Majoliques italiennes de la Renaissance. Collection Paul Gillet

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La majolique italienne et ses centres de production Philippe Cros Directeur de la Fondation Bemberg

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oint de rencontre entre l’Orient et l’Occident, Venise occupa au xvi e siècle un rôle politique et culturel de premier plan. A l’époque, la Cité des Doges connaissait un véritable bouillonnement culturel, favorisé par les commandes artistiques des familles patriciennes et des confréries religieuses. Dans le domaine de la majolique, Venise commença dès le début du xvi e siècle à jouir d’une grande renommée, au point qu’en 1518 la marquise de Mantoue, Isabelle d’Este Gonzague, une des femmes les plus importantedelaRenaissanceitalienneetfigureàlafoisculturelleetpolitiquedetoutpremier plan, commanda une série d’assiettes aux ateliers vénitiens. Deux ans plus tard, c’est son frère Alphonse Ier d’Este, protecteur des Arts et des Lettres, qui commanda à Venise, par l’intermédiaire du Titien, des vases pour sa pharmacie. Si l’on se penche sur la chronologie, le xvi e siècle commence pour la majolique vénitienne par une interrogation sur le pavementdela chapelle Lando à San Sebastiano(la chapelle est à gauchedumaître-autel).Cette église est située dans le quartier de Dorsoduro, et construite à partir de 1506 par Francesco da Castiglione sur les plans d’Antonio Scarpagnino. On ne sait si ce pavement daté de 1510 et composé de plaques aux dessins très variés comportant monogrammes et armoiries, est l’œuvre d’artisans vénitiens ou s’il a au contraire été importé de Pesaro. A partir de la seconde décennie du xvi e siècle, en revanche, on peut de manière moins aléatoire, attribuer à Venise des services commandés à l’occasion de mariages et portant les armes de familles d’Allemagne du sud, principalement d’Augsbourg et de Nuremberg. Peut-être est-il d’ailleurs nécessaire de rappeler l’influence de Venise sur Nuremberg, les deux villes ayant eu à cette période des contacts importants, tant marchands qu’intellectuels. Preuve s’il en est, Dürer séjourne à Venise en 1506. C’est là qu’il apprit à manier le clair-obscur et en rapporta son dramatique Crucifiement du musée de Dresde. Enrichis de motifs végétaux stylisés inspirés de la porcelaine chinoise, ces services de mariages sont décorés alla porcellana. Période riche en échanges, la Renaissance vénitienne a aussi vu s’intensifier les rapports entre l’Orient et l’Occident. Le rapprochement des Majoliques de la Sérénissime avec les porcelaines chinoises permet d’illustrer les liens entre ces foyers culturels. En effet, tout comme les aires chrétienne et ottomane de l’Europe n’ont jamais cessé d’échanger ou de commercer, il en a été de même entre Venise et la Chine. Ces décors alla porcellana ont été tout d’abord uniquement en bleu et blanc, puis à partir de 1550 décorés d’autres couleurs. Cette adaptation au gout « contemporain » nous rappelle que le succès principal des majoliques vénitiennes de cette époque tenait à ses décors de fruits, de fleurs et de feuilles. 27


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