Artcotedazur N°15

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Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes

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Art Côte d’Azur Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes Numéro 3545 Du 4 au 10 Mars 2011 Bimestriel ISSN 1962- 3569 Place du Palais 17 rue Alexandre Mari 06300 NICE Ont collaboré à ce supplément culturel : Rédacteurs Frédéric Altmann Alain Amiel Alina Gavril Olivier Marro Directeur de la publication & Direction Artistique François- Xavier Ciais Conception graphique Maïa Beyrouti Graphisme Maïa Beyrouti Caroline Germain Photographe Hugues Lagarde Dessin de Couverture Création et mise en couleurs inédite d’Alexis Robin pour Art Côte d’Azur ©Tous droits réservés

Rédactrice en chef Valérie Noriega Tél : 04 93 80 72 72 Fax : 04 93 80 73 00 valerie@artcotedazur.fr www.artcotedazur.fr Responsable Publicité Anne Agulles Tél : 04 93 80 72 72 anne@petitesaffiches.fr

Art Côte d’Azur est imprimé par les Ets Ciais Imprimeurs/ Créateurs « ImprimeurVert », sur un papier répondant aux normes FSC, PEFC et 100% recyclé. La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, cellesci n’engagent que leur auteur. Tous droits de reproduction et de traductions réservés pour tous supports et tous pays.

© J-C Dusanter

Abonnement Téléchargez le bulletin d'abonnement sur : www.artcotedazur.fr ou par tél : 04 93 80 72 72

à Paris, en parcourant la capitale, Moebius se devait d’être également de la partie. Nous titillerons l’illustration avec Jacques Parnel, et reviendrons vers le travail de la matière avec Antoine Graff, Patrick Schumacher, et Miryan Klein. Toujours très intéressés par les collectionneurs, nous irons prendre un café artistique chez Jean-Pierre Blanc, et découvrirons dans la cité princière voisine une des plus merveilleuses collections de grands maîtres Russes au sein de la famille Khatsenkov. L’art s’exposera dans les prochains jours pendant la Foire de Nice lors du désormais salon incontournable « Tous à l’Art ! », mais aussi sur le Rocher, avec « Art Monaco 11 », en préparation, Monaco où nous découvrirons l’Association Internationale des Artistes de l’Unesco. Alors, c’est bien dans ces périodes de troubles qu’il ne faut pas oublier que l’art reste peut être le dernier moyen de sauver nos âmes, car l’art permet à certains de s’évader, à d’autres de produire une œuvre emplie de cicatrices. L’art est expression, l’art est création, l’art est universel, multi et pluri–ethnique, l’art est avant tout liberté, l’art est vie. F.-X. Ciais

Mi Amor Tu m’as mis À mort Avec sursis J’ai eu le tort D’être en vie Mediator Combien de morts ENCORE Pendant 33 ans Tu as empoisonné À tous les coups D’amphétamines Toxiques Benfluorex et Amines Problématiques Coupe faim Précipitant la fin Des gens Des patients Qui voulaient Juste se soigner Avec des médicaments Mets-moi dix calmants Combien de morts Escamotés Dans l’ombre Sans un cri Pour qu’on te retire Enfin aujourd’hui Médiator Conquistador Du marché Le temps d’engraisser D’or Dans le noir Un laboratoire En bonne santé.

Poème d’Arnaud Duterque

Tous les arts ont produit des merveilles, l’art de gouverner n’a produit que des monstres. Louis Antoine de St Just. À l’heure où de nombreux ministères d’affaires étrangères sont sur le qui vive, à l’heure où la démocratie des réseaux sociaux permet le soulèvement des foules jusqu’ alors silencieuses, un vent de contestation et de changement souffle sur le monde. L’art sauvera-t-il l’humanité, l’art n’est-il pas un des derniers territoires d’expression qui par delà les hommes et les frontières, engage un échange et un langage universel dernier, rempart des incompréhensions et des batailles de pouvoirs ou de religion. C’est avec passion, avec énergie, avec envie et bonheur, que nous cherchons, que nous rencontrons, que nous découvrons ces acteurs artistiques. Toute l’équipe a souhaité un numéro d’expression particulièrement graphique ; une couverture personnalisée évoquant les principaux ambassadeurs artistiques de notre région, exécutée d’une main de maître par Alexis Robin dont nous remercions la patience et le travail. Dans cet esprit thématique nous ne pouvions passer à coté de Jean-Michel Basquiat, avec la belle découverte d’une exposition extraordinaire


EN VILLE PARIS : EXPOSITION TRANSE FORME MOEBIUS

8 BIOT 12 VALBONNE 14 MONACO 16

© ADAGP Paris 2010

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HORS LES MURS

HORS LES MURS PARIS : EXPOSITION BASQUIAT

ART TIS : L’ARTOTHÈQUE

© Moebius Productions

JACQUES PARNEL- ILLUSTRATEUR

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MONACO

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NICE

TATIANA ET GEORGY KHATSENKOV GALERIE MC FINE ARTS

© Courtesy Galerie MC Fine Arts

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES ARTISTES DE L’UNESCO

© Nicexpo

TOUS À L’ART !


La vie des arts 22 BANDE DESSINÉE : MÉTIERS DE PASSION

© Minery

FOCUS

26 MALONGO JEAN-PIERRE BLANC COLLECTIONNEUR

28 ANTOINE GRAFF 33 PATRICK SCHUMACHER 35 MIRYAN KLEIN ARTISTE

© M Klein

FIGURE DE L’ART

© C. Saint-Blancat

© A. Graff

©Courtesy P Schumecher

ARTISTE


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PA R I S

Moebius Transe Forme Fondation Cartier pour l’Art contemporain, Paris 12 octobre 2010 – 13 mars 2011

Qui de Gir ou Moebius est le vrai Jean Giraud, né en 1938 à Nogent-sur-Marne ? Le plus classique des cow-boys issus du cinéma américain ou l’Indien inspiré et mystique issu d’un monde peuplé de mystères ?

À

14 ans, Jean Giraud découvre la science-fiction, il s’éprend des grands auteurs comme Philippe-José Farmer, Asimov, Philippe K. Dick, qui vont accompagner son adolescence. La bande dessinée américaine : Flash Gordon, Prince Vaillant, etc., va influencer son trait et les Impressions d’Afrique de Raymond Roussel développer son imaginaire et son rapport aux mots qu’il ne craint pas de tordre ou d’inventer. Après deux années aux Arts Appliqués, Jean Giraud rejoint sa mère au Mexique où il découvre les grands paysages désertiques et les histoires chamaniques qui vont profondément l’influencer. À son retour à Paris, sa rencontre avec J.-M. Charlier est déterminante. Avec les aventures du lieutenant Blueberry (près de 30 albums en trente années), il nous offre tout l’univers du western classique : les grandes plaines, les saloons, les chevauchées, les bagarres. Des dessins très documentés aux perspectives fouillées, des planches classiques très denses où le moindre cactus est dessiné avec précision, le tout au service d’une mise en scène cohérente et très structurée. En revanche, Moebius (le nom vient bien sûr du ruban éponyme) est rêveur, mystique, explorant des univers aléatoires. Contrairement à Blueberry où le scénario est très précis, il laisse son imagination - son inconscient - le guider : « Moebius, c’est un solo de jazz, l’improvisation totale, la liberté de dessiner une case sans savoir ce qui va suivre ». Son dessin, radicalement différent, transgresse les codes. Il mélange tous types de graphismes, de la ligne claire aux ombres hachurées proches de la gravure et s’affranchit des codes de la bande dessinée

classique. Il fait œuvre de précurseur à l’instar de ses amis Druillet, Mandryka, Gotlib avec lesquels il fonde des journaux de BD s’adressant à des adultes : Hara-Kiri, L’Écho des Savanes, Métal Hurlant, etc. Aux planches sursaturées de Blueberrry succèdent de grandes pages très blanches aux lignes épurées. Les personnages (Arzach, Major Fatal, John Difool) sont dessinés avec une grande économie de moyens. Seule compte la ligne qui semble se déployer à la manière d’un morphing. Le Major Grubert, archétype de l’explorateur, s’impose. Son identité changeante, au fil des planches souvent réalisées très vite, va se préciser. Le héros prend son épaisseur. Il a pour tâche de surveiller des univers instables, chaotiques qu’il tente de maîtriser. Une métaphore de l’auteur en prise avec son imagination extravagante qui le conduit à dessiner des mondes poétiques improbables. Giraud rêve de super héros, il semble à la recherche de réalités supérieures qu’une initiation chamanique, mystique, voire extra-terrestre, permettraient d’atteindre. Fantasme d’un savoir sauveur, d’un au-delà de la conscience ou de connaissances supérieures… Mystique peu assuré de ses croyances, il se pose des questions, se forçant à chercher des réponses dans la science et en dehors d’elle. L’exposition à la Fondation Cartier laisse quand même un goût d’inachevé. La scénographie du premier étage est décevante : vitrines difficiles à lire, sons inaudibles provenant de hauts parleurs diffusant des fragments d’interviews de l’auteur qui viennent perturber la lecture, manque d’informations, etc. Au sous-sol, nous sommes plongés un peu plus dans son univers d’images, mais la mise en scène est peu convaincante et en tout cas, loin de rendre compte de cet imaginaire prodigieux. Un film en 3 D réalisé pour l’exposition narre l’aventure d’un couple se rendant sur une planète déserte à la recherche d’un temple abandonné. Ils y trouvent une clé qui va provoquer la renaissance de la vie biologique. Mais ils quittent vite cette planète, un peu inquiets d’avoir déclenché une vie aussi luxuriante. Comme Moebius devant son œuvre ?


HORS LES MURS

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www.fondation.cartier.com

PARIS

Page de Gauche : Jean Giraud, Mister Blueberry,1995 © Dargaud - Charlier - Giraud Cette page, de gauche à droite et haut en bas : Affiche de l’expo à la Fondation Cartier. Portrait de Moebius. Moebius, Ciel d’Arzach, 1995 © Moebius Productions Moebius, Inside Moebius (détail) © Moebius Productions Moebius, Dessin préparatoire pour Arzach, 1995 © Moebius Moebius, Le Major Grubert, 1994 © Moebius Productions Moebius, Le Monde d’Edena, Tome 3 - Planche 2 © Casterman - Moebius

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HORS LES MURS

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Exposition

Basquiat

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

 Jean-Michel Basquiat dans son atelier de Great Jones Street à Noho, New York, 1985 devant Flexible, 1984, Acrylique et pastel gras sur bois, 259 x 190,5 cm © 2010, The Estate of Jean-Michel Basquiat, New York. Photo : © Lizzie Himmel - © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010

 “Boy and Dog in a Johnnypump”. 1982. Acrylique, pastel gras et peinture à l’aérosol sur toile, 240 x 420,5 cm. Courtesy The Brant Foundation, USA © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010

Pour bien les déchiffrer, il faudrait pouvoir passer des heures devant les toiles de Basquiat. Couvertes de signes, de mots, de lettres, de graphes, de peintures aux couleurs rutilantes, elles sont des rébus où le sens est surexprimé comme pour nous perdre.

S

es influences sont haïtiennes, africaines, portoricaines,

Curieux de tout, lisant beaucoup, écoutant du jazz (surtout Char-

new-yorkaises : les masques, la publicité, le tracé des rues,

lie Parker), il fréquente aussi les grands musées (des arts primitifs

etc., densifient des œuvres qui semblent exploser d’énergie

à la grande peinture européenne) avec sa mère qui jouera un rôle

vitale et d’agressivité.

important dans son devenir d’artiste.

Enfant prodige de la moyenne bourgeoisie, il dessine dès l’âge de

À l’âge de 16 ans, avec son ami Al Diaz, il créera SAMO (Same

quatre ans. Ses parents le décrivent comme un enfant imaginatif

Old Shit - « toujours la même merde » ou « rien de nouveau »)

et hyperactif.

associé au sigle copyright (copier juste). Les graffitis de SAMO

Un accident de voiture à l’âge de six ans va laisser une trace in-

qui couvrent les murs de Manhattan, particulièrement autour des

délébile. Le camion de lait qui l’a renversé est souvent représenté

galeries d’art, sont souvent accompagnés de maximes radicales et

dans ses toiles où l’on retrouve aussi le mot « Boom ! ».

rageuses comme : « C’est la fin des religions laveuses de cerveau,

Hospitalisé un mois, sa mère lui offrira un livre d’anatomie détaillé :

des politiques menant nulle part et des philosophes bidon » ou

Gray’s Anatomy dont il recopiera les planches, apprenant à dessi-

« SAMO sauve les idiots ».

ner l’intérieur de corps disséqués. Plus tard, il créera aussi « Gray »

Ils vivent dans des squats, vendent des cartes postales ou des tee-

un groupe de musique déjanté.

shirts peints à la main et commencent à se faire connaître, avant


pAriS

HORS LES MURS

 “The Box”. 1980-1981. Acrylique, pastel gras, peinture à l’aérosol, papier collé et plâtre sur boîte de bois, 6 x 82 x 46 cm. Collection Doriano Navarra © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010

 “Untitled”. 1981. Acrylique et pastel gras sur toile, 207 x 176 cm. The Eli and Edythe L. Broad Collection, Los Angeles. Photo: Douglas M. Parker Studio, Los Angeles - © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010

de se séparer. Basquiat continuera encore quelque temps à signer « Samo is dead ». New-York à cette époque est un creuset d’artistes : des peintres comme Keith Harring (devenu son ami), Julian Schnabel, David Sale, etc., des musiciens (Kid Creole, Blondie), et des écrivains qui partagent son amour pour les poètes de la beat generation. Jean-Michel Basquiat se fait vite remarquer. Il participe à une émission de télévision puis à des expositions de groupe. Sa première exposition personnelle chez Amina Nosei est un succès. L’artiste des squats a enfin un atelier et un appartement où il peut vivre et créer. Il peint sur de vraies toiles alors que jusque-là, ses supports étaient de bric et de broc : palissades, palettes, planches mal taillées, réfrigérateurs, bouts d’étoffes grossièrement cloués sur des vieux châssis, etc.

 “Portrait of the Artist as a Young Derelict”. 1982. Acrylique, huile et crayons gras sur bois et métal, 203,2 x 208,3 cm. Collection particulière, Paris. Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010

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EN H O RVSI LLLEES MmUO Rn S AcpOA r i S

Ses peintures commencent à bien se vendre. Elles se complexifient, incluant des collages, des images venues de la rue, des graffitis, des symboles graphiques, etc. Tout est équivalent : le mot vaut le dessin qui vaut le symbole qui vaut la trace. Certaines surfaces sont recouvertes, ne laissant qu’une partie encore lisible ou des taches de couleur. Dubuffet, Twombly, Rauschenberg, les masques africains, les cicatrices de la rue, tout est mêlé dans un maelstrom de couleurs fauves où le rouge et le noir dominent. Sa rencontre avec Andy Warhol marquera une nouvelle étape. Adulé par le pape de la Factory, ils travailleront ensemble à l’initiative de sa nouvelle galerie Bischofberger, réalisant de nombreuses toiles qui seront exposées à Zurich.

de haut en bas  “In Italian”. 1983. Acrylique, pastel gras feutre et assemblage sur toile sur cadre de bois, 225 x 203 cm. Courtesy The Brant Foundation, USA © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010  Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat “6.99”. 1985. Acrylique et pastel gras sur toile, 297 x 420 cm. Collection Bischofberger, Suisse © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010  “Slave Auction”. 1982. Collage de papiers froissés, pastel gras et peinture acrylique, 183 x 305,5 cm. Centre Georges Pompidou. Don de la Société des Amis du Musée national d’art moderne, 1993. Photo CNAC/ MNAM, Dist. RMN/ Philippe Migeat © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010

La drogue dont il usait depuis longtemps va progressivement envahir sa vie. La mort d’Andy Warhol va le surprendre et l’attrister. Basquiat est au faîte de la reconnaissance, ses œuvres sont vendues à des prix vertigineux. À 26 ans, il est devenu une star du monde de l’art. Un dernier cocktail puissant d’héroïne et de cocaïne a eu raison de sa vie à l’âge de 27 ans. À sa mort (voulue - non voulue ?), il laisse une œuvre considérable de plus de 1 000 peintures et de 2 000 dessins réalisés en moins d’une dizaine d’années. AA


MONACO

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BIOT

© H Lagarde

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Jacques Parnel, Culbute

Jacques Parnel Un monde parfait

© H Lagarde

Jacques Parnel est un OGNI, (Objet Graphique Non Identifié), un illustrateur aussi vintage qu’intemporel qui, depuis 40 ans, poursuit la même quête. Rencontre du troisième type dans la campagne biotoise…

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Jacques Parnel, Raptor

© H Lagarde

Jacques Parnel, Sci-Fi 13e Rue

© H Lagarde

acques Parnel est né à Chavillle en 1946. Comme beaucoup de « « baby boomer » créatifs il s’est tourné vers la publicité à une époque où Donald Knuth classait l’informatique « entre la plomberie et le dépannage automobile ». Autant dire que notre graphiste dut suer sang et eau sur les pages blanches. Après avoir fait une école d’art graphique à Paris, Jacques intègre en 1967 la SNIP, une grande agence publicitaire parisienne où il restera cinq ans avant de se mettre à son compte : « Bon nombre de directeurs artistiques sont passés par là, alors quand ils ont ouvert leur boite de pub, ils ont fait appel à moi ». Car la fin des seventies marque l’âge d’or du genre et voit des personnalités comme Étienne Chatiliez ou Jacques Ségala inventer la culture Pub. Jacques ne chôme pas, réalisant en free lance de nombreuses campagnes pour les grandes marques de l’alimentaire (Rungis), du cosmétique (ROC), et de l’automobile (Renault). Des campagnes où le dessin se partage la vedette avec la photo. En 1978 il décide pourtant de se délocaliser à Biot. Travailler en province quand tout se passe encore à Paname, un pur moment de rock ‘n roll ? « Je fus un pionnier mais cela s’est bien passé grâce à mon carnet d’adresses et à un agent dans la capitale ». Ainsi l’illustrateur continue au soleil d’honorer les commandes de grandes agences, tout en démarchant les entreprises locales. « La seule difficulté était technique : Sans internet, ni fax, ni courrier express tout passait par la poste et la gare ». L’homme qui venait d’ailleurs Et 30 ans plus tard les choses n’ont guère changé ! Certes l’illustrateur a recours à Internet pour com-

muniquer et possède un PC dans son atelier, mais il ne s’en sert qu’avec parcimonie. Car Jacques est devenu un artiste illustrateur qui revendique toujours le travail pictural à l’ancienne. Et même si ses publicités comme le visage craquelé pour ROC ont fait le tour du monde dans les années 90, face à la déferlante du numérique le dessin publicitaire a dû battre en retraite. Les commandes se faisant plus rares, Jacques développe à la fin des années 90 ce qu’il a toujours fait depuis sa plus tendre enfance : l’illustration d’art. Un art qui emprunte à la Bande dessinée, à la peinture mais également à la publicité, chassez le naturel…: « Mes sources d’inspiration vont de Magritte à Hergé via les réclames et le graphisme de revues comme Life. J’adore ce style aujourd’hui désuet mais qui permettait d’exprimer une seule idée avec une conviction redoutable. Je suis un fan absolu de National Geographic. Je suis tombé sur une pile chez un brocanteur, qui me sert encore de base de travail ». Car en bon artisan Jacques n’a pas renoncé à ce qu’il apprit à la Rue Corvisart. « Sur le plan de l’expression, l’outil ordinateur ne m’a rien apporté. Je fais de la résistance en continuant en 2011 à produire à la main. La préparation de photos, le montage, se font sur photocopies. Quand à la retouche photo à la gouache elle me sert encore beaucoup car je peins souvent à partir de tirages sur toiles. C’est fastidieux mais le plaisir est toujours là ! ». Retour vers le futur Jacques Parnel vient-il du passé ? Toujours est-il que le style graphique qui fit les beaux jours de la propagande et du consumérisme triomphant se retrouve


BiOt

EN VILLE

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 maquettes et illustrations pour la campagne leroy-merlin © H Lagarde

 l’artiste chez lui à Biot croquis du concept halo v2, une capsule designée comme une station spatiale autonome.

© H Lagarde

© H Lagarde

© H Lagarde

dans ses œuvres. « Les années 50, l’American way of life, c’est mon fond de commerce » avoue l’illustrateur qui a commencé par une série sur des soucoupes volantes. L’envahisseur, un thème cher à l’Amérique maccarthiste. Une époque dans laquelle Jacques puise allégrement, du cinéma d’Hitchcock aux films de Drive Inn en passant par les séries TV comme la Quatrième dimension, sans oublier côté cimaises, des maîtres de la figuration comme Norman Rockwell ou Edward Hopper. Des influences qui ont nourri ses commandes comme aujourd’hui ses peintures (vendues via des galeries virtuelles comme celle de Michel Champetier). Il est d’ailleurs parfois difficile de distinguer les unes des autres. Seule la présence d’un logo ou d’un slogan fait la différence. Ainsi cette illustration pour EDF qui met en scène une famille dans un décor rétro-futuriste digne d’un épisode des « Thunderbird » ou, cette publicité presse pour la chaine « SCI FI » où un père noël fait un constat d’accident avec des martiens après que son traineau ait percuté une soucoupe volante. Même topo pour cette campagne d’affichage Leroy Merlin qui décline des maisons in-

sensées. L’architecture est d’ailleurs devenue l’un de ses thèmes de prédilection après qu’il eût réalisé des maquettes pour des architectes. Une maison cubique qui tient par miracle au bord d’un ravin seulement parce qu’un énorme rocher tombé dessus fait contre poids… ça fait sourire, puis réfléchir. Notre société ne tiendrait-elle qu’à un fil ? En tous cas si Jacques Parnel s’est longtemps servi des armes de la société de consommation, il prend désormais un malin plaisir à les détourner pour poser sur nos modes de vie un regard aussi tendre que caustique. Aujourd’hui dans son atelier biotois, Jacques imagine des mondes improbables, jongle avec les paradoxes répondant encore parfois à des commandes comme ce portrait de France Gall dans l’esprit hyperréaliste pour un coffret Hommage. Mais son dernier travail le rapproche une fois de plus de l’architecture. « Voici les plans d’un cinéma futuriste et écologique. C’est une capsule designée comme une station spatiale autonome. Elle est alimentée par des panneaux solaires et des modules ludiques : Vélos, roues, rameurs mus par les spectateurs qui, avant d’entrer dans le dôme doivent fournir l’énergie nécessaire pour y voir un film d’une dizaine de minutes ». Cosigné avec Keïko Courdy le concept « HALO V2 » en recherche de financement vient de trouver preneur en Belgique. Le Centre d’Art Numérique de Mons (CECM) a commandé un projet similaire pour 2011. Étonnant non ? Mais ne dit-on pas que la réalité dépasse la fiction ? Et si Jacques Parnel avait fini par rentrer dans un de ses univers parallèles, dans la quatrième dimension ? À suivre... Om portrait de france Gall © H Lagarde


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EN VILLE

VAlBOnne

l’art tisse… des liens L’Art Tisse entre dans la carrière en 2002 à Valbonne afin d’y porter un projet d’Artothèque. Huit ans plus tard l’association a étoffé ses activités en faveur de l’art contemporain. Retour sur un parcours.

«à

mon arrivée à Nice je me suis inscrite à l’Artothèque

chacun de faire entrer dans son domicile un peu d’art à moindre frais.

de la Médiathèque municipale. Quand cette dernière a

Car tout ici, au cœur du vieux village, est à louer : « Les gens qui vien-

fermé ses portes, je me suis décidée à me lancer dans

nent choisissent une œuvre parmi les 600 sélectionnées auprès d’une

l’aventure » explique cette ex-journaliste et critique d’art à « Ouest

cinquantaine d’artistes que nous soutenons ». L’Artothèque a démar-

France », qui débarqua dans notre région suite à la mutation de son

ré avec un petit groupe estampillé art contemporain dont Alexandra

mari à Sophia Antipolis. Après s’être occupée d’artistes locaux et

Allard et Margaret Michel, mais a dû élargir sa palette afin de répondre

notamment de l’exposition à la Fondation de Sophia du plasticien

à la demande. « Si la plupart des disciplines sont aujourd’hui représen-

Rémy Tassou initiateur de l’art cybertrash (œuvres créées à partir de

tées, peinture, sculpture, photo, nos artistes doivent témoigner d’une

déchets informatiques), Patricia Civel parvient à convaincre la Mairie

réelle démarche plastique. Nous ne proposons pas de marine ou de

de Valbonne d’ouvrir une Artothèque dans le village. Huit ans plus

paysages bucoliques ». Les œuvres choisies sont soigneusement em-

tard l’association y œuvre toujours afin de promouvoir l’art contem-

ballées et confiées avec une bio de l’artiste pour une somme de 8, 16

porain sur tous les fronts.

ou 24 euros par mois selon le format. Une carte d’unité de location

faites comme chez vous !

(12 x 8 euros) est même proposée pour simplifier la procédure. Une

On y entre les mains dans les poches, on en ressort avec une toile sous le bras. Patricia Civel serait-elle une fée qui transforme le quidam en amateur d’art ? Non, c’est la magie de l’Artothèque que cette femme - qui a toujours souhaité faire l’interface entre les créateurs et le public - est parvenue à ressusciter dans une région plutôt chiche

centaine d’œuvres est dehors en permanence, ce qui correspond au ratio habituel d’une artothèque. Les œuvres qui partent le mieux ? « Nos fidèles, s’ils sont en majorité

des

quinquas,

n’ont pas tous les mêmes origines et goûts. Nous avons une grosse clientèle nordique qui a un faible pour les toiles absfd

traites ». Certaines entreprises de la technopôle qui font appel à l’Artothèque comme Thales (Ex Alcatel) sont elles plus sensibles au travail avant-gardiste de Tassou. D’autres font le déplacement de Nice, comme ce Cadans ce domaine. « Seule la ville de Carros disposait alors d’un tel service ». La première intervention de l’Art Tisse (comprendre l’art tisse… des liens) fut donc de doter Valbonne d’un outil qui permette à

binet comptable qui vient deux fois par an pour rehausser le niveau de son accueil. « L’Artothèque offre l’opportunité à des néophytes de s’habituer à consommer de l’art. Elle permet d’initier des personnes qui n’auraient probablement jamais poussé la porte d’une galerie.


VAlBOnne

EN VILLE

vice également avec les maisons de retraites. Nous travaillons aussi auprès des personnes à mobilité réduite afin de leur faciliter l’accès à l’Artothèque et à nos expositions ». Si les 200 adhérents que compte l’association ont souvent des goûts très classiques Patricia ne ménage pas son talent pour faire évoluer leur approche de l’art. Ainsi depuis deux ans Ma fierté est d’avoir réussi à susciter quelques

l’association propose à ses fideles des voya-

vocations de collectionneurs. Mais nous ne som-

ges culturels avec un médiateur : l’artiste

mes pas une galerie, nous faisons bien d’autres

Alain Biancheri. Un guide avec lequel ces der-

choses, notre objectif n’étant pas lucratif ».

niers ont pu découvrir la Biennale de Venise

expositions, sensibilisation, évasion

ou Berlin et sa scène alternative. « Cette année

Ainsi soutenue par la municipalité de Valbonne qui lui prête ses locaux et subventionne à hauteur de 40% l’association, l’Art Tisse propose toute l’année des activités autour des enjeux liés à l’art plastique. « Dès notre création nous avons souhaité offrir un lieu d’accrochage temporaire aux créateurs régionaux ». Ainsi en huit années d’exercice et à raison d’une tous les quinze jours, 87 expositions ont été organisées par Patricia, épaulée depuis peu par Benjamin à la Salle Saint Esprit. « J’ai connu les années 80, le dynamisme des années Jack Lang. Mais quand je suis arrivée sur la Côte, l’École de Nice battait de l’aile. Alors je suis allée voir du

nous hésitons entre la Foire de Balle, Barcelone ou Bilbao. Ce service axé sur l’art in situ nous permet d’agir de façon plus exigeante en proposant la visite de lieux emblématiques de l’art actuel. Et cela fonctionne, notre public est en demande ». Cette volonté de tirer par le haut tous les publics, se manifeste également dans la programmation de la Salle Saint esprit dont le calendrier est déjà plein jusqu’en juin. « En huit ans, nous avons fait passer tout le monde et n’avons à rougir d’aucune exposition. Aujourd’hui il est temps de ralentir la fréquence et de nous recentrer sur des invitations d’artistes plus pointus ». Om

côté de la Friche des Diables Bleus où j’ai rencontré puis exposé Louis Dollé comme au hangar Saint-Roch où Maurice Maubert évoluait. En fait nous avons suivi l’évolution du tissu artistique et in fine exposé à Valbonne bon nombre d’artistes en devenir ou confirmés : Patrick Moya, Rémy Tassou, Yves Hayat, Michel Reyboz, Margaret Michel, Champollion, et d’autres moins connus mais dont l’engagement pouvait avoir valeur d’initiation. Et si l’association L’Art Tisse n’est pas clairement identifiée, c’est justement parce que ses engagements visent des populations diversifiées. L’Art Tisse qui compte aujourd’hui trois salariés à temps plein intervient également en partenariat avec les collectivités pour des missions sociales ou pédagogiques. « Je me déplace dans les écoles de Valbonne mais aussi à Mougins pour proposer des tableaux aux élèves qui, après débats, finissent par en choisir un que nous accrochons in situ. Nous avons développé ce ser-

Page de gauche :  L'Artothèque prête des œuvres et organise des expositions Photo du milieu © H Lagarde Deux autres photos © Courtesy Artothèque

Page de droite :  Portrait de Patricia Civel © H Lagarde  Diverses vues de l'Artothèque © H Lagarde

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EN VILLE

mOnAcO

Le Comité National Monégasque de l'Association Internationale des Arts Plastiques auprès de l' U.N.E.S.C.O Association fondée en 1955 Président d'honneur : Son Altesse Sérénissime le Prince Héréditaire Albert II

une assoCiation Culturelle eXeMplaire

L

e Comité National Monégasque de l'A.I.A.P, a été créé par

réaliser un travail qui prenne en compte la Principauté, afin de laisser

Etienne Clérissi en 1955. Ce comité, placé sous l'égide de

une trace patrimoniale.

l'UNESCO a pour buts de promouvoir les Arts plastiques

Des expositions sont organisées une ou deux fois par an dans la

en Principauté et de créer des échanges avec des artistes de tous

prestigieuse Salle d'Exposition du 4, Quai Antoine 1er, et tout au long

les pays.

de l'année à l'Espace d'Art de l'association, 10 Quai Antoine 1er, ou en

Il existe en effet plus de 80 Comités Nationaux adhérents à l'A.I.A.P

divers lieux de la Principauté.

à travers le monde. Depuis quelques années, les statuts permettent

Le Comité propose également à ses adhérents et aux habitants de la

d'accueillir en plus des artistes, des membres de soutien, amateurs

Principauté des conférences et des réunions mensuelles autour du

d'art contemporain ou simplement des résidents désireux de partici-

travail d'un artiste.

per à la vie culturelle de la Principauté en développant l'art vivant et le

Éditions de films et de monographies, voyages, visites d'ateliers

sens créatif du spectateur de l'œuvre d'art.

et d'expositions font ainsi partie des activités programmées par le

Grâce à l'appui du Gouvernement Princier et de la Direction des

Comité. Une équipe dynamique anime cette association culturelle

Affaires Culturelles, le Comité dispose d'un atelier où des artistes

exemplaire: Marie-Aimée Tirole, Présidente ; Christian Giordan, Vice-

sont sélectionnés pour effectuer des résidences de quelques mois et

Président ; Hervé Boucherie, Trésorier ; Marylaure Pastorelli, Secré-


mOnAcO

EN VILLE

taire Générale, Attachée aux Relations Publiques ; Christian Bonavia,

Un jury sélectionne les artistes, composé de Bernard Massimi, Prési-

Conseiller Artistique, Chargé des Membres de Soutien ; Dominique

dent des Amis du M.A.M.A.C ; Frédéric Altmann, chroniqueur d'art et

Kindermann, Conseiller, Chargée du Protocole.

photographe ; Madame Guislaine Del Rey, Professeur agrégé d'arts

Toutes les disciplines contemporaines sont présentes.

plastiques à l'Université de Nice, Sofia Antipolis ; Madame Loredana Bolis, Directrice de la galerie Maretti à Monaco ; Guillaume Aral, Direc-

Chaque année, l'association met en évidence un pays différent, sur

teur de la Galerie Ferrero à Nice.

des thèmes différents, quelques exemples : « Tout Bouge Autour de Nous », « Corps et âme », « Le sens des signes », » nATure et

J'ai pu me rendre compte du travail intense de cette association, lors

ARTIfice », « Shocking », avec des délégations d'artistes en pro-

des multiples séances d'organisation du salon annuel. Ils sont aussi

venances de Suède, des Caraïbes, de la Tunisie, de Chine, Suis-

sur tous les fronts dans les nombreux vernissages et expositions sur

se,...ainsi que des artistes de notre région : Serge Hélénon, Rico

la Côte d'Azur. Et grâce à cette brillante association nous pouvons

Roberto, Patrick Moya, Elisheva Copin, Ellen Fernex, Jenkell, Chris-

écrire que l'art n'a pas de frontière.... et est humaniste. fA

tina Marquez, Kleijnen Michèle, Gabriel Martinez, Daniel Mohen, Francis Puivif, Patrick Schumacher, Elisabeth Alaria, Valérie Breuleux, Véronique Champollion, André Appert, Michel Bisbard, Christophe Boin, Claude Giorgi, Yucki Goedlin, Yves Hayat, André Laurenti, Giorgio Laveri, Frédérique Nalbandian, Maurice Peirani, Isabelle Viennois, Kim Boulukos, Barbara Sillari, ANN'S, Béatrice de Dominico, Jean-Christophe le Du, Sabala, Alain Bernard, Le Malin, Florence Olbrecht, Axel Pahlavi... De la peinture à la gravure, de la sculpture à la photographie, sans omettre la vidéo, les Installations... toutes les disciplines contemporaines sont présentes, mis en mémoire par la réalisation d'un superbe catalogue.

De gauche à droite et de haut en bas :  Les artistes de la Caraïbe avec Mr Masseron, conseiller de Gouvernement pour l’intérieur, Mr Curau Directeur des Affaires Culturelles, Mme Gamerdinger Directeur adjoint des Affaires Culturelles.  S.A.S. Le Prince ALBERT II, avec Toby Wright, prix de la Commission nationale monégasque de l’UNESCO pour le Salon 2010  Fréderic Altmann avec Moya et Christian Bonavia lors du vernissage du salon 2010  Visite privée de S.A.R. La Princesse Caroline lors du Salon 2010 dont le thème était « Tout bouge autour de nous » avec comme invités d’honneur des artistes de la Caraïbe, en présence de Mr Curau, Directeur des Affaires Culturelles, des membres du Conseil d’Administration et quelques artistes  Prix du jury composé de personnalités du monde de l’art à Gabriel Martinez. Membres du jury : Bernard Massini collectionneur et président des « amis du MAMAC de Nice » ; Frédéric Altmann critique d’art, historien de l’Ecole de Nice ; Guislaine Delrey, professeur agrégée à l’Université de Nice ; Guillaume Aral Directeur de la Galerie Ferrero et Loredana Bollis Directeur de la Galerie Maretti  Exposition de sculptures des artistes du Comité au Jardin Exotique de Monaco : « Rhinozebros » de Patrick Schumacher

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MONACO

M C FINE ARTS

La collection d’art dissidente La peinture russe et l’art moderne ont entretenu des rapports aussi fructueux que méconnus. C’est l’une des raisons qui a poussé Georgy Khatsenkov à créer une collection unique qui fait revivre ces peintres expatriés au moment de la Révolution russe. Page de droite de haut en bas et gauche à droite:

Tatiana et Georgy Khatsenkov © H Lagarde

Nadia Khodassievitch-Léger (1904-1982) Nature morte à la poupée, Huile sur toile, 1957 Boris Chaliapine (1904-1979) La Sabine, Huile sur toile, 1974 Marc Sterling (1895-1976) Viol de l'Europe, Huile sur toile, 1945 Tamara de Lempicka (1898-1980) Nature morte au tissu gris et au lys blanc, Huile sur toile, circa 1945 © Toutes photos Courtesy MC Fine Arts

I

l n’y a qu’un an que la Galerie MC FINE ARTS a ouvert ses portes à Monaco, pourtant l’engagement de ses propriétaires pour l’art remonte à plus de trente ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Tatiana et Georgy Khatsenkov pour rassembler près de 5 000 pièces, retraçant la grande et la petite histoire des peintres russes en exil. Une diaspora qui, en se mêlant à Paris aux artistes français, participa à l’éclosion des avantgardes de 1900 à 1970. Georgy est originaire de Moscou où il fut journaliste. Lorsqu’il arrive en France il est surpris d’y découvrir autant d’artistes russes méconnus dans son pays alors que la plupart participèrent à l’émancipation de l’art moderne en Europe. Afin de réparer cette injustice, de l’Hôtel des ventes Drouot en greniers, il suivra la piste de ces œuvres dissidentes et de leurs géniteurs. « Si certains entrèrent par la grande porte des musées comme Chagall ou Kandinsky, beaucoup d’autres restèrent en coulisses ». C’est de tous ceux-là que parle la collection Khatsenkov tout en tournant les pages de l’histoire de l’art, à commencer par celles écrites dans le Paris à l’aube du XXème siècle. Montparnasse : La petite Russie « Beaucoup de russes émigrèrent avant et après la Révolution à Paris, où ils se mêlèrent à l’école de Paris si bien que l’on peut dire que le vrai pays natal de l’avant-garde russe c’est la France ! ». En 1905 avec l’arrivée de Staline de nombreux artistes préfèrent la fuite à un asservissement moral et esthétique. Curieux des nouvelles tendances, ils se réfugient dans la capitale des arts en pleine effervescence : « L’œuvre de Cézanne qui inspira à Moscou en 1910

© H Lagarde

la naissance du mouvement le Valet de carreau, mais aussi Picasso, Ingres, Matisse ou les futuristes italiens agirent comme un aimant ». Certains de ces émigrants, sans le sou font le chemin à pied comme Nadia Léger. Mais tous amènent avec eux leur personnalité et les traditions de leur pays. C’est à Montparnasse que se cristallise ce nouvel élan créatif et notamment dans l’atelier de la peintre russe Marie Vassilieff, atelier qui devient la cantine de ces déracinés. « Elle les a nourri en évitant de donner de l’alcool à Soutine » commente en riant Georgy. C’est dans cet ancien atelier devenu le Musée de Montparnasse qu’une partie de sa collection fut d’ailleurs présentée du 21 juillet au 31 octobre 2010. Une exposition qui dans le cadre de l’année France Russie dévoilait la pluralité de talents de ces « Artistes russes hors frontière ». « Si ce patrimoine culturel est aujourd’hui reconnu via Kandinsky, Chagall, Malevitch ou © H Lagarde Lempicka, il restait à faire découvrir toute une frange d’œuvres demeurées en marge des projecteurs » explique Georgy. Il confia au Musée quelques 80 toiles d’artistes aussi différents que Pougny, Gontcharova, Larionov, Annenkov ou Sonia Delaunay qui avant d’embrasser l’abstraction se distingua en créant des vêtements aux motifs colorés et géométriques. De Cannes à Nice En visitant l’exposition Frédéric Ballester (Directeur des expositions du Centre d’Art La Malmaison à Cannes) décide de faire profiter de ce panorama unique aux azuréens et rassemble à la Malmaison une soixantaine de toiles autour du Nu. Un thème largement exploré par des artistes dont la sensualité se libère au contact de la vie parisienne. La beauté charnelle est alors au cœur des fêtes du Montparnasse nocturne, du Moulin Rouge aux bals organisés par l’Union des Artistes Russes au Café Bullier où chacun est libre de se dénuder ou de se travestir. L’exposition cannoise prolongée jusqu’au 27 février a invité à ses cimaises une majorité de femmes peintres démontrant que celles-ci n’ont pas été que des muses, mais de talentueuses créatrices qui contribuent à l’âge d’or de la peinture. Sérébriakova dont les nus s’alanguissent, dans une palette chaude. Marie Vassilieff qui célèbre le corps dans son trait cubiste


MONACO

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© H Lagarde

dévoiler cette fois les toiles abstraites de Pierre Grimm. Mission accomplie pour le couple collectionneur ? « Une majorité de russes viennent à la galerie et à nos expositions, ravis de pouvoir redécouvrir les œuvres de ces artistes que les plus âgés ont parfois connus personnellement ».

respectueux des proportions ou encore Véra Rockline. « Tous ces artistes invités sur la Côte d’Azur font sens, car après Paris, poursuit Tatiana, la Riviera fut l’autre refuge de ces russes. On trouve des pièces du Château de Valrose au Musée Chéret qui abrite la plus grande collection de tableaux de Marie Vassilieff. Riabouchinski a même ouvert en 1926 une galerie à Monaco ». C’est à ce grand mécène russe que l’on doit en 1908 l’exposition de « la Toison d’or » à Moscou qui confrontait déjà l’élite des peintres russes et français. « Nous avons d’ailleurs participé à une rétrospective de cette exposition à l’occasion de son centenaire » souligne Tatiana. Car en exhumant ce pan de l’histoire de l’art, la collection Khatsenkov est devenue une référence. Georgy en faisant la lumière sur ces peintres russes participa à faire grimper leur cote : « il y a quinze ans ces toiles étaient accessibles, certaines peuvent aujourd’hui dépasser le million d’euros ». Ainsi parmi les bonnes pioches de ce passionné : Serge Ivanoff dont les œuvres influencèrent les hyperréalistes, Yvan (Jean) Peské qui fut le meilleur ami de Renoir et d’Apollinaire. Il était originaire de Kiev où Tatiana et Georgy préparent une exposition au Musée National russe. Car la collection, dont une partie est visible à la Galerie MC Fine arts, a la bougeotte. « Elle devrait être montrée encore à Cannes en 2011 pour un chassé-croisé entre peinture et théâtre ». En fin d’année elle regagnera son « berceau d’adoption » parisien pour

Frédéric Ballester met à nu la collection « Je connaissais le travail de Jean Digne à la direction du Musée Montparnasse. Mais quand j’ai découvert cet accrochage puis la richesse de la collection Khatsenkov - en deux jours Georgy a dû me montrer quelques 1 500 pièces - j’ai dû faire un choix qui s’est orienté rapidement vers les nus. D’abord parce qu’ils étaient peu présents dans l’exposition parisienne. Ensuite parce que cet exercice périlleux pour l’époque témoigne de la part de cette génération de créateurs d’une incroyable liberté, non seulement à l’égard de la morale et de la religion, bon nombre étant d’origine juive, mais aussi des codes de la peinture. Aussi j’ai choisi parmi toutes ces œuvres d’avant-garde 60 nus qui entraient particulièrement en résonance avec l’art contemporain comme ceux de Marie Vassilieff, Sonia Delaunay ou Serge Ivanoff dont les baigneuses aussi épanouies qu’indifférentes aux regards renvoient à la naissance d’un naturisme hygiéniste dans les années 20. L’exposition a connu un tel succès que nous l’avons prolongée en insistant sur la médiation. C’était indispensable pour prendre la mesure de cette collection qui vient combler la méconnaissance que nous avions de cette diaspora artistique. Georgy se bat pour réhabiliter ces chef-d’œuvres oblitérés par la période révolutionnaire, un patrimoine qui a même échappé aux russes. Les toiles s’étant éparpillées en Europe mais aussi Outre-Atlantique. Aujourd’hui il a réussi à constituer une collection unique qui, avec celle des Ballets Russes, offre un second souffle à la peinture russe ainsi qu’un éclairage nouveau sur l’Art moderne et même contemporain ». OM


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M iOcNe A C O N

Tous à l’art ! Du 12 au 21 mars la Foire Internationale de Nice ouvrira une fois de plus ses portes avec un salon dans le salon qui, chaque année attire toujours plus de visiteurs et d’exposants. « Tous à l’art ! » quelques jours avant l’ouverture de ce salon d’art avec Emilie Guérin.

Emilie vous êtes connue comme artiste performeuse, depuis quand veillezvous aux destinées de « Tous à l’art » ? Le salon « Espace art » existait depuis 2002 dans le cadre de la Foire Internationale de Nice. Je l’ai repris en main en 2007 à la demande de NICEXPO. Un an après « Tous à l’art » naissait sous l’impulsion de Ben, invité d’honneur qui accepta de dessiner le logo de la manifestation. De l’art, dans une foire commerciale ? C’est un concept exclusivement niçois. Le salon a pris en compte cette particularité qui fait que nous visons toutes les couches de la population y compris ceux qui ne fréquentent pas les galeries. Certains achètent pour la première fois et se découvre collectionneur. Notre vocation n’est donc pas de faire un salon d’avantgarde, mais de préserver cet espace à la découverte. Ce qui n’empêche pas de recevoir des artistes de talents, bien au contraire ! Quelle est la réaction des visiteurs de la foire ? C’est un pari gagné. Depuis cette refonte, des visiteurs viennent d’abord pour « Tous à l’art » et vont ensuite visiter la foire.

Et côté artistes ? L’espace de 1 000 m2 au deuxième niveau du Palais des expositions est plein depuis octobre, soit une centaine d’exposants repartis sur 70 stands. Certains reviennent en doublant leur espace. Mais l’attrait de ce salon est qu’il a su trouver une âme. Les fidèles y ont créé une ambiance familiale et les visiteurs s’y sentent en confiance. En tant que responsable, je veille à maintenir ce climat. Qui sont ces exposants ? Une dominante d’artistes et quelques galeries d’art. Nous avons une belle palette de disciplines : sculpture, peinture, photographie plasticienne, même un stand de produits dérivés de l’art. De nombreuses nationalités sont représentées. L’Europe, les pays de l’Est, l’Asie avec des artistes chinois, japonais et coréens. Un peintre tunisien vient tous les ans, un cubain etc. Il y a de plus en plus d’artistes locaux attirés par l’ampleur que prend l’événement. Pour eux c’est l’opportunité de toucher beaucoup plus de personnes sur dix jours qu’il ne pourrait le faire en un an. Pour ceux qui viennent de l’extérieur c’est la possibilité d’avoir une belle vitrine moins coûteuse que n’importe quel emplacement sur la Côte. Car nous sommes le salon d’art le moins cher de France !

Moya sera cette année encore de la partie… Patrick Moya qui a réalisé le trophée « Bâtir » fut notre premier invité d’honneur. Il disposera cette année d’un espace à l’entrée du salon visible de loin grâce à une installation vidéo dont cet artiste peintre, qui travaille aussi sur le virtuel, a le secret. L’écran diffusera en boucle des images du site « Second Life » où l’on verra des avatars monter des escaliers. Une façon amusante d’inciter les visiteurs à venir nous rejoindre. Quelles seront les autres nouveautés de ce millésime ? Afin d’animer les lieux nous rééditons notre partenariat avec le magazine « Art Cote d’Azur » qui avait organisé l’an dernier l’exposition « Tous à la Photo ». Le magazine se chargera cette fois sur le thème « Tous à la Performance ! » d’inviter des artistes performeurs qui se produiront tous les après-midis et de présenter une exposition photo sur cette tendance qui revient en force. De quoi faire quelques remous…? Contrairement à ce que nous avions imaginé notre public ne demande qu’à être


M O NNAiCcO e

En Ville

Page de gauche et droite : Ambiances du salon "Tous à l'art 2010" Ci-dessous : Patrick Moya, invité d'honneur du salon 2011 et Emilie Guérin, responsable du salon. © Toutes photos Courtesy Nicexpo

Paul Obadia Directeur Général de l'Association Nicexpo

Le particularisme niçois a encore frappé !

surpris, bousculé, initié. Il y avait foule l’an dernier lors d’une conférence sur l’histoire de l’art. Aussi faire découvrir des courants artistiques, proposer chaque année des interventions plus exigeantes est devenue une de nos priorités. Comment expliquer un tel changement ? Sur les 150 000 visiteurs de la foire près de la moitié viennent à « Tous à l’art ». Le travail de médiation entrepris par les musées a porté ses fruits. L’art contemporain a pénétré des couches auxquelles il ne s’adressait pas il y a dix ans. Face à cette demande croissante pensez-vous agrandir le salon? Cette année nous avons pu dégager de nouveaux espaces mais ce n’est plus possible. D’autre part nous voulons garder l’esprit village. En revanche nous souhaitons encore monter en gamme, accueillir plus de professionnels, élargir notre offre avec une boutique de beaux-arts et des maisons d’éditions.

« Nous sommes les seuls en Europe à proposer un espace dédié à l’art dans une foire commerciale. Le particularisme niçois a encore frappé ! C’est un pari audacieux mais calculé. Si 25 % de visiteurs viennent à la Foire avec une intention d’achat, 75% y viennent juste pour faire une balade. Très peu n’en reparte toutefois sans avoir acheté quelque chose. L’espace d’art a trouvé ce public de flâneur ouvert à la découverte. Mais c’est avec Emilie Guérin que « Tous à l’art » a décollé. Elle a su régler la hausse et anticiper les attentes. Aujourd’hui beaucoup de visiteurs novices y réalisent un achat « coup de cœur ». Ce qui fait le bonheur des artistes exposants dont la liste d’attente se rallonge chaque année. Ce salon a réussi à s’inscrire durablement dans la Foire de Nice comme le fit le salon « Bâtir ». « Tous à l’art » c’est notre façon de contribuer à l’émancipation de l’art plastique trop souvent restreint à un cénacle. C’est aussi un nouvel outil pour promouvoir l’art en région, car si nous accueillons 22% d’artistes étrangers, les autres viennent pour majorité de PACA. Bref nous avons fait du 4 en 1. Plus encore, car le succès du salon et notre expertise nous ont permis de remporter l’appel d’offre de Villefranchesur-Mer afin d’organiser les trois prochaines éditions de « Franchement Art » dont la prochaine se déroulera du 2 au 5 septembre 2011. Ces deux manifestations partagent une idée forte qui a fait son chemin. L’artiste Ben qui fut notre invité d’honneur en 2008 écrivait il y a 40 ans « L’art est partout ». Aujourd’hui Nicexpo proclame « Tous à l’art ! ». C’est une réalité que l’on pourra découvrir dès le 12 mars et notamment le 14 mars lors de la soirée de vernissage et partager pendant dix jours à la Foire Internationale de Nice ». OM

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l a v i e des a r ts

B an d e D e s s i n é e

Autour des bulles, des métiers de passion bien, le chiffre d’affaires global de cette Le 30 Janvier derfilière est en forte baisse. Qu’en est-il de nier, le Festival International la BD en Provence Alpes Côte d’azur ? de la Bande Dessinée d’Angoulême Ne cherchez plus les traces du festifermait ses portes après quatre jours déval d’Antibes, il appartient d’ores et diés à la bande dessinée, aux bédéphiles et aux déjà à l’histoire. Aujourd’hui, la BD nouveaux personnages qui animent ce paysage se présente à nous à travers les devenu impitoyable. Les fans se sont arrachés yeux et les tablettes graphiques les autographes de leurs auteurs favoris insprometteuses de quelques auteurs tallés un peu partout dans la ville. Mais faire installés dans la région. Suivez le des bulles ailleurs qu’à Angoulême est-il fil d’une Ariane contemporaine dans envisageable ? Tandis que le marché le labyrinthe de la BD locale. national en albums publiés reste un 9ème Art qui se porte

C

achés la plupart du temps derrière les planches blanches ou derrière les écrans géants d’ordinateurs, les scénaristes, les dessinateurs et les coloristes se font discrets : on ne les croise pas dans les vernissages. Trois artistes créateurs réunis qui pourtant assemblent et forment l’objet de collection le plus lu actuellement. À Nice, un des lieux de rencontre où la plupart des bédéphiles se côtoient est BD Fugue. Cette librairie spécialisée en bandes dessinées et produits dérivés dispose de plus de 10 000 références : Un amalgame de tous genres et d’horizons différents, manga, comics, le tout associé à un espace café. C’est un lieu de prédilection et de dédicaces pour les auteurs locaux et pour Luc Oreve, consultant et scénariste BD qui nous apporte ses précisions sur le monde de la BD. « Tout le monde lit la BD mais pour bien vivre de leur talent, les auteurs doivent enchainer les albums en contrat et ce n’est pas chose facile à Nice ». Car il faut encore convaincre une maison d’édition, souvent réticente et submergée de scénarios reçus. « Il est important de comprendre que la BD est spécifique à chaque région. Un scénario à succès à Paris ne se traduit pas obligatoirement avec un contrat signé à Nice » ajoute notre consultant. Alors comment devient-on professionnel de la BD, quelles formations existent pour aider les jeunes créateurs à percer ? Étonnamment il n’y pas d’écoles apprenant ces métiers et dédiées uniquement à ces pratiques : Les auteurs sillonnant les couloirs de BD Fugue sont issus de formations diverses, le plus souvent de formations dispensées par l’Institut Saint-Luc en Belgique. Pourtant à Nice, il se passe des choses et il y a une association-école qui

mérite de se faire connaitre ! « Mediterranice est née d’un constat » explique Olivier Lagrange, le fondateur. Aucune structure, aucune vision économique de l’industrie BD ne permet dans la région niçoise aux jeunes auteurs de se former et de créer leurs premières planches. L’un des objectifs majeurs de Mediterranice est d’accompagner ces jeunes auteurs durant leurs premières années de formation, de les encourager. « Toutefois, dans notre proposition aux jeunes auteurs nous insistons sur le côté ludique de la démarche car peu d’auteurs BD vivent de leur art ». Pour les 12 étudiants suivant les cours chaque mercredi, Mediterranice étoffe la culture, renforce la technique, muscle l’écriture et affine au bout de quelques mois le profil du jeune auteur. Par la suite, l’école propose des animations comme cette année à Valberg en février dernier, au Festival Bulles de Neige . Et cette année Olivier Lagrange et son équipe se réjouissent d’un autre coup de pouce aux auteurs : le magazine Gilou numéro 1 paraitra en milieu d’année. « Après la sortie du numéro pilote en Janvier 2010, nous nous sommes aperçus qu’il manquait un grand magazine BD régional. Ce magazine sera un vrai tremplin pour les jeunes auteurs qui auront une vraie carte de visite ». Après trois ans d’existence de cette école à croquer, Olivier Lagrange voit l’avenir en grandes lettres BD : Mediterranice poursuivra sa détection d’auteurs, sa culture du mouvement et se positionne sur la création de nouvelles histoires à formater au besoin de l’industrie graphique voire cinématographique. « L’apport d’Internet jouera aussi un rôle important dans le développement de l’école de la BD. Communiquer nos savoir-faire au- delà du département sera l’objectif 2013. En attendant, il faut continuer le travail de qualité sur le plan local… »


BANde dessiNée

lA ViE DES ArTS

Scénariste à tout faire Une fois formé, le bédéiste doit subvenir à ses besoins. Théoriquement, il envoie ses planches aux maisons d’édition dans l’attente d’une réponse de publication. Dans les faits, celle-ci même si elle est négative tarde à être retournée à l’expéditeur. Pour pallier à ces barrières et à la concurrence, les professionnels varient leur art, d’où la définition d’un art polyvalent. la preuve en couleurs, avec Jean-Frédéric Minéry à la fois scénariste et éditeur à la tête de la Maison Ange. Factotum de service, il a créé sa propre maison d’édition en 2006 à nice. « Je suis passionné de bandes dessinées depuis le plus jeune âge. Après quelques refus légitimes de projets BD par des éditeurs historiques, et désirant surtout développer un type de BD très personnel (aventure humoristique mêlant histoire, patrimoine et culture) qui n’aurait sans doute trouvé écho nulle part, j’ai décidé de me publier. Comme j’avais déjà dans l’idée de publier d’autres auteurs, j’ai opté pour la création d’une maison d’édition au lieu de me mettre en auto édition ». Sans hésitation, il se caractérise comme téméraire à l’heure actuelle, quand 3 811 BD ( strictes nouveautés) ont été publiés en 2010 . « C’est téméraire de se lancer dans l’édition tout court ». Mais il donne ainsi la chance à tous ceux qui ont un projet personnel abouti et qui « en veulent». le reste est question de finances, de lignes éditoriales et des possibilités des diffuseurs. Tous les jours il y a 14 ou 15 nouveautés. « les libraires sont saturés et ne prennent pas tout, donc souvent, les livres restent en stock. Et quand un livre a la chance d’arriver en librairie, il y reste dans un coin à peu d’exemplaires et en plus n’y reste pas longtemps car d’autres livres arrivent, donc retour à l’envoyeur ». En résumé, quand on est jeune éditeur, avec des jeunes auteurs et qu’on a un petit diffuseur, on a peu de chance de réussir. Ajoutez à ça, la crise qui frappe dur. « Mais on n’est pas à l’abri d’un succès local ! » ajoute Jean Frédéric Minery. Déjà pour « Frenchy et Fanny » on a dépassé les 8 000 familles lectrices. les tirages sont au ras des pâquerettes pour des cartonnés couleurs. À savoir entre 1 500 et 4 000 exemplaires. « On réédite au

lilou

© Minery

besoin. On équilibre flops et succès ». Des auteurs connus commencent même à venir sonner à sa petite porte. Après Mancini, la Maison Ange intègre le grand Jean-Yves Mitton. Et depuis peu de temps, un nouveau tome signé Minery est imprimé. « Entre deux eaux » c’est une histoire intimiste, un brin psychologique, qui accessoirement se situe à nice. Une rencontre qui ouvre les yeux sur nous et le monde qui nous entoure. « J’en suis le scénariste et Audrey Bussy, jeune diplômée de l’EMCA en est la dessinatrice. C’est un bel album en couleurs avec des jolies scènes aux ambiances très différentes. Un conte moderne à lire absolument ! ». Frenchy et Fanny

© Minery

Entre Deux Eaux

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lA ViE DES ArTS

BANde dessiNée

Auteur complet ! Pour Alexis robin, c’est l’imagination qui redonne le moral. Après ses études à l’institut Saint-luc de Bruxelles, il s’installe dans la région parisienne avant de sortir son premier album « Si j’ai bonne mémoire » en tant qu’auteur complet. Après quatre autres succès, il fait partie aujourd’hui des auteurs les plus reconnus au niveau local. Alexis robin a

nathaniel

misé énormément sur ses personnages fantastiques, il veut « imaginer des histoires, et non pas les raconter ». Son grand succès, « nathaniel » sorti en 2006, est basé sur l’idée des films des années 60-70 sur la paranoïa de l’anti-communisme. le jeune nathaniel est le seul à pouvoir les voir, ces créatures à formes humaines qui se consument lorsqu'elles meurent. Tout lycéen qu'il soit, il va devoir les combattre. Encore un album qui fait vivre une drôle d'expérience à celui qui ne serait pas préparé. le scénario d'Alexis robin passe de la consternation à l'éclat de rire avec une imagination débordante qui crée des personnages qui l’ont habité depuis « son plus jeune âge ». Alexis robin est conscient que même dans la BD il y a des tendances à suivre : depuis l’apparition du Décalogue de Frank Giroud entre 2001 et 2003 comportant dix tomes auxquels ont participé dix dessinateurs différents, c’est la BD concept qui remporte le plus nombreux lectorat. Pour cela, les Éditions Delcourt viennent d’accepter sa contribution à un grand projet dont la sortie est prévue en libraires en 2012. Dans un concept identique à celui de Giroud, Alexis robin signera le tome 4 de cette série encore secrète, mais il gardera sa dose de fantastique dans un décor des États-Unis de nos jours, autour des signes du zodiaque… Plus proche actualité, en Avril 2011, le tome 4 de « Borderline » sortira dans les bacs avec un scénario d’Alexis robin et le dessin de nathalie Berr. Un album qui alliera image et texte dans seulement quelques mois : De retour à Paris, Fernando Villa, l’auteur dont les écrits sont prémonitoires, aperçoit un homme qui explose avant de se jeter dans la Seine. D’après les informations télévisées, cet homme répondait au nom de Jalil lamouri, un radicaliste religieux ayant basculé vers le terrorisme. C’est alors que Fernando entre à nouveau en transe pour écrire le récit de la vie de Jalil, une source inespérée de renseignements pour remonter la piste jusqu’à une secte d’intégristes catholiques, dont il faudra déjouer les projets. Un nouveau succès à venir pour cet auteur azuréen !

Si J'ai Bonne Mémoire

nathaniel

nathaniel

© Alexis robin

© Alexis robin

© Alexis robin

© Alexis robin


BANde dessiNée

lA ViE DES ArTS

Coloriste, et quoi d’autre ? Comme Alexis robin, Cyril Saint-Blancat a plusieurs tomes à son actif, dont notamment « Groom lake », « Ceci et mon corps » ou « Taxi Molloy ». Pratiquant un métier qui manque totalement de reconnaissance dans le milieu, coloriste, il nous livre quelques-unes de ses convictions quant à l’avenir. lui aussi issu d’une formation à l’institut Saint-luc de Belgique, Cyril Saint-Blancat a découvert sa passion après avoir connu le travail de Franck Miller ou celui d’Andréas dans « Capricorne ». Son premier projet en tant que coloriste il le doit aux Éditions Bamboo, pour la collection « Ado Adulte ». Depuis, il enchaîne les collaborations, mais dans le décor d’un métier souvent mal considéré. « C’est le seul métier où la clientèle impose son prix » pour une planche colorée allant de 75 à 90 euros. Un métier solitaire qui ne dispose d’aucun syndicat, pour faire valoir ce que de droit. Sauf qu’en 2009, l’association des Coloristes de Bande Dessinée a été créée pour une dynamique permettant la reconnaissance artistique de ce travail. Comme Cyril, les coloristes sont ceux qui mettent la touche de couleur obligatoire aux plan-

© Cyril Saint-Blancat

Back to Perdition

© Cyril Saint-Blancat

ches vides d’âme. Sans eux, oublions l’image d’un travail artisanal, les décors tourmentés de couleurs rigoureusement choisies. De même, rares sont les occasions où les libraires ou les organisateurs de festivals invitent le coloriste à rencontrer les lecteurs aux séances de dédicaces. la plupart des coloristes ne touchent qu’une somme en avance pour la mise en couleur de l’album. Si celui-ci devient un succès, cela ne leur rapporte rien de plus. « Sans syndicat, le pourcentage n’a pas augmenté depuis presque 30 ans » souligne Cyril Saint-Blancat. Dans un communiqué, l’association AdcBD explique ses objectifs : « Parce qu’il n’est pas l’initiateur des projets sur lesquels il travaille, le coloriste est-il pour autant un exécutant ? Pourquoi n’est-il pas considéré comme « co-auteur » de l’œuvre, ou « auteur de ses couleurs » ? les avis divergent et les esprits s’échauffent dès que la question est posée. « Au sein de l’association, nous revendiquons juste une généralisation d’un droit d’auteur (qui existe déjà pour certains) en tant qu’auteur des couleurs ». Quant aux modalités de travail, Cyril Saint-Blancat reconnaît avoir recours à l’ordinateur, pour plus de rapidité et sécurité. « J’essaie de garder la même technique qu’à la main, avec les petites imperfections d’un travail artisanal ». D’un professionnel de l’ombre, il envisage pourtant de mettre sa signature sur un album en réalisation complète. Très prochainement…

Angeless

© Cyril Saint-Blancat

Le chemin vers la découverte est long, mais nos jeunes talents locaux ont l’outil de la guerre…ils ont les personnages, le décor, les couleurs pour faire vivre avec fantaisie et succès la BD en Méditerranée ! AG

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lA ViE DES ArTS

COLLeCtiONNeUr

Jean-Pierre Blanc Le café infuse les idées ! il prône l’économie responsable, le métissage de la pensée. il fut un pionnier du commerce équitable, préfère les livres et les rencontres humaines aux mass média, Jean-Pierre Blanc, Directeur général de Malongo prend son café sans sucre mais pas sans culture !

© H lagarde

M

alongo et le café : une passion

culture permet de dégager des pistes » expli-

Foucault et léon, qui mêle son grain de folie

longue de 76 ans qui a donné

que Jean-Pierre Blanc. Cultures du café, Café

au grain de café dont le renom s’est étendu à

naissance à une grande famille.

de cultures, Malongo œuvre afin de placer

la région. 30 ans plus tard voilà Malongo au

Une famille qui s’est élargie sur plusieurs

l’humain au cœur de sa croissance, ce qui lui

pied de la Muraille de Chine mais la recette

continents depuis que Jean-Pierre Blanc prit

valut en 2008, le trophée du « Prix Entreprises

est restée la même : marcher de l’avant sans

en 1981 la barre de ce navire qui, parti en

& Environnement ». le décollage culturel de la

laisser personne sur le bord de la route.

1934 d’une brûlerie familiale (rue lépante) a

marque prend racine avant guerre. la petite

sillonné le globe. Découvrir est resté le maître

Le Manifeste des pauvres

entreprise devient alors le second annonceur

mot de cette entreprise qui défricha en 1992

En 1992 alors que Malongo s’oriente vers le

d’une radio débutante : rMC : « Tous les

la piste du commerce équitable via le label

commerce équitable et l’agriculture biologi-

vendredis à 12H45 les niçois se précipitaient

Max Havelaar. Plusieurs décennies après, Ma-

que, une autre forme de communication ap-

chez eux pour écouter le pastrouille de tante

longo torréfie toujours à l’ancienne (7 000

paraît : « notre volet culturel s’est étoffé parce

Victorine animé par l’humoriste Francis Gag

tonnes/an de café) et témoigne d’une réus-

que c’est un levier indissociable du mode de

qui concluait toujours par : Allez, on va dé-

site qui, au-delà de ses enjeux commerciaux a

consommation que nous privilégions. il s’agit

guster un café Malongo pour se remonter le

d’infuser la culture dans la marque et d’autre

moral » ! Cette première communication ac-

part de faire en sorte que tous ses acteurs

compagnée d’affiches réalisées par le peintre

puissent profiter de cette ouverture d’esprit ».

écoutez Malongo !

cannois Bellini fit sortir la marque du quartier

Pour mener à bien ce défi Jean-Pierre Blanc ini-

« la consommation ne doit pas être un acte

lépante. Quand Jean-Pierre Blanc prend la di-

tia en 2000 un Département culture et sept

mécanique. Ce qui est intéressant c’est

rection de Malongo il renoue avec rMC. Cette

ans plus tard une Fondation afin de transmet-

d’échanger, de partager. Et c’est là que la

fois c’est un couple d’animateurs émergents,

tre le patrimoine immatériel. Pour rappeler

positionné l’entreprise comme exemplaire en termes d’économie durable.


que le café est la mémoire vivante de l’humanité, Malongo rassemble la plus grande collec-

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Concours Design Malongo

COLLeCtiONNeUr

tion du monde autour du café. 4 000 pièces qui, en attendant d’intégrer leur Musée, sont prêtées pour des expositions temporaires. l’entreprise intervient également dans la formation via le Concours du jeune professionnel du café dans les écoles hôtelières. Elle le commerce équitable mais s’avèrent vitales pour la communauté des planteurs, comme l’éco-tourisme ou à Cuba un programme de sauvegarde d’anciennes plantations françaises. Ce projet mêlant l’humain et le patrimonial a vu le jour avec l’aide de l’écrivain cubain Arnaldo Corréa, dont Malongo a soutenu le dernier roman « l’appel du Pivert royal ». « nous travaillons afin d’apporter notre soutien à la sortie de crise d’un régime cubain qui ne doit pas s’effondrer mais passer par des phases de libéralisation ». Plusieurs ouvrages dont « le Manifeste des pauvres » signés par Francesco Van Der Hoff, père du commerce équitable œuvrant au Mexique, ont été publiés sous l’impulsion de la marque, affirmant ainsi sa volonté d’agir en profondeur sur des terrains fragilisés.

ture. Après Arthur Barrio au Palais de Tokyo en 2005, puis l’artiste sénégalais ndary lô (2009), Malongo a soutenu en 2010 une exposition d’artistes contemporains haïtiens. Certains artistes comme raoul Guzman, un peintre issu d’une coopérative mexicaine étant parfois invités sur notre territoire. Quant au mécénat en faveur de la création actuelle Malongo s’implique dans toutes les disciplines, des arts vivants (Tnn, Festival ruskoff) au cinéma (Festival Cinéalma) et travaille à se rapprocher du CiAC de Carros, toujours avec le désir de provoquer des rencontres entre les artistes et les forces vives de son entreprise. « On s’aperçoit que quel que soit leur niveau de désespérance, les populations trouvent

Culture positive

toujours la force de créer. C’est le cas en Haïti

Une culture que Malongo soutient à la verti-

où nous travaillons avec les planteurs et où

cale mais aussi à l’horizontale. Depuis 2008

nous avons depuis 10 ans une action humani-

le design a rejoint ce domaine d’action afin,

taire avec une OnG niçoise. il y a des choses

explique Jean-Pierre Blanc « d’ouvrir le champ

incroyables qui s’y passent en peinture ou en

de la réflexion sur le café à des jeunes talents

musique » souligne Jean-Pierre Blanc dont l'en-

en devenir ». Ainsi le Concours du jeune desi-

gagement s’accommode mal des entonnoirs

gner voit chaque année un étudiant en design

culturels. « la plupart des grands industriels

distingué pour la pertinence de son projet

qui se sont intéressés à l’art depuis quelques

technique ou micro utopique en 2010, par

années n’ont fait que reproduire une dynami-

un jury d’experts * parrainé par Matali Cras-

que ultralibérale : On arbitre artificiellement

set. Certains de ces projets furent retenus le

les cotes d’artistes pour créer une économie

14 janvier pour être réalisés. l’engagement

du luxe qui ne fait qu’accroître les écarts.

de Malongo dans les arts plastiques débuta

C’est le reflet d’une époque. A contrario ce

à nice voici une vingtaine d’années via une

qui nous intéresse, c’est de voir comment la

exposition d’artistes recyclant ses emballages

culture peut participer à rebâtir un modèle

et sacs de toiles changés en supports pein-

économique équitable ».

OM

* liste Jury Concours Design : Parrainé par Matali Crasset (designer) et Chantal Clavier-Hamaide (Magazine intramuros) Fabrice Peltier (Agence P’référence) et Patrick Elouarghi (Hi Hôtel) Julien Michel (designer, lauréat du 1er Concours) Delphine Brudoux (Malongo) et Jean-Pierre Blanc (Malongo). Pour l’édition 2010, Johanna Jean (Designer, lauréat du Concours 2009). © Toutes photos sauf mention contraire Courtesy Malongo

multiplie des actions qui n’entrent pas dans


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lA ViE DES ArTS

Artiste

FIGURE DE L’ART

Ant o in e

G ra f f

Dans son atelier adossé aux flancs d’une colline niçoise, l’artiste Antoine Graff « surfe » librement, comme il dit, aux rythmes des forces extérieures de ses papiers froissés. Une « raison »… un geste, puis le papier se défroisse pour reprendre ses droits et user de son autorité pour s’exprimer par lui-même. De cette intimité naissent des œuvres qui libèrent l’imaginaire et tous les possibles. C'est un jeu des formes originelles, qui invite le regardeur à sortir des contraintes visuelles de notre temps.

 Antoine Graff Photos © r. Cosimi

On reconnaît un « Antoine Graff » de loin. Vos pliures et froissures ne passent pas inaperçues dans les galeries qui vous exposent. Comment l’idée a-t-elle germé ? Comme j’ai un certain bagage technique, par le fait même que j’ai vécu dans l’art depuis mon enfance, et également parce que je possédais une imprimerie, j’ai été naturellement curieux d’apprendre et de découvrir les dernières possibilités que nous offrait le monde moderne. Je pense qu’il faut utiliser ce qui nous vient du monde moderne tant qu’on le peut. il ne sert à rien de faire de la répétition, de la redite en art. J’avais une véritable envie d’exprimer quelque chose, mais je ne savais pas vers quoi me tourner. Alors je me suis amusé un moment à utiliser mes possibilités techniques pour d’autres artistes. C’est comme cela que j’ai travaillé avec Arman, César, avec des artistes de la nouvelle figuration, tels Monory, Velikovick, Télémaque, et j'ai mis mon savoir-faire à leur disposition.

Mais vous n’aviez pas encore vraiment trouvé quelque chose de profondément personnel… En ce qui me concernait, je n’avais toujours aucune « raison », puisque je n’avais pas de sujet. Je pense que le sujet est ce qu’il y a d'essentiel, et cette « raison », pour laquelle on travaille, est plus importante que la manière dont on œuvre. Même si le travail peut apparaître à l’état de brouillon, à partir du moment où il a une véritable raison d’être, il a le droit d’exister. S’il n’est que pure technique, sorte d’exécution de virtuose, il n’a selon moi pas de réel intérêt, si ce n’est celui que peuvent lui porter certains amateurs du travail bien fait. À ce moment-là, cela rejoint la notion d’artisanat. J'ai donc arrêté de travailler dans ce domaine et je me suis lancé dans tout autre chose. Comment avez-vous réussi à concrétiser cette envie de dépasser le simple savoir-faire ? J’avais une grosse imprimerie et j’ai commencé à me lasser. Cela ne devenait, en somme, qu’une affaire de gestion. Malgré un grand atelier, j’ai essayé de me retrouver dans ce que j’avais l’intention de faire, dès le départ, c'est-à-dire de l’art. Je n’ai fait alors que des estampes, comme des originaux avec César, Arman, Sosno et cela m’a amené à me retrouver dans une solitude totale par rapport à moi-même. J’étais devenu le praticien des autres et cela n'était pas captivant pour moi. C’est dans


Artiste

lA ViE DES ArTS

une sorte d’acte de désespoir que j’ai trouvé une possibilité de m’évader. Et c’est dans le papier froissé que vous avez trouvé votre « raison » ? Oui, je me suis accroché à quelque chose d’une grande simplicité, la base même des arts plastiques, l’ombre et la lumière. Autrement dit, on froisse un papier et on se retrouve face à quelque chose de simple mais de, finalement, très éloquent. Des références, des influences ont marqué votre recherche ? J’avais en 1988 fait une exposition mais il s’agissait de dessins, des plis que j’avais réalisés sans le savoir. le rythme est quelque chose qui m’a toujours influencé, je suis un grand amateur de musique, ayant moi-même fait du violon, et le jazz est quelque chose d'extraordinaire qui m’accompagne depuis toujours. il y a dans le jazz, ce côté syncopé qui rythme, on a cela aussi dans la musique baroque, je me sens très proche de ça et c’est ce que je rejoins dans mon travail d’une certaine manière. Je me suis mis aux plis en 1992 et m’y suis intéressé sérieusement. J’avais découvert « le pli » de Deleuze, « les monades » de leibniz, toute cette philosophie séduisante et finalement très réelle. Et j'ai trouvé la raison pour laquelle je voulais travailler et m’exprimer. il vous a fallu du temps pour entreprendre et définir un vocabulaire qui vous soit propre ? J'ai commencé déjà à travailler, pendant cinq ans, dans mon atelier à Strasbourg, mais d’une façon très solitaire, sans vouloir montrer mon travail, à expérimenter et à essayer d’oublier tout ce que j’avais appris auparavant, ce qui est, peut-être, le plus difficile. il y avait tout un tas de choses qui me parasitait et rendait mon travail moins lisible. C’est très difficile de sortir des références. Alors, il m’a fallu plusieurs années pour me libérer de tout

cela et commencer à faire un travail « audible » pour les autres. Je me sens aujourd’hui tout à fait à l’aise dans mon travail. lorsqu’on est confronté à votre œuvre, faut-il y voir de l’abstrait ou du figuratif ? Je n’ai pas envie que l’on me dise que c’est de l’art abstrait. Ce n’est pas non plus du figuratif, c’est tout simplement une réalité. Je choisis, dans mes papiers fripés, des morceaux que j’assemble et que je laisse entièrement vivre. Je fais exactement ce que ferait un enfant qui, lors d’une balade, découvrirait une pierre qui ne ressemble pas aux autres et s’exclamerait « regarde ! ». C’est tout simple. Entrez-vous en résonance avec ce papier qui vous est si cher ? le papier est une matière vivante, lorsqu’on le mouille, il s’étend, il ne se laisse pas travailler facilement, il est très autonome. C’est difficile de le travailler si on ne le connaît pas, parce qu’il fait vraiment ce qu’il veut. En même temps, il est fragile, et ce sont des choses qui m’intéressent beaucoup parce que c’est synonyme de vie. On peut, bien sûr, traiter le papier en faisant des plis systématiques, mais je bannis ce système. Je joue avec le papier et il joue avec moi. Je suis en face d’une entité que je ne maîtrise pas. le papier m’offre tous les jours quelque chose de nouveau, digne d'être raconté.

Photos ci-dessus © Courtesy A. Graff

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Mais comment ce papier, une fois rigidifié, peut-il continuer à vivre ? C’est que ça change tout le temps, selon que l’on soit, évidemment, d’un côté ou de l’autre de l’œuvre. le papier vit encore malgré qu’il soit stratifié et continue à s’exprimer par cette recherche de la troisième dimension qui est nécessaire, indispensable. Sur quoi se basent vos choix en ce qui concerne ces papiers ? Je les choisis selon leurs imprimés, leurs textures, leurs propriétés. Une de mes œuvres, par exemple, était composée des pages du livre d’un critique d’art que j’aimais beaucoup, et donc j’avais envie de travailler avec lui et en présence de son travail. J’aime Proust ou d’autres auteurs que j’aime intégrer aux œuvres. J’ai aussi réalisé des pièces avec de la bande dessinée. Vous savez, je n’ai pas envie d’être un emmerdeur, j’ai aussi envie d’amuser les gens, donc il y a différentes motivations. Y a-t-il dans votre façon de travailler et d’aborder l’art, quelque chose que vous aimez particulièrement faire? Oui, en effet. J’aime travailler à la commande. C’est même ce que je préfère. il y a des gens qui me remettent des photos de famille, par exemple, avec lesquelles je fais une œuvre, c’est passionnant ! Tout d’abord, parce que j’ai connu les gens, même si ce n’est que cinq minutes, je peux mettre un visage derrière cela, un ressenti. le travail s'en trouve simplifié parce que c’est comme si j’étais assisté, et c’est agréable de ne pas se sentir seul. Peut-être y trouvez-vous un rapport plus étroit, plus intime ? Des œuvres réellement partagées, dès leur naissance… Oui. Je fais de plus en plus ce genre de travail, les gens commencent à savoir que j’aime travailler comme cela. Ça me permet de progresser énormément. il arrive qu'on m’apporte parfois, des choses auxquelles je n’aurais jamais pensé. Je me lance alors dans de nouvelles aventures. C’est ce qui est important dans l’art. À partir du moment où il n’y a plus d'enthousiasme, la raison du travail s’arrête.

l’artiste Graff serait-il un explorateur ? il faut toujours mettre le pied sur des terres inconnues. En ce qui concerne les choses que je fais, jusqu’à présent, j'ai le sentiment d’être le seul à les réaliser. On remarque beaucoup d’œuvres monochromes. Une façon, là aussi, de rester simple ? Je pense que mon travail est plus perceptible lorsqu’il est monochrome parce qu’on va droit au but, on n'est pas du tout attiré par autre chose que les plis. Alors, il peut y avoir des plis du genre papiers froissés, ou bien des plis comme des rideaux. Tout cela fonctionne bien, c’est très simple. J’ai une préférence pour ce genre de travail car j’ai l’impression d’être beaucoup plus authentique. Je suis un peu comme Mondrian, j’utilise des couleurs primaires qui me semblent mieux correspondre à une certaine rigueur. C’est comme la radicalité de Mondrian qui a échappé au geste. il n’a fait que des barres et des aplats. C’est quelque chose que je comprends très bien et je me sens plus proche de cela. Chacune de vos œuvres est étonnante de précision. Sans nous dévoiler vos secrets, comment réussissez-vous à obtenir une telle pureté dans le rendu du matériau ? Oh, je n’ai rien à cacher… (rires). Tout d’abord, je froisse, je fripe mon papier, je choisis les parties qui m’intéressent, je commence à entailler certaines surfaces et à les coller. Je les durcis par l’arrière. Je mets en place une structure en bois et le papier est rigidifié. Je fais des patrons et par rapport à ceux-ci, je découpe mes bois et j'obtiens les formes qu’il faut. Je remplis, je ponce. Je fixe le tout à la cire chaude et je coule mon polyuréthanne qui va remplir toutes les parties, sur une certaine épaisseur. Je coupe avec une scie à ruban, le résultat est net. Je m’amuse à aller toujours plus loin dans la complexité. Cela donne une œuvre beaucoup plus dense, plus rythmée.


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pour raconter des récits différents, les notes pour composer des airs de musique.... Je fais la même chose, je dispose de possibilités pour exprimer mon langage, ma raison. C’est une chose qui mérite d’exister car ça ne se fait pas. Quelque part, ça me rassure et j’ai envie de l’exploiter toujours davantage. Même si je dirige les opérations, dans mes froissements, il y a toujours une grande part de hasard, c’est une chose merveilleuse, c’est un bonheur même ! On doit tout au hasard. J’ai rencontré un tas de personnes par hasard, on naît par hasard… Je crois qu’il y a une logique de l’existence et j’ai l’impression, en travaillant, que je suis fidèle à cette logique. rC Vous êtes très exigeant avec vous-même dans l’écriture plastique. il faut que ce soit impeccable, pour que l’on oublie le travail. Quand le travail n’est pas impeccable, on s’en rend compte. là, on n’y pense même pas. il ne doit apparaître que les plis. rien n’était joué d’avance en la matière. il vous a fallu mettre au point une technique ? En effet, il y a tout un système que j’utilise, depuis que j’ai commencé, et que j’améliore. il me faut parfois une semaine pour réaliser certaines œuvres mais au fur et à mesure, la technique s’affine. Je pense que personne ne travaille comme cela. il faut tout inventer, tout imaginer… Au fond de l’atelier, on peut apercevoir des pièces de grandes dimensions… Seriez-vous attiré par l’art monumental ? Oui bien sûr ! J’aimerais beaucoup… il y a plein de possibilités. Plus c’est grand, plus c’est attrayant, car on rentre plus facilement dans cet univers. Des pièces immenses, ce serait quelque chose de magnifique, mais là, il faut des commanditaires (rires)… l’art… est-ce une question de temps, de maîtrise, de hasard ? Bien sûr, il faut avoir le temps. C’est comme pour un écrivain ou un musicien, on ne peut répéter toujours la même histoire, on va utiliser la prose

 « Je froisse, je fripe mon papier, je choisis les parties qui m’intéressent, je commence à entailler certaines surfaces et à les coller. Je les durcis par l’arrière. Je mets en place une structure en bois et le papier est rigidifié » Photos haut bas © r Cosimi Photos du milieu © A Graff

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Artiste

Patrick Schumacher Au milieu de son atelier à nice, Patrick Schumacher ne fait pas abstraction de son talent. Ses sculptures en résine révèlent le désir de redonner une allure contemporaine aux visages de la culture humaine, comme Bouddha ou Mickey ou même le rhinocéros entouré de couleurs vives. rencontre avec l'artiste créateur.

S

es origines mixtes, père allemand et mère syrienne, l’ont marqué dans ce jeu de chimères animalières et contemporaines. Après ses études d’Art classique à Strasbourg, Patrick Schumacher se tourne rapidement vers la restauration d’Art, ce qui l’amène à parcourir le monde. Aussi reconnu pour son intérêt pour l’Art Asiatique, l’artiste s’est servi de ce parcours pour apprendre « beaucoup d’humilité, en mettant son Ego de côté ». Depuis une douzaine d’années il habite à nice, où il se lâche dans les griffes de ses créations, auxquelles il n’hésite pas à associer du sens, du jugement et de l’esthétique. « J’ai tendance à travailler comme Hergé, comme s’il y avait plusieurs paliers de lecture dans mon travail ». Se poser des questions devant ses œuvres comme le rhinozébros, un rhinocéros à parure de zèbre c’est le prix ultime de son devoir artistique. Ce bestiaire contemporain créé en 2005, au sourire caché, choque par la béatitude d’un art mélangé. il a même été présenté lors de l’édition Art Elysées le long des Champs-Élysées, dont il fut un des artistes vedettes. le cochon ailé Pigasus Bollywood, les rois du Zo’os, les Punky Porcus sont ses chimères animalières pour signifier les parallèles possibles entre animaux et hommes. Mélange de cultures et d’origines, ses objets sont choisis en fonction de zébrures, transformés en tatouage pour son prochain projet animalier, le cheval géant.

© Toutes photos H. lagarde

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Artiste

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les zébrures sont sa signature, afin de s’extraire de la supra-population des sculptures d’aujourd’hui. Côté tableaux, Patrick Schumacher étonne avec sa représentation de « l’Origine du Monde ii » avec en premier plan le dos de son célèbre rhinozébros. il joue aussi avec les ours, 200 dans son atelier, couleurs au choix. « Dans mon travail, mon art est étonnant et déconnant ». il est là pour faire d’autres choses, témoin de l’époque d’aujourd’hui. De l’art monumental aux peaux de zébra en miniature, il passe par un rhinozébros, rainbow aux couleurs multiples ou « XElOr » rappelant la célèbre marque de montres. les Boud’Key, dérivant de la sculpture de Bouddha aux oreilles de Mickey Mouse, font partie d’une autre collection signée Schumacher, sur laquelle reste gravée « not made in China, not made in USA ». « Depuis quelques années, on ne parle que de la Chine, mais ce n’est pas un modèle pour moi ». Toujours dans un esprit de dérision, Patrick Schumacher s’imbibe de la spécificité de chaque pays, dont on ne peut pas s’échapper. Aux côtés des animaux aux parures de rêve, Schumacher travaille également sur la notion du temps, les pendules. Sur le Mur des Pendules, il remplace le coucou par des rhinozébros en miniature. « la notion du temps qui passe dérange beaucoup de monde. Moi, j’ajoute même des os… » dans un accrochage où la contemporanéité et l’humour se croisent. Prochain projet sur sa liste de créations, participer au replacement de l’histoire de la Joconde à nice. Toujours à parure de zèbre semble-t-il. l’œuvre de Schumacher va encore plus loin dans la symbolique. les mots définissent la finalité de ses œuvres, suivant un fil conducteur contemporain : le coucou rhino Suisse, la bascule rolex, Blanche neige et les 7 rhinozébros, ou Made in France CacaBoum, voici à quoi joue le Schumacher de nos jours. les rhinozébros vous laisseront actuellement sans parure à lyon et lausanne – Galeries Fine Art. AG

© Courtesy P. Schumacher

des pendules au poignet


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l a v i e des a r ts

MONACO

C.U.M.

C.U.M.

MARS 2011


Artiste

La v i e des a r ts

Miryan Klein Douce violence

S’il est une artiste dont la sensibilité féminine affleure dans son travail, c’est Miryan Klein. L’artiste qui dénonce plus qu’elle ne se prononce a dressé en deux décennies une œuvre à facettes ainsi qu’un constat de nos comportements qui en fait une observatrice tendre et aigüe du vivant. La beauté de l’œuvre nous ferait « presque » oublier les perversités de notre monde. Sébastien Heine - Galerie Heine Strasbourg

M

iryan Klein, un mystère qui plane sur le monde de l’art actuel comme les brumes de cette terre normande qu’elle chérie ; Orbec, pays de légendes où l’artiste aime travailler quand elle n’est pas dans son atelier solaire du Mont Boron qu’elle occupe depuis 1997. D’origine marocaine et polonaise - « Harrissa/vodka » ditelle en riant - Miryan partage sa vie entre le Nord et le Sud. Elle cultive le chaud et le froid, le dur et le tendre, le naturel et l’artificiel, le dit et

Autoportraits aux chaussures 2009 Photographie sur toile, Résine

le non-dit, le visible et l’imaginaire, l’engagement et le détachement. Une dualité dont elle se nourrit mais que ses œuvres ne laissent qu’entrapercevoir, car la créatrice fait toujours preuve d’harmonie même lorsqu’elle pointe les dysfonctions les plus perverses. Miryan Klein pose sur nos vies un regard à la manière de l’enfant qui épie le monde avec une infinie curiosité entre deux planches disjointes. Pudeur ou élégance ? Pourquoi choisir semblent dire toutes ces œuvres.

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l a v i e des a r ts

artiste

© H Lagarde

Cette page, de gauche à droite et haut en bas :  Le Déjeuner sur l’herbe aux néons 2004-2011 © M. Klein  Les quatre saisons 2008, Photographie sur toile, résine, plexiglas © H Lagarde  La Foule 1995-2011 © H Lagarde  Vue de l’atelier de l’artiste © H Lagarde

Marseille) puis en intégrant la Galerie Art Point International (Mol – Belgique). Courant 2010, le puissant groupe grec Copelouzos Group ouvre un musée dédié à l’art contemporain à Athènes. Le travail de Miryan Klein a déjà sa place dans la collection avec Les Arbres (2008) et sera présenté à l’ouverture.

Identification d’une femme Miryan Klein est née le 5 août 1951 à Lyon. Autodidacte, elle est attirée par plusieurs formes d’expression (dessin, peinture, danse classique) avant de se tourner vers la peinture figurative et la sculpture. Elle expose des portraits en 1980 à Cannes (La Malmaison) puis disparaît de la scène, le temps de remplir son rôle de mère pour réapparaître une dizaine d’années plus tard : « C’est grâce à Lola Gassin que je me suis remise au travail et que j’ai accepté d’exposer en 1995 ». Entre-temps Miryan a appris à canaliser son énergie en s’orientant vers l’abstraction. À Nice, elle trouve une complice auprès de Simone Dibo-Cohen. « En 1997 Simone m’a invitée à Art Jonction où j’ai rencontré ma galeriste belge, puis elle a présenté mes travaux à la Galerie Art 7. Les femmes ont beaucoup compté dans mon parcours » constate l’artiste qui dès 2001 est propulsée au niveau international en participant entre autres à l’Armory Show à New York (représentée par la Galerie Roger Pailhas,

Futur no futur Si l’œuvre de Miryan Klein paraît plurielle, deux constantes s’en dégagent qui participent à la singularité de son style. La plupart de ses créations naissent d’une urgence à témoigner des déviances de nos sociétés avec une poésie, une opiniâtreté qui font fi de tout fatalisme. Peintures, sculptures, installations, pointent ainsi tous ces accidents communautaires que l’artiste n’a de cesse de redresser au profit de l’humain. Un ensemble d’installations, à l’approche du nouveau millénaire dénoncent ainsi la destruction de la nature, la pression économique, le racisme, la surpopulation, la perte d’identité. Mais chaque fois, sans agressivité, avec cette neutralité bienveillante qui préside aux psychanalyses. Son travail sur l’eau (Station d’Eau) installé au Jardin d’Acclimatation à Paris anticipait en 1998 une lourde problématique universelle : La source de vie restera-t-elle accessible à tous ? L’artiste aborda très tôt le Métissage de l’humain « un sujet qui me tient à cœur de par mes propres origines ». Quant à La Foule réalisée en béton puis en acier, elle ne cesse de s’agrandir au point « qu’une grande ville d’Égypte est en train d’étudier ma proposition de l’installer aux pieds des pyramides de Gyseh » commente l’artiste. À Nice, au Centre d’Art La Menuiserie, Miryan a démonté en avril 2010 sur l’invitation


artiste

La v i e des a r ts

garde

Cette page, de gauche à droite et haut en bas :   La consommation © Courtesy M Klein  Mosaïque Les Nymphéas 2007, Photographie sur toile, Résine © Courtesy M Klein

 « Autoportrait » / 2006 / Photographie sur toile, Résine © Courtesy M Klein

de Simone Dido-Cohen « la mécanique consumériste qui réduit l’homme à l’état de rouage d’un système insidieusement bien huilé ». En 2005 elle avait braqué l’objectif sur les dangers de ces flux d’images publicitaires qui échappent à tout contrôle et deviennent sources d’aliénation. La photo (voilée de papier bulle) montrait ainsi le dos décharné d’une jeune fille anorexique à la manière du « Violon d’Ingres » L’artiste elle-même, est à l’écoute des accidents dans son processus créatif, revendiquant une alchimie entre son inspiration et les supports qu’elle met en jeu. « Les Œuvres de Miryan Klein, écrit Jacques Aldebert, Président de l’association International Contemporary Art, ses objets, installations, toiles, nous renvoient toujours à une justesse conceptuelle que Restany n’aurait pas reniée ». L’amazone qui danse Car l’autre obsession de Miryan c’est sa soif de nouveaux matériaux. Sa faculté à les rendre, même lorsqu’ils sont issus de l’industrie (Béton, caoutchouc, résine, fibre optique), ludiques, organiques, doués d’intimité. Une expérimentation de la matière qui rejoint dans son travail l’expérimentation du vivant. Les deux s’épousant souvent dans des projets d’envergure tel que celui qui doit voir se déployer sur l’ensemble des boutiques Vuitton des

photos de mains reliées entre elles par une chaîne symbolique construite autour des initiales LV (Ligne de Vie). Certains ont pu déceler dans cette interrogation de la matière une filiation avec les Nouveaux Réalistes. Pourtant Miryan Klein ne procède à aucune appropriation de l’objet manufacturé. Elle ne transgresse pas, mais transmute. Cette recherche plastique qui vise à l’instauration d’un langage plus qu’à la délivrance d’un message rapprocherait davantage ses travaux de l’Arte Povera : Un groupe d’artistes italiens qui, dès les années 60, créa des installations abstraites dans le but de défier la société de consommation, selon une esthétique pensée sur le mode de la guérilla. Car derrière son apparente douceur, Miryan est une amazone qui danse sur un volcan. Une posture que suggère en deux clichés « L’autoportrait aux chaussures ». Sur l’un, Miryan est en talons, sur l’autre en crampons, mais toujours repliée sur elle, faisant face à l’objectif, tête baissée, cheveux en bataille, égérie/bélier prête à bouter l’envahisseur ?

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l a v i e des a r ts

artiste

Sens de l'aiguille d'une montre  Myrian Klein © H lagarde  Le violon d’Ingres II, 2009, Photographie sur toile, Résine  Détail © H lagarde

Comme les avant-gardistes de l’Arte Povera, Miryan détourne les matériaux dits pauvres, empruntés à l’industrie, y compris le néon qu’elle convoqua en 2002 pour dépoussiérer « Le déjeuner sur l’herbe ». Une œuvre qui 7 ans plus tard fut choisie par le Ministère de l’Éducation Nationale, afin d’illustrer le sujet du Baccalauréat en arts plastiques autour de l’œuvre emblématique de Manet. Ses « no-painting » substituent alors au pigment la fée électrique afin de révéler une « peinture de lumière ». La fibre optique, s’allie elle, à la peinture offrant un nouveau médium dans lequel se fondent les frontières entre pictural et installation, entre l’art classique et le discours duchampien. Impressionisme post-atomique ? Plus généralement, les créations mutantes de Miryan semblent mettre à jour par la sensualité d’une technique mixte dont elle détient le secret, une trame poétique complexe. L’artiste agit par gommage du temps comme pour s’adonner à la jouissance de l’espace, à la toute puissance du présent. Sa réflexion sur la dialectique entre la nature et la culture, autre point commun avec l’Arte Povera, procède de même. En effet à ses constats sur la condition humaine répondent des séries plus intimes, fruits d’une introspection personnelle qui permet à l’artiste de se ressourcer avant d’investir à nouveau le théâtre conflictuel du réel. Là une déclinaison saisonnière de nymphéas recouverts de papier bulle coulé sous glacis

teinté, comme une « rosée plastique » : Impressionisme post-atomique ? Ici encore dans une série proche de l’abstraction, des coulures de résine comme du miel nappent les alvéoles d’une peinture/ ruche. Miryan se promène dans La Forêt, (installation présentée à la Biennale de L’UMAM 2010 au Château de Cagnes-surMer) et, comme Alice génère à son passage les métamorphoses, Miryan, après le sien, extrait de la nature toute l’essence organique. Une nature qui se perçoit plus qu’elle ne se voit. Ainsi partout il est dit que l’énergie doit circuler. Et partout où ce flux vital est contraint, l’artiste s’immisce, soigne et s’efface… Gardienne du feu, Miryan Klein veille sur les siens (qu’elle inclut parfois dans ses œuvres) et sur une famille plus étendue : l’humanité. Son dernier travail présenté en février à Bruxelles (Galerie Art Point) bientôt à Monaco (Art & Rapy) convoque d’ailleurs en tant que modèles quelques proches pour une relecture du… Kamasutra. La libido, une autre énergie en péril ? Mis bout à bout, des pièces puzzle apparaît le fil de vie. L’œuvre aussi séduisante soit-elle formellement, fait sens au-delà de la monstration, continuant d’opérer dans notre imaginaire comme la vigie d’un monde qui se cherche, éclairant de son pinceau lumineux la possibilité d’une île ! Le verbe rêver n’a presque pas de « présent » disait Paul Valéry. Et si ce « presque pas » était précisément le territoire de Miryan Klein ? OM



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