de Venise, à des amis qui considéraient la sculpture supérieure à la peinture « puisqu'elle donne le poids et le volume de choses alors que la peinture n’a que deux dimensions », Giorgione prend le pari de démontrer le contraire.

lectuels dominants de l'époque, à cette charnière Occident-Orient qu'a incarnée Venise. On a pu y voir aussi une représentation des Rois Mages.

La Vénus endormie (1510) est caressée par une lumière sub-

La peinture supérieure à tous les arts

tile. L'atmosphère voluptueuse qui se dégage de cette œuvre et la position ambiguë de sa main la rende particulièrement sensuelle. Giorgione a réalisé une œuvre rare, attachante, romantique, la musicalité de sa peinture incarnant l’ambiance très particulière de la Venise de la Renaissance. Avec lui, l’œuvre d’art s’est chargée de sens. À Titien, il a légué son génie des couleurs, sa Vénus, et plus proche de nous, Manet lui doit son Déjeuner sur l’herbe et son Olympia. Sa mort prématurée de la peste à 33 ans nous prive d’une œuvre majeure.

Une anecdote, citée par Vasari, a fait le tour du monde de l’époque. Lors de l'inauguration du Colleone, la grande statue équestre de Venise, à des amis qui considéraient la sculpture supérieure à la peinture « puisqu'elle donne le poids et le volume de choses alors que la peinture n’a que deux dimensions », Giorgione prend le pari de démontrer le contraire. « En une nuit, il peint un Saint Georges nu, vu de dos et placé devant une fontaine d’eau limpide dans laquelle sa partie antérieure se reflétait. À son côté gauche était son corselet bruni qui renvoyait son portrait vu de gauche. De l’autre côté, se trouvait un miroir dans lequel on voyait son autre profil ». (Vasari, 1568). Ainsi, en une seule figure peinte, Giorgione prouve que la peinture peut montrer intégralement un personnage d’un seul coup d’œil alors qu’il faut tourner autour d’une sculpture pour tout voir. De plus, la sculpture est subordonnée à certaines lumières venues d’en haut alors qu’une peinture porte partout son éclairage avec elle. Le sculpteur ne saurait rendre non plus la variété des couleurs des objets, ni la perspective prolongée à l’infini. Par ce geste, Giorgione rejoint Léonard de Vinci qui, analysant les arts, a démontré que la peinture dispose de plus de ressources que toute œuvre humaine. La poésie ne pouvait l'égaler : si le poète n’a pas vu avec ses yeux, il serait en peine de relater dans ses écrits, ses métaphores. De plus, la peinture se joue des pays, des langues, des cultures. Selon Léonard de Vinci : « les poètes ont les effets des manifestations et les peintres les manifestations des effets ». Quant à la musique, elle a deux défauts majeurs, l’un mortel, qui fait que dès qu’elle s’arrête, elle n’existe plus, l’autre épuisant : la répétition. La musique qui est pourtant la représentation des choses invisibles, ne saurait non plus égaler la peinture qui sait aussi parler de l’invisible et de l'indicible. AA

Ci-dessous :  Les trois philosophes En haut à droite :  Vénus endormie

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Un grand homme de lettres Il installa durant l’été 2007 sur les remparts d’Antibes sa sculpture « Nomade », Jaume Plensa revient au Port Vauban pour y ancrer définitivement son géant lettré de huit mètres de haut. Jean-Louis Andral Conservateur en chef du Musée Picasso en charge de la commande, et de l’exposition consacrée au printemps à l’artiste, raconte… Comment Jaume Plensa et son « Nomade » ont-ils débarqué à Antibes ? Le Musée Picasso étant fermé de mars 2006 à juillet 2008, le Député-Maire d’Antibes Jean Léonetti me passa commande début 2007 d’un projet extérieur incluant le bastion Saint-Jaume restauré. Trois mois, c’est court, mais j’avais plusieurs pistes dont celle de Plensa dont je connaissais l’œuvre monumentale érigée dans quelques métropoles. Je suis allé le voir à Paris avec des clichés du site. Il fut séduit et par un heureux hasard il avait une sculpture en préparation pour la foire Art Basel de Miami. Nous avons pu la faire venir et l’installer de juillet à septembre sur cette grande terrasse face à la mer créée suite au démembrement de l’ancien chantier naval

J’ai, comme Rabelais, William Blake ou d’autres, cette sensation que les mots, les paroles, une fois prononcés, restent dans l’air. De même qu’un artiste peut tenter de dessiner une femme imaginaire, un homme imaginaire, un animal imaginaire, pourquoi ne pourrais-je pas rêver d’un mot ou d’une lettre imaginaire ? Parce qu’on ne les a jamais vus ? (…) Jaume Plensa

Trois ans plus tard « Nomade » revient… l’essayer c’est l’adopter ? Quand la sculpture a dû repartir à Miami où elle fut vendue à un collectionneur américain puis intégra un musée de l’Iowa, cela créa un grand vide sur les remparts. Le succès public de cette installation fut tel et son intégration au lieu si probante, que la ville a souhaité passer commande à l’artiste d’une sculpture similaire. J’ai pensé qu’il serait opportun d’accompagner cette installation pérenne d’un accrochage permettant d’appréhender l’univers de ce créateur espagnol, qui travaille depuis 10 ans sur l’humain via le corps et les lettres qui, au-delà de leurs fonctions, sublime la construction de la pensée dans l’espace. Comment s’articulera ce double événement ? Nous avons souhaité faire coïncider début mai le vernissage de l’exposition et l’inauguration de l’œuvre assemblée sur place. L’artiste sera présent ainsi que le Ministre de la culture. Car l’État, via le FRAM* et la réserve parlementaire, a fait un beau geste en dégageant 285 000 euros pour cet achat, le solde étant réparti entre la Ville, les Amis du Musée Picasso et le port Vauban.

Vous semblez avoir bénéficié de la crise dans ces transactions ? Jaume Plensa, sensible au projet, nous a fait des conditions très favorables. À titre indicatif, la grande « Nomade » fut vendue 1, 2 millions d’euros en 2007 à Art Basel. La sculpture du même gabarit que nous avons acquise a couté 500 000 euros. Mais le plus important c’est que cette œuvre, visible de très loin et illuminée au soir, va devenir une véritable figure de proue pour Antibes. Il faut souligner que l’œuvre rejoint la collection du Musée. C’est une commande publique inventoriée et gérée par le Musée Picasso. Elle semble être également au centre d’un nouveau parcours artistique ? En effet, elle est le point de départ d’un projet souhaité par le Maire. « La promenade des arts » partira du Fort Carré reliant le port par navettes maritimes. Du bastion Saint-Jaume en longeant les remparts rendus aux piétons on accédera ainsi au Musée Picasso puis au Musée Archéologique où une terrasse est en cours de restauration. La place au pied du Musée Picasso, en refonte également, doit accueillir bientôt une œuvre qui puisse faire signal. « Nomade » donne l’impulsion d’un parcours de sculptures qui sera un musée hors les


antibes Page de gauche :

Cette page, à gauche :

 Atelier de l’artiste Multindus, St Feliu de Llobregat, Barcelone, 2009 Photo: J.-L. A. © Adagp, Paris, 2010

 Assemblage de Nomade 2007

 Nomade, 2007 Installation au Bastion SaintJaume, Antibes

ci-dessous :

Photos © Jean-Louis Andral © Adagp, Paris, 2010

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Photos © Jean-louis Andral © Adagp, Paris, 2010

 Jean-Louis Andral Conservateur en chef du Musée Picasso © H Lagarde

© H Lagarde

murs avec les artistes de la collection. Je pilote le projet dans ce sens. Depuis trois ans on assiste à une sorte de chassé-croisé entre Nice et Antibes autour de Plensa ? C’est un pur hasard. Je faisais parti de ceux qui dans le groupe d’experts de l’accompagnement artistique du tramway à Nice ont très vite avancé son nom. La première installation de « Nomade » à Antibes date de l’été 2007, l’exposition en novembre au Mamac fit logiquement suite à l’inauguration place Masséna de son œuvre « Conversation ». En quoi votre exposition « L’âme des Mots » sera t-elle différente de celle du Mamac ? Il n’y aura aucune œuvre sculptée car j’ai choisi d’ouvrir un angle saillant dans le travail de ce plasticien pluridisciplinaire qui, à 54 ans a un parcours qui lui valut déjà en 1997 une rétrospective à la Galerie du Jeu

de Paume à Paris. Comme tous les sculpteurs, il possède une importante œuvre sur papier. « L’âme des Mots » apportera un nouveau regard en dévoilant 91 dessins réalisés entre 1998 et 2009. C’est la première fois, que l’on abordera à cette échelle la partie la moins visible de l’iceberg (sourire). Ces dessins sont-il des croquis préparatoires aux sculptures ? Pas du tout, c’est une œuvre à part entière. Plensa, qui a évolué vers des installations à base de lumière, de son et langage, pratique et revendique le dessin depuis toujours avec un travail spécifique. Il procède souvent par techniques mixtes, mélangeant le crayon, la photo, créant des effets de relief, usant de matières inhabituelles comme le cirage ou des peintures aérosols. C’est très spectaculaire. Certains dessins font 2 mètres de haut et 6 mètres de large ! On y

entre comme dans un espace, comme on pénètre dans la grande « Nomade » qui est une sculpture creuse composée d’une myriade de lettres d’acier soudées les unes aux autres. Plensa et Picasso, même combat ? L’Espagne est bien sûr très liée au Musée Picasso. Quand je suis arrivé ici en 2002 j’ai ouvert les expositions temporaires avec l’œuvre de Tapies. Plensa a dit quelque chose de très beau sur cette filiation : « Faire une exposition au Musée Picasso c’est comme visiter la maison de mon grand père ». Picasso est la figure tutélaire de ces artistes. Mais ce qui intéresse Plensa le catalan c’est ce qu’il appelle « sa liberté extraordinaire ». Picasso ne s’est jamais laissé enfermer par son travail, ni réduire par ses idées, il a toujours su rebondir, se renouveler. À sa façon Plensa procède de cette même volonté d’autonomie. OM

De gauche à droite :  Self-portrait XXIII 2005, Technique mixte sur papier 41 x 30 cm, Collection privée

© Adagp, Paris, 2010

 Paisatge VII 2009, Technique mixte sur papier 220 x 200 cm, Collection privée © Adagp, Paris, 2010

 Jaume Plensa, L’Âme des mots V, 2008, Technique mixte sur papier 211 x 140cm Photo Gasull Fotografia. © ADAGP, Paris, 2009

* FRAM Fonds régional d'acquisition des musées


nice

le fonds Cessole comprend tous les dépliants et brochures du Carnaval décrivant les chars, les grosses têtes, les cavalcades…

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le Chevalier de Cessole a apposé un ex-libris sur chacun des livres de sa bibliothèque.

Détail de la noble science du blason de Jean-Baptiste d'Audiffred (vers 1750).

Pat r i m o i n e

Nous devons faire œuvre de protection

Ouverte au public* depuis un an, après six années entre parenthèses pendant les travaux du Musée Masséna, la bibliothèque patrimoniale du Chevalier Cessole est le plus grand témoin de la vie de nice et son comté. Constitué sur trois générations de la famille Spitalieri de Cessole, le fonds est complété par des archives plus récentes, mises à jour en permanence.

«I

ci, tous les jours, nous découvrons des documents et apprenons des choses sur l’histoire de nice et sa région. notre but est de transmettre ce patrimoine aux autres. » Geneviève Chesneau est Conservatrice en chef de la bibliothèque du Chevalier Cessole. « Cela va nous prendre dix ans pour inventorier ne serait-ce que les livres !, s’amuse-t-elle. Et les livres, ce n’est pas l‘essentiel. l’essentiel, c’est le reste. » le reste, ce sont les documents écrits de tout type et les photographies, soit, au total, plus de 100 000 pièces. Cette bibliothèque a été conçue spécialement pour la collection de Cessole, sur mesure pour ses ouvrages. Dans son acte de donation, il avait en effet intimé l’ordre que cette bibliothèque se trouve au Musée Masséna, au départ un musée d’histoire régionale. Cette bibliothèque a en fait été constituée sur trois générations des Spitalieri de Cessole, vieille famille niçoise, apparentée aux Ripert de Montclar, aux Villeneuve-Vence et aux Sévigné. Avec Hilarion (1776-1845), Président du Sénat de nice, ont primé les livres de droit et d'archéologie puis, avec Henry, ami du bibliographe Jacques-Charles Brunet et véritable créateur de la bibliothèque familiale, les éditions rares et bibliophiliques et, enfin, avec Victor (1859-1941), le régionalisme et la montagne. Son conseil d'administration est toujours présidé par un descendant de la famille, Bruno de Cessole. inaugurée le 15 avril 1937, cette bibliothèque constitue le plus bel ensemble historique et décoratif des Alpes-Maritimes réservé au livre.

Parmi les ouvrages bibliophiliques, relevons : sept incunables, des Gryphe, des Estienne, des Aldes, des Elzévirs, des Cramoisy, des léonard, de nombreux classiques français et italiens des XViie et XViiie siècles, comme l'Astrée, le Mercure françois et la plupart des éditions des lettres de la Marquise de Sévigné. Certains de ces ouvrages portent des reliures signées Canape, Chambolle-Duru, Garidel, toutes marquées du fer créé par le relieur génois Bruzzo. la série d'atlas compte les éditions anciennes de Abraham Ortelius 1571, Mercator 1595, Breughel 1588, Tassin 1631... Préserver le particularisme de la région Grâce aux acquisitions du Marquis Ripert de Montclar, Procureur général au Parlement de Provence et de Hilarion de Cessole, d'importants ouvrages du XViiie siècle de droit et d'histoire de la Provence, comme ceux de louvet, Bouche, Artefeuil, Gaufridi ou Papon sont présents dans la collection. D'abord reflet du passé intellectuel d'une famille, la bibliothèque de Cessole est aujourd'hui avant tout une bibliothèque d'histoire locale. Comme dans toutes les collections niçoises, elle préserve ce qui fait le particularisme de la région et notamment sa langue. la plupart des œuvres dialectales sont conservées : pièces poétiques et littéraires, mais aussi libelles, journaux politiques et satiriques. Cependant, l'aire géographique concernée par les acquisitions du donateur s'étend de la Provence à la Savoie, au Piémont et à la ligurie.


Quelques chiffres…

nice

La donation cessole compte :

Le fonds d’archives comporte :

1 825 ouvrages généraux

150 titres de revues

et bibliophiliques

500 plans et cartes

1 795 livres sur la Provence, la

3 500 estampes

Savoie et l'italie du nord

5 000 tirages photographiques

5 719 sur le comté de nice et la

10 000 cartes postales

Côte d'Azur

30 albums photographiques

435 manuscrits

1 286 plaques de verre du fonds

175 titres de journaux

Giletta

4 mètres linéaires de pièces

plus de 100 dossiers documen-

d'archives

taires thématiques

1 400 cartes et plans dont 54

régulièrement mis à jour

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Bibliothèque du chevalier cessole Palais Masséna 65, rue de France 06000 nice Tél. : 04 93 91 19 50 / 51 E-mail : biblio-cessole@ville-nice.fr catalogue en ligne sur : www.bmvr-nice.com.fr /opacwebaloes /index.aspx?idPage=191

manuscrits © H. lagarde

environ 700 estampes 7 019 plaques de verre

« L'inventeur » de la montagne On a coutume de dire que Victor de Cessole est également « l'inventeur » de la montagne niçoise. Président de la section locale du Club Alpin, il a lancé la mode du ski et escaladé tous les sommets. Témoins de ces activités restent 7 000 plaques de verre, une cinquantaine de plaquettes et un ensemble d'ouvrages de montagne, dont les bulletins des clubs alpins anglais, italiens et français depuis leurs créations. Une riche collection de cartes de Provence, de Savoie et de l'italie du nord, ainsi que celle des plans de nice, du

XVie au début du XXe siècle, vient compléter ce fonds si riche. Autant de documents précieux pour analyser aujourd’hui l’état des glaciers ou connaitre la configuration d’un alpage. le don prestigieux du chevalier a conduit d'autres érudits, ainsi que les différents conservateurs du musée à donner leur bibliothèque régionaliste et leurs archives au Musée Masséna. Un deuxième fonds s'est ainsi formé et s'accroit régulièrement. il comprend plus de 10 000 ouvrages régionalistes dont un exemplaire de la Côte d'Azur de Stephen liégeard dédicacé à l'impératrice Eugénie et relié à ses armes. Originaire de Bourgogne, c’est lui qui a suscité cette appellation pour la Riviera française, en référence à la Côte d’Or. Par ailleurs, on trouve plusieurs ouvrages reliés aux armes de napoléon 1er (don John Jaffé) et un cahier manuscrit du Journal que Marie Bashkirtseff a commencé à nice en 1872. De nombreuses archives familiales ont aussi été déposées, réparties en 193 fonds allant du Moyen-Age à la période contemporaine, parmi lesquels le fonds Renaud de Falicon riche en chartes, le fonds « familles niçoises » aux nombreux autographes et armoiries, le fonds Canestrier relatif au folklore et à la vie religieuse, le fonds Belleudy concernant les peintres provençaux et la Première guerre mondiale, ceux du chroniqueur du Second Empire Ferdinand Bac, du peintre symboliste niçois GustaveAdolphe Mossa, du naturaliste niçois Jean-Baptiste Barla. Ces fonds d'archives contiennent en outre de nombreux programmes de spectacles dont les corsos carnavalesques, partitions, tracts, affiches et placards. la presse, dont le comté était très riche, est très présente. la bibliothèque est par exemple le seul établissement à posséder la collection entière du Pantiero, un journal irrédentiste. On y trouve notamment des exemplaires de titres presse éphémère, édité pour un événement, comme par exemple lors de l’Exposition internationale de 1883. Autant de trésors qui s’agrandissent en s’enrichissant des trouvailles que leur apportent chaque jour les niçois… FS © H. lagarde

l'un des mérites majeurs de Victor de Cessole fut de collecter tous les documents imprimés dans la région : ouvrages littéraires et scientifiques, livres à gravures, mais aussi placards, tracts, actes administratifs, notices techniques, documents privés, brochures commerciales, programmes, menus... il a notamment réuni un ensemble unique de guides et récits de voyages, une collection importante d'images pieuses de saints locaux, plusieurs manuscrits majeurs, comme la nemaïda (1823) du poète niçois JosephRosalinde Rancher, les Chroniques de l'abbé Joseph Bonifacy qui s'avèrent le meilleur témoignage de la vie niçoise du début du XiXe siècle, un liber coquino, livret de recettes du XVe siècle ou encore la noble science du blason de Jean-Baptiste d'Audiffred (vers 1750), le « coup de cœur » de Geneviève Chesneau, dans lequel les blasons du comté et de la province ont été collectés puis peints à la plume. « le Chevalier de Cessole a fait œuvre de conservation, nous devons faire œuvre de protection, estime-t-elle. Certains ouvrages sont des exemplaires uniques et n’ont pas de prix. la bibliothèque de Cessole entend rester fidèle à la conception humaniste qui fut celle de cette famille liée au pays niçois, mais aussi soucieuse de ses rapports avec les provinces voisines, et qui s'est attachée à collecter tous les documents possibles pour témoigner de la vie et de la mémoire d'une région. » Pour ce faire, la rénovation de la bibliothèque a permis de l’équiper d’une réserve avec un système de conditionnement d’air assurant une température comprise entre 18 °C et 20 °C pour un taux d’hygrométrie entre 50 °C et 55 °C. la chambre froide, où sont conservés les daguerréotypes et les plaques de verre, assure quant à elle 15 °C pour 40 % d’humidité. Deux personnes s’occupent en permanence de conditionner les pièces dans un papier non-acide.

ci-contre et dessous : le cabinet de lecture, situé dans le musée Masséna, comporte environ 800 ouvrages.

*Sur rendez-vous et justification d’un motif de recherche.

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Un château fort en art Réveillé voici douze ans d’un profond sommeil afin d’abriter le Centre International d’Art Contemporain (CIAC), le Château de Carros vient de connaître un second lifting visant à récupérer la quasi totalité de son espace. Visite guidée…

L

e Château de Carros, demeure des comtes de Blacas, est l'un des plus vieux châteaux de Provence que la commune de Carros a entrepris de remettre en état. Ainsi la première tranche de travaux portant sur l’aile Est a-t-elle vu en 1998 la naissance du CIAC. Ce formidable outil à la croisée du patrimoine et de la création actuelle, a déjà accueilli à l'époque de la direction de Frédéric Altmann plus de 15 000 visiteurs par an et présenté une quarantaine d’expositions monographiques ou thématiques, aux dimensions aussi bien historiques qu’expérimentales, locales qu’internationales qui virent entre autres des créateurs brésiliens, coréens ou canadiens investir la place. Le nouveau chantier débuté en 2008 s’achèvera à la fin du printemps permettant à la chrysalide d’accoucher d’un nouveau papillon. « Un nouvel écrin qui devrait être accessible au public dès cet été et inauguré en septembre lors des journées du patrimoine » explique son actuel directeur Frédérik Brandi, nouveau "maître du haut château" qui partagea avec Frédéric Altmann l’aventure du CIAC dès ses prémices. Du XIIème au XXIème siècle Lorsque l’on pénètre dans ce fortin qui a survécu à plusieurs révolutions, l’on a l’impression d'entrer sur un site de fouilles tant chacun s’emploie à y faire revivre méticuleusement les vestiges enfouis. « Deux ans de labeur avec les équipes d'ouvriers et de spécialistes, un chantier aussi exigeant qu’acrobatique ! » souligne Frédérik. Valeria, pinceaux en main, est l’une de ces « chirurgiennes du stuc » chargée de révéler ce que les siècles ont masqué. « En accord avec

© H Lagarde

 Frédérik Brandi, nouveau Directeur du CIAC

les Bâtiments de France et le cabinet Épure d’Architecture, les travaux actuels ont été réalisés afin de dégager de nouveaux volumes mais aussi de ressusciter la mémoire de cette bâtisse du XIIème siècle ». Ainsi une frise du XVIIème, des cheminées et un plafond à caissons ont été mis en valeur. « L’idée maîtresse étant de jeter une passerelle entre XIIème et XXIème siècle, nous allons faire cohabiter dans la scénographie ces éléments historiques avec des matériaux résolument contemporains afin d’instaurer un dialogue entre patrimoine et modernité ». Le sol sera en résine naturelle coulée. Côté accrochage, des cimaises murales doublent les vieux murs, permettant de masquer câbles et lumières. Outre de nouvelles fenêtres percées dans la muraille, un appel en façade a été taillé côté Sud créant une sorte de « bow window » vitré avançant dans le vide. De nouveaux planchers et volumes ont été créés sur trois niveaux afin de retrouver les espaces originels morcelés en appartements après la Révolution. Résultat : « Ce chantier en doublant l’espace d’accueil a permis de créer deux parcours de visite et aussi de redonner un supplément d’âme au lieu ». En récupérant l’intégralité du Château et une partie de sa mémoire, le CIAC est désormais en mesure de déployer ses ailes. Et le fonds refait surface ! Car c’est sur plus de 600 m2 d’accrochage sur les 900 m2 rénovés en deux phases que Frédérik s’atèle à réorganiser le centre d’art. « D’abord, nous allons étendre les expositions temporaires sur cette nouvelle partie Ouest, libérant le haut de l’aile Est pour montrer enfin notre fonds permanent ». Une manne pour l’amateur, car le


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CiAC dispose d'une ample collection représentative de la création azuréenne au cours des dernières décennies, « Une collection singulière composée de grandes œuvres d’artistes en marge et de petites œuvres de grand maîtres ». Un fonds constitué au fil de donations dont la première d’importance fut celle d'André Verdet, comprenant notamment des compositions de Villers cosignées avec Picasso. Alexandre de la Salle a porté sa contribution avec quelques pièces des grandes Figures de l’Art. Des créateurs (ou leurs héritiers) ont fait don de leurs travaux. Des ensembles d'ouvrages emblématiques comme ceux de Michel Gaudet, Pierre Faniest, Serge Angel, Jean Cassarini ou Charles Malausséna sont venus s'ajouter. Sans oublier tous ces exposants qui ont laissé ici une trace de leur passage (Salkin, Mendonça, Caminiti, Rosa, Brandy, Alocco, Troin, Renouf, Waller, Bataillard, Morini, Gastaud, Pini, etc.). « la collection ainsi constituée dans sa diversité a pu être exploitée aussi bien au Château qu’hors les murs, une autre mission du CiAC qui vient par exemple de contribuer au cinquantenaire du Musée Fernand léger ». Grâce au nouveau centre de documentation ainsi qu’à la création d'un atelier pédagogique l’accueil aux publics sera encore élargi. « notre politique a toujours misé sur la médiation notamment auprès des scolaires, qui reviennent ici avec leurs parents ». la jeune création déjà largement convoquée avec pour point d’orgue en 2006 « nos amours de vacances » (25 artistes présentés par Marc-Olivier Vignon et Emmanuel Régent) - y trouvera ses marques comme un regain de lisibilité. Enfin dans un second temps une programmation de résidence d’artistes sera activée. Un appartement et un atelier ont été prévus dans ce sens. C’est sur ce principe que la photographe Suzanne Hetzel et le plasticien Max Charvolen ont conçu l’exposition (commissariat : Catherine Macchi) qui doit ouvrir dans le courant de l'été au public les nouveaux murs du CiAC. la première s’est immergée dans le village pour en ramener des portraits vifs de Carrossois ; Charvolen, lui, a prélevé des empreintes sur le bâti du château avant travaux pour les transcender en œuvres abstraites. « Concernant la programmation les projets fourmillent : la présentation de la nouvelle édition du Carnegie Art Award mettant en lumière les artistes d'Europe du nord, une rétrospective Arden-Quin et MADi, un nouveau cycle d'expositions thématiques avec le FRAC PACA ainsi qu’une participation du CiAC à « l'art contemporain et la Côte d'Azur ». En somme toute une nouvelle vie de château à redécouvrir très vite ! oM

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De haut en bas et gauche à droite :  Ornements d’une cheminée du 17ème siècle  l’escalier tournant créé dans la tour ouest ouvre un second parcours de visite  le plasticien Max Charvolen au travail lors de sa résidence au château. Photo Frédérik Brandi

 la voûte peinte par Anne Madden en1999, intitulée «Empyrius», est une œuvre pérenne installée au château. Photo Frédérik Brandi

À gauche :  Cette salle entièrement rénovée du Rez-de-chaussée deviendra un atelier d’artistes en résidence ainsi qu’un lieu d’accueil pédagogique. © H Lagarde


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Chapelles d’artistes

Quand les artistes décorent les chapelles (suite) Notre balade dans les chapelles de la Côte d’Azur décorées par des artistes nous amène cette fois à Vence, à Vallauris et à Fréjus où trois grands noms ont laissé leur empreinte dans les années 50 et 60, période de redécouverte de l'art sacré, qui connaît alors un indéniable engouement : Matisse, Picasso et Cocteau. H e n r i M at i s s e à V e n c e « Cette chapelle est pour moi l’aboutissement de toute une vie de travail et la floraison d’un effort énorme, sincère et difficile. Ce n’est pas un travail que j’ai choisi mais bien un travail pour lequel j’ai été choisi par le destin sur la fin de ma route, que je continue selon mes recherches, la chapelle me donnant l’occasion de les fixer en les réunissant*». C’est ainsi qu’Henri Matisse parlait de la Chapelle du Rosaire des Dominicains de Vence, qu’il a entièrement construite, avec l’aide de Frère L.-B. Rayssiguier, et décorée, entre 1949 et 1951. Édifiée en remerciement à Sœur Jacques-Marie, qui fut son infirmière, elle accueille les prières des religieuses du couvent qui la jouxte et accueille une messe tous les dimanches. Les deux éléments de l’art de Matisse s’y retrouvent pleinement : la couleur, dans les vitraux, et le dessin, sur les panneaux de céramique aux murs. Seules trois couleurs sont utilisées : le vert, le jaune et le bleu, les trois couleurs de la création. En toute saison, et à toute heure du jour, le soleil projette à travers les vitraux des taches de couleur sur le sol blanc : elles vont du mauve au pourpre, alors que le jaune dépoli (Matisse tenait beaucoup à ce qu’il ne soit pas transparent car il symbolise la lumière de Dieu) donne des reflets ocre. Le vitrail du fond de la chapelle, derrière l’autel, représente l‘Arbre de vie, incarné en une cactée, une plante qui grandit toute seule. Il est couronné d’un rideau de verre jaune, symbolisant une séparation très fine entre l’intérieur et l’extérieur, et tombant en drapé sur les côtés. On trouve un autre type de végétation sur les quinze fenêtres en tuyaux d’orgue situées sur la gauche de la chapelle : des feuilles de palmier. À droite se trouvent les murs de céramique, comme un grand livre ouvert où les pages blanches donnent l’explication des images. Ils sont constitués de grands carreaux de terre cuite émaillée en blanc et portent des dessins noirs filiformes. « Nous prions dans un climat de beauté » Un panneau représente Saint-Dominique, qui n’a pas de visage : il est tous les hommes du monde. Dans son vêtement, on distingue un M, qui peut vouloir dire aussi bien Marie que Matisse, qui n’a pas signé son œuvre. Le saint patron des dominicains se trouve ainsi face aux sœurs, priant avec elles dans le Christ, situé entre eux sur l’autel. « Nous prions dans un climat de beauté, c’est très important pour nous », explique l’une d’elles, Sœur Marie-Pierre. L’autel est d’ailleurs orienté à l’est, donc de biais, pour permettre au prêtre de voir les fidèles et les religieuses. Il est construit de trois blocs de pierres de Rogne, à l’aspect de pain, nourriture du corps et de l’esprit. La porte du tabernacle a été gravée par Matisse. Tabernacle qui fait corps avec la masse de l’autel et qui abrite le calice. Les chandeliers évoquent les corolles d’anémone, la fleur préférée de l’artiste. Le panneau à côté de celui de Saint-Dominique représente la Vierge et

Seules trois couleurs sont utilisées : le vert, le jaune et le bleu, les trois couleurs de la création. © Succession H. Matisse pour les œuvres de l'artiste

Les deux éléments de l’art de Matisse se retrouvent pleinement dans la chapelle de Vence : la couleur, dans les vitraux, et le dessin, sur les panneaux de céramique aux murs.© Succession H. Matisse pour les œuvres de l'artiste


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l’enfant. Ils inspirent la sérénité pour un recueillement dans la prière. Sur la droite du dessin, un seul trait suffit à écrire leurs corps. Une union parfaite. Pour Sœur Marie-Pierre, le « AVE » inscrit en haut à gauche veut aussi bien dire le nom de Dieu que « EVA », la nouvelle vie, nouvelle vie ou vie divine. Marie Le panneau à côté de celui de Saint-Dominique représente la Vierge et l’enfant. Ils inspirent la sérénité pour un recueillement protège Jésus sans l’enfermer dans la prière.© Succession H. Matisse pour les œuvres de l'artiste et lui-même accueille ses fidèles les bras grands ouverts. Une position qui n’est pas sans rappeler celle de la crucifixion. Le ton du panneau du fond, représentant la passion, est d’ailleurs tout à fait différent : la violence s’y ressent fortement, avec des lignes brisées qui contrastent avec la douce rondeur des céramiques. Tout en conservant leur individualité, l’artiste a fait de ces quatorze scènes un ensemble cohérent et ascendant, centré autour du motif principal : le Christ sur la Croix. À droite de l’entrée de la chapelle se trouve la porte du confessionnal, taillée dans un seul morceau de bois et directement inspirée des moucharabiés que Matisse a pu admirer au Maroc. À travers elle, les murs blancs semblent roses. « Tout est blanc et rien n’est blanc », disait l’artiste. En effet, par un jeu de lumières, c’est la couleur complémentaire du vert du vitrail d’en face qui se reflète sur le sol et les murs. Dans la galerie située derrière la chapelle, les chasubles des prêtres, dessinées par Matisse, sont exposées, ainsi que deux autres maquettes de la chapelle sur lesquelles il avait travaillé. « Mais elles invitent moins à la prière car elles sont d’un style moins épuré », commente Sœur Marie-Pierre. En effet, Matisse disait de sa chapelle qu’elle était un « grand témoignage calme du vrai ». Et il voulait que ceux qui entreraient dans sa chapelle « se sentent purifiés et déchargés de leurs fardeaux ». L’autel est orienté à l’est et conçu de façon à ce que le prêtre voie les sœurs et l’assemblée. © Succession H. Matisse pour les œuvres de l'artiste

*Cité dans Chapelle du Rosaire des Dominicains de Vence, 2006.

Pa bl o P i c a s s o à Va l l a u r i s C’est en 1950 que, dans la chapelle du château de Vallauris, sont installées les deux œuvres La Guerre et La Paix. L’édifice ancien, daté entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle, donne à cette œuvre tout son caractère sacré et universel, venant renforcer ses références à l’art antique et rupestre. La chapelle est un édifice à nef unique. Les pierres utilisées, de nature variée, lui confèrent des tons allant du gris au rose, en passant par l’ocre. L’église Sainte-Anne de Vallauris s’insère dans un ensemble de constructions en Provence orientale de style roman tardif. L’artiste a choisi cette église car, installé à Vallauris depuis 1948 et fait citoyen d’honneur en 1949, il était particulièrement choyé par les habitants de cette ville (qui y avaient célébré ses soixante-dix ans). C’est durant ce banquet donné en 1951 en son honneur que Picasso décida de décorer la voûte du vestibule attenant à cette chapelle. Restait à régler certains problèmes techniques : chaque panneau mesure 10 mètres de longueur sur 4,70 mètres de hauteur. Un menuisier local a donc été chargé de fixer sur la voûte en pierre une armature en bois destinée à recevoir les deux compositions de ce temple de la paix. La peinture des panneaux n’a pas été exécutée sur place mais dans l’atelier du Fournas, qui a dû être aménagé pour offrir un espace suffisant. Picasso ne réalise aucune esquisse d’ensemble mais de très nombreux croquis de détail. Au total, on compte près de 250 dessins préparatoires et une huile. À La colombe, symbole de la paix. © Succession Picasso

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la mine de plomb ou à l’encre de Chine, ils comportent de nombreux motifs, comme La Danse des trois petites filles, qui ne se retrouvent pas dans la composition finale. En revanche, certains personnages, comme L’homme au bouclier, sont déjà présents. « Même la peinture peut pleurer » C’est en août 1952 que Picasso entreprend la peinture des deux œuvres. Chaque panneau est constitué de plusieurs rectangles d’isorel, matériau suffisamment flexible pour être ensuite adapté à la forme de la voûte lors de l’installation dans la chapelle. Réalisée à la peinture pour bateaux, la fresque comporte des coulures, que Picasso n’a pas pris le temps de rectifier. À ceux qui ont pu le lui reprocher, il répondait : « Même la peinture peut pleurer ». La Guerre et la Paix va d’abord être exposée en Italie en 1953 L’édifice ancien, daté entre la fin du XIIè et le début du XIIIè siècle, donne à cette œuvre tout son caractère sacré et universel, avant d’être accrochée dans la chapelle en venant renforcer ses références à l’art antique et rupestre.© Succession Picasso 1954. Après 1957, il ajoute une troisième composition sur le thème des quatre parties du monde se réunissant autour de la colombe de la paix. Après Guernica, en 1937, et Massacre en Corée, en 1951, La Guerre et la Paix est, pour Picasso, la dernière manifestation de son engagement politique : un manifeste pour la paix. La Guerre, montée sur un char antique, déploie son cortège de malheurs, avant d'être arrêtée par la justice au bouclier orné de la célèbre colombe. On voit une boîte contenant des bactéries, en cette période de Détail de La Paix, une femme lisant et Détail de La Guerre, un guerrier tenant une boîte de bactéries, en cette période (les guerre de Corée, où les rumeurs de guerre allaitant son enfant. © Succession Picasso années 50) de guerre froide et de menace de guerre bactériologique.© Succession Picasso bactériologique menée par les Américains allaient bon train. Tout le long de la peinture, en bas, on voit une libre, à celle d'une famille qui, sous un oranger, jouit du bonheur bande de sang. Les guerriers portent des armes intemporelles com- calme de l'été. L’ensemble constitue un double manifeste, politique me des haches et des sabres. Mains coupées, maigres chevaux noirs, et esthétique. Des musiciens jouant d’une flûte antique font danser autodafés, moisson fichue… Le tableau parle de lui-même. Dans le les femmes, tandis qu’un enfant se tient près d’une cage contenant bouclier du guerrier, on peut distinguer le visage de Françoise Gilot, des poissons et un bocal des oiseaux : cela pourrait signifier qu’en sa compagne et mère de ses deux enfants, Claude et Paloma. temps de paix, tout est possible. Et l’espoir aussi que la jeunesse La Paix associe la figure du funambule, qui exprime le fragile équi- ne reproduise pas les erreurs de ses aînés.

Jean Cocteau à Fréjus À l’origine, la chapelle Notre-Dame-de-Jérusalem devait abriter des artistes dans le quartier de la Tour de Mare. Mais à la mort de son concepteur, le banquier niçois Jean Martinon, le projet de « cité idéale » a été abandonné. Peu avant sa disparition, il avait fait appel au poète Jean Cocteau. Aidé de l’architecte Jean Triquenot, ce dernier a conçu les plans et la décoration de la chapelle. Il a également travaillé sur les maquettes en taille réelle des trois portes vitraux avec le peintre niçois Raymond Moretti. À sa mort, en 1963, l’œuvre reste inachevée. Son fils spirituel Edouard Dermit exécutera la décoration à partir des dessins préparatoires, avec un système de rétroprojecteur. C’est également grâce à sa collaboration que la chapelle pourra être rénovée en 1992 avec,

La chapelle, de forme octogonale, reprend la structure de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.


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notamment, la réalisation des mosaïques selon les maquettes de Jean Cocteau. Les spécialistes peuvent déceler qu’il ne s’agit pas du trait de Cocteau, qui était plus rapide et moins plein. De son côté, le céramiste Roger Pelissier réalise le revêtement du sol. Il s’agit d’un monument octogonal, reprenant la structure de l’église du SaintSépulcre à Jérusalem, ceint d’une galerie de grès vert. Les dessins sont directement exécutés sur le support mural (ciment) à l’aide de fusain et de crayons de couleurs à l‘huile. Les fresques intérieures représentent la Passion du Christ. Dans La Cène, on peut distinguer un autoportrait de Cocteau et un portrait de Jean Marais. On peut y deviner aussi certains de ses familiers : Coco Chanel, Raymond Radiguet, Francine et Carole Weisweiller ou encore Max Jacob. Les scènes traditionnelles se mêlent à des représentations plus énigmatiques, comme de grands personnages hiératiques psalmodiant teau et un portrait maquettes de Jean Ci-dessus : à partir des dessins et des portraits d’orants. À Cocteau. Le blason semble préparatoires. Les de Jean Marais. côté de la scène se trouve être l’interprétaspécialistes peuvent déceler qu’il ne Dessus en largeur : à droite : tion de l’artiste de Jésus aux outrages, cous’agit pas du trait de Le bâtiment est La crucifixion est celui de l’ordre des traitée en contreChevaliers du SaintCocteau, qui était ceint d’arcades de ronné d’épines et entouré plongée, inspirée du Sépulcre. plus rapide et moins grès vert, le même de deux soldats, l’un juif, plein. qu’utilisaient les Christ de Mantegna Romains dans leurs et à l’inverse de En haut à gauche : l’autre romain. La cruciEn haut à droite : constructions. celle de Salvador C’est le fils spirituel Les mosaïques Dali, deux anges de Cocteau, Edouard Dans La Cène, on fixion est traitée en contreont été réalisées en miroir méditant Dermit, qui a exépeut distinguer un plongée, inspirée du Christ au pied de la croix. cuté la décoration autoportrait de Cocen 1992 selon les de Mantegna et à l’inverse de celle de Salvador Dali, deux anges en miroir méditant au pied de la croix. Une vierge à la extérieures, on peut voir rose figure un portrait de Marie où la couronne a été remplacée par Jérusalem prise par Nabudes tiges de rosier. Deux immenses roses encadrent la scène. Sur la chodonosor (587 ou 597 av. porte menant à la sacristie, une esquisse représente certainement J.-C.) et l’ange libérateur sonle christ enfant. Pour la résurrection, Cocteau a choisi un ange blond nant de la trompette, à la pélevant le manteau rouge du Christ qui apparaît à demi aux soldats riode des Perses : le temple romains surveillant le tombeau. de Jérusalem est reconstruit et le peuple Juif libéré. Un Croix potencée et Croisés personnage féminin souffle sur une bougie : c’est la représentation de la Devant un grand soleil d’or, un ange souffle de la trompette pour an- lumière, du souffle nouveau. Vient ensuite l’annonciation, avec la Vierge noncer l’Apocalypse : c’est l’ange exterminateur. Deux groupes symé- et l’ange Gabriel. Un centaure, symbolisant le Mal ou Babylone commantriques de personnages coiffés de hauts chapeaux, revêtus de la cape à dant à la chute de Jérusalem. la croix potencée et tenant en main ce qui semblerait être des partitions Si le graphisme est ici plus simple que dans la chapelle de Villede musique, chantent les louanges du Christ. Le visage de Jésus tracé au franche-sur-Mer, Cocteau a mis beaucoup de couleurs, « un bain de fusain évoque le Saint Suaire. Un blason semble être l’interprétation de couleurs », dans ses dessins. Il a également fait pénétrer les forces l’artiste de celui de l’Ordre des Chevaliers du Saint-Sépulcre. de la nature dans la chapelle, comme souvent dans son œuvre : la véCar la décoration de la chapelle représente un second thème : celui des gétation est très présente, l’autel est transformé en rocher, le sol est Croisades et plus particulièrement le thème de l’Ordre des Chevaliers conçu de telle façon qu’on dirait de l’eau en mouvement. Si les anges du Saint-Sépulcre. La croix potencée est partout dans la chapelle. À l’en- ont ce magnétisme si fort, c’est parce qu’il n’a pas toujours été facile trée de la chapelle et sur la table de l’autel, on peut lire la devise des pour l’artiste de mener à bien son œuvre. Ne disait-il d’ailleurs pas : croisés écrite comme à l’origine : « Dieu le veult ». Sur les mosaïques « Ce n’est que dans les chapelles qu’il y a des anges » ? FS

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Hierro monte le volume !

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l a v i e des arts

Pho tos ©

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Jean-Antoine Hierro poursuit son travail autour de la robe en ouvrant un troisième volet à la Galerie Ferrero où le créateur protéiforme éclate les formats. Au-delà du clin d’œil vintage « Pump Up The Volume » est une célébration à l’énergie créative en trois dimensions : sculpture, peinture et audio-visuel.

L’

origine de la seconde vague de l’art contemporain qui vit disparaître les frontières entre disciplines prend sa source dans les années 70 et 80. Jean-Antoine Hierro, enfant de ces années de liberté d’expression - qui virent l’émergence via le Pop art et l’École de Nice d’une autre façon de concevoir l’art plastique - a souhaité cristalliser son propre parcours au travers d’une exposition « tribute ». C’est en partant du thème de la robe, « un cheval de Troie qui lui sert depuis trois ans à canaliser son travail », que l’artiste a posé les bases d’un événement pluridisciplinaire mettant en interaction la sculpture et la peinture avec la photo, la vidéo et la musique. Cette fois la robe réduite à sa plus simple expression, une pyramide, un cœur, sert de catalyse à des expérimentations esthétiques où l’artiste donne à son imaginaire toute sa mesure. Troisième acte en trois dimensions d’une trilogie, « Pump Up The Volume » fait sortir le volume de ses gonds ! De la peinture au design Originaire de Casablanca, où il vit le jour

en 1960, Hierro arrive à Nice à treize ans. Quatre ans plus tard il y fait sa première exposition. « Autodidacte, j’ai commencé à peindre et à dessiner très jeune influencé par Goya, Le Caravage et les grands maîtres de la BD de Moebius à Bilal » C’est lors de son premier vernissage à Saint Paul de Vence que Jean-Antoine rencontre et signe un contrat avec un marchand d’art allemand : « j’ai exposé très vite à Vienne, Chicago, à 21 ans à Art Basel à Miami ». En 1998 le créateur aventurier décide d’investir l’univers du design. Il réunit son équipe d’architectes, décorateurs et ouvre une agence dans le quartier des antiquaires à Nice. Là encore JeanAntoine voit son engagement aboutir en lançant sa griffe « Hierro Desvilles » puis en travaillant pour la grande maison italienne « Colombo stile ». Son nom s’impose sur le marché du design jusqu’à aujourd’hui où il connait un nouveau boom médiatique : « Michael Jackson m’avait commandé quelques meubles pour sa maison de Londres, des meubles que l’on s’arrache aujourd’hui aux enchères ».

L’important, c’est la robe ! Parallèlement l’homme poursuit sa quête artistique cherchant à sortir du figuratif. Une piste s’ouvre alors qu’il planche sur la mise en scène de « Madre » : « j’avais écrit en 2008 un opéra Flamenco avec le compositeur Pierre Bertrand à l’origine de musique de films et qui signa des arrangements pour Claude Nougaro, Charles Aznavour, Pascal Obispo et Murray Head. J’avais créé au Théâtre de la Danse à Paris de grandes robes suspendues par des chaînes. En pensant cet accessoire féminin en terme d’architecture, de matrice, j’ai décidé d’explorer l’idée jusqu’à l’épuiser ». Sa première exposition à la Galerie Ferrero s’attache ainsi à défricher picturalement le support. Un support qu’il exploite l’été dernier en très grands formats au Château Grimaldi à Cagnes sur Mer. Ce travail lui a permis d’intégrer récemment l’enseigne internationale « Open gallery » installée depuis deux ans à Monaco. C’est encore de cette forme réduite à sa plus simple expression que naîtra la


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base de son travail pour « Pump Up The Volume » Pièces montées, pièces détachées Après avoir décliné la forme dans toutes les matières, Jean-Antoine a l’idée de s’en servir de gabarit pour façonner d’étranges sculptures en pyramides. « La robe a disparu pour devenir un message subliminal ». La forme est travaillée comme une pièce montée en empilant étages par étages des figurines soudées par des coulures de peinture. Mais une fois dévalisé le rayon jouet du magasin Comtesso à Nice le plus dur restait à faire. « Ce jeu de mikado fit appel à tout ce que j’avais appris et s’avéra un exercice d’équilibre à tout point de vue. Dans l’art conceptuel quand une œuvre est mal pensée elle perd son sens. Là c’est matériellement qu’elle pouvait se cassait la gueule ». Ainsi à force de réflexion et de patience naquirent ces sculptures/peintures/accumulations évoquant un univers en prise avec l’actualité comme la série « Obama » composé de zèbres, où le noir et blanc renvoient à la manipulation médias/politique. Ou encore « The bad smell of human being » qui dénonce avec son amoncellement d’Action

man « les dangers qu’il peut y avoir à laisser l’homme régner en maître absolu sur la planète ». Live show et Art performatif Souhaitant offrir plusieurs niveaux de lecture, Jean-Antoine réalisera ensuite des clichés en zoomant à l’intérieur de l’œuvre : « Il y a des détails, des coulures que j’adore, ces petits accidents j’ai souhaité les agrandir pour que l’on voit de près le travail d’atelier et la sensualité de la peinture ». Une matière qui lui est chère au point que l’artiste s’offre avant le vernissage une performance. « Chaque photo sera placée en résonance de sa sculpture. Puis je pratiquerai des projections de peintures sur tous les murs où sont accrochées les photos. Les tirages N° 1 devenant ainsi des objets performatifs ». Mais ce n’est pas la seule dimension que l’artiste proposera. Une vidéo tournant en boucle sur grand écran présentera en une séquence « morphing » le work in progress sur un remix du hit éponyme. « Pump Up The Volume, c’est le volume qui explose ! Il y a un côté fun qui renvoie au « flower power » et au glamour débridé des eighties. Il me semblait qu’à cinquante ans il fallait transmettre cet ultime vent de folie à la nouvelle génération qui, elle, n’a

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hérité que d’une maigre partie de l’histoire ». Car Hierro se revendique comme un passeur : « Je suis un voleur de poules, un amoureux des artistes. Picasso a pillé l’art primitif, moi, avec mes coulures, mes accumulations, je rends hommage à Arman, Hartung et quelques autres. L’enjeu c’est d’arriver à faire oublier ces influences. Y suis-je parvenu ? C’est en tous les cas, la première exposition où je ne parle pas de moi. Elle m’échappe et c’est intéressant ! ». « Pump Up The Volume » un dérapage contrôlé à découvrir OM jusqu'au 31 mai à la Galerie Ferrero.

© H Lagarde

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Jean-Jacques Chaubard Une collection de regards

Les yeux, c’est la spécialité du Docteur Jean-Jacques Chaubard, il les soigne depuis près de 30 ans de Nice à Genève via Lyon. Les yeux, c’est aussi le regard et, le sien  depuis la même époque - s’est tourné sans ciller vers les artistes plasticiens.

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rpenter les couloirs de la clinique Vision Future à Nice (à deux pas de la Galerie Ferrero), c’est découvrir comme dans une galerie, des sculptures de Pedinielli, de superbes coulées de Gilli, les grand arbres de Myrian Klein, un triptyque de Kuriyama, des photos de Yves Hayat et de Frédéric Nakache, bref quelques-uns des coups de cœur de ce chirurgien qui contracta le virus de l’art dans les années 80. Quand Jean-Jacques Chaubard (né en 1953) arrive sur nos côtes, de sa Tunisie natale, l’École de Nice est en pleine croissance. Lui aussi, mais, à 11 ans il fréquente une école plus académique ! Ce qui ne l’empêchera pas plus tard d’acheter des œuvres d’Arman, de Jean Mas, Gilli ou Sosno mais aussi d’artistes moins connus. C’est ainsi que se bâtira une collection qu’il souhaite éclectique, fruit de ses rencontres, du désir et du partage artistique. Un mécène sur le terrain du cœur « Quand j’ai découvert le travail de Racois il vivait dans une roulotte dans le Var. J’adorais ses contorsions au fer, je lui ai proposé un

deal. Je lui payais sa matière première, en échange il m’offrait quelques-uns de ses travaux ». Grâce à ce soutien, Racois vend aujourd’hui dans le monde entier. Rétribuer les artistes pour leur talent, cette forme de mécénat moderne, Jean-Jacques Chaubard l’a pratiquée souvent. « Chaque fois qu’un artiste a le couteau sous la gorge, il ne marchande pas, il dit juste : combien ? » souligne Simone Dibo-Cohen. « Je n’achète pas pour spéculer, j’achète les œuvres des artistes que j’aime » confirme ce collectionneur de cœur qui a souhaité d’ailleurs faire partager ses découvertes en changeant son Cabinet en vitrine d’art, comme son confrère Bernard Massini. Tout comme lui il acheta d’ailleurs sa première pièce importante en dix fois : « Je n’étais pas encore médecin quand j’ai craqué pour une toile de Pierre Fonferrier à 25 000 Francs. Ensuite j’ai essayé de l’aider ». Au milieu des années 80 il lui versera ainsi 2 000 Francs par mois en échange de toiles. Il doit aujourd’hui avoir une dizaine de tableaux de celui que l’on nomma le Norman Rockwell moderne, dont un qui occupe un mur dans son bureau. Jean-Jacques Chaubard y est immortalisé avec ses deux premières filles (il en a


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© Toutes photos - H. Lagarde

quatre aujourd’hui) et son fils. Enfin presque : « La chaise vide à droite c’est lui, il n’a pas pu venir ! ». Jean-Jacques avoue un faible pour les grandes pièces qu’il installe dans sa villa tel ce rhinocéros de Bombardieri ou cet étrange bronze, un arbitre de tennis sur sa chaise qui trône dans sa cuisine : « Avec Tasic nous travaillons souvent sur commande ». Les autoportraits d’artistes c’est son autre péché mignon : « J’en ai un superbe d’Yves Hayat ». Un ami qu’il a soutenu dès le début. Dernièrement JeanJacques a souhaité se porter acquéreur de l’œuvre du regretté Edmond Vernassa : « Je voulais racheter ses travaux pour les montrer dans un bel endroit, pour que tout le monde puisse en profiter. Mais cela n’a pas abouti. C’est un artiste qui aurait dû figurer parmi les plus grands ». Vision Future Fort de ce fonds auquel se rajoutent tant d’autres (Caroline ChallanBelval, Caminiti, Miguel…) les vernissages de « Vision Future » nourrissent depuis 10 ans la vie artistique locale. Et le lieu en a vu défiler des artistes, certains passant du « billard » aux cimaises. Même Hans Hartung est venu : « Je débutais alors, et l’opération étant délicate je l’ai envoyé chez un confrère plus expérimenté. Je m‘en suis un peu voulu lorsque j’ai su qu’il y avait laissé une toile (rires) ». Il y a toujours foule ces soirs là, rue du Congrès à Nice. Et l’on y fait la queue pour accéder au niveau suprême, le 1er étage. Car outre ses accrochages permanents, Jean-Jacques y accueille des créateurs de toutes origines et disciplines. Simone Dibo-Cohen y veille. La Dame en noir, connue pour son engagement de l’ex Galerie ART 7 à l’UMAM dont elle est présidente, est une précieuse alliée. C’est avec elle et Robert Roux que Jean-Jacques Chaubard vient d’initier « La Menuiserie », un nouveau lieu d’art à Nice-Ouest. « On s’est connu il y a plus de 20 ans. Avec Simone nous partageons la même passion pour la découverte de nouveaux talents ». Quant à ouvrir son propre espace ? « Plus tard, pourquoi pas, aujourd’hui, je travaille à temps plein me partageant entre Lyon, Nice et Genève ». À la clinique de Lyon, c’est plus de 500 m2 dont 25 m de vitrine qu’il vient

de remanier pour accueillir les artistes, par exemple Gérard Taride dont l’œuvre y est présentée ce printemps. « On m’a contacté pour créer une franchise, j’ai accepté à condition que l’art soit présent dans chacun de ces centres ». Jean-Jacques Chaubard qui est également sponsor de grandes régates (la voile est son autre passion) ne s’investit jamais à moitié. Il fonda avec Michel Cabaret, Robert Roux et Gérard Baudoux le salon « D’art », un immense espace ouvert aux artistes. « Pour le lancement nous avons attiré au Palais des expositions de Nice 45 000 personnes en 5 jours. Puis tout le monde voulant récupérer le bébé, la deuxième édition a capoté ». Aujourd’hui il est partie prenante d’un autre projet d’envergure : « J’ai proposé à Bernar Venet de dresser une immense droite de 60 mètres au Château. Nous en avons discuté avec Christian Estrosi et l’installation va voir le jour sur le parking Sulzer avec une œuvre ramenée à 30 mètres ». Jean-Jacques Chaubard qui partage en commun avec le Maire de Nice de grandes ambitions pour la ville vient de lui soumettre une autre proposition : « Un centre d’art ultra moderne et un salon d’envergure mondiale sur le site d’Éco-Vallée ». Ce que l’on sait moins c’est que cet homme hyperactif, « mégalo pour la bonne cause » dont le grand-père fut artiste marbrier, taquine à ses heures le crayon gras, croquant parfois ses proches. « Mais mon œuvre la plus réussie c’est Axelle ! » dit-il tout sourire, en nous montrant la photo de sa fille de 16 mois avant de rajouter, « L’idée est de garder tout pour mes enfants, de faire une fondation, car toutes ces œuvres racontent ma vie, cette collection c’est mon histoire ! » OM

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Stèle acier découpé H 2,40 m, 2004

Nivèse

identification d’une femme Tous les niçois ont pu découvrir un pan de son travail de sculpteur via les « paravents palissades » de la Bibliothèque Louis Nucèra. Nivèse a tissé sa toile en vivant plusieurs exils dont le plus long fut celui d’être l’unique élément féminin de l’École de Nice.

Nivèse 1991 par Adam Rezpka

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ette Appellation d’Origine Non Contrôlée née en 1960 dans le journal Combat a toujours eu du mal à contenir un creuset de créateurs issus de courants divers (Nouveau Réalisme, Fluxus, Support/Surface) de leurs franges ou au-delà de tout marquage. Martial Raysse, ne disait-il pas déjà en 1965 : « nous étions 3, nous voici 10, nous serons 300 dans dix ans ». La singularité de Nivèse c’est qu’elle fut et reste la seule artiste femme à avoir participé à ce vent de renouveau qui souffla sur les seventies. Mais dans ce paradis latin où l’art est trusté par les hommes, l’intégration ne fut pas aisée. Nivèse est jolie, blonde et débarque à Nice en 1973. Un chien dans un jeu de quilles ou une quille dans un jeu de chiens ? Une enfance entre la Croatie et la Belgique Pour Nivèse née Nivese Oscari à Labin (Croatie), l’arrivée à Nice marqua un retour au soleil après les brumes du Nord. « En 1947 nous avons quitté le pays pour la Belgique où je suis restée de 3 à 24 ans. Ce fut une période noire ». Car en terre promise c’est un labeur plus dur que celui de la terre, un travail dans ses entrailles qui attend son père : « Il était paysan. Quand il a vu la mine, il a voulu repartir ». Aujourd’hui encore l’artiste se souvient de l’enfer

du Borinage : « Enfant, j’allais le chercher. Je le revois encore remonter le visage maculé de suie dans une cage en fer. Une image qui m’a marquée ». On peut se demander si ses découpes de fer verticales, récurrentes dans son œuvre ne sont pas une résurgence de cette « jeunesse au noir ». « Depuis ce pays m’angoisse. J’y retourne voir ma sœur Dolores, comédienne et metteur en scène qui vit à Bruxelles où elle vient d’ouvrir son propre théâtre ». Ainsi quand Nivèse plie bagages en 1973 pour le sud, ce n’est pas du luxe : « J’avais besoin de lumière, il fallait sortir de cette noirceur ». Nice, retour solaire Sous le soleil, les choses commencent à lui sourire. Nivèse, qui vient de quitter son ex- mari artiste peintre et qui à douze ans copiait déjà van Gogh, intègre la Villa Arson : « Je me suis inscrite aux Beaux-arts comme élève libre. Venant d’un milieu où je baignais dans l’art j’ai réussi les examens d’entrée sans difficulté ». Mais pour autant elle ne fera pas ses cinq ans quittant à 29 ans le giron de l’école. « Je


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ne voulais plus trainer, j’ai travaillé et exposé très vite. Ma première pièce date de la Villa Arson. Je me cherchais. J’aimais mélanger le sacré et le profane comme mes ex-voto. Je faisais des collages aussi  ». Un exercice sur lequel elle est revenue en 2009 et qui fit l’objet d’une exposition à la Malmaison à Cannes. Mais parler de Nivèse c’est parler des hommes qui jalonnent son parcours. La jeune et séduisante plasticienne n’a pas le choix en pénétrant dans le saint des saints de la création niçoise. Son premier contact avec ce cénacle où les hommes brûlent la vie par tous les bouts se fera avec l’un des piliers du Nouveau Réalisme. L’école des hommes En 1974 le pape de la compression fait appel à l’étudiante. « César est venu à la Villa Arson pour chercher un assistant, il est reparti avec moi. À cause de son hépatite virale il dormait beaucoup et me déléguait des travaux comme les compressions en argent que j’ai réalisées chez Morabito ». La rencontre de Nivèse avec Frédéric Altmann, l’homme de sa vie, se fera en 1977 dans sa galerie « L’art marginal » où ce dernier défend l’art et ses amis de l’École de Nice. « Elle est entrée et m’a dit « vous n’avez pas honte de montrer de telles merdes ? » en me désignant une toile d’art naïf. Elle m’a montré son travail, c’était si bien que je n’ai pas pu la brocarder » explique Frédéric Altmann. Au contraire nos deux tourtereaux fileront et continuent de filer le parfait amour dans leur appartement du vieux Nice. Leur témoin de mariage fut Yves Bayard, l’architecte poète disparu en 2008 qui dessina le MAMAC, le TNN, la Bibliothèque et sa Tête au carré. « La première fois que je l’ai vu, il m’a suivi toute une journée dans la ville. Je suis rentrée dans la galerie de Frédéric, je lui ai fait la bise, il s’est dit que l’on était ensemble. Mais il n’y avait encore rien entre nous. Bayard était son meilleur ami et il devint aussi le mien. Il m’a dit un jour tu seras mon grand regret ». Car Nivèse fait tourner les têtes. « De là à la percevoir comme une intrigante il n’y a qu’un pas », explique Frédéric Altman. « Elle était la seule femme du groupe, tout le monde lui courait après. Comme ils n’osaient pas l’attaquer, ils s’en prenaient à moi. C’était un milieu très misogyne». Nivèse cristallise les passions pour le pire mais aussi le meilleur : « Hans Hartung a photographié un jour mes cheveux. J’étais assise, tout à coup il est allé chercher son appareil, et m’a dit : « cela me fait penser à mon travail ». L’assistante de César sert aussi de lien entre les hommes de l’École de Nice. « J’ai présenté Sosno pour lequel j’avais fait des pièces à Bayard qui l’a fait travailler à

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Une pyramide sous les bombardements. Contre plaqué découpé 125x125 1989

L’artiste dans son appartement du Vieux Nice. Photo Hugues Lagarde

Porquerolles avec Bernard Pagès ». Un autre homme prendra bientôt sa défense. Son talent de critique en fit le précieux allié des nouveaux réalistes : « Niki de Saint Phalle et moi avons été poussées par Restany. C’était un type talentueux, mais obsédé par le sexe. Il ne s’en cachait pas. Je me souviens avoir été très gênée lors d’un voyage au Japon où nous étions conviés avec d’autres artistes quand il présenta à nos hôtes une liste d’accessoires sado-maso dont il avait besoin. Ces frasques étaient connues. Ceci dit je lui dois beaucoup comme à Jacques Lepage. Ils m’ouvrirent les portes de l’École de Nice ». Car au cœur de cette ambiance surchauffée Nivèse produit et expose. Alexandre De La Salle lui proposa sa première exposition, Antonio Sapone prit le relais dans les années 80 et organisa une rétrospective dans sa fondation en Italie.

Tôles pliées 1982-1986


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portrait

Avec Pierre Restany 1992

© Photos Frédéric Altmann

Jardins Albert 1er avec Venet, Arman, Ben et B. Nicoletti. 1988

le mieux de son engagement : « Avec de la colle, avec des ciseaux, avec du papier, avec de la couleur, avec des pinceaux, elle construit des forteresses écrasantes. Ses mains d’enfant, mais solides, aiment les bras de fer, avec l’acier que, féminine, elle découpe au scalpel… ».

Nivèse et Arman

Détail paravent palissade de la Bibliothèque Nucéra, Nice

© H. Lagarde

Nivèse et Hartung

Les tamis de l’ange L’École de Nice était lancée quand Nivèse investit la Baie des anges. Et si elle ne participa pas en 1977 à l’exposition " À propos de Nice " qui pend la crémaillère du Centre Pompidou (cela lui valut, dit-on, de voir ses œuvres décrochées du MAMAC), elle n’en demeure pas moins un de ces électrons libres qui nourrirent l’émancipation de cette nouvelle vague. Combien de clichés la montrent aux côtés d’Arman, César, de Raymond Hains, Venet, Ben… comme une apparition, une « femme collage » glissée dans le repas de la Cène ? « Rotraut, la veuve d’Yves Klein est arrivée plus tard quant à Niki de Saint Phalle, elle ne fit que de rares apparitions à Nice ». Ainsi Nivèse fut bien la part féminine de cette École de Nice, comme l’explique dans son livre éponyme France Delville. Sa personnalité et son œuvre en témoignent. Du papier découpé elle alla vers la sculpture. « En 1996, 15 tonnes d’acier en Corée ne lui ont pas fait peur » commente Frédéric Altmann. Et même lorsqu’elle s’attaque à ces matériaux rudes, ses coups de ciseaux restent des caresses faites à la matière. Cette part de douceur toujours prégnante à l’image de ses tôles pliées (1982-1986) qui se changent en dentelles en apesanteur, est devenue sa griffe. Dès ses premières œuvres, Nivèse fait parler l’œuvre au féminin. Les ex-voto à la putain convoquent les biens paraphernaux chinés sur les marchés. « Une façon d’évoquer les bordels de Pompéi façon Amsterdam » dit-elle en riant. Mais c’est sa sœur Dolores qui parle

…et l’ombre portée Nivèse, dont le nom signifie « neige », a le don de la légèreté et de la profondeur tellurique qui ébranle la cuirasse, elle met à jour les leurres de la surface plane. Et le hasard n’a pas de prise : « Il y a un vrai travail préparatoire fait de pliages et de calculs, déjà enfant j’étais douée pour les mathématiques ». C’est peut-être pour ce talent d’accoucheuse du réel que l’Asie s’est entichée de son œuvre. Elle y expose souvent, « plus souvent qu’à Nice » depuis qu’un coréen entra par hasard dans son atelier. « En 1999 j’ai été invitée à Pusan en Corée pour un symposium. J’y ai installé une pyramide où un personnage pousse le côté rouge qui symbolise l’interdit. Quand j’ai fais mon discours j’ai insisté sur l’importance de la démocratie. Ils furent nombreux à venir pousser à leur tour à ses cotés ». Les pyramides, Nivèse - qui convoque l’architecture de ses tours en triangle à sa Miss liberty (statue de la liberté) - les a souvent abordés. De Brême à Tokyo via Nice l’Arénas, elles sont là, ajourées, filtrant le temps qui passe comme un cadran solaire, cinétiques quand elles recréent le mouvement du coureur par arythmie de plein et de vide. « Ce thème qui m’est cher vient, avoue-t-elle, d’un cauchemar où j’ai vu des avions bombarder les pyramides ». Une vision d’apocalypse que l’artiste s’empressa d’exorciser sur des contreplaqués découpés dès 1989. Nivèse, la nomade aux trois nationalités (croate, belge et française) raconte aux travers de ses œuvres douées de légèreté, ses frayeurs, nos peurs, ses joies, notre présent, et si l’on sait les lire entre les lignes, nos rêves à venir. Nivèse, l’exilée a appris à reconstruire avec l’instant, elle ne détruit pas, c’est une bâtisseuse naturelle. C’est en cela qu’elle a pu être la véritable face féminine de l’École de Nice. Une face cachée qui n’a pas fini de révéler ses secrets ! OM



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EN MUSiqUE

Chinaski Amour, Année zéro ! Jean-louis rougier se coltine avec les mots et les décibels sous l’alias de Chinaski depuis plus de douze ans. et s’il chante encore le désenchanté c’est toujours avec la même rage chevillée au corps, en témoigne « Noces de Zinc », sa dernière tournée à consommer sans modération.

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pécialisée dans le cauchemar climatisé, la petite entreprise Chinaski a fêté en 2008 avec l’album « Noces de zinc » ses dix ans de mariage. Un mariage pour le meilleur et pour le pire dans l’ombre et la lumière du sud. Jean-louis rougier né à Nice en 1964 de parents qui tenaient une épicerie à saint-roch, sa licence de droit en poche vit de petits boulots tout en faisant la tournée des groupes locaux. en 1997 lorsqu’il décide de prendre le micro et de se balancer au bout d’une six cordes, il convoque l’ami américain. ainsi naquit Chinaski, son alter ego emprunté à l’œuvre du sulfureux Charles Bukoswki. l’écrivain éthyliquement incorrect qui signa les « Contes de la folie ordinaire » (adapté à l’écran par Ferreri) et autres tranches de vie partant à vau-l’eau dans les bétoires de l’american dream. Mais oui, souvenez-vous c’est lui, l’énergumène qui passablement éméché dû quitter manu militari le plateau d’apostrophe pour avoir entrepris sa voisine de façon un peu trop cavalière. Du botox pour les âmes grises Jean-louis, lui, n’a jamais quitté de plateau et pourtant en 4 albums, il s’en est passé de drôles d’histoires sous son crâne rasé. après

avoir fait sa « toilette intime » en 2003 Chinaski lance à 45 ans sa crème de soin. du botox pour les âmes grises ? « Faudrait voir à regarder nos rides comme des éphémérides/ sans qu’elles soient trop arides pour nos deux si douces peaux ». dès l’entame de « Noces de Zinc » l’artiste creuse l’écart avec la légende. exit le petit blanc et le gros rouge qui tache ? « On a forcé le trait, il faut dire qu’avec ce pseudo j’avais tendu la perche. depuis que je vis en couple avec des enfants, je n’écris plus dans les bars. l’alcool ça décoince, mais ce n’est pas avec ça que l’on peut faire carrière ! ». et pour exprimer toutes les nuances du gris, mieux vaut ne pas l’être ! ainsi l’auteur compositeur est-il plus souvent à la bibliothèque qu’à la cave, où il pioche parfois l’inspiration du côté de stevenson ou de Philippe K dick. résultat : Chinaski 12 ans d’âge, vendange large, sépare le grain de l’ivraie pour nous convier à un voyage au bout de l’envers, l’envers du paradis. désillusions, amours perdus, dérives existentielles… sa peinture au couteau n’a jamais été aussi éloquente révélant au fil

photos © S. Coda pho tos ©s .C oda

des plages une galerie de portraits au vitriol, d’époux dézingués (venise, Ce soir) en idylles tarifées (supermarché). en suivant les traces de ces « beautiful losers » qui cherchent en vain l’éclaircie (le chemin des allongés) Chinaski traque ces lézardes du quotidien qui laissent parfois filtrer le soleil entre les planches. ainsi entre spleen et romantisme, femmes fatales et filles de joie ce dernier brûlot livre son « bestiaire d’humanité » sur des rengaines électro rock ‘trianguleuses’. Une sorte de petit bal perdu où Nino rota dirigerait les stranglers sur fond de chanson française, celle de la génération qui mit le feu à la maison Carpentier : Bashung, Miossec, arno, daniel darc. Mais entre la madeleine de Proust et celle de Brel


MONACO

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© S. Coda

Monaco. Gageons qu’avec ses « Noces de zinc » le compositeur décrochera enfin la jarretière de la mariée !

©H Lagarde

(qui ne viendra pas ce soir) la reconnaissance tarde ! « Il me semble parfois que j’ai manqué une correspondance » avoue-t-il. Mais où et quand ? Car nos niçois n’ont pas chômé affichant au compteur plus de 300 concerts du Printemps de Bourges aux Francofolies avec de beaux levers de rideau : Bashung, Arthur H, Mickey 3D, Higelin et même un certain Houellebecq à

Attention, l’oiseau va sortir ! Pour Jean-Louis et ses complices (Morgan Manzi -Batterie/Clavier, Antoine Todaro -Guitares, Sébastien Vonner - Basse/ Guitares/Clavier) l’aventure se poursuit, sur les planches du Palais Nikaia au Théâtre Lino Ventura via la MJC Picaud, le Volume, le Stacato, le Sezamo… Des scènes « au sud de nulle part » qui n’ont pas la même saveur que celles investies extra-muros, explique Jean Louis au retour de plusieurs dates à Panam : « Ici, à domicile on joue en famille, alors forcément je n’ai ni la même écoute ni le même retour qu’en pays inconnu, parfois c’est un peu frustrant ». En revanche l’auteur profite de cette proximité pour tester ses dernières créations, comme ce concept solo (avec un Lp en ligne de mire) qu’il rode sous le nom de Jean-Louis Chinaski, tout en poursuivant sa carrière au sein de la maison mère. « C’est un format minimaliste qui m’offre plus de liberté créative, de fantaisie et d’intimité avec le public ». Sur scène il

évolue avec sa guitare parfois avec le renfort de samples ou d’un piano, lâchant la bride à un univers composite de la plume au saphir (Littérature gonzo, beat génération, romantisme noir, chanson réaliste, cold wave etc). Le cocktail doux-amer fait de truculence et de dérision, de tendresse et de cruauté nous rappelle parfois celui d’un autre latin visionnaire, s’il en est « Cela doit venir de mes racines italo-niçoises mais l’imaginaire de Fellini m’a toujours fasciné ». Il faut dire que les romances néoréalistes de Chinaski sont consanguines aux « désabusions » des héros de Huit et demi. Des Vitelonni à Casanova on y retrouve la même charge nostalgique, la même gamme pantone d’émotions virant à la décoloration comme « Un petit caméléon ». Cet animal au redouté ramage, que Chinaski exorcise sous les projecteurs, serait-il de la même lignée que l’oiseau bleu de Bukoswki « Un oiseau bleu veut sortir de mon cœur, mais je suis trop coriace pour lui. Je lui dis : reste dedans que personne ne te voie ». Réponse le 20 Juin à la Salle 700 du Nikaïa (Nice) où le volatile un rien alien risque fort de ressortir OM de sa cage !


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a r t c o n t em p o r a i n

Yves Hayat

©H Lagarde

Tourne-toi, je vais me remettre du noir ! Des « icônes sont fatiguées » à « La maculée conception », le photographe plasticien Yves Hayat, recycle le sacré en mode défragmentation. Jeux de pistes virtuels ou golems de l’âge numérique pour une réécriture du corps à toutes fins utiles !

Y

ves Hayat n’a pas produit en masse mais il a exposé à un rythme soutenu depuis que Robert Roux lui ouvrit son espace à l’Arénas, Thierry Martin en 2001 les Docks de Marseille puis via les invitations de Simone Dibo-Cohen de la Galerie Art 7 à Vision Future. L’artiste, révélé sur le tard a connu une trajectoire fulgurante. Au sortir des Arts décoratifs de Nice, Yves opte pour un cursus publicitaire. Première profanation? Il créé sa boite de pub au cœur des eighties jusqu’au jour où lassé de cet univers « trop propre et factice » il décide de se consacrer entièrement à l’art plastique. Si Yves Hayat - installé à la Halle Spada depuis 2004 et représenté dans plusieurs galeries (Cologne, Viennes, Bruxelles, Monaco, Saint Paul, Saint Rémy de Provence) - se livre aujourd’hui sur sa période « prénatale » il culpabilisa longtemps d’avoir été un fils de pub. « Le problème c’est que quand je suis venu à l’art en 2000, j’ai voulu masquer ce parcours. Il m’a fallu du temps pour intégrer le fait que cela puisse faire parti de ma personnalité ». Changement de décors Et pourtant l’artiste a, d’emblée, abordé de front le fond et la forme. Son œuvre aux confins de la photo, de l’installation et de la figuration narrative proposant des visions où la part de théâtralisation fait corps avec le projet. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on le retrouve en 2006 Commissaire de l’exposition “Revisitation » à la Galerie Sainte-Réparate : « Aux Arts déco j’ai appris le dessin, dans la pub à communiquer avec les nouveaux outils. Au début je collais mes photos sur le verre puis je les ai imprimé sur du plexi ». Brisant les carcans et les cadres qu’il jette aux orties « parce qu’ils posent le même problème que le socle en sculpture », Yves ouvre alors des fenêtres sur l’imaginaire et sur d’autres formes interrogatives. « Dans la pub il fallait que la photo soit nickel. Il m’arrive aujourd’hui de les flouter. Et puis l’enfance a refait surface, souvent sans que je m’en rende compte, j’ai pioché dedans ». Un passé qui ressurgit sur fond noir. Le rêve opère toujours à la faveur de la nuit, de toutes les nuits : « À dix ans j’ai vécu le couvre feu, on était obligé de mettre des papiers sur les fenêtres pour les obstruer ». Icônes fatiguées, Vénus de guerre lasse Le hasard n’a pas de prise sur l’œuvre de Hayat même s’il se défie de toute conceptualisation. Il est plus sûr de penser que c’est son épopée et celles de ses semblables qui nourrissent son travail : « Je suis né en Égypte où j’ai vécu ma prime jeunesse. On a subi l’exode, j’ai vu des tanks dans les rues du Caire et en Israël » explique celui qui réalisa une série baptisée « Vénus désastre », où les différentes Vénus de l’art sont plongées au cœur de conflits actuels. « Elles ont un truc intéressant, elles ont l’air indifférentes à tout ça, à l’histoire qui se répète ». En dix saynètes les égéries narguent le chaos qui menace, rajoutant leur éclat à la confusion. La servante noire de l’Olympia de Manet s’est changée en pompier du 11 septembre, un déjeuner sur l’herbe s’improvise « dans la brousse où Ingrid Betancourt fut captive » en toile de fond La Palestine, la Mer de chine et ses boat-people : « Là, c’est le sahel, la Vénus trône avec un bagage Vuitton comme la Dietrich de Morocco » commente Yves, avec un rien de malice. Car même au cœur du tragique l’artiste désamorce, jubile de l’attentat au « butane profane ». « Mon christ revu d’après la Pietà de Bellini a six mains dont une baladeuse en regardant de près ». Alors les « icônes sont-elles fatiguées » ou consommées ? Reposent-elles dans leur linceul ou sont-elles emballées sous blister ? Warhol et Marlène Dietrich, le Che et Marilyn, Gainsbourg et Mao, Dali et Picasso ont les yeux clos : « Je ferme toujours les yeux à mes


a r t c o n t em p o r a i n

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Hayat, Flagellation 2

Hayat ,China sea et vue inclinée de China Sea

Hayat, Pieta

Hélène Jourdan-Gassin par Hayat

Hayat, Installation 16 Bermuda Triangles

Hayat, Maculée Conception, Madone barrée

modèles, je ne suis pas photographe encore moins portraitiste ». Même privés du regard, ces corps altérés en disent plus que ceux vendus par la « télécratie » qui passe son temps à vider les images de leur substance, là où Hayat s’emploie, lui à les remplir. Un christ en char et en os Et de fait la noirceur qui rythme ses œuvres, s’allume toujours d’un feu intérieur. Hayat s’avoue fidèle à une esthétique que l’ère « post duchampien » a balayée d’un revers d’urinoir. Et si l’impact des nouveaux média (photo, vidéo, plexi) force le spectateur à savoir qu’on est dans le virtuel, si Hayat a rompu avec l’artisanat d’antan, la culture classique continue de s’inviter à ses allégories. Maîtres du Quattrocento, du Maniérisme, de la Renaissance, du Baroque sont remixés avec les Taggers chez celui qui selon Viana Conti « vit la condition de l’ubiquité spatiale et temporelle ». Une posture prégnante dans Mythifications : « J’ai choisi de photographier la nudité simple du corps selon la grande tradition des positions christiques : Flagellation, Crucifixion, Déposition, Pietà, Mise au tombeau, Résurrection... Sauf que l’appareil pompeux propre à ces chefs d’œuvres n’est plus

à l’extérieur mais à l’intérieur ». Telle cette armada qui annexe le corps du christ/champ de bataille. Des tags devenus stigmates et des murs de mémoires délabrés qu’il inclut à son « Ecce Homo » hybride. Clin d’œil à Rotella et aux affichistes ? Ce tatouage virtuel est à son comble en vidéo pour « les Masques » (Visages /écrans projetés en Avignon lors de la pièce « Mémoires des enfants cachés ») et en photo dans « la Maculée Conception ». « Murée », « ruinée », « déchirée, » la madone n’a jamais été aussi resplendissante, au moment, explique l’artiste, où « le seul éclairage semble venir du sang et du feu, et les lumières d’espoir des graffitis rageurs ». Gardien d’une mémoire et surfer du visible Yves Hayat serait-il le chantre de la Dévotion moderne ou son fossoyeur inspiré ? Quoiqu’il en soit il émane de ses néo golems comme l’imminence d’une menace. Métamorphose à la Grégoire Samsa ou Crépuscule des dieux? Dans les deux cas, il est dit que nous sommes condamnés à regarder. OM Yves Hayat exposera à la Galerie « Art Seiller » à Saint Paul de Vence du 11 au 30 mai 2010.


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Métier d'art

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H

de ar lag

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JlB e ri u de on er n m l o a F ures cou les l de lpt tent ans de. s r ie scu par es d on ste l e s i t m i l s a t ce s qu isib du him les e d ten ale pa es alc ne nt é e r g t s so en our Mus gnis pa hem es. m s j et e com uc rm , B e d ies uis ac cco no ium ! n ler n-lo tière s l’a hors umi siste a n l g ea J a ma s da vres e, a ui ré l r l z u de ateu rs œ bron n ne cré leu ier, , rie de ac ère m to s éla

Fonderie JLB Tout feu, tout flamme !

L

e niçois Jean-louis Begnis n’a pas emprunté la ligne la plus droite pour devenir « « le sage homme » des artistes plasticiens. il en a vu du pays avant d’établir sa nurserie tout feu tout flamme au fin fond de la Z.i de saint-laurent du var. le jeune homme s’est frotté à la déco et à la musique, un univers qui lui colle à la peau et qu’il n’a pas fini d’explorer. « ado je suis monté à Paris où j’ai travaillé pour CBs et virgin, puis j’ai fait des bracelets pour la haute couture, des figuratifs de vitrine pour des bijoutiers à Florence, des peintures pour une galerie à santa Fé ». C’est à Nice qu’il fera ses armes dans la décoration auprès de grands maîtres artisans en travaillant entre autres sur le réaménagement d’établissements de nuit (la suite, le Café sud, le Master home). de cette période qu’il qualifie « d’école de l’exigence ! », de ce parcours initiatique, il fera son miel au point de décrocher en 1990 le titre de Meilleur Ouvrier de France en Ferronnerie et d’hériter d’un regard décapant sur son métier. « Quand j’allais voir certains de mes confrères j’avais l’impression d’entrer dans le village d’astérix. J’ai voulu apporter du vivant, de l’organique dans le métal, de la modernité à la profession ! Je ne voulais surtout pas m’enfermer dans une spécialité ou dans un artisanat poussiéreux ». Cap sur l’art contemporain C’est pour profiter de cette niche que Jean-louis décide de créer sa propre fonderie en 2000 ! et que de chemin parcouru depuis qu’il y donna son premier coup de disqueuse! après quelques chantiers pour des villas et des ouvrages plus graphiques (logos et trophées), la petite entreprise réalise des commandes pour l’univers du cinéma : « Un extra-terrestre pour la promo d’independence

day, des « monsters » pour avoriaz ». depuis sa participation à la restauration des Nanas de Niki de saint Phalle offertes au MaMaC, la fonderie JlB s’oriente vers le marché de l’art et travaille exclusivement pour des créateurs et galeristes internationaux parmi lesquels enrico Navarra ou Guy Pieters. le premier à lui avoir mis le pied à l’étrier fut Philippe Perrin. Pour cet artiste, issu de la villa arson qui se nourrit exclusivement d’extraordinaire, JlB réalisera plusieurs objets surdimensionnés dont 4 poignards, un revolver Beretta en acier long de 3 mètres et plus récemment une couronne de christ de 3,60 mètres de diamètre exposée en l’église saint eustache à Paris. aujourd’hui c’est un gigantesque chapelet qui est en gestation dans les ateliers : « J’ai tout de suite été fasciné par l’univers décalé de ce plasticien qui eut le culot d’exposer dans la vitrine d’une banque le matériel d’un casse ».

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© H Lagarde


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Une expertise tout terrain Métal hurlant et si bon nombre d’artistes comptent aujourd’hui Jean-louis est avant tout un passionné, un amoureux parmi les fidèles de la fonderie - comme stéphane de l’art au point qu’il a cédé lui aussi à la tentation en Cipre qui y réalisa la plupart de ses œuvres montrées créant sa propre ligne d’objets XXl en métal et plus l’an dernier à art Basel (Miami) et à la galerie Ferrero récemment une série de toiles inspirées des égéries (Nice), ou laurence Jenkell accro aux sucreries géande la sci-fi : « C’est plus une thérapie pour moi » tienttes en aluminium qu’elle expose partout dans le monil à préciser. Mais son dernier bébé, clin d’œil à ses de-, Jean-louis préfère rester discret sur les commanpremières amours, c’est une ligne de guitares dont la des. des commandes qui continuent d’affluer malgré coque en aluminium a été pensée avec François Cala crise : « avec cette ambiance à la récession la delais, un guitariste qui s’est illustré dans les studios mande en nouveauté et originalité a augmenté. Je ne Modèle de la série Zinc Guitars parisiens avant d’évoluer au sein de groupes rock losollicite rien, ni personne il m’arrive de refuser cercaux. « le projet est parti de François qui voulait retains travaux pour préserver la qualité et l’écoute qu’il faut avoir visiter l’esprit de la Gibson standard. après avoir réalisé 5 tirages avec les artistes. Mon job c’est d’accompagner leurs intentions ». qui sont déjà entre les mains de Medi (and the medecine show) qui et pour ce faire JlB s’est entouré de huit artisans et d’un sculpteur participa à la dernière tournée de Charlie Winston, Pascal Mono maison qui dégrossit la matière brute. transformation moléculaire ou de Philippe Paradis (le musicien compositeur de Zazie), nous ou travail sans feux (quand il s’agit de résine), JlB exerce son talent travaillons sur de nouvelles formes et sur la quintessence du son. sur tous les fronts, sur toutes les matières. aussi ne cherchez pas Une nouvelle série doit voir le jour ce printemps. C’est toute l’hisl’entreprise dans le bottin à la page fonderie car ici tout est fait de a toire de ma vie, mon côté glamour, je suis un fan de rock qui a à Z sur mesure et à la carte. « On passe de la menuiserie à la patte toujours regretté de ne pas savoir jouer de la guitare ». de verre, pour le Beretta de Perrin on a aussi réalisé la crosse en et qu’importe aujourd’hui si Jean-louis ne fait pas parler l’élecbois ». Une manne pour les créateurs qui n’ont plus besoin de faire tricité avec un médiator, l’homme a d’autres cordes à son arc (à appel à une armada de sous-traitants, une opportunité que seule souder) ! Un savoir-faire qui en fait le complice des artistes, aussi l’entreprise JlB offre sur le département. Guère étonnant dès lors démesurés soient leurs rêves. si Prométhée déroba le feu du ciel que sacha sosno ait également fait appel à ce talent protéiforme pour créer l’homme, Jean-louis Begnis l’entretient pour faire chanpour concevoir sa future fondation. ter la matière. sa façon à lui d’être rock’n roll ! OM

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Un Beretta géant de l’artiste Philippe Perrin

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Horse dubaï/Stéphane Cipre

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figure de l'art

Edmond Vernassa

L’art et la matière Dans un atelier discret, sur le Port de Nice, Edmond Vernassa, chercheur de la matière, de l’art et de la poésie, puise son inspiration dans le plexiglas. Rencontre avec un alchimiste… Interview réalisée par Rodolphe Cosimi 18 février 2009 – Nice Contrainte Plexiglas et métal

R.C : Très tôt, les arts plastiques t’ont attiré et pourtant, c’est auprès de l’industrie que tu vas découvrir un nouveau matériau, le plexiglas. E.V : C’est étrange, dans le sens où c’est assez curieux que ce soit tombé sur moi. Il y avait un laboratoire de recherche Alsthom à Paris, qui a été le premier à fabriquer des plaques de plexiglas en France, parce que c’était un brevet allemand. Ce brevet, pour l’anecdote, était passé au titre de dommage de guerre à la France. Par une succession de circonstances, une personne que je connaissais à Nice, se fournissait chez eux et m’a fait connaître le plexiglas. R.C : La découverte en 1949 de cette nouvelle matière a été littéralement le point de départ de ton aventure créatrice. E.V : Oui. Les Allemands avaient donné la formule de ce matériau nouveau, mais il fallait se contenter de cela. Personne ne savait ni le travailler, ni vraiment quoi en faire. Il fallait faire connaître le plexiglas. J’ai donc commencé à faire quelques pièces, des appliques, des lustres. Le matériau coûtait cher mais des commandes m’ont permis de subsister et pendant quarante ans, je l’ai travaillé. R.C : Tu vas devenir le précurseur de ce matériau qu’est le plexiglas. De quelle

manière l’as tu exploré ? Découvres-tu tout de suite toutes les potentialités de cette matière ? E.V : J’ai été, je pense, le premier à vulgariser ce matériau. Depuis tout jeune, j’ai toujours aimé dessiner, peindre, avant même d’aller au cours du soir des Arts Déco et j’ai toujours ressenti un côté artistique, bien que je préfère dire «création». Ce matériau m’a curieusement un peu paralysé, c’est à dire qu’il était tellement beau, cette apparence de cristal… Il peut se modeler, se transformer, ça m’a séduit tout de suite. Il ne s’agissait pas seulement de le polir et de le mettre sur un socle. J’ai commencé à découper des panneaux de bois peint, sorte de totems, j’appelais ça la poésie de la mécanique, c’était des rouages avec des sortes de pétales, c’était assez curieux. Mais il m’a fallu assez longtemps pour oser travailler ce matériau que j’avais sous la main. J’ai commencé par utiliser certaines propriétés de plaques striées qui avaient des qualités optiques. J’ai eu envie de les manipuler et je me suis rendu compte qu’il y avait des choses à en tirer. C’est le début de la cinéoptique. R.C : Ta rencontre avec les Maeght a été décisive dans ton parcours. E.V : Je continuais à faire mon travail personnel mais Maeght a été décisif car

E. Vernassa devant son atelier à Nice.

c’était le monde des artistes. Au lieu d’être impressionné ou découragé par le talent des autres, ça m’a au contraire donné un coup de fouet. J’avais déjà commencé la cinéoptique, les écrans, les images virtuelles mais j’en suis sorti et j’ai voulu faire des recherches pour représenter les mouvements dans l’espace.


figure de l'art

La vie des arts

Hommage à Moebius - Cinétique 1971

Contrainte Plexiglas et métal

R.C : À partir de ce moment, tu n’as cessé d’être un chercheur invétéré et de te servir de ce matériau au service de l’art. D’ailleurs, l’essentiel de ton œuvre a été développé avec cette matière ? E.V : L’œuvre classique oui, mais quand je l’ai travaillé, je lui ai un peu fait subir tous les outrages. Je savais quelles étaient ses qualités et ses défauts dans la fabrication, je connaissais ça à fond. C’est même ce qui m’a permis d’aider d’autres artistes, parce que cette connaissance a montré qu’il s’agissait d’un matériau noble qui tenait dans le temps. Ces qualités m’ont séduit, et j’ai même été au-delà en provoquant des ruptures, des échauffements, des brûlures, tout ce qui pouvait se faire au-delà des normes du travail classique. R.C : Tu vas avoir une double approche du plexiglas, matière qui va exercer sur toi une véritable fascination. La première est l’approche expérimentale, la seconde philosophique. Comment expliquer ce rapprochement entre science et art ? E.V : Dans mes recherches, je fais quelque chose d’abord et je cherche après le thème qui correspond. C’est peut être une boutade mais un tronc de vérité. Pour l’imagination, j’ai un subconscient qui est génial (rires), j’ai des tas d’idées formidables… L’inconscient, bête comme ses pieds ! C’est

une espèce de lutte entre le côté esthétique et l’envie de dominer la matière. Il paraît qu’il y a un côté poétique mais ce n’est pas ma recherche. R.C : De nombreux scientifiques saluent ton travail et portent une attention particulière à ton œuvre. E.V : Il s’est trouvé que j’ai fait une exposition assez importante dans l’arrière-pays et le physicien Pierre Coulet a trouvé des similitudes entre mes recherches sur le mouvement et le monde scientifique. Il paraît que j’ai illustré des théories pointues actuelles sans le savoir, je suis très surpris et ça s’est produit dans différentes périodes de mon travail. Ecrans, spirales, ondes. A chaque fois, on a trouvé quelque chose, jusqu’aux froissures. C’est encore une boutade mais Pierre Coulet ne veut pas croire que je n’ai pas fait d’études supérieures et il ne comprend pas comment j’ai pu trouver tout cela sans les mathématiques. Sincèrement, je suis nul en math, je fais des pièces instinctivement. Il est très étonné que je n’aie pas fait d’études. Je suis très étonné moi aussi, je ne comprends pas qu’on puisse réaliser de telles choses par le calcul… R.C : La cinétique a été ton premier champ d’exploration. Puis, à travers des sculptures, des kaléidoscopes colorés,

de véritables machines cinétiques et jeux de miroirs, tu as exploré le temps, la lumière, le mouvement. E.V : C’est exact. Il y a toujours eu derrière ça, le déroulement du temps. Pour travailler sur le temps, j’ai été obligé de provoquer un mouvement hélicoïdal, linéaire ou autre. Ce qui m’a intéressé un jour, ça a été de tenter d’arrêter le temps. C’est prétentieux de vouloir arrêter le temps (rires) mais ce que j’ai voulu représenter, c’est ce que j’appelle les Contraintes. Ce moment où le pavé veut passer au travers de la plaque, s’enfonce dedans et reste en suspension. C’est l’arrêt du mouvement. R.C : Les « tensions et contraintes », comment y arrives-tu ? E.V : C’est une grande partie de mon travail. Je suis allé plus loin dans la matière. Un jour, Michel Dray, qui m’avait bien poussé à la chose me dit : «Tu devrais essayer de la violenter». J’ai toujours eu des scrupules d’avoir un bloc de plexi bien poli et de devoir l’abîmer. Je l’ai pourtant déformé, ramolli. J’ai pris sur moi d’aller plus loin, de chauffer davantage, de pousser les limites du matériau, de créer des accidents provoqués. Je me suis rendu compte que c’était très intéressant dans le sens où ça avait beaucoup de force. On voit des brisures internes qu’on ne voit pas dans d’autres matériaux.

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Ci-contre : Brisures

R.C : Brisures, arrachements accidentels… Toujours la même recherche des effets et des conséquences d’effets de la matière ? E.V : Exactement, c’est une continuité, et j’espère qu’il n’y aura pas de fin. Ou peut aller avec ce que l’on peut en faire, c’est cela qui est passionnant. Il y a toujours un côté esthétique, je ne peux pas m’en empêcher bien sûr. Autant que la pièce soit belle ! R.C : N’y a t-il pas derrière cette recherche une envie de jeu, presque enfantin ? E.V : C’est un fait. Je dirai presque la recherche d’humour, elle est discrète mais pour moi, c’est assez drôle. La matière se déforme d’une certaine manière et c’est assez marrant. R.C : Toujours en recherche sur ton matériau de prédilection, tu vas aborder ensuite pendant une quinzaine d’année, une série d’œuvres qui va évoluer autour de la notion de reflets et de distorsions. E.V : Je pense que c’est une suite logique. J’ai commencé par le mouvement interne, le mouvement de l’espace externe et l’arrêt du mouvement. Pourquoi ne pas prendre le

reflet de ces recherches ? Ces reflets, je les trouve intéressants, dans le sens où ils provoquent les mêmes distorsions que l’objet que j’ai contraint. Le bloc de plexi que j’ai ramolli, écrasé, et d’une certaine manière, déformé, est devenu une chose nouvelle. Je retrouve des distorsions. Pas les mêmes, mais c’est comme si on était intervenu manuellement dessus. Il y a toujours cette corrélation. R.C : Le travail préparatoire est-il important ? De l’idée à la réalisation de tes œuvres, y a t-il une part de chance ou tout est-il calculé au moindre détail ? E.V : On est en lutte avec des matériaux qui ne se laissent pas faire. Et on se retrouve face à des inattendus qu’on ne pouvait pas inventer, des sortes d’accidents qui vont provoquer d’autres idées. C’est seulement comme ça qu’il y a progression. Le travail préparatoire, c’est d’abord dans mes recherches mentales qu’elles commencent. J’imagine un mouvement, une pièce assez impossible à réaliser, ensuite, je râle parce que je n’arrive pas à la faire. En passant au croquis, je la découvre mieux mais elle a perdu de sa force et de sa valeur. Ensuite, je passe à la maquette. La réalisation est

Ci-dessus et en haut à gauche : Séries Hélicoïdales

difficile, pénible. Il m’a fallu plusieurs années pour réaliser certaines pièces. Pour l’Hommage à Moebius, il m’a fallu du temps pour faire entrer une roue dans elle-même. Une part de chance ? Tu me tends la perche…. (rires). Un proverbe que j’aime beaucoup dit: « Mieux vaut avoir de la chance que du mérite », c’est tellement vrai ! Je n’ai jamais été emballé par mon travail, je ne me suis jamais pris au sérieux, ce qui est très mauvais, parce que c’est contagieux (rires) et si tu ne te prends pas au sérieux, les autres non plus… J’exagère, mais je n’ai pas toujours été content de moi. Aujourd’hui, je commence à découvrir certaines qualités de mon travail, à mon âge canonique. R.C : Ton travail va te conduire à l’Art monumental, notamment une commande publique d’un monument à La Trinité. On peut trouver aussi plusieurs de tes œuvres dans les villes. Que t’apporte ce type de démarche ? E.V : Cela a toujours été mon rêve. J’ai toujours dessiné… dessiné de grandes pièces. L’opportunité m’a été donnée et c’était un grand plaisir. Cela a été une sorte de finalité, une trace de grande dimension. Mais j’ai aussi fait des bijoux et un artiste doit savoir faire les deux. Un petit objet peut être en lui-même monumental.


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Photos © Rodolphe Cossini

figure de l'art

Brisures

R.C : Tu as récemment reçu, et à l’unanimité, le Grand Prix du Comité Doyen Jean Lépine. Une belle consécration qui couronne ta carrière et ton œuvre. E.V : C’est inattendu. Je le pense sincèrement. C’est valable pour le prix comme pour les conférences qui parlent de moi ou de mon travail. J’ai l’impression qu’on parle de quelqu’un d’autre… Cette récompense, il y a des personnes qui l’auraient méritée plus que moi. Mais c’est bien d’être reconnu. C’est une double reconnaissance, artistique et artisanale, à travers le matériau. C’est une reconnaissance aussi pour Plexi Azur. Il a permis aux artistes de l’École de Nice, les artistes de Maeght, Miro, par exemple, de travailler dans mon atelier. R.C : Tout a-t-il été découvert avec le plexiglas ? E.V : On n’a jamais fini de découvrir, une vie ne suffit pas au métier. Ce qui est merveilleux, c’est que le plexi a été découvert en 1932 et il est travaillé encore aujourd’hui dans la façon. Il a toujours gardé ses qualités et n’a jamais été détrôné. C’est quelque chose pour une matière plastique ! Je pense avoir contribué à lui avoir donné une certaine noblesse. Lorsqu’on parle de matière plastique, généralement, c’est péjoratif. Ce n’est pas la même chose avec ce matériau.

Cinéoptique - 1969

R.C : Finalement, artiste ou chercheur ? E.V : Chercheur. S’il y a un côté artistique et poétique, tant mieux ! J’en suis heureux, mais je me considère plus comme un chercheur. Je suis très curieux comme doit l’être un plasticien, je regarde le ciel, les nuages, le trottoir et il y a des choses remarquables : le reflet de la lumière sur les coques de bateaux, ces miroitements, je tente de me rapprocher de la nature, on cherche à l’intégrer quelque part, même si l’on ne s’en rend pas compte.

Edmond Vernassa nous a quittés le mois dernier et cette interview est un hommage que toute l’équipe d’Art Côte d’Azur a voulu lui rendre.

Contrainte Plexiglas et métal - 1974


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la vie des arts

littératUre

Éditions L’Amourier L’amour du beau travail ebéniste puis facteur d’instruments de musique, Jean Princivalle a fondé les editions l‘amourier en 1995. avec 150 livres au catalogue, cette maison a fait de la diversité son credo. avec un dénominateur commun : le goût du travail manuel et des belles écritures.

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i Cupidon n’y est a priori pour rien, le nom de l’amourier n’a pourtant pas été choisi par hasard. Nom du quartier où se situe la maison d’édition, cet endroit était jadis planté de mûriers (amourier en occitan). Un arbre dont les feuilles sont utilisées pour l’élevage des vers à soie. « On est ici dans le tissage, dans la patience et l’obstination, le textile : dans l’amour des textes en somme ». situées à Coaraze, village de l’arrière-pays niçois accessible par de petites routes tortueuses, les Éditions l’amourier sont le reflet de leur créateur. ici, on prend le temps, entre deux récoltes d’olives donnant une huile précieuse, de construire, quasiment à la main, des livres atypiques pour « dire là quelque chose du monde qui ne se dit pas ailleurs », comme l’a écrit raphaël Monticelli dans Basilic, la gazette de l’association des amis de l’amourier. Ébéniste puis facteur d’instruments de musique, Jean Princivalle avait installé ici son atelier, où ont travaillé jusqu’à six ouvriers. Un passé d’artisan et une âme de paysan, dont le mélange donnent un parti pris esthétique bien à lui : « police à gros caractère, empreinte forte, garamond gras… ». et une langue liée elle aussi au terroir. Féru de lecture depuis l’enfance, Jean Princivalle a toujours écrit et s’est aussi essayé à la gravure. « il était logique que j’en vienne à l’édition, une sorte de retour à mes premières amours et aux modes d’expression privilégiés de ma jeunesse. »

© H Lagarde

fant du Paillon, sur papier chiffon et imprimé en offset, et propose un texte d’alan Pelhon en écho à une sculpture publique de derez a. derez. livre « enfant » aussi puisque constitué de douze pages dont quatre de dessins. Un objet inhabituel, qui a intéressé le public. « Je voulais faire des livres originaux, confirme Jean Princivalle. le deuxième, je l’ai signé moi-même et il a tous les défauts ! ». « Brouillon » de la collection Grammages, il a dû être modifié car Jean Princivalle ne parvenait pas à le mettre en typo. démarrée tel un loisir, cette activité a rapidement pris de belles proportions, comme une sculpture qu’on modèle au fil des inspirations. « Un jour, j’ai rencontré Michel Glück à une lecture de Charles Juliet au Monastère de saorge, se souvient Jean Princivalle. Nous avons discuté et avons décidé qu’il allait écrire sept livres sur la création artistique mise en rapport avec la Genèse ». aujourd’hui, les editions l’amourier publient une dizaine d’ouvrages par an, comptent plus de 150 titres à leur catalogue composé de 12 collections et accueillent 80 auteurs et 50 illustrateurs. Parmi les premiers à avoir franchi le cap de l’impression numérique, Jean Princivalle aime à la mélanger à des techniques classiques, plomb et offset, qui ont aussi leurs avantages. l’histoire s’est poursuivie au fil des rencontres, « les textes arrivent d’abord par amitié », puis en partant à la découverte de manuscrits très variés. « la diversité est confirmée par la contribution de chacune des six personnes qui constituent le comité de lecture, dont alain Freixe et raphaël Monticelli, qui ont démarré l’aventure avec moi. Hormis les critères de qualité autour desquels nous nous rassemblons, il est évident qu’autant de sensibilités différentes ne sauraient aboutir à une ligne éditoriale stricte, étroite, ni même bien définie. Notre choix est de privilégier des écritures originales, poésies et textes en relation avec des œuvres plastiques, proses aty-

On est ici dans le tissage, dans la patience et l’obstination, le textile : dans l’amour des textes en somme

150 titres au catalogue autodidacte, il découvre en expérimentant et met un jour le doigt dans une presse à gravure, pour ensuite y plonger tout entier. 1994 fut l’année du tournant. « J’ai passé cette année-là à monter un atelier, acquérir une presse, choisir des casses de caractères, trier du plomb ». le premier ouvrage, paru en mars 1995, s’intitule l’en-


littératUre

la vie des arts

Parmi les premiers à avoir franchi le cap de l’impression numérique, Jean Princivalle aime à la mélanger à des techniques classiques, plomb et offset, qui ont aussi leurs avantages.

Contact editions l’amourier 1, montée du Portal 06390 Coaraze www.amourier.com

révolution numérique si Jean Princivalle a le goût du beau travail, cela ne va pas sans un certain sens des réalités. sa démarche est courageuse, « et surtout inconsciente », comme il aime à le préciser. toujours à l’avantgarde, il s’intéresse de près à l’e-book, dont il vient d’acheter un

Photos © H Lagarde

piques et formes narratives courtes ». l’amourier, c’est aussi un style graphique qui s’affine grâce à Bernadette Griot qui, devenue associée, y a apporté sa touche et sa personnalité. « elle est non seulement la tendre moitié du fondateur mais représente aussi une grande moitié du devenir de la maison ! ». les plasticiens participent également à l’enrichissement de ce style, par leur contribution allant bien au-delà de l’illustration. légende fleurie témoin de cette philosophie, l’une des dernières parutions : la légende fleurie, de raphaël Monticelli, avec des dessins de Martine Orsoni, relatant l’histoire d’une trentaine de saints et saintes du calendrier ou de la géographie. « au début des années 90, j’ai découvert le travail de Martine, qui était en train de préparer une exposition à partir de sa série la légende fleurie, et l’on m’a demandé d’écrire les textes de présentation, se souvient l’auteur. son univers m’a interpelé et je me suis dit que je n’avais qu’une chose à faire : raconter les histoires qu’elle montrait ». en 1995, le catalogue de l’exposition a été donné à Jean Princivalle. en 2009, il a eu l’accord pour la réédition du livre. raphaël Monticelli s’est donc penché à nouveau sur la question. « Écrire sur les saints au début du XXie siècle est une démarche particulière, confesse-t-il. Mais elle ne relève pas d’un militantisme clérical, ni anticlérical. Écrire une légende, c’est sortir de soi et se concentrer sur un imaginaire collectif ». avec humour ou gravité, les textes et dessins, tous enrichis pour l’occasion, présentent ces figures saintes en prenant des détours inattendus. « Cette légende renoue avec l‘innocente impudeur et la croyance incertaine des enfances ébahies par l’utopie des paradis et le pouvoir des rêves ». Un voyage dans l’émerveillement, teinté d’un érotisme que l’on retrouve souvent dans l’œuvre de Martine Orsoni. « et qui fait référence à l’indéniable charge érotique des saints dans les églises ! », s’amuse raphaël Monticelli. Féministe, ce dernier se pose en défenseur de ces femmes qui ont réagi avec tact aux pires humiliations et se moque, avec bonhomie, des hommes de pouvoir. On y découvre une Marie dans ses apprentissages de l’écriture et de la lecture, ou Joseph, à la fin de sa vie, grand connaisseur des écritures. d’autres personnages étonnants s’offrent à nous : saint Georges de la Manade de Marie ou saint ambroise, premier à lire sans labialiser. Une histoire d’amour des mots, encore…

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modèle la veille. il participe à de nombreux colloques sur la question, dans lesquels il rencontre d’autres acteurs du livre, « qui ont peur qu’on se passe d’eux dans cette nouvelle aventure ». il mène une réflexion autour de ce thème : comment mettre en œuvre une dématérialisation qui ne coûte pas plus cher et qui fasse vivre l’auteur et l’éditeur ? « il faut voir l’e-book comme un complément, car le risque de pillage est majeur et la fragilité du modèle est grande, quand on voit à quelle vitesse vont les révolutions technologiques ». autre problème de l’édition : Jean Princivalle s’inquiète de voir le manque de curiosité du public. « Chaque livre a un potentiel de 2 000 à 3 000 lecteurs, estime-t-il. encore faut-il qu’ils soient informés de la parution du livre ». et, malgré ses campagnes de communication, les articles dans la presse se font rares. « On nous répond : on vend ce qui se vend ». Contre vents et marées, du haut de son village, Jean Princivalle continue de filer le parfait amour avec les livres et la famille s’agrandit de jour en jour. fS

Contre vents et marées, du haut de son village, Jean Princivalle continue de filer le parfait amour avec les livres et la famille s’agrandit de jour en jour.



This is war ! Corée 1950 -1953

27 mars 30 mai 2010

Porte Sarrazine 06250 Mougins. Tél: 04 93 75 85 67. museephoto@villedemougins.com Ouverture Du mardi au vendredi: 10h / 12h30 et 14h / 18h Week-ends et jours fériés: 11h / 18h

www.mougins.fr

David Douglas Duncan


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