Conan doyle contes terreur -- Clan9

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était capable de projeter ce que nul autre n’oserait accomplir, et d’accomplir ce que personne n’oserait projeter. En chirurgie il n’avait pas de rivaux. Son équilibre nerveux, son jugement, son intuition étaient exceptionnels. Maintes et maintes fois, en chassant la mort, son bistouri effleurait les sources mêmes de la vie, et ses assistants devenaient aussi blancs que le patient. Le souvenir de son énergie, de son audace, de sa robuste confiance en soi erre encore au Sud de Marylebone Road et au Nord d’Oxford Street ! Ses défauts étaient aussi conséquents que ses qualités, mais infiniment plus pittoresques. Ses revenus considérables (dans tout Londres il n’y avait que deux confrères pour gagner plus d’argent que lui) étaient bien inférieurs au luxe de son style de vie. Au fond de sa nature complexe circulait un puissant courant de sensualité dont l’action donnait à son existence tout son prix. Ses maîtres s’appelaient l’œil, l’oreille, la main, le palais. Les flots d’or qui se déversaient chez lui se transformaient en un bouquet de vins vieux, en parfums exotiques rares, en vaisselle dont le raffinement des teintes et des formes n’avait pas son pareil en Europe. Et puis survint cette folle passion subite pour Lady Sannox : une seule entrevue, deux regards de défi, un mot chuchoté… le voilà embrasé. Elle était la plus jolie femme de Londres (selon lui l’unique femme de Londres). Il était l’un des plus beaux hommes de Londres (pour elle, pas le seul homme de Londres). Comme elle avait un penchant pour les expériences nouvelles, elle se montrait indulgente à l’égard de la plupart des hommes qui la courtisaient. Fut-ce la cause, ou l’effet ? Lord Sannox, qui n’avait que trente-six ans, en paraissait cinquante. Un homme tranquille, silencieux, banal, ce Lord Sannox. Il avait les lèvres minces et les paupières lourdes. Il s’adonnait beaucoup au jardinage et il aimait rester chez lui. Jadis il avait fait du théâtre ; il avait même loué une salle dans Londres. C’était sur les planches qu’il avait rencontré pour la première fois Mademoiselle Marion Dawson ; il lui avait offert son nom,

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