COVID-19 en EMS: Mémoire d’une crise

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Réflexions & Témoignages relatifs à la première vague épidémique de mars à juin 2020 telle que vécue au sein des institutions de l’ANEMPA

« Contrairement à vous (les écoliers), on m’a cloîtrée dans ma chambre, mais ils ont été sympas, ils m’ont laissé la TV et le ventilateur au cas où la canicule s’annoncerait plus tôt que prévu. Comme on dit, un malheur ne vient jamais seul. Tous les guignols autour de moi portent un masque. On croirait fêter carnaval sans grande originalité, car ils se ressemblent tous. Plaisanterie à part. Nous ne pouvons pas nous plaindre, on a passé ces mois de confinement assez calmement, sans panique. » Françoise, résidente

COVID-19 en EMS : Mémoire d’une crise


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COVID-19 en EMS : Mémoire d’une crise


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Table des matières I II III

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VII VIII IX X

Préface Introduction Mises en perspective De l’expérience vécue à l’Histoire Notre humanité à l’épreuve Catégorisés 65 ans et plus Une histoire de (manque de) recul Les EMS face aux événements Les institutions pour personnes âgées font face et s’adaptent Un dispositif est déployé pour soutenir les institutions Face à l’inconnu, les personnels se démènent La vie des résidentes et résidents se déroule derrière les portes fermées La solidarité déferle comme un élan d’actions Les ambivalences existent aussi La chronologie des événements Témoignages & Questionnements Le café kirsch Donnez-moi vos mains Une douleur « covidée » Le reverrai-je ? Madame Nicole La surveillante L’émission de radio Le bouquet de muguets Trop vieille pour être protégée ? Les enseignements L’application diligente des mesures L’impossible équation entre sécurité et liberté L’incertitude et l’impuissance comme moteurs Les ressources insoupçonnées Le sacrifice du contact physique et du rassemblement La place de la souffrance et de la mort L’attention collective et la normalité Le geôlier ou l’agent contaminant, à la place du faiseur de liens Conclusion Pour approfondir Remerciements Impressum

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Préface I 4

Dès le premier trimestre de l’année 2020, l’humanité a été plongée dans une crise planétaire sans précédent provoquée par un tout nouvel agent infectieux de la famille des coronavirus, que les scientifiques baptiseront « SARS-CoV-2 ». Sa large et rapide diffusion est favorisée par la mondialisation. Touchant de prime abord la santé physique, cette tourmente a – en raison des mesures de restrictions décidées par les autorités politicosanitaires – très vite fait naître des conséquences importantes sur la vie économique, sociale, culturelle, et par conséquent sur la santé mentale de la population. Née d’un partage d’expériences, l’idée de concrétiser la présente publication s’est imposée au fur et à mesure des semaines et des mois de la crise sanitaire mondiale qui a mis, dans le canton de Neuchâtel et en Suisse comme dans le reste du monde, les personnes vulnérables au cœur des préoccupations. Parmi elles, les personnes âgées sont particulièrement concernées, et tout spécifiquement les bénéficiaires des structures d’accueil et d’hébergement aux multiples comorbidités. L’objectif du présent recueil est de répondre au besoin de laisser une trace des événements exceptionnels traversés par les institutions pour personnes âgées, et d’en faire mémoire. Construit à partir de témoignages, d’anecdotes, de rencontres et d’échanges, il s’est vu enrichi de multiples constats, réflexions et interrogations. Ces éléments ont ensuite


été mis en perspective au travers de différents regards analytiques pluridisciplinaires – historique, ethnosociologique, politique, médicosoignant – dans une démarche convergente vers de possibles enseignements. Expérience inédite pour l’ensemble de la société, EMS compris, le premier confinement résultant de « la première vague » épidémique, circonscrite de mars à juin 2020, apporte un terrain vierge pour la réflexion. Moins bien définies temporellement, et même si elles ont été plus virulentes, les vagues suivantes portent en elles également quantités de considérations supplémentaires qui diluent le propos. Les enjeux pour les EMS tels que ceux inhérents aux stratégies de dépistage ou à la vaccination ne sont donc pas abordés ici. Un rappel des faits et une chronologie des événements marquants du point de vue des institutions médicosociales neuchâteloises contextualisent les diverses réflexions présentées dans les pages qui viennent. Celles-ci sont illustrées par des photographies prises lors du premier confinement, traduisant l’ambiance particulière de la Cité. De plus, les enfants du canton ont fait parvenir des dessins aux résidentes et résidents des EMS en guise de soutien. Il a été choisi de présenter quelquesuns de ces dessins dans l’enveloppe qui se trouve en couverture, comme une métaphore du pont postal intergénérationnel qui s’est déployé durant ces mois d’isolement. Cette mise en valeur s’est imposée pour

deux principales raisons. Premièrement, parce que la quantité – plus de 500 – des créations picturales reçues dans les EMS a été telle qu’une mise en valeur s’est révélée incontournable. Ces enfants ont interpellé et parfois ému les résidentes et résidents affectés par les mesures de confinement. Le deuxième motif tient à la qualité des auteurs et à celle des destinataires : situés aux deux extrémités de l’échelle démographique, tous ont été touchés par la pandémie, bien que différemment dans chaque catégorie d’âge, devant les uns et les autres se plier à des règles émises par d’autres, et qui ne leur ont pas toujours parues être justes. Si la crise sanitaire est d’envergure planétaire, son traitement ici présente un ancrage voulu comme très local, avec des expériences vécues en terres neuchâteloises et des contributrices et contributeurs du canton. Les regards portés, sans prétention mais avec authenticité, sont à considérer selon cette dimension. Nous espérons que ce recueil permettra de nouer des liens entre aujourd’hui et demain et que les personnes qui ont vécu les événements se sentiront reconnues et que celles qui les découvriront dans le futur puissent les appréhender avec autant de justesse que possible. Bonne lecture !

Au nom de la commission d’éthique de l’ANEMPA Olivier Schnegg

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II

Introduction


Quel que soit le regard avec lequel on considère le début de la pandémie de COVID-19, une chose s’impose d’emblée à l’esprit : par son ampleur, les dégâts sanitaires, sociaux, humains et économiques générés, ce moment restera dans la mémoire collective comme un événement qui a déboussolé, inquiété, déstabilisé chacune et chacun quel que soit son âge, son état de santé ou sa réalité socioprofessionnelle. Tous les repères pour faire face en temps normal aux aléas de l’existence ou aux problèmes de santé, individuelle ou collective, ont été bousculés. Les stratégies pour affronter les crises que traverse généralement tout être humain ont révélé leurs limites et cette pandémie a nécessité le recours à d’autres moyens pour l’affronter, la traverser et la dépasser. Lieux de vie communautaire pour les plus dépendants des aînés, les établissements médicosociaux ont compté parmi les foyers de propagation les plus vulnérables et les plus exposés à l’attention collective. À l’intérieur, les institutions pour personnes âgées ont été affectées par des dégâts sanitaires – la maladie, la mort parfois – et humains avec les bouleversements exercés sur la vie quotidienne pour tenter de limiter la propagation du virus. Vis-à-vis de l’extérieur, les mesures de confinement prononcées par les autorités ont brutalement et momentanément coupé les résidentes et résidents de liens essentiels avec leurs proches. Le prix à payer a incontestablement

été celui affectant leur quotidien, leurs relations sociales, leur vie physique et psychique. Cette période souligne à la fois la fragilité de l’existence, tout comme l’une de ses composantes essentielles : le lien à autrui, qu’il s’inscrive dans une dimension sociale, affective, émotionnelle, voire spirituelle. De manière parfois cruelle, la pandémie met en lumière les conséquences douloureuses exercées sur les résidentes et résidents lorsque ce lien est mis à mal par les mesures de précaution sanitaire dont la plus emblématique est l’isolement en chambre. Mais il serait incomplet de limiter le propos à ce constat sans évoquer aussi les stratégies développées tant par la société civile, les autorités et les institutions que par les résidentes et résidents ainsi que leurs proches, pour survivre à ces longs mois de distanciation et de mise entre parenthèses ; des initiatives de toutes sortes sont apparues allant des offres culturelles à la pratique épistolaire entre écoliers et aînés, en passant par la communication audiovisuelle par les moyens de la technologie moderne, parmi tant d’autres solutions. Nombre de résidentes et résidents, de proches et de professionnels ont été personnellement touchés par les contaminations. Toutes et tous se sont sentis concernés, voire menacés par le nouveau coronavirus, exigeant la mobilisation de leurs ressources et le développement de stratagèmes pour faire face à la crise, cherchant à préserver au mieux leur santé tant

physique que psychique. À cet égard, chacune et chacun a souvent fait preuve de capacités d’adaptation insoupçonnées, nouvelles ou qui ne demandaient qu’à se révéler. Les pages qui suivent se veulent comme des témoins de cette période et comme une mise en lumière des ressources que les femmes et les hommes confrontés à la pandémie de COVID-19 dans les EMS neuchâtelois sont parvenus à développer. Toutes et tous s’y sont appuyés afin de donner une chance supplémentaire à la vie.

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III

Mises en perspective


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De l’expérience vécue à l’Histoire

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Jean-Pierre Jelmini, historien En quoi, comment et pour qui la crise sanitaire du COVID-19 est-elle un événement historique ? Pour tenter de répondre à cette question, il convient de définir d’abord ce qu’est l’Histoire et ce qui fait l’historicité propre d’un événement. Dans cette perspective, opérer une courte escale étymologique aux sources grecques du mot « histoire » et de ses dérivés devrait nous être précieuse. Le verbe ἱστορέω (historéô), à l’origine de toute cette famille sémantique, signifie tout autant chercher, investiguer, mener l’enquête que rapporter et raconter ce qui mérite de s’inscrire dans la mémoire collective, autrement dit l’histoire (ἱστωρ) qui résulte de la quête initiale. On relèvera ici avec intérêt que la signification du verbe souche de l’histoire ne comporte pas la moindre allusion à la temporalité ou à l’espace, ce qui nous permet d’affirmer que toute enquête menée sérieusement et tout résultat dûment établi par cette recherche peut se prévaloir d’appartenir à l’Histoire. Cependant, comme on ne peut logiquement opérer une recherche que sur ce qui appartient déjà au passé, l’enquête historique, donc l’histoire elle-même a très vite revêtu l’habit d’une science et/ou d’un art du passé. Cette mutation du champ de l’Histoire s’est ensuite renforcée avec l’apparition et le prodigieux essor de la presse et, plus généralement, des médias. Les historiens ont donc cédé le


traitement des faits présents ou récents au journalisme et aux commentateurs et critiques de la vie politique, culturelle ou encore sociale, pour se cantonner sur des faits et des gestes que le passage d’un temps plus ou moins long a filtrés, apaisés, sédimentés. Or, loin encore de disposer de ce temps stabilisateur, c’est bien une enquête de type historique qu’a déjà menée l’humanité à propos de la crise sanitaire découlant du SARSCoV-2 dans la mesure où elle n’aura jamais autant cherché et raconté qu’entre l’hiver 2019-2020 et l’hiver 2021-2022. Ceci sans préjuger de l’avenir. Dès lors, revient-il à l’historien ou au journaliste de traiter aujourd’hui de la crise du COVID-19, dont tout le monde ignore encore les effets à moyen et à long termes. S’il est d’ores et déjà évident qu’au niveau de l’Histoire humaine cette crise sans précédent revêtira un jour l’authentique importance d’un bouleversement historique, qu’est-il possible d’en dire aujourd’hui déjà, encombrés que nous sommes par les innombrables incertitudes qui sont encore les nôtres face au surgissement brutal de ce nouveau virus et de ses variants ? Peut-on ainsi qualifier d’historiques les péripéties générées par la gestion du COVID-19 dans les établissements pour personnes âgées de notre canton, puisque tel est le propos dans cette publication. Assurément oui pour autant qu’on veille à bien définir en quoi, comment et pour qui cette expérience a été et restera historique. Il vaut

donc la peine de prolonger un peu notre réflexion afin d’en tirer une conclusion aussi nuancée que possible. L’historicité d’un événement donné ne peut se définir que dans le rapport que ledit événement entretient avec le cours habituel de la vie. Il découle de ce constat initial qu’il existe autant d’opportunités de qualifier un fait d’historique que de niveaux d’observation de la société. Les crues dévastatrices qui ont ravagé certaines régions de l’Europe et qui ont fortement touché la commune de Cressier à l’été 2021, meurtrie comme celle de Dombresson deux ans plus tôt, me suggèrent, fort à propos, d’évoquer ici l’exemple de ce qui fut réellement un événement historique pour la ville de Neuchâtel : la crue de la rivière du Seyon du 8 octobre 1579. Il avait abondamment plu sur le canton de Neuchâtel dans les jours précédents. Roulants de grosses eaux à travers le Val-de-Ruz, le

Seyon avait emporté dans sa course gravats, bois et pierres qui s’entassèrent rapidement au bas de ses gorges pour constituer un barrage derrière lequel s’accumula un immense réservoir d’eaux boueuses. Le matin du lundi 8, le barrage céda sous la pression de l’eau et libéra des flots ravageurs qui, s’engouffrant dans les rues étroites de la ville – que la rivière traversait encore dans l’axe de l’actuelle rue… du Seyon – causèrent d’énormes dégats, détruisant au passage ponts et maisons et emportant entre autres vers le lac la plus grande partie des précieuses archives médiévales de la cité. Il y eut bien sûr d’autres crues de cette rivière, en particulier en 1750, mais aucune de ces dévastations postérieures ne resta aussi largement présente dans la mémoire collective. Est-ce donc la crue et ses conséquences matérielles en elles-mêmes – il n’y eut pourtant aucun décès avéré – qui ont fait

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de cette catastrophe un moment historique pour Neuchâtel ou l’irréparable disparition de quatre siècles de témoins de l’histoire primitive de la Ville ? Voire le cumul des deux ? La réponse est simple : tout dépend de l’endroit d’où l’on observe l’événement. Pour les édiles de l’époque, les Quatre-Ministraux, il convenait en premier lieu de faire au mieux pour protéger la cité et sa population. L’idée de détourner la rivière avant son entrée en ville germa ainsi dans les esprits, mais il faudra 254 ans encore pour que cette mesure salutaire devienne réalité. Pour l’historien, la perte est irréparable, donc plus historique encore si l’on peut dire. Autrement dit et pour faire écho à la sagesse du vieux proverbe qui énonce que chacun voit midi à sa porte, c’est bien dans cette perspective de relativité que s’écrit l’histoire des hommes et des femmes, des familles, des cités et des États. Pour mériter d’être considéré comme historique, un événement doit par conséquent s’inscrire dans un temps, un espace et une entité sociétale – groupe ou individu – qui, seuls, peuvent potentiellement lui conférer la dignité de se fixer dans les mémoires. Mais ni sa rareté, ni son unicité, ni sa puissance ni ses conséquences matérielles et/ou sociales ne sont déterminantes à elles seules pour en faire un événement historique. Tout est donc affaire de contexte et si finalement tout est Histoire, l’historicité en elle-même reste exclusivement relative. Revenons

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toutefois à notre COVID-19 neuchâtelois pour voir dans quelle mesure le contenu de cette publication répond ou non aux critères exposés ci-dessus. À l’échelle de la planète, les péripéties de la traversée du COVID-19 dans le canton de Neuchâtel – fût-ce dans les établissements pour personnes âgées où leur gravité postula des mesures sanitaires hors du commun – sont négligeables ; elles le restent au niveau de l’Europe, deviennent plus intéressantes à l’échelle nationale, s’avèrent cruciales dans la perspective locale et sans doute durablement exceptionnelles pour celles et ceux qui eurent à faire face à cette situation. Noyée dans l’immense et inquiétante fresque de la première grande crise sanitaire connue impliquant l’entier de l’humanité, la crise neuchâteloise n’est en soi qu’une parcelle insignifiante des années 2020-2022 de l’histoire universelle, mais elle s’affirme comme réellement historique pour toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la rédaction de ce mémorial, résidentes et résidents d’EMS, personnels soignant et sociohôtelier, familles et amis, car, pour elles et pour eux, l’Histoire s’est écrite ici à l’échelle des individus. Magistrates et magistrats, médecins ainsi que chercheuses et chercheurs soumis par l’urgence et la nouveauté à d’incroyables pressions, directrices et directeurs d’établissements mis face à des problématiques inimaginables, collaboratrices et collaborateurs risquant à tout instant de mettre en jeu leur propre

santé, voire leur vie, pour maintenir l’existence des autres, familles endeuillées par la perte de proches, pour tous ces êtres humains au cours de vie ordinaire, le COVID-19 s’affirme comme une expérience authentiquement historique une fois ramenée à l’échelle de leur vécu personnel. L’adjectif historique n’est protégé par aucun copyright. Utilisé à tout propos, il paraît souvent galvaudé donc déprécié, et si l’on a parfois l’impression qu’il perd tout son sens dans l’emploi qu’on en fait, dans les médias tout spécialement, il est bon de se rappeler, comme nous le proposons ici, que, potentiellement, tout événement du quotidien qualifié de la sorte revêt un vrai caractère d’historicité pour ses protagonistes. Car nous autres, femmes et hommes, sommes bien contraints de voir le monde à notre mesure, d’autant plus d’ailleurs qu’il n’existe heureusement aucun étalon pour définir ce qui est historique de ce qui l’est moins ou pas du tout. Décréter qu’un fait, quel qu’il soit, est historique ne relève dès lors d’aucun absolu car ce qualificatif ne peut se comprendre que dans la relativité qu’il entretient avec ses acteurs ou ses observateurs. L’ensemble de ces considérations nous permet, entre autres, d’affirmer que cette toute première pandémie universelle avérée appartient d’ores et déjà aux plus grands moments de l’histoire de l’humanité. Souhaitons au passage qu’elle conserve longtemps ce privilège au plan sanitaire, espérons

qu’elle marquera un véritable tournant solidaire dans l’art de vivre des femmes et des hommes et remercions toutes celles et tous ceux qui nous ont aidés à traverser cette soudaine épreuve que l’humanité est encore bien loin d’avoir complètement appréhendée et exorcisée. À ce titre elle sera encore plus qu’historique, si la chose est possible ! Enfin, disons notre gratitude à tous les témoins qui partagent ici leurs réflexions intimes et quotidiennes autour du COVID-19 et espérons pour elles et pour eux que cette expérience marquante demeure à tout jamais l’unique épisode historique de ce type qu’ils aient encore à vivre.

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Notre humanité à l’épreuve

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Laurent Kurth, politicien et conseiller d’État en charge du Département des finances et de la santé du Canton de Neuchâtel Je me souviens que c’était un dimanche matin, mais je ne me rappelle pas précisément la date. C’était au printemps 2020. Les médias, dont l’activité se résumait presque, depuis quelques semaines, à diffuser des informations sur l’évolution de la COVID-19, ne fournissaient que peu d’analyses critiques. La sidération les avait gagnés eux aussi. Toutefois, ils rendaient compte de la situation et des mesures prises ici et ailleurs. En l’occurrence, c’est une information relative à l’Espagne qui m’a profondément choqué : l’Espagne interdisait toute visite dans les EMS et toutes les cérémonies funéraires. Je me souviens avoir ressenti une violence inouïe à l’annonce de ces décisions. En clair, une personne âgée hébergée en EMS était condamnée à la solitude. Et en cas de maladie – ce qui n’est quand même pas la plus faible des probabilités – à l’affronter seule. Et s’il fallait en mourir, à mourir seule aussi. Quant aux familles, elles allaient être tenues à l’écart, sans lien possible avec leur proche. Sans pouvoir le soutenir ou l’accompagner dans une situation pourtant difficile. Et lorsque surviendrait un décès, sans pouvoir elles-mêmes vivre réellement cette étape de leur vie, celle de la séparation. Sans pouvoir prendre congé, ni davantage


entretenir la mémoire ou partager sa tristesse avec des amis. Condamnées à se tenir à l’écart dans l’un des moments de la vie où le partage est pourtant le plus important. En résumé, la solitude imposée dans sa plus brutale et sa plus douloureuse expression. Certes, les mesures ont été différentes ici, mais la violence ressentie a été la même. Les visites n’ont été totalement interdites en EMS que pour un temps limité et jamais pour les fins de vie ou pour d’autres situations difficiles exceptionnelles. Mais elles ont été tellement restreintes que le sentiment a été le même. Les cérémonies funéraires sont restées autorisées, mais avec des participants en nombre si faible que la solitude y a souvent été la première invitée. Bien sûr, chacune et chacun se souvient des artistes mobilisés pour se produire sous les balcons ou les fenêtres et égayer la journée des résidentes et résidents. De même, ces dessins d’enfants envoyés presque quotidiennement à nos aînés pour leur signifier que non, en fait, ils n’étaient pas seuls. Ou encore ces vidéos tournées pour associer les absents aux cérémonies et aux obsèques. Ou enfin ces applaudissements chaque soir pour dire sa reconnaissance aux personnels de santé. Des gestes magnifiques et qui ont touché, qui ont entretenu notre humanité malgré tout et qui ont fait du bien ; mais qui ne remplacent évidemment pas une étreinte, une caresse, ou un baiser pour dire la proximité, pour soutenir et pour entretenir le lien.

Les limitations ont dû être drastiques ici aussi et elles ont provoqué les mêmes frustrations, les mêmes tristesses et les mêmes colères. Ici comme ailleurs, le virus s’est imposé sans que l’on n’ait été préparé à l’affronter : pas de vaccin, de faibles capacités de tests, une pénurie de matériels de protection, des connaissances limitées sur le mode de transmission, etc. Et la démonstration, très vite, que le virus peut tuer, en particulier les plus vulnérables et les plus âgés. Dès lors, une seule et même recette, la seule appliquée depuis la nuit des temps face aux maladies contagieuses : l’isolement. Il faut enfermer le virus. C’est mécanique, simple et évident : une personne malade ou potentiellement malade est privée de contacts et ainsi empêchée de transmettre le virus. Les personnes réputées à risque sont isolées elles aussi et ainsi protégées du risque de le contracter. Dans l’urgence et faute d’autre approche disponible, tout le monde comprend. Et tout le monde applique. La vie sociale s’efface devant les nécessités biologiques. Pourtant, les questions demeurent et nous taraudent. Pour les autorités politiques, les principales ne sont pas nombreuses : peut-on faire autrement ? Peut-on limiter la violence qui découle de ces mesures ? Comment accompagner et reconnaître celles et ceux qui la subissent ? Et avec le recul, certaines réponses seraient différentes. Je me souviens par exemple avoir été heurté de la façon dont la Suisse répétait systématiquement

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à l’attention de la population âgée de 65 ans et plus qu’elle était vulnérable. Et de la façon dont les injonctions se sont multipliées à l’égard de cette partie de la population. J’y ai, comme beaucoup, vu une stigmatisation outrancière et nous avons cherché à diffuser des messages positifs à son attention, pour la soutenir et limiter le risque de la voir se culpabiliser. Ce faisant, nous avons pourtant à notre tour renforcé l’idée d’un groupe spécifique, auquel s’appliquerait des règles particulières. Plusieurs personnes – souvent de jeunes seniors en pleine forme – m’ont écrit pour manifester leur désapprobation et me dire qu’ils ne se reconnaissaient pas dans la catégorie de « vieillards » dans laquelle on les enfermait. Et elles avaient raison : nos messages, tout positifs qu’ils se voulaient, ont renforcé l’effet stigmatisant, et avec lui sûrement la peur et l’isolement ressentis. Durant cette crise aussi, l’enfer est pavé des meilleures intentions… D’autres questions sont restées sans réponse définitive : je pense ici à ces nombreuses familles qui m’ont dit ne pas comprendre les restrictions imposées au sein des EMS ; n’est-il pas préférable pour les résidentes et résidents de maintenir les relations avec leurs proches et d’accepter le risque de contracter le virus, en admettant le cas échéant de rapprocher une fin de vie dans l’esprit de beaucoup déjà programmée ? Est-il défendable d’imposer de mourir de solitude plutôt que d’un virus alors que l’essentiel de sa vie est de

toute façon derrière soi ? Posée ainsi, la question ne pouvait recevoir qu’une réponse : si tel est le choix de la personne concernée, alors il faut le respecter. Pour les autorités politiques pourtant, la question ne pouvait pas se poser si simplement. Elle devait naturellement se doubler d’une seconde : est-il défendable qu’un résident qui accepte ce risque pour lui-même puisse, par la visite de ses proches, imposer ce même choix et le risque qui l’accompagne à l’ensemble des résidentes ou résidents d’un étage ou d’une institution en les menaçant de propager le virus vers eux aussi ? Ces questions ne trouvent évidemment pas de réponses définitives. Elles font partie de ces questions éthiques auxquelles les réponses varient selon le temps et les circonstances. Ces questions que notre pays a la chance de pouvoir poser et débattre ouvertement. Je me souviens aussi que l’annonce concernant l’Espagne et la violence ressentie à sa lecture un dimanche matin ont été à l’origine de multiples réflexions sur la façon dont on pouvait, ici et à notre échelle, contribuer à ce que, dans de telles circonstances, le deuil puisse être vécu ; que la mémoire soit entretenue ; que la solitude de ces instants soit reconnue. C’est d’ailleurs de ces réflexions que sont nées les initiatives prises pour qu’existent dans notre canton des lieux de mémoire et de recueillement. Des espaces où – je dirais presque simplement  – la collectivité reconnaît ce

que chacune et chacun a perdu durant la crise. Où, paradoxalement, l’on puisse partager sa solitude. Et où peut débuter dès lors le deuil et la résilience. Et aussi se nourrir le sentiment de participer au destin d’une collectivité. J’ignore aujourd’hui si la crise de la COVID-19 aura avec le recul les caractéristiques d’un évènement historique. Je sais en revanche qu’elle aura marqué les consciences et déplacé les références de notre vie en société. J’en profite dès lors pour dire que, dès mars 2020, le souci des autorités politiques du canton de Neuchâtel a été, outre la protection de la population contre le risque immédiat, de faire en sorte que la collectivité neuchâteloise reste unie et attentive au sort de chacune et de chacun, qu’elle garde confiance, que les institutions tiennent bon et que la crise ne remette pas en cause les fondements de notre démocratie et de nos libertés fondamentales. L’exercice de mémoire visé par le présent recueil y contribue aussi à sa manière et j’en remercie chaleureusement les personnes qui en ont pris l’initiative.

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Catégorisés 65 ans et plus

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Isabelle Girod, ethnologue et ancienne déléguée aux personnes âgées de la Ville de Neuchâtel À peine l’existence du SARS-CoV-2 a-t-elle été identifiée que le risque accru qu’il représente pour les aînés a été confirmé. Ce constat a alors propulsé les personnes âgées de plus de 65 ans dans un statut de fragilité aussi soudain qu’inédit. Ainsi l’ont décrété les autorités. Le 13 mars 2020, une partie importante de la population s’est vu attribuer une nouvelle identité, celle de « personne âgée vulnérable ». Dès le 16 mars, la catégorie des personnes de 65 ans et plus a été priée de se protéger en renonçant à fréquenter magasins, bureaux de poste, banques et transports publics. Cette même population à qui, jusqu’alors, on répétait le bienfait du mouvement, de l’action et des projets, se retrouvait contrainte à l’immobilité du jour au lendemain. Hier, on encourageait et saluait l’action et le dynamisme malgré l’âge, comme le signe d’une appartenance maintenue à la société active. Aujourd’hui 16 mars 2020, on demande aux personnes en âge de retraite d’y contribuer et de se montrer solidaires en restant à la maison. La décision n’avait rien de machiavélique, elle était à l’égal de la sidération qui a marqué l’entier du pays et du monde qui entrait en confinement total ou partiel. Les plus jeunes quittaient leur classe sans savoir quand ils pourraient


y retourner, les « actifs » – soit les productifs – étaient priés de travailler depuis la maison, tout en gardant leurs enfants. Les vieux quant à eux devaient être protégés, donc isolés. Depuis sa lointaine Chine, le virus arrivait chez nous et venait de toucher fortement l’Italie. Les images des cercueils alignés dans une salle de sport à Bergame étaient le signe de la gravité de la situation. Appuyé par les experts scientifiques de sa Task Force COVID-19, le Conseil fédéral devait réagir. Les autorités ont paré au plus pressé en s’adressant aux retraités dans leur ensemble, sans distinction entre grand âge, âge avancé ou retraités récents. La nuance n’était pas de mise. L’urgence était là : protéger les seniors et éviter la surcharge des hôpitaux. Au-delà de la logique implacable, cette catégorisation à 65 ans et plus pour décréter la vulnérabilité d’une personne face au virus interpelle. Il était certes impossible de se baser sur le profil médical individuel et, face à l’imminence du danger, l’âge s’est avéré un critère simple et objectivable, applicable collectivement et immédiatement. La prise de position des pouvoirs publics aurait toutefois pu définir la limite à un âge plus avancé. Le choix d’assimiler la vulnérabilité à celui de la retraite signifie-t-il, dans ce contexte particulier, quelque chose dans notre rapport au vieillissement et aux étapes de vie qui en résultent ? Certainement. Est-ce qu’on s’en est rendu compte ? En partie.

Absolue au départ, cette « norme » s’est ainsi estompée devant la contestation, parfois vigoureuse, de certains seniors et surtout avec la durée de la pandémie qui a permis de constater assez vite les effets délétères de la consigne généralisée d’isolement. Au cours de l’évolution de la crise sanitaire avec ses différentes vagues épidémiques, cette norme n’a cependant jamais pu être justifiée, et que rarement rediscutée explicitement. Une telle démarche aurait certainement permis de souligner qu’elle comporte un caractère hautement réducteur face à la diversité des aînés et – provocation pédagogique – qu’elle revient par analogie à « amalgamer » des bébés et des quarantenaires. Dès le 16 mars 2020 donc, l’espace public a été mis en sourdine, la circulation est devenue rare, les magasins ont été dévalisés, notamment de papier de toilette. Étonnante réaction collective puisque le virus touche les voies respiratoires, pas les intestins. Est-il possible qu’il s’agisse d’une sorte d’atavisme lié aux recommandations des temps anciens incitant la population à faire des réserves de tels articles, en plus du riz, de la farine et autres aliments de base, lorsque la situation géopolitique se tend en temps de guerre ou de crise nucléaire ? À tous les niveaux du fédéralisme, les autorités ont dû réagir rapidement car il fallait que les aînés soient ravitaillés, puissent obtenir leurs médicaments et payer leurs factures. La situation a alors une nouvelle fois

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mis en lumière la fracture numérique, car si la majorité des seniors utilisent internet, les plus âgés restent encore suspicieux avec les services en ligne tels que l’e-banking. En ville de Neuchâtel comme ailleurs en Suisse, une ligne téléphonique a été ouverte pour recevoir les demandes d’aide, très importantes dans les premières semaines. Des plateformes électroniques ont été mises en place, permettant de mettre en lien les personnes nécessitant du soutien et celles, fort nombreuses et souvent jeunes, prêtes à se mobiliser par solidarité. Quantité d’initiatives individuelles et collectives ont fleuri, proposant livraison de marchandises, de repas… au point de s’y perdre ! Les échanges intergénérationnels habituellement tant loués mais si difficiles à organiser en dehors du milieu familial, ont été – paradoxe positif de cette situation de crise – bien réels, appréciés et le plus souvent chaleureux. Dans les quartiers, les habitants se sont mobilisés, affichant dans les allées des numéros de téléphone de personnes prêtes à rendre à service. Là aussi, les relations de voisinage si ténues en temps normal – c’est-àdire en période d’activité professionnelle et sociale intense – ont joué un rôle vital pour celles et ceux qui respectaient les injonctions du semi-confinement. Les associations et organisations ont débordé d’imagination pour lutter contre l’isolement et le déconditionnement physique. Pour pallier l’immobilité forcée, source d’affaiblissement

pour les plus âgés, des cours de gymnastique à distance pour seniors ont par exemple été créés et diffusés à la télévision, complément au mouvement en pleine nature favorisé par le doux printemps 2020. Si la crise a poussé les uns et les autres à la créativité, elle a aussi incité au dépassement des réticences face aux moyens de communication. Toutes les générations ont ainsi interagi autrement, les personnes âgées se familiarisant avec les technologies de la rencontre virtuelle et les plus jeunes saisissant papier à lettre et crayons de couleur pour témoigner leur soutien. Chaque génération s’est, pour un temps hors norme, adaptée aux outils de l’autre. Malgré l’injonction de rester à la maison, bon nombre d’aînés en forme physiquement et ne se reconnaissant pas comme personnes vulnérables ont bien sûr continué à vivre dans l’espace public. Seniors reconnaissables à leur chevelure grise, ils ont parfois subi le regard désapprobateur des plus jeunes qui estimaient que la vie s’était figée pour les protéger et qu’il était donc inacceptable qu’ils enfreignent les recommandations. C’était oublier qu’il n’est pas si facile de demander, ni même d’accepter de l’aide, d’autant plus dans une société qui valorise à l’extrême l’autonomie et l’indépendance. C’était aussi surtout oublier le libre arbitre dont chacune et chacun dispose, indépendamment de l’âge, même en temps de crise. D’autres voix se sont élevées

arguant qu’on mettait en péril la jeunesse qui allait payer le prix fort de cette période étrange et complexe. Il est vrai qu’elle aussi était soumise à une grande solitude : fermeture des lieux de socialisation (bars, boîtes de nuit, restaurants, cinémas, théâtres, musées), interdiction de se regrouper et formations à distance étaient dures à vivre pour les jeunes et leur faisaient manquer des étapes cruciales de leur développement identitaire. Par contre, poser le débat comme l’ont fait de nombreux citoyens et certains intellectuels en opposant deux catégories de population, les vieux et les jeunes, n’est guère acceptable parce que cela revient à annihiler le seul bienfait peut-être résultant de cette crise sans précédent. Mettre dans la balance le sacrifice de la jeunesse et la protection de la vieillesse ouvre de manière agressive le débat très ancien autour de la valeur d’une vie et n’apporte aucune solution crédible à la problématique globale de l’âgisme. Alors que la fracture générationnelle s’était quelque peu atténuée justement « grâce » à cette crise, en tous les cas le temps du semi-confinement de la première vague épidémique.

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Une histoire de (manque de) recul

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Raphaëlle Pinel, infirmière-cheffe d’EMS & Vladimir Mayor, médecin référent d’EMS Il n’est pas aisé d’évoquer les enjeux professionnels mais aussi humains qui se sont présentés à nous durant la première vague épidémique de COVID-19, alors même que la crise sanitaire n’est pas encore complétement terminée. Ce récit revient à matérialiser une des expériences les plus marquantes de nombreux acteurs médicosoignants impliqués dans la gestion de cette épidémie : celle de la démarche « à chaud ». Forts de cette symbolique, nous tentons néanmoins de partager ce vécu extraordinaire marqué par la prise de décision, que cela soit dans l’action ou l’inaction, sans le recul nécessaire. Avec cette mise en perspective sans grande distanciation, les lectrices et lecteurs trouveront l’expression la plus honnête possible d’un propos et d’un questionnement forcément subjectifs et incomplets. Face au virus inconnu et à la déferlante des informations relatant les tâtonnements d’un savoir médical en construction sous l’œil insatiable des médias, résidentes et résident, proches mais aussi collaboratrices et collaborateurs ont demandé des réponses et des certitudes qui n’existaient pas. Face à cette demande illusoire adressée à l’omniscience médicale, nous avons dû faire comme si nous savions, tout en sachant qu’on ne savait pas. Nous avons dû élaborer des solutions, les plus cohérentes possibles dans un contexte


hautement évolutif et émotionnel combinant la peur, la culpabilité ou encore la colère. Celles des collaboratrices et collaborateurs, celles des familles. Rarement celles des résidentes et résidents. Comme dans toutes les institutions médicosociales, nous n’avons pas eu le choix de la fermeture : nous nous sommes juste efforcés de respecter au mieux les restrictions édictées par les pouvoirs publics et de donner le plus de sens possible aux mesures afin qu’elles soient, sinon comprises, du moins respectées. Les autorités sanitaires ont considéré que, face au choix à faire entre liberté et protection, cette dernière devait prévaloir. En tant que représentants du corps médicosoignant, nous nous sommes alignés sur cette position. Nous avons dit aux résidentes et résidents que les limitations et interdictions étaient « le mieux » pour eux ; beaucoup l’ont compris et, peut-être se heurtant à une forme de « toute-puissance » institutionnelle, l’ont accepté. Une fois le temps de la sidération passé, durant ces semaines qui ont vu les EMS complètement fermés, nous avons été très vite confrontés au désarroi de certaines familles, menaçant ou tentant de forcer les portes institutionnelles, nous accusant de maltraitance envers leurs parents et soulignant, dans leur plaidoyer pour la liberté individuelle, le fait qu’ils sont de toute manière dans leur toute dernière étape de vie. Confrontés brutalement à l’impossibilité d’entretenir le lien, certains proches ont

réaffirmé très vigoureusement l’importance de la proximité, pour les résidentes et résidents et parfois pour eux-mêmes, même si elle n’était pas forcément très présente en temps de paix sanitaire. Puis, l’heure du déconfinement venue, la population a repris ses activités et les demandes pressantes pour des visites jusque-là interdites ont diminué, en même temps qu’est arrivée la possibilité de proposer aux familles des lieux de rencontres sécurisés – ces fameux « parloirs » dont le terme a choqué plus d’un. Des résidentes et résidents, on a entendu parfois leur inquiétude, souvent non pas tant pour eux-mêmes que pour leurs enfants, petits-enfants ou arrièrepetits-enfants : « nous avons vécu la guerre, mais eux, on les prive aussi, ils vont perdre leur travail ». Des familles, on a entendu leur confiance parfois résignée : « faites au mieux » ; leur révolte : « pourquoi m’empêchez-vous de voir ma mère, je prends le risque qu’elle tombe malade » ; ou encore leur crainte, voire leur détresse : « si mon père est contaminé, vous en serez seuls responsables ! ». Ces déferlantes émotionnelles se répéteront souvent, au-delà de la première vague épidémique, notamment avec la vaccination. Faut-il aller jusqu’à dire que les mesures de protection ont aussi et surtout permis de préserver les établissements ? Face à l’incertitude générale et aux sentiments exacerbés, nous nous sommes efforcés en tous les cas de suivre une ligne de conduite institu-

tionnelle ; celle-ci permet de fédérer – pour elle ou contre elle, peu importe – et sert de référence pour les collaboratrices et collaborateurs, pris à partie et confrontés à leurs propres émotions. Des membres du personnel soignant ou sociohôtelier ont eu peur : crainte d’être contaminés, inquiétude lancinante de ramener le virus dans un foyer partagé avec un proche lui aussi vulnérable. Nous avons dû leur imposer de faire abstraction de leur angoisse et de pénétrer tout de même dans la chambre des résidentes et résidents pour leur prodiguer les soins et l’accompagnement dont ils avaient besoin. Éthique ? Nécessaire ! Une contrainte qui nous interpelle encore, sentiment renforcé par le manque de recul médical qui prévalait alors sur la réalité de la maladie. Dès lors, pour pallier l’incertitude, nous avons élaboré des protocoles de prise en charge hyperstandardisés, afin de fournir une référence claire, pour aller vite et faire juste lorsque la contamination deviendrait réalité. Compter avec le manque de recul s’est avéré une expérience édifiante lorsque les médecins ont été pressés par les familles qui demandaient à ce que de l’hydroxychloroquine soit prescrite à leur parent, pensant parfois que la résistance médicale trouvait son origine dans le fait que ce dernier n’y avait pas droit en raison de son grand âge. En réalité, il n’y avait aucune étude prouvant l’efficacité de cette substance si largement mentionnée dans les médias et il n’était pas possible

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de valider un traitement sous prétexte que certains, aussi charismatiques soient-ils, affirmaient son bien-fondé. Ce manque de recul n’a pas empêché la dévalisation des stocks mondiaux d’hydroxychloroquine, privant ainsi des patients en rhumatologie soignés avec ce médicament – inscrit sur la liste des médicaments essentiels de l’OMS – utilisé alors de manière expérimentale pour traiter les symptômes du COVID-19. Durant la première vague épidémique, l’incertitude était absorbable… cela sera une autre histoire au fil de l’évolution de la crise et des pics successifs de contamination qui verront la lassitude et l’exaspération s’installer. En ces premiers temps de crise, ne sachant pas à quoi s’attendre, nous nous sommes préparés au pire, tous en mode « psychose » et prêts à lutter face à l’adversité virale encore inconnue avec les moyens considérés comme bons. Des moyens parfois improvisés, comme ces surblouses que nous sommes allés chercher dans des magasins de jardinerie. Emportés comme beaucoup de nos collègues par l’envie d’agir pour le bien commun, nous nous sommes inscrits dans une dynamique volontaire, presque euphorique, qui nous a vus nous fédérer pour combattre un ennemi commun. Dans cette lutte quotidienne, des camaraderies sont nées ou se sont renforcées, comme des exutoires nous permettant de poursuivre inlassablement, lorsque la politique ne venait pas trop compliquer les choses.

Protéger à tout prix les résidentes et résidents a eu des conséquences délétères multiples. Parmi elles, le développement, chez la personne âgée en EMS, d’un sentiment d’être « pestiférée », le manque de contact physique – hors des gestes de soins – allant jusqu’à constituer une difficulté vitale, même si la dimension affective a parfois pris une place inédite dans les relations entre collaboratrices, collaborateurs et résidentes, résidents dans un phénomène de compensation de l’isolement. Espérons que, à l’heure du bilan général de cette crise et à l’heure de la considérer avec le recul nécessaire, nous saurons collectivement appréhender ces décès collatéraux, ceux résultant non pas directement d’une contamination par le SARS-CoV-2, mais des restrictions adoptées ! Une autre conséquence majeure des mesures de protection a concerné nos collègues qui, outre un immense surplus de travail pour mettre en œuvre les processus et le suivi exigés par les autorités sanitaires, ont dû supporter seuls le poids de la responsabilité d’une possible contamination des personnes âgées confiés à leurs bons soins. Chaque alerte, démentie ou confirmée par un test de dépistage, a amené chacune et chacun à douter et à remettre son savoir en question, parfois jusqu’à l’effondrement : « C’est moi qui ai contaminé ce résident. Qu’ai-je fait de faux ? ». Rappelons que le virus, d’abord considéré comme contagieux par contacts et gouttelettes, s’est par la suite avéré transmis-

sible par aérosols et que les personnes asymptomatiques n’étaient de loin pas étrangères à sa propagation. Nous avons pu observer que la fermeture des institutions a aussi eu souvent pour conséquence, positive celle-ci, de renforcer l’individualisation des prises en charge : la personnalisation des accompagnements autour du projet de vie – dont certaines composantes se sont parfois révélées grâce à la disparition des interactions directes avec l’extérieur – a profité de ce temps « hors du temps ». Enfin, combinée à l’absence de recul et de certitudes, la nécessité de composer avec des directives contraignantes aussi inédites qu’impératives a amené tous les acteurs en EMS à se pencher, comme jamais, sur la manière dont chacune et chacun gère sa marge de liberté et sur le périmètre dont chacune et chacun est vraiment responsable. À cet égard, la crise sanitaire a joué comme un révélateur pour les collaboratrices et collaborateurs de santé mais aussi pour les EMS en tant qu’entités sociales, tous ensemble bousculés avec les résidentes et résidents par cette attention collective sans précédent que nous avons focalisée bien malgré nous durant cette crise sanitaire.

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IV

Les EMS

face aux événements

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Le confinement, c’était dur, on se posait beaucoup de questions. Mais qui ne se les posait pas ? On a tous été pris de surprise. Même vous ! Elsa, résidente

L’apparition lointaine du virus qui sera appelé plus tard SARS-CoV-2 a à peine eu le temps d’alimenter quelques discussions de café au début du mois de janvier 2020 qu’il s’est soudainement présenté à nos portes au mois de février, devenant notre principale préoccupation dès le mois de mars. Les autorités fédérales et cantonales n’ont eu d’autres choix que celui de réagir le plus rapidement possible et de la façon la plus cohérente possible, en fonction des données médicales connues à ce moment-là dans le seul objectif de protéger au mieux la population ; les considérations d’ordre social ou économique ne s’imposeront que plus tard. Dans un contexte où la vulnérabilité augmente avec l’âge, les EMS – et ceux du canton de Neuchâtel n’ont pas fait exception – se sont vu contraints de fermer hermétiquement leurs portes pour tenter d’empêcher le virus d’entrer. Les institutions se sont alors transformées en « bulle sanitaire », maintenant la vie la plus normale possible à l’intérieur et limitant au strict minimum les interactions avec l’extérieur.


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Dès le début de la crise, les acteurs du réseau de santé neuchâtelois ont fait face ensemble et articulé leurs efforts afin de coordonner au mieux les actions pour affronter les impacts du virus sur un système sanitaire complexe. Les EMS ont pleinement participé à cette action collective et, lieux de vie communautaire accueillant des personnes parmi les plus vulnérables de la société, ont été confrontés à des enjeux particulièrement aigus. Les directions d’institutions n’étaient pas seules dans la gestion de la crise, cependant elles le restaient face à ce qui se déroulait à l’interne de leurs murs. Confrontés à la soudaineté des événements et à leur évolution imprévisible, à la méconnaissance du virus et de ses effets, ainsi qu’au flot continu d’informations et de consignes arrivant quasi quotidiennement en provenance des scientifiques et des autorités sanitaires fédérales et cantonales, les EMS ont dû faire face et s’adapter continuellement. Leur position était d’autant plus délicate qu’ils devaient constamment composer avec l’impossible dilemme consistant à la fois à protéger la santé physique et psychique des résidentes et résidents et à veiller au respect de leurs libertés individuelles tant durant la phase de confinement que durant celle, encore plus sensible, du déconfinement progressif.

Les institutions pour personnes âgées

font face et s’adaptent


Sous le pilotage de l’Organisation de gestion de crise et de catastrophe du canton de Neuchâtel (ORCCAN), les autorités sanitaires ont mis en place un dispositif de suivi des EMS sur le plan des contaminations des résidentes et résidents et des personnels, confiant à l’ANEMPA un rôle de coordination et d’interface entre l’ensemble des institutions et le Service cantonal de la santé publique, en particulier l’Office du médecin cantonal. Par ailleurs, s’agissant des principaux moyens déployés pour venir en soutien aux EMS, citons notamment l’organisation d’une bourse à l’emploi et l’intervention de la protection civile ainsi que des troupes sanitaires de l’armée pour répondre aux besoins en personnels des EMS contaminés, la mise en œuvre d’une plateforme d’approvisionnement en matériels de protection, ou la mise en place un système spécifique de garde d’enfants pour permettre aux personnels de santé de continuer à assurer leurs prestations alors que les structures scolaires et d’accueil de la petite enfance avaient été fermées. Parallèlement, des directives et des recommandations sont parvenues aux institutions pour prévenir et juguler les contaminations, règles se substituant aux processus de fonctionnement des institutions dont l’organisation et la vie ont été bouleversées sur un plan collectif et individuel.

Un dispositif est déployé

pour soutenir les institutions

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Contrairement à vous (les écoliers), on m’a cloîtrée dans ma chambre, mais ils ont été sympas, ils m’ont laissé la TV et le ventilateur au cas où la canicule s’annoncerait plus tôt que prévu. Comme on dit, un malheur ne vient jamais seul. Tous les guignols autour de moi portent un masque. On croirait fêter carnaval sans grande originalité, car ils se ressemblent tous. Plaisanterie à part. Nous ne pouvons pas nous plaindre, on a passé ces mois de confinement assez calmement, sans panique. Françoise, résidente Des mesures très strictes de confinement ont été imposées à tous les EMS du jour au lendemain. Dès le mois de mars 2020 et pour de longs mois, les institutions se sont pliées aux exigences cantonales, avec comme première action la fermeture de leurs portes ; un bouleversement pour les résidentes et résidents mais également pour l’ensemble des personnels et des directions qui ont dû et su faire preuve d’une grande adaptation malgré l’appréhension face à la maladie, les nombreuses contraintes, les facteurs d’incertitude, les isolements, les décès. Leur travail et leur engagement ont été remarquables. Le souci a constamment porté sur la préservation de la santé physique et psychique des résidentes et résidents et la manière de favoriser autant que possible les liens sociaux, en particulier avec les proches et les familles. Cette volonté a aussi été mise à mal par la peur des contaminations et de leurs conséquences, ainsi que par la réalité des mesures exigées par les autorités sanitaires dans la gestion des infections lorsqu’elles ont eu lieu. Si les personnels soignants n’ont pas été épargnés,

Face à l’inconnu,

les personnels se démènent


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les personnels sociohôteliers ont été confrontés à une dimension infectieuse à laquelle ils n’étaient pas préparés et à laquelle ils ont dû faire face avec parfois un supplément d’appréhension. Dans le travail remarquable effectué par les collaboratrices et collaborateurs durant cette crise, il faut relever l’engagement de chacune et chacun pour faire en sorte que la vie des résidentes et résidents soit le moins bouleversée possible. L’inventivité et la créativité au travail ont été les nouveaux maîtres-mots pour adoucir le quotidien des personnes âgées.


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Les directions et l’encadrement des institutions ont dû composer sur la durée avec la réalité de la crise, dans une gestion des ressources humaines parfois chaotique en tenant compte des absences liées aux quarantaines ou à la maladie, de la menace de fermeture des frontières, de l’organisation des gardes d’enfants privés d’écoles et de structures d’accueil, ou encore des abandons de poste. Pour chaque EMS touché par les contamination, l’aspect organisationnel a représenté un défi conséquent. Il a fallu isoler les malades, allant parfois jusqu’à sectoriser l’institution par zones de contamination. Or, déménager une résidente ou un résident revient à déplacer tout un lieu de vie. C’est alors tout un espace privé qu’il faut transformer en peu de temps pour permettre à la personne âgée d’évoluer le plus sereinement possible alors que la situation est anxiogène. Par ailleurs, l’entretien tant bien que mal des liens avec les familles que ce soit par téléphone, par vidéoconférence, ou dans des parloirs aménagés a également été un enjeu de taille avant la reprise, petit à petit, des visites en présentiel moyennant des mesures de protection et une organisation spécifique importante.

Malgré le virus, je suis contente. On s’occupe bien de nous. On rigole bien avec les copines. Je suis positive, j’aime la vie! Je suis forte et je ne me laisse pas abattre; j’ai de l’humour et confiance en la vie. En plus la cuisine, c’est du tonnerre… surtout le tartare de bœuf ! Une résidente


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La pandémie a contraint les EMS à fermer hermétiquement leurs portes au monde extérieur. Pendant la première vague de contaminations, un tiers des institutions du canton de Neuchâtel a été infecté par le SARS-CoV-2 au niveau de ses résidentes et résidents. Des personnes âgées qui sont touchées par le virus, d’autres pas. Certaines vont en guérir, d’autres pas. Malades ou non, certaines garderont des séquelles de cette période, d’autres non. La vie a continué au sein des institutions, parfois triste, parfois gaie malgré la crise. Avec le temps, l’absence de contacts physiques, de sorties, de visites est devenue pesante, insupportable parfois. Les contacts vidéos et téléphoniques, les dessins et messages reçus maintiennent tant bien que mal le lien avec l’extérieur. Alors que dès le mois de mai 2020, la société redémarre, les EMS ont attendu et leurs portes ne se sont ouvertes que prudemment et très progressivement sur indication des autorités. Personnes âgées en institution et proches s’impatientent alors, ne comprenant pas toujours le pourquoi du maintien des mesures : articuler la protection des résidentes et résidents avec le respect du bien-être de chacune et chacun reste une difficulté majeure.

Ici, nos projets et nos rêves consistent à vivre dans l’espoir de pouvoir sortir bientôt pour profiter de la nature en pleine éclosion et de partir à l’aventure dans la région en bus : manger une meringue à l’alpage ou se balader au bord du lac. Un groupe de résidentes et résidents

La vie des résidentes et résidents

se déroule derrière les portes fermées


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Pour une partie des résidentes et résidents qui n’avaient que peu ou pas du tout de visites, la fermeture des portes n’a pas provoqué un changement notable. Au contraire, pour elles et eux, la vie entre les murs a été plus investie et plus animée, l’engagement des personnels étant souvent plus intense pour compenser la fermeture des portes institutionnelles ; de plus, dans la société civile, l’intérêt porté aux personnes résidant en EMS n’a jamais été aussi marqué que durant la première vague de la pandémie. Comme chaque personne a pu vivre cette période particulière de façon différente, les réalités des aînés accueillis en milieu médico-social ont été très diverses.

Je remercie chacun pour les petites attentions, je suis tellement reconnaissante d’être autant gâtée. Ce qui m’apporte du bonheur, c’est de voir les belles fleurs dans la maison et sur le bord de la fenêtre de la salle à manger. Les petits bonheurs se sont… les crêpes et la bonne humeur ! Une résidente


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Un grand élan de solidarité s’est développé dans la société et nous avons reçu de nombreux témoignages d’enfants qui pensaient à nous, ce qui nous a réchauffé le cœur. Une résidente

Spontanés ou suscités par les médias, les associations ou des mécènes, de nombreux gestes de solidarités ont vu le jour durant cette période de confinement en faveur des personnes âgées en institution. Sous forme de lettres, de dessins, de moments musicaux allant de prestations spontanées à de véritables concerts d’ensembles professionnels, ou encore de douceurs, ces gestes témoignent de l’attachement porté aux ainés et aux personnes qui en prennent soin. Aux multiples actions largement médiatisées au niveau régional, cantonal et même fédéral par les médias et les réseaux sociaux, viennent s’ajouter de nombreux élans de solidarité plus locaux, dont l’ampleur ne sera sans doute jamais mesurée.

Mais ce qui me touche au plus profond de mon cœur, c’est de voir qu’il y a autant de solidarité de la part des jeunes. Grâce à ce virus, j’ai pu voir que les gens se soucient de nous. Josiane, résidente

La solidarité déferle

comme un élan d’actions


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Au vu de la violence, de la soudaineté et de l’ampleur de la pandémie, les autorités et l’ensemble des acteurs impliqués dans la gestion de cette crise ont agi selon ce qui était attendu d’eux et œuvré au plus près de leur conscience pour le bien de la population et, en particulier, des personnes vulnérables dont font partie les aînés. Il n’en demeure pas moins que certains éléments plus difficiles méritent d’être relevés, comme autant d’ombres au tableau. En reconnaître quelques-uns ici est essentiel pour rendre compte des expériences vécues de la manière la plus objective possible. Si le taux de mortalité dans les EMS a été plus élevé que dans le reste de la population et que chaque décès dû au SARS-CoV-2 est un décès de trop, cette réalité s’explique aisément : les EMS concentrent, dans un même lieu, une population âgée des plus fragiles. Se focaliser sur le nombre de morts en EMS sans mise en perspective comme ont pu le faire certains médias ou groupes d’intérêt, c’est prendre le risque de jeter un discrédit sur le travail engagé effectué par les personnels des institutions tout au long de la crise et instiller doute et crainte au sein de la population vis-à-vis de ces lieux dont la réalité est souvent méconnue. Si la majorité des personnels s’est engagée sans compter, tout le monde ne s’est pas montré valeureux : il y a aussi eu des abandons de postes, des absences injustifiées et des revendications inappropriées en temps de crise.

Nous avons très mal vécu ce confinement, mais avec beaucoup de discipline. Un groupe de résidentes et résidents

Les ambivalences

existent aussi


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Enfin, quoique légitime, la position très stricte des autorités en matière de protection sanitaire a par moments repoussé au second plan la prise en compte des questions éthiques fondamentales comme celles portant sur l’accompagnement des personnes en fin de vie ou sur la prise en considération de la souffrance, parfois extrême, des personnes coupées des liens sociaux qui leur importent le plus ; ces questions ont été peu approfondies et relayées au second plan face aux préoccupations sanitaires prépondérantes.


La chronologie des événements

Revenir sur le déroulement chronologique des événements offre un socle pour appréhender les réflexions et interrogations suscitées par la tourmente sanitaire et les mesures qui en découlent, telles que vécues par les résidentes et résidents, les proches et les collaboratrices et collaborateurs des institutions médicosociales. Centré sur le début de la crise et la première vague épidémique, le calendrier ci-après liste de manière non-exhaustive la suite des événements, soulignant les jalons ayant plus particulièrement concernés les EMS et la manière dont ils « résonnent » en lien avec les mesures populationnelles, l’attention portée au système hospitalier, l’articulation entre la dimension planétaire et l’expérience régionale de la crise ou encore la combinaison du vécu collectif et individuel.

Décembre 2019 Émergence d’une épidémie de pneumonie, décrite d’allure virale, de cause inconnue, dans la ville de Wuhan (province de Hubei, Chine) 31 Première mention dans les médias francophones de l’apparition d’un virus provoquant une « mystérieuse épidémie », une « étrange forme de pneumonie » Janvier 2020 09 Découverte d’un nouveau coronavirus annoncée officiellement par les autorités sanitaires chinoises et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 11 Premier mort du COVID-19 officiellement rapporté en Chine 23 Mise en quarantaine complète de la ville de Wuhan et de ses environs, soit près de 20 millions d’habitants Février 2020 03 Ouverture à Wuhan d’un hôpital d’urgence de 1’000 lits construit en 10 jours 11 Désignation par l’OMS de la pneumonie virale sous la terminologie de COVID-19 (pour COronaVIrus Disease 2019), nouvelle maladie

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infectieuse respiratoire provoqué par le coronavirus d’abord baptisé 2019-nCoV, puis SARS-CoV-2 (pour Severe Acute Respiratory Syndrome COronaVirus 2) Premier cas enregistré de COVID-19 en Suisse, dans le canton du Tessin proche de l’Italie du Nord, en particulier la Lombardie, premier épicentre de contamination en Europe Début de la campagne de prévention de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour lutter contre l’épidémie avec les « gestes barrières» : se laver les mains régulièrement, tousser dans son coude, garder une distance interpersonnelle (« distanciation sociale ») de deux mètres, rester à la maison en cas de fièvre ou de toux, etc.

Mars 2020 02 Premier cas de COVID-19 confirmé dans le canton de Neuchâtel 04 Injonction adressée par le Conseil d’État neuchâtelois aux EMS de supprimer ou à tout le moins de limiter au maximum les visites en institution 05 Premier décès dû au COVID-19 confirmé en Suisse 06 Mobilisation de l’armée suisse, déployée en particulier en renfort des hôpitaux dont les activités électives sont annulées 11 Au vu de la propagation de la maladie et de sa gravité, première qualification de « pandémie » par l’OMS 13 Décret par le Conseil fédéral de l’état d’urgence national avec, pour principales mesures, la fermeture des frontières, celle des écoles et de crèches, ainsi que celle des établissements publics et des commerces non-essentiels 16 Entrée en vigueur de l’état d’urgence national, alors que la Confédération prend la main sur la gestion de la crise en vertu de l’article 7 de la Loi fédérale sur les épidémies (LEp), avec la seule ouverture possible des commerces d’alimentation, des marchés de fruits et légumes, des pharmacies, des kiosques, des stations-service et des banques 17 Premier décès de COVID-19 confirmé dans le canton de Neuchâtel 18 Saturation des hôpitaux d’Italie du Nord interpellant la communauté internationale et focalisant l’attention politicomédicale sur les capacités hospitalières, les EMS restant encore « sous les radars » 18 Premier résident contaminé par le SARS-CoV-2 dans un EMS neuchâtelois 20 Limitation des rassemblements privés à cinq personnes dans l’espace public, généralisation du télétravail et fermetures des entreprises ne pouvant respecter les mesures de protection,

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suspension des interventions non-urgentes dans les hôpitaux Mandat de coordination confié à l’ANEMPA par le Service cantonal de la santé publique (SCSP) pour une meilleure liaison entre les autorités sanitaires et les EMS neuchâtelois Pic du plus grand nombre de cas de contaminations quotidiens de la première vague, avec 1’464 infections officiellement enregistrées en Suisse Première parution des lettres pour les aînés dans les journaux romands, relayées quotidiennement aux résidentes et résidents dans les EMS Lancement d’une bourse cantonale à l’emploi pour les professionnels de la santé se rendant disponibles pour venir en renfort aux institutions sanitaires Directives du SCSP à l’attention des EMS préconisant le port du masque chirurgical en continu par les personnels Lancement par l’ANEMPA du projet « Dessiner pour les aînés », en collaboration avec l’association Bénévolat Neuchâtel

Avril 2020 05 Pic de la première vague de l’épidémie dans les EMS neuchâtelois au niveau des résidentes et résidents, avec officiellement 116 personnes âgées contaminées, soit environ 5% de l’ensemble des aînés vivant en EMS 07 Pic de la première vague de l’épidémie dans les 54 EMS neuchâtelois au niveau des institutions, avec officiellement 20 d’entre elles touchées au niveau de leurs résidentes et résidents, soit environ 37% des institutions du canton 09 Directives du SCSP à l’attention des EMS, interdisant toute intervention non-urgente de prestataires externes, fixant que toute personne présentant des symptômes au-delà des deux premiers résidents testés positifs au SARS-CoV-2 est à considérer comme contaminée, précisant les modalités d’interdiction d’accueil de toute nouvelle personne âgée en cas de contamination au sein de l’institution 21 Transmission par le SCSP des modalités permettant aux EMS de recourir au soutien de la protection civile 23 Directives du SCSP à l’attention des EMS, introduisant notamment le concept de « parloirs » pour les visiteurs et rappelant la nécessité générale de reprendre l’ensemble des directives anticipées des résidentes et résidents 27 Première étape de déconfinement populationnel, avec la réouverture des salons de coiffure, des crèches, des cabinets de thérapeutes et des magasins de jardinage, ainsi qu’avec la reprise des activités électives à l’hôpital

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Mai 2020 04 Intervention de 34 soldats des troupes sanitaires dans huit EMS neuchâtelois alors contaminés et bénéficiant de leur soutien après leur désengagement de l’hôpital 11 Deuxième étape de déconfinement populationnel, avec la réouverture des écoles obligatoires, des commerces, des restaurants et des bibliothèques, ainsi qu’avec la normalisation de l’offre en transports publics et la reprise des entraînements sportifs 25 Première étape d’ouverture des EMS neuchâtelois, moyennant la mise en place d’un plan de protection selon un modèle élaboré par l’ANEMPA, avec une réouverture possible aux visiteurs et aux prestataires externes, ainsi que des sorties des résidentes et résidents à nouveau autorisées dans le périmètre institutionnel 30 Dernier résident officiellement contaminé dans le canton de Neuchâtel durant la première vague épidémique Juin 2020 08 Réouverture des écoles postobligatoires, les universités continuant d’assurer leurs cours à distance 19 Levée de l’état d’urgence populationnel annoncée par le Conseil fédéral Août 2020 10 Rappel adressé aux EMS par le médecin cantonal quant au maintien des mesures de prudence, la pandémie n’étant pas terminée

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Au final, la première vague épidémique durera quatre mois dans les EMS neuchâtelois, entre mars et juin 2020. La seconde vague déferlera dès le 28 août 2020 avec une nouvelle contamination officiellement enregistrée et un pic qui sera atteint le 26 novembre 2020 pour les EMS avec quinze institutions touchées simultanément au niveau de leurs résidents et, le 2 décembre 2020, avec 155 résidents contaminés. Cette deuxième vague, la plus meurtrière, fera au total 185 victimes parmi les personnes âgées accueillies en institution médicosociale, soit 70% de tous les décès de résidentes et résidents enregistrés jusqu’ici en raison du COVID-19. La troisième vague coïncidera, au début de l’année 2021, avec la vaccination prioritaire des personnes âgées et vulnérables, avant de régresser. Après une quatrième vague épidémique plus timide, la cinquième caractérisée par une très large contamination mais une mortalité moindre, s’essouffle alors que le présent recueil est publié. Au total, dans le canton de Neuchâtel, les résidentes et résidents d’EMS représentent plus de la moitié des décès dû au COVID-19. Nul ne sait combien de temps le SARS-CoV-2 bousculera encore notre quotidien. L’avenir tirera les enseignements plus complets de ce qui a eu lieu dans les institutions médicosociales durant cette crise sans précédent avec, durant la première vague qui concentre les réflexions proposées ici, 57 résidents décédés officiellement du COVID-19, dont 29 n’ont pas été testés.

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V

Témoignages

& Questionnements

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Les enjeux éthiques apparus durant la crise sanitaire ont été le sujet de discussions soutenues au sein de la commission d’éthique de l’ANEMPA. Ces riches échanges se sont tout d’abord fondés sur les expériences personnelles représentant, selon les fonctions, des regards variés et complémentaires. Rassemblés à l’issue de la première vague épidémique dès le mois de juin 2020, ces témoignages et les thèmes essentiels qui les soustendent ont suscité de multiples questionnements, faisant naître la nécessité de les mettre en lumière et d’en conserver la trace. Les anecdotes et les récits présentés ci-après, ainsi que les réflexions et questionnements qui en résultent sont directement issus de cette démarche.

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Le plaisir de voir ce résident s’affirmer dans l’exercice de sa liberté n’empêche pas les questions : le fait d’en avoir été privé semble avoir balayé les peurs, suffisamment pour oser se confronter aux regards des autres. La privation rendrait-elle de la valeur à ce qui est considéré comme acquis ou peu important en temps normal ? Cette envie de choisir va-t-elle perdurer une fois la normalité ré-installée et l’autodétermination moins explicitement menacée ?

Depuis en tout cas deux ans, mon papa n’avait plus envie de sortir, il ne voulait même pas aller sur la terrasse située devant sa chambre. Il ne souhaitait plus participer aux sorties proposées par l’équipe d’animation de l’EMS et encore moins aller faire une balade au village, car il ne voulait pas être vu en chaise roulante. Pendant le confinement, il a exprimé à plusieurs reprises qu’il était en prison et qu’il se réjouissait que cela se termine ! La première fois que mon frère a pu retourner dans sa chambre pour lui rendre visite, il l’a trouvé prêt pour sortir, la casquette vissée sur la tête. Il lui a dit sans attendre : « J’aimerais que tu m’emmènes au restaurant du village pour boire un café kirsch ». Depuis la demande s’est répétée… Mon papa n’a pas fini de nous étonner et de nous surprendre ! Témoignage d’une fille de résident

Le café kirsch


Début d’après-midi, la maison est calme et ma porte est ouverte, comme à l’accoutumée. Mettant momentanément une sourdine aux rumeurs provenant de la cafétéria toute proche, mon attention est sollicitée par une visite inattendue précédée du crissement des pneus exercé par une chaise roulante sur le sol bien ciré du couloir. Voici en effet Madame Thérèse entreprenant une longue mais déterminée approche en direction de mon bureau. Ainsi, lentement mais avec résolution, elle y entre, actionnant de sa main valide son véhicule, le regard droit, me fixant, ne me laissant le choix ni d’une autre approche, ni de l’esquive, et me lance : « Donnez-moi votre main, j’ai besoin de sentir une main… ». D’habitude enjouée ou primesautière, souvent tendre, drôle ou impertinente à ses heures, cette fois-ci Madame Thérèse se montre sérieuse et presqu’autoritaire. Ainsi, elle répète : « Donnez-moi votre main ! ». Sans attendre la réponse à son injonction, elle me prend la main, la considère et la caresse longuement comme une sorte de réappropriation, de fraternité retrouvée, de sensation à nouveau vécue ; ce contact qui lui a tant manqué, il évoque bien d’autres habitudes de son quotidien « d’avant » la crise : serrer des mains connues pour dire bonjour, s’y cramponner

Donnez-moi

vos mains

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parfois pour se faire aider ou pour ne pas tomber, faire un signe à un congénère afin de lui souhaiter bon appétit… une main, ça sert à tout cela et à tant de communications encore. Elle semblait me dire : « Depuis des semaines, on ne me laisse plus toucher les autres et comme contacts humains, je dois me satisfaire des gestes des professionnels pour me laver, me vêtir, me piquer… des gestes purement « sanitaires ». Mais la vie ce n’est pas que cela… j’ai besoin de sentir quelqu’un en serrant sa main, la caresser ou la pincer peut-être, peu importe. Sentir le vivant et m’en imprégner ». Mais tout cela n’est qu’hypothèse de ma part. Madame Thérèse n’avait pas besoin de mettre des mots derrière ce geste tout simple : tenir une main, se l’approprier un instant, puis… repartir comme rassurée que cette sensation reste possible. Fût-il que l’absence de contact physique depuis le début du confinement l’ait touchée à ce point que cette demande se soit faite, soudain impérieuse ? Je restai avec toutes ces interrogations et le sentiment d’avoir aussi bénéficié d’un geste chaleureux, réalisant moi-même ce manque, rassuré par ce geste tout simple qui nous a rendus l’espace d’un instant, un peu plus proches, Madame Thérèse et moi. Témoignage d’un directeur d’EMS


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Au-delà des réflexions sur le besoin de contacts physiques, une question demeure quant au choix des mains du directeur : sa fonction dirigeante permet-elle cette démonstration qui transgresse les mesures sanitaires imposées par les autorités ? Ou, plus subtilement, cela concrétise-t-il une forme de provocation empreinte d’un message fort, un premier signe de contestation des restrictions que la société, dans la sidération et la crainte, a diligemment suivies dans un premier temps sans protester ?


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Face à cette solitude, exprimée ici physiquement, l’interrogation devient incontournable : le jeu des mesures sanitaires en vaut-il vraiment la chandelle ? La souffrance particulière et intense inhérente à un deuil ne mériterait-elle pas un traitement différent dans l’application des restrictions ? Mais alors existe-il une hiérarchie des souffrances lorsqu’elles prennent une dimension collective ? Le rituel essentiel de partage, voire de communion, offre-il une légitimité spécifique ?

De cette période difficile, il y a une image forte que je garde au fond de moi : alors que je célèbre les funérailles d’une grand-maman octogénaire dans l’extrême stricte intimité imposée par la pandémie, je me retrouve au centre funéraire face à son fils assis au premier rang, distancé de part et d’autre par ses deux enfants, jeunes adultes. A un moment donné, pris par l’émotion bien légitime, il tend les bras à ses enfants, formant ainsi comme une croix, écartelé. Position du corps, signe bien visible de sa souffrance qu’il ne peut partager dans une étreinte bienfaisante… J’aurais tellement souhaité qu’ils puissent vivre une tendresse palpable, se serrer dans une communion familiale, se concrétisant autrement que dans le respect d’une distanciation imposée, voire nécessaire ! Témoignage d’un agent pastoral et ancien aumônier d’institution

Une douleur

« covidée »


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Dans le silence un peu moite de ce matin du mois de juin 2020, un monsieur accompagnant un autre plus âgé en chaise roulante, que j’identifie comme étant son père, attend devant la porte de l’établissement. Elle est verrouillée depuis l’apparition de ce fameux virus. Deux cabas signalent que le plus âgé n’est pas un visiteur comme un autre mais un candidat à une entrée en EMS de court séjour, peut-être pour une convalescence. La porte vitrée ajoute à la scène quelque chose d’étrange : de l’intérieur on ne perçoit pas ce qui se dit entre ces deux hommes mais l’attitude du plus jeune suggère des attentions à l’égard de l’aîné. Il lui dit probablement : « Tu as toutes tes affaires dans ces sacs, et tes lunettes, et ton mot-croisé et l’ordonnance du médecin, ne la perds pas… Promis, je reviendrai te chercher et, en attendant, on se téléphonera. Tu verras, ils vont s’occuper de toi pour que tu reviennes à la maison en pleine forme. Comme avant ». « Oui, oui », semble répondre l’autre, un peu distrait et surtout préoccupé par cette attente qui lui paraît peut-être interminable devant la porte fermée en raison des mesures sanitaires. Enfin, celle-ci s’entrebâille et l’infirmier apparaît. Pour nous qui sommes à l’intérieur, elle s’ouvre sur un nouveau résident à accompagner ; pour ce dernier, c’est le voile qui se lève sur l’inconnu.

Le reverrai-je?


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Suit, après l’accueil par le professionnel, un bref au revoir entre les deux hommes. Sans effusion, comme s’il était inutile de prolonger ces instants. Au même moment, je sors alors pour saluer ces messieurs, me présenter et souhaiter la bienvenue à notre nouvel hôte. La porte s’est déjà refermée derrière moi, le vitrage permettant de distinguer dans la pénombre du vestibule la silhouette du vieux monsieur disparaissant, comme happé par une nouvelle réalité. Avant que je ne puisse esquisser quelque parole que ce soit, le fils me lance : « J’espère que je le reverrai vivant », puis s’en va, visiblement pressé. Ou ému… Il disparaît, n’attendant apparemment pas de réponse de ma part. Me privant ainsi de quelques paroles qui se voudraient rassurantes, mais ô combien vides de sens en ces circonstances. « Mais bien sûr que vous le reverrez et nous le remettrons en forme », lui aurais-je vraisemblablement rétorqué. Il aurait peut-être compris mon intention, mais ma certitude affichée lui aurait probablement paru légère. Dans un silence à peine entrecoupé au loin de quelques chants d’oiseaux, je reste avec cette interrogation : « Oui, en effet, le reverra-t-il ? » La sensation de moiteur de ce matin de juin accompagne alors mon sentiment d’une certaine impuissance. Témoignage d’un directeur d’EMS


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La crise sanitaire et les restrictions qui en ont résulté ont bousculé les habitudes, balayé les certitudes, révélé nos impuissances sur le plan médical, social et humain. Si la remise en cause est souvent salutaire, à quel point la tourmente provoquée par le SARS-CoV-2 a-t-elle bouleversé les usages sociaux, ces gestes et ces phrases – parfois toutes faites – qui nous structurent psychiquement, mais aussi socialement dans nos liens à autrui ? Quelles traces restera-t-il de cette confusion, dans ce qui fonde le fonctionnement social et ancre les rapports humains ?


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Avec Madame Nicole, tout est transparent : de ses états d’âme à ses questionnements en passant par les avis qu’elle échafaude sur telle personne, sur ce qui lui convient ou non, sur le programme de la journée, le menu du jour, ses joies et ses chagrins. Bref, la vie en direct. Sans concession, avec spontanéité et une certaine candeur doublée de fantaisie, elle affiche un bonheur manifeste à partager bien des moments de la vie de notre maison avec tous ceux qu’elle rencontre à la cafétéria, quitte à les alpaguer pour attirer leur attention. Avec dix ans de présence dans l’institution faisant d’elle l’une de ses doyennes, elle s’est arrogée un droit à l’expression, souvent pour notre plus grand plaisir accompagné de nos sourires complices. Fut-ce au prix de quelques paroles parfois un peu scabreuses ou lestes, truculentes, mais toujours bienveillantes. Comme pour tant d’autres résidentes et résidents, la préoccupation de Madame Nicole durant le confinement s’était focalisée sur l’échéance de la réouverture des portes de l’EMS, bien que ne recevant que rarement des visites. Tant de fois n’est-elle pas venue dans mon bureau ou celui de mes collègues pour nous interpeller : « Alors, des nouvelles ? ». D’un air qui tenait à la fois de la petite-fille ingénue et de l’institutrice qui vient contrôler nos devoirs. « Je ne sais pas, ça viendra, mais ce n’est pas

Madame Nicole


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encore le moment », lui répondionsnous, avec l’inconfortable impression d’une réponse insatisfaisante. Alors, d’un haussement d’épaules, elle reprenait son petit tour de maison en ayant dans la ligne de mire une personne peut-être davantage renseignée, voire mieux intentionnée. En quête non du Graal mais juste d’une réponse simple à une question simple : « Quand pourrons-nous de nouveau sortir et vivre comme avant ? ». Avant, c’est-à-dire avant l’arrivée de ce p… de virus. Quand nous étions libres et spontanés. Ce n’est pourtant pas compliqué ! Mais n’y a-t-il vraiment personne dans cette maison pour vous donner une autre réponse que « non, sortir n’est pas encore possible, le taux de propagation est encore de x% et les anticorps collectifs ne sont pas encore assez nombreux pour éradiquer le virus… il faut donc rester prudent ». Vieille rengaine. « Je me fiche des taux, je veux juste savoir quand je pourrai sortir ! ». Jusqu’à ce matin de la mi-juin 2020. « Alors, vous avez des nouvelles ? » me lance-t-elle sur le pas de la porte, avec le sourire quasiment victorieux de celle qui a un joli coup à jouer. « Hélas non, mais on en saura davantage mercredi : le Conseil fédéral va annoncer sa décision concernant l’élargissement des mesures de déconfinement ». Et voici qu’elle me répond alors du tac au tac, me laissant à peine émerger


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de ma laborieuse explication. La mine ravie de la gagnante qui détient la réponse à l’énigme, elle me lance : « Eh bien moi, je sais ! J’ai appelé chez « Publique » (probablement l’Office fédéral de la santé publique dont le numéro figurait sur les affiches présentant les mesures de prévention et de lutte contre l’épidémie visibles sur les murs de l’institution), « le truc public, vous devez connaître, ceux qui décident, et ils m’ont dit que c’était bon ! Parce que chez « Publique », ils savent. Oui c’est terminé, on va pouvoir ressortir et recevoir nos visites ! Je vous jure que c’est vrai, vous pouvez contrôler ! ». Diable, elle m’avait devancé. Notre dame est allée droit au but et a su trouver la réponse tant attendue. Et détenait cette fois-ci la « bonne parole » me privant du coup de l’effet d’annonce. Un silence suit, son œil malicieux semblait me dire victorieux : « Je t’ai bien eu mon gaillard ! ». Et comme à l’accoutumée, elle reprend les rênes de son « tintébin », cap sur la cafétéria pour annoncer sans attendre la délivrance aux copines. La tête haute, avec la satisfaction de pouvoir tout prochainement revoir ses quelques proches et surtout sortir… et d’avoir peut-être fait en quelque sorte la leçon au directeur en le devançant dans ses connaissances… Merci Madame Nicole ! Témoignage d’un directeur d’EMS


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La solidité de la référence institutionnelle a été effritée par les incertitudes apportées par la crise sanitaire. Dans les solutions recherchées individuellement et collectivement pour surmonter l’inconfort de cette précarité, les ressources qui se sont parfois révélées ont-elles quelque à chose à dire sur la manière dont les établissements répondent aux besoins des personnes âgées accueillies en milieu institutionnel et sur le juste équilibre entre faire pour elles, faire avec elles et les laisser faire ? Et cette autre interrogation qui concerne la valeur de l’information : pour Madame Nicole, la réouverture des portes institutionnelles a-t-elle autant d’importance que l’annonce de cette réouverture ? Poursuivre des informations susceptibles de donner une maîtrise, ou son illusion, sur les événements, n’est-ce pas ce que chacune et chacun fait, de manière encore plus exacerbée en situation de crise ?


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Âgée de 67 ans, Claudine est jeune pour vivre en EMS et son désir le plus cher et répété avec insistance serait d’aller vivre en appartement protégé. On la comprend, mais la chose est malheureusement impossible. Également impossible pour elle d’en faire le deuil. Cela engendre chez elle un profond état dépressif et une vision on ne peut plus noire de tout ce qui peut lui être proposé dans le cadre de l’institution. Ses seuls petits bonheurs sont les visites de ses enfants et surtout les sorties avec eux. Vient le confinement du mois de mars 2020. Pour Claudine, l’ouverture d’une grande parenthèse dans les visites et les sorties avec ses enfants et dans son rêve d’aller vivre ailleurs. Après une courte période où elle s’enfonce un peu plus encore dans sa déprime, Claudine investit spontanément un rôle de «surveillante» vérifiant que les mesures sanitaires sont bien respectées. De plus, elle demande contre toute attente, si on ne pourrait pas lui trouver quelque-chose à faire, car elle s’ennuie. On lui propose de distribuer le courrier, d’accompagner les résidentes et résidents dans leurs déplacements au sein de l’institution, d’aller les chercher pour des visites au parloir et de les raccompagner ensuite en chambre, de rendre divers petits services.

La surveillante


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Abstraction faite du constat que des ressources insoupçonnées peuvent se révéler en situation exceptionnelle, la manière d’appréhender le besoin essentiel de se sentir utile, voire légitime, qui se manifeste ici pose question. Si la crise sanitaire a fait naître, pour Claudine comme pour beaucoup de gens, des envies de participer à l’effort collectif pour traverser cette épreuve, quel véritable ressort – de l’inoccupation ou de l’état de nécessité – inspire et encourage les initiatives ? Qu’en est-il du besoin de se sentir utile ou solidaire en temps de paix sanitaire ?

Elle qui n’avait jamais rien accepté de faire, participe volontiers tout ce qui lui est proposé. Elle s’épanouit, sourit, plaisante, entre en contact avec les autres, est attentive et avenante. Un vrai miracle ! Vient le déconfinement. La frustration de Claudine de se trouver en EMS est intacte, tout comme son désir d’aller vivre en appartement protégé. Mais quelquechose a germé en elle. Tout n’est plus si noir en EMS. Certes, cela reste grisâtre, mais il y a de belles et régulières percées de lumière. Aujourd’hui le miracle persiste et me donnerait presque envie de dire « merci, COVID-19 ». Mais je n’irai pas jusque-là ! Témoignage d’un directeur d’EMS


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En ce dimanche de juin, résidentes et résidents mais aussi collaboratrices et collaborateurs sont tous réunis pour écouter ensemble l’émission de radio « Home sweet home » préalablement enregistrée dans notre institution. Les aînés ont eu l’opportunité d’y participer activement en répondant aux questions de la journaliste, en choisissant une chanson, ou simplement en partageant leurs émotions. Réunis, assis en cercle, nous voilà prêts, bien installés avec une personne à gauche et une autre à droite. Nous sommes tous concentrés, curieux de découvrir ensemble le résultat de cette belle aventure. Avant le démarrage de l’émission, un brin d’excitation et un peu d’appréhension émanent du groupe. Dès que l’écho de la première note résonne dans la salle, les regards s’animent ; les expressions sur les visages deviennent plus marquées. Des sourires, des rires, des yeux brillants, des larmes. Du bonheur, des souvenirs, de la danse, des paroles. Nous voilà tous attentifs, focalisés sur le son de la radio, mais tous évasifs sur ce à quoi l’instant nous relie. Cette diffusion représente un moment de partage et de communion, rempli de douceur, suspendu dans le temps. Au fil de l’émission, des interviews et des chansons, nous découvrons une nouvelle facette des résidentes et résidents qui répondent aux questions

L’émission

de radio


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de la journaliste avec une aisance déconcertante. À croire qu’ils sont coutumiers de cet espace d’expression ! Partager ce moment tous ensemble est un véritable plaisir. Solidarité et connivence. Le groupe entier est « scotché », immobile. Joie, tristesse et nostalgie se mêlent durant la diffusion. Rythmée par différents formats – entretiens, dédicaces des familles, morceaux de musique – l’émission fait peu à peu tomber les masques. Coupés de l’extérieur, sans contact direct avec leurs proches depuis plusieurs semaines, les résidentes et résidents ne retiennent pas leurs émotions. Les collaboratrices et collaborateurs osent aussi se dévoiler, exprimer leurs angoisses et leurs peurs. Les membres du groupe se rapprochent, se soutiennent les uns les autres. La musique nous met en communion avec nous-même, mais aussi avec les autres. Fruit d’un travail intergénérationnel, cette émission rappelle à tout un chacun les bienfaits du vivre ensemble, sans retenue liée à l’âge ou au statut. Nous traversons une période particulière, dans laquelle l’incertitude et l’inquiétude sont constamment présentes, mais nous ne les appréhendons et ne les vivons pas toutes et tous de la même manière. Cela dépend indéniablement de notre sensibilité, de nos expériences, de nos connaissances, de nos affects ou de nos


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Perçues et vécues comme des entraves, les strictes mesures de restriction transformant les institutions en bulles sanitaires ont-elles aussi créé des cocons ? Recentrant les échanges vers l’intérieur, certaines relations ont-elles gagné en intensité, en complicité, en authenticité ? Et si oui, cela a-t-il été ressenti de la même manière par les personnels et les résidentes et résidents, sachant que ceux-ci vivent déjà souvent dans une forme de repli, une distanciation face à la société ? Par ailleurs, l’immense intérêt porté durant cette période aux personnes âgées et aux institutions qui les accueillent interroge. Pourquoi attendre une crise dévastatrice pour ces dernières – notamment en termes de décès – pour faire preuve de curiosité à leur égard et leur consacrer articles, émissions, commentaires sur les réseaux sociaux ? Après la découverte de leurs richesses et de l’intérêt de leur réalité, cet élan pour rendre compte de leur existence perdurera-t-il à l’issu de la crise sanitaire ? D’un autre côté, la créativité déployée par les institutions pour améliorer l’ordinaire des résidentes et résidents et sortir des sentiers battus résistera-t-elle du quotidien, une fois la normalité revenue ?

liens avec notre entourage. Souvent le virus est au centre des préoccupations et parfois il est en marge parce que nous essayons de l’esquiver, même juste un court instant. C’est ce que l’écoute, tous ensemble réunis, de cette émission de radio nous a offert : un moment entre parenthèses dans l’épreuve quotidienne du COVID-19, un moment de retour à l’essentiel, un moment magique ! Témoignage de deux soignantes en EMS


Un après-midi d’avril 2020 comme les autres, je traverse le couloir au niveau de l’entrée de l’institution. Mon regard se tourne vers la porte vitrée marquant l’entrée de l’EMS. Cette dernière est impossible à ouvrir de l’extérieur depuis le confinement et l’introduction des mesures de restriction liées au SARS-CoV-2. Un homme, très âgé, me fait signe. Je le reconnais immédiatement. Il s’agit du mari d’une résidente. Masqué comme toujours depuis plusieurs semaines, je m’approche de lui et ouvre la porte. Il sait très bien que je ne suis pas en mesure de le laisser entrer, mais il tient à me demander une faveur. Il me tend alors un sachet contenant un petit bouquet. Il m’explique brièvement comment il a bravé la pluie et est descendu dans son jardin pour couper quelques brins de muguet afin de les offrir à son épouse. Par cette attention, il souhaite « marquer le coup » : car ce jourlà, marié depuis 60 ans, le couple fête ses noces de diamant ! Il me demande de déposer le bouquet auprès de sa bien-aimée et de lui dire qu’il pense très fort à elle. Cet homme, venu en toute simplicité apporter des fleurs, ne manifeste pas de colère, ou autres revendications à l’égard des restrictions d’accès alors

Le bouquet

de muguets

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Durant cette crise, les fondements de l’accompagnement des personnes âgées en milieu institutionnels déterminés par la « mise en relation » ont été balayés. Saurons-nous reconnaître et apprécier à sa juste valeur l’énergie insufflée par les collaboratrices et collaborateurs dans le maintien des liens sociaux dans la minuscule marge d’action autorisée par les mesures de restriction, alors même que ces gestes sont insuffisants, vécus comme insatisfaisants, parfois comme cruels ? Comment garder à l’esprit, à long terme, les intentions louables qui les animent ? Comment faire preuve d’humilité, de résilience et de bienveillance face à toutes les limites – systémiques, institutionnelles, personnelles – qui caractérisent l’ère COVID-19 ?

qu’il ne peut honorer leur tradition maritale. Résignation ou résilience ? Je me suis acquitté de la tâche confiée, bien entendu, en me disant que cet après-midi d’avril, n’est décidemment pas comme les autres… Témoignage d’un animateur en EMS


La période du confinement généralisé correspond à des règles identiques pour tout le monde. C’est difficile, mais tous à la même ! Quand en mai 2020, les magasins rouvrent leurs portes, quand les restaurants accueillent à nouveau leurs clients et quand les enfants retournent sur le chemin de l’école, les différences de traitements deviennent plus perceptibles. En effet, moyennant quelques précautions, les gens reprennent le cours de leur vie là où ils l’avaient laissé quelques mois auparavant. Les restrictions ciblées deviennent terriblement visibles : impossible encore d’aller rendre visite à son parent dans une institution de santé ou de l’emmener dîner dehors pour la fête des mères. La vie en collectivité impose des contraintes plus strictes. Vient alors ce coup de téléphone d’une fille qui souhaite justement aller au restaurant avec sa mère, résidente en EMS, et qui s’insurge du refus auquel elle vient d’être confrontée. Elle s’offusque de ce qu’elle estime être des incohérences avec une société qui redémarre et des EMS qui s’ouvrent plus lentement et prudemment. Elle juge les mesures de protection exagérées et inadaptées. « Ma mère a nonante ans, ce n’est pas grave si elle meurt du COVID-19, il n’y a pas lieu de mettre en place de telles précaution pour la préserver d’un

Trop vieille

pour être protégée?

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virus ! Ce sont des vieux, ce ne sont pas des enfants ou des adolescents ! ». Je reste sans voix, perturbée par son propos. Est-ce que le devoir de protection ne s’applique plus ou doit être nuancé sous prétexte qu’on est déjà vieux ? J’écarte ma première compréhension qui fait l’amalgame entre âge et vulnérabilité, cette idée insoutenable selon laquelle la société n’a pas à se préoccuper des plus faibles comme elle l’a fait en décidant de mesures sanitaires. Il me semble alors entrevoir la réelle motivation dans les propos de cette dame : « Ma mère devrait pouvoir choisir ce qu’elle a envie de faire et comment elle veut vivre les jours qui lui restent ! Ma mère est adulte, capable d’avoir une opinion et de faire des choix ». Je ne peux que la comprendre et être d’accord avec elle, si tel est vraiment son propos. Puis, une troisième pensée m’assaille : si légitime soit-il dans une perspective personnelle, ce discours fait fi de la réalité de la vie communautaire dans laquelle s’inscrit la résidente et écarte toute considération sur les conséquences collectives d’une prise de risque individuel. Je raccroche sans avoir pu calmer la colère de mon interlocutrice, dépitée de la violence avec laquelle l’impossible équation entre liberté et sécurité, emblématique de cette crise sanitaire, me saute aux yeux. Témoignage d’une collaboratrice administrative


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Comment mettre dans la balance, sans se perdre, ces notions de sécurité et de liberté ? Durant cette crise, n’avons-nous pas été bercés par l’illusion qu’il est possible de trouver un équilibre ? Par ailleurs, comment ne pas confondre les notions d’âge et de vulnérabilité, alors qu’elles impliquent des considérations différentes ? Enfin, y’a-t-il un âge auquel les jours qui restent n’ont plus autant d’importance qu’avant, ou justement en ont davantage ? Comment appréhender l’articulation entre l’existence qu’il faut protéger et celle dont il faut encore profiter ? Face à la soudaineté et à la violence des mesures de restriction, quelle a été la réelle prise en compte des choix encore possibles ?


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VI

Les enseignements


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Quelles sont les réflexions suscitées par la crise sanitaire et par la période particulière expérimentée par les EMS, ainsi que par leurs résidentes et résidents et par leurs collaboratrices et collaborateurs durant la première vague épidémique, de mars à juin 2020 ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui à la fin de l’hiver 2021-2022, en cette période qui semble être la fin de la pandémie, après ces vagues de contamination successives qui ont chacune formé un tableau inédit avec lequel il a fallu composer, après la multiplication des efforts pour augmenter l’immunité collective au travers des campagnes massives de vaccination et avec la lassitude intense de la population face aux restrictions et face aux mutations du virus ? Les considérations développées ci-après résultent d’une focalisation sur les différents champs de tension révélés par la crise sanitaire et touchant les établissements pour personnes âgées.

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La chronologie des événements de l’arrivée de la pandémie en Suisse et dans le canton de Neuchâtel a imposé la nature et le rythme des mesures sanitaires qui se sont avérées aussi inédites que fortes et soudaines. Pour la première fois, dans l’histoire des EMS, leur fonctionnement a été dicté, parfois dans les moindres détails, par une instance externe. Le respect des mesures de protection édictées, tel qu’il intervient durant la première vague épidémique, dans une sorte d’état de sidération, s’est concrétisé de manière quasi mécanique, sans grande place pour le questionnement qui n’arrivera que plus tard. Il est ainsi largement admis que la sécurité doit prévaloir systématiquement pour les personnes âgées, surtout si elles vivent en communauté, sans proposer d’éventuels aménagements compatibles avec les règles sanitaires, ni leur laisser la possibilité d’exprimer leur volonté ; le fait d’être capable ou non de discernement n’entre pas non plus vraiment en considération. Dictée par l’inconnu et la peur, par la croyance que la pandémie allait nous submerger avant de disparaître rapidement, cette réponse des autorités et des institutions centrée en premier lieu sur la protection a semblé légitime. Elle était imposée par l’état d’urgence et l’étendue des connaissances d’alors. Elle n’était certainement questionnable que dans une seconde étape, questionnement alors alimenté par le temps qui passe et par les constats résultant des premières expériences. Dans la manière d’appréhender la crise sanitaire dans son ensemble et les événements qui l’ont jalonnée, saurons-nous distinguer cette nuance ?

L’application diligente

des mesures


La crise sanitaire et les mesures prises pour y faire face mettent en jeu deux notions fondamentales et, dans leur articulation dans un lieu de vie communautaire tel qu’un EMS, porteuses de forces contraires. Dans la volonté de protéger les personnes vulnérables, des restrictions sans précédent sont mises en œuvre qui restreignent la liberté individuelle ; parallèlement, celle-ci doit être garantie dans toute la mesure du possible, mais elle se heurte au fait que l’exercice d’un choix personnel aussi élémentaire que sortir en famille fait prendre un risque de contamination à la collectivité. La marge de manœuvre entre devoir de protection et respect de la liberté est non seulement très fine, mais dépend du référentiel de valeurs dans lequel chacune et chacun s’inscrit et qui fait alors primer de facto une notion sur l’autre. Les résidentes et résidents ont-ils autant craint la contamination que ce que nous l’avons crainte pour eux ? Pas sûr. Au lieu de vouloir tout mettre en place pour les protéger, n’aurait-il pas été possible de concevoir une organisation permettant à chacune et chacun de choisir son niveau de risque sans compromettre pour autant la sécurité de son voisin ? Pas sûr non plus. Dans quelle mesure aurait-il été possible de différencier des manières de faire et des niveaux de protection pour les aînés, avec les contraintes organisationnelles et logistiques que cela représentaient et compte tenu des nombreux défis, notamment en termes de ressources, auxquels les institutions faisaient déjà face ? La réponse est toujours ouverte et dépend de l’appréciation de chacune et chacun.

L’impossible équation

entre sécurité et liberté

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Face à l’incertitude, dans cette impuissance généralisée, les individus et les institutions font ce qu’ils peuvent pour tenter de maîtriser le cours des choses. Illusion ? Vraisemblablement, mais il n’y a probablement pas d’autres solutions pour éviter la paralysie du vide. Les directives à suivre ou à interpréter ont l’avantage de constituer une forme d’exutoire, une possibilité d’agir. Dans ce tourbillon d’informations en constante et rapide évolution, de règles en permanente construction apportées par la crise sanitaire, chacune et chacun a fait du mieux possible. Les EMS ont été touchés, au gré du hasard des chaînes de contamination, sans avoir la réelle possibilité d’influer sur le coup du sort. À cet égard, pas de juste, pas de faux ! Tout au plus, les institutions médicosociales ont-elles pu agir avec plus ou moins de réactivité et d’intuition, en fonction des informations et des ressources disponibles, avec un soutien différencié des autorités sanitaires. Si l’impuissance confronte les individus et les collectivités à leur vulnérabilité, elle les pousse aussi souvent à développer des stratégies d’adaptation pour la surmonter. En résulte des pratiques innovantes, créatives. Pour répondre au besoin d’action, les initiatives solidaires se sont multipliées, au bénéfice des résidentes et résidents ainsi que des collaboratrices et collaborateurs. Au cœur de la tourmente, les EMS ont quant à eux adapté leurs pratiques d’accompagnement, quand ils le pouvaient.

L’incertitude et l’impuissance

comme moteurs


Tout le monde a vécu les événements de manière différente, selon sa sensibilité ou son vécu, selon ses ressources. Beaucoup ont relevé la créativité dont les individus et les organisations ont su faire preuve. Ainsi que la résilience manifestée par les uns et les autres, en particulier par les résidentes et résidents, à moins qu’il ne s’agisse ici de résignation, de sagesse ou d’autre chose. Les individus ont eu besoin de participer à l’effort collectif, se sentir utiles, pour ne pas être en marge, pour ne pas se sentir impuissants. Les résidentes et résidents de nos institutions ont, comme le reste de la société, souvent également exprimé ce besoin de participation. Des ressources parfois insoupçonnées – y compris dans l’acceptation – se sont alors révélées chez les aînés. Il faut les saluer, mais ne pas en être surpris. Car ce constat met en perspective de belle manière cette notion d’utilité sociale, qui prend une saveur particulière, souvent amère lorsque l’entrée en institution est vécue comme une mise à l’écart. Dans les structures d’accueil et d’hébergement, les personnels tentent de porter une attention soutenue sur les compétences et les ressources existantes ou à développer des personnes âgées qu’ils accompagnent, plutôt que de se focaliser sur la perte d’autonomie et les manques. Ce faisant, un pas positif et important est fait pour les valoriser ; cependant, l’orientation reste tournée vers l’action : l’être et le savoir – caractéristique intrinsèque du grand âge – ne mériteraient-ils pas d’être autant reconnus que le faire dans nos sociétés occidentales ?

Les ressources

insoupçonnées

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Pendant de longs mois, les contacts physiques ont été interdits. Dans les EMS, les contacts visuels ont remplacé le langage des émotions avec les visages des collaboratrices et collaborateurs masqués en permanence. Terminologie apportée par la crise sanitaire, la distanciation sociale imposée par les règles sanitaires révèle, comme jamais, l’importance du toucher. Son absence devient cruelle lorsqu’il s’agit de personnes âgées aux facultés cognitives altérées. Cela donne à réfléchir sur la manière dont cette dimension est appréhendée non seulement en psychogériatrie, mais aussi dans d’autres domaines et avec d’autres populations vulnérables ou marginalisées telles que les prisonniers, les migrants… Face à la souffrance et à la mort, les mots s’avèrent souvent vains et le contact physique devient alors l’unique vecteur possible du réconfort, de la communion interpersonnelle. Le besoin de toucher et d’être touché relève de la nature humaine : ne pas y répondre rend les deuils difficiles à vivre, à traverser. Mais avant cela, qu’en est-il du chemin vers la fin de vie dans ces conditions exceptionnelles, tant pour les personnes mourantes que pour celles qui les accompagnent, lorsque toucher représente une exception à la règle, voire une transgression ? La limitation stricte dans les rassemblements a également privé d’un réconfort essentiel. Les cérémonies funéraires rassemblant au maximum cinq personnes ont totalement escamoté une dimension rituelle fondamentale et généré de grandes souffrances ; avec une participation ramenée ensuite à 50 personnes, l’organisation des adieux au défunt s’est transformée en une sélection impossible, avec la lancinante question de la légitimité de la présence d’une telle ou d’un tel sur la liste des « invités ». S’agissant des résidentes et résidents, ces sacrifices

Le sacrifice du contact physique

et du rassemblement


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en termes de contact physique et de communion interpersonnelle ont conduit à différentes réflexions complémentaires sur l’importance des approches pour réinventer – au moyen d’alternatives telles que la zoothérapie ou l’hortithérapie – les gestes du toucher et, partant, ceux de la tendresse. Dans l’attente de pouvoir à nouveau étreindre, à pleine peau, sans arrière-pensée, rappelons-nous que les collaboratrices et collaborateurs jouent aussi un rôle de passeurs de tendresse. Par ailleurs, la distanciation sociale a aussi apporté d’autres constats, selon lesquels certains gestes de proximité ne sont en réalité pas voulus, mais répondent principalement à des codes sociaux. La limitation drastique des contacts a parfois amené à se réapproprier le choix de ses relations sociales. Mais qu’en est-il en EMS, dans lequel les pairs et les personnels sont « imposés » aux résidentes et résidents, surtout en période de sectorisation imposée par la crise sanitaire empêchant la libre circulation au sein de l’institution, et dans lequel les visiteurs s’annoncent selon leur bon vouloir ?


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Cette crise sanitaire – avec le danger que représente la maladie, son caractère aléatoire dans la gravité des symptômes, le décompte omniprésent des contaminations et des décès – a ramené la mort dans notre champ de vision de citoyens privilégiés, bercés de fausses certitudes. Les progrès de la médecine, qui a notamment permis de généraliser les antibiothérapies et les vaccinations, apparaissent tout à coup dans leur forme originelle faite de tâtonnements scientifiques. Le SARS-CoV-2 nous révèle à quel point la mort et le deuil sont mis de côté dans nos sociétés et questionne sur notre rapport à la finitude. Pour leur part, les EMS vivent pleinement cette réalité inhérente à la condition humaine y compris en temps de paix sanitaire et, même s’ils ont été largement bousculés par l’intensité de la mortalité concrète ou redoutée causée par le virus, ils représentent depuis toujours cette vulnérabilité difficile à voir et à accepter. La crise sanitaire nous interroge sur nos fragilités d’êtres humains dans un monde où la force, la productivité et le courage sont les maîtres-mots. Au moment où les mesures de fermeture ont été prononcées et durant les semaines de confinement qui ont suivi pour affronter la première vague de contamination, ces réflexions ont peut-être pu émerger dans le calme ou la stupeur de cette période inédite. Elles ont dans tous les cas pris une autre dimension lorsque les considérations en faveur de l’ouverture n’ont plus été uniquement d’ordre sanitaire. À l’avenir, serons-nous en mesure de garder un peu à l’esprit notre vulnérabilité ? Parce que la Vie est aussi fragile qu’inattendue d’un bout à l’autre… Face aux événements et à l’impossibilité de réagir selon les codes habituels, les individus ont largement réinventé les rituels. Des applaudissements pour rendre hommage aux méritants. Des films pour partager les moments marquants. Des bougies pour personnaliser les absents. Des œuvres culturelles pour faire mémoire. Certainement parce que le besoin de rituels est plus fort que les mesures de restriction…

La place de la souffrance

et de la mort


Vulnérables et âgées, les personnes résidant en EMS sont une cible privilégiée du SARSCoV-2 qui, se diffusant rapidement dans ces lieux communautaires, fait des dégâts importants en termes de mortalité. Pendant la première vague, et sur l’ensemble de la crise, plus de la moitié des décès enregistrés dans le canton de Neuchâtel intervient, sans surprise, en institution médicosociale. Les projecteurs se sont allumés tout à coup sur ces lieux de vie et de soins, suscitant habituellement peu d’intérêt dans notre société. Mélange de compassion et d’inquiétude, assorti d’un soupçon de voyeurisme. Compte tenu de la mission intrinsèque des EMS, drainer toute cette attention ambivalente a été difficilement recevable. Cependant, qu’en aurait-il été si les résidentes et résidents, leurs proches et les personnels avaient fait face aux contaminations loin de toute visibilité ? Par ailleurs, malgré la quantité impressionnante d’articles consacrés aux EMS en temps de crise, que connaît réellement la population de la vie telle qui y est vécue, de la normalité institutionnelle ? Durant cette première vague de contaminations qui a vu les EMS fermer leurs portes sur injonction des autorités, les résidentes et résidents ont exprimé régulièrement leur attente pour la réouverture des portes institutionnelles et pour le retour à une vie normale. Pour revenir à « la vie d’avant ». Mais s’agit-il vraiment de la vie d’avant le COVID-19 ? Ou s’agit-il plutôt de la vie d’avant l’entrée en EMS ? Probablement un peu des deux… avec cette incertitude quant à la durée des mesures et cette peur que les institutions ne rouvrent plus, ou que trop tard. À cet égard, l’attente a semblé sonner comme un appel silencieux, celui du monde des « reclus »

L’attention collective

et la normalité

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à l’adresse des « vivants du dehors », comme si les premiers disaient aux seconds : « Ne nous oubliez pas et que la vraie vie revienne ! ». Sauf que la suite sera peut-être l’occasion de nouvelles déceptions : certaines résidentes et résidents passent en effet beaucoup de temps à guetter des visites qui se font déjà rares en période normale.


Durant ces nombreux mois de pandémie, les personnels d’institution ont été contraints d’assumer un rôle extrêmement difficile : le contact direct avec les proches n’étant plus possible, il a fallu trouver des moyens pour préserver les relations interpersonnelles, les entretenir malgré des situations souvent bien complexes. Cultivant habituellement le lien social à tous les niveaux de la prise en charge des bénéficiaires, les collaboratrices et collaborateurs sont brusquement devenus les « gardiens » – parfois même perçus comme les « geôliers » – des aînés et ont souvent dû aller à l’encontre des besoins de ces derniers, déconstruisant leurs acquis professionnels et renonçant à leurs bonnes pratiques pour assurer leur protection. Mise au premier plan, cette mission protectrice isolant les résidentes et résidents et les privant de leur entourage a fait des personnels les seuls vecteurs directs d’infection. Assurer le lien en portant seuls le risque de contaminer, telle a été la double peine des collaboratrices et collaborateurs durant cette première vague épidémique. Dans cette tourmente qui a vu la fonction d’accompagnement complètement bouleversée du jour au lendemain, l’institution en tant que lieu de soins a clairement pris le dessus sur l’institution en tant que lieu de vie. Pour le meilleur et pour le pire, compte tenu des efforts réalisés par les EMS durant les dernières années pour valoriser la dimension sociale de leur accompagnement, efforts qui se sont vu largement balayés, temporairement espérons-le.

Le geôlier ou l’agent contaminant,

à la place du faiseur de liens

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Conclusion VII 84

Autodétermination et dignité La mise en perspective pluridisciplinaire, les anecdotes et les questionnements qu’elles suscitent, ainsi que les enseignements – encore provisoires – tirés des événements extraordinaires de la crise sanitaire qui a démarré au printemps 2020 constituent autant d’apports pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé du point de vue des institutions médicosociales. Il apparaît, au fil des textes, que les notions centrales d’autodétermination et de dignité – qui se déclinent dans tous les chapitres de cette publication – constituent les fondements de nos réflexions et les clés de lecture incontournables pour appréhender les événements. Les nombreux questionnements exprimés dans les présentes pages n’ont bien évidemment pas trouvé de réponses, sinon partielles et subjectives. Ces interrogations se sont trouvées au cœur d’une réflexion d’envergure sociétale sur la place de la fragilité, démarche qu’il est important de poursuivre au-delà de la crise sanitaire. Et si la pandémie était aussi envisagée comme un tremplin pour, collectivement et individuellement, redéfinir des valeurs, des envies, des priorités ? Il est là encore question de liberté, d’autodétermination, de liens à autrui, de saine interdépendance, de résilience, de sentiment d’appartenance à la société et de rapport à l’existence et à la finitude. D’abord centrée exclusivement sur


la protection de la santé physique, la crise a progressivement laissé la place à d’autres enjeux, notamment en termes de santé mentale, pour les aînés, en institution ou non, comme pour toutes les autres tranches de la population. Interminable avec ses multiples vagues de contaminations qui ont suivi celle du printemps 2020 sur laquelle est centré ce recueil, la crise sanitaire aura-t-elle finalement assez duré et assez secoué les esprits et les usages pour permettre une conversion réelle et durable, aussi partielle soit-elle, du fonctionnement humain et social ? Faire mémoire et rendre hommage Autorités politiques et administratives, organisations de santé, collaboratrices et collaborateurs, résidentes et résidents, familles et proches, bénévoles, médias et grand public : peu d’entre eux avaient imaginé un jour vivre les éprouvants mois que le COVID-19 leur a imposés. L’adversité a été particulièrement intense s’agissant des établissements pour personnes âgées. Dès le début de la crise, ils y ont pourtant remarquablement fait face. Chacune et chacun à sa manière, avec ses moyens, ses forces et ses faiblesses. Malgré la virulence du virus, le stress, les facteurs d’incertitude, la fatigue, la maladie, l’isolement et la mort, ils ont pour la plupart assumé leurs responsabilités, agissant avec courage, créativité, patience, solidarité et empathie. Nous formulons aujourd’hui le vœu que l’intérêt pour la

personne âgée en milieu institutionnel sublimé par les récentes circonstances perdure et que les belles initiatives nées de la crise se développent pour devenir des aventures porteuses de sens à moyen et à long terme. Au-delà d’une comptabilisation – parfois voyeuriste – du nombre de décès en EMS et d’un manque de nuance de la part des médias et des politiques pour rendre et tenir compte de la complexité des enjeux liés à la vie en institution médicosociale, il est essentiel de se rappeler que beaucoup de professionnels ont dit avoir été impressionnés par la remarquable résilience dont ont fait preuve les résidentes et résidents accueillis en institutions médicosociales. Matérialisant à la fois une réflexion éthique et une démarche mémorielle, la présente publication souhaite rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui ont traversé, en partie ou totalement, cette période de crise au sein d’un établissement pour personnes âgées neuchâtelois. Résidentes et résidents, collaboratrices et collaborateurs, proches, bénévoles et porteurs d’actions et de pensées solidaires, sains et saufs, malades, guéris ou décédés, ce recueil vous est dédié.

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Pour approfondir

Ci-après quelques références entrant en résonnance d’une manière ou d’une autre avec les réflexions portées dans les pages qui précèdent. Ackermann, S., Baumann Hölzle, R., Biller Andornoc, N., Krones, T., Meier-Allmendinger, D., Monteverde, S., Weidmann-Hügle, T. (2020). Pandémie : protection et qualité de vie des personnes en EMS. Bulletin des médecins suisses, 843-845.

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Amieva, H., & Pech, M. (2020). Les personnes âgées face au confinement et à la crise de la COVID-19 : Entre fragilité et résilience. Revue de neuropsychologie, 155-157. Clavandier, G. (2020). Contextualiser le deuil dans une ritualité funéraire perturbée. Revue de neuropsychologie, 243-246.

Menétrey-Savary, A. (24.04.2020). Une octogénaire dans la pandémie. Le Courrier Peschanski, D. (2020). « Tu crois qu’on s’en souviendra ? » Mémoire collective du COVID19. Revue de neuropsychologie, 128-131. Repetti, M. (2020). L’âgisme dans la lutte contre le coronavirus. REISO, Revue d’information sociale.

Comte-Sponville, A. (17.04.2020). Laissez-nous mourir comme nous voulons ! Le Temps

Résidence Grande Fontaine, Bex (2020). Restez à la maison. www.youtube.com/shorts/ Llw28MYW31Q

Courrier des lecteurs (04.06.2020). Des consignes trop bien appliquées. Arcinfo

Rouleau, I. (2020). Confinement des aînés : Protection ou âgisme. Revue de neuropsychologie, 164-165.

Kœnig, G. (21.01.2021). Vies prolongées contre vies gâchées : le vrai dilemme de la lutte anti-Covid. Le Temps

Toffel, K. (2020). Un citoyen-sociologue en EMS. REISO, Revue d’information sociale.

Leser, M. (28.05.2020). Le dilemme entre protection et liberté. Neue Zürcher Zeitung

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Malbois, F., Jetzer, A., Lambelet, A. (11.02.2021). La vie en EMS en temps de pandémie saisie par ses intervenants. Esquisse d’une sociologie de la crise. Conférence dans le cadre du colloque du CR 34 de l’AISLF « Pandémie, pauvreté, politique sociale et intervention », Haute école de travail social et de la santé Lausanne, HES-SO, Suisse.


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Remerciements

Ce recueil est le résultat d’un travail collectif d’échanges, de réflexions et de partages. Il n’aurait pas pu être concrétisé sans les apports et les précieuses contributions des différents acteurs sollicités.

Un grand MERCI : À toutes les personnes – résidentes et résidents, proches, endeuillés, collaboratrices et collaborateurs d’institution ayant vécu ces moments extra-ordinaires – qui sont parties prenantes des anecdotes ayant inspiré la nécessité de faire mémoire au travers de ce recueil. Aux centaines d’enfants du canton de Neuchâtel qui ont pris leurs crayons de couleur pour réaliser les dessins dont certains accompagnent le présent recueil, ainsi qu’à leurs parents et à leurs enseignants pour avoir transmis ces pépites colorées aux résidentes et résidents des EMS neuchâtelois, relayant ainsi les messages de solidarité et d’espoir de tous ces artistes en herbe.

Aux contributrices et contributeurs des textes rassemblés pour former cette mémoire écrite. À la photographe des clichés qui viennent enrichir les présentes pages, pour avoir si bien saisi l’atmosphère de la période particulière du confinement du printemps 2020 et dont le regard fait écho aux propos écrits. Aux généreux donateurs qui ont contribué à la publication de ce recueil. À toutes celles et tous ceux qui se préoccupent des aînés, et à vous, lectrices et lecteurs, pour votre intérêt.

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Impressum X

Avec le soutien de :

Conception et rédaction : Commission d’éthique de l’ANEMPA, juin 2020 – février 2022 Concept éditorial et graphisme : Théophile Glauser & Sébastien Doutaz, Neuchâtel Photographies : Nathalie Ljuslin, www.ljuslin.ch

Fondation Vielle Dirking

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Dessins : Enfants du canton de Neuchâtel Impression : Imprimerie Baillod S.A. Disponible sur anempa.ch ou sur demande à anempa@ne.ch


Association neuchâteloise des établissements et maisons pour personnes âgées Charmettes 10a, CH – 2000 Neuchâtel anempa@ne.ch – www.anempa.ch +41 32 731 79 92

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