Artcotedazur N°13

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C o Op l

Galerie

Guy Pieters SupplĂŠment culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes


CENTRE UNIVERSITAIRE

C.U.M.

OCTOBRE/DÉCEMBRE 2010

LES ARTS EN TERRE D’ISLAM Avec l'expansion des Arabes au VIIème siècle, commence celle du pouvoir islamique qui, en moins d'un siècle, se répand de l'Espagne à l'Indus. Brassant dès l'origine des ethnies aussi diverses que berbères ou perses, suivies au cours du temps par les Turcs, les Kurdes, les Mongols ou les Indiens, ce pouvoir fait émerger, sur les bases des anciennes civilisations auxquelles il est confronté, une culture originale cimentée autour d'un nouvel esprit, celui de l'Islam. Cette série de conférences tentera une approche de la cité, des monuments les plus emblématiques (mosquées) ou les moins attendus (mausolées), des thèmes décoratifs, de l'art du livre si éminemment central. JEUDI 14 OCTOBRE - 16H

JEUDI 25 NOVEMBRE - 16H

L’art dans le domaine religieux : Mosquées et Coran Cycle de conférences sur « Les arts en terre d’Islam » Annick Leclerc - Chargée de cours à l’Ecole du Louvre

L’Art du livre Cycle de conférences sur « Les arts en terre d’Islam » Annick Leclerc - Chargée de cours à l’Ecole du Louvre

JEUDI 28 OCTOBRE - 16H

JEUDI 2 DÉCEMBRE - 16H

Le cadre du prince : Palais et dernières demeures Cycle de conférences sur « Les arts en terre d’Islam » Annick Leclerc - Chargée de cours à l’Ecole du Louvre

C.U.M.

Céramique, métal et autres techniques d’Art Cycle de conférences sur « Les arts en terre d’Islam » Annick Leclerc - Chargée de cours à l’Ecole du Louvre


Artcotedazur N° 13, continuons la collection..

Art Côte d’Azur Supplément culturel des Petites Affiches des Alpes Maritimes Numéro 3520 du Du 10 au 16 septembre 2010. Bimestriel ISSN 1962- 3569 Place du Palais 17 rue Alexandre Mari 06300 NICE Ont collaboré à ce supplément culturel : Rédacteurs Alain Amiel Olivier Marro Faustine Sappa Directeur de Publication Direction Artistique François- Xavier Ciais

« Un mauvais art est quand même de l’art, comme une mauvaise émotion est quand même une émotion ». Cette citation de Marcel Duchamp offre une belle introduction à notre questionnement quotidien, l’Art dans notre région existe t’il vraiment ? Est–il en régression, en stagnation, ou en progression. Le simple fait d’évoquer le principe d’une possible évolution induit qu’il existe bien réellement. Chaque jour nous découvrons ces esprits créatifs, les Artistes, car c’est bien ce qui anime l’ensemble de nos équipes, ces rencontres, ces couleurs, ces caractères, ces personnalités débordantes de talents, souvent des êtres écorchés au grand Cœur, voire quelquefois des bienheureux communicants spéculant sur un système d’Art économique.

L’Art fait vibrer, fait parler, fait vivre. Il était donc tout aussi important d’ouvrir une fenêtre sur les bienfaits collatéraux, en effet sans regardeur et sans acheteur, point d’Artistes existants ou émergents, ce monde si fermé des collectionneurs il nous fallait le découvrir. Certains nous ont ouvert leur porte, et forcément leur âmes, car au delà des aspects spéculatifs si péjoratifs que nous entendons ici et là, nous avons découvert des passionnés, des amoureux, des affectifs au cœur et à l’esprit engagé. Souvent animé par leur sensibilité, ou leur oblativité envers certaines personnalités, ils impulsent tout simplement à croire et à aimer. En plusieurs points ils ne sont pas si différents des Artistes, pour certains il ne leur manque que le passage à l’acte de création. Nous tenions simplement par ces quelques lignes à les remercier de leur engagement artistique. François-Xavier Ciais

Conception graphique Maïa Beyrouti Graphiste Caroline Germain Photographe Hugues Lagarde Photo de Couverture Œuvre de Niki de Saint-Phalle exposée à la Galerie Guy Pieters à St Paul de Vence Rédactrice en chef Valérie Noriega Tél : 04 93 80 72 72 Fax : 04 93 80 73 00 valerie@artcotedazur.fr www.artcotedazur.fr Responsable Publicité Anne Agulles Tél : 04 93 80 72 72 anne@petitesaffiches.fr Abonnement Téléchargez le bulletin d'abonnement sur : www.artcotedazur.fr ou par tél : 04 93 80 72 72 Art Côte d’Azur est imprimé par les Ets Ciais Imprimeurs/ Créateurs « ImprimeurVert », sur un papier répondant aux normes FSC, PEFC et 100% recyclé.

MA KIN G O F

La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, cellesci n’engagent que leur auteur. Tous droits de reproduction et de traductions réservés pour tous supports et tous pays. © Toutes photos H Lagarde


En Ville 6 HORS LES MURS 8 BEAULIEU SUR MER 10 MONACO 12 VALLAURIS 14 BIOT 16 NICE 18 FOCUS DEPARTEMENT 22 SAINT PAUL DE VENCE

Athènes : un nouvel écrin pour l’acropole

Philippe HURST un homme à l’affiche

Jean-René Palacio d’un festival, l’autre !

la création contemporaine en céramique

Christine Carol Tabusso la femme 100 têtes

Opéra sous le signe de l’ouverture

Arts de la Scène côté cour et côté jardin !

Galerie Guy Pieters fidèle à ses artistes

© P Hurst

© H lagarde

© H lagarde


La Vie des Arts 24 Ben 30 Gilles TraversO 32 Jacques Pélissier 36 Anny Courtade 38 Yvon Lambert FIGURE DE L’ART

© H Lagarde

PHOTOGRAPHIE

ARTISTE

COLLECTIONNEUR

© J Pélissier

COLLECTIONNEUR

40 PIERRE Pinoncelli ARTISTE

© H Lagarde

© H. Lagarde


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H ors les M urs

Athènes

Pat r i m o i n e

Un nouvel écrin pour l’Acropole Le nouveau Musée de l’Acropole érigé au pied du site antique a enfin ouvert ses portes. Sa construction, décidée en 1976, fut reportée jusqu’à cette année car dès qu’on creuse à Athènes, surtout à moins de 300 m de l’Acropole, on trouve immanquablement des trésors inexplorés : un énorme complexe urbain allant de la période archaïque aux débuts de l’Athènes chrétienne. Plus de trente années ont été nécessaires pour achever les fouilles avant que les architectes (Bernard Tshumi, franco-suisse, et Michael Photiadis, grec) se mettent au travail et bâtissent ce superbe musée sur pilotis qui intègre et préserve le site archéologique.

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ur la grande place à l’entrée, de grandes plaques de verre où des ouvertures en balcons permettent de voir les rues, les boutiques, les habitations de la ville du quatrième au septième siècle. Ce nouveau musée d’une surface de 25 000 m², dont 14 000 m² d’exposition, remplace celui de l’Acropole, dix fois plus petit, permettant ainsi d’exposer de nombreux objets jusque-là stockés dans les réserves. Dans ce musée de trois niveaux, haut de 23 mètres et d’une superficie de 15 000 m², sont exposés plus de 350 vestiges et sculptures de l’Acropole. En haut de l’escalier monumental trône une des frises du fronton de l’ancien temple. C’est bien sûr la frise du Parthénon qui devrait être là, mais elle est toujours au British Museum, qui ne

veut pas la rendre malgré la pétition mondiale lancée par Mélina Mercouri en 1989. L’intérieur est somptueux, clair, ouvert sur l’Acropole par de grandes baies vitrées, créant des jeux de transparence ou de reflets. De chaque côté de la montée, sculptures, bas reliefs et objets issus des sanctuaires autour de l’Acropole. Au premier étage, le plus beau, sont présentées les plus belles statues des périodes mycéniennes, archaïques et géométriques. Les grandes colonnes en béton lissé mettent en valeur cette « forêt » de sculptures parmi les plus belles au monde : l’Athéna Niké avec sa tunique de serpents, le bouvier avec le petit veau sur l’épaule, les frises, les bas reliefs les chevaux à la crinière érigée, les kouros, des dieux,

Ci-dessus :  Colonnes et statues Ci-dessous :  Une vue de la façade du nouveau Musée  Vue d'une allée piétonne extérieure du Musée © Toutes photos A. Amiel


Athènes

la merveilleuse Athéna pensive, etc. Des traces de couleur subsistent nous rappelant que les statues étaient peintes de couleurs vives. L’autre partie du premier étage consacrée à l’Érechthéion et principalement à ses Caryatides dont quatre sont les originales ; la cinquième est un moulage, quant à la sixième, elle se trouve aussi au British Museum. On y trouve également les frises et parapets du temple d’Athéna Niké (dont L’Athéna remettant sa sandale) et des objets allant du Vème siècle avant J.-C. au Vème siècle après J. C. Des maquettes sont là pour évoquer les différents temples existants qui peuplaient cette colline sacrée avant le Parthénon. L’étage supérieur entièrement consacré au Parthénon, présente sur l’exact modèle du temple, placés comme à l’origine, les quelques vestiges des métopes, frises et frontons conservés à Athènes et complétés par des moulages en plâtre des originaux dont la plupart sont à Londres. Cette mise en situation dans une galerie donnant sur la ville permettant une vue de l’ensemble des sculptures est un véritable manifeste pour la restitution des «marbres d’Elgin» (du nom du diplomate britannique qui les emporta en Angleterre). La visite du musée complète admirablement celle de l’Acropole et nous rend compte de toutes les richesses de ce lieu mythologique devenu mythique. Pour se sustenter, un café avec vue sur les fouilles archéologiques ainsi qu’un restaurant au deuxième étage sur une belle terrasse avec vue sur l’Acropole. AA

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Ci-dessus :  Façade du Parthénon aujourd’hui. D’année en année, les archéologues le remontent. Ci-dessous :  Les métopes, bas-reliefs carrés racontant le combat des Athéniens contre les Amazones et des scènes empruntées à la lutte des Centaures et des Lapithes À gauche, de haut en bas :  Le Sphinx de Naxos  Les Caryatides - Celles-ci sont des copies, les originales sont au Musée  Reconstitution en couleurs © Toutes photos A. Amiel


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B E A ULIEU S UR MER

GRAPHISME D’AUTEUR

Philippe

Hurst

Un homme à l’affiche Le studio Couleur Tango s’est distingué avec les campagnes des Ballets de Monte-Carlo, du Festival MANCA et aujourd’hui de l’Opéra de Nice : À son origine, Philippe Hurst, un virtuose de la communication visuelle. Couleur Tango a œuvré pour tant de villes de Nice à Monaco via Biot et Beaulieu sur Mer, fait connaitre tant d’événements, du festival MANCA aux « Violons de légende » via « Ruskoff » porté haut les couleurs de tant d’institutions des Musées Nationaux à l’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo qu’il arrive que l’on se dise en découvrant une nouvelle affiche dans la rue « Tiens, elle n’est pas signée Philippe Hurst, celle-là ! » Mais qui estil celui qui renouvelle le métier d’affichiste et s’est fait un nom en faisant descendre la culture dans la rue ? Graphisme d’auteur Formé à la communication visuelle à l’École des Beaux-arts de Mulhouse et à la conception chez RSCG à Strasbourg, Philippe Hurst s’installe à Nice en 1989. Pour cet alsacien qui exerce un temps ses talents de Directeur artistique chez Havas Méditerranée puis chez « Cryptone », le graphisme d’auteur est une affaire si sérieuse qu’il ne faut pas la laisser aux autres. Ainsi 10 ans plus tard crée-t-il sa propre agence Couleur Tango : « Une teinte chaude évoquant la passion, l’énergie » sous le signe de la création infographique et du

© H Lagarde

conseil en communication. Une complémentarité qui lui permet de « concevoir des identités visuelles durables et déclinables sur tous supports ». Un an suffit à ce stratège dévoreur de culture(s) pour convaincre les acteurs régionaux du monde de l’art (Musée des Merveilles, Musée Fernand Léger, Musée Marc Chagall) de lui confier leur image. Rares sont ses campagnes qui passent inaperçues : « Seul interlocuteur, j’évite la déperdition d’informations et privilégie l’écoute ». Cette valeur ajoutée augmentée d’un travail « à façon » attire des entreprises exerçant dans des domaines variés, mais c’est dans le domaine culturel que Couleur Tango imposera sa griffe. Dès le nouveau millénaire Philippe décroche aux Palmes de la communication plusieurs récompenses pour ses interventions en faveur des Ballets de Monte-Carlo (dont il signera même le carnet de voyage de leur tournée en Chine) et du Festival MANCA, une campagne qui lui vaudra aussi en 2004 le Trophée « Créaffiche ». Puis suivra une longue série qui verra chaque année notre affichiste monter sur le podium de « Fenêtre sur com ». En 2009 il réalise le Grand

Collectionneur de masques ethniques, l’affichiste fou aime en faire parfois des répliques à partir d’objets recyclés. Une autre facette de l’art du détournement ? © H Lagarde

schlem en raflant aux Palmes de la communication trois prix dont deux palmes d’or tandis qu’aux « Affichades » de Toulouse « un concours national où sont présentes les grandes agences (soit près de 3 500 campagnes) il remporte trois affiches d’or pour le Philarmonique de Monte Carlo, Violons de légende (Beaulieu) et « les Paris de la musique » organisé par la Ville de Paris. Photo, surréalisme et cinéma D’ou vient ce succès qui fait de Philippe Hurst l’un des graphistes indépendants les plus cotés du marché azuréen et comment décrire le style Couleur Tango ? Philippe avoue un faible pour tout ce qui est décalé, « légèrement surréaliste ». Un point noir ganté et vengeur (Clin d’œil aux Black Panthers ?) brandissant une


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clarinette, un éléphant en périlleux équilibre sur le bout d’une trompette, des instruments qui poussent comme des fleurs…ses affiches séduisent, intriguent, interpellent. D’ailleurs son auteur n’aurait-il pas un faux air de Salvador Dali même si sa moustache n’est pas en guidon de vélo (il pilote une moto BMW vintage)  ? Mais Philippe lui ne peint pas, ni ne dessine, même s’il est féru de l’œuvre de Roland Topor. Il préfère un médium plus actuel, « La photo qui inscrit l’image dans l’immédiat, s’ancre plus fortement dans la réalité et jette un trouble : comment est-ce possible ? C’est le médium idéal pour détourner le réel et capter le regard des passants ». Et quand il ne prend pas lui même les photos il fait appel à des « artistes » comme Gabriel Martinez qui captura la noire

© H Lagarde

sauvageonne des MANCA 2010. « Pour cette nouvelle édition je me suis inspiré des trois singes de la sagesse, ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre. Evidemment c’est un contrepied car le festival de musique contemporaine MANCA propose exactement le contraire aux auditeurs ». Mais si le résultat s’impose souvent, le chemin qui y mène n’est pas toujours simple. « Sur la trentaine de maquettes, trois ou quatre sont finalisées pour choisir le visuel définitif ». Parfois c’est l’annonceur qui n’ose pas ou ne veut plus changer de visuel tant il est satisfait de sa dernière campagne. Mais Philippe parvient toujours à imposer ses créations. Les plus audacieuses prennent juste un peu plus de temps comme les chaussures instruments

pour le Philharmonique de Monaco en 2009 ou celle que vous ne pourrez découvrir qu’en 2011… « Quoi qu’il en soit la communication culturelle est valorisante. Mes interlocuteurs ont une réelle réflexion artistique, une exigence qui m’oblige à aller toujours plus loin et à convaincre à chaque fois ». Ceux qui ont pu voir l’exposition Musigraphique « affiches musicales » de 1999 à 2010 présentée jusqu’au 16 septembre à La Chapelle Sancta Maria de Olivo (Beaulieu Sur Mer) ont pu se rendre compte à quel point Philippe ne s’est jamais endormi sur ses lauriers. « Chaque commande est un défi où imagination pure et contraintes publicitaires doivent s’équilibrer. Pour les MANCA ou d’autres événements musicaux, l’enjeu

est de toucher au-delà de l’audience acquise. Il faut inciter un autre public potentiel à franchir le pas ! ». Un défi qui l’oblige souvent à briser les carcans et les idées préconçues. Ce qui n’est pas pour lui déplaire et rapproche son travail de celui d’un artiste plasticien. D’ailleurs Philippe a commencé l’an dernier pour son propre plaisir une série de sculptures baptisées non sans humour « Les arts derniers ». Des masques réalisés avec des objets de récupération qui deviennent de fausses répliques de quelques-uns des masques tribaux africains qu’il collectionne. Une autre façon de jouer avec les codes de la communication communautaire, mais cette fois à sa source ! OM Visuels © P. Hurst sauf mention autrement.

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MONACO

Jean-René Palacio d’un festival, l’autre ! Il a succédé en 2010 à Harry Lapp à la direction de Jazz à Juan, 50ème du nom. Désormais à la barre de trois prestigieux rendez-vous musicaux Jean-René Palacio est devenu un chef d’orchestre de festival, incontournable !

© H Lagarde

Alors que l’édition cinquantenaire du Festival de Jazz de Juan les Pins s’annonçait fructueuse (elle confirmera avec un record de fréquentation jamais atteint, 80.4% de spectateurs payants), que le Sporting Summer Festival battait son plein et que l’on bouclait la programmation de la 5ème édition du Monte Carlo Jazz festival, nous avons rencontré Jean-René Palacio, un directeur artistique bien trop occupé cet été pour partir en vacances !

Se retrouver aux commandes de Jazz à Juan, c’est pendre le volant d’une Ferrari ? Mieux, c’est Noël en été ! Quand on est passionné de jazz et dans ce métier depuis 25 ans, comment ne pas rêver de programmer un festival qui a une telle histoire. Comment fait-on pour piloter trois festivals ? C’est un rebond permanent, une machine infernale selon ceux qui vivent à mes cotés. Mais c’est passionnant car chacune de ces missions est différente. Le Summer Festival se déroule de Juillet à Aout sur un segment musical diffèrent des deux autres. Jazz à Juan c’est une jauge de trois mille personnes sous les étoiles, alors que le Monte Carlo Jazz se déroule lui en hiver sous les ors de la salle Garnier d’une capacité de 500 places. En tant que Directeur artistique du Groupe SBM, je suis heureux de participer à un rapprochement entre la Principauté et Antibes et de pouvoir faire la preuve qu’en créant des passerelles entre tous ces festivals, on génère une véritable dynamique pour le Sud-Est. En termes de programmation, cela nous permet d’avoir plus de poids auprès des agents et des musiciens. C’est avec un autre grand festival que tout a commencé pour vous ? Je suis né en Algérie en 1953, quand nous sommes arrivés en France en 1959 avec mes parents, c’était à Vienne en Isère. Si je fais aujourd’hui ce métier je le dois à ma rencontre avec Jean-Paul Bouteiller le fondateur de Jazz à Vienne, un festival qui fêtera ses trente ans en 2011. Grâce à lui je suis tombé dans la marmite du jazz, moi qui venais de la planète rock ! Le nouveau directeur artistique de Jazz à Juan, un rocker ? Je fais partie de cette génération qui a grandi avec les Stones et les Who, j’ai même gra-

touillé au fond d’un garage, puis le jazz m’a rattrapé. Malgré une formation universitaire classique, j’avais très envie de travailler dans l’univers de la musique. Étant un piètre musicien, j’ai préféré faire travailler les autres. Cela fait combien de temps que ça dure ? Je viens de la presse et des medias, je me suis aussi occupé de gérer des spectacles pour des salles de zénith. Puis il y a dix ans j’ai pris un autre virage pour faire de la programmation pure et dure. Votre cote a monté en dix années ? Ce qui est sûr c’est que ma passion pour la musique n’a jamais varié. Et aujourd’hui on m’a inoculé le virus de la Pinède Gould. C’est un lieu habité, magique ! D’un coté la mer de l’autre la scène, et une foule de souvenirs que je n’ai pas vécus personnellement mais qui sont entrés dans la légende via les disques, les livres, les photos et la télé qui a débarqué ici avec Jean-Christophe Averty. Qu’est-ce qui fait pour vous le succès planétaire de Jazz à Juan ? C’est le doyen des festivals européens. Quand j’étais enfant Juan était déjà culte. On venait ici comme on allait à Salzbourg pour Mozart. Claude Nobs a créé Montreux après avoir vu Juan, il le dit lui-même. Juan c’est Dizzy avec sa trompette les pieds dans l’eau, mais c’est surtout un exceptionnel travail de programmation entrepris notamment grâce à Norbert Gamsohn, agent de Ray Charles, dès 1973 et pendant 27 ans. On est toujours venu ici pour découvrir des talents, Juan a toujours placé la barre haute dans ce domaine. Un demi siècle plus tard, est-ce encore possible ? C’est sûr que si vous espérez encore voir


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© courtesy Monte Carlo Jazz Festival

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Photos du haut :  Jazz à Juan : record d’affluence pour le cinquantenaire avec J. Redman et Marcus Miller ! À gauche :  Pour Jean-René Palacio, Être directeur de Jazz à Juan, c’est Noël en été ! Au milieu :  Dans les coulisses du Monte Carlo Jazz Festival : Jean-René Palacio aux côtés de Marcus Miller et de... Jean-Michel Jarre. Surprise ou crossover ?   Mc Coy Tyner sur la scène de l’Opéra Garnier. Monte Carlo Jazz Festival 2009. © H Lagarde

le quartet de Paul Desmond avec Dave Brubeck cela va être difficile ! Mais le Jazz n’est pas une musique morte. Loin s’en faut ! Il y a encore des interprètes fabuleux et de nouveaux talents. Le Jazz se ressource, se régénère avec l’air du temps. Notre travail est d’arriver à faire le lien entre cet héritage et la scène actuelle. Et avec un public qui a lui aussi évolué ? Effectivement les attentes ont changé même si on constate avec bonheur un retour des festivaliers. Les gens aujourd’hui veulent des stars. Le festival est devenu « Crossover » évoluant entre la musique populaire et le jazz qui est lui-même un creuset qui brasse des influences diverses comme le latino, le funk, la soul, le blues et même les musiques de la méditerranée, on l’a vu cette année avec l’excellent Avishaï Cohen.

© courtesy Monte Carlo Jazz Festival

Peut-on encore créer la surprise sur une pinède aussi « gâtée » ? Il faut aller sur des courants différents. Nous avons choisi cette année l’option flamenco avec Paco de Lucia qui n’avait jamais été invité ; offert à Marcus Miller l’opportunité de jouer avec l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo. Un projet créé à Monaco mais qui ne s’était jamais produit devant un grand public. Jazz à Juan joue dans la cour des grands festivals européens et américains. La mondialisation ne nous a pas épargnés, il faut éviter de se marcher dessus. Plus que jamais nous devons être novateurs, créatifs. Des pistes pour la prochaine édition ? Dans ma tête on est déjà en 2011, mais il est trop tôt pour en parler. Je suis riche de l’expérience positive de ce jubilé, mais qu’est-ce qu’on peut faire de mieux l’an

prochain, c’est ça l’angoisse du programmateur ! Le Monte Carlo Jazz Festival soufflera cinq bougies du 23 au 27 novembre. Comment s’annonce ce millésime ? C’est un beau bébé avec un livre d’or déjà très enviable. Cette édition sera encore plus ouverte que les précédentes, afin de séduire un public encore plus large. Parmi les invités : le saxophoniste David Sanborn qui œuvra entre autres avec Marcus Miller et le batteur Steve Gadd, le chanteur de flamenco Diego el Cigala, deux fois lauréat des Latin Grammy Award, Gotan Project qui revisite le tango de Carlos Gardel à la mode électro et bien d’autres surprises dont un Off au Music Bar Le Moods dès 18h00 ! OM


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V A LL A URI S

L a c r é at i on c on t e m p or a i n e

en céramique Le médium céramique ne suffisant plus à caractériser cet art qui prend toute sa place dans la création contemporaine, la Biennale de céramique de Vallauris s’est dotée d’une nouvelle appellation correspondant mieux aux enjeux d’aujourd’hui : « Biennale Internationale de Vallauris, Création Contemporaine et Céramique ».

Ci-dessus : Marc Alberghina Offrande, Faïence blanche émaillée, 2009

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Flavie Cournil Les Formes et les Couleurs, Porcelaine, 2009

Ci-contre (droite) Mathieu Lehanneur L’âge du Monde (Japon), Faïence émaillée, 2009

allauris, depuis plusieurs siècles produit une céramique mondialement connue. Si depuis l’époque gallo-romaine, d’importants gisements d’argile réfractaire permettaient de façonner briques, tuiles et pots, c’est aux XVIIIème et XIXème siècles que l’activité a véritablement pris son essor. De nombreuses fabriques ont vu le jour développant une céramique traditionnelle essentiellement culinaire. Les pignates, ustensiles de cuisson simplement revêtus d’un engobe ou d’un vernis incolore, se sont diversifiés en formes et en couleurs, puis se couvrant d’émaux et de giclures qui caractérisera le style Vallauris. La venue de Picasso en 1946 et ses créations vont révolutionner l’image de la céramique qui rentre de plain-pied dans l’art de son époque. Les céramistes contemporains présentés à cette Biennale sont les dignes successeurs de l’approche et de la liberté que Picasso a insufflées à ce medium. L’extrême variété des œuvres rassemblées par Yves Peltier montre la richesse d’expression d’artistes issus de treize pays. Organisé en trois grands thèmes (pas toujours évidents) : le Contenant, le Design,

Ci-dessus : Brandhorst Museum de Munich, détail d’une façade

la Céramique architecturale, sculpturale ou conceptuelle, le concours a primé trois artistes. Dans la section « Contenant », la danoise Turi Heisselberg Pedersen, pour ses vases en grès aux formes épurées, un ravissement pour les yeux. Dans la section « Design », le français Mathieu Lehanneur a reçu le prix pour une superbe pièce réalisée dans l’atelier de Claude Aïello, un travail de transcription de la pyramide des âges du Japon. Dans la troisième section, l’anglais Andrew Burton nous fait redécouvrir les briques de terre rouge qu’il utilise à échelle réduite, nous réapprenant à regarder de plus près la richesse esthétique de nos murs travaillés par le temps. Le grand prix de la ville de Vallauris a été décerné à un jeune artiste hollandais, Yasser Ballemans, pour sa proposition constructiviste. La visite réjouissante de cette Biennale au Château et dans les différents lieux de la ville permet de se rendre compte de la richesse, de la diversité des tendances actuelles de la céramique contemporaine.


Vallauris

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Ci-contre de haut en bas : Turi Heisselberg Pedersen, Baluster Vase, grès, 2009 Soulages, Vase, Porcelaine, 2000 Andrew Burton, Wall, terre cuite, 2009 © Courtesy Biennale Vallauris

Dewar et Gickel Sans titre, 2010

Quelques bests :  Les tableaux-objets d’une simplicité déconcertante et pleine de charme de Flavie Cournil  L’environnement créé par le japonais Satoru Hoshino, une installation murale de 23 mètres pour nous rappeler la puissance tellurique d’une terre brûlée et explosive.  Les vases balustres affublés de béquilles, de l’anglaise Amy Jayne Hughes, une approche irrévérencieuse décalée et poétique des formes classiques, une critique de l’artisanat fourvoyé ou d’un certain académisme.  Les détournements de matières, objets ludiques, d’apparence faussement décorative d’Ishtar Johnson.  L’étonnante œuvre de Marc Alberghina tant pour sa technicité que pour son sujet. Pour « Offrande », il a dû façonner un à un les 206 os du squelette humain qu’il a recouverts d’émaux flamés, signés à l’or, caractéristiques du style Vallauréen. Une offrande à des dieux obscurs ou restes d’un festin anthropophage ? Son « Usine » à l’architecture aussi constituée d’os humains nous interroge sur la barbarie de notre destinée.  L’installation magistrale, énorme, de Dewar et Gickel à la Chapelle de la Miséricorde : deux hippopotames émergeant de leur boue grise de kaolin (23 tonnes de terre et d’eau).  L’utilisation de la céramique pour le Brandhorst Museum de Munich dont les façades sont constituées de pièces de céramique émaillée dont les couleurs vibrent au soleil, sont là pour nous rappeler que le temple d’Ischtar ou la mosquée bleue d’Istamboul ont les façades couvertes de mosaïque.  L’exposition « Gold’n Chromo », avec notamment les œuvres de Soulages ou de Louise Bourgeois démontre s’il en était besoin que l’art d’un visionnaire se joue de tous les médias. AA

La technique doit être maîtrisée afin de mieux la dépasser. Inventer, oser, bousculer, transgresser, c’est la leçon à tirer du travail de Picasso à Vallauris. Yves Peltier Le terme de « céramique contemporaine » associant pratiques artisanales et créateurs étant difficile à manier, Yves Peltier, l’organisateur de cette Biennale, préfère parler simplement d’œuvres d’art contemporain. Qu’ils soient artistes plasticiens, designers ou céramistes, les créateurs n’hésitent plus aujourd’hui à mêler la céramique à d’autres médias : peintures acryliques, mousses de polyuréthane, bois, etc. Les frontières se dissolvent et de nouveaux espaces sont investis qui viennent bousculer les approches artistiques classiques. L’arrivée d’Yves Peltier à la direction de la Biennale a redynamisé l’image de Vallauris qui présente aujourd’hui le meilleur de la création céramique dans le monde. De nouveaux projets sont en cours, comme celui de lieux de résidence pour des créateurs où ils pourraient collaborer avec les fabriques historiques, perpétuant ainsi l’aventure de Vallauris avec les techniques issues du travail de la terre et du feu.

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En Ville

BIOT

Christine Carol Tabusso : “La femme 100 têtes” Amazone, femme fatale, espionne en cavale, rockeuse gothique, la photographe plasticienne Christine Carol Tabusso brouille les pistes de l’identité sur fond de contre-culture et de romantisme noir.

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ar quel bout prendre Christine Carol Tabusso et de quelle couleur sont réellement ses cheveux ? Christine est à la fois candide et sophistiquée, directe et insaisissable, une actrice sans scénar qui s’invente des histoires ? On l’a vue sous bien des visages et dans bien des rôles, face à l’objectif. Un 6X7mm muni d’un déclencheur à distance. Mais qui est réellement celle qui est à la fois le photographe et son modèle, l’artiste et sa muse ? Christine se définît comme une plasticienne qui se sert de l’image afin d’explorer la notion d’identité, qui surfe sur la crête des icones féminines (préfaçant Lady Gaga) forte de la pensée Nietzschéenne : « Le mythe et l’art, nés d’un instinct fondamental et indompté en l’homme, font ressembler la vie à un rêve où tout est possible ». Christine a ainsi lâché la bride à ses chimères créant un jeu de l’ego ou plutôt un « Je » de Lego tant les héroïnes qu’elle incarne depuis plus de 15 ans ont fait d’elle une sorte de « Dr. Jekyll and Sister Hyde » qui revient toujours à son domicile. Sortie de terre Le bercail, pour Christine c’est la bonne ville de Biot. Christine est née à l’hôpital de la Fontone (Antibes) en 1968 mais la maison qu’elle occupe sur la Place des arts est la maison de famille. En dessous se trouve encore l’ancien atelier de couture que tenait sa grand-mère. Quant à ses arrière-grands-parents ils arrivèrent à Biot en 1921 : « ils ont acheté le café de la poste qu’ils ont transformé en Café cinéma. Le

Café est à ce titre classé comme une des première salles obscures de la région ». La fiction semble donc inscrite dans les gènes de Christine qui mettra le doigt dans l’engrenage à 14 ans quand son père lui offre un appareil photo : « Je me suis inscrite au photo-club de Biot où Marcel Taquet m’a appris le métier de A à Z ». Après le Baccalauréat, direction la Villa Arson où elle sortira cinq ans plus tard avec son diplôme partageant la même promotion que JeanLuc Verna et Natacha Lesueur, et, avec le premier, le goût des subcultures et de la transfiguration. Quant à la céramique et à la poterie qui ont fait le renom de son village natal, elle y échappera malgré une piste toute tracée. « Ma mère artiste céramiste avait une boutique à Biot. Mon grand-père qui tenait le café de la poste a même acheté la poterie que l’artiste Van Lith occupe aujourd’hui. Ma tante, elle, dirigeait une usine de céramique. Il y avait de la poussière de terre partout ! Aux Beaux-arts j’ai choisi de faire quelque chose de différent et de plus propre », explique-t-elle en riant.

De gauche à droite et de haut en bas :  Errances (travaux en cours de l'artiste) - Numérique et technique mixte - Tirage qui seront au format de 50 x 60 sur plexi - Juin – Juillet – Août 2010 © C.Tabusso  Thanatos - Ektachrome 6x7 – Tirage sur papier contrecollé sur support plastique. - 2006 - 60X80 © C.Tabusso  Lisa Karoll - 1998 - Argentique - Tirage sur Papier Carte Postale – 10x15 © C.Tabusso  Série – Attente à la Caravelle - 2005 - Ektachrome 24x36 – Tirage sur papier contrecollé sur bois. © C.Tabusso

Sortie de route Son enfance sera également marquée par sa mère qui chevauche une Harley Davidson quand elle n’est pas au volant d’une Triumph cabriolet, mais aussi par David Bowie « une des premières rock-star à fusionner arts plastiques et rock en utilisant le concept de personnages dans le champ scénique ». Ainsi le premier avatar de Christine sera une sorte d’égérie Badcave « À la Villa Arson j’avais décidé de prendre un modèle pour un shooting mais elle n’est pas venue. Comme j’avais un studio et un assistant sous la main, j’ai décidé de poser moi-même ». C’est ainsi que naîtra Lisa Karoll, son double à l’instar de Marcel Duchamp/ Rose Sélavy. « Ayant joué des claviers dans un groupe de Rock, Dazzle and Delight, qui s’est produit au Printemps de Bourges en 1992 j’ai choisi de me servir de la culture Rock gothique pour créer Lisa Karoll, une chanteuse pur produit postwarholien ». Forte d’un album à son nom, la Star labélisée Gothique est devenue peu


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© H. Lagarde

à peu un clone autonome. Lisa Karoll ce monstre qui plaît au point d’avoir ses fans est l’enfant caché que Christine a eu avec David Bowie : « Lisa Jane c’est sa première chanson et Lewis Carroll, l’auteur d’Alice au pays des Merveilles ». Après le trauma du 11 septembre elle se met cette fois en scène dans « L’attente à la Caravelle », série présentée à Deauville lors d’une exposition collective. Une série de 10 photos « Story board » d’une fiction dont l’héroïne est « Laura Celli » et qui nous entraîne dans ce qui pourrait être les premières séquences d’un polar des années 60, dont la couleur a viré. Voyage au travers d’une histoire où le spectateur invente lui-même une fin. D’autre femmes fatales suivent : La mariée au fusil, une amazone sortant d’une série B des studios de la Hammer (Thanatos) une

Suzy Solidor revisitée le temps d’un hommage à Cagnes-sur-Mer. Pour l’exposition « Icône », à la Salle Saint-Esprit de Valbonne, Christine endosse en 2005 les habits romantiques d’une courtisane. Plus récemment c’est une icône de l’église de Biot « Sainte Marie Madeleine » qui a inspiré cette reine de la métamorphose qui travaille actuellement sur des collages propulsant ses personnages dans des décors virtuels. Un travail qui vient d’être présenté à l’Espace Magnan dans le cadre du Sept Off de la photo à Nice. Mais si elle aime changer de visages Christine garde la tête sur les épaules : « Quand on est artiste il ne faut jamais oublier d’où l’on vient », explique celle qui est en charge de la Galerie municipale des Bains Douche à Antibes et s’investit depuis 2007 dans la

vie biotoise en tant que Conseillère municipale déléguée à l’événementiel. Ainsi après avoir créer la Fête des templiers, un événement culturel et populaire auquel participe les artistes biotois, Christine a porté le projet de ressusciter quarante ans après le festival de musique « Popanalia » initié par Jean-François Bizot (Fondateur d’Actuel et de Radio Nova). Un festival Pop qui s’est déroulé avec succès en juillet dernier dans la cour du Musée Fernand Léger. OM

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L’Opéra sous le signe de l’ouverture Après une année de fonctionnement, la nouvelle équipe de l’Opéra de Nice, avec Jacques Hédouin comme directeur général et Alain Lanceron comme conseiller artistique, entend bien consolider ses acquis et s’ouvrir à de nouveaux univers. Sa programmation 2010-2011 en est un bel exemple : art lyrique, danse et musique symphonique seront au rendez-vous pour le plus grand bonheur des publics, de plus en plus larges.

A

près l’Opéra de Lyon, l’Opéra de Paris et le Théâtre du Châtelet, c’est à l’Opéra de Nice que Jacques Hédouin déploie, depuis le mois d’octobre 2009, ses compétences. « Notre ministre-maire, Christian Estrosi, m’a confié la mission de refonder l’identité institutionnelle et le projet artistique de l’Opéra de Nice, précise-t-il. Après une période flamboyante où la programmation lyrique et symphonique était une référence, l’Opéra de Nice a été moins actif. À nous aujourd’hui de le redynamiser ». Et cela passe par une politique d’ouverture. Ouverture du répertoire avec le choix de présenter des œuvres majeures du répertoire français, italien, allemand et russe, et parmi les sept titres prévus, deux qui n’ont jamais été donnés à Nice : Orlando Furioso de Vivaldi et L’Elixir d’amour de Donizetti. Des chanteurs, chefs d’orchestre et metteurs en scène sont également accueillis pour la première fois. « Les Dialogues des Carmélites, de Francis Poulenc, du 7 au 16 octobre, n’ont pas été joués à Nice depuis 28 ans ! souligne Jacques Hédouin. Créée en italien à la Scala de Milan en 1957, puis reprise au Palais Garnier en français cinq mois plus tard, cette œuvre nous a semblé être l’œuvre idéale pour commémorer le 150e anniversaire du rattachement de Nice à

Du grand spectacle en perspective ! la France. Cette production du Nederlandse Opera d’Amsterdam, en avant-première française, sera l’occasion de recevoir pour la première fois à Nice le directeur Michel Plasson, le metteur en scène canadien Robert Carsen et la jeune soprano Karen Vourc’h. Et les quatre autres titres, Fidelio de Beethoven, La Cenerentola de Rossini, Boris Godounov de Moussorgsky et Elektra de Strauss, n’ont pas été donnés de-

D ernier spectacle du Ballet Nice Méditerranée, "Marco Polo", donné au Théâtre de Verdure, et présenté en octobre prochain au TNN. © D.Jaussein

puis douze à quinze ans. Sans oublier le répertoire baroque auquel nous souhaitons donner un nouvel essor ». Attirer les jeunes En ce qui concerne les concerts symphoniques, l’Orchestre Philharmonique de Nice propose 120 rendez-vous musicaux, des grands concerts symphoniques au ballet, en passant par la musique de chambre. Sans oublier l’Ensemble Apostrophe qui fera découvrir au public de belles pages du répertoire musical contemporain. « Nous initions par ailleurs de nouvelles collaborations avec l’Ensemble Baroque de Nice et l’Orchestre Régional Cannes Provence Alpes Côte d’Azur », ajoute Jacques Hédouin. En outre, le Ballet de l’Opéra de Nice, sous l’appellation « Ballet Nice Méditerranée » et l’impulsion


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2010 2011  Ballet "La Campanella" de Mancini donné en mai dernier à l'Opéra de Nice. © D.Jaussein

d’Eric Vu-An, propose quatre nouveaux programmes ouverts sur le monde : Marco Polo, Don Quichotte, En sol, Création, The enveloppe et Sylvia… Du grand spectacle en perspective ! L’ouverture, c’est aussi celle vers d’autres univers artistiques, avec les « Passerelles méditerranéennes » qui, de la Turquie à la Grèce, l’Algérie, l’Italie et l’Espagne, proposent un voyage musical jalonné de découvertes. Autre ouverture importante : celle vers de nouveaux publics, et notamment les jeunes. « Il est grand temps de faire venir à l’Opéra des publics non habituels », commente Jacques Hédouin. Les « concerts en famille du dimanche matin » d’une durée d’une heure à partir de 11h (7 euros pour les parents, gratuits pour les enfants), promettent de jolis moment de surprise, avec du piano, du symphonique, du lyrique, des ballets, des percussions et même du jazz… Autre opération en direction des jeunes : « 1 000 collégiens et lycéens en soirée à l’Opéra ». Au cours de la saison, une classe sera accueillie à chaque représentation, quel que soit le spectacle, pour la très modique somme de 5 euros. Les élèves auront droit aux meilleures places de 1ère et 2ème catégories. Quant aux étudiants, des places au tarif unique de 5 euros seront à leur disposition, dans la limite des places disponibles, à toutes les représentations. Enfin, l’Opéra de Nice s’ouvre « hors les murs », avec des représentations au Conservatoire National à Rayonnement Régional, au Théâtre National de Nice, au Forum Nice-Nord, au Théâtre de la Photographie et de l’Image, au Musée National Marc Chagall ou encore à l’Espace Magnan, mais aussi dans d’autres villes et villages du département, grâce au soutien renouvelé du Conseil Général des Alpes-Maritimes. Au total, l’Opéra de Nice prévoit, pour sa saison 2010-2011, 40 % de levers de rideau supplémentaire par rapport à l’année dernière. Et avec cette volonté affichée d’ouverture, si vous n’allez pas à l’Opéra, l’Opéra ira à vous ! FS

 "Viva Verdi" de Cannito donné en mai dernier à l'Opéra. © D. Jaussein

V isuel du lancement de la saison 2010/2011 de l’Opéra de Nice.


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Arts de l a scène

Côté cour et côté jardin ! Au théâtre ce soir… En intérieur ou à l’extérieur, pour tout public ou plus exigeants, les arts de la scène sont bien présents dans le département des Alpes-Maritimes. Nous avons choisi de présenter quatre troupes qui, de Nice à Cannes, en passant par Antibes, revisitent les clowns, se promènent dans les jardins, explorent les nouvelles écritures ou organisent le plus ancien festival d’humour.

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Le Théâtre de la Marguerite et si on se faisait un bœuf ? Depuis 1977, le Théâtre de la Marguerite et sa joyeuse troupe se démènent pour amener au public les arts de la scène dans leur plus grande diversité. 33 ans, c’est aussi l’âge du plus ancien festival d’humour de France : le Bœuf Théâtre, qui se tient du 17 septembre au 2 octobre à Antibes et dans neuf villes de la Communauté d’agglomération Sophia-Antipolis. Un concert, un vernissage, deux expositions et quinze spectacles tout public se succèdent…

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l y a d’abord la maman, l’emblématique Monette Candela, comédienne, fondatrice du Théâtre de la Marguerite, et son mari, Loulou, à qui l’on doit le nom de l’association simplement parce qu’il portait toujours une marguerite sur son chapeau. Aujourd’hui, il y a la fille, Fabienne, comédienne, metteur en scène, professeur, directrice artistique, longtemps soutenue par son mari Petit Jean. Le fils aussi, Jean-Yves, musicien. Et Adrienne, la petite-fille, qui préfère orchestrer le son et la lumière plutôt que d’arpenter la scène. Mais la Marguerite a beaucoup d’autres enfants : un président, un conseil d’administration, les familles Aussel et Bourgade pour l’hébergement des comédiens, 150 élèves, cinq salariés, quatre professeurs, 60 bénévoles, sans oublier de nombreux partenaires… « La compagnie crée en moyenne trois spectacles par an, précise Fabienne Candela, directrice. On ne les joue pas forcément tous ! Ici, les comédiens ne sont pas à demeure, ça va, ça vient. Ils font souvent leurs débuts dans les cours enfants, c’est encourageant ». Sur les routes Tout est parti d’un tour de clef. Celui qui a fait démarrer pour la première fois le bus aménagé par Loulou, Monette, Fafa, Mitchum, Ged et autres compères, amitiés complices. Ça y est, ils étaient prêts à partir faire les clowns sur les chemins du monde. Peu de pays manquent à leur palmarès de nez rouge ! En 1976, la troupe itinérante officialise l’aventure et crée le Théâtre de la Marguerite (association loi 1901). En 1977, c’est le premier Bœuf Théâtre, festival d’humour d’Antibes Juan-les-Pins, avec le Magic Circus

en programmation, rien que ça ! En 1990, pour abriter « le monde de Marguerite », la compagnie décide d’ouvrir dans le Vieil Antibes le café-théâtre Scène sur Mer : un lieu de création, de représentations, de cours et de stages. En 1998, l’équipe organise, en mars, Femin’Arte Côte d’Azur, un festival qui décline les arts et l’humour au féminin : peinture, littérature, danse, musique, cinéma, poésie, théâtre, sculpture… Tout y est ! « Ce festival, c’est une envie de montrer des femmes tout en oubliant que ce sont des femmes. Il y en a marre des réflexions sur les comédiennes, qu’on ne ferait pas sur les comédiens ! Sans oublier le type de remarques que j’ai pu entendre dans une exposition : « c’est bien, elle peint comme un homme », comme si une femme n’était pas capable d’être une artiste à part entière ! ».

 Cie AFAG Théâtre, La botte secrète de Dom Juan. © Courtesy Théâtre Marguerite

Stéphane Guillon, Noëlle Perna, Roland Magdane, Anne Roumanoff, Gustave Parking, Clémentine Célarié ou encore le ch’ti… Ils ont tous un point commun : ils sont passés, dans leurs débuts, par le Bœuf Théâtre ! Un mammifère qui a du flair et qui révèle les talents, à n’en pas douter. « Depuis 2002, la programmation rayonne chaque année un peu plus dans les villes et villages voisins, souligne Fabienne Candela. Aujourd’hui, dix commune de la CASA participent au festival. Un bœuf itinérant, en quelque sorte ». Et en 2010, un nouveau temps fort au programme du Bœuf Théâtre : le festival flottant. Avec la troupe La Rumeur, la plage de la Gravette se transformera pour la première fois en théâtre de pleine mer ! FS

 Compagnie La Rumeur, Sirène. © Courtesy Théâtre Marguerite

Un bœuf itinérant et flottant Mais revenons à nos bœufs. En 1978, la petite courette derrière les Arcades se transforme en Palais des Papes : pendrillons noirs, éclairages, sonorisation. Les voisins, conciliants, sont invités. Et ce premier Bœuf Théâtre se déroule dans la plus totale mais la plus sympathique intimité. Florence Foresti,  Fabienne Candela, Directrice © H. Lagarde


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Cannes

Compagnie la Berlue : Recherche clowns morts ou vifs ! Comédien, metteur en scène et fondateur de la Compagnie La Berlue, Pierre Blain revisite le concept du clown sur le mode grinçant dès la rentrée avec la création d’Anatole F au TNN.

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ount, Posteux et Felde travaillent dans un bureau. Soudain Felde dit « Je m’en vais » et se pend. Dès lors les deux autres vont s’apercevoir que leur collègue est plus intéressant mort que vivant. En jouant avec son cadavre ils redécouvriront même un nouveau sens à leur vie. Le propos paraît morbide voire d’actualité mais Anatole F est une comédie écrite il y a 20 ans par Hervé Blutsch qui a sévi dans le registre de l’absurde. Une aubaine pour Pierre Blain et La compagnie La Berlue créée en 1997 à Saint-Etienne, installée à Cannes et soutenue par la Ville depuis 2004. D’Argenton à Cannes La vie vous réserve des surprises, Pierre un jeune normand de 37 ans en a fait les frais. Enfant il voulait devenir marchand de bonbons il fera des études scientifiques. Mais ayant pris goût au lycée à la magie des tréteaux il finira par intégrer à 18 ans le Conservatoire de Bordeaux puis celui de Saint-Étienne. Une rude école où il apprend le métier et « à aller chercher les gens là où ils sont : entreprises, écoles, place publique ». Alors qu’il joue dans des pièces contemporaines, il est « récupéré » par le Centre Dramatique National de Saint-Étienne qui l’engage sur des spectacles maison dont deux avec Daniel Benoin , « Lucrèce Borgia » et « l’avare ». Mais très vite le comédien a envie de mise en scène. Et comme il aime la pluridisciplinarité, il pioche dans le nouveau cirque mélangeant avec bonheur le théâtre et les marionnettes (Scène de chasse en Bavière) puis Théâtre et danse pour « Gogo » avec la compagnie niçoise Reveida.

Des monstres d’humanité ? « Je suis arrivé naturellement au clown qui n’est pas celui du cirque, mais un clown plus moderne tel que le propose aujourd’hui des artistes comme Ludor citrik ». Des clowns sans nez enfant de Chaplin/Charlot ou Tati/ Hulot, qui parlent de nous sans avoir recours à des mots, des clowns imprévisibles, comme les « Vladimir » et « Estragon » de Beckett.  Comme si tout avait un sens, Villa Cameline 2010 - © Yoan Boselli

« Bref c’est un être dépourvu de codes sociaux jouant sur l’effet d’attraction/ répulsion ».

L 'acteur bouffe d'après Dario Fo © N. Sternalski

« Mon clown n’est pas forcement pour les enfants, c’est un enfant lui-même qui détourne les objets et les choses. Il possède toute la palette de sentiments d’un enfant : colère, innocence, perversité, s’exprime volontiers avec le corps ou par onomatopées.

La Cie La Berlue a ainsi réuni des comédiens qui ont développé leur propre entité de clowns, mais aussi leur talent de metteur en scène au fil des représentations : La naissance du jongleur (Dario Fo) Le baiser de la veuve (Horowitz), et de spectacles d’appartement (Comme si tout avait un sens) en spectacle de bar (Jeu de massacre de Ionesco). Pour Anatole F, nos trois clowns imprudents (Jonathan Gensburger, Magali Maria, Julien Storini) investiront (du 28 septembre au 3 octobre au TNN) « un décor minimaliste transformable à l’envie à l’image de l’univers poétique de l’enfance » avant de se produire en 2011 au Forum Jacques Prévert (Carros), à La Licorne (Cannes) et au Théâtre de Grasse. OM

© H. Lagarde


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Nice

Cie Hanna R : Qui est l’homme des plages ? La Compagnie Hanna R réunit, chorégraphes, comédiens et plasticiens autour des nouvelles écritures. Son dernier spectacle « L’homme des plages » joué au TNN (du 16 au 22 octobre) aborde la perte d’identité sous la forme d’un étrange cabaret.

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 Linda Blanchet, Fondatrice de la Cie © H. Lagarde

 Personne ne voit la vidéo au TNN 2007 © Fraicher Matthey

ée à Nice en 1978 Linda Blanchet se destine à une carrière de pianiste. Mais après 15 ans au CRR de Nice, elle contracte le virus de la scène. Une passion qui l’amène à postuler après un passage au Cours Florent pour l’université de Berkeley « où l’on peut étudier le théâtre de recherche ». De retour en 2004 tout s’accélère. La comédienne monte sur les planches du TNN dans la pièce d’Alfredo Arias « Mère et fils ». Elle enchaînera les rôles devenant également l'assistante de metteurs en scène tels : Alfredo Arias, Pierre Pradinas, Daniel Benoin, Frédéric de Goldfiem, et Jacques Bellay. 2007 voit le baptême de sa Compagnie « Hanna R » avec une pièce de Martin Crimp, « Personne ne voit la vidéo », jouée au TNN puis à Marseille à La criée. Sa rencontre avec l’écrivaine niçoise Claire Legendre débouche l’année suivante sur l’adaptation au TNN de son roman « Making Off ». En 2009, elle crée « L’air de rien », un spectacle jeune public en tournée dans 78 théâtres et établissements scolaires. « L’homme des plages » est le quatrième volet d’une compagnie qui explore la narration pluridisciplinaire. La comédie de l’effacement Mais qui est cet homme des plages ? Un homo erectus qui se noie dans l’écume des jours, soumis à ce ressac qui inexorablement efface sur le sable toutes traces humaines de passage. Une fable moderne que Linda a développée suite à la lecture du roman de Modiano « Rue des boutiques obscures » : « Cet homme avait passé quarante ans de sa vie sur des plages ou au bord de piscines, à deviser aimablement avec des estivants et de riches oisifs. Dans les coins et à l'arrière

plan de milliers de photos de vacances, il figure en maillot de bain au milieu de groupes joyeux mais personne ne pourrait dire son nom et pourquoi il se trouve là. Et personne ne remarqua qu'un jour il avait disparu des photographies ». Linda nourrissait le projet de travailler sur l’identité et la mémoire. À partir de ce personnage concept elle a bâti avec l’aide de Gabor Rassov (auteur, scénariste et metteur en scène) un récit en forme d’enquête sur le passé d’un homme, sorte de parabole de la condition humaine. Cabaret métaphysique « L’identité peut aussi se penser de manière épisodique, comme une succession de micro-récits ». Et quelle meilleure forme que celle d’un cabaret dont le meneur serait amnésique pour rassembler les fragments du puzzle. Pour mener à bien cette chronique d’une disparation annoncée, Linda a invité le plasticien photographe Michel Coen à nourrir sa scénographie de jeux d’images en direct. Une revue qui sera également ponctuée de sketchs d’Hanokh Levin, de numéros de prestidigitation, de contes personnels des comédiens et d’une partition musicale signée Ezequiel Spucches (Pianiste et arrangeur d’Alfredo Arias). « Parce que nous avons voulu que ce spectacle vivant soit aussi une manière de résister, avec humour, aux hommes des plages que nous allons devenir ». OM

 Making Of au TNN Mars 2009 © Fraicher Matthey


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Nice

Compagnie B.A.L. : déambulations au jardin Le plus de légèreté possible, c’est l’envie qu’expriment la Compagnie B.A.L. et son fondateur, Thierry Vincent, au travers de leurs comédies jardinières.

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e viens de la campagne et j’aime particulièrement le Littré de la langue française, explique Thierry Vincent. Il y a beaucoup d’entrées sur la botanique, c’est un thème au vocabulaire luxuriant ». Un langage dont lui et les comédiens de la Compagnie B.A.L. sont gourmands, tout comme les enfants. « Jouer dans les jardins, c’est l’assurance d’aller vers un public nouveau, pas les abonnés du théâtre, commente Thierry Vincent. Nos spectacles ont plusieurs niveaux de lecture et les enfants font preuve d’une capacité de compréhension impressionnante. Cela va même au-delà de la compréhension. Ils ont beaucoup d’instinct, c’est très poétique ». L’idée de jouer dans les jardins est venue alors que la troupe était en résidence au Monastère de Saorge pour écrire un spectacle. C’était la naissance des comédies jardinières. « Dans les jardins, les rapports entre les gens sont bien meilleurs : il y a quelque chose qui apaise. Le mot « jardin » veut dire paradis en persan, c’est un bon équilibre entre l’homme et la nature ». En outre, les gens qui travaillent dans les jardins sont des passionnés, comme Thierry Vincent et sa troupe. « Ils sont aussi dans le concret, comme les gens de théâtre. Art et jardins font décidément bon ménage ». Aller vers le public Un art qui demande un jeu athlétique, « il faut aller vers le public », et sans faux-semblants. « Impossible de jouer « snob » dans un jardin, on joue à vue, et avec la lumière, on la suit, la plus belle qui soit : celle du soleil de 19h ». « Il faut aussi prendre en compte le sens du vent, le chant des oiseaux ou papillon qui se pose sur la main, renchérit Elodie Tampon-

Lajarriette, comédienne de la troupe. Avant, le théâtre se jouait en extérieur. On renoue ainsi avec la tradition ». L’aventure a démarré en 2003 avec Le livre de l’intranquillité, de Fernando Pessoa, au théâtre de Nice. « Mon cou de poète dans mon col d’employé, tel est l’angle que nous avons adopté dans ce texte immense pour donner une unité au spectacle qui pourrait se nommer « Une journée dans la vie de Fernando Pessoa ». Essentiellement, nous avons voulu répondre à cette « demande d'être » qui fonde l’Intranquillité, souligne Thierry Vincent. Du livre au théâtre, quelque chose pourrait revenir à la lumière. Intranquille, peut-être... mais vivant ». Une création reprise cet été dans le cadre de la nouvelle manifestation de la compagnie : les Noctambules, à l’Amphi de « théâtre de plein air » de la Villa Arson. « Nous avons voulu partager ce lieu et ces auteurs, car il y a aussi Charles Bukowski et Vincent Van Gogh, avec le plus de simplicité dans un théâtre à ciel ouvert, où la proximité des acteurs et du musicien garde intacte la présence de ces voix nocturnes sous le ciel étoilé ». « Au son des guitares, des accords des oiseaux » La compagnie a également joué, pour la 4ème saison consécutive, Le Tour de l’infini, dans les jardins des Alpes-Maritimes et du Var. « Au son des guitares, des accords des oiseaux, le spectateur-promeneur, en compagnie des acteurs et des musiciens, déambule entre les scènes et traverse une heure de théâtre. Assis sur l’herbe, à l’ombre tutélaire des grands arbres. Le temps prend une forme d’oasis, le monde urbain s’éloigne. Et le public parta-

 L’épopée des prés, des comédies jardinières. © Courtesy Compagnie Bal

© H. Lagarde

ge, le temps d’une heure d’été, quelques instants dorés et festifs à l’écoute des étonnantes fabulations de Pomone, Cérès et Pan, capricieuses divinités « bio » avant l’heure ». Puis est venue cet été L’Epopée des prés jouée le 18 septembre au Domaine du Rayol dans le cadre des Journées du Patrimoine : « C'est l'histoire d'un festin où les Hommes sont les invités des Arbres. Un déjeuner sur l'herbe. Ni table, ni chaise (elles pourraient être de bois). Si les uns se nourrissent de lumière et d'eau fraîche, les hommes dévorent d'autres menus. Leur gastronomie comparée finira pas les faire sourire. Comment un arbre sourit-il ? C'est à voir. On dirait qu'il ouvre ses branches comme d'autres leurs bras. Et s'ils tombent c'est pour être amoureux des mousses. En somme, nous nous ressemblons un peu, à la folie, pas du tout ».

Pour sa dernière création, les Funambules, la Compagnie B.A.L. a fait appel à Monique Loudières, étoile de l’Opéra de Paris, une artiste qui aime les métamorphoses. « En écrivant les Funambules, j'avais en tête trois fils : le texte théâtral, la danse et la musique, indique Thierry Vincent. Je voulais écrire une pièce qui tisse intimement ces trois arts. Dès les premières pages, il m'est apparu que la pièce allait vers un genre qui la rapprochait de la science-fiction. Et que les influences venaient de films et de livres tels que Farenheit 451 de Ray Bradbury adapté par François Truffaut et 1984 de George Orwell porté à l'écran par Michael Radford ». L’évasion de deux femmes qui devient une quête, un éloge de la légèreté, comme toujours avec la Compagnie B.A.L., en attendant les prochaines adaptations de Feydeau. FS

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S ai n t - P aul de V e n c e

Galerie Guy Pieters : « fidèles à nos artistes » Implantée à Saint-Paul de Vence, sur le chemin de la Fondation Maeght, depuis maintenant 10 ans, la Galerie Guy Pieters se veut comme un espace d’exception pour les amateurs, collectionneurs et professionnels de l'art moderne et contemporain.

A n d y Wa r h o l - A r m a n - B e r n a r V e n e t - C é s a r C hr i s to & J e a nne - C l a u de - J a n Fa br e - J e a n - M ic he l F olon - J e a n - Pie r r e R ay n a u d - J i m D ine - C l a u d e & F r a n ç o i s - X av i e r L a l a n n e - M i m m o R o t e l l a - N i k i d e S a i n t - P h a l l e - P av l o s - R a u s c h e n b e r g - R o b e r t C o m b a s - R obe rt I nd i a n a - R ot r a u t - S a m F r a nc i s - S o sno - V il l e g l é - W i m De lv oy e - Y v e s K l e in …

C'

est une histoire qui a commencé dans les années 60. Guy Pieters créait ses premières galeries en Belgique. Puis dans les années 80, il fait la connaissance de Lieven De Buck, passionné par l’art et gérant d’une société de photogravure. Une amitié très forte se noue. « Chaque année, nous venions passer une semaine de vacances à Cannes pour faire du golf avec des amis collectionneurs, se souvient ce dernier. Une journée était consacrée à la visite de Saint-Paul de Vence. Entre la Fondation Maeght et les galeries, on prenait l’apéritif au Café de la Place ». Lui-même collectionneur, Lieven De Buck travaillait dans son atelier de photogravure avec de nombreux artistes, comme Appel ou Christo, venus faire la sélection des couleurs pour leur catalogue. « Cela représentait à peine 5 % du chiffre d’affaires mais c’était ma véritable passion ». Ses parents possédaient un laboratoire photo, Lieven De Buck a donc baigné très jeune dans cet univers. En 1970, il crée sa propre entreprise de photogravure et, dans les années 80, son atelier de 3 000 m2 emploie 100 personnes. Puis au fil de l’évolution des technologies, le travail pouvait être fait plus vite, avec moins de monde. Le personnel passe donc à 35 salariés. Plus vite, oui, tout est allé trop vite, avec le numérique. « Cela a L ieven De Buck (Directeur)


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En Ville

Q uelques œuvres d’artistes exposés à la Galerie et dans les jardins : Wim Delvoye, Robert Indiana, Folon, Niki de Saint Phalle, George Segal. Toutes photos © H. Lagarde

ouvert d’énormes possibilités, mais on ne prend plus suffisamment de temps pour la qualité », regrette Lieven De Buck. Il a donc fini par fermer son entreprise, en 1998 : le métier disparaissait. « Je ne voulais plus continuer dans un contexte où il fallait travailler de plus en plus dur, livrer de plus en plus vite et où les prix étaient sans cesse en baisse. Aujourd’hui, je ne veux même plus savoir ce qu’il se passe sur le marché ». Une passion devenue métier Mais s’il a perdu son entreprise, Lieven De Buck a gardé sa passion pour l’art, qui allait devenir son deuxième métier. « En 1999, je suis entré pour la deuxième fois dans la galerie d’Alexandre de la Salle, qui voulait la vendre. J’ai dit à Guy Pieters de racheter le bâtiment et que j’allais m’installer à Saint-Paul pour ouvrir la galerie ». Ce qui fut fait en juin 2000. Agrandie et rénovée, elle compte aujourd’hui une superficie de 750 m2 et un magnifique jardin de plus de 4 000 m2 entièrement dédié aux artistes. Quant au choix des artistes, la philosophie maison est de rester fidèle à ceux faits par Guy Pieters il y a 35 ans : Niki de Saint-Phalle, les nouveaux réalistes, puis Jan Fabre, Folon, Wim Delvoye, Yves Klein… D’autres sont arrivés mais les premiers sont restés. « Le monde entier passe par Saint-Paul, observe Lieven De Buck. Et parmi les visiteurs, il y a de vrais collectionneurs à la recherche de nos artistes bien cotés. Toutefois, les nouveaux réa-

listes étaient notre choix à l’époque et pourtant ils n’étaient pas bien cotés. Il se trouve que ce choix fut le bon ». Aujourd’hui, la galerie expose 80 pièces et en conserve 250 dans les réserves. Cette année 2010 a été marquée par l’ouverture d’une nouvelle galerie à Paris, « c’était le bon moment pour nous », dans le 8e arrondissement. Cet été, et jusqu’au 30 septembre, toutes les galeries Guy Pieters présentent une exposition sur le thème unique de la « Collection Coups de cœur » de Linda et Guy Pieters. « Nous voulions montrer de belles choses et ne pas faire une exposition « one man show », souligne Lieven De Buck. Mon coup de cœur à moi ? Toute la sélection ! ». Mais la galerie n’est pas uniquement concentrée sur l’exposition : elle organise beaucoup d’événements au-dehors avec ses artistes. « Ces derniers ont d’autres choses à dire qu’être simplement exposés », estime Lieven De Buck. Et ce n’est pas Christo ou Bernar Venet qui diront le contraire… FS

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Entretien chez Ben avec Olivier Marro pour Art Côte d’Azur Août 2010

Strip-poker avec

© H Lagarde

Tu as fait le tour de l’art, touché à tout, même été journaliste pour une revue d’art… En fait je ne me suis jamais arrêté d’écrire, c’est une démangeaison, je m’exprime en parlant avec une toile, une performance, une newsletter, il faut absolument que j’expulse ce qui me turlupine sinon, je me sens frustré. Ben à la scène est-il si éloigné que Ben à la ville ? Finalement on a une image de moi assez correcte, si j’ai envie de parler de sexe, d’art ou de politique, j’en parle. Si j’ai envie d’attaquer, j’attaque. Mais je constate qu’avant j’étais plus méchant, je donnais des un sur dix facilement maintenant quand je donne un trois sur dix je suis malheureux. Une forme de sagesse avec l’âge ? Je me suis rendu compte que c’est difficile de juger, il faut abandonner la notion de jugement. L’autre jour je me suis surpris, j’ai acheté deux tableaux d’un artiste niçois qui peignait des mimosas et exposait aux jardins Albert 1er. Il avait une galerie près de l’Hôtel Plazza. Des centaines de toiles. Que des mimosas. À l’époque j’aurais

C’est au retour de sa première grande rétrospective au Musée d’art contemporain de Lyon que nous avons rencontré Ben. Cinquante ans de création, un millier d’œuvres sur 3 000 m2. Après un demi siècle de pieds de nez et de prises de tête, bilan des fouilles avec le plus niçois des artistes universels.

dit que ce type était le niveau le plus bas de l’art, aujourd’hui je me dis que c’est de l’art niçois (Rires)… Dans ma jeunesse j’avais poussé la porte de sa galerie, je lui ai dit « je voudrais exposer chez vous mais moi je fais des bananes », il m’a répondu « ce n’est pas possible, je ne fais que des mimosas ». (Rires) Ta vision de l’art a changé ? Surtout mon regard critique. Avant, Jean

Mas, personne ne voulait le prendre au sérieux y compris moi-même. Aujourd’hui je me rends compte que dans l’histoire de l’art à Nice, il fonctionne, je suis plus ouvert ! Tu ne penses pas que les courants étant avant plus circonscrits, les attitudes étaient beaucoup plus radicales. À partir des années 80 les mouvements ont fondu comme neige au soleil, pourquoi ? C’est une question que je me pose.

© H Lagarde


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Ci-dessus : Dieu, 1962, © Courtesy Ben À droite   Sous la tonnelle de leur maison de Saint Pancrace, Ben et Annie son épouse © H. Lagarde

Je pense qu’avec le mondialisme, l’arrivée des Chinois, on a commencé à accepter la diversité culturelle, à la fois au niveau des peuples mais aussi au niveau des artistes. L’individualisme n’a-t-il pas participé aussi à cette perte d’identité collective ? L’opportunisme sûrement. On veut tous exposer, être montrés à tout prix donc on accepte plus facilement certains compromis. Des expositions se font aujourd’hui qui avant n’auraient pas été envisageables. Comment Ben arrive à Nice ? J’ai beaucoup voyagé avec ma mère après son divorce : Égypte Turquie Grèce... Je suis venu à Nice en 1949, j’ai beaucoup hésité entre Paris et Nice mais nous nous sommes établis ici parce que l’air de la mer était bon pour ma sinusite. L’autre raison c’est qu’ayant vécu à Naples, Alexandrie, Athènes je n’ai jamais pu quitter la Méditerranée, j’ai besoin de la mer. La pratique artistique t’est venue comment ? C’est de famille, du côté paternel mon arrière grand-père et grand-père étaient des

peintres officiels suisses : un petit tableau de mon grand-père qui s’appelait comme moi Benjamin Vautier vaut cinq fois plus qu’un Ben. Mon père croyait savoir ce qui était beau, à table on parlait de Picasso, pour ou contre. Ta boutique est connue dans le monde, mais il y a eu un Ben avant À Nice j’ai commencé par travailler en 1956 à la librairie au Nain Bleu sur l’avenue Jean Médecin en face du Patriote, au rayon des livres d’art. Puis j’ai ouvert une première boutique rue George Ville où je vendais des journaux, ensuite j’ai acheté rue de l’Escarène. En 1958 j’ai commencé à y faire des expos à l’étage sur 15 m2 et en bas je vendais des disques. Ta première création ? Après le rond, le carré, je recherchais une forme géométrique nouvelle, j’ai trouvé la banane et réalisé une série de tableaux sur ce thème. Mais Yves Klein et Arman

photos © H Lagarde

 J’ai tout signé, des trous, Dieu, des coups de pieds au cul. Ben © Courtesy Ben


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sont passés à la boutique et m’ont dit les bananes c’est fini, le monochrome c’est plus fort ! On a une couleur, toi une paire (Rires). C’est comme ça que je suis rentré dans l’esprit du nouveau réalisme, de l’après Duchamp. J’ai tout signé, des trous, Dieu, des coups de pieds au cul, on pouvait s’approprier le monde, c’était un peu avant le manifeste de Restany « À quarante degrés sous Dada », où il est dit que l’œuvre des nouveaux réalistes est de prendre quelque chose dans le monde et de le ramener dans l’art. Comment le nouveau réalisme a fait flores ? À Nice qui était un lieu de bouillonnement plus qu’à Paris, tout s’est passé dans les bistrots - le Provence, le Café de Turin -, et mon magasin. Les groupes s’affrontaient, les Figuratifs, les Nouveaux Réalistes, l’objet état, les Supports Surface, la transformation de la matière état et Fluxus la vie état. Quand on fermait le soir, on allait à l’Eden bar on discutait art, un jour Malaval nous avait traité de fumistes parce que l’on ne savait pas dessiner. Puis après lui il a fait les aliments blancs ? Et toi, quelle était ta position ? Moi j’ai toujours dit ce qui compte c’est ce qui est nouveau, on pouvait exposer chez moi puis on débattait le pour et le contre, tous sont venus à la boutique. À tel point que le directeur de l’école d’art de Nice a interdit à ses élèves de franchir ma porte. Viallat qui était prof a même été viré pour avoir pris ma défense. J’étais un vrai danger, je disais tout est art. Tu peux prendre un verre d’eau et le boire c’est de l’art, alors que les élèves apprenaient à dessiner et peindre. Le cinéma tu y es très attaché ? J’aimerais beaucoup faire un film. Même la nuit je rêve de cinéma. J’ai l’impression que je pourrais dire des choses que je ne peux pas dire en peinture. Pour le moment je me sens incapable de maitriser la technique. J’ai fait une tentative pour Catherine Issert « le non film », l’histoire de quelqu’un qui n’arrive pas à faire son film comme dans Huit et demi de Fellini. Je déteste la fiction pure je préfère la mélanger à la réalité. Je vais peut-être faire un docu-reportage « L’Occitanie ke sa ko » ; demander à 200 personnes dans la rue « qu’est-ce que l’Occitanie, est-ce que ça existe ? ». D’où vient cet engagement pour les cultures minoritaires ? Je suis né à Naples, mon père était suisse, ma mère occitane à moitié, sa famille étant

photos © H Lagarde

juive d’Antibes, ma grand-mère maternelle était Irlandaise. Donc je suis italien avec du sang irlandais, occitan et suisse. Mais tout est parti d’une discussion avec François Fotan, fondateur du Parti nationaliste occitan et plus tard avec Le Clézio. Moi j’étais plutôt Stalinien, universaliste : On doit tous porter les mêmes vestes et pantalons, croire à une seule vérité. Fontan m’a dit les esquimaux ont plus de cent mots pour dire neige et les Dogon pas un seul. J’ai compris l’importance de la diversité. Là où il y a un peuple, il y a une langue et une culture. Elles peuvent disparaître avec les guerres, le colonialisme, l’impérialisme, se bouffer l’une l’autre, mais moi je préfère être du côté de ceux qui sont pour préserver les différences. Ici c’est l’occitan, je défends l’idée que l’on puisse la pratiquer si on le souhaite. Qui a dit que l’art contemporain était réservé à un club d’une dizaine d’ethnies dominantes ? C’est une erreur, je crois à un monde de la diversité comme Levi-Strauss.

L’Occitanie a-t-elle été déjà assimilée ou est-ce sa renaissance ? C’est la question. En ce moment mon travail est partagé en trois tiers : les cultures ethniques, l’avant-garde et le cinéma avec lequel j’ai envie de parler des deux autres sujets. Tout est lié. La nouveauté c’est primordial, un peuple meurt quand il reste bloqué, sur son folklore, ses traditions. À Nice le renouveau occitan vient de gens comme Louis Pastorelli, Maurice Maubert, Thierry Lagalla, Jean-Luc Sauvaigo... Et l’Occitanie en 1960 ? À l’époque du Nouveau Réalisme c’était impossible Arman ou Klein étaient obnubilés par une seule chose : Paris, New York ! ( Il crie) Que penses-tu de Nice aujourd’hui ?


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photos © H Lagarde

Le MAMAC je lui ai donné un deux sur dix il peut mieux faire, il doit s’ouvrir davantage aux collectionneurs, pas seulement à Bernard Massini, mais aussi à d’autres comme Michaux, Giovanelli, pour stimuler les collectionneurs et remettre Nice dans le circuit. C’est ce qui manque. Des associations comme Botox font avec leurs moyens ce qu’elles peuvent ! Les Abattoirs ? J’ai peur des institutions publiques, gouvernementales qui, voulant faire de la culture, font une mayonnaise où l’artiste disparaît au profit du politique. J’ai été très déçu du projet de la Halle Spada, je m’attendais à ce que ce vaste espace soit donné aux artistes et je les retrouve dans des cages à lapins avec un gardien et des horaires de bureau. C’est un échec. Les Abattoirs c’est l’arlésienne, on en parle mais rien ne se passe vraiment, je crains que ce projet prenne le même chemin. Par manque d’argent ? Il n’est pas indispensable de dépenser des fortunes, à New York dans les années 60, tout a été fait par les artistes dans les cafés, les lofts dowtown des friches. Mais c’est vrai que c’était une autre époque, le monde a changé depuis. Les artistes sont plus individualistes ? J’aimerais bien qu’ils le soient, qu’ils se battent. Ils attendent trop l’aide. Je me suis engueulé avec un des envoyés culturels du Gouvernement à l’Espace de l’Art Concret quand je lui ai dit que j’étais d’accord pour faire des économies, que l’État diminue l’aide de 40 %. Il m’a traité de poujadiste. Il ne m’a pas compris. Je pense que si l’art redevient clandestin il y aura peut-être de

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Portrait Ben ©François Fernandez 2006

la vraie création. Dada n’a jamais demandé des subventions. Où est passée la contre-culture en 2010 ? La contre-culture est morte en 1980, mais elle revient avec le septième art, des films, depuis le film Tarnation fait avec quatre bouts de ficelles et une petite caméra vidéo. Le cinéma qui était l’art le plus cher est aujourd’hui le plus accessible, on peut tourner avec son APN ou une mini caméra numérique (Tout fier, il me montre sa dernière). Tu sembles touché par l’immédiateté. Ton concept de tableaux écriture est né dans cet esprit ? Je voulais que les gens puissent comprendre rapidement. Au début c’était une écriture bâton mais c’était compliqué il fallait les faire réaliser par un peintre en lettres. Alors j’ai écrit moi-même. Mais je n’aime pas quand on parle de mon graphisme, pour moi l’essentiel c’est que le sens passe. Le concept a été inventé par Ben Non malheureusement. Man Ray l’avait déjà utilisé. En 1956 Jasper Johns a fait en même temps que moi intervenir l’écriture. C’est Arman qui m’en a parlé, je venais de faire une écriture avec Coca-Cola. Les chinois bien avant s’en étaient servis dans l’art. J’ai pris l’écriture comme cheval de bataille mais je n’ai pas pu me l’approprier. C’est comme si tu voulais garder le feu, c’est un truc universel. Tu en as fait en couleurs mais le noir et blanc domine, pourquoi ? Je suis daltonien, je ne vois pas la différence entre marron et vert, les différences entre les bleus.

Quid du bleu de Klein ? Pour moi c’est n’importe quel bleu, d’ailleurs la force de Klein ce n’est pas son spécial IKB mais c’est avoir été le premier artiste à dire en 1955 le monochrome est une œuvre art. Avant lui, Alphonse Allais avait fait « Un combat de nègre dans un tunnel » et « Un ciel bleu de Provence sans nuage » mais cela n’avait pas été pris au sérieux. Klein a dit je mets un point final à la figuration, à l’abstraction avec une couleur unique. Parlons performances, tu es un des plus actifs dans ce domaine ? J’attends avec impatience l’exposition préparée sur ce sujet par Éric Mangion à la Villa Arson. Je crois que cela a été repoussé d’un an. C’est dommage. La Côte d’Azur a été creuset dans ce domaine ? La performance c’est un grand panier, fourre-tout. Un jour Arman est venu chez moi il était en colère après moi, il a pris un tabouret et l’a cassé. Il m’a dit je te fais une colère. Ses colères, c’est une œuvre ou une performance ? Klein, ses femmes pinceaux et les anthropométries, œuvres ou performances ? En ce moment, il y a une mode de la performance. Tout a été fait sur la Côte dans ce registre, je regrette juste qu’on ait manqué une rencontre avec les lettristes qui étaient descendus au Festival de Can-

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Ci-dessus à droite : Ben, je signe la vie Ci-contre : Ben, La vie c’est 24 images secondes photos : © Courtesy Ben

nes pour la projection du « Traité de bave et d’éternité » d’Isidore Isou. Plus tard en 1963 j’étais sur la Croisette, je collais des affiches « Tout est cinéma », on me tape sur l’épaule, c’était le jeune Guy Débord, il me dit « c’est bien ce que tu fais là ». Nous sommes allés dans un bistrot, nous avons bu un verre puis il s’est levé et m’a dit : nous sommes suivis par la police ! Silence… Qu’est ce qui est arrivé à Guy Débord ? Il s’est suicidé ou il a été assassiné ? Ça tombe bien que tu évoques ce sujet je voulais justement parler de la parano... (Rires) Comme je ne crois pas à l’information officielle je cherche d’autres explications au point que je me dis parfois, il doit

y avoir quelqu’un qui tire les ficelles. Un de mes tableaux c’est « Attention la culture manipule ». Le système économique, le cinquième pouvoir, le sixième : l’art contemporain ? ... Je vois très bien quelqu’un dire aux affaires étrangères, il faut réagir on va envoyer Buren au Japon, Boltanski en Chine. Avant on envoyait les marines maintenant on envoie les artistes (Rires). En fin de compte est-ce que c’est l’artiste qui compte ou le pouvoir qui le soutient. Tout d’un coup un artiste accède à la gloire, on lui fait un musée… Qui tire les ficelles de l’art ? La gloire et Ben, on en est où ? Je vends en Europe, surtout en Italie et en Allemagne. La galerie Lara Vincy à Paris commence à vendre aux anglo-saxons, les américains aime bien mes phrases en anglais. Tu as commencé quand à écrire en anglais ? J’ai commencé avec le français, mais j’ai quand même fait beaucoup des phrases en anglais surtout à partir de 1964. C’est ma seconde langue maternelle. Mais j’ai un scoop pour toi ma prochaine expo sera uniquement en occitan, même si je sais que je n’en vendrai pas une aux collectionneurs. Elles seront traduites ? Peut-être sur le cartel.

Pourquoi ne pas les faire réversibles un coté en occitan, un autre en français ? (Rires) Pourquoi pas c’est une idée… (Il réfléchit) Non, ça serait tricher ? Quand on joue au poker il faut savoir tricher, non ? Tu joues au Poker ? Non, mais si je savais tricher, j’y jouerais. (Rires) Tiens, un dernier, un secret, le super secret : Je n’aime pas Ben ! On aurait dû commencer par ça ! Le bruit court que tu vas ouvrir une galerie à Nice ? Comme le bail qu’avait Bertrand Baraudou à « Espace à vendre » prend fin on a eu envie de faire une galerie à deux. Une exposition sur quatre se fera à partir de ma collection personnelle ou de ce que j’aime. Les autres avec ses artistes. Vous avez déjà trouvé un lieu ? Deux locaux nous intéressent dont un qui est un ancien marchand de meuble entre le port et la place Garibaldi à Nice. On parle aussi d’un Musée pour la collection Ferrero ? La Fondation de Ferrero, ils vont peut-être la faire là où était la Sous-station. Ferrero, sa collection est un énorme foutoir, il faut la présenter comme telle. Voilà deux bonnes raisons pour rester à Nice ? Oui, on aura une nouvelle dynamique. Il faut réagir par rapport à Marseille, capitale de la culture en 2013. OM


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Cannes : Pas un festival sans Traverso ! Ils s’appellent Auguste, Henri et Gilles, ils connaissent mieux que personne le Festival de Cannes et pour cause, depuis trois générations cette grande famille de photographes capture tout ce qui fait briller le rivage où pousse la palme d’or.

© H Lagarde

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n juin 1939 Louis Lumière n’arrivait pas en gare de la Ciotat mais bien en gare de Cannes. Il fallait être là pour fixer sur la pellicule le premier Président de ce qui allait devenir le FIF (Festival International du Film). Il fallait être là pour couvrir une édition naissant dans le bruit des bottes afin de contrer la Mostra de Venise et sa « coupe Mussolini ». Auguste Traverso y était avec son 6X6mm. 63 éditions et quelques milliers de clichés plus tard, c’est Gilles, son arrière-petit-fils qui a pris la relève sur les marches les plus connues de la planète. Saga… Arrière grand-père, père et fils C’est ainsi que commence pour cette famille la grande aventure du festival mais pas celle de la photo, « car après avoir développé des films pour un radiologue, Auguste mon arrière-grand-père ouvrit dès 1919 son atelier de photographie rue de Bône », explique Gilles Traverso aujourd’hui à la tête de la petite entreprise familiale qui connaîtra son âge d’or de 1946 à la fin des années 70 sous l’égide d’Henri son père. « Mon arrière-grand-père n’ayant eu que des filles qui travaillèrent en labo ou à la boutique, on a sauté une génération mais nous n’avons manqué aucune édition du Festival ». C’est aussi de cette dynastie que parle l’exposition « Memories & Dreams 1919/2010 » présentée cet été au Palais des festivals. Partout où le regard se pose vous êtes cernés par les stars. Le paradis du cinéphile ! Gilles a pris cette fois quelques libertés, des tirages sur toiles et

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PVC, du noir et blanc colorisé et un parterre fleuri de visages d’Orson Welles à Lennon sous les pieds du visiteur. Car le patrimoine Traverso depuis quinze ans est devenu une collection (1,7 million de négatifs dont 348 000 sur le FIF) qui voyage, de New York à Tokyo, de Milan à Londres, de Paris à Lille. À Cannes elle fut présente notamment pour les 50 et 60 ème anniversaires du festival. C’est lors de l’exposition de 1996 pour les 50 bougies du FIF que Serge Toubiana des Cahiers du cinéma séduit par ce prestigieux album de famille décide d’en faire un ouvrage avec Gilles. « Ce n’est qu’à ce moment là que mon père a pris vraiment la mesure de notre patrimoine ». L’âge d’or de la Croisette Un patrimoine cannois qui commence sous le règne d’Auguste. Un photographe qui ne s’est pas contenté de couvrir les premières salves du festival mais a également participé au lancement de la Côte d’Azur en tant que villégiature estivale. Au début du siècle la saison est encore hivernale et les bains de mer ne sont pas à la mode. Les médecins mettent en garde contre « les insolations sablonneuses ». Quand, dans les années 20 les grands hôtels et les casinos d’été s’élèvent en bordure de mer, on lance le rivage à coup de filles en bikini qui posent devant le Martinez, le Miramar etc. La culture balnéaire fait la Une. Auguste écoule ses photos en boutique, « il est un des premiers à avoir pu photographier vue d’avion


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© Courtesy Fonds Traverso

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© Courtesy Fonds Traverso

 Andy, dis-moi oui ! Warhol et ses muses sur la Croisette

la baie de Cannes à la chambre. Une prouesse ! » , s’étonne encore Gilles. Il est aussi correspondant pour des revues comme « Cinémonde ». La concurrence se réduit alors à une poignée d’italiens mais bientôt c’est le débarquement. Henri Traverso, qui a appris le métier dès l’âge de 16 ans avec son grand-père, devient à son tour l’œil du FIF. « Quand mon père Henri a commencé en 1946 il n’y avait qu’une dizaine de photographes contre 500 en 2010. C’est la seule manifestation au monde où l’on nous voit sur les photos, la seule où les photographes font partie du décor, de la légende », commente Gilles Traverso qui est entré lui dans le grand bain à l’âge de 19 ans. « Quand mon père a vu l’ancien Palais tomber, à l’orée des années 80 il a préféré raccrocher ». Un repos mérité car Henri n’a pas chômé. Il a connu le passage du noir et blanc à la couleur, l’âge d’or où les vedettes déambulaient sur la Croisette, l’époque où Cinecitta rivalisait avec Hollywood, puis la nouvelle vague. Bref à peine le temps de recharger son 24X36mm ! Le Bunker de la dernière rafale ? Dès les années 80 Gilles vivra lui l’ère du « Bunker » et de la mitraille sur les marches, pour un sein qui se dévoile. Exit les starlettes qui faisaient mousser l’écume. On s’effeuille sur tapis rouge, la Cicciolina semblant confondre Palme d’or et Hot d’or. Pour Gilles les années 80 marquent un recul du glamour : « Le palais se fait plus débraillé,

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En haut  Palais des Festivals dans les années 1960 En bas  Orson Welles - Expo Cannes 2010

© Courtesy Fonds Traverso

 Kirk Douglas à Cannes - 1966  Juliette Binoche à Cannes- 2010

on cache les bijoux et autres signes extérieur de richesse ». Avec les années 90 la sécurité se durcit. Et quand le numérique s’installe mais surtout les téléphones portables avec « APN » entre stars et photographes la rupture est consommée. « Le pire c’est qu’avec le numérique les originaux ont disparu », confie Gilles qui débuta en classant les précieux négatifs de Papa. Un autre contact se fait rare, celui avec les vedettes. « Mon père avait le temps d’échanger avec des actrices comme Michèle Morgan qui s’injectait du citron dans les yeux pour les faire briller ou avec les belles italiennes. Henri travaillait comme un artiste ». Pas d’abattage chez les Traverso qui œuvrent aux antipodes de la presse people actuelle préférant capter un regard, une attitude, fournir de la matière « pour des articles de retour ». Malgré des conditions moins favorables, Gilles a eu lui aussi son lot de clichés rares et de souvenirs : La courtoisie de Jane Fonda qu’il pourra suivre pendant toute une journée. Isabelle Adjani qui le remercie de ne pas l’avoir flashée lors d’une soirée privée. Il se souvient aussi des show off d’Alain Delon, Gérard Depardieu, et de Philippe Noiret. « Malgré l’aspect business le Festival a réussi à maintenir un équilibre vital. Artistes, professionnels, cannois et grand public s’y retrouvent. Le FIF continue de faire rêver, d’offrir une magie que l’on ne trouve nulle part ailleurs ! », conclut Gilles Traverso, troisième du nom dont la fille de dix ans « prendra la relève ou pas, c’est à elle de choisir » ! OM

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Jacques Pelissier

Mon travail vient des gens que j’aime Portrait de Julian Schnabel en pâte à modeler, 160x120 cm.


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Jacques Pelissier peint, fait des croquis ou confectionne des petits personnages de pâte à modeler qu’il prend ensuite en photo pour les retravailler. Assoiffé de rencontres, il se prend de passion pour les autres. Le voici entouré de l’ancienne galeriste Lola Gassin, du chef Keisuke Matsushima et du directeur du site vitrines-parisiennes.com, Frédéric Allard, pour faire ce qu’il aime le plus au monde : échanger. Comment est né votre travail sur la pâte à modeler ? Jacques Pelissier : Le travail se fait souvent d’accidents. Il y a quatre ans, ma fille était hospitalisée à Lenval, à Nice. Nous sommes descendus à la boutique de l’hôpital lui acheter de la pâte à modeler et j’ai commencé à faire des petits personnages, c’est venu tout naturellement. Puis j’ai commencé à travailler, à les prendre en photo, à créer des fonds et à agrandir leurs dimensions jusqu’à en faire des tirages de 150 cm par 110 cm. Un accident, c’est comme Dessous :  Jacques Pélissier et Keisuke Matsushima À droite de haut en bas :  Jacques Pélissier  Portrait de Keisuke Matsushima en pâte à modeler

© H Lagarde

La vie des arts

Propos recueillis par Faustine Sappa

une rencontre. Et parmi les rencontres les plus importantes que j’ai faites dans ma vie, il y a celle avec Lola Gassin. Lola Gassin, qu’avez-vous fait pour Jacques Pelissier ? Lola Gassin : À l’époque, cela faisait au moins quatre ans qu’il peignait mais qu’il ne montrait son travail à personne. Or, moi j’avais envie de le montrer aux autres. Nous étions en 1997, j’avais fermé ma galerie de la rue de la Terrasse mais j’ai décidé de la rouvrir pour organiser une exposition du travail de Jacques. La deuxième exposition a eu lieu chez moi rue Maréchal Joffre, en 1999. Et la troisième, ce sera également © H Lagarde

Ci-dessus :  Lola Gassin

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chez moi, à partir du 29 octobre prochain ! Là, il y aura des personnages de pâte à modeler et des croquis. Ces fameux croquis d’enfants sur lesquels vous vous amusez à repeindre ? Jacques Pelissier : Oui, comme pour la pâte à modeler, c’est un univers qui me parle, comme à un enfant autiste, vers lequel je vais spontanément et que j’arrive, je l’espère, à faire parler. Frédéric Allard : Tu as une approche parlante dans ton travail. Ces personnages, tu leur donnes vie. Il y a une notion de regard sur les personnages, c’est « ta patte ». Jacques Pelissier : Au départ, mes personnages ne sont pas plus grands que la paume de la main. Puis je travaille avec un appareil macro, donc on sort de l’échelle, et on entre dans la matière. Sans compter qu’avec la pâte à modeler, on a le temps. Je ne sais pas aller vite, de toute façon. Je dois y revenir le lendemain, les refaçonner selon l’émotion du moment. J’ai largement le temps de penser à la personne que je suis en train de faire. Je choisis généralement des personnes dont j’aime le travail ou qui ont une gueule. Frédéric Allard : Ce sont des personnages qui attendrissent. Tu arrives à dégager l’amour ou le respect que tu éprouves pour eux. Jacques Pelissier : Oui, mon travail vient des gens que j’aime. C’est comme les rencontres. Par exemple, Keisuke Matsushima

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la vie des arts

Ci-dessus Portrait de Basquiat en pâte à modeler

ARTISTE

Dessous :   De gauche à droite, Frédéric Allard, Lola Gassin, Keisuke Matsushima, Jacques Pélissier

Ci-dessus Portrait de Basquiat en pâte à modeler

sintéressée. C’était pourtant une belle aventure. Au départ, nous l’avions créé pour accompagner le développement des galeries. Le problème à Nice, c’est qu’il y a de bons artistes mais que cela ne fonctionne pas commercialement. Or, l’art est une affaire. Frédéric Allard : Oui, c’est une histoire de complémentarité, et il faut l’accepter. Keisuke Matsushima : Jacques, tu as besoin de marketing ! Le poisson, il faut aller le chercher ! Jacques Pelissier : Cela viendra quand ça viendra ! Keisuke Matsushima : À Tokyo, j’ai créé une association, Plus Art Club, qui a pour but d’aider les jeunes artistes à trouver des financements. Car sans argent, les créateurs ne peuvent rien faire. Moi, j’ai appris à être créateur, grâce aux personnes qui

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fait partie des gens que j’ai rencontrés et que j’aime car il va au bout de sa passion. Keisuke Matsushima : On pourrait faire une exposition ensemble, un jour ! Je travaille avec les gens dont j’aime le travail. En ce moment, au restaurant Saison, j’expose Shun Kawakami, un artiste-designer qui joue sur la calligraphie japonaise, la photo et le montage. Shun est un artiste complet qui s’inspire des cultures internationales, expérience qu’il a acquise en travaillant beaucoup en dehors du Japon. Frédéric Allard : Une exposition avec Jacques, ce serait une bonne idée. Sur le site des vitrines parisiennes, nous avons fait des shootings avec des œuvres de Jacques, deux portraits, et le jour même, 40 000 per-

sonnes sont venues voir la vitrine en question. Un vrai succès ! J’adore mélanger art et mode, car il y a un sens artistique dans la mode, avec le travail des créatrices et des stylistes. Une manière de démocratiser la mode. Nous allons d’ailleurs bientôt créer des séries avec des œuvres avec la possibilité de les acheter en ligne. Jacques Pelissier : Il y a beaucoup de choses à faire à Nice, car c’est une ville exceptionnelle, avec de nombreux artistes de talent. Mais il y a aussi une grande force d’inertie. Il faut se battre pour qu’il se passe quelque chose. On a pu le voir avec l’exemple de la foire Art Jonction… Lola Gassin : Oui, Art Jonction a duré 15 ans, jusqu’en 2001, puis la ville s’en est dé-

m’y ont poussé. C’est donc ma manière de redonner. Et le restaurant, c’est la même histoire : c’est un endroit où l’on se rencontre, idéal pour les artistes ! Jacques Pelissier : Cela me rappelle une phrase de ma grand-mère : « Le non tu l’as, le oui, tu le cherches ». Et cette rencontre, très importante pour moi : un jour, j’étais dans un café à Saint-Germain-des-Prés, et je vois Catherine Deneuve. Je suis allé lui parler, avec mon book, pour lui montrer mon travail. Trois mois plus tard, elle m’a appelé et j’ai fait le portrait de ses petitsenfants. Aujourd’hui, j’ai la même démarche. Je ne me précipite pas, j’attends le bon moment : celui de rencontrer les bonnes personnes. FS


B E A U L I E U - S U R - M E R FESTIVAL D E 2 0 1 0 & S A I N T- J E A N - C A P - F E R R AT MONACO

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Anny Courtade L’art, ce sont les rencontres qui ont jalonné ma vie. Anny Courtade est une femme d’affaires active, à l’emploi du temps surchargé. Active, elle l’est aussi dans le domaine de l’art, au service duquel elle met son expérience de gestionnaire, en s’impliquant dans différentes structures artistiques. L’art, on le retrouve jusque chez elle, où les murs sont remplis des œuvres qui l’ont émue au fil de ses rencontres.

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ans sa maison du Cannet, qui fut celle de l’auteur Victorien Sardou, Anny Courtade dit avoir accumulé 35 ans de coups de cœur. Là un Matisse, ici un César, là-bas un dessin de Bonnard… L’art est présent partout. Elle parle de sa passion comme un enfant qui apprend la vie, sans jamais vraiment assouvir sa soif du travail des artistes qu’elle admire tant. « Le 18 septembre, nous avons inauguré une chapelle du 12ème siècle à Flayosc, entièrement refaite par mon ami l’architecte Jean-Michel Wilmotte. C’est dans la plus ancienne commanderie des Templiers de Provence. Au-dessus se trouve une maison ultra contemporaine… » Elle est intarissable. « En octobre, je vais offrir au nouvel hôpital de Cannes une sculpture de Bernar Venet de 11 mètres de haut, poursuit-elle. S’élevant vers le ciel, elle symbolise l’espoir. C’est un beau cadeau offert aux malades, toujours en situation de faiblesse quand ils sont à l’hôpital, que cette vision esthétique quand on entre dans l’établissement ». Directrice du supermarché Leclerc du Cannet, présidente de la centrale d’achats du Sud-Est Lecasud, et présidente du Racing Club de Cannes, entre autres

mandats, Anny Courtade a propulsé l’équipe de volley-ball féminin au rang de champion de France et d’Europe. Présidente de l’Orchestre Régional Cannes Provence Côte d’Azur, administratrice du Château de Villeneuve à Vence et administratrice de la SEAA Fondation Maeght, elle s’implique aussi dans des activités très éloignées de ses préoccupations quotidiennes de femme chef d’entreprise. Supplément d’âme « Rien ne me destinait à avoir des affinités avec l’art », confie-t-elle. Fille de mineurs toscans très pauvres venues en France pour « casser des cailloux », Anny Courtade est orpheline de mère à 2 ans et perd son père, qu’elle a peu connu, à l’âge de 16 ans. Dans l’intervalle, elle est éduquée par sa grand-mère. Repérée par son institutrice qui la pousse à poursuivre ses études, celle qui était destinée à faire la bonne à tout faire devint professeur de lettres, avant de découvrir l’univers de la grande distribution lors d’un stage dans un supermarché géré par une amie. « Dans la vie, il faut savoir s’élever. Et cela passe aussi par les rencontres. J’ai eu par exemple la chance

de faire la connaissance d’Adrien Maeght, qui est un ami intime depuis maintenant 20 ans, Jean-Michel Wilmotte, Philippe Bender… Beaucoup d’artistes sont devenus mes amis. C’est à leur contact que je nourris ma passion pour l’art ». Présidente de l’Orchestre Régional Cannes Provence Côte d’Azur, elle tient un rôle des plus difficiles : celui de la gestion. « C’est un orchestre magnifique, avec une cinquantaine de musiciens qui mettent en valeur une forme d’expression de l’âme qui reflète l’intime de chacun. Mon rôle consiste à faire en sorte que cela puisse exister. C’est un grand bonheur que de pouvoir donner aux autres un choc émotionnel que l’on partage en écoutant de la musique ou en regardant une peinture. On passe notre vie à livrer des batailles pour tenter de tout gérer. Ces moments sont un vrai supplément d’âme ». Au Château de Villeneuve, à Vence, elle fait partie du bureau. Mais si elle donne parfois son avis sur le programme artistique, elle sait que les rôles de chacun sont bien définis. « Chacun son métier ! Le mien, c’est la gestion ». Y compris dans la chose artistique. Et si « le hasard profite aux esprits préparés », comme elle aime à le répéter en citant Louis Pasteur, elle clame que dans la vie, il faut avoir de l’audace, que la chance est un alibi car il faut aussi avoir la volonté de faire. « La vie est une succession de portillons. Il faut savoir se remettre en question et être capable de s’ouvrir au changement ». À la Fondation Maeght, celle qui « aime les aventures » tient aussi un rôle de gestion. Un endroit « miraculeux » où, dans une architecture qu’elle juge intemporelle, voire éternelle, elle peut écouter des heures durant Adrien Maeght lui raconter des anecdo-


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Partager le gâteau Anny Courtade est aussi une collectionneuse de livres. Elle en possède des rarissimes. Fan de Saint-Exupéry, elle a acheté aux enchères une empreinte originale de la main gauche de l’auteur. Elle la regarde comme un trésor. « Je la garde pour mes enfants. L’art, c’est le partage de l’émotion. Cela n’a aucun intérêt d’être devant un gâteau et de le manger tout seul ». Dessins de Miro et textes de Prévert, tes vécues avec Matisse, Chagall ou Giacometti, qu’il a bien connus. Matisse et Chagall, que l’on retrouve sur les murs de la maison du Cannet. « Un jour, lors d’une réunion du bureau du Château de Villeneuve, Sœur Jacques Marie, qui avait été modèle de Matisse, avait un air triste, se souvient Anny Courtade. Il lui manquait des financements pour terminer les travaux de la nouvelle aile de la Chapelle Matisse, à Vence, où sont aujourd’hui exposées les chasubles et les maquettes des autres projets. Elle voulait vendre 7 œuvres de Matisse mais à quelqu’un qui ne ferait pas de spéculation. Je lui ai dit que j’avais trouvé quelqu’un, qui s’engageait de surcroît à laisser les œuvres en exposition pendant 3 ans au Château. C’était

Toutes photos © H. Lagarde

Ces moments d'émotion à la vue des chefs-d'œuvre valent toutes les expositions du monde. moi. » Elle ne se vit pas pour autant comme un mécène. « Je m’occupe simplement des choses pour qu’elles puissent perdurer ». Un exemple de rencontres qui ont jalonné la vie d’Anny Courtade. Rencontres avec les œuvres, aussi. « Mon premier tableau, c’est ce Picabia que j’ai acheté il y a 35 ans, à crédit, alors que j’étais fauchée comme les blés. Mais je ne pouvais pas vivre sans ce tableau ». Arman, César et Viallat achetés à la vente de l’École de Nice, une collection de Le Basque, un buste de Mayol, des chevaux datant de 1 000 ans avant J.C., Hambourg, Picasso, des Gasirowski et un lustre du 18ème siècle dans la cuisine… « Ici sont rassemblés mes secrets, mes souvenirs de voyages ».

exemplaires originaux du Petit Prince, la Bible illustrée par Chagall, une correspondance de Pierre Bonnard et Giacometti… « Ces moments d’émotion à la vue de ces chefs-d’œuvre valent toutes les expositions du monde ». Ici, une tapisserie d’Aubusson achetée à crédit, qu’elle avait roulé dans son deux-pièces en attendant d’avoir la grande maison qui lui permettrait de l’exposer. « Il fallait pouvoir vivre des rêves… ». Là une collection de dessins de Derain, Marie Laurencin, Bonnard, Cocteau… « Les dessins, c’est mon grave défaut, il y en a partout ! ». Très éclectique dans ses goûts, Anny Courtade a décidé de regrouper ses œuvres dans un appartement sur La Croisette, au design très zen et contemporain imaginé par Jean-Michel Wilmotte. « Tout l’inverse d’ici ! Mais la vie n’est-elle pas faite de contrastes ? ». Anny Courtade ne revend jamais rien. Elle achète parce qu’elle a été émue. Et son nouveau terrain de jeu, c’est la photographie noir et blanc, « un mode d’expression très beau ». Elle en possède de Chanel, de Saint-Exupéry… « De toute façon, je n’ai plus de place sur les murs pour accrocher des tableaux ! » FS

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Y von Lambert lors du vernissage de l’exposition au Château de Vence, avec le conservateur Zia Mirabdolbaghi © O.Marro

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ujourd’hui à la tête de deux galeries (Paris, New York) Yvon Lambert s’est constitué une collection de cœur qui a anticipé sur l’émergence de nombreux talents actuels au point que l’on a pu le qualifier de galeriste « révélateur ». En 2000 à l’occasion des célébrations « Avignon, capitale européenne de la culture » sa collection si enviée s’installa dans un ancien hôtel particulier (Hôtel de Caumont) en vue d’une donation future. 300 œuvres venant d’artistes aussi différents que Donal Judd, Daniel Buren, Dennis Oppenheim, Julian Schnabel, Jean-Michel Basquiat, Douglas Gordon, Bertrand Lavier et couvrant 50 années de passion ont constitué un premier fonds remarquable. « L’état n’avait pas eu de collection si riche en qualité et en nombre depuis la célèbre donation Picasso dans les années 70 » souligna l’expert nommé par le Ministère de la Culture. C’est à partir de cette prestigieuse réserve de 1200 références que bon nombre d’expositions hors les murs ont vu le jour : « Blooming » en 2007 qui a permis de faire découvrir le peintre Cy Twombly, celles dédiées à Sol LeWitt, à Nan Goldin (au Musée d’art contemporain de Montréal en 2003), à Robert Comas à Tarascon. Sans oublier celle consacrée depuis cet été à Miquel Barceló au cœur de la cité papale, afin de célébrer les dix ans d’activité de la collection Lambert en Avignon. Une collection qui a investi dans le même temps le Château de Villeneuve (jusqu’ au 31 octobre) marquant le retour aux sources de l’enfant du pays.

Lam ber t La Collection vue de Vence

 Christian Boltanski – Monument Odessa, 1989. © O.Marro

 Nan Goldin - Guido on the dock, Venice, 1998. © O.Marro

Vence, Paris, New York Enfant Yvon Lambert, entendait parler de Renoir, Matisse et de Chagall « qui se promenait à Vence dont les rues lui rappelaient son village natal ». Autant de figures qui suscitèrent sa vocation. Issu d’une famille peu portée sur l’art plastique (sa mère tenait une épicerie, son père fut chauffeur de taxi), Yvon se forme en dévorant des revues d’art puis en visitant les musées. À 14 ans, avec son premier salaire, il acquiert sa première œuvre, un tableau d’un post-impressionniste anglais représentant une rue de Vence. Quelques années plus tard, en 1962 avec le soutien de ses parents il ouvre sa galerie Place du grand Jardin. C’est Jean Cocteau qui dessinera le carton d’invitation de l’exposition inaugurale « Dessins de Modigliani à Picasso ». Par la suite, Yvon exposera des artistes comme Auguste Chabaud, rencontrera des créateurs tel Robert Malaval installé à Vence et à qui il achète des pièces. Très vite il s’ennuie. Les artistes de l’École de Nice, ne sont pas sa tasse de thé. Yvon Lambert rêve d’ailleurs, il sent que le vent a tourné, qu’il souffle de l’Amérique avec les prémices de l’art minimal, l’art conceptuel, le land art qui représentent les piliers de sa collection. « Au bout de trois ans je suis monté à Paris. J'ai commencé dans une petite galerie à Saint-Germain où j'ai invité des artistes à tendance « géométrique », j’ai déménagé pour pouvoir montrer des artistes d’avant garde, comme Sol Le Witt, Tony Smith, etc. ». Après être resté huit ans près du


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© O.Marro

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Dans le cadre de son cycle « Regards sur les collections », le Château de Villeneuve s’ouvre depuis cet été sur la collection Lambert. Yvon Lambert, un galeriste qui vit le jour à Vence et y fit ses débuts avant d’occuper cinquante ans plus tard le devant de la scène de l’art contemporain.

 Andres Serrano – La comédie française - 42 portraits, 2007. © O.Marro

Centre Pompidou, il s’installe en 1986 dans le Marais. En 2003 il ouvre une galerie à New York. Pour lui l’activité de galeriste et de collectionneur participe à un même engagement : « Pendant toute une période, j’ai acheté de façon quasi exclusive des œuvres que je montrais à la galerie et il en est encore ainsi aujourd’hui. La plupart des artistes que j’ai exposés et vendus sont présents dans ma collection ». Un parcours en autoportraits C’est cette collection passion qui se raconte en 120 œuvres au Château de Villeneuve. De l’effervescence des sixties à nos jours, de Matisse à Barceló, de Duffy à Loris Greaud, le plus jeune (30 ans) car Yvon Lambert s’est toujours tourné vers la création en devenir. Ce parcours construit comme un dialogue intime entre le collectionneur, la Fondation Emile Hugues et sa ville natale, se révèle grâce aux « touches personnelles » qu’il a souhaité apporter au fil d’une scénographie réalisée avec Eric Mézil (Commissaire) et le Conservateur Zia Mirabdolbaghi. « Pour la première fois nous avons ouvert l’intégralité du Château y compris une salle au rez-de-chaussée qui fut jadis l’atelier de vermicellier que tenait son arrière-grand-père » explique ce dernier. Dans cette salle historique (le grand père d’Yvon naquit à coté, où se trouve aujourd’hui la Librairie du Château) ont été réunis entres autres pièces : Une peinture sur bois de Basquiat et ses fameux sabots dessinés/

tagués, une toile de Combas dédiée au patron de la ville Saint Lambert, ainsi qu’une maquette de Sol LeWitt pour la chapelle de Vence. Car Yvon Lambert était revenu officiellement au Château de Villeneuve en 1994 pour ce projet qui avorta. Plus discrètement chaque été il revient dans sa maison familiale où il reçoit avec sa sœur Collette ses amis artistes Nan Goldin, Douglas Gordon et tant d’autres. C’est ce lien inextinguible qu’évoque ce parcours articulé en cabinets thématiques comme autant de facettes du galeriste. Portrait de l’homme fasciné par la mythologie et le sacré, du Christ noir de Serrano au Monument à Odessa de Boltanski, par la modernité tel l’hommage à Cézanne – « Notre Père à tous » disait Picasso - à travers la Montagne Sainte Victoire changée en installation par Guilio Paolini. Portrait du collectionneur féru de photos comme en témoigne l’étrange faune de Nan Goldin, les portraits d’artistes (brulés) de Douglass Gordon ou posant comme en Avignon d’Andrés Serrano. Sans oublier ce cliché insensé montrant Gilbert & Georges couchés côte à côte dans le lit de Federico García Lorca. Portrait de l’adepte du minimalisme et du bibliophile amoureux de l’écriture. Portrait d’un passionné qui a continué à relier l’art le plus antique avec l’art le plus conceptuel, a entrelacé son enfance vençoise à celle du grand voyageur collectionneur qu’il est devenu. OM

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Pierre Pinoncelli Le dernier coyote Pierre Pinoncelli, artiste se revendiquant de l’École de Nice, est l’un des inventeurs du happening. À 81 ans, il en a plus de 70 à son actif, le dernier en date ayant eu lieu en juin dernier, lors du vernissage de l’exposition « 1960-2010, Cinquante ans de l’École de Nice », au Musée Rétif de Vence.

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ntre humour, dérision et pointe au cœur, Pierre Pinoncelli était ce soir-là, le 7 juin dernier, tout de noir vêtu, et arborait un masque de mort. Trois grosses têtes du Carnaval étaient également recouvertes de draps noirs : une tête de bébé, de grenouille et de requin allaient ensuite apparaître tout en couleurs, comme l’artiste, « comme un papillon sortant de sa chrysalide », commente-t-il. Après avoir dicté les 30 noms des artistes de l’École de Nice, il les a taggués sur les grotesques, comme on écrit une liste de noms sur un monument aux morts. Réapparu en Toutankhamon, Pierre Pinoncelli revêtit ensuite une chemise blanche tachée de rouge où l’on pouvait lire « mort aux vaches » et « love » et taggua « viva la revolucion ! ». Sa main gauche dans un gant noir, il leva le poing, en référence au Black Power, et baissa la tête. « Le 15 décembre, à la fin de l’exposition, je scellerai la mort de l’École de Nice pour qu’elle puisse entrer dans l’Histoire ». Pour lui, les meilleurs sont morts, ne restent que les « ringards », dont il dit faire partie. Avec l’autodérision en étendard, Pierre Pinoncelli a ainsi réalisé sa dernière performance en date lors du vernissage de l’exposition « 1960-2010, Cinquante ans de l’École de Nice », au Musée Rétif de Vence. Avec ce geste, on ne peut s’empêcher de penser à l’œuvre de Ben, exposée : « L’École de Nice n’est pas morte, elle renaîtra de mes cendres ». Une histoire d’enfance S’il porte son bandeau « Nice » sur l’œil gauche, c’est que Pierre Pinoncelli revendique son appartenance à l’École de Nice et aussi parce que c’est une histoire d’enfance, comme l’est toute son œuvre. Un brin corsaire, avec de faux airs de Barberousse, il a fait de la contestation et de la provocation silencieuse un art de vivre. Ayant connu une éducation dans des collèges religieux dont il était souvent renvoyé, il est opposé à toute forme d’autorité et d’oppression. Et le fringant octogénaire n’a rien perdu de sa « rebelle attitude » d’antan. Cela a commencé par son nom : né Pinoncély, il a voulu italianiser son patronyme pour se différencier de la famille de la vieille bourgeoisie catholique à laquelle il appartient. Enfant, il vient tous les étés en vacances à Nice chez sa grand-mère Clémentine. Entre 1950 et 1954, il vit des années d’erran-

© H. Lagarde

ce pendant lesquelles il exerce toutes sortes de métiers pour survivre, « puisque vivre ne lui suffit pas ». En 1954, il découvre la peinture expressionniste mexicaine avec les toiles d’Orozco, Sigueiros, Tamayo et Diego Rivera, au Musée d’art moderne de Mexico. C’est une révélation et il se met alors à peindre dès son retour en France. Ses toiles les plus connues sont de grands formats un peu inquiétants, représentant des êtres fantomatiques ou squelettiques. Sa première exposition, il la fait en 1959 dans la boucherie d’un petit village de la Loire. Puis vient, en 1952, l’exposition « Les 40 morts », Place Vendôme à Paris : 40 toiles de format et de sujet identiques dans une matière très épaisse. « Les 30 métamorphoses » suivent, toujours à Paris : 30 toiles blanches en relief de format identique, sur le thème de la Thalidomide, ce médicament qui provoque des malformations chez les enfants. « Mon quart d’heure de célébrité à la Warhol » En 1967, il retourne au Mexique puis passe trois mois à New York où, le visage peint en bleu Klein, il rend un hommage silencieux à Yves Klein. « C’était lors de sa rétrospective au Jewish Museum, devant Rotraut Klein et 3 000 New Yorkais stupéfaits, se souvient-il. C’était mon quart d’heure de célébrité à la Warhol ! Puis j’ai rencontré Marcel Duchamp au vernissage Segal à la Galerie Sidney Janis. Je lui ai dit qu’un jour, je ferai quelque chose avec son urinoir, ça l’a fait rire. C’est là que j’ai abandonné la peinture ». Pour se consacrer essentiellement au happening. C’est également en 1967 qu’il vient s’installer sur la Côte d’Azur et intègre l’École de Nice. L’exposition « Les copulations d’un Chinois en Chine » à la Galerie Alexandre de la Salle est suivie de la première performance de Pierre Pinoncelli, un happening-crémation Place Godeau, à Vence. Entre 1967 et 1970, il se livre à de très nombreux happenings de rue, tous aussi spectaculaires et provocants les uns que les autres. « Arrestations, blessures, procès… Mon nom passe de la rubrique artistique à celle des faits-divers et des chiens écrasés », s’amuse-t-il. En 1969, il asperge André Malraux d'encre rouge avec un pistolet à peinture lors de l'inauguration du Musée Chagall de Nice. La même année, il signe à Bordeaux son happening « anti-pain » en


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De gauche à droite et haut en bas :  Extrait du livre « Welcome to Auschwitz », publié en avril 2010. © Pierre Pinoncelli  « L’urinoir Duchamp-Pinoncelli », 1917-1993. © Pierre Pinoncelli  « Hommage au Black Power », performance de Pierre Pinoncelli lors du vernissage de l’exposition « 1960-2010 Cinquante ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif à Vence, le 7 juin 2010.© Alain Girelli

cément s'attendre à ce que quelqu'un urine dedans un jour, en réponse à la provocation inhérente à la présentation de ce genre d'objet trivial dans un musée. L'appel à l'urine est en effet contenu ipso facto - et ce dans le concept même de l'œuvre - dans l'objet, vu son état d'urinoir. L'urine fait partie de l'œuvre et en est l'une des composantes. Y uriner termine l'œuvre et lui donne sa pleine qualification. On devrait pouvoir se servir d'un Rembrandt comme planche à repasser ».

brûlant publiquement des baguettes de pain en chantant « À bas le pain ». En 1975, il attaque symboliquement une banque à Nice, muni d'un fusil chargé à blanc et pour un butin de un franc, pour protester contre le jumelage avec Le Cap, durant l'apartheid. En 1979, un taureau lui arrache l’oreille droite qu’il voulait se trancher à la Van Gogh, « c’était écrit ». En 1994, il s’expose nu dans un tonneau à Lyon, tel un Diogène des temps modernes. Dada jusqu’au bout des doigts… Le 25 août 1993, au Carré d'Art de Nîmes, il urine dans la Fontaine de Marcel Duchamp, puis lui donne un violent coup de marteau. Il est condamné à un mois de prison avec sursis et 286 000 francs de dommages et intérêts. Le 4 janvier 2006, il attaque de même au marteau un urinoir de Duchamp figurant dans l'exposition Dada au Centre Georges-Pompidou à Paris, l'ébréchant légèrement. Il est condamné, en première instance, à trois mois de prison avec sursis et 214 000 euros de dommages et intérêts ; et en appel, à trois mois de prison avec sursis, le musée n'obtenant pas de dommages et intérêts. En juin 2002, il se tranche une phalange du petit doigt avec une hache en hommage à Ingrid Betancourt pour négocier avec les FARC… « Pour Ingrid, il m’en reste encore neuf… sans compter les doigts de pied ! », déclara-t-il à Yolanda Pulecio, la mère d’Ingrid Betancourt lors d’une interview télévisée. « L’esprit dada, revendique-t-il, c’est l’irrespect. C'était un clin d'œil au Dadaïsme, j'ai voulu rendre hommage à l'esprit dada ». Lors de sa défense devant le Tribunal Correctionnel de Nîmes, il avait déclaré qu'il s'agissait « d'achever l'œuvre de Duchamp, en attente d'une réponse depuis plus de quatre-vingts ans ; un urinoir dans un musée doit for-

Jamais encadré sur le mur d’un musée Un geste là encore lié à l’enfance… « Quand on se dressait sur la pointe des pieds pour pisser sur la lune ou la Grande Ourse. Le chef de la bande était toujours le garçon qui urinait le plus loin ». Comme pour exorciser ses vieux démons, Pierre Pinoncelli a créé sa propre série de cent urinoirs. « Mon urinoir est plus moderne, plus design », sourit celui qui s’est approprié le pseudonyme de « Mutt » pour cette re-création. Un exemplaire a été vendu 2 500 euros à la vente aux enchères de l’École de Nice du 31 octobre 2009. Mais Pierre Pinoncelli, c’est aussi, en 1970, une randonnée à vélo entre Nice et Pékin pour porter à Mao un message de paix de Martin Luther King. N’ayant jamais réussi à entrer en Chine, à son retour, il brûle devant l’ambassade de Chine, en signe de protestation, le message de paix, un grand poster de Mao et son visage au fer rouge. Ou encore un retour à la peinture, avec une série de « Personnages » ayant tous son visage moulé en plâtre et représentant chacun un « métier » différent : curé, nazi, guérillero, déporté juif, Icare… Et, dernièrement, la publication d’un livre, « Welcome to Auschwitz », où il est question des camps de la mort, sous l’angle de l’art et de l’humour, en hommage à tous les déportés juifs et contre la folie des bourreaux. « Dans une société où tout s’achète et se vend, le happening est évidemment suspect puisque tout ce déploiement de temps, d’énergie et de peine se fait gratuitement, rappelle Pierre Pinoncelli. Mais le plaisir d’avoir « créé » pour une heure, pour un instant de démence en couleur qui va crever comme un ballon… savoir qu’il ne restera rien de cette fureur, de cette passion, de cette sueur, mais qu’après, peut-être, l’air n’aura plus tout à fait le même goût, le ciel sera plus fou, et il y aura cette drôle d’ombre verte dans les yeux des cyclopes… satisfaction aussi de finir peut-être à la morgue, à l’hôpital, en prison ou dans un asile, mais jamais encadré sur le mur d’un musée ». FS



Samedis 2, 9, 16 et 23 octobre 2010 à 14h30 au Palais de l’Europe

Samedi 2 octobre

Samedi 9 octobre

Samedi 16 octobre

Samedi 23 octobre

Rencontres sur les Origines

Science & Conscience

La Cité des Hommes

Quelle Philosophie pour notre Temps ?

L’ORIGINE DE L’HOMME SELON LES GRANDES RELIGIONS

SOURIEZ ! VOUS ÊTES SURVEILLÉS !

9 MILLIARDS D’HUMAINS EN 2050, ET MOI, ET MOI, ET MOI…

ALBERT CAMUS, L’HOMME RÉVOLTÉ

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Sylvie Brunel Gérard-François Dumont Jean-Hervé Lorenzi

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