ADVP Orientation

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GUIDE/Génération Lycée

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PRESENTATION DE

L’ACTIVATION DU DEVELOPEMENT VOCATIONNEL ET PERSONNEL

ADVP CHAPITRE 1 – CHOISIR, S'ORIENTER, FAIRE UN PROJET 1.1 CHANGEMENTS ? QUELS CHANGEMENTS ? 1.2 CHANGEMENTS DU CONTEXTE 1.3 CHANGEMENTS ET ORIENTATION 1.4 LE SAVOIR S’ORIENTER

CHAPITRE 2 – LA DEMARCHE PEDAGOGIQUE PROPOSEE

2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 2.6

UNE APPROCHE DEVELOPPEMENTALE UNE PEDAGOGIE EXPERIENTIELLE L'ANIMATION EN PEDAGOGIQUE EXPERIENTIELLE LES OUTILS PROPOSES LA PREPARATION D'UNE SEQUENCE PEDAGOGIQUE LES TECHNIQUES D'ANIMATION

EXTRAIT DU GUIDE D’ANIMATION DES DOSSIERS « GENERATION LYCEE »

Génération Lycée (Edition Séptembre 1997 ISBN 2-89471-066-6)

Auteur du guide : Michel GARAND & Yves REMY

GUIDE/Génération Lycée

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CHAPITRE 1 – CHOISIR, S'ORIENTER, FAIRE UN PROJET

Le premier chapitre ne prétend pas présenter une théorie du choix, de l'orientation, ou une conceptualisation de la notion de projet. La raison en est essentielle : théorie et conceptualisation sont des mots qui renvoient à celui de science. L'orientation et le projet ne relèvent pas d'une science. A cet égard, nous pourrions dire ce que P.MEIRIEU dit de la pédagogie : « La pédagogie n'est pas une science, c'est une pratique réfléchie de la transmission du savoir qui s'appuie sur des sciences : psychologie, linguistique... sous réserve que ces sciences dites humaines aient elles-mêmes droit au statut de science1 ». La question de l'orientation et la notion de projet sont, par essence, interdisciplinaires. Les considérer oblige à se référer à la psychologie, à la sociologie, à l’économie, à l'histoire, à la psychanalyse, voire à la linguistique. Dans ces circonstances, il faut un certain courage pour oser quitter les chemins balisés des disciplines spécialisées pour progresser sur le terrain découvert de l’interdisciplinarité : « L'opposition des spécialistes vis-à-vis des recherches interdisciplinaires résulte de considérations quelques fois tout à fait valables, compte tenu de l’état encore peu avancé de ces recherches, mais elle est aussi très souvent l'expression d'attitudes sommaires et dogmatiques qui n'ont plus grand chose à voir avec la science et qui sont, hélas, trop humaines... au nom de quoi elle (la science) condamnerait des curiosités différentes : celles qui concernent d'autres domaines que celui qui se plie à ses exigences, par exemple les valeurs vécues, la production actuelle du désir, le dynamisme des choix ou des refus2 ». Le terme « conception », pris en son sens de « manière de concevoir une question, d'en disposer les éléments dans son esprit », conviendra mieux que les termes « théorie » ou « conceptualisation » pour qualifier les réflexions et apports qui suivent sur les notions de projet et de choix en orientation. Le mot « conception » renvoie certes plus à une réflexion philosophique qu’à une étude scientifique rigoureuse. Mais pour être hors du champ d'une science, une question n'en est pas moins digne d’intérêt. La méthode prônée dans Génération Lycée repose plus sur la conviction raisonnée née de l’expérience que sur la démonstration péremptoire. C'est la nature même de ces questions qui impose la modestie de la méthode. Nous nous en contenterons et nous en consolerons en rappelant que : « les preuves et séries de preuves dont la science est si fière ne sont que des intervalles de clarté, des segments de parcours logiques, des chaînes de médiation dont nul ne perce à jour ni l'origine, ni l’extrémité. Ce ne sont que des entre-deux irrationnels3 ». Or s'il est une question qui ne peut être abordée en évacuant ses aspects irrationnels, c'est bien celle du choix et du projet personnel. Envisager l'une et l'autre sous leur seule dimension rationnelle, c'est prendre le risque d’être excessivement réducteur, car ce sont d'humaines questions et rien de ce qui est humain n’échappe à une part d’irrationalité4. Le fait de devoir renoncer à une théorie du choix et de la notion de projet pour s'en tenir à une conception, réclame d'autant plus de rigueur et d’honnêteté intellectuelle. Nous reconnaîtrons avec K. JASPER que : « Nous avons constamment la tentation de regarder le monde comme si nous, qui sommes chargés de le reconnaître, n'en faisions pas partie, ne lui étions pas liés. Nous aimerions explorer le monde sans tenir compte du fait que c'est nous qui en prenons connaissance5 ». Réfléchir sur les questions d'orientation, de choix et de projet ne peut se faire en oubliant que nous sommes nous-même soumis à ces questions en tant que sujet et que nous ne pouvons écarter ou négliger notre propre subjectivité, quand bien même nous le voulons. C'est bien plus en prenant en compte notre propre expérience du choix et du projet, en redécouvrant et en admettant toutes les dimensions rationnelles et irrationnelles, que nous sommes à même d'aborder ces questions dans toute leur complexité. Notre expérience personnelle, sans être suffisante pour élaborer une conception de l'orientation, est toutefois indispensable pour intégrer les apports théoriques issus des différentes sciences humaines concernées. Le lecteur ne pourra et ne devra pas se dispenser de se référer à sa propre expérience du choix, de la réalisation de ses projets (qu'ils soient d'orientation ou non) pour prendre connaissance de nos conceptions dans ces domaines. S'il choisit d'aborder ces questions avec les jeunes lycéens, il devra veiller à ce que leurs expériences vécues ou présentes soient toujours sollicitées, prises en compte et intégrées. C'est à cette condition que les séquences pédagogiques auront toute leur portée éducative. Cela renvoie à un aspect essentiel de la pédagogie préconisée et exposée dans le chapitre 2 de ce guide. GUIDE/Génération Lycée

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Préalablement, le chapitre 1 se propose de répondre aux questions suivantes : – Qu'est-ce qui a changé et nécessiterait de concevoir sous un angle nouveau la question de l'orientation et la notion de projet ? – Comment choisir, s'orienter et faire un projet aujourd'hui ? – Par rapport aux générations précédentes, les jeunes sont-ils dans un contexte différent quand il s'agit de leur orientation et de leurs projets d'avenir ? 1. Conférence donnée à Chambéry en septembre 1991. 2. DUMERY, H. in Encyclopedia Universalis. 3. DE DIEGUEZ, M. Sciences et Nescience, Editions Gallimard, 1970. 4. MORIN, E. « La rationnalisation se caractérise à la fois par un excés de logique par rapport à l'empirique et par le refus de complexité du réel » dans Pour sortir du XXe siècle, Editions Nathan, 1981. 5. JASPERS, K. De la vérité, R. Piper, 1947.

1.1

CHANGEMENTS ? QUELS CHANGEMENTS ?

« De mon temps, ce n’était pas pareil, cela a bien changé depuis ». Cette phrase, nous l'avons entendue de nos pères. Les jeunes d'aujourd'hui l'entendent aussi. Chaque génération a droit à cette remarque de la part de celle qui la précède. Voilà au moins un point qui ne change pas. Des changements, chacun en constate, les vit et les mesure avec le recul du temps : changements de son environnement familial, social, économique, changements personnels au fil des ans... Il y a ceux que nous subissons, ceux que nous espérons et attendons, ceux que nous anticipons et parfois provoquons, ceux que nous maîtrisons, conduisons et ceux qui nous dépassent. Il y a ceux que nous croyons percevoir sur le moment, qui nous paraissent essentiels, déterminants, et nous font dire que, désormais, rien ne sera plus comme avant. Et puis, avec le recul du temps, ces changements révèlent parfois une continuité, une permanence qui nous échappaient. D'autres changements, d'apparence anodine, jugés secondaires, qui passent même inaperçus sur le moment, apparaissent avec le temps fondamentaux. Vouloir repérer ce qui a changé et place désormais les jeunes dans une situation nouvelle par rapport à leurs choix d'orientation et à leurs projets d'avenir, c'est courir le risque de prendre pour changement ce qui n'est que continuité et négliger les vrais changements. Nous allons courir ce risque, en nous attardant d'abord sur la notion de changement, un passage obligé pour quiconque s’intéresse à la question du projet personnel et du choix d'orientation et a fortiori quand on prétend conduire une action éducative dans ces domaines. Eduquer, c'est toujours vouloir développer, faire évoluer, accompagner, activer, voire induire ou provoquer un changement. La lecture de l'ouvrage de P. WATZLAWICK, J. WEAKLAND et R. FISCH Changements, paradoxes et psychothérapie est une occasion de s'attarder utilement sur la notion de changement. Nous ne saurions trop le conseiller au lecteur pour en pénétrer toute la complexité. Les auteurs distinguent, entre autres, deux types de changements. Dans une situation ou devant un problème donné, différentes manières de réagir peuvent être répertoriées. Passer d'une manière de réagir à une autre constitue un changement. Parmi les différentes manières de réagir, un ensemble d'entre elles obéissent à des prémisses ou postulats de base souvent implicites, peut-être même inconnus de ceux qui les adoptent. Cet ensemble constitue alors un système construit sur une logique sous-jacente non explicitée. Choisir l'une des manières de réagir puis en adopter une autre appartenant à ce même ensemble, c'est opérer un premier type de changement. Mais lorsque aucun résultat satisfaisant n'est obtenu, il devient nécessaire de sortir du système, d’échapper à sa logique interne sous-jacente. Adopter une manière de faire qui remet en cause les postulats fondateurs de l'ensemble des changements de type 1, c'est opérer un deuxième type de changement. En somme, engager un changement de type 2, c'est changer de manière de changer. Les changements de type 1, lorsqu'ils s’avèrent inefficaces, aboutissent à un constat que la sagesse populaire énonce ainsi : « Plus ça change et plus c'est la même chose ». Il est sans doute nécessaire, pour saisir ce qui distingue ces deux types de changements, de proposer une illustration. Prenons par exemple l'émission de télévision Surprise, sur prise, fruit d'une collaboration franco-québécoise. Des personnalités connues du grand public y sont piégées, placées dans des situations à leur insu, avec la complicité de leur entourage. Elles sont amenées à réagir à la situation, ignorant qu'elles sont l'objet d'un canular. Quelle que soit la personne piégée, quelles que soient les GUIDE/Génération Lycée

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attitudes adoptées par ces personnes, tant qu'elles posent implicitement comme postulat de ne pas être victime d'un canular, leur façon de se comporter sera toujours décalée pour le téléspectateur et ainsi source d'amusement. Ces comportements, aussi différents soientils, ont quelque chose qui les fait appartenir au même ensemble : un décalage, une inadaptation ne permettant pas de déjouer le canular, de sortir de la situation. Seul un comportement inattendu, imprévu par les auteurs du canular, et le plus souvent paradoxal, permet parfois à la victime de le déjouer. Mais cela arrive rarement. Dans la plupart des cas, il faut clairement dire à la victime que c'est un canular. Celle-ci met souvent un certain temps à l'entendre, c’est-à-dire à sortir de la logique dans laquelle elle s'est ellemême enfermée. La recherche de solutions pour sortir de la situation, en ce qu'elles s'appuient toutes sur le postulat implicite qu'il ne s'agit pas d'un canular, renforcent ce postulat et donc l'enfermement. Les remarques telles que « C'est incroyable ! », « Ce n'est pas possible ! », « Ce n'est pas vrai ! », et même « C'est une blague, un canular... » sont souvent prononcées sans que, pourtant, la victime remette en cause réellement le postulat implicite. En revanche, il arrive que la victime comprenne au cours du canular et ne dise rien. Mais les téléspectateurs ressentent très vite que le comportement de la victime a changé, qu'il est dans un autre registre par rapport aux comportements précédents. C'est ce changement de type 2 qui, posé par la victime, est ressenti par le téléspectateur. Dès lors, ce n'est plus la même chose, le côté comique de la situation est remis en cause de façon irréversible. Nous sommes tous à un moment donné victimes de postulats implicites qui font que les différentes manières trouvées pour sortir d'une situation restent des changements de type 1. Voici deux situations qui permettent d'en faire l'expérience personnelle. D'abord une énigme à résoudre : Pierre est emmené au lycée en voiture par son père. A un croisement, un chauffard grille un feu rouge et télescope la voiture du père de Pierre. Pierre est gravement blessé, son père est tué sur le coup. Amené d'urgence à l’hôpital, Pierre est conduit au bloc opératoire. Lorsque le chirurgien arrive, reconnaissant Pierre, celui-ci déclare « Je ne peux pas l’opérer moimême, c'est mon fils ». Quelle est la clé de cette énigme ? Ensuite, une deuxième situation d'un tout autre ordre. Elle est empruntée à P.WATZLAWICK dans l'ouvrage précité. Il s'agit d'observer les neuf points ci-dessous et de tenter de les relier tous sans lever la pointe du crayon et en ne traçant que quatre lignes droites. • • •

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Vous connaissez l’énigme et le petit problème des neuf points ? Alors vous aurez bien sûr réussi à les résoudre. Cependant, cela ne vous aura peut-être pas permis de mieux distinguer les deux types de changement. En revanche, si vous ne connaissiez pas les solutions, l'occasion vous a été offerte de mieux faire, par l’expérience, la distinction. Dans le cas de l’énigme, le postulat implicite que chacun pose est : le chirurgien est un homme. Bien sûr, l'absence de féminin à « chirurgien » l'induit, mais au-delà, c'est la représentation masculine que nous avons de ce métier qui se révèle. L’expérience montre que la grande majorité d'entre nous sommes victimes de cette représentation, aussi bien les femmes que les hommes. Toutes les manières de résoudre l’énigme qui ne remettent pas en cause cette représentation masculine aboutissent à des solutions compliquées, plus ou moins tirées par les cheveux. Exemple : le père n'est pas le vrai père, ou Pierre a un sosie, un jumeau, etc. Ce qui ne change pas entre toutes ces solutions, c'est que nous préférons transformer les données de l’énigme, en rajouter, en négliger certaines ou les interpréter plutôt que de changer le postulat. En fait, nous contestons le problème posé jusqu’à le considérer sans solution, enfermés que nous sommes dans notre représentation masculine du métier. En revanche, la solution que ce soit la mère de Pierre qui soit le chirurgien remet en cause cette représentation. L'adopter produit un changement de type 2 dans la manière de résoudre le problème. Il est à noter que plusieurs sont réticents à ce type de changement. Dans ce cas-ci, certains iront même jusqu’à dire : « Ça ne peut pourtant pas être la mère ». Cela veut dire qu'ils ont considéré l'hypothèse de la mère mais qu'ils ne la retiennent pas parce qu'elle les conduit à un changement de type 2 au niveau de leur représentation du milieu. Pour le problème des neuf points, le postulat de départ pour la grande majorité est que la solution s'inscrit dans le carré formé par les neuf points. Passer en revue les différentes manières de traiter le problème en gardant ce postulat constitue des changements de type 1. Les personnes confrontées à ce problème ont tendance à redemander la consigne : « Sans lever le crayon ? », « Quatre lignes GUIDE/Génération Lycée

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seulement ? ». Bref, là aussi, le changement de type 2 consiste à ne plus contester les données du problème et les consignes mais plutôt le postulat sous-jacent. Pour ce faire, il faut ne plus s’intéresser à l'ensemble des neuf points, mais à l'ensemble des solutions essayées et qui ont échoué, pour avoir une chance de percevoir ce qu'elles ont en commun : être toutes inscrites dans le carré des neuf points. Nous pouvons ainsi découvrir le postulat implicite et dès lors nous en affranchir car il n'est en aucune façon imposé par les consignes. C'est nous-mêmes qui nous l'imposons sans en avoir conscience, implicitement, et nous dépensons souvent plus d’énergie à contester les données du problème qu’à chercher à l'expliciter et le remettre en cause (voir la solution à la page X). De la distinction entre changement de type 1 et celui de type 2, les corollaires suivants se dégagent : – Les changements de type 1 ne confrontent pas à l'inconnu, à la nouveauté. Ils sont souvent répertoriables a priori, donc potentiellement programmables, prévisibles et ne conduisent pas à créer des situations irréversibles. – Les changements de type 2 sont innovants, ils obligent à la créativité, ne sont pas prévisibles et donc pas programmables. Ils conduisent à créer des situations irréversibles : il n'est plus possible de faire après comme avant. Ce qui était inconnu ne l'est plus. Ce qui a constitué une découverte, une nouveauté grâce à ces changements ne le sera jamais plus, même si nous voulons continuer à faire comme si nous l'ignorions : faire « comme si » n’équivaut jamais à faire « comme quand ». – Ce qui fait peur dans le changement de type 2, c'est l'inconnu auquel il nous confronte. La remise en cause de nos postulats implicites conduit potentiellement à d'autres remises en cause touchant aux représentations que nous pouvons avoir de la réalité de l'environnement et surtout de nous-même. Devant l’échec des changements de type 1, nous ressentons le besoin ou le désir ambigu de changer de manière de changer, de passer à un changement de type 2 tout en craignant ses effets inconnus et imprévisibles. L'adolescence est sans doute l’âge auquel chacun vit avec la plus grande force cette tension entre désir et besoin d'un changement de type 2 d'une part et crainte devant ce changement d'autre part. – Dire qu'un changement de type 2 est imprévisible, non programmable amène à deux réflexions. Par rapport à l'action éducative, cela veut dire que nous ne pouvons pas décréter, décider, opérer de l’extérieur ce type de changement à un moment donné et choisi. Nous pouvons tout au plus le préparer. Ce qui est imprévisible n'est pas pour autant improbable, bien au contraire même. E. MORIN, dans Pour sortir du XXe siècle le fait remarquer. Dans les sciences humaines que sont l’économie, la sociologie, c'est bien souvent l’imprévisible qui s'est produit : l’imprévisible est souvent le plus probable. Les experts qui prolongent les courbes statistiques restent eux-mêmes enfermés dans des postulats implicites qu'ils ignorent autant que les non-experts. De ce fait, ils ne peuvent prévoir les sauts logiques inhérents aux changements de type 2 qui viennent briser les prolongations de courbes, les prévisions. L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare. Ce qui est vrai pour l'histoire collective l'est tout autant pour l'histoire individuelle.

1.1.1 Changements et choix Choisir c'est changer : changer quelque chose dans notre environnement et, au-delà, changer la relation entre nous et notre environnement, que le choix fait soit voulu ou contraint, que le moment du choix soit imposé par des nécessités intérieures, personnelles, ou qu'il soit imposé par le milieu. Si nous convenons que le développement individuel est largement dépendant des interactions que l'individu entretient avec son environnement, nous conviendrons que changer celui-ci c'est aussi nous changer nousmême. Interaction signifie qu'un changement d'environnement induit potentiellement un changement personnel, lequel, par rétroaction, amène l'individu à des choix nouveaux qui vont modifier en retour son environnement. Il s'agit donc d'un mouvement continu d'ajustements « cybernétiques » d'adaptation. Adaptation n’étant pas à prendre dans un sens restrictif, c’est-à-dire se couler dans un moule sans possibilité de modifier le moule. Bien sûr personne n'a la possibilité de choisir et de changer idéalement son environnement. Des contraintes s'imposent, plus ou moins fortes selon les individus, les types de choix, le milieu. Il est bien rare, cependant, que toute liberté, toute marge de manoeuvre soit totalement absente. Choisir se fait en tenant compte de qui nous sommes. Mais une fois le choix arrêté, les changements qu'il produit dans l'environnement personnel induisent en retour un changement de système de valeurs personnelles. La distinction entre changement de type 1 et changement de type 2 prend alors toute sa portée : si les choix d'un individu le conduisent à des changements de type 1 dans son environnement, cela induira chez lui des changements du même type qui ne bouleverseront pas son système de valeurs et ses représentations de la réalité. Ses comportements, bien que différents parce que la situation a changé, resteront dans le même registre, appartiendront à un même ensemble fondé sur les mêmes postulats qui sous-tendent ses représentations. En revanche, si les choix de l'individu le conduisent à des changements de type 2 dans son environnement, cela peut potentiellement induire pour lui-même des changements du même type. La personne, par son choix, se place dans une situation comparable à celle du problème des neuf points. GUIDE/Génération Lycée

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Ces différentes manières de réagir à la situation demeureront source d’inefficacité, d'insatisfaction et d’échec tant qu'elles appartiendront à un même registre, tant qu'elles ne remettront pas en cause les postulats qui fondent sa représentation de la réalité. Le problème, c'est de n’être jamais sûr à l'avance qu'un choix conduise à des changements de type 1 ou de type 2, du fait même du caractère imprévisible et non programmable de ces derniers. Faire un choix comporte toujours un risque ou une chance de changement de type 2 : un risque parce que ce n’était peut-être ni l'intention ni le désir de la personne de provoquer ce type de changement, mais une chance aussi quand la personne ressentait le désir ou la nécessité de sortir d'une situation inconfortable, d'un mode de relation à son environnement qui s’avérait source de difficultés, d’échecs, témoignant d'un système de valeurs personnel, d'une représentation inadéquate de la réalité de l'environnement et de lui-même. Les sauts dans l'inconnu inhérents aux changements de type 2 provoquent souvent des sentiments ambigus d'attirance et de fascination en même temps que de crainte et de peur s'accompagnant de réactions de résistance et de rejet. Chacun se trouve toujours pris, et plus particulièrement à certains moments de son existence et dans certains domaines de sa vie (sociale, affective, professionnelle) entre le besoin ou le désir de stabilité, de sécurité, de permanence et le besoin ou le désir de mouvement, ce qui comme la marche, ne peut se réaliser que par succession de déséquilibres. Mais la marche de la vie se fait sur un terrain dont nous ne connaissons pas toujours les qualités et les accidents. Notre acuité « visuelle » ne nous permet pas toujours de les voir et de les anticiper. L'horizon reste flou, le sol mouvant ou marécageux. Dans ces circonstances, répugnant à s'aventurer à l'aveuglette, chacun tente d'anticiper le chemin, ou, en d'autres mots, de faire un projet.

1.1.2 Changements et projet Le projet est à la mode, mais n'est-il qu'une mode ? « Quel est votre projet ? » « Avez-vous un projet ? » Que nous soyons adulte, bénéficiaire du revenu minimum d'insertion, salarié à la recherche d'une promotion ou d'une reconversion, chômeur à la recherche d'un emploi, élève de collège, lycéen, étudiant en instance d'orientation scolaire ou professionnelle, ou encore jeune sorti du système scolaire en quête d'une insertion dans le cadre du crédit de formation individualisé, ces questions nous sont posées. Elles nous sont également posées si nous sommes responsable d'un organisme, d'un service, d'un établissement ou d'une entreprise et que nous sollicitons une aide ou des moyens supplémentaires pour développer la structure dont nous avons la charge. Le projet est devenu un maître-mot : il a pénétré tous les milieux et secteurs d’activités, jusque, et y compris, les circulaires et les décrets ou les lois des administrations publiques. L'Education Nationale déclare faire du projet personnel de l’élève le centre de ses préoccupations, incite les collèges, les lycées à élaborer des projets d’établissement et lance des actions de formation pour ses cadres afin de les préparer à cette élaboration. « Avez-vous un projet ? » « Quel est votre projet ? » Si nous ne parvenons pas à répondre, comme il est attendu, à ces questions, une aide, une formation nous sera proposée. Indirectement, ne pas avoir de projet constitue une lacune que nous serons mis en demeure de combler. Pourquoi cet engouement pour le projet ? Cette notion se développe alors même que se répand le discours sur l'incertitude du lendemain, alors que la société ne semble plus capable de proposer un projet collectif auquel chacun puisse se référer. La mouvance de l'environnement économique qu'engendre le rythme accéléré des mutations technologiques et sociales fait naître, évoluer et disparaître des activités professionnelles. Les métiers et professions se diversifient, se multiplient, se restructurent, se transforment de manière de plus en plus imprévisible. Dans ce contexte, il peut paraître paradoxal, en première analyse, de réclamer à chacun d'avoir un projet tout en lui disant que demain est incertain et devient plus que jamais imprévisible. Comment avoir un projet dans un monde où le flou, l’indéterminé, l'incertain s'accroissent ? C'est justement parce que l'horizon devient plus flou, le sol plus mouvant, qu'il s'impose à chacun de mieux anticiper son chemin, c'est-à-dire de faire un projet. Mais il reste bien sûr à savoir comment le faire dans ces circonstances. Si le projet est à la mode, il n'est pas forcément nouveau. Les générations précédentes ont fait des projets. Quand il s'agissait de leur avenir, les jeunes d'hier s'entendaient poser la question : « Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? ». Maintenant, c'est : « Quel est ton projet ? » qui est une autre manière de poser la même question. En somme, il s'agit d'un changement de type 1 dans la manière de questionner qui induit un changement du même type dans la manière de répondre. Mais si le contexte, l'environnement social et économique a subi un changement de type 2, cela impose de revoir, au-delà du vocabulaire à la mode, la manière de faire des projets. Comme une réaction en chaîne, cela impose à ceux qui ont la charge et la responsabilité d'aider à l’élaboration de projets, d’opérer eux-mêmes des changements de type 2 quant à leur manière d'intervenir, de jouer leur rôle, d'assurer leur fonction. GUIDE/Génération Lycée

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En proposant une action éducative par l'animation de séquences s'appuyant sur l'outil pédagogique Génération Lycée, notre espoir est d’opérer un changement de type 2. Mais plutôt que de l'affirmer, nous voudrions le montrer. Pour cela, il nous faut revenir en amont et essayer de repérer les changements de type 2 qui modifient les conditions de l'orientation dans le contexte et l'environnement social et économique.

1.2

CHANGEMENTS DU CONTEXTE

Depuis l'aube de l'humanité, l'homme et son environnement vivent des changements. Le discours actuel sur les changements et sur les mutations sociales et technologiques accélérées n'est pas nouveau. De la maîtrise du feu à celle de l’énergie nucléaire, l'humanité a vécu de multiples changements introduits par les inventions techniques. Le rythme des changements s'est constamment accéléré. Entre l'innovation, la réalisation du premier prototype, l'industrialisation, la mise en marche et la conquête du marché, puis l'apparition de nouvelles techniques plus performantes se substituant à la précédente, le temps s'est considérablement raccourci au cours des siècles, jusqu’à franchir des seuils et produire des effets nouveaux, en particulier sur les systèmes de production. Il arrive, en effet, que la même chose produise toujours plus autre chose. Ainsi, la durée de vie des technologies de production s'est continuellement réduite pour s'abaisser au-dessous d'un seuil critique au cours de ce siècle, et ce, dans la plupart des secteurs d’activités. Elle est désormais inférieure à la durée de vie active d'un professionnel (environ 35 à 40 ans). Ce franchissement de seuil généralisé à tous les secteurs d’activités a eu pour effet de provoquer des changements de type 2 dans plusieurs domaines, en particulier pour ce qui nous intéresse dans les métiers, la formation, et par voie de conséquence, l'orientation.

1.2.1 Changements des métiers Un changement de technologie dans le système de production a bien sûr des incidences sur l'organisation du travail et le contenu des activités professionnelles. Quand les changements de technologie sont de type 1, ils induisent des changements qui sont le plus souvent du même type dans les métiers. Lorsque les changements sont de type 2, ils provoquent dans l'organisation du travail et des métiers des changements de type 2. L'invention de Gutenberg fit, en son temps, disparaître certains métiers et en fit naître d'autres. Mais la vague de modernisation de l'imprimerie qu'elle engendra, pour rapide qu'elle fut à l’époque, ne toucha que lentement, à l’échelle humaine, les ateliers de fabrication. Inventées en 1436, les premières imprimeries de type Gutenberg ne s’installèrent qu'en 1470 à Paris et mirent un demi-siècle pour se répandre en Europe. De plus cette technologie spécifique à l'industrie du livre n'affecta pas les autres secteurs d’activités. Il en fut déjà autrement pour la machine à vapeur, par exemple. Mise au point en 1765 par Watt, elle se répandit plus vite et toucha un grand nombre de secteurs d’activités : filatures, mines, forges etc. jusqu'aux transports à partir de 1830. Mais les technologies qui se substituèrent à la machine à vapeur (le moteur à explosion et la force électrique) n’apparurent qu'un bon siècle plus tard et en mirent un de plus pour s'imposer dans tous les secteurs. En revanche, les nouvelles technologies s'appuyant sur l’électronique ont, en un quart de siècle, bousculé tous les secteurs d’activités, produisant de multiples changements de type 2 dans l'organisation du travail et dans les activités professionnelles. Robotisation, automatisation, informatisation, partout le microprocesseur s'est glissé de l'industrie mécanique au textile en passant par la métallurgie et la chimie, et au-delà du secteur secondaire jusque dans le secteur tertiaire : bureautique, télécommunications, gestion de fichiers commerciaux, logistique, etc. Pris dans ces vagues successives, des métiers naissent, se transforment, évoluent et meurent à un rythme accéléré. Désormais, la durée de vie des métiers est inférieure à la période d’activité d'une personne. Ceci constitue une nouvelle donnée pour les générations qui arrivent sur le marché du travail. Certains métiers ne survivent pas dix ans. Prenons un exemple dans un secteur de pointe jugé plein d'avenir : l'informatique. Dans les années 1970, la première vague d'informatisation a généré une activité avec ses métiers spécifiques : la fabrication de fiches perforées qu'avalaient les ordinateurs. Ces fiches, remplacées par des bandes magnétiques, ont disparu en quelques années, tuant les métiers qu'elles avaient fait naître dix ans auparavant. GUIDE/Génération Lycée

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Le lecteur intéressé par la vie des métiers, les conditions de leur naissance, de leur évolution, de leur mort pourra approfondir ce sujet en consultant les ouvrages de G.LATREILLE5. Il y découvrira, entre autres choses. que les mutations technologiques ne sont pas les seules explications à la naissance, à l’évolution et à la mort des métiers. Les organisations sociales, l’évolution des rapports humains dans le système de production jouent également un rôle que la sociologue met en évidence. La cadence accélérée des changements de type 2 affectant les métiers ont conduit inéluctablement à des changements de ce type dans les systèmes de formation.

1.2.2 Changements et formation Lorsque les métiers avaient la vie longue, un grand-père pouvait transmettre ses savoirs, ses compétences professionnelles à son petitfils via son fils. A mesure que la vie des métiers s'est réduite, cette transmission ne fut plus possible que des pères (ou des pairs) aux fils. Puis, secteur professionnel par secteur professionnel, il devint même impossible aux pères (ou pairs) de transmettre eux-mêmes leurs savoirs à la génération suivante. ----------------------------------------------------------------5. LATREILLE, G. Naissance des métiers dans la France contemporaine et Les chemins de l'orientation professionnelle, Thèse d’Etat Sorbonne (1979), Presses universitaires de Lyon, 1984.

Le système de formation eut à répondre à ce premier changement de type 2 au cours du siècle, en se développant pour prendre en charge la formation professionnelle. Il le fit plus particulièrement dans notre pays à la sortie de la seconde guerre mondiale. Mais ce système de formation à peine mis en place a été confronté à un deuxième changement de type 2, né du franchissement d'un nouveau seuil quant à la durée de vie des métiers. La durée de vie réduite à moins de 35 ans de bon nombre de métiers obligent ceux qui les exercent à la reconversion, car des changements de type 2 affectent le contenu du travail et les professionnels ne peuvent plus transférer eux-mêmes leur savoir, issu de leur formation initiale, dans la nouvelle activité. A titre d'exemple, le passage à la photocomposition en imprimerie a rendu caduques les compétences des linotypistes, professionnels hautement qualifiés, clef de voûte de l'ancien procédé de fabrication. Les premières lois sur la formation permanente du 16 juillet 1971 sont une des premières réponses du système de formation à ce changement. Depuis lors, l'extension du marché de la formation continue confirme l'importance des besoins qu'il fit naître : les budgets consacrés par l'Etat, les régions et les entreprises à la formation permanente ont crû de façon considérable en vingt ans. Mais le système de formation initiale s'est lui-même trouvé confronté à ce changement de type 2. Les multiples réformes dont il a été l'objet ont souvent pu être considérées comme des changements de type 1 ne répondant pas aux problèmes soulevés. Ceci a pu faire dire d'une réforme à l'autre : « Plus ça change et plus c'est la même chose ». Le système de formation initiale s'est, en fait, trouvé coincé entre deux impératifs, qui, dans la logique qui le fonde, apparaissent incompatibles : former des professionnels suffisamment pointus pour répondre aux spécificités des activités professionnelles nouvelles, mais aussi assez polyvalents pour qu'ils puissent suivre les évolutions potentielles de leur métier. Former des spécialistes polyvalents, voilà qui ressemble fort, analogiquement, au problème des neuf points. Une autre donnée complique encore le problème quand il s'agit de formation professionnelle : la nécessité, pour former, de posséder les personnels et les matériels adéquats. Pour ce faire, les innovations technologiques devraient pénétrer les lieux de formation aussi rapidement que les lieux de production, et même avant, afin d'avoir le temps de former les formateurs eux-mêmes. Cela suppose des budgets importants pour faire évoluer à un rythme accéléré le parc des machines du système de formation et les compétences des formateurs. Dans l'industrie, une machine installée doit être amortie en cinq ans. Dans le système de formation, ce rythme est difficile à suivre. Autrefois, quand une machine était changée dans une industrie, celle qui la remplaçait ne constituait souvent qu'un changement de type 1 par rapport à la précédente. Aujourd'hui, c'est de plus en plus un changement de type 2 qui s’opère. Prenons un exemple. Quand un établissement de formation professionnelle de la mécanique était doté, dans les années 1950 d’une machine-outil (ex. : un tour), celle-ci pouvait, pendant de longues années, rester un outil de formation convenable. De nos jours, un tel investissement peut être dépassé en quelques années.

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Les temps de réponse du système de formation initiale, même compressés, deviennent excessifs. L'exemple des premières formations de techniciens supérieurs en informatique l'illustre. Lorsque vers la fin des années 1960 se firent sentir des besoins de formation dans ce secteur, une réponse du système fut la mise en place de formations de niveau bac + 2 (D.U.T.). Mais il fallut cinq ans pour recruter des formateurs, construire et équiper des lieux de formation, puis recruter des jeunes et les former. Quand les premiers diplômés arrivèrent sur le marché de l'emploi, ils eurent à surmonter deux handicaps : premièrement, ne pouvant attendre, les entreprises, par le système de formation interne, avait doublé le système de formation initiale ; deuxièmement, les technologies avaient déjà évolué au point de dévaloriser les jeunes sortis du système initial. Le phénomène ne peut que s'amplifier avec l'accélération du renouvellement des technologies. Dans un article récent du journal Libération intitulé Recherche homme orchestre multimedia, nous pouvons lire : « Beaucoup d'entreprises multimédias sont à la recherche de moutons à cinq pattes. Des concepteurs de sites qui soient informaticiens, mais aussi créateurs. Des concepteurs d'applications ou des gestionnaires très pointus de base de données qui soient aussi rédacteurs, maquettistes et si possible graphistes de talent. » Former des spécialistes polyvalents dans ces conditions peut paraître insoluble. Comme pour le problème des neuf points, il semble bien que le système de formation ait opéré, par ses différentes réformes, des changements de type 1 restant inscrits dans une sorte de carré. Dans cette situation, la réaction est identique de la part des acteurs concernés : élus, responsables d'entreprises, enseignants, parents... Ils ont tendance à contester les données du problème, se renvoyant l'accusation d’être responsables d'introduire l'une ou l'autre des données contraignantes. Pour les uns, le système est trop centralisé, pour les autres c'est la formation de base qui est en cause, du primaire au lycée, en passant par le collège. D'autres encore contestent la place de la formation professionnelle au sein de l’Education Nationale, la formation des enseignants ou les exigences des entreprises. Autre changement préconisé : le développement de la formation par alternance qui conduit à donner un rôle à l'entreprise dans la formation professionnelle initiale. Mais, si ce changement semble résoudre en partie les problèmes de l'investissement matériel, il ne résout pas le problème humain qui consiste à trouver des formateurs compétents, dans l'entreprise notamment. Les problèmes de développement et de valorisation des ressources humaines sont justement ceux qui sont les plus difficiles à traiter dès que s’opère un changement de type 2 d'ordre technologique dans l'entreprise. On peut bien former des jeunes dans l'entreprise avec un « linotypiste », mais quand celui-ci sera mis hors-jeu par une nouvelle technologie, le jeune qu'il aura formé le sera tout autant. L'entreprise qui devra recruter de nouveaux professionnels et souvent les former à la nouvelle technologie pourra difficilement, dans le même temps, en faire des formateurs. L'alternance peut-elle, dans ces conditions, être un changement de type 2 ? Ce n'est pas sûr. Il faudrait sans doute qu'elle accompagne d'autres changements de ce type dans l'entreprise et dans le système de formation. Faire que les entreprises se considèrent et deviennent des lieux de formation serait un changement de type 2. Cela n'est pas simple à réaliser, car l'investissement d'une entreprise dans la formation initiale a un coût. Les retours de ce type d'investissement sont longs et leur amortissement incertain pour l'entreprise qui les a engagés. Certaines qui tentent de jouer le jeu se plaignent de travailler pour d'autres, qui, en récupérant les jeunes formés, récupèrent leurs investissements. La solidarité par la mutualisation de l'effort de formation paraît un passage obligé, mais constitue lui-même un changement de type 2. L’Etat a d'ailleurs tenté de l'imposer pour la formation permanente par la création des Fonds d'Assurance Formation financés par des prélèvements obligatoires sur la masse salariale. Pour le système de formation initiale, accepter de concevoir la formation professionnelle qu'il dispense en complémentarité et partenariat avec l'entreprise, oblige, sans doute, à des changements de type 2, pas seulement mais aussi au niveau des mentalités, si on en juge par les résistances internes. Un autre changement de type 2 d'ordre pédagogique est parfois préconisé. Il ne s'agirait plus seulement d'apprendre, mais d'apprendre à apprendre pour développer les qualités et les capacités d’adaptabilité des jeunes. Ceci permettrait d'en faire des spécialistes potentiellement polyvalents (ou préparés à la polyvalence), et donc capables de suivre les évolutions de leur future profession. Ce changement est séduisant, mais sait-on le réaliser concrètement ? Il suppose d'autres changements dans l'acte éducatif et dans la conception des formations. Le concept d’éducabilité et ses applications dans le domaine des apprentissages est une piste déjà explorée qui peut conduire à des changements de type 2 sur le plan des méthodes pédagogiques. L'espace offert par les modules, en lycée, pour le travail sur les méthodes d'apprentissage représente une opportunité. L'alternance peut induire des changements de type 2 sur le plan pédagogique en touchant, entre autres, un aspect de l'apprentissage qui est celui de l’expérience. Enseigner, c'est souvent anticiper sur des besoins de savoir, savoir-faire, savoir-être non encore ressentis par la personne en formation. Ces besoins naissent de l’expérience personnelle. Si l'acte éducatif anticipe ces besoins sans proposer GUIDE/Génération Lycée

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d’expériences analogiquement comparables à celles qui peuvent les faire naître, et s'il en prive ainsi le formé, celui-ci sera exposé à bien des problèmes pour réaliser ses apprentissages. Ses capacités ne sont plus, dès lors, en jeu. C'est sa motivation, son anticipation sur le profit qu'il peut tirer de ses apprentissages qui sont en cause. L’expérience de l’adaptabilité devient un passage obligé si nous avons pour objectif de la développer. P. MEIRIEU a coutume de dire que ce n'est pas parce que les apprentissages proposés sont trop difficiles que de nombreux élèves échouent, c'est plutôt parce qu'ils leur paraissent absurdes. Ne pas priver celui qui apprend de l’expérience, en prenant le « raccourci » de l'acte pédagogique, faire vivre et traiter l’expérience, et particulièrement celle liée à l’adaptabilité est sans doute une piste. C'est, avec le concept d’éducabilité, l'une des pistes suivies et préconisées dans l'animation des séquences pédagogiques proposées à l’élève dans Génération Lycée. Un autre changement est également proposé pour sortir du problème des neuf points que constitue la formation de spécialistes polyvalents. Il s'agit d'un changement dans l'orientation. Cette proposition n'est pas nouvelle, et représente souvent une tentative de contester les données du problème. Vouloir résoudre par l'orientation les problèmes posés à la formation est une échappée bien tentante. Le raisonnement tenu est simple. Si nous ne parvenons pas, au terme d'une formation, à obtenir des formés les qualités espérées, c'est qu'ils ne sont pas, dès l’entrée en formation, ceux que nous attendons (estimant que la pédagogie a ses limites et ne peut être tenue à l'impossible). Raisonner ainsi met en cause le recrutement et, au-delà, l'orientation, quel que soit le mode à partir duquel s’opère la sélection des candidats. Pour ne pas être toujours sans fondements, ce raisonnement n'est pas systématiquement vrai. Il constitue parfois une espèce de « défausse » de la formation sur l'orientation. Dans certains cas limites, des formateurs réclament chez les candidats, dès l’entrée en formation, les qualités attendues à sa sortie. Cela, bien sûr, garantit le succès, rend l'acte éducatif confortable, mais reporte en amont les problèmes de formation à ces qualités. Faut-il organiser la formation en fonction du candidat idéal ou en fonction des candidats réels? Certes, dès qu'une formation subit une forte demande l'espoir est de pouvoir, par une sélection appropriée, trier les bons candidats. Mais cette démarche n'est plus possible dès que le nombre de candidats est insuffisant. Il arrive que même dans les cas d'une forte pression de candidatures, il ne soit pas possible de déceler les bons : les outils d’évaluation et de bilan n'ont pas toujours les performances attendues. Quand il s'agit de connaissances, de savoirs, l’évaluation, tout en restant délicate, est généralement assez performante, mieux maîtrisée que lorsqu'il s'agit d'aptitudes, de savoir-faire. Dès qu'il s'agit de savoirêtre, de motivation, d’intérêt, elle devient très délicate et peu prédictive. Par exemple, les méthodes d'apprentissage, l'aptitude à apprendre, qu'il est si difficile de développer par l'acte éducatif, sont justement et corrélativement celles qui sont les plus ardues à évaluer. Il existe un lien étroit entre maîtrise de la transmission des savoirs et maîtrise de l’évaluation de ces savoirs. Il a été question de l’adaptabilité et des problèmes que cela pose à la pédagogie. Le même problème se présente quand il s'agit d'évaluer. Nous ne savons guère évaluer l’adaptabilité, nous en constatons les insuffisances en situation, ce qui est différent et souvent trop tardif. La démarche qui consiste à faire précéder la formation d'un bilan, d'une évaluation, s'est développée dans la dernière décennie. Par exemple l’évaluation au CE2, en 6e et en seconde avec la réforme du second cycle. Les objectifs de ces évaluations diffèrent de celles réalisées pour sélectionner des candidats. Il ne s'agit pas là de trier les bons, mais de faire une sorte d’état des lieux pour mieux connaître les capacités d'apprentissage de ceux qui sont déjà sélectionnés afin d'adapter la formation à la réalité des formés. Il s'agit de les prendre tels qu'ils sont plutôt que tels que nous voudrions qu'ils soient. Si l'objectif est relativement nouveau, les outils et démarches d’évaluation utilisés ne le sont guère : ils dérivent encore beaucoup de ceux et celles utilisés pour la sélection et l'orientation. La pratique systématique des bilans dans le dispositif jeunes piloté par la formation professionnelle l'a bien mis en évidence. Les outils utilisés dérivant largement de ceux conçus pour la sélection n'ont guère permis d'atteindre les objectifs affichés. Pour que la démarche d’évaluation en début de formation ait des chances d’être pertinente, il serait nécessaire de penser de nouveaux outils rompant avec la politique de sélection, et permettant d’évaluer davantage et mieux les savoir-faire et savoir-être que les connaissances. Il serait profitable d’évaluer davantage les méthodes de travail par rapport à un problème que le degré d'efficience, davantage les qualités d’adaptabilité que le degré d'adaptation à une situation ponctuelle. Une démarche d’évaluation avant formation permet d’échapper au schème simpliste et tentant qui conduit à un discours à sens unique, par exemple quand les enseignants de seconde s'adressant à ceux de troisième leur disant « Voilà les élèves qu'il nous faut », rendant l'orientation responsable, par avance, des échecs futurs. C'est ainsi qu’à chaque niveau de formation le constat suivant ressort : l'orientation est mal faite. Le constat n'est pas sans fondement et il est évident que l'orientation doit changer. Il serait cependant GUIDE/Génération Lycée

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utopique de tout attendre de l'orientation. La formation se priverait ainsi des nécessaires avancées qu'elle doit faire pour prendre ellemême en charge les élèves tels qu'ils sont. Il reste que si l'orientation ne peut être tenue pour responsable de tous les échecs de la formation, elle ne peut écarter sa part de responsabilité. Dans ces conditions, elle doit, elle aussi, opérer des changements de type 2.

1.3

CHANGEMENTS ET ORIENTATION

Il sera question des changements conceptuels et méthodologiques de l'orientation. L'orientation se trouve également devant un problème à neuf points : il faudrait que les jeunes choisissent des formations qui conviennent à la fois au système de formation, aux besoins du pays, à leurs attentes et à leurs capacités ; condition de leur réussite. De plus, chacun voudrait que les jeunes prennent en charge leur orientation, qu'ils en aient la responsabilité. Mais, sur ce dernier point, les différents acteurs de l'orientation sont-ils bien d'accord dans les faits, une fois passées les déclarations d'intention ? Jeunes, parents, professeurs, conseillers d'orientation et, au-delà, l'institution éducative ne sont pas nécessairement sur la même longueur d'onde. Quel degré d'autonomie laisser au sujet qui s'oriente ? Quelle responsabilité peut-il et souhaite-t-il assumer lui-même ? Cela est vraisemblablement variable, selon l'âge, l'histoire individuelle, les circonstances, le contexte. L'autonomie et la responsabilité ne se décrètent pas, et elles se prennent plutôt qu'elles ne s'octroient. L'apprentissage des élèves est un objectif que la communauté éducative déclare se donner et que l'institution affiche, notamment à travers la démarche de projet personnel. Cet objectif n'est toutefois pas nouveau, et l'afficher une nouvelle fois dans le cadre de la démarche de projet ne constitue pas en soi un changement de type 2. Ce n'est qu'une autre manière de se fixer le même objectif. La nouveauté provient du contexte actuel de l'orientation. A partir des changements de l'environnement social, économique et du système de formation précédemment repérés, les constats suivants peuvent être faits : – L'orientation ne peut plus être considérée comme ponctuelle, comme le choix, fait une fois pour toutes, d'un métier. Choisir un métier pour la vie était largement présent dans l'esprit des générations précédentes, mais ne peut plus être un objectif du fait de l’évolution des métiers. Même lorsqu'ils gardent les mêmes appellations, la même étiquette, leur contenu professionnel opère des changements de type 2 de plus en plus fréquents. – Naguère, les choix d'orientation étaient, pour la majorité des personnes, limités en nombre, bien définis, clairs. Que le lecteur se pose la question pour lui-même et surtout pour ses parents et grands-parents : quels ont été leurs choix ? Comment les ont-ils faits ? Lorsque cette question est posée à un groupe en formation, des remarques du type : « C’était ou ça, ou ça. » reviennent souvent. Par exemple pour un fils de paysan, le choix était simple : ou reprendre la ferme, ou aller travailler à l'usine. Même limités, bien définis et clairs, les choix n’étaient pas plus faciles. Ils étaient souvent douloureux quand ils marquaient des ruptures avec l'environnement, la culture et la tradition familiale. De nos jours, l’éventail des choix apparaît à chacun plus large mais également beaucoup plus flou et incertain. – La transmission du savoir professionnel des pères (pairs) aux fils n'est plus possible. Le rythme accéléré des changements de type 2 dans le domaine professionnel rend cette démarche impossible. Ceci impose de nouvelles exigences à la formation. Pareillement, il était auparavant possible pour les pères (ou les pairs) de transmettre leur expérience en matière d'orientation et d'insertion professionnelle. Les réseaux d'information et de relations dont ils avaient eux-mêmes usé restaient en place et pertinents pour leurs fils. Leur expérience d’entrée dans la vie adulte et en particulier dans la vie professionnelle était transmissible. Il n'en est plus de même de nos jours. Ces réseaux se transforment eux-mêmes à un rythme accéléré. Le désir de transmettre l’expérience reste cependant toujours présent. Voici un récit qui démontre très bien l'importance de ce point: « Conseiller d'orientation en Savoie au début des années 1980, je fus surpris de constater qu'un grand nombre de jeunes issus de certains villages de montagne ne rejoignaient pas la classe de 6e de leur collège : beaucoup étaient inscrits au CNED (Centre national d'enseignement à distance), arguant des problèmes de santé. Etait-ce à cause de l’éloignement ? Non, car cela touchait certains villages pas forcément éloignés du collège. Il y avait un point commun entre les villages concernés : ils avaient bénéficié d'un développement touristique lié à la pratique du ski (« l'or blanc ») dès les années 1950. Ce développement avait permis aux enfants du pays de devenir moniteurs de ski, hôteliers, restaurateurs, sans passer par le collège. De même, il avait été constaté qu'un lien existait GUIDE/Génération Lycée

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entre la poursuite d’études et le départ définitif du pays, ce dernier n'offrant pas les possibilités d'intégrer le marché du travail en exploitant les qualifications acquises. De là à penser que pour vivre et travailler au pays* il fallait suivre la voie des aînés, il n'y avait qu'un pas que beaucoup ont franchi. Mais ce qui était possible dans les années 1950 et 1960 ne l’était plus dans les années 1980. Le développement touristique et les différents « plan-neige » avaient changé les données. Désormais, pour devenir moniteur de ski il ne suffisait plus d’être né sur des planches au bas des champs de neige. Les épreuves théoriques du monitorat de ski, le développement de la pratique et de l'enseignement du ski ont fait que les jeunes des centres urbains sont devenus de sérieux concurrents capables de « faucher la place » aux enfants du pays, lesquels se virent contraints de limiter leurs ambitions à devenir pisteurs ou perchmans. Pour l’hôtellerie, le phénomène fut du même ordre : l’arrivée d'une clientèle plus nombreuse transforma l'accueil et l’hébergement touristique : centres de vacances gérés par des associations de tourisme populaire pour les moins fortunés, hôtellerie de standing pour la clientèle aisée et étrangère avec l’arrivée des chaînes hôtelières nationales ou internationales. Dans les deux cas, le type de professionnel recherché a eu tendance à écarter les jeunes du pays, notamment des emplois de qualification supérieure. La nécessité de posséder des connaissances en gestion, économat, commerce, animation, langues étrangères rendit de plus en plus difficile l'embauche des jeunes de la place. L'entreprise hôtelière familiale, fragilisée par la restructuration de l'industrie touristique, devint plus difficilement transmissible. Des changements de type 2 étaient apparus dans le développement touristique et rendaient impossible ce qui avait été réalisé 25 ans plus tôt. Mais ceci n'avait pas été perçu et pris en compte par les pères : non seulement leur propre expérience n’était plus pertinente dans ce nouveau contexte, mais elle constituait même un frein, un handicap. » Ce phénomène, assez facilement repérable dans le microcosme du village de montagne, semble généralisable à d'autres tissus et réseaux socio-économiques plus diffus dans l'espace géographique, mais tout aussi présents. Leur évolution et leur transformation sont sans doute moins faciles à repérer pour leurs membres du fait même de cette diffusion. Cela accroît les risques de décalage entre la réalité présente et les représentations issues de l’expérience passée des pères et que ceux-ci continuent de véhiculer (ne serait-ce que par souci légitime de faire valoir leur propre expérience). Ces décalages sont notamment perceptibles au moment des rencontres entre jeunes et professionnels (type Forum des Métiers). Ce que les professionnels disent parfois des conditions d’accès à leur métier s'appuie sur leur expérience passée. Les conseils qu'ils donnent se réfèrent à des réalités qui ont parfois disparu, en particulier quand il s'agit du système de formation. Chacun ayant connu ce système en tant qu’élève a tendance à estimer le connaître encore et raisonne alors à partir de réalités qui n'ont plus cours. * « Travailler et vivre au pays » une formule très en vogue dans les années 1970. Ce point explique la forte progression des besoins d'aide à l'orientation. Ce que le milieu familial, le tissu local, les réseaux socioprofessionnels ne peuvent plus assurer seuls demande un accompagnement de plus en plus professionnalisé. La façon dont l'accompagnement est assuré actuellement fait l'objet de critiques : les services d'orientation et les procédures d'orientation sont souvent mis en cause. L'attitude déjà décrite devant l'inefficacité des changements de type 1 n'est-elle pas là aussi présente ? Les données du problème ne sont-elles pas remises en causes parce que nous ne savons pas le traiter en opérant un changement de type 2 ? Il est possible que des modifications des services d'orientation et des procédures puissent favoriser l'émergence de changements de type 2 dans la manière d'accompagner professionnellement l'orientation. Il ne s'agit pas de préconiser tel ou tel changement d'ordre institutionnel concernant l'orientation, ses services et les procédures. Il s'agit simplement de souligner le fait que l'orientation ne peut pas être l'affaire d'un seul spécialiste, et, à l'intérieur de l'institution, celle d'un seul service. L'orientation ne peut être traitée hors du contexte, de l'environnement familial, social, éducatif, économique et suppose donc le concours de plusieurs acteurs, même si le rôle de l'acteur principal est attribué à l'élève. Il ne faut pas confondre orientation et services d'orientation, ni fonction orientation d'un établissement de formation et fonction d'un conseiller d'orientation. Si l'orientation réclame la présence de professionnels spécialistes, elle ne peut reposer sur eux seuls. C'est ainsi qu'un formateur ne peut se désintéresser des finalités de la formation à laquelle il contribue avec d'autres. Par voie de conséquence, il se voit engagé dans la question de l'orientation, et pas seulement sous son angle scolaire. Ceux qui partagent la fonction orientation doivent disposer d'une culture commune et de plus en plus professionnelle. Celle-ci leur permet d'assurer la fonction de manière plus cohérente et plus efficace. Les spécialistes de cette question doivent aujourd'hui travailler à une culture de l'orientation. C'est le but poursuivi dans la rédaction de ce guide. Quelles que soient les réformes préconisées, l'orientation doit être (ou s'affirmer) une question transversale, intégrative des différents savoirs et expériences d'une personne. Par nature interdisciplinaire, l'orientation ne peut jamais être réduite à un espace, un temps, un lieu, une compétence. Tous les changements institutionnels qui favoriseront de telles conditions d'interdisciplinarité iront dans le bon GUIDE/Génération Lycée

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sens. Ils ne produiront, cependant, tous leurs effets positifs que si un changement de type 2 s'opère sur le plan des concepts et des pratiques d'orientation. Ce changement consiste à passer de l'objectif « d'orienter » à celui « d'apprendre à s'orienter ». Il y a ici analogie avec le changement de type 2 dont il a été question pour la formation : passer « d'apprendre » à « apprendre à apprendre ». Passer « d'orienter » à « apprendre à s'orienter » est du même ordre, s'appuie sur le même postulat d'éducabilité et repose sur la même nécessité de prendre en compte l'expérience personnelle du sujet dans l'acte pédagogique.

1.3.1 D' « orienter » à « apprendre à s'orienter » Les besoins d'une aide professionnelle à l'orientation sont nés et se sont développés au cours du présent siècle, donnant naissance à des services spécialisés* et à une activité professionnelle nouvelle : le conseil en orientation. Jusqu'au milieu du siècle, les méthodologies d'orientation répondaient à l'objectif d'orienter. Elles étaient appuyées sur trois piliers : l'information, l'évaluation, le conseil. – L'information, parce qu'orienter suppose posséder de l'information sur l'environnement économique, les professions, les filières d'accès à ces professions et donc les systèmes de formation. – L'évaluation, car orienter suppose de connaître les capacités, les qualités, les centres d'intérêt et les motivations du sujet. Il s'agit de faire une sorte de diagnostic pour rapprocher les caractéristiques du sujet de profils de postes, de formations ou d'emplois afin de réaliser un appariement et, au-delà, un placement ayant un bon pronostic de réussite. Le développement de la méthode des tests au cours de ce siècle a eu pour ambition de permettre à un professionnel expert de tirer du sujet une connaissance de lui-même inaccessible à celui-ci. – Le conseil, parce que le professionnel de l'orientation, dans sa démarche d'expert, essaie, à partir de son diagnostic-pronostic de préconiser une solution. Il utilise alors les informations qu'il possède sur le milieu et la connaissance qu'il a tirée de la personne pour tenter de « vendre » sa solution : convaincre, persuader, argumenter, raisonner (dans la mesure où il n'a pas le pouvoir de décider et d'imposer sa solution). La solution proposée est le plus souvent celle qui, d'après le pronostic, offre la plus grande probabilité statistique de réussite. Cette méthodologie de l'orientation avait ses limites, même dans le contexte du début du siècle. Elle a pu être jugée suffisamment pertinente et efficace notamment dans certains secteurs d'activité où les définitions de postes de travail étaient assez faciles à établir, surtout quand il s'agit de savoir et de savoir-faire. C'était essentiellement le cas dans les secteurs où l'organisation taylorienne du travail s'est imposée. Cette méthodologie a pu être jugée légitime tant que l'orientation a été pensée comme un acte ponctuel, voire unique, considérant que le choix d'un métier se faisait une fois pour toutes. Cependant, dès les années 1950, cette vision de l'orientation a été remise en cause, par D. SUPER6 qui introduisit le concept de développement de carrière. Peu à peu, la méthodologie « diagnostic-pronostic » perdit de sa pertinence du fait du changement du contexte dont il a été question. Ces limites devinrent des faiblesses essentielles vouant cette vision à une efficacité réduite, en dépit des efforts faits pour l'améliorer sans remettre en cause ses fondements : – toujours plus d'informations que la mise sur pied des banques de données informatisées et le développement des moyens modernes de télécommunication permettent d'espérer ; – toujours plus d'évaluation sous forme de tests que la puissance de l'ordinateur et son mythe d'infaillibilité autorisent. * Les Offices ou Bureaux d'orientation souvent créés par les chambres consulaires, transformés en Centres d'orientation scolaire et professionnelle puis en CIO pris en charge par les départements, puis par l'Etat. 6. SUPER, D. A Theory of Vocational Developpement : American Psychologist, ?X, 1953 et Vocational Developpement Theory, Persons Positions and Process : the Counseling Psychologist, ?X, 1969. Mais si l'informatisation des techniques de l'expert ont changé son travail, elle n'en a pas transformé sa logique ni sa méthodologie. Or, celle-ci est en cause pour les quatre raisons suivantes : GUIDE/Génération Lycée

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– Elle induit une prise en charge de l'orientation par l'expert. Cela peut être acceptable tant que l'orientation est un acte ponctuel ou unique. Si quelqu'un doit, une seule fois, faire un déplacement dans une ville inconnue où il pense ne jamais revenir, il peut se laisser conduire sans repérer le chemin (en prenant un taxi, par exemple). En revanche, s'il sait devoir faire et refaire le chemin (ou un autre) dans la ville, il aura à coeur de prendre lui-même ses points de repère, même s'il doit s'attendre à ce que ceux-ci changent de manière parfois imprévisibles pour lui, du fait de l'évolution du tissu urbain. – Les besoins d'orientation s'accroissant pour toucher un public de plus en plus vaste et diversifié (scolaires, adultes, salariés), les informations nécessaires à l'expert sont à la fois beaucoup plus étendues et plus fluctuantes. Les changements accélérés des systèmes de formation et surtout des activités professionnelles rendent difficilement maîtrisables par l'expert lui-même toute l'information requise, et ce, même assisté de moyens modernes. – Les évaluations, base du diagnostic, sont elles aussi de plus en plus délicates à faire en ce qu'elles doivent concerner comme il a déjà été noté : - plus de savoir-faire et surtout de savoir-être que de connaissances ; - plus de méthodes de travail ou d'apprentissage que de degrés d'efficience ; - plus de qualités d'adaptabilité que de degrés d'adaptation. De surcroît, les évaluations ne peuvent être faites une fois pour toutes, car elles sont vite dépassées et rendues caduques. Enfin, les évaluations ne permettent plus des pronostics de réussite, surtout à moyen ou long terme car ceux-ci sont basés sur des analyses statistiques établies sur des populations antérieures et posent le postulat que les conditions et contraintes du présent sont comparables à celles du passé. Cela revient en fait à tenir pour négligeables les imprévisibles changements de type 2 auxquels est et sera soumise la population actuelle par rapport à la précédente. – Le conseil, lui-même basé sur la qualité de l'information et la valeur prédictive des évaluations, devient plus délicat dès lors qu'il se centre sur la préconisation et la vente de la bonne solution, c'est-à-dire celle qui a la plus grande probabilité d'occurrence. Ces constats de faiblesse faits, il devient nécessaire de concevoir autrement la question de l'orientation. Les professionnels de l'orientation doivent opérer un changement de type 2 dans leur méthodologie, c'est-à-dire passer « d'orienter » à « apprendre à orienter ». Bien que le changement soit séduisant, encore faut-il savoir le réaliser concrètement. Depuis 15 ans, des pistes ont été explorées dans cette perspective : – Développer une pédagogie de l'information, c'est-à-dire essayer de mieux transmettre l'information, voire tenter d'apprendre à la personne à la traiter, à s'informer elle-même. – Proposer des actions qui permettent à la personne d'acquérir une meilleure connaissance d'elle-même en proposant parfois des autoévaluations. – Axer davantage l'activité de conseil sur le « comment choisir et se décider » que sur le « que choisir ». La réflexion a conduit à proposer des actions d'orientation comprenant des séances d'information (incluant des visites d'entreprises, des lieux de formation, des forums), des actions d'aide à la connaissance de soi (individuelle ou collective), et des temps consacrés au conseil personnalisé. De nombreux plans d'action construits sur ce schéma ont été imaginés et proposés notamment dans les collèges, mais aussi en d'autres lieux de formation. Les divers plans imaginés sont intimement liés à la méthodologie de l'expert synthétisée plus haut, pour ne pas dire calqués sur cette méthodologie. Ils n'ont pas toujours constitué de véritables changements de type 2 dans la manière de concevoir l'orientation et donc d'y préparer les élèves. Voici pourquoi : s'informer et se connaître ne sont pas des opérations indépendantes pouvant être conduites séparément. Elles sont au contraire interdépendantes. La manière dont chacun s'informe sur son environnement est en relation étroite avec son système de valeurs, ses représentations de la réalité du milieu et de lui-même, lesquels constituent une grille personnelle de lecture de l'environnement, un filtre sélectif. Ce filtre a d'ailleurs d'autant plus de raisons d'opérer une sélection qu'il est impossible de prétendre accéder à toute l'information sur tout. Faudrait-il connaître les 20 000 activités professionnelles répertoriées par les services de l'emploi pour faire un choix personnel ? Non, pas plus que le choix des relations privées et affectives ne peut se fonder sur la connaissance exhaustive des milliers de personnes que chacun est susceptible de rencontrer. En retour, l'action même de s'informer, GUIDE/Génération Lycée

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justement parce qu'elle sollicite et met en jeu notre système de valeurs et nos représentations permet de les repérer, d'en prendre conscience, de les évaluer, de les faire évoluer : en somme, l'action de s'informer permet de mieux se connaître. Les activités ayant pour objectif l'aide à la connaissance de soi sont souvent centrées sur des évaluations d'aptitudes, de capacités, de centres d'intérêt, de motivation faites à partir de tests et questionnaires. Ces derniers ont souvent été construits non pas pour permettre à la personne de mieux se connaître, mais pour permettre à un expert de la connaître, ce qui est bien différent. C'est pourquoi la démarche entreprise par l'expert consiste souvent à tenter de retransmettre à une personne l'information qu'il a acquise sur elle. De façon schématique, cela revient à dire au sujet : « J'ai des moyens, grâce à des outils appropriés, de vous connaître mieux que vous ne pourriez le faire vous-même directement. Je pourrai vous dire qui vous êtes et cela vous permettra de mieux vous connaître ». Les outils ont leur limite et, de plus, personne n'accepte facilement de se dévoiler, d'admettre qu'à son insu quelqu'un puisse avoir de lui une connaissance qui lui échapperait. Une telle démarche suscite donc des levées de boucliers, des attitudes de fermeture de la part du sujet, d'autant plus qu'il ne faut pas prendre pour établi que chacun veuille toujours progresser dans la connaissance de soi. Le changement fait parfois peur ou suscite tout au moins une appréhension, car pointe potentiellement un changement de type 2 susceptible de venir bousculer l'image que nous avons de nous-même. Se connaître, c'est toujours faire un pas dans notre inconnu, c'est toujours une déstabilisation aux effets imprévisibles et donc légitimement craints. Ceci nous amène à considérer qu'il est souvent préférable de renoncer à l'objectif de vouloir connaître l'autre quand nous avons pour objectif de l'aider à mieux se connaître luimême. Transférer la démarche de l'expert qui oriente, au sujet qui s'oriente, c'est vouloir le transformer en expert lui-même, en somme lui proposer d'être à la fois l'objet et le sujet de l'expertise. C'est sans doute ce point fondamental qui invalide le plus le transfert : l'oeil, qui est l'organe de la vision, ne peut pas se voir lui-même. Ainsi, la démarche du sujet qui s'oriente ne peut pas être calquée sur celle de l'expert qui oriente. Une telle démarche créerait des impasses fondamentales sur l'irrationalité, l'affectif, l'inconscient du sujet, qui a son mot à dire et le dit que nous le voulions ou non, dès que celui-ci fait des choix, un projet, s'oriente. Une démarche d'expert se veut et se doit d'être rationnelle et même s'il a la prétention de pouvoir prendre en compte l'irrationnel, l'affectif et l'inconscient du sujet, il ne pourra le faire au mieux que rationnellement. Quand il le fera parfois avec son irrationalité, son propre affectif, son propre inconscient, ce ne seront évidemment jamais ceux du sujet. Cela nous permet d'affirmer que s'orienter ne se réduit pas à conduire un raisonnement logique fondé sur des données objectives tirées de soi ou du milieu parce que nos choix ont toujours des raisons que la raison ne connaît pas et que la pire façon de laisser notre irrationnel dominer nos choix serait de vouloir l'ignorer, l'écarter d'office. Traiter l'expérience personnelle vécue est le moyen de mettre en jeu l'irrationnel inhérent à notre nature humaine, de le faire s'exprimer, s'expliciter pour le prendre en compte. Faire vivre et traiter des expériences en rapport avec l'orientation est alors une dimension essentielle, déterminante qui peut donner à une action dans ce domaine une caractéristique éducative. Ces propos peuvent être illustrés de la façon suivante : il arrive que nous nous demandions ce que nous ferions dans une situation hypothétique. Par exemple, lorsqu'un ami nous demande : « Que ferais-tu à ma place ? » ou encore en lisant un journal, regardant la télévision ou un film il arrive que nous nous demandions: « Comment aurais-je réagi ? ». Parfois, notre réponse ressemble à : « Je sais ce que je ferais si je me trouvais dans cette situation ». Et puis, les hasards de la vie nous conduisent un jour dans une situation semblable, et nous nous surprenons alors à être et à agir autrement que ce que nous avions prédit. C'est souvent parce qu'une part de nous-même, que nous écartons rationnellement dans la mesure où nous nous ne sommes pas dans la situation, s'est trouvée de facto mise en jeu au moment où nous vivions l'expérience. Nous ne comprenons pas alors notre comportement, nous avons le sentiment d'être étranger à nous-même. Traiter l'expérience, l'intégrer, devient pour nous une nécessité pour ne pas en rester à ce constat d'étrangeté. Ce que nous avons vécu et ressenti nous donne l'occasion, en l'intégrant dans l'ensemble de nos expériences passées et présentes, d'opérer un changement de représentation de nous-même, changement le plus souvent de type 2. Une personne extérieure, fût-elle experte, n'est jamais dans la situation, à la place du sujet. Elle est privée de l'expérience personnelle et du vécu et ressenti qui l'accompagnent. En résumé, apprendre à s'orienter ne peut se réduire à transmettre au sujet la démarche d'expert, apprendre à s'orienter devra proposer également des expériences à vivre et à traiter.

1.3.2 Qu'est-ce que s'orienter?

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« S'orienter, c'est trouver, créer sa vie ». C'est ainsi que G. LATREILLE définit l'action de s'orienter. Cette conception de l'orientation indique que par « orientation » nous n'entendons pas simplement le choix d'une place, d'une filière de formation (orientation scolaire), ni même le choix d'une profession (orientation professionnelle), sans intégrer ces choix dans une perspective plus large qui est d'avoir une place reconnue dans la société, autrement dit, pour employer un terme largement utilisé depuis les années 1980, être inséré socialement. Vue sous cet angle, l'orientation est une question vieille comme le monde, et chacune des organisations de la société qui se sont succédées depuis l'aube de l'humanité a proposé ou induit une manière de répondre à cette question. Avoir une place dans la société, ne pas rester hors-jeu, relève d'une double démarche : rechercher et/ou se créer sa place. Les conditions dans lesquelles chaque individu l'effectue dépendent étroitement du cadre social. Dans notre société, insertion sociale et insertion professionnelle sont intimement liées, quasi indissociables quand nous appartenons à la population potentiellement active, c'est-à-dire que nous sommes de ceux et celles qui sont en âge de travailler. Cette situation est cependant plus récente pour les femmes. Quand PASCAL écrit : « La chose la plus importante de la vie : le choix d'un métier », le pense-t-il pour les femmes également ? A n'en pas douter. De nos jours, le statut d'épouse et de mère n'apparaît plus suffisant (aux femmes les premières) pour leur assurer leur insertion sociale. Depuis les années 1970, le taux d'activité des femmes s'est considérablement accru, en dépit même de la croissance du chômage. Nous pourrions même dire parallèlement. Sur cent emplois créés dans les années 1980, soixante ont été occupés par des femmes, ce qui n'a pourtant pas suffi à satisfaire leur demande de travail encore bien plus forte et en croissance continue. Ceci s'est traduit par une élévation du taux de chômage féminin : taux de chômage qui ne s'explique donc pas uniquement à partir des choix scolaires puis professionnels des filles, lesquels demeurent toujours limités à certains secteurs et diffèrent de ceux des garçons (autant de facteurs aggravants). Jamais encore, dans notre société, l'insertion sociale n'a été aussi étroitement liée à l'insertion professionnelle que maintenant. Ne pas avoir d'activité professionnelle rémunérée dans le cadre du travail réglementé constitue, pour une personne en âge de travailler (un actif au sens de l'INSEE) un handicap majeur pour son insertion sociale. Ce n'est pas un fait nouveau, mais maintenant plus massif. Quand le taux de chômage passe la barre des 10 %, il atteint un seuil révélateur du phénomène qui pose à toute la société des questions sur la valeur qu'elle attribue au statut professionnel et, au-delà, au travail. Ne vivons-nous pas une survalorisation de ce statut, qui va jusqu'à poser des problèmes d'insertion sociale à ceux qui, dans la société, ne peuvent l'obtenir ? Au-delà des chômeurs, les retraités, les jeunes et tous ceux qui ne font pas partie de la population dite active se retrouvent de ce fait hors jeu, « sur la touche ». Ces personnes sont de plus en plus nombreuses d'une part à cause de l'espérance de vie plus grande et de la retraite à un plus jeune âge et, d'autre part, à cause de la scolarité plus longue des jeunes. De surcroît, tel un effet Larsen*, le phénomène s'alimente : plus il est difficile d'obtenir un statut professionnel, plus ce statut s'en trouve socialement valorisé. De quoi dévaloriser d'autant plus ceux qui ne peuvent l'obtenir ou le garder, en les rejetant un peu plus hors des normes sociales de vie, d'existence économique. Quel autre rôle social jouer (qui puisse être reconnu et valorisé) quand celui lié au statut de professionnel en activité est si fortement dominant ? Tout ceci justifie qu'une réflexion s'amorce actuellement sur la valeur « travail » dans notre société. Cette réflexion est peut-être une condition essentielle (voire première) à la recherche de solutions aux causes structurelles du sous-emploi qui paraissent de plus en plus explicatives de la grande partie de la croissance continuelle du chômage depuis vingt ans dans la sphère des pays développés. * Effet observé quand un micro capte les sons émis par les amplificateurs (d'Absolon Larsen 1871). Les politiques successives de lutte contre le chômage semblent prises dans un problème à neuf points s'inscrivant toutes dans un carré. Le postulat qui présente l'activité professionnelle comme la condition sine qua non de l'existence sociale, et qui s'appuie sur une représentation survalorisée du travail, n'est-il pas le postulat implicite qui coince les solutions dans ce carré et les borne à des changements de type 1 ? Pour la population jeune inactive (toujours au sens de l'INSEE), le statut scolaire est, en l'attente du statut professionnel, une condition de l'insertion sociale. Ainsi, l'insertion sociale est pour les jeunes de plus en plus étroitement liée à leur insertion scolaire. Là aussi, le même effet Larsen : la survalorisation de la réussite scolaire conduit à une dévalorisation parallèle d'autant plus forte de ceux qui échouent et quittent l'école et à une dramatisation de la perte du statut scolaire, aggravant d'autant les difficultés d'insertion sociale. L'exclusion de l'école pour un jeune n'est pas seulement l'arrêt d'une formation ; c'est la perte d'un statut qui, socialement, a sa valeur, plus ou moins grande en fonction du type de formation dans notre système très hiérarchisé, mais jamais négligeable. Raison de plus pour que se poursuivent les réflexions engagées sur la formation, son système, ses lieux et son rôle. Des premières réponses sont apparues, comme la diversification des voies de la réussite (pour lutter contre l'excessive hiérarchisation du système) et la volonté de passer d'une orientation subie (ou orientation par l'échec) à une orientation choisie comme le préconise la Loi GUIDE/Génération Lycée

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d'Orientation de l'Education Nationale de juin 1989. Ces réponses restent cependant difficiles à mettre en oeuvre sur le terrain. Le développement du rôle de formation de l'entreprise et l'alternance, la mise en place de formations de la « deuxième chance » (le Crédit de Formation Individualisé en 1989) et toute une panoplie de « statut-sas »* intermédiaires entre la perte du statut scolaire et l'attente d'un véritable statut professionnel sont également des réponses. Ces « statuts-sas » procèdent le plus souvent d'un assouplissement du statut scolaire ou du statut professionnel et sont, pour cette raison, considérés d'une moindre valeur, plus précaires. Ils sont vécus comme des pis-aller qui tentent de sauvegarder des chances d'insertion sociale. A ce titre, ils font partie de ce qui est appelé « le traitement social des problèmes de formation et d'emploi », terminologie assez explicite en elle-même. Pour certains, la prolongation de fait de la scolarité à 18 ans, en maintenant, vaille que vaille, des jeunes dans un système de formation qui a bien de la peine à s'adapter et à répondre à leurs attentes, participe partiellement à ce traitement social. L'objectif de 80 % d'une génération à un niveau bac (en fait, niveau IV de qualification) qui a reçu un écho si favorable dans le corps social, s'est, de fait, inscrit dans cette logique de prolongation de la scolarité**. Cet objectif, à l'origine, ne s'appuyait pas sur le seul système scolaire, et ne concernait pas uniquement les bacs. Les autres niveau IV, (brevet professionnel, brevet de maîtrise, etc.) étaient concernés. La formation par l'apprentissage, en particulier en direction des bacs professionnels, devait elle-même concourir à l'objectif des 80 %. Mais celui-ci, victime du slogan « 80 % niveau bac », certes plus communiquant, a abouti à une interprétation caricaturale chez la plupart : « 80 % de bacheliers d'enseignement général (et au mieux technologique) préparés par la voie classique du lycée ». Ceci, bien sûr, devenait une absurdité à bien des égards. * Exemple de « statut-sas » : le Contrat Emploi Solidarité (CES). ** La scolarité n'est toujours obligatoire que jusqu'à 16 ans, mais elle s'est, de fait, prolongée pour la quasi totalité des jeunes jusqu'à 18 ans. Le lycée a donc sa part dans la problématique de la prolongation de la scolarité. Etre lycéen aujourd'hui, c'est bénéficier encore, entre 16 et 20 ans, d'un statut valorisé qui participe à l'insertion sociale, sans en être, bien sûr, la condition suffisante ni même encore nécessaire. Cette dimension ne doit pas être oubliée ou ignorée, quand il s'agit d'aborder, avec les jeunes lycéens, les questions d'orientation ou de projet personnel. Ce n'est pas seulement en pensant à une insertion sociale et professionnelle future que les jeunes abordent ces questions, mais également en prenant en compte leurs besoins immédiats d'insertion. En somme, pour leur faire mieux conjuguer le verbe « s'insérer » au futur, il ne faut pas oublier de le leur faire d'abord conjuguer au présent. En résumé, dire que s'orienter c'est trouver, créer sa vie : – c'est prendre l'orientation dans sa représentation la plus large, ne pas la réduire à l'orientation scolaire et/ou professionnelle, et a fortiori, ce n'est pas limiter la question à trouver la poursuite d'études pour l'année n+1 à partir de l'année n. – c'est questionner la place et le rôle de son activité professionnelle dans sa vie future, en s'interrogeant déjà sur cette place dans le présent quand on est un actif, ou sur la place et le rôle de son activité scolaire quand on est un jeune en formation. – c'est considérer qu'il n'y a pas de déterminisme absolu, et que chacun peut faire de sa vie une création originale dans le cadre de contraintes et de dépendance liées à l'environnement et à soi-même. Celles-ci, loin d'être niées, doivent être prises en compte en n'oubliant jamais que des changements de type 2, imprévisibles et pourtant probables, les affecteront. Cette créativité personnelle est une condition essentielle pour savoir reconnaître ces changements et surtout les préparer, même les susciter, et en tirer le meilleur profit pour son développement personnel, et, au-delà, pour donner ou trouver/créer un sens à sa vie. – c'est développer et cultiver soi-même son autonomie et sa responsabilité, en sachant très bien qu'autonomie ne veut pas dire indépendance. Etre autonome, c'est d'abord reconnaître ses dépendances, leur donner un sens avant de les accepter ou de les combattre ou simplement de les limiter (et pourquoi pas les entretenir). – c'est faire un projet qui mette en cohérence la succession des choix qui se présenteront, sans se limiter à prévoir, à planifier, à programmer, après avoir fait un bilan, un état des lieux, un diagnostic de départ. Il s'agit également de se préparer à l'occurrence des changements de type 2, créer les conditions de leur émergence, être pour le moins en situation de les reconnaître quand ils surviennent pour saisir les opportunités offertes. Bref, c'est tirer toutes les conclusions de ce constat : l'avenir ne se prévoit pas, il se prépare. Cela conduit à dépasser la démarche « diagnostic-pronostic » fondatrice des pratiques d'orientation depuis le début du siècle. – c'est développer son adaptabilité. L'adaptabilité est un objectif important pour la formation et est susceptible d'apporter une réponse aux exigences nouvelles du monde professionnel. S'orienter est une excellente occasion de faire l'expérience de l'adaptabilité, et de la développer.

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– c'est se poser et reposer des questions tout au long de sa vie, de la scolarité jusque, et y compris, au départ à la retraite, en tenant compte des circonstances, des évolutions du milieu, de ses propres évolutions. C'est aussi parfois apporter aux mêmes questions des réponses différentes. Prendre en compte ces sept points pour engager une action éducative de l'orientation, c'est faire de l'orientation (surtout dans son sens « apprendre à s'orienter ») un thème transversal intégrateur des différents savoirs et expériences de la personne, que ces savoirs ou expériences soient acquis ou non au lycée (quand il s'agit d'un jeune lycéen). Ainsi, quel meilleur thème trouver que l'orientation et le projet personnel pour concourir à développer l'adaptabilité dès lors que nous passons de l'objectif « d'orienter » à celui « d'apprendre à s'orienter » ? C'est pourquoi nous considérons qu'une préparation éducative à l'orientation et à l'élaboration du projet personnel comme celle proposée par Génération Lycée fait partie intégrante de la formation du lycéen, à l'intérieur même du lycée. Nous l'avons conçue pour être menée et animée par des professeurs (lesquels pourront bénéficier utilement de la collaboration et du concours des conseillers d'orientation-psychologues, notamment, et d'autres acteurs à l'intérieur du système éducatif ou partenaires de ce système). Apprendre au sujet à s'orienter suppose l'explicitation préalable des savoirs, savoir-faire, savoir-être mobilisés par le sujet qui s'oriente. Cela réclame une méthodologie étayée sur une analyse de la problématique du sujet qui s'oriente, et non plus partir de la problématique de l'expert qui oriente.

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LE SAVOIR S'ORIENTER

1.4.1 Le temps : durée, échéance S'orienter est un processus continu qui s'inscrit dans la durée, ponctué par une succession d'échéances et de choix à faire. La durée de ce processus n'est pas définie, le sujet ne peut en déterminer l'origine ni le terme. Il n'est pas non plus maître de toutes les échéances successives. Certaines lui sont imposées par son environnement. Exemple : un élève de troisième se voit dans l'obligation d'émettre un choix de poursuite d'études, un élève de seconde également. L'institution scolaire a inscrit ces échéances dans son propre calendrier. Elle les impose à tous. Le sujet peut également ressentir lui-même la nécessité de faire des choix à un moment précis. Une échéance peut s'imposer à lui pour des raisons personnelles, en particulier quand il ne peut plus accepter sa situation présente, dans la mesure où elle devient pour lui source de désagrément, d'insatisfaction, de difficulté, d'échec et provoque en lui des tensions. Cette question de l'échéance est primordiale. Qu'elle soit imposée par le milieu ou que le sujet se l'impose à lui-même, c'est elle qui le conduit à faire des choix qu'autrement il repousserait volontiers sine die. Choisir, c'est toujours écarter des possibles, c'est faire et vivre des deuils, du moins renoncer à des potentialités. Il est naturel de vouloir éviter ces deuils aussi longtemps que possible, de vouloir garder ces potentialités. Légitimement, le sujet essaiera de retenir la solution qui n'exige aucun renoncement. Cette solution existe rarement, et quand le sujet croit l'avoir trouvée, c’est souvent le fruit d'une illusion. Il n'a pas toujours conscience des possibles que cette solution écarte. La solution qui n'invite à aucun deuil est la solution idéale pour le sujet. Dans ce cas, le choix est facile, évident, il s'impose de lui-même. Dans ces conditions, le sujet n'a pour ainsi dire pas le choix. Ce comportement, bien légitime, de recherche de la solution idéale justifie que bon nombre d'élèves et leur famille aient, à chaque échéance scolaire, tendance à vouloir retenir l'orientation, la poursuite d'études qui préserve le plus de possibilités, repousse à plus tard des deuils à faire. Aux yeux de tous, le bac C offrait un large éventail d'orientations ultérieures, ce qui concourait à le rendre attractif plus que le goût pour les mathématiques et les sciences physiques. Pour cette raison, élèves et parents se sont mis à la recherche de l'ancien bac C en decriptant les nouvelles appellations dues à la réforme des séries du bac. Dans ces circonstances, il faudra à l'Institution beaucoup d'énergie, de volonté et de résistance si elle veut garder le cap et atteindre son objectif de diversifier les filières dites « d'excellence ». Ces remarques sur l'échéance et son importance en tant que déclencheur des choix amènent deux réflexions : GUIDE/Génération Lycée

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– Si le sujet ne ressent pas la nécessité intérieure de faire des choix au moment imposée par le milieu, il aura tendance à contester cette échéance, parfois à la nier dès qu'il ne peut se réfugier dans la solution idéale, celle qui, à ses yeux, n'exigerait aucun renoncement. Cette contestation s'exprimera souvent ainsi: « Je n'ai pas le choix », une manière de dire « Parce que je ne peux pas choisir la solution idéale ». Ainsi, chacun passe souvent sans transition de « Je ne veux pas choisir pour l'instant » à « Je n'ai plus le choix ». Voilà qui laisse, en fin de compte, peu de temps pour être sensible et ouvert à une éducation des choix en orientation. – En revanche, il arrive au sujet de ressentir la nécessité intérieure de faire un choix pour répondre à un besoin de changement alors que les circonstances ne s'y prêtent pas, c'est-à-dire qu'aucune échéance n'est opportunément offerte par le milieu à ce moment précis. C'est ce qui se produit quand un jeune se voit opposer à une telle demande d’exercer un choix une réponse l’invitant à patienter dont la forme connue est:« Passe ton bac d'abord »,. Nous pouvons imaginer la manière dont l'élève parviendra à créer une échéance, ou du moins, à créer les conditions qui conduisent à l'avancer. Ainsi, il développera un comportement difficile qui rendra le maintien de la situation intolérable pour son environnement. Ce dernier réagira en posant des ultimatum, et engagera une procédure incluant des échéances rapprochées dans le temps susceptibles d'offrir l'occasion à l'élève de faire des choix. La situation évoluera ou non vers une telle extrémité plus ou moins rapidement, en fonction de l'intensité des tensions vécues par l'élève, tensions qui naissent de son besoin et de son désir de changement confrontés aux résistances du milieu. En deça d’un seuil de tolérance propre à chacun, la tension ressentie peut au contraire inviter à prendre son mal en patience, et à profiter de ce délai pour mieux se préparer à faire, le moment venu, les choix qui lui permettront de réaliser les changements souhaités. De ce préambule sur la question du temps et des échéances qui rythment les choix successifs, l'observation suivante peut être tirée : savoir s'orienter, c'est avoir une certaine maîtrise du temps et des échéances sans oublier la notion de temps, de durée, reste subjective et personnelle. Pour certains, être à trois mois d'une échéance donnée veut dire être pris à la gorge, tandis que d'autres considéreront avoir le temps suffisant pour se préparer. Savoir s'orienter, c'est donc savoir repérer les échéances, les anticiper et se préparer au type de choix proposé. Pour ce faire, deux conditions doivent être réunies : – avoir conscience, reconnaître, accepter que des choix seront un jour à faire. – considérer qu'il peut exister, au moment des choix, une marge de manoeuvre, un degré de liberté qui devront être recherchés, défendus ou conquis. Bref, il s'agit d'admettre que, si le milieu impose des contraintes à certaines échéances, il n'y a pas de fatalité, de déterminisme absolu. Ces deux conditions sont capitales. Sans leur réunion, il serait tout à fait illusoire d'espérer de l'élève un engagement dans une démarche de projet. Sans cette conviction, il serait démagogique de proposer aux élèves une telle démarche. En somme, admettre que des questions d'orientation se posent et se poseront aux jeunes, et qu'ils pourront eux-mêmes les prendre en charge de manière autonome et responsable, c'est déjà créer la condition première pour que les jeunes eux-mêmes reconnaissent ces questions et s'engagent activement à préparer leur réponse personnelle pour le moment venu. Avant de faire un projet personnel censé donner de la cohérence à la succession des choix qui se présenteront, il est nécessaire d'être sensible aux questions que ces choix vont soulever comme nous le sommes dès que nous manifestons une intention, même vague. Ce point mérite une illustration. L'intention précède le projet et en conditionne l'émergence, mais elle n'est pas un projet. C'est elle qui suscite la curiosité, nous rend sensible, réceptif à certains aspects de notre environnement et de nous-même. Elle nous rend présent dans cet environnement et présent à nous-même. Avoir l'intention d'acheter une maison nous rend plus curieux dans ce domaine. Nous nous prenons à regarder autrement les maisons que nous connaissions déjà et qui ne sont pourtant pas à vendre. Notre oreille devient plus attentive dès qu'une conversation touche à l'immobilier. Notre oeil sélectionne dans les journaux, les magazines, des articles en rapport avec l'habitat que nous aurions auparavant négligés. Mais nous pouvons avoir l'intention d'acheter tout en ignorant quelle maison pourrait nous satisfaire, l'endroit où nous voudrions l'acheter, comment nous parviendrions à la financer, quand il serait opportun de l'acheter.

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Faire un projet consistera justement à répondre à ces questions. Trouver les réponses suppose une série de tâches à entreprendre qui peuvent être classés en quatre catégories : tâches d'exploration, tâches de cristallisation, tâches de spécification, tâches de réalisation. Celles-ci peuvent être décrites à l'aide de l'exemple de l'achat d'une maison.

1.4.2 Les tâches d'exploration Toujours dans la perspective d'acheter une maison, notre curiosité nous conduira à rechercher activement et à recueillir des informations nouvelles sur les maisons et, plus largement, sur l'architecture, la décoration, l'activité du bâtiment, les prêts immobiliers, la rénovation, les sites d'implantation possibles. Nous en parlerons à notre entourage. Il se peut même qu'au hasard d'une visite chez une personne, nous découvrions un agencement intérieur intéressant auquel nous n'avions pas pensé. En somme, nous essaierons d'acquérir et de développer une culture étendue liée à l'objet du projet : l'achat d'une maison. Nous multiplierons les expériences. Si nous envisageons d'avoir une maison dans un lieu géographique nouveau et inconnu, nous irons l'explorer. Il se peut aussi que ce soit au détour d'un chemin, au hasard d'un déplacement ayant un autre objectif que nous découvrions un lieu intéressant. Nous pouvons aussi nous souvenir tout à coup d'un endroit où nous rendions autrefois, pour une toute autre raison, avant même que l'intention d'acheter une maison nous habite. En poursuivant cette exploration, nous allons constater que nous sommes parfois attirés par des choses contradictoires : avoir des commerces à proximité de la maison et être dans un coin calme, isolé, avoir beaucoup d'espace pour se sentir chez soi, mais pas trop de terrain car il faut l'entretenir, etc. C'est l'exploration qui va révéler ces attirances parfois nouvelles et contradictoires et qui vont nous poser des questions sur nous-même, sur ce que nous voulons vraiment. Par l'expérience, nous découvrons qu'un point que nous ignorions ou que nous aurions considéré accessoire auparavant prend subitement de l'importance, de la valeur. Par exemple, ce petit chemin qui mène à la maison d'un ami que nous avons trouvé charmant au printemps. Voilà qu'en hiver, nous constatons qu'il est souvent impratiquable et que c'est un problème pour le propriétaire. Le grand espace devant la maison du même ami qui nous paraît si plaisant en été, nous apparaît moins divin quand nous réalisons la somme de travail que son entretien exige. Bien que notre ami ne semble pas dérangé par le fait qu'il doit passer tous ses week-ends à tondre sa pelouse dans le bruit, nous découvrons qu'il n'en serait pas de même pour nous. Bref, nous faisons une auto-exploration qui ne manque pas de révéler et de mettre en évidence nos contradictions, nos ambigu•tés qu'il nous faut accepter, tolérer. La résolution de ces contraditions est reportée à plus tard, au moment du choix. Pour l'heure, nous accumulons sur les maisons et nous-même des informations en laissant ouvertes toutes les possibilités dans l'espoir de trouver des solutions qui permettent de tout concilier. Les tâches d'exploration réclameront de notre part de la créativité, de l'imagination, de la curiosité, de l'originalité, une ouverture d'esprit, une capacité d'observation, de questionnement.

1.4.3 Les tâches de cristallisation Les multiples informations recueillies et accumulées sur nous et sur l'environnement restent dispersées et le besoin de les mettre en ordre, de les classer se fait sentir. Comme tout classement, il s'agira d'un moyen de conserver les informations recueillies, de les retrouver, de les rendre accessibles, utiles. Ces tâches seront révélératrices de nos centres d'intérêts, de notre représentation de la réalité. Par exemple, nous nous rendrons compte qu'au cours de l'exploration, nous avons accumulé beaucoup d'informations concernant l'environnement extérieur de la maison, ce qui démontrera que cet aspect a de la valeur pour nous. Nous prendrons peu à peu conscience de ce qui nous importe. Nous donnons un sens personnel aux informations en les classant. Prendre conscience que ce qui représente un détail pour d'autres a de l'importance pour nous, permet de découvrir une dimension ou une caractéristique peut-être jusqu'alors inconnue. Un aspect que nous tenions pour négligeable avant de nous lancer dans un projet, peut maintenant sembler un critère important de choix. Par l'expérience de l'exploration, nous découvrons ce à quoi nous sommes très sensibles. Cela a pu nous étonner ou encore nous choquer : « Pourquoi est-ce que j'attache tellement d'importance à tel aspect ? ». Puis, en reliant ce fait à d'autres, nous nous apercevons qu'un tel étonnement n'est peut-être pas un fait nouveau et isolé. Cela nous ramène à une expérience dont nous avons parlé précédemment : le fait d'avoir le sentiment d’être parfois étranger à nous-même, quand nous nous voyons en train de réagir autrement que nous l'avions prévu. GUIDE/Génération Lycée

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Tant qu'une expérience reste singulière, isolée, non reliée ni intégrée à un ensemble d'autres expériences antérieures, elle demeurera étrangère, suscitant, du coup, un malaise. C'est en réalisant que nous avons déja adopté un comportement similaire dans d'autres expériences que nous saurons lui donner un sens. Ce comportement, au premier abord étonnant, donnera un sens nouveau à d'autres événements passés, présents et futurs. Il modifiera ainsi la représentation que nous avons de nous et, par là, celle que nous avons de notre environnement. Nous aurons changé quelque chose à notre système de valeurs, nous aurons le sentiment de mieux nous connaître. C'est en fait « en cristallisant » les informations recueillies sur nous-même et sur l'environnement, à partir de quelques-unes, que nous donnons du sens à l'ensemble de ces informations. Cette cristallisation nous permettra donc d'user, et par là, de prendre conscience de notre système de valeurs, de ce qui fonde notre identité personnelle, nous caractérise et nous distingue parmi les autres. Ceci n'est rien d'autre qu'accéder à une meilleure connaissance de soi. Les tâches de cristallisation réclament de l'estime de soi, de l'organisation, de la cohérence, un sens de la continuité. Elles consistent à savoir réduire, regrouper, résumer, mettre en relation.

1.4.4 Les tâches de spécification Les tâches de spécification s'imposent dès qu'une échéance de choix paraît suffisamment imminente (étant donné la notion subjective et personnelle du temps). Devant l'imminence ressentie d'un choix à faire, il s'agit d'établir des priorités, de hiérarchiser, d'émettre des préférences. Faire un choix, c'est souvent devoir tenir compte de contraintes, c'est souvent devoir renoncer, faire des deuils. Il est impossible de toujours tout avoir, tout satisfaire. La maison de nos rêves, qui aurait toutes les qualités souhaitées, aurait sans doute un gros défaut : celui d'être trop coûteuse et donc inaccessible. Tant qu'aucune contrainte extérieure n'impose l'achat à un moment précis d'une maison, nous pouvons repousser l'échéance de la décision. Mais il se peut qu'un jour nous soyons dans une situation qui nous oblige à fixer une échéance, soit mu par une nécessité intérieure de changer nos conditions d'habitation, soit par obligation d'en changer en réponse à des contraintes extérieures. Dès l'échéance fixée, nous nous engagerons dans des tâches de spécification. Nous devrons par exemple trancher entre notre désir d'un coin calme, isolé, en pleine nature et notre désir d'être à proximité des commerces et services. Ces deux critères, bien que contradictoires, ont de l'importance pour nous, les tâches de cristallisation nous l'auront prouvé. Mais lequel de ces critères est le plus important ? Quel deuil faire ? Cela nous conduira à chercher des compromis. Nous tenterons de rechercher une maison en posant de telles conditions, réduisant ainsi la probabilité de la trouver. Nous essaierons de concilier le rêve et la réalité, le désir et la probabilité de réussir, et ferons peut-être l'amer constat que le plus désirable est hélas souvent le moins probable. Courrrons-nous le risque de laisser passer une occasion d'achat assez satisfaisante pour en chercher une autre hypothétique ? Si le délai que nous avons pour faire notre choix nous paraît suffisant, peut-être oserons-nous attendre ; en revanche, si nous nous sentons pris à la gorge, peut-être saisirons-nous l'occasion. L'échéance fixée est capitale. Si elle peut être repoussée, nous pouvons repousser le choix. Certaines circonstances peuvent rendre impossible le report de l'échéance : devoir déménager à une date précise parce qu'il a fallu vendre notre appartement avant d'acheter, par exemple. Le risque est alors grand de laisser passer l'occasion. Chacun, selon son degré de sensibilité au risque, agira différemment. L'incertitude qui naît du fait que nous ne savons pas si une meilleure occasion se présentera ou non crée une réelle situation de choix. En effet, si l'occasion idéale se présentait d'emblée, il n'y aurait pas de choix ; la décision s'imposerait. C'est bien parce que ce qui est le plus désirable n'est pas certain ni même le plus probable, qu'un espace de choix existe. Les tâches de spécification consistent à faire des évaluations, des comparaisons, à hiérarchiser, donner des priorités, éliminer ; elles réclament un sens critique, une capacité de discernement, de la confiance en soi et un sens de la responsabilité.

1.4.5 Les tâches de réalisation Arrêter un choix, prendre une décision, n'est pas une opération mentale ou le fruit d'un raisonnement conduisant à l'émission d'un voeu, d'une résolution, d'une solution. C'est aussi et nécessairement poser des actes, vivre des expériences, nous mettre en situation et GUIDE/Génération Lycée

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rester à l'écoute de nous-même dans l'action. Certains de ces actes se font en amont d'un choix, ils le préparent, en créent les conditions. Ces actes sont parfois intentionnellement posés en vue d'un choix, que l'échéance soit ou non déjà connue. En revanche, certains actes entrepris dans une autre perspective se révèlent avoir également une incidence sur ce choix. Les tâches de réalisation consistent à programmer, à planifier une série d'actions, d'expériences et de mises en situation, non seulement pour préparer un choix, mais aussi pour que le voeu émis, la résolution arrêtée, la solution retenue devienne réalité. Cela consiste à construire une sorte d'algorythme représentant la succession des actes à poser, des démarches à faire, en anticipant sur les obstacles à surmonter pour les mener à bien. Il s'agit donc de repérer des liens de causalité entre des faits, de relier des causes et des effets : « Si je fais çà, alors cela entraînera... », ou « Faire cela suppose d'avoir avant...». En somme, il s'agit de nous doter d'une stratégie de réalisation. Toujours dans l'exemple de l'achat d'une maison, prendre la décision d'en acheter une provoque toute une série d'actes à poser, tout un ensemble de démarches comme une réaction en chaîne. Il faut négocier le prix, consulter des organismes financiers, faire un plan de financement, épargner, emprunter, engager des travaux d'aménagement, déménager. L'achat aura des incidences directes ou indirectes dans bien des domaines : mode de vie, environnement relationnel, habitudes de consommation, loisirs. Il conditionnera toute une série de choix futurs dans ces domaines, les orientera, leur donnera une cohérence, un sens. Peut-être faudra-t-il renoncer à un voyage, à l'achat d'une nouvelle voiture, comprimer certaines dépenses. Bref, la signature de l'acte de vente n'est pas le seul acte qui découle du choix fait, de la décision prise. Cette signature est précédée d'une série d'actes ayant entre eux un lien, une cohérence, et en suscite après une autre série qui devra également être cohérente. Tous ces actes auront alors un point commun : être dépendants de l'acte d'achat, les uns pour le préparer, les autres pour l'accompagner. De plus, tout acte qui peut avoir une incidence sur la réalisation de la solution retenue et qui n'y concourt pas autant qu'il le devrait est une menace pour cette solution. Prenons l'exemple du fumeur qui décide d'arrêter de fumer. Pour que sa résolution ne reste pas un voeu pieux, il ne suffit pas qu'il s'interdise l'entrée d'un bureau de tabac. Il lui faudra aussi résister aux cigarettes qui lui seront offertes. Il pourra faire part de sa décision à son entourage, et particulièrement à tous ceux qui sont susceptibles de lui offrir cette tentation. S'il néglige de le faire, il laisse la porte ouverte à la rechute, il menace sa décision. Quand bien même il ne laisserait qu'une porte ouverte sur cent, dans la mesure où il le ferait plus ou moins sciemment, il se donnerait en fait toutes les chances d'un jour s'y engouffrer. Se garder sciemment une possibilité de revenir sur une décision constitue toujours une menace pour celle-ci, et témoigne, en fin de compte, d'un refus de faire un deuil. Nous voulons ainsi préserver des possibles, ménager des potentialités. C'est, en somme, toujours courir après la solution idéale, c'est-à-dire celle qui évite des deuils. C'est également contester que le moment soit venu d'arrêter un choix, nier l'échéance, tenter de la gommer. Préserver l'avenir, reculer le plus tard possible des deuils à faire est une attitude bien légitime : elle n 'est pas pour autant toujours judicieuse. La sagesse populaire l'exprime en recommandant de ne pas courir deux lièvres à la fois. C'est pourtant bien tentant, certains s'y risquent et parfois réussissent. Il reste que choisir un des lièvres, décider de l'attraper, tout en se laissant tenter par la poursuite de l'autre, c'est menacer la réussite de sa chasse, c'est, dans les faits, invalider la décision prise. Les actes posés après avoir affirmé « Je décide de...» peuvent seuls valider ou non la décision, et ce a posteriori. Décider est un verbe qui ne devrait être conjugué qu'au passé, une fois posés les actes qui valident la décision. Les tâches de réalisation réclament de la détermination, un sens de l'action, un sentiment de certitude quant à la décision prise, de l'engagement personnel, de la persévérance, de la perspicacité. Elles s'appuient sur une capacité à prévoir, à planifier, à déduire, et nécessitent d'avoir une vision générale et globale pour tirer toutes les conséquences d'un événement et conduire avec cohérence les actions.

1.4.6 Savoir, savoir-faire, savoir-être Savoir s'orienter, c'est savoir accomplir les quatre types de tâches dont il a été précédemment question. Cette manière d'organiser le « savoir s'orienter » s'appuie largement sur de concepts développés par une équipe québécoise composée de chercheurs en sciences de l'éducation et de praticiens de l'orientation. GUIDE/Génération Lycée

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Ces concepts sont connus sous le sigle de l'ADVP (Activation du Développement Vocationnel et Personnel)8. Le mérite et l'intérêt de l'ADVP est de proposer ce référentiel de savoirs, savoir-faire et savoir-être en jeu dans le savoir s'orienter, et d'avoir proposé une pédagogie (pédagogie expérientielle) pour le développer. Les travaux de l'équipe québécoise se sont appuyés sur deux types de recherches antérieures : D'une part, celle conduite par D. SUPER qui proposa dès les années 1950 de réfléchir l'orientation sur le plan du développement de carrière, et qui détermina les quatre types de tâches que la personne qui s'oriente exécute (exploration, cristallisation, spécification, réalisation). D'autre part, les travaux de GUILFORD pour répertorier les savoirs et surtout savoir-faire et savoir-être qui étaient mobilisés dans chaque type de tâches. GUILFORD9, ayant travaillé à démontrer que ces savoirs qu'il avait distingués, répertoriés et classés étaient éducables, l'équipe québécoise en déduisit que les développer par une pédagogie appropriée permettrait de les transmettre, et posa ainsi les bases de l'orientation éducative. Les chercheurs québécois firent le lien entre les quatre types de tâches liées à l'orientation décrites par SUPER et les quatre types de pensée définies par GUILFORD : pensée créative (ou divergente), pensée catégorielle (ou convergente), pensée évaluative, pensée implicative. Ils s'attachèrent à démontrer que les tâches d'exploration mobilisaient les habiletés classées par GUILFORD dans la pensée créative. Ils firent de même pour lier les tâches de cristallisation à la pensée catégorielle, celles de spécification à la pensée évaluative, celles de réalisation à la pensée implicative. 8. Pelletier, D., Noiseux, G., Bujold R. Développement vocationnel et croissance personnelle, Mc Graw-Hill, 1974. 9. The Structure of Intellect Psychological Bulletin 1956. The Analysis of Intelligence Mac Graw-Hil, New York, 1971. Les concepts de l'ADVP ont depuis une quinzaine d'années exercé une influence sur les pratiques pédagogiques en France10 et créé un courant pédagogique notamment au sein des services d'orientation de l'Education Nationale. Ils ont également été exploités dans d'autres lieux d'orientation : ANPE, Missions Locales et PAIO, y compris certains organismes de conseil en gestion de ressources humaines destinés au public salarié. Dans l'Education Nationale, l'ADVP a donné naissance en France à l'outil pédagogique Education des Choix, destiné aux élèves des collèges. L'Education des Choix a inspiré ou a été directement à l'origine de nombreux programmes d'actions pour l'information et l'orientation dans ces établissements. Une association (Association TROUVER/CREER) a vu le jour en 1986 rassemblant des professionnels issus des différents lieux d'orientation pour promouvoir le courant de l'orientation éducative, expérimenter et approfondir les concepts de l'ADVP. Il s'est agi, par différentes expérimentations, d'enrichir l'ADVP d'apports nés d'une vision plus sociologique de l'orientation, notamment ceux issus des travaux de G. LATREILLE. De plus, confrontés à la réalité et au contexte économique de la France, les concepts de l'ADVP ont évolué. De ces quinze ans d'expérimentation ont été tirés des enseignements qui ont permis de faire progresser les concepts de l'approche éducative, victime de sa notoriété notamment à la suite de la parution du programme Education des choix11. Les concepts de l'approche ont parfois fait l'objet d'interprétations diverses conduisant à des critiques contestables et, surtout, à des pratiques qui, pour se prétendre éducatives et en être issues n'en restaient pas moins éloignées, voire étrangères. L'objet de ce qui suit, est de faire rapidement la part des choses, et à la lumière de l'expérience passée mettre en évidence quelques écueils à éviter, quelques interprétations non fondées. 10 , Michel GARAND De l'Orientation à l'Activation, dans OSP 1978. 11. Education des Choix. Guide d'Animation et livret pour l'élève 6e, 5e, 4e, 3e, Collège, 1re édition, EAP, 1988. Les auteurs de Génération Lycée ont collaboré à la rédaction de la première édition des ouvrages EDC. Se préparer à l'orientation, ce n'est pas s'orienter GUIDE/Génération Lycée

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Il est possible qu'à la lecture des pages présentant les quatre types de tâches en jeu dans l'action de s'orienter, illustrées par l'achat d'une maison, le lecteur ait eu le sentiment de ne pas suivre toujours et totalement la même démarche dans ses choix, notamment dans l'ordre exposé, c'est-à-dire explorer, cristalliser, spécifier, réaliser. C'est tout à fait possible. Préparer un choix, élaborer un projet, n'engage pas une démarche linéaire qui va de l'exploration à la réalisation. Il y a un va-et-vient continuel d'un type de tâche à un autre. L'exploration, la cristallisation, la spécification, la réalisation ne sont jamais totalement terminées. Chacun fait cela de lui-même, souvent à son insu, un peu comme Monsieur Jourdain. Il y a des choses qui peuvent se faire sans apprentissage préalable, par exemple sauter une haie pas trop haute. Cependant, pour apprendre à sauter mieux et plus haut, un apprentissage, un entraînement sont nécessaires et bénéfiques. L'entraînement conduit la personne à faire des exercices fractionnés issus d'un découpage en « segments » des différentes actions à faire dans un saut. Ainsi, la personne travaillera la course d'élan, la prise de marques, l'impulsion, la souplesse. Elle développera sa musculature par des exercices appropriés. Mais une fois devant la barre pour exécuter son saut, elle n'enchaînera pas les différents exercices d'entraînement. Elle devra même les oublier, s'en libérer, ne pas se regarder sauter en décomposant intellectuellement le mouvement. C'est à cette seule condition que la personne sera complètement et globalement présente dans l'action. Par analogie, se préparer à l'orientation conduit à un découpage des différentes tâches en jeu, afin de les travailler séparément. Par exemple, la créativité du sujet sera activée par des exercices d'exploration. Montrer le bénéfice que le sujet peut tirer de sa créativité dans ces exercices, c'est faire en sorte qu'il soit tenté de les reproduire hors du contexte éducatif, dans la situation réelle. Ce transfert sera d'ailleurs le signe d'un apprentissage réalisé. Ainsi, lorsque le sujet se trouvera dans une situation réelle de choix, il aura développé une compétence que naturellement il exploitera comme le sauteur exploite naturellement, au moment du saut, les qualités développées grâce à l'entraînement. Etre en projet, ce n'est pas avoir un projet Il s'agit là d'une distinction essentielle pour qui se donne l'objectif d'aider à l'élaboration du projet personnel. Une personne est en projet tant qu'elle n'a pas arrêté des choix déterminants par rapport à l'objet du projet. Une fois les choix arrêtés, la personne a un projet. S'il s'agit d'un projet à long terme, global, la distinction entre « être en projet » et « avoir un projet » est difficile à établir. Il faut dès lors repérer les choix jugés déterminants et leurs échéances. Repérer ces choix déterminants n'est pas toujours évident. Pour s’en convaincre pensons à certains choix qui nous semblaient sur le moment primordiaux pour notre destinée, et qui n'ont pas eu ni l'impact, ni les retombées espérées ou craintes. En revanche combien de décisions jugées anodines et sans conséquence majeure nous ont en réalité entraîné bien plus loin que prévu, voire même ailleurs? Cela nous ramène bien sûr à la distinction entre changement de type 1 et changement de type 2. Les choix déterminants seraient ceux qui produisent des changements de type 2, dont les effets sont irréversibles et imprévisibles. Ceci peut relativiser l'intérêt de la distinction entre « être en projet » et « avoir un projet ». La distinction demeure toutefois pertinente pour mettre en évidence un point : tant qu'une échéance obligeant à des choix supposés déterminants n'est pas arrivée, il est toujours prématuré, même illusoire, d'arrêter un choix. En conséquence, aider au projet personnel ne consiste surtout pas à exiger une prise de décision avant l'heure. C'est repérer l'heure et se préparer en conséquence à prendre la décision le moment venu. C'est bien plus encore aider la personne à faire naître et vivre des possibles, tant que des choix et donc des renoncements ne s'imposent pas. Ne pas imposer des deuils prématurés permet de laisser le désir et le rêve jouer leur rôle dans la motivation du sujet. Le projet est vivant Les projets se conçoivent, naissent, se développent, se transforment, aboutissent parfois. D'autres meurent prématurément d'un accident de parcours au grand regret de celui qui l'a fait naître. Mais il arrive aussi que ce dernier l'abandonne de son propre chef, car il a sur son projet un droit de vie ou de mort. Le projet vit dans la dépendance de celui qui l'a conçu. Ceci est d'ailleurs réciproque. Un projet fait vivre et construit celui qui le porte, par le fait même que celui-ci en est l’auteur et le fait vivre.

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Comment cela se produit-il ? La conduite, la réalisation d'un projet amène à faire de nouvelles expériences. Certaines sont prévues sans jamais avoir jamais été vécues, seulement imaginées. Vivre ces expériences (et d'autres imprévues), nous confrontent à la nouveauté, à l'inconnu. Ce sont des expériences exploratoires susceptibles de provoquer des changements de type 2. Nos représentations de nous-même et de notre milieu, notre système de valeurs s'en trouvent affectés. Bref, la réalisation de notre projet, source de développement personnel, nous transforme. Nous ne sommes plus, dès lors, le même que celui qui a posé les choix déterminants fondateurs du projet initial. En quelque sorte, le projet que nous réalisons est devenu le projet d'un autre, de celui que nous étions avant. Nous voudrons alors le faire évoluer, le transformer, pour qu'il reste ou redevienne notre projet. Ainsi, nous le faisons vivre. Tant que les changements induits par la réalisation du projet restent de type 1, les transformations apportées n'affecteront pas fondamentalement sa logique, ses objectifs. En revanche, si ces changements sont de type 2, ils peuvent alors nous conduire à l'abandon du projet pour en concevoir un autre. Un projet qui vit et meurt sans être parvenu à son terme n'est donc pas de facto un mauvais projet. Un bon projet serait plus sûrement celui que nous avons su faire vivre et qui nous a fait vivre, même s'il nous a amené ailleurs, même s'il donne naissance à un autre projet. Cet aboutissement est tout aussi positif. A l'inverse, un projet « mort-vivant » que nous nous acharnons à faire vivre vaille que vaille même s'il ne correspond plus à la personne que nous sommes maintenant peut être considéré comme un mauvais projet même s'il aboutit. La difficulté est de savoir à partir de quand la persévérance, l'engagement personnel, la volonté, la détermination nécessaire à la réalisation d'un projet deviennent de l'obstination, de « l'acharnement thérapeutique », de la fixation obtuse, manifestant en fait un refus d'accepter notre propre changement et développement. Avoir un projet, ce n'est pas avoir la révélation d'une vocation Dans le sigle ADVP, le « V » signifie vocationnel. Ce mot peut inviter à un contresens. Vocationnel appartient ici à la langue du Québec. Il doit être pris dans son sens de « professionnel », de « développement de carrière » et pas du tout dans le sens du mot « vocation ». L'idée de la vocation, au sens « d'être fait pour un métier », est totalement étrangère à l'ADVP, et même contradictoire. L'idée de vocation invite à penser que chacun serait fait pour un métier. Il y aurait ceux qui en auraient eu un jour la révélation, et du coup connaîtraient le nom de ce métier, et ceux qui seraient en attente de cette révélation. Ces derniers auraient recours à des experts, sorte de « grands prêtres » capables de leur révéler ce pourquoi ils sont faits. Cette perspective place le sujet dans une attitude passive d'irresponsabilité, conduit à une absence de prise en charge de son orientation, avec, en arrière-plan, une conception très déterministe et fataliste de son avenir et de son développement personnel. Les concepts de l'ADVP conduisent au contraire à considérer que personne n'est fait pour un seul métier, ce qui ne veut pas dire que tout le monde puisse exercer de manière satisfaisante n'importe lequel. Chacun dispose d'un éventail possible de métiers dans lesquels il peut trouver une manière intéressante et gratifiante de l'exercer (pas seulement sur le plan financier). C'est plus cette manière personnelle d'exercer un métier qui nous caractérise. Chacun a justement à trouver et à créer cette manière de donner corps, de donner vie au métier qu'il exerce. Pensons à un appartement. Le même appartement devient un lieu singulier, original selon les différentes personnes qui l'occupent. Un métier, d'une certaine façon, s'habite comme un appartement et prend vie de manière singulière et originale grâce à son « occupant ». C'est, en outre, la qualité de la relation qu'une personne parvient à entretenir et à cultiver avec son métier, qui est pour elle source d'intérêt, de motivation, de satisfaction et de gratification. Cette remarque vaut également pour un jeune en formation, lequel a aussi à trouver, à créer sa place, à l'habiter. Aider à l'orientation, c'est aussi favoriser dans le présent cette démarche « d'habitation » pour préparer l'élève à la revivre et la reproduire plus tard quand il s'agira « d'habiter » un métier. Apprendre à l'élève à s'orienter, ce n'est pas l'inviter à prendre ses désirs pour la réalité

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Il a souvent été reproché au courant d'approches éducatives s'appuyant sur les concepts de l'ADVP de faire rêver en oubliant les contraintes de la réalité. Il est vrai que ces concepts héritent d'une culture nord-américaine, et n'échappent pas dans leur présentation à un parti pris, parfois très optimiste, sur le pouvoir personnel de l'individu sur les contraintes de son environnement. En mettant l'accent sur le développement de ce pouvoir personnel, on l'a parfois érigé en valeurs, voire en principe moral. L'apport de l'approche plus sociologique de G. Latreille, et la confrontation du modèle théorique avec la réalité (devenue plus sévère avec la croissance du chômage) ont permis d'approfondir ce point et d'en éviter les travers excessifs. Faire naître et exister des possibles, faire s'exprimer le désir et le rêve est une dimension nécessaire mais non suffisante. Le désir, le rêve sont, en quelque sorte, une matière première. Apprendre à s'orienter, c'est apprendre à s'en servir, à travailler et à transformer cette matière première en la confrontant aux contraintes du réel. Il demeure que cette matière première est indispensable et préalable à tout travail sur les représentations de soi et de son environnement. La question de l'orientation des filles permet une illustration de cette nécessaire exploitation des matières premières que sont les rêves et les désirs. La diversification souhaitée de leur orientation passe par la naissance et l'existence, chez elles, de possibles qu'elles écartent a priori. Comment espérer changer leurs représentation sans partir de leurs rêves et désirs? Tant qu'elles ne projetteront pas positivement leurs rêves sur les secteurs professionnels qu'elles délaissent, elles en garderont une représentation négative et les repousseront. Ce qui est vrai pour la majorité des filles vis à vis d'un trop grand nombre de professions dites « masculines », l'est également pour les garçons vis à vis de certains secteurs d'activités (bâtiment et travaux publics, métallurgie, mécanique industrielle). S'orienter, ce n'est pas trouver la bonne solution par le raisonnement Nos choix ont des raisons que la raison ne connaît pas. S'orienter ne se réduit donc pas à une démarche rationnelle fondée sur une logique, un raisonnement. Le terme « problème » est souvent employé en orientation. Il ne doit pas cependant inviter à une analogie avec un problème d'ordre scientifique ou mathématique. En effet, nous ne disposons jamais de toutes les données d'un problème d'orientation. Il est impossible d'obtenir toutes les informations nécessaires et suffisantes sur l'environnement et sur nous même avant de nous décider. Nous chercherons naturellement à en recueillir et en maîtriser le maximum, mais il faudra admettre les limites d'une telle démarche. Il se peut même que nous utilisions des informations non nécessaires ou périmées. Il s'agit là de risques inhérents aux changements et aux fluctuations incessantes et accélérées du milieu, et, à certains égards, de nous-même. De plus, nous ne conduisons pas un raisonnement, qui par une démarche fondée sur une logique, permet de traiter les données, de faire des « opérations », pour en extraire la solution, bonne et unique. Il s'agit plutôt d'inventorier les solutions possibles à partir d'une exploration, de les faire naître, puis exister, de n'en écarter aucune a priori, d'en établir le plus large éventail possible, puis de repérer en quoi chacune d'elles peut avoir de l'intérêt et de la valeur pour nous. Le moment venu, la solution retenue relève d'un choix fait entre ces différentes solutions inventoriées à partir de notre système de valeurs. Ce choix est fonction des circonstances du moment. Même si la solution choisie nous donne a posteriori satisfaction, cela ne veut pas dire qu'une autre rejetée n'aurait pas été tout aussi satisfaisante, sinon plus. Nous ne le saurons d'ailleurs jamais. Inversement, si la solution retenue se révèle un échec, rien ne permet d'affirmer qu'une autre parmi toutes celles que nous avions inventoriées aurait pu se révéler satisfaisante. Enfin, même si un problème d'orientation que nous avons déjà connu se représente, il n'est pas certain que le choix fait sera identique à la fois précédente. La solution retenue à un problème d'orientation n'est jamais unique et définitive. En fait, comme le dit un proverbe prétendument chinois : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Ce dernier point renvoie à la question de l'interdisciplinarité de l'orientation. Celle-ci est une question humaine qui, comme toutes, n'appartient à aucune discipline. Pour espérer conduire une démarche logique fondée sur un raisonnement, il faudrait disposer d'une théorie sur l'orientation. Mais toute tentative de théorisation ne peut qu'aboutir à ramener la question de l'orientation dans un champ disciplinaire, et à la réduire ainsi à un de ses aspects. Le résultat sera alors une théorie psychologique de l'orientation ou une théorie sociologique ou économique ou psychanalytique... GUIDE/Génération Lycée

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Mais cette question, par excellence et par essence interdisciplinaire, ne peut trouver de réponse complète et satisfaisante en s'appuyant sur l'une des fondations théoriques de ces champs disciplinaires. Elle impose à celui qui veut jouer un rôle éducatif dans ce domaine une démarche d'interdisciplinarité. Celle-ci s'impose également au sujet qui s'oriente. Cela en fait une question particulièrement pertinente à traiter pour favoriser l'intégration des différents savoirs disciplinaires auxquels un jeune a accès, au lycée notamment. Cela le prépare à traiter les questions auxquelles chacun est confronté dans sa vie et qui sont rarement inscrites dans un seul champ disciplinaire. Cette question de l'orientation est transversale et constitue, par son apprentissage, une excellente façon de développer l'adaptabilité. Pour toutes ces raisons, l'orientation mérite et requiert, dans la formation du lycéen, une place de choix.

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CHAPITRE 2 – LA DEMARCHE PEDAGOGIQUE PROPOSEE

2.1

UNE APPROCHE DEVELOPPEMENTALE

La démarche pédagogique proposée dans Génération Lycée s'appuie sur un modèle développemental du comportement humain. L'individu y est défini comme un être intentionnel en interaction avec son environnement. Individu et environnement sont deux pôles indissociables : l'être humain ne peut exister sans milieu, le milieu ne prend son sens que par la perception qu'en a l'être humain. En ce sens, nous pouvons dire avec Joseph Nuttin12 que « si l'homme est construit par son environnement, il est en permanence en train de construire son environnement ». Le sujet s'actualise et se développe par la recherche des moyens de satisfaire ses besoins. L'environnement lui offre des « objets motivationnels » vers lesquels il se dirige parce qu'il les perçoit comme des moyens de réaliser ses aspirations. Ainsi, l'école peut devenir un « objet motivationnel » pour l'élève dans la mesure où il la perçoit comme un moyen de réaliser, par la culture qu'il y acquiert, une aspiration à jouer un rôle dans la société ou à préparer son avenir. L'école peut être un objet motivationnel en satisfaisant un besoin de découverte. Cette recherche de satisfaction amène le sujet à se fixer des buts, à transformer ses désirs en projets et à choisir des directions. Il tend à s'actualiser et à se développer en se motivant à agir dans le sens de la plus grande satisfaction possible. Dans son expérience quotidienne de l'école, de la société, de la famille, l'adolescent construit sa représentation de lui-même et de son environnement. Il élabore ses valeurs et recherche ses « objets motivationnels », ceux qui vont lui permettre de se fixer des buts. S'appuyant sur ses représentations, il oriente sa vie dans les directions qu'il estime être les plus efficaces pour satisfaire ses besoins. Ainsi peut se comprendre, par exemple, le choix que font aujourd'hui beaucoup d'élèves de poursuivre des études le plus longtemps possible. La direction qu'ils prennent dans leur scolarité s'appuie sur la représentation sociale intériorisée du caractère indispensable des études pour accéder à la vie professionnelle. Il n'est pas rare d'entendre des élèves déclarer à propos de l'orientation qu'ils n'ont pas le choix. Les études longues sont parfois perçues comme une obligation indépendante de leurs intérêts et de leurs résultats scolaires. Ils se représentent la scolarité comme un processus qui les détermine de l'extérieur et ne se reconnaissent pas de marge de manoeuvre. Il y a derrière cette attitude une représentation du choix comme étant un comportement qui ne pourrait s'exercer véritablement qu'en l'absence de tout obstacle. Nous ne pourrions vraiment choisir que si nous étions en présence de possibles illimités. Il n'existe, bien sûr, jamais de situation de ce type. Choisir, c'est orienter son action dans un environnement toujours plus ou moins contraignant. L'obstacle n'est pas ce qui interdit le choix mais ce qui lui donne son sens, ce qui lui permet de s'exercer. Les déterminismes qui pèsent sur l'individu sont le contexte nécessaire de toute prise de décision. 12. NUTTIN J. Théorie de la motivation humaine, Presses universitaires de France, 1980 Penser qu'il n'a pas le choix n'empêche pas l'élève de s'engager dans une direction, donc de choisir. Il n'a cependant pas le sentiment de choisir mais plutôt d'être choisi. Cette représentation a des conséquences importantes sur la façon dont il traitera l'information qui lui parviendra lorsqu'il devra prendre une décision. Le sentiment que le choix ne dépend pas de lui l'empêchera de se laisser informer par ce qui pourrait lui montrer que son comportement n'est pas pertinent. Ainsi, l'élève en échec qui se représente les études générales longues comme l'unique moyen de trouver une place dans la société, risque de ne pas vouloir entendre ce que son expérience scolaire lui indique, de ne pas tenir compte de ce qu'il fait concrètement à l'école pour définir son projet d'orientation. La direction qu'il prend ne peut pas être modifiée par l'expérience vécue. Son expérience scolaire ne lui sert pas puisqu'elle n'est pas susceptible d’influer sur le choix d'orientation. Les informations provenant de sa situation seront ressenties comme dangereuses puisqu'elles fragilisent un choix qui ne peut pas être remis en cause. En tenir compte, serait, pour l'élève, se mettre dans la situation la plus invivable : voir qu'il risque d'échouer alors qu'il ne peut pas changer de direction. Le but alors n'est pas de savoir mais de rester dans la bonne direction définie une fois pour toutes indépendamment de ce qu'il vit à l'école. Ainsi le projet ne sera pas de prendre connaissance de sa situation, mais, au contraire, de l'occulter pour maintenir une demande d'études incontournable. Le sujet n'est pas ici conçu d'abord comme sujet connaissant, mais plutôt comme sujet agissant et choisissant. La connaissance procède de l'expérience vécue et non l'inverse : c'est à partir de ce qu'il expérimente dans l'interaction avec son environnement que GUIDE/Génération Lycée

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l'être humain construit sa représentation des possibles et définit les buts à atteindre. Son but premier n'est pas de connaître mais plutôt de survivre et de se développer. En ce sens, nous pouvons dire que le choix précède la connaissance.

2.2

UNE PEDAGOGIE EXPERIENTIELLE

Accompagner quelqu'un dans la recherche de son orientation est une démarche différente de celle d'enseigner. Un enseignant transmet à ses élèves un ensemble de savoirs « objectivables » connus et définis dans des programmes. L'élève sait que pour résoudre des problèmes de mathématiques, il doit nécessairement acquérir les connaissances contenues dans le programme. Le but de l'enseignement est de faire accéder l'élève à cette connaissance sans laquelle il est impossible de pratiquer les mathématiques. S'orienter ne demande pas seulement à l'élève d'acquérir des connaissances sur lui et sur son environnement mais aussi et surtout de s'engager dans un devenir qui peut signifier bonheur ou souffrance, joie ou peine. Selon la représentation qu'il se fait de sa vie et de sa place dans son environnement, la connaissance peut paraître à celui qui s'oriente un moyen d'affiner le choix, de le rendre plus efficace, mais peut aussi représenter une menace. Le choix d'orientation ne fait pas seulement appel à la dimension cognitive. Renoncer, par exemple, à des études longues peut sembler une solution rationnelle pour un élève en échec si la question de son orientation est examinée uniquement sous l'angle de ses résultats scolaires. Cette solution peut cependant être vécue par lui comme une catastrophe s'il pense qu'en renonçant aux études longues il perdra l'estime d'un père qui attache une grande importance à sa réussite scolaire. De ce conflit, découlera une décision qui ne peut pas être prévue de l'extérieur et qui ne peut pas faire l'objet d'un conseil. Choisir de ne pas comprendre peut être une stratégie de vie pour celui qui ne se reconnaît aucun pouvoir personnel, qui a le sentiment d'être commandé de l'extérieur. La décision d'orientation ne peut pas être analysée seulement du point de vue rationnel à partir d'un traitement « objectif » des informations contenues dans la situation. Tous les enseignants ont déjà éprouvé la difficulté de convaincre certains élèves, jugés peu réalistes, de modifier leurs choix d'orientation. « Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut entendre ». Le discours visant à modifier les représentations ne trouve pas écho parce qu'il ne permet pas à l'individu de comprendre comment sa représentation s'est élaborée dans son expérience personnelle et quel sens elle revêt pour lui. L'expérience de l'adulte ne peut se substituer à celle de l'adolescent. Plutôt que d'essayer de rendre les adolescents « réalistes », de tenter de les conformer à la représentation que nous nous faisons de la réalité, il est plus efficace de leur proposer des situations pédagogiques leur offrant la possibilité de découvrir et d'expliciter ce qui, dans leur expérience quotidienne, les a amenés à construire l'image qu'ils se font de la réalité. Ils saisiront ainsi le rapport personnel qu'ils entretiennent avec la réalité. Les adolescents expriment souvent des représentations professionnelles stéréotypées comme « les métiers sociaux sont féminins, les métiers industriels sont masculins ». Ces représentations ont l'inconvénient de limiter les possibilités de choix. Il est pourtant peu efficace d'expliquer aux adolescents qu'ils se trompent en s'interdisant de choisir des professions auxquelles ils pourraient avoir accès. Il est plus pertinent de les placer dans une situation où ils peuvent expérimenter le fait qu'ils ne s'autorisent pas à explorer certaines professions. Plutôt que de tenter de modifier leur comportement en les leur expliquant, il est préférable de leur faire vivre une situation pédagogique où ils ont la possibilité de se surprendre en train de limiter leur exploration professionnelle. Une telle expérimentation leur permet de réaliser qu'ils se censurent et leur fait rechercher ce qui les amène à agir ainsi. Ils peuvent par la suite modifier leurs représentation du choix professionnel. Tout comportement a une signification qui prend sa source dans ce que vit la personne. Cette signification peut cependant être implicite. Demander à la personne de modifier son point de vue, c'est la couper de son expérience et lui interdire l'accès au sens de son comportement. C'est l'obliger à changer en l'empêchant de comprendre comment ce changement s'inscrit dans sa vie. C'est placer la connaissance exclusivement au niveau du discours et de l'argumentation. En dehors du fait que cette stratégie pédagogique visant à produire un changement de l'extérieur a toutes les chances d'être inefficace, elle présente un risque majeur sur le plan psychologique. En effet, elle risque d'invalider la personne en lui donnant le sentiment que sa position est incohérente, qu'elle n'est pas capable de produire du sens. Si ce genre de situation se répète trop souvent, elle risque de diminuer l'estime de soi et de fragiliser la construction de l'identité personnelle de l'adolescent. La démarche pédagogique proposée est fondée sur une conception « expérientielle » du développement. Avant d'être un problème à résoudre, l'orientation est une expérience à vivre. L'objectif n'est pas de transmettre des connaissances, de faire acquérir des notions, mais d'offrir aux élèves la possibilité de s'engager dans des situations à vivre leur permettant de se laisser informer par ce qu'ils expérimentent. Pour atteindre cet objectif, le rapport pédagogique doit s'éloigner de la transmission magistrale d'information pour laisser la place à une démarche inductive de découverte fondée sur l'expression de ce que les élèves se représentent et ressentent à propos de l'activité proposée. Contrairement à un apprentissage scolaire normalisé caractérisé par la recherche de la bonne réponse, il GUIDE/Génération Lycée

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s'agit de favoriser la divergence par l'expression de la spontanéité. Chacun pourra ainsi découvrir le rapport subjectif, singulier, qu'il entretient avec le thème envisagé. Le but est d'engager les élèves dans un processus – intrinsèquement motivé – de recherche du sens qu'ils donnent parfois sans le savoir à leur orientation. Pour comprendre cette notion, considérons une situation pédagogique offrant un caractère peu expérientiel : celle d'un cours magistral. Les enseignants ont tous eu l'occasion de remarquer quand ils font un long exposé, que certains élèves ne sont pas attentifs à l'explication qu'ils donnent. Certains ne suivent pas, d'autres rêvent, d'autres ont leur attention détournée par quelque chose qui se passe dehors et regardent par la fenêtre, d'autres encore sont mobilisés par un événement fortuit qui se produit dans la classe, un document qui tombe d'une table, une remarque d'un élève qui n'a pas de rapport avec l'exposé du professeur, etc. Tout se passe comme si certains, bien que physiquement là, n'étaient pas véritablement présents à la situation pédagogique. Lorsque l'enseignant expose une notion, il mobilise les élèves au niveau des mots, mais l'attention qu'il leur demande est contrariée par ce qu'ils vivent au moment où il parle. Leurs sens sont très peu sollicités par le discours de l'enseignant. Au niveau auditif, ils reçoivent bien ses propos, mais ils sont également sollicités par d'autres éléments sonores qui leur parviennent de la classe et de l'extérieur. Leur vue n'est pas mobilisée par la tâche, mais elle est sollicitée par ce qui se passe dans la classe et au dehors. Leur imagination n'est pas non plus mobilisée par les propos de l'enseignant. La situation pédagogique a une faible intensité expérientielle parce que l'élève est sollicité par bien d'autres choses que ce que demande le professeur. L'individu est comme fragmenté, dispersé. Son attention est éclatée dans un ensemble de perceptions internes et externes qui l'éloignent du sujet pour lequel l'enseignant demande toute son attention. Pour parvenir à rester attentif au discours de l'enseignant, il va devoir lutter en permanence contre ces perceptions venant de l'intérieur et de l'extérieur. Même s'il a la volonté de suivre, son attention va se relâcher. Ce genre de situation est peu propice à l'apprentissage parce que l'élève est en permanence détourné de l'objet d'apprentissage par ce qu'il vit dans la situation. Son niveau d'implication est faible. Si la personne qui apprend est occupée non seulement à entendre parler, mais également à regarder l'objet d'apprentissage, son attention sera moins facilement détournée par les stimuli visuels extérieurs à la tâche. S'il est amené à imaginer ce qui est proposé par l'enseignant, il laissera moins facilement son imagination vagabonder vers d'autres objets. S'il a pour tâche de manipuler l'objet d'apprentissage, il sera moins enclin à répondre aux stimulations internes de son corps. S'il lui est demandé d'exprimer ce qu'il ressent concernant l'objet d'apprentissage, il ne se laissera pas envahir par d'autres sentiments sans rapport avec la situation pédagogique. Pour favoriser la centration sur la tâche et donner à l'activité de découverte toute son efficacité, la situation pédagogique devrait permettre à l'élève d'être moins fragmenté dans son attention. Pour cela, il est nécessaire de le mobiliser, non seulement au niveau sémantique, celui du discours, mais également au niveau perceptuel-imaginaire, au niveau subjectif-émotionnel et, si possible, au niveau actif-comportemental. Plus les capacités de découverte de l'individu seront mobilisées simultanément, plus il sera présent à l'objet, plus son implication sera grande, plus l'apprentissage sera efficace. La situation pédagogique est d'autant plus expérientielle qu'elle mobilise simultanément tous les moyens dont dispose l'individu – cognitifs, affectifs, sensoriels – pour prendre connaissance de l'objet d'apprentissage. Placée dans une situation de ce type, la personne est unifiée, entièrement disponible à la tâche proposée. Parce que la situation l'implique complètement, elle peut avoir une grande intensité et devenir très efficace pour la découverte : ce qui est discuté est renforcé par ce qui est imaginé, par ce qui est ressenti et parce qui est agi.

2.2.1 Les niveaux d'implication13 Penser, imaginer, ressentir, agir, constituent, dans cet ordre, des niveaux expérientiels de plus en plus impliquants. Lire une pièce de théâtre ne produit pas le même effet que de la voir jouer par des acteurs. La voir jouer par d'autres n'a pas le même effet que de la jouer soi-même. – Le niveau sémantique constitue le premier niveau expérientiel, le moins impliquant. Il n'a en fait aucune dimension expérientielle. Il concerne les activités pédagogiques basées sur la transmission d'information par le discours. – Le niveau perceptuel-imaginaire est le deuxième niveau d'implication. Les activités pédagogiques qui utilisent l'image, la visualisation, la figuration, l'analogie en font partie. GUIDE/Génération Lycée

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– Le niveau subjectif-émotionnel est le troisième niveau expérientiel. Il met en jeux des activités pédagogiques fondées sur l'évocation, la connotation, l'identification, l'émotion. – Le niveau actif-comportemental est le plus impliquant. Il demande au sujet d'agir la situation. Les activités comme le jeu de rôle ou la simulation en font partie. Dans ce contexte pédagogique, le sujet n'est plus seulement dans la position de penser la situation ni de se la figurer ou de la visualiser mais de la vivre de l'intérieur. 13. PELLETIER, D. Pour une approche éducative en orientation, Editions G. Morin, 1980.

2.3

L'ANIMATION EN PEDAGOGIQUE EXPERIENTIELLE

Les situations pédagogiques proposées dans Génération Lycée ne donnent pas lieu à un cours mais plutôt à une animation. Il s'agit d'accompagner un groupe dans la recherche de la signification que prend pour chacun la question de l'orientation. L'enseignant qui s'engage dans ce type d'activité doit accepter de changer de position par rapport aux élèves. Il n'est plus celui qui transmet un savoir, mais celui qui anime et fait communiquer un groupe engagé dans une activité de découverte centrée sur une expérience à vivre. La tâche de l'animateur est d'induire un processus de recherche par des mises en situation et de permettre aux élèves d'expliciter le sens que révèle pour eux leur façon de réagir à la situation proposée. L'attitude pédagogique doit être directive au regard de la méthode pédagogique et permissive au regard du contenu. L'animation d'une situation pédagogique se fait en quatre étapes : – La sensibilisation à la question – L'activité expérientielle – L'évaluation – L'enchaînement

2.3.1 La sensibilisation à la question Cette première étape conditionne la réussite de l'activité pédagogique. Elle poursuit deux objectifs : – permettre aux élèves de découvrir l'objectif de la séance ; – permettre aux élèves de se sentir personnellement concernés par l'activité proposée. La séquence ne doit pas commencer avec l'énoncé et l'explication de l'objectif aux élèves. Cela aurait comme conséquence de favoriser une position passive de ceux-ci alors que c'est l'attitude contraire qui est visée. Les élèves doivent comprendre dès le début de la séance qu'on attend d'eux une attitude active et que la réussite de l'activité est liée au fait que ce sont eux qui apportent le contenu. Les élèves sont amenés à découvrir l'objectif de la séance par une mise en situation qui permet à chacun de donner son impression première concernant le thème proposé. Les interactions entre les élèves permettent à l'animateur de faire cheminer le groupe vers la découverte de l'objectif. L'utilisation des interactions permettra d'engager un maximum d'élèves dans le questionnement et évitera à l'animateur de se retrouver dans la situation de l'enseignant. Son rôle est essentiellement celui d'un « facilitateur » encourageant l'expression et d'un médiateur garant de la possibilité d'être écouté par le groupe. L'animateur ne se situe pas dans une relation pédagogique individuelle avec chacun des membres du groupe. Il est en relation avec le groupe dans son ensemble. Ce rapport à un sujet collectif centré sur la tâche est la condition pour que le groupe trouve une cohésion et devienne un moyen d'apprentissage pour tous. Chaque membre du groupe a une expérience personnelle de la question traitée. Par son engagement et son expression, l'élève aura la possibilité d'enrichir la réflexion du groupe et, en retour, de s'enrichir par la réflexion des autres. A la fin de la phase de questionnement, l'objectif de la séance est annoncé par l'animateur. Il s'agit en fait d'une reformulation de ce qui aura été dit précédemment par les élèves. L'impression de n'avoir qu'à reformuler ce qui a déjà été dit ou au moins pressenti par le GUIDE/Génération Lycée

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groupe constitue un indice important pour l'animateur : il lui indique que la phase de questionnement est achevée et qu'il peut passer à l'étape suivante. Il ne suffit cependant pas que les élèves aient découvert l'objectif de la séance pour que la situation pédagogique s'avère fructueuse. Encore faut-il qu'ils se sentent concernés, qu'ils aient personnellement envie de poursuivre la réflexion sur le thème proposé. Comment permettre aux élèves de se trouver en position de curiosité, en état de disponibilité ? Comment leur donner l'envie d'approfondir la réflexion ? Pour comprendre la façon d'obtenir cette disponibilité, il faut chercher à savoir ce qui produit chez l'individu un état d'ouverture. Qu'est-ce qui fait que nous ayons envie de voir un film, de lire un roman, d'aller voir une pièce de théâtre ? Peut-être connaissons-nous d'autres réalisations du même auteur qui nous ont laissé un souvenir agréable. Peut-être avonsnous entendu parler du roman ou de la pièce dans une émission télévisée ou dans un article de journal. Notre attention a été mise en éveil. Nous nous faisons des réflexions comme : « Ce film doit être intéressant... », « Ce roman va me passionner... ». Nous sommes en état d'attente positive. Pourtant, nous ne connaissons pas ce film, ce roman, cette pièce. Mais dans les quelques informations que nous possédons, il y a quelque chose qui nous met en appétit de savoir, en attente de découverte. Nous avons le sentiment que nous gagnerions quelque chose en allant voir ce spectacle ou en lisant ce livre. Il y a un lien intime qui s'établit entre nous et l'oeuvre, qui nous fait anticiper une satisfaction et nous motive à nous engager davantage. Ce plaisir attendu, nous ne saurions pas le formuler. Il est sans doute fondé sur une impression, un sentiment. Une chose est certaine, nous poursuivrons plus loin notre investigation. Une situation peut donc prendre une signification potentielle pour une personne et développer chez elle le désir de s'y engager. La personne est intrinsèquement motivée par l'expérience qui l'attend. Elle se laisse guider vers une situation qu'elle ne comprend pas encore vraiment, mais elle a la conviction intime qu'elle lui apportera quelque chose. Nous pouvons parler de signification potentielle parce que le sens de l'expérience qui s'annonce n'est pas encore explicite, il est pressenti. Ce n'est qu'au terme de l'activité que sa signification deviendra explicite. Dans la mesure où la situation pédagogique prend une signification potentielle pour les élèves, ils peuvent être disposés à s'y engager. Pour que les élèves acceptent de participer activement, il faut que cette signification potentielle prenne une valeur positive, qu'ils puissent anticiper un gain. S'engager, s'exprimer, s'exposer devant leurs camarades, au risque d'être peut-être mal compris, représente un effort, peut-être même une crainte. Pourquoi faire cet effort ? Parce que les avantages qu'ils en attendent l'emportent sur les désagréments. Ceci est applicable à tout comportement motivationnel. La motivation se construit toujours sur un processus d'évaluation des gains et des pertes. Ce processus n'est pas nécessairement clair aux yeux du sujet. Il fonctionne le plus souvent avec des impressions mais il est toujours présent. A la signification potentielle et à l'anticipation du gain s'ajoute le désir de comprendre. C'est une caractéristique du comportement humain que de désirer comprendre, de tenter de satisfaire un besoin de connaissance, de trouver des réponses aux questions. La phase de questionnement ayant ouvert à une question non résolue devrait mettre les élèves dans la disposition d'aller plus loin pour en savoir plus. Il n'est cependant pas acquis que les élèves reconnaissent à la question de l'orientation une signification potentielle positive. Il n'est pas certain que tous les élèves anticipent un gain à s'engager dans une réflexion sur le monde du travail qui les attend à la sortie de leurs études ou qu'ils soient disposés à réfléchir sur leur comportement dans leurs études. Le contexte économique et culturel actuel ne favorise guère une attitude prospective. Si les adultes sont, en général, convaincus du profit que pourraient avoir les adolescents à s'interroger sur ce qu'il font à l'école et sur ce qu'ils attendent de l'avenir, tous les élèves n'anticipent pas pour autant le gain que pourrait leur procurer cette réflexion. Au moment de questionner les élèves, l'animateur rencontre inévitablement des résistances. Certains élèves peuvent se sentir déstabilisés, menacés par la réflexion qui s'engage. Il peut se produire des réactions de fuite par l'humour, la dérision, ou d'autres comportements individuels visant à empêcher le groupe de se centrer sur la tâche. L'animateur peut être décontenancé par de telles réactions. Il faut alors éviter le piège d'essayer de convaincre les élèves difficiles en argumentant pour essayer de modifier leur attitude. Ceci l'empêche d'agir en tant qu'animateur et le fait entrer dans une situation de conflit qui va l'éloigner de son objectif. L'animateur a intérêt à rester centré sur le groupe en s'efforçant d'être attentif à tout ce qui s'y passe. L'élève qui refuse de s'engager doit lui aussi être entendu et rassuré. Le moyen d'y arriver est d'utiliser les interactions dans le groupe. C'est par la confrontation avec ses pairs que l'élève difficile va pouvoir apprendre que la position qu'il adopte n'est pas la seule possible et que d'autres élèves qui se trouvent dans une situation comparable à la sienne réagissent avec moins d'inquiétude que GUIDE/Génération Lycée

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lui. L'utilisation des interactions entre élèves est ainsi un moyen de se servir des résistances individuelles pour faire cheminer un groupe vers l'objectif pédagogique. Par exemple, l'animateur questionne un groupe d'élèves sur les avantages qu'ils pourraient avoir à découvrir des professions dont ils ignorent l'existence. La réflexion à peine engagée, Sylvie, une élève du groupe, manifeste ouvertement son refus d'entrer dans la tâche. L'animateur l'interroge sur ce qui la fait réagir ainsi. « Je ne vois pas l'intérêt de découvrir des professions nouvelles étant donné que je sais ce que je veux faire plus tard... Je veux être hôtesse d'accueil ». Plutôt que de continuer l'échange avec Sylvie, l'animateur renvoie ses propos au groupe et demande quelles réactions cela suscite en chacun d'eux. Très rapidement un clivage s'établit dans le groupe : il y a d'un côté ceux qui sont d'accord avec Sylvie, et de l'autre, ceux qui sont en désaccord avec elle. L'animateur demande alors aux deux parties de s'expliquer. « Elle a raison dit l'un, puisqu'elle sait ce qu'elle veut faire, je ne vois pas pourquoi elle se compliquerait la tâche. Sans compter qu'en s'intéressant à d'autres professions, elle risque de perdre sa motivation pour ce qui l'intéresse ». « Moi je trouve qu'elle a tort, dit un autre, parce que si ça se trouve, il y a des tas de professions dont elle ignore l'existence qui lui conviendraient mieux, dans lesquelles elle serait plus heureuse ». L'animateur laisse l'échange se prolonger quelques instants puis s'adresse à Sylvie pour lui signifier qu'elle est libre de son attitude et propose au groupe de poursuivre le travail. L'animateur a ainsi évité une situation de conflit et a utilisé une résistance pour faire réfléchir le groupe. Au lieu d'être perçue comme un élément perturbateur, Sylvie est devenue utile au groupe. Sa réaction a permis à ses camarades de formuler l'objectif, d'anticiper le gain d'une telle démarche et, en même temps, d'envisager le problème dans sa complexité. C'est intéressant de découvrir des professions nouvelles, mais ça peut être aussi inquiétant, déstabilisant. L'inconnu, bien qu'attirant, peut faire peur. A ce moment, le groupe n'est plus seulement en train d'argumenter, il est affectivement présent à la question. Sylvie n'est pas évaluée négativement. Sa réaction a du sens, mais elle a pu entendre dans le groupe que d'autres attitudes sont possibles. Il peut s'établir dans le groupe entre l'animateur et les élèves et entre les élèves eux-mêmes une relation de respect mutuel indispensable à l'engagement. Sylvie est libre de s'engager ou non dans la tâche proposée. Elle vient de faire l'expérience qu'il est possible d'être écoutée et qu'elle a de l'importance pour les autres. Son image d'elle-même n'est pas dévalorisée. Peut-être même perçoit-elle dans cette situation des raisons de s'estimer davantage, de diminuer son inquiétude.

2.3.2 L'activité expérientielle L'étape du questionnement ayant permis aux élèves de se mettre en état d'ouverture, d'attente positive, le moment est venu d'entrer dans la deuxième phase de l'activité : l'expérience. L'objectif est de permettre à chacun de s'engager davantage pour tirer profit de la situation pédagogique. Pour réussir cette étape centrale de la démarche, il importe de bien percevoir le sens qu'il faut donner à ce qui est appelé « l'activité expérientielle ». Le sens de l'expérience Lorsque nous disons de quelqu'un qu'il a une grande expérience, nous faisons référence au fait qu'il a une grande connaissance d'un sujet pour y avoir été souvent confronté. Ce n'est pas en ce sens que nous parlons ici de l'expérience. La petite histoire qui suit montre ce que nous entendons par expérience : A son retour de vacances, Jean raconte à ses amis que rien dans son séjour ne s'est déroulé comme il l'avait prévu. Le voyage a été émaillé de nombreux incidents. Dans l'avion ballotté par du gros temps, il s'est souvent inquiété. Son voisin, lui, a dormi paisiblement durant tout le voyage. Sa surprise a été grande, en arrivant sur place, quand il a constaté que les conditions de séjour ne correspondaient pas du tout à ce qu'il attendait... Que d'émotions ! Mais en définitive, Jean est étonné de constater qu'il s'est très bien adapté. Cela a été, pour lui, une expérience très enrichissante et il croit qu'il en a retiré le goût de l'aventure. L'activité expérientielle met les élèves dans une situation un peu comparable à celle de Jean. Elle prend un caractère « événementiel ». En travaillant, les élèves ne sont pas seulement devant un problème mobilisant leurs habiletés cognitives. Ils ont à vivre une situation qui les engage affectivement dans la découverte du sens que prend pour chacun le thème proposé. Que se produit-il en nous quand nous nous engageons dans une expérience ? A quoi l'animateur doit-il être attentif et comment doit-il solliciter les élèves s'il veut donner à la situation pédagogique une dimension expérientielle ? L'émergence de la subjectivité GUIDE/Génération Lycée

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Dans l'avion qui le menait vers son séjour de vacances, Jean a vécu de grandes frayeurs. Il a pu constater que son voisin, lui, ne semblait nullement tracassé par les conditions météorologiques. Bien que se trouvant dans la même situation matérielle, chacun vivait en son for intérieur des choses très différentes. Lorsqu'elle est engagée dans l'expérience, la personne n'a pas un rapport objectif à la situation. L'événement ne prend pas, pour Jean, la même coloration émotionnelle que pour son voisin. Il ne se représente pas la situation de la même façon. Il ne se comporte pas de la même manière. Il n'a pas les mêmes peurs, les mêmes espoirs, les mêmes attentes... Voilà une des caractéristiques de l'expérience personnelle : son caractère subjectif. En s'étonnant du calme de son voisin, Jean peut saisir le rapport subjectif qu'il entretient avec la situation. Il peut identifier le caractère singulier de ce qu'il est en train de vivre. Offrir à la personne la possibilité de s'approprier le rapport subjectif qu'il entretient avec la tâche confère un caractère expérientiel à la situation pédagogique. Pour cela, l'animateur peut s'efforcer de favoriser et de mettre en évidence, pendant que le groupe travaille, tout ce qui, dans le comportement et l'expression des élèves, manifeste leur subjectivité. Il s'efforce d'éviter un ralliement trop rapide à l'opinion générale. Il encourage chacun à parler à la première personne plutôt qu'à la troisième. Il amène chacun à prendre la responsabilité de ses propos. Il valorise les divergences plutôt que les convergences. Imaginons les élèves en train de réaliser l'activité expérientielle devant les amener à comprendre comment ils gèrent les risques quand ils doivent faire un choix. Les élèves ne doivent pas aborder l'activité comme une réflexion à caractère purement intellectuel visant à établir une norme pour la prise de risque. C'est l'objectif exactement inverse qui est visé. Il ne s'agit pas, pour les élèves, d'apprendre quels risques ils doivent prendre lorsqu'ils décident, mais plutôt de prendre conscience de la façon personnelle qu'ils ont de gérer les risques. Nous voyons là tout le sens de la démarche pédagogique définie comme directive au regard de la méthode et permissive au regard du contenu. La réalisation de l'exercice prend toute sa dimension expérientielle quand l'animateur pointe les différences d'attitudes chez les membres du groupe. Il fait ainsi émerger le rapport subjectif que chacun entretient avec la prise de risque. Une intervention normative de l'animateur sur le contenu interdirait à l'activité pédagogique de prendre sa dimension expérientielle. La valorisation de la subjectivité est d'autant plus importante qu'elle n'est pas souvent de mise dans les rapports sociaux et dans les situations d'apprentissage scolaire. Nous apprenons même le plus souvent à nous en méfier, à la considérer comme une source d'erreur. Il importe cependant de considérer que dans la situation pédagogique qui nous occupe, l'individu n'est pas en train de construire un savoir scientifique, une connaissance objective. Il n'est pas spectateur de sa vie comme un savant qui observe des phénomènes. En vivant une expérience, il se découvre en train de désirer, d'aimer, de haïr, d'espérer, d'attendre. Il est l'acteur d'une histoire singulière qui n'appartient qu'à lui. Il y a autant de façons de vivre le métier d'enseignant que de gens qui enseignent. Il y a autant de façons de vivre la scolarité que d'élèves à l'école. L'expression de la spontanéité L'histoire de Jean révèle un autre aspect de l'expérience qu'il est important de prendre en compte dans l'animation. Jean s'étonne des capacités d'adaptation dont il a fait preuve. En se laissant aller à vivre cette expérience, il s'est surpris lui-même. Quelque chose de lui dont il n'avait pas encore conscience s'est spontanément révélé. Il en retire un sentiment d'enrichissement. La spontanéité est une autre dimension de l'expérience personnelle. Ce que nous vivons est susceptible de nous surprendre et de nous apprendre quelque chose sur nous-même. S'engager dans l'expérience, c'est partir à la découverte de soi-même en laissant sa part à l'imprévisible, à l'inattendu. Chaque expérience, en nous construisant, modifie l'image que nous avons de nous-même. Pour que la personne tire profit de ce qu'elle vit, il lui faut s'accepter comme un être en changement, en devenir. Cela explique que l'expérience puisse aussi apparaître menaçante. Se laisser aller à vivre des expériences suppose un comportement qui pourrait être défini comme un « lâcher prise ». Une telle attitude est possible pour des personnes en confiance avec elles-mêmes et avec leur environnement. Une personne angoissée par le changement peut s'interdire de vivre des expériences pour ne pas avoir à se découvrir, pour tenter de ne pas bouger dans son identité. Pour parvenir à maintenir cet état d'immobilité, elle va devoir exercer sur elle-même un contrôle permanent inhibant ses émotions. Elle y perdra toute spontanéité. C'est le prix qu'il lui faudra payer pour ne pas se laisser surprendre. En fait, deux types d'attitudes peuvent se rencontrer chez les élèves qui vivent une expérience de découverte : – certains parlent d'eux d'une manière tranchée, nette, précise. Le discours est rationnel et ne montre pas d'hésitation. Aucune manifestation émotionnelle n'est perçue. Ils sont distanciés et parlent d'eux comme d'un objet extérieur. Le discours est froid, sans coloration affective. Leur opinion se présente comme définitivement arrêtée. Tout se passe comme si la situation n'apportait pas GUIDE/Génération Lycée

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d'informations nouvelles. L'expérience qu'ils vivent dans le groupe ne semble pas vraiment les concerner. Ils maîtrisent la situation et sont à l'abri de toute surprise. – d'autres parlent d'eux de façon hésitante. Leur expression laisse place à des silences réflexifs. Ils semblent s'interroger en même temps qu'ils parlent. Leur propos spontané n'est pas exempt de maladresse et laisse affleurer l'émotion. Ils donnent l'impression d'être très présents à eux-mêmes et à la situation. Il est important de favoriser l'expression de la spontanéité des élèves en sollicitant les sentiments qu'éveille en eux l'activité dans laquelle ils sont engagés. En écoutant leurs réactions affectives à ce qu'ils sont en train de vivre, les élèves peuvent se laisser aller à la spontanéité de l'expérience et se découvrir dans l'action. Le discours rationnel des uns et les hésitations des autres ne doivent pas impressionner l'animateur. Il s'agit de valoriser l'expression spontanée, de ne pas craindre les silences. Il est souhaitable de solliciter des comportements de recherche, d'encourager les élèves hésitants à poursuivre, de se garder d'évaluer ceux qui s'engagent peu, mais de les inviter avec bienveillance à exprimer leurs impressions, leurs sentiments par rapport à la tâche. Il est important de ne pas brusquer les élèves. Personne ne peut être forcé à vivre une expérience. Si les élèves ressentent la situation comme étant dangereuse pour eux, rien ne pourra les contraindre à s'y engager. Il en est ainsi du comportement de tous les humains. Nous avons tous tendance à fuir le danger et à éviter tout ce qui provoque en nous du déplaisir. Les interactions des élèves demeurent le meilleur moyen de permettre leur engagement : un élève qui hésite à s'engager dans l'activité peut « se débloquer » en voyant la satisfaction de ceux qui ont couru le risque de s'y engager complètement.

2.3.3 L'évaluation L'évaluation, troisième étape de la démarche pédagogique, permet de passer de la signification potentielle évoquée dans la première étape à la signification explicite marquant l'aboutissement du processus pédagogique. La signification potentielle place les élèves en état d'attente par rapport à l'expérience qui leur est proposée. Cet état ne peut se prolonger indéfiniment. Il faut qu'il débouche sur un résultat. C'est le propre de la signification explicite que de révéler le sens que prend l'expérience vécue et de l'inscrire dans le contexte global du sujet. L'expérience, en prenant son sens, s'organisera et s'articulera à l'ensemble des expériences vécues par la personne. Cela veut dire que la personne intègre l'expérience. Cette phase d'intégration permet aux élèves de faire le point sur ce qu'ils ont appris, sur ce qui s'est modifié en eux. Elle place l'ensemble de leur expérience passée sous l'éclairage de ces informations nouvelles. Les élèves établissent des liens entre ce qu'ils viennent de vivre et ce qu'ils ont vécu précédemment. Leur identité personnelle se complexifie et s'enrichit. L'expérience est développante en ce sens que si elle modifie le regard que le sujet porte sur lui-même et sur sa vie, ce changement n'est pas ressenti comme une rupture, mais au contraire comme une continuité, comme une synthèse qui s'élabore à un niveau supérieur. Ce que le sujet vient de vivre en acceptant de se laisser surprendre lui permet maintenant de reconnaître plus précisément la direction que prend sa vie. Le gain anticipé dans l'étape de questionnement trouve sa réalisation : le sens de sa vie devient plus explicite. L'une des raisons essentielles qui empêche certains élèves de s'engager dans l'expérience vient sans doute du fait qu'ils ne parviennent pas à percevoir le lien, la continuité qui s'établit à travers les changements qu'ils vivent. Ils vivent leurs expériences de façon un peu chaotique dans une juxtaposition de situations marquées par la discontinuité. Ils ne construisent pas de concepts d'eux-mêmes. Leur image d'eux-mêmes est comme exportée de l'extérieur. Elle n'a pas de source intérieure où s'alimenter. La continuité ne peut venir que de l'intérieur. En acceptant les changements extérieurs que provoque toujours l'expérience vécue, on ne devient pas un autre, on devient plus profondément soi-même.

2.3.4 L'enchaînement Chaque séance portant sur un thème délimité, il importe de permettre aux élèves d'établir des liens avec les autres thèmes du programme. L'ensemble de la démarche pédagogique y gagnera en cohérence et en efficacité. Le processus d'intégration s'en trouvera renforcé. Etablir ces liens ne peut que développer la motivation intrinsèque des élèves et faciliter leur engagement dans les différentes activités du programme. Cette dernière étape de l'activité pédagogique, en faisant rebondir leur réflexion, leur ouvrira d'autres pistes et les incitera à continuer leur réflexion en leur faisant anticiper de nouveaux gains. Plus les liens seront nombreux, plus la promesse de sens sera grande. GUIDE/Génération Lycée

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2.4

LES OUTILS PROPOSES

Génération Lycée se compose de dossiers élèves et d'un classeur TSO destiné à l'animateur. Les dossiers élèves sont au nombre de quatre : – Dossier 1 Enjeux et défis : ce premier dossier comprend 18 thèmes qui permettent aux lycéens de situer les enjeux de l'orientation et les aident à répondre aux question : « Ai-je réellement le choix ? Je n'ai pas d'idées, c'est difficile de choisir... ». Les élèves y trouvent d'abondantes informations sur les options et les filières d'études. Mais surtout, ils sont amenés à s'exprimer et à réfléchir sur leurs perceptions, leurs valeurs, leurs motivations et stratégies d'étude. – Dossier 2 Le sens de l'action : ce dossier permet aux lycéens de mieux comprendre les actions qui les aident à collecter de l'information ou à réfléchir sur leur orientation : forums, portes ouvertes, stage en entreprise, exploitation de l'autodoc, entretien avec un conseiller d'orientation-psychologue, rencontre avec des professionnels..., il les prépare à en tirer un profit personnel – Dossier 3 Le supérieur dans tous ses états : Quels sont les vrais enjeux des études supérieures ? Pourquoi et comment décider de les poursuivre ? Quels cycles correspondent à quelles ouvertures ? Quel environnement social et culturel caractérise chaque type d’étude et comment s’y insérer? Autant de questions auxquelles ce dossier, preuves et témoignages à l'appui, s’attache à apporter des réponses. – Dossier 4 Gagner sa vie : afin de se familiariser avec la vie active et les exigences du monde professionnel, les élèves pourront travailler sur différents thèmes : les réalités du monde du travail, les compétences professionnelles attendues et l'exploration du marché de l'emploi. Les dossiers Génération Lycée ne sont pas nécessairement liés aux années de scolarité mais plutôt aux grandes étapes de la démarche d'orientation telle qu'elle se vit au fil des années lycée. Les dossiers peuvent être exploités en grande partie de manière autonome par les élèves et sont d'excellents supports pédagogiques dans le cadre de l'animation en classe. Le classeur TSO outre cette partie théorie détachable qui explique l'approche conceptuelle et pédagogique de la démarche comprend une partie pédagogique constituée de conducteurs d'animation et de fiches-classes liées à chacun des dossiers Génération Lycée. Les conducteurs d'animation précisent chaque fois la problématique à l'étude, l'objectif de la séquence et la pédagogique adaptée. Les fiches-classes reproductibles permettent la réalisation d'activités à exploiter en groupe. Les trois outils sont divisés en sections selon les différents temps pédagogiques. Le tableau ci-dessous établi la correspondance entre les pictogrammes utilisés pour marquer ces temps dans les dossiers Génération Lycée et les titre utilisés dans les deux autres composantes du matériel pédagogique que sont les conducteurs d’animation et les fiches-classes. DOSSIER GENERATION LYCEE

CONDUCTEURS D'ANIMATION La sensibilisation à la question L'expérience L'évaluation L'enchaînement

2.5

FICHE-CLASSE Échange... Discussion... Réflexion... Opinion... Alors... Alors... Alors...

LA PREPARATION D'UNE SEQUENCE PEDAGOGIQUE

Il n'y a pas d'ordre précis quant aux thèmes ou séquences pédagogiques à vivre en classe. De même, tous les thèmes des dossiers Génération Lycée n'ont pas à être vus dans le cadre d'une séance. Il appartient à l'animateur et au groupe de constituer leur programme en choisissant les thèmes à couvrir et l'ordre à privilégier (voir le conducteur Faites votre programme placé au début de la section Les conducteurs d'animation dans le classeur). GUIDE/Génération Lycée

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Trois outils sont nécessaires pour la préparation des séquences pédagogiques : le dossier Génération Lycée, les conducteurs pédagogiques du guide et les fiches-classe. Il est suggéré à l'animateur, pour la préparation d'une séquence pédagogique, de commencer par la lecture des pages se rapportant au thème à l'étude dans le dossier Génération Lycée. L'animateur aura en effet à proposer aux élèves un cheminement analogue à celui présenté dans le dossier. En faisant par lui-même l'activité proposée dans la revue, l'animateur pourra mieux percevoir les savoirs, savoir-faire et savoir-être que celle-ci mobilise. Grâce à cette expérience personnelle, il sera en mesure de les mobiliser chez les élèves pendant la séquence. L'animateur peut ensuite passer à la lecture du conducteur d'animation. En plus des sections consacrées à la séquence pédagogique elle-même : La sensibilisation à la question, L'activité, L'évaluation et L'enchaînement (voir p. X à X), le conducteur d'animation présente les sections suivantes: La problématique, L'objectif, L'organisation pédagogique et matérielle. – La problématique : section qui situe le thème à l'étude par rapport à la question de l'orientation et au vécu des élèves. – L'objectif : section qui présente le ou les objectifs à atteindre par l'animation de la séquence pédagogique. – L'organisation pédagogique et matérielle : section qui suggère une méthode de travail, une technique à privilégier selon les temps pédagogiques. Elle présente aussi à l'animateur le matériel nécessaire au déroulement de la séquence pédagogique. Enfin, une note en caractères italiques intitulée Ce à quoi il faut veiller attire l'attention de l'animateur sur des points spécifiques tels que le climat à privilégier en classe, des remarques particulières, etc. Pour bien juger du travail à faire en classe et pour mieux suivre les différentes étapes de la séquence pédagogique, il est utile que l'animateur ait sous les yeux la fiche-classe correspondant au thème étudié. Une lecture parallèle du conducteur et de la fiche-classe permet une compréhension et une préparation adéquate. Il est à noter que l'animateur se voit proposer une manière assez précise de conduire les séquences pédagogiques dans les conducteurs d'animation. Toutefois, elle n'est pas la seule qu'il soit possible d'imaginer. En fonction de son expérience, l'animateur pourra luimême choisir sa façon d'animer les séquences pédagogiques. Il pourra tout aussi bien , en conséquence , modifier les fiches-classes correspondantes. Chaque séquence pédagogique demande une heure de travail en classe. Une séquence pédagogique type présente le découpage de temps suivant : – La sensibilisation à la question : 10 minutes ; – L'activité expérientielle : 35 à 40 minutes ; – L'évaluation et L'enchaînement : 10 minutes. Ce découpage théorique donne un ordre de grandeur et n'a pas être suivi à la lettre. Il serait utile de pouvoir consacrer au moins la moitié du temps de la séance à l'activité expérientielle. Dans les faits, l'organisation dépendra largement des groupes rencontrés, de leur engagement dans le travail, de leurs résistances. Il est impératif de réussir la phase de sensibilisation pour que l'activité expérientielle ait du sens. Dans certains groupes, pour réussir la sensibilisation, l'animateur devra largement dépasser les 10 minutes prévues. Lorsqu'il est confronté à un groupe difficile et résistant, l'animateur peut être tenté de bâcler cette étape de questionnement pour passer rapidement à l'activité expérientielle en espérant que les élèves s'y intéresseront. C'est là une erreur qu'il faut éviter. Mieux vaut passer toute la durée de la séance sur l'étape de questionnement plutôt que de leur faire vivre l'expérience sans qu'ils aient compris l'objectif et sans qu'ils y aient adhéré. Les enseignants ont tous fait l'expérience, en pédagogie, du peu de productivité qu'ont les élèves qui ne voient pas à quoi va leur servir ce qu'on leur demande d'apprendre. Dans la démarche pédagogique qui nous occupe, les effets de ce genre de situation seront encore beaucoup plus sensibles parce que l'activité expérientielle demande un niveau d'implication bien supérieur que ce qu'exige l'apprentissage scolaire. L'activité expérientielle aurait bien peu de portée si elle n'était suivie de l'étape d'évaluation. Quand l'animateur est dans l'activité expérientielle, il est indispensable qu'il pense à se garder au moins cinq minutes à la fin pour interroger les élèves sur ce qu'ils ont retiré de l'activité. GUIDE/Génération Lycée

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Pour faciliter le travail de préparation des séquences pédagogiques, un modèle de fiche synthétique est proposé à l'animateur (voir section Conducteurs d'animation du classeur). La fiche synthétique est utile pour bien gérer le temps, bien rythmer la séquence en se donnant des repères. La plupart des séquences seront difficiles à mener à bien avec un groupe de plus de 18 élèves dans la mesure où l'activité proposée nécessite une implication importante de chaque élève. En outre, l'animation pourra organiser l'espace dans la classe pour permettre la constitution de tables rondes, tribunes, sous-groupes préconisés à la section L'organisation matérielle et pédagogique du conducteur d'animation. L'animateur ne doit pas hésiter à prendre le temps nécessaire pour que les élèves soient bien installés. Ce n'est pas du temps perdu puisqu'il s'agit d'une mise en condition qui invite les élèves à sortir du mode de communication traditionnel du cours et les met dans une disposition bien meilleure pour s'impliquer dans l'activité. Pour ne pas se laisser prendre par le temps, il y a deux préoccupations majeures à avoir: 1) Rester centré sur l’objectif, sachant que l’implication que réclame l’activité expérientielle , tout en favorisant l’apprentissage, est de nature à facilité les digressions. Le fait de proposer plusieurs séquences pédagogiques aux élèves en classe permet de plus facilement les inviter à ce recentrer sur l’objectif de chacune des séquences, et d’éviter de vouloir aborder tout les aspects de l’orientation en une heure. 2) Bien respecter et marquer les temps pédagogiques pour donner du rythme à la séquence. La encore , dès la troisième ou quatrième séquences ces temps pédagogiques, intégrés par les élèves eux-même, seront plus facile à respecter collectivement. 2.6

LES TECHNIQUES D'ANIMATION

(Voir fichier TECHANI.DOC)

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