Cigarette, mon Amour : Tabac & Marketing

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TABAC & MARKETING

Cigarette, mon Amour À lire


Les années 50, un hôtel de Luxe, les États-Unis d’Amérique, des grands et riches industriels, une réunion secrète. Plusieurs éléments qui pourraient être la trame de départ d’un bon Blockbuster Hollywoodien. Pourtant cela a bien été la réalité. Le 14 décembre 1953, pendant que des millions de foyers pensent aux prochaines célébrations, les patrons de l’industrie du tabac se réunissent secrètement à l‘hôtel Plaza à New York. Plusieurs mois auparavant, des études scientifiques ont montré la relation entre leurs produits et les risques cancérigènes. Leur stratégie était à revoir. Au cours de cette réunion, il en ressort que l’industrie fera tout pour contenir la controverse et le doute dans l’esprit du public. Dans cet article, nous allons voir tout d’abord qui sont ces industriels du Tabac. Puis nous verrons quelles sont leurs cibles ainsi que les «armes» qu’ils utilisent pour nous toucher et continuer à nous faire consommer leurs produits bien des années après les découvertes scientifiques. Les industriels du Tabac L’industrie du Tabac, c’est comme l’industrie de la Lessive : énormément de consommateurs, beaucoup de marques mais très peu de fabricants. Plus de 99% du marché du Tabac dans le monde est détenu par six principaux acteurs. On a tout d’abord : - le célèbre américain Philip Morris International, une division d’Atrial (Marlboro, Chesterfield, L&M, Philip Morris ...), - le franco-espagnol Altadis détenu depuis 2008 par Imperial Tobacco (Gauloise, Gitane, Fortuna...), - l’anglais British American Tobacco (Lucky Strike, Dunhill, Pall Mall, Vogue, Parisienne ...), - le japonais Japan Tobacco International (Winston, Camel, Winfield, ...), - un autre anglais Imperial Tobacco Group (JPS, Royale, Davidoff...), - et encore un anglais Gallaher Group détenu par Japan Tobacco International depuis 2007 (Benson & Hedges, Silk Cut, ...). À l’heure actuelle, on recense plus de 315 marques différentes de cigarettes dans le monde (sans compter les cigares, les marques de tabac à rouler et autres produits). Avec un marché ayant énormément de consommateurs, les industriels du Tabac se portent (vraiment) bien. Par exemple, en 10 ans, les actions de British American Tobacco ont grimpé de plus de 300%. Une crise économique qui fait du bien au Tabac. La crise et l’augmentation du chômage ont un effet sur l’augmentation de la consommation du tabac. Pour l’expliquer, l’Inpes (Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé) avance deux raisons. La première : les femmes qui se mettent de plus en plus à fumer (nous verrons par la suite pourquoi) et «l’effet crise». La consommation de tabac suit les variations sociales et culturels. Sachant qu’un chômeur sur deux fument, la crise ayant fait grimpé le chômage, nous arrivons à notre relation de cause à effet.

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Quelles sont les cibles (priviligiées) ? Les industriels du marché du Tabac concentrent leurs efforts sur trois typologies : les femmes, les jeunes et les pays en voie de développement. Les femmes : «Soyez indépendantes» Pendant longtemps, la cigarette était associée essentiellement à l’homme (pensez au cow-boy Marlboro).

Les industriels ont opté pour une nouvelle stratégie en ciblant les femmes. Plus particulièrement les jeunes femmes : 15-35 ans. D’ailleurs cette catégorie d’âge représente le pourcentage qui fume le plus parmi les femmes. Pour convaincre les femmes à fumer, l’argument «minceur» a tout d’abord été utilisé puis ensuite «l’émancipation» et actuellement la cigarette est devenue synonyme de «glamour».

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Documents internes de British American Tobacco (1976) et Lorillard (1973) concernant le marchĂŠ des femmes.

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Les jeunes : «Renouveler le stock» Pourquoi cibler les jeunes alors que leur pouvoir d’achat est faible et que les adolescents ne vont pas demander à leur parent d’acheter des cigarettes ? Quatre principales raisons : - créer de la dépendance le plus tôt possible afin que l’arrêt soit très difficile, - une fois l’adolescence passée, l’individu sera moins enclin à fumer par la suite. De plus, les fumeurs sont fidèles à leur première marque de cigarette : seulement 13% des fumeurs changent de marque et lorsque c’est le cas ils choisissent une marque du même fabricant, - l’enfant, qui se construit, à tendance à imiter les adultes de son entourage. Il cherche à créer son identité, à s’affirmer, - il faut bien sûr «remplacer» les fumeurs décédés par de nouveaux. Cette cible est primordiale pour les fabricants même s’ils le nient en public. En 1994, le PDG de Reynolds disait devant une commission du Congrès américain : «Notre publicité n’a pas pour but de convaincre des gens de quelques âges que ce soit de devenir fumeurs et elle n’a pas cet effet». Les documents internes de cette société, rendues publiques par la suite, prouveront le contraire.

Document interne de RJ Reynolds (1984) concernant le marché des jeunes.

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Autre document interne de RJ Reynolds (1973) sur le marchĂŠ des jeunes.

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Les pays en voie de développement : «Des nouveaux marchés porteurs» Face à une législation anti-tabac de plus en plus forte, notamment dans les pays occidentaux. Les industriels ont décidé d’élargir leur marché en ciblant particulièrement les pays en voie de développement. La législation de ces pays permet aux fabricants de Tabac d’avoir une liberté quasi totale en marketing et donc d’améliorer l’image du tabac, les usages, etc... Afin de s’introduire dans ces pays, les industriels passent eux-même par la contrebande pour rendre leurs cigarettes moins chères et donc plus accessibles pour les populations pauvres mais aussi pour éviter de payer les taxes. Dans certains pays africains, un paquet de cigarettes est moins cher qu’un litre d’eau... La vente à l’unité est aussi beaucoup présente afin d’augmenter les ventes. Les industriels parrainent beaucoup d’évènements sportifs et culturels mais aussi le cinéma, notamment avec Bollywood. Il existe aussi de nombreux produits dérivés.

Exemple de produits dérivés : un pull Marlboro pour enfant.

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Quelles «armes» pour nous convaincre ? En France, par exemple, la loi Évin (loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme) interdit aux fabricants de faire de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac (excepté les enseignes possédant une licence mais sous conditions), la distribution gratuite ou promotionnelle ainsi que le parrainage. Si cette loi a bien fonctionné en ce qui concerne l’alcool, la consommation de tabac a quant à elle bien augmenté. Nous allons voir les moyens utilisés par les industriels pour nous inciter. L’Imaginaire Quoi de plus puissant que de créer un imaginaire autour de la cigarette alors que d’un oeil cartésien, la cigarette c’est : des feuilles de tabac hachées mélangées avec divers additifs et agents chimiques le tout enroulé dans une feuille de papier auquel peut s’ajouter un filtre. Rien de viril, rien de glamour. Pourtant si l’on regarde autour de la cigarette même et de sa composition, on découvre bien un Imaginaire montrant que la cigarette en fait un des produits les plus marketé et les plus «stylisé». Tout d’abord l’identité visuelle avec le nom de la marque. Prenons l’exemple de plusieurs marques. Comme les cigarettes Vogue prisées par la gente féminine. Normal, puisque le nom jusqu’au packaging ont été étudiés pour plaire aux femmes. Un nom «Vogue» synonyme de mode et qui fait allusion au célèbre magasine de tendances. Des cigarettes fines rappelant le style des années 20 et donnant un aspect chic. Le paquet lui aussi est très esthétique. À cela on ajoute une gamme portant des noms de plantes : Vogue Lilas par exemple. Pour cette marque de cigarette, acheter des Vogues, c’est acheter un exemple parfait de concentré de marketing. Vous connaissez (peut-être) la marque Basic. Cette marque de cigarette a été créée juste après l’énorme succès du film Basic Instinc (sortie en 1992). Anecdote : la scène où Catherine Tramell (alias Sharon Stone) est interrogée au commissariat de police a été tournée sans que l’actrice ne fume. Mais le réalisateur a touché une certaine somme de la part des fabricants de cigarettes pour que celle-ci allume une cigarette dans cette scène. Une actrice reconnue, une scène érotique/sexy. Parfait pour l’industrie du tabac.

Scène d’interrogation - Basic Instinct Autre exemple, en Afrique, il existe les cigarettes Visa (appartenant à Philip Morris International). Ce nom n’a rien d’anodin car il est lié à une étude mettant en avant la principale préoccupation des jeunes en Afrique : l’obtention d’un visa pour l’Occident...

Marque de cigarettes Visa

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En cohérence avec l’identité visuelle des marques, le packaging a aussi toute son importance. Quand une personne entre dans un bureau de tabac, son oeil doit être attiré par un paquet en particulier. Les industriels font toujours preuve d’inventivité concernant les paquets. On peut retrouver les paquets avec des designs en version limité (c’est souvent le cas pour Camel) ou encore la marque Tactil où son paquet s’ouvre avec une simple effleurement du doigt sur une partie du paquet (la tendance au tout tactile). Les paquets possédant un étui conservant la saveur du tabac pour la marque Dunhill.

Paquet Tactil Éditions limitées Camel

Comme on a vu dans un exemple précédant, la cigarette a une relation toute particulière avec le cinéma. Plus qu’un accessoire, la cigarette donne une allure aux acteurs et actrices. Utilisée pendant les scènes de réflexions, d’attentes, de séductions ou encore de décès (le «dernier souffle»). Le cinéma a permis à la cigarette de devenir un mythe et est un des principaux vecteurs de son succès.

La Fureur de Vivre - James Dean

Rocky - Silverster Stallone

Enfin les industriels font du sponsoring. On a tous en tête la Formule 1 avec l’écurie Ferrari et Marlboro. S’associer avec différents sports pour s’en accaparer l’image est une stratégie qui a fait ses preuves depuis longtemps.

L’écurie Ferrari et Marlboro 8


Les fabricants développent aussi leur gamme de produits. Il existe les cigarettes «brunes», celles utilisées à l’origine par toutes les marques (et encore aujourd’hui avec les marques comme Gauloise ou Gitane). Mais aussi les «blondes», créées pour adoucir les cigarettes jugées trop fortes. Cependant elles sont beaucoup plus nocives pour la santé... On trouve aussi les cigarettes mentholées, prisées par les jeunes pour leur goût encore plus doux. Les cigarettes dites «Lights» mais qui sont aussi nocives que les cigarettes classiques mais la mention «Light» a été supprimée des paquets vendus dans l’UE depuis 2003. Dans l’esprit du consommateur, la mention «Light» était (c’est encore le cas pour beaucoup) synonyme de «moins toxique». Faux, la fumée inhalée était plus douce mais pas moins dangereuse. N’oublions pas les 100’s (plus grandes) ou encore les «slims» (plus fines) et d’autres types de cigarettes que je n’ai pas cité. Autant de produits différents au fil des années qui permet de maintenir la demande des consommateurs. Enfin. Les industriels utilisent beaucoup la communication d’influence et le lobbying pour convaincre, faire pression sur les pouvoirs publics ainsi que des instances supra-nationales comme l’Union Européenne. De même que pour «enfumer» l’opinion publique. Quoi de mieux que de balancer donner des noms. André Santini, député des Hauts-de-Seine et maire d’Issyles-Moulineaux, a créé en 1991 le Club des parlementaires amateurs de Havanne et qui compte 42 parlementaires. Ce «club» a organisé conjointement (tiens, tiens...) avec British American Tobacco un dîner dans les salons de la présidence du Sénat peu de temps avant le rapport parlementaire sur l’interdiction de fumer. Cette même industrie a offert à différents parlementaires des loges aux Internationaux de tennis de Roland Garros ou encore à la Coupe du monde de football. Dernier exemple de communication d’influence de la part des industriels du Tabac. Tous les 31 mai de chaque année, les médias relatent l’information de la «Journée du Sans Tabac» et font généralement un focus sur les addictions liées au Tabac. Afin de détourner l’attention de l’opinion publique, l’industrie Philip Morris a recruté plusieurs scientifiques français pour qu’ils étudient le problème de la fumée ambiante du tabac (Environmental Tobacco Smoke) ainsi que d’autres experts pour qu’ils parlent aux médias des problèmes des polluants de l’air. Ils ont réussit à détourner l’attention du public sur le tabagisme par un autre problème de société. Il n’y a pas que les industriels (British American Tobacco, Altadis, etc...) qui défendent le Tabac. On trouve aussi la Confédération des débitants de tabac, qui défend les intérêts des buralistes. Mais selon le contexte, d’autres associations comme L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), défendant les intérêts des cafetiers, restaurateurs, propriétaires de boîtes de nuit et des hôtels, sont intervenus contre les législations antitabac.

Dans cet article, j’ai voulu mettre des informations, données qui sont pour la plupart niées par l’industrie du Tabac et plus ou moins difficile à se procurer. Pour le marché du Tabac, il faut aller chercher l’information à travers de nombreuses sources. Les grands médias informent essentiellement le public sur les risques de santé mais ce n’est qu’une face du marché. Je vous encourage à chercher, à vous documenter sur l’industrie du Tabac. Cet article ne dit pas tout mais vous en dévoile une partie. J’espère qu’il vous incitera à vous informer davantage.

Cigarette, mon Amour : Tabac & Marketing - Arnaud Verchère arnaud.verchere@gmail.com / @ArnaudVerchère

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