Edition du jeudi 12 avril 2012

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LES ANNONCES DE LA SEINE Photo © Conseil de l'Europe

Jeudi 12 avril 2012 - Numéro 26 - 1,15 Euro - 93e année

Cour Européenne des Droits de l’Homme Rapport annuel 2011 - 26 janvier 2012 EUROPE

Brève analyse des principaux arrêts .......................................2

AGENDA ......................................................................................5 VIE DU DROIT

Conférence des Bâtonniers Compte-rendu de l’Assemblée Générale du 30 mars 2012 par A. Coriolis.................................................................................10 Chambre des Notaires de Paris et Club du Châtelet “Avec la QPC, le Conseil constitutionnel est-il devenu une Cour suprême ?” .........................................14 Conseil National des Barreaux Décret « passerelle » du 3 avril 2012 .........................................17

VIE DU CHIFFRE

Investissements d’avenir .........................................................16

JURISPRUDENCE

Enregistrement audiovisuel des interrogatoires et des confrontations des personnes mises en cause en matière criminelle Conseil constitutionnel - 6 avril 2012......................................18

ADJUDICATIONS................................................................17 ANNONCES LEGALES ...................................................21 DÉCORATION Bernard Pagès, Officier de la Légion d’Honneur .............32 SUPPLÉMENT Garde à vue : rapport de la Conférence des Bâtonniers par Jean-François Mortelette

e rapport annuel de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dresse chaque année le bilan de ses activités et présente des informations statistiques. Nicolas Bratza qui a succédé le 4 novembre dernier au Français Jean-Paul Costa à la présidence de la Cour de Strasbourg, en a présenté les principales caractéristiques lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 26 janvier 2012. En 2011, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu 1 157 arrêts et terminé l’examen de 52 188 requêtes. Dans plus de 85 % des cas, au moins une violation de la Convention a été constatée et l’Etat défendeur a été condamné. Plus d’un tiers de ces arrêts de violation sont relatifs à l’article 6 de la Convention, qu’il s’agisse d’équité ou de durée de procédure, et 23% concernent le droit à la vie ou l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (articles 2 et 3 de la Convention). Depuis la réforme du système de la Convention le 1er novembre 1998, la Cour connaît une augmentation considérable de sa charge de travail. Sa productivité est telle que plus de 91 % des arrêts rendus par la Cour depuis sa création en 1959 l’ont été entre 1998 et 2010. Il convient en outre de rappeler que 151 600 affaires étaient pendantes au 1er janvier 2012, dont plus de la moitié étaient dirigées contre quatre pays : la Russie, la Turquie, l’Italie et la Roumanie. Malgré cette charge de travail apparaissant démesurée au regard de ses capacités, la Cour doit traiter en temps utile les affaires portées devant elle. Pour le Président Nicolas Bratza, les 30 000 affaires répétitives pendantes

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devant la cour sont révélatrices d’un manquement à remédier aux problèmes structurels des pays concernés au niveau national et d’un défaut collectif de mise en œuvre de la Convention. Les 47 Etats européens ayant ratifié la Convention doivent pourtant veiller au bon fonctionnement de la Cour et à la protection des droits de l’homme sur le continent. Une conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour sera organisée par le Royaume-Uni à Brighton du18 au 20 avril 2012, pendant la présidence britannique du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Ce sera la troisième en à peine plus de deux ans, après Interlaken en 2010 et Izmir l’année dernière, d’un processus ayant pour objectif principal de ramener le nombre d’affaires pendantes devant la Cour à « un volume gérable » et de faire en sorte qu’il s’agisse de questions importantes au regard de la Convention. La préservation du droit de recours individuel et la mise en place de mécanismes effectifs (nationaux ou internationaux) pour accueillir les affaires bien fondées que la Cour ne peut traiter ont toutefois été posées comme des conditions préalables essentielles. Le Président Bratza a déploré que « les droits de l'homme, l'Etat de droit et la justice perdent de l'importance au sein des priorités politiques dans le climat économique actuel » avant de réaffirmer avec force que, pourtant, « en ces temps incertains, il importe justement de ne pas oublier que les droits de l'homme ne sont pas un luxe et que leur protection relève de la responsabilité commune. » Jean-René Tancrède

J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

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Brève analyse des principaux arrêts et décisions rendus par la Cour en 2011(1)

Etablissements secondaires : 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUST Téléphone : 01 34 87 33 15 1, place Paul-Verlaine, 92100 BOULOGNE Téléphone : 01 42 60 84 40 7, place du 11 Novembre 1918, 93000 BOBIGNY Téléphone : 01 42 60 84 41 1, place Charlemagne, 94290 VILLENEUVE-LE-ROI Téléphone : 01 45 97 42 05 Directeur de la publication et de la rédaction : Jean-René Tancrède Comité de rédaction :

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Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

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n 2011, la Cour a rendu 1 157 arrêts au total par rapport aux 1 499 arrêts rendus en 2010. En effet, en 2011, un plus grand nombre de requêtes a été résolu par une décision. 875 arrêts ont été rendus en formation de chambre et 269 en formation de comité de trois juges. 13 arrêts sur le fond ont été rendus en formation de Grande Chambre. 1 860 requêtes ont été déclarées irrecevables ou rayées du rôle en formation de chambre. En 2011, 46,6% du total des arrêts prononcés en chambre relèvent des niveaux d’importance élevée ou moyenne dans la base de données de la jurisprudence de la Cour (HUDOC)(2). Tous les arrêts de Grande chambre ont un niveau d’importance élevée dans cette même base de données. Ainsi, les arrêts de 2011 ayant un niveau d’importance 1 ou 2 dans la base de données de la jurisprudence de la Cour représentent 36,39% du total des arrêts prononcés durant cette année. Il s’agit d’une hausse sensible par rapport aux 32,5% de l’année précédente. Pour le reste, 736 arrêts concernaient des affaires dites « répétitives » ayant un niveau d’importance faible (niveau 3). La plus grande part des décisions publiées en 2011 dans la base de données de la jurisprudence de la Cour concernait des affaires dites « répétitives ».

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Compétence et recevabilité Obligation de respecter les droits de l’homme (article 1)

Des actes commis à l’extérieur du territoire d’un Etat partie à la Convention peuvent engager la responsabilité de cet Etat sous l’angle de la Convention, dans des circonstances exceptionnelles. Il peut s’agir de la situation d’un Etat contractant qui assume des prérogatives de puissance publique relevant normalement d’un Etat souverain, sur le territoire d’un Etat tiers. L’affaire Al-Skeini et autres c. RoyaumeUni(3) concernait des actes survenus durant l’occupation de l’Irak, dans une province dont le Royaume-Uni, en tant que puissance occupante, avait la responsabilité du maintien de la sécurité. Des décès de civils dans le cadre d’opérations de sécurité des forces britanniques entre mai et novembre 2003, dans cette province, ont été jugés relever de la « juridiction » du Royaume-Uni au sens de l’article 1 de la Convention. Le Royaume-Uni avait donc l’obligation de mener une enquête conforme à l’article 2 de la Convention sur ces faits qui, bien que survenus en dehors de son territoire, relevaient de sa « juridiction » au vu des circonstances exceptionnelles de l’espèce. Dans l’affaire Al-Jedda c. Royaume-Uni(4), la Cour a examiné si une détention en Irak décidée par les forces britanniques, alors stationnées dans ce pays avec l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, était imputable à l’ONU ou

à l’Etat contractant. Elle a analysé notamment le libellé des résolutions du Conseil de sécurité définissant le régime applicable en matière de sécurité pendant la période en cause. Dans cette affaire, l’internement de l’intéressé entre octobre 2004 et décembre 2007 dans un centre de détention de Bassorah, sous le contrôle exclusif des forces britanniques, relevait de la juridiction territoriale de ce pays. Conditions de recevabilité

Droit de recours individuel (article 34) Des personnes qui n’étaient pas « victimes » elles-mêmes d’une violation alléguée de la Convention ont pu été reconnues en qualité de requérantes par la Cour dans des situations spécifiques détaillées dans la décision Nassau Verzekering Maatschappij N.V. c. Pays-Bas(5). Cette décision vient poser le principe que le droit de recours individuel n’est pas un droit de propriété, qui serait transmissible en tant que tel. Nul ne peut donc se voir attribuer par cession conventionnelle un droit de recours devant la Cour. Requête essentiellement la même qu’une requête déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement (article 35 § 2 b) La saisine de la Commission européenne par un particulier préalable à une « procédure d’infraction » contre un Etat membre, entraînet-elle l’irrecevabilité de la requête similaire déposée devant la Cour de Strasbourg ? L’arrêt Karoussiotis c. Portugal(6) tranche cette question par la négative : une requête similaire devant la Cour n’est pas, pour cette raison, irrecevable. En effet, lorsque la Commission européenne statue sur une plainte déposée par un particulier, elle ne constitue pas une autre « instance internationale d’enquête ou de règlement », au sens de l’article 35 § 2 b) de la Convention. Absence de préjudice important (article 35 § 3 b)) Il s’agit de la première année complète d’application de ce nouveau critère de recevabilité entré en vigueur le 1er juin 2010. Selon l’article 35 § 3 b) de la Convention amendée par le Protocole n°14, une requête est déclarée irrecevable lorsque le requérant n’a subi aucun préjudice important, si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas un examen de la requête au fond et si l’affaire a été dûment examinée par un tribunal interne. La Cour peut d’office appliquer l’article 35 § 3 b), quand bien même une requête ne serait pas irrecevable en vertu d’une autre disposition de l’article 35 (Ştefănescu c. Roumanie(7)). La Cour a statué plusieurs fois sur ce nouveau critère de recevabilité. En effet, la violation d’un droit, quelle que soit sa réalité d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un seuil minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale ; ce seuil doit être apprécié au cas par cas, en fonction de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Dans la décision Ştefănescu précitée, c’est la première fois que le préjudice allégué est de nature morale et que la Cour se fonde sur le montant demandé devant le juge interne pour évaluer si la requérante a subi un préjudice important. Dans l’affaire Giuran c. Roumanie(8), la Cour introduit de nouveaux éléments en vue de

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Europe REPÈRES

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Le mot du président Sir Nicolas Bratza

n 2010, la Conférence d’Interlaken sur l’avenir de la Cour a permis de réaffirmer l’engagement politique et le soutien des Etats membres en faveur de la Cour. En 2011, cette position a été confirmée essentiellement à İzmir, sous la présidence turque du Conseil de l’Europe. Ces deux conférences ont également ouvert plusieurs pistes pour la poursuite de la réforme ; la Cour s’est déjà engagée dans certaines d’entre elles en 2011 et continuera sur cette voie en 2012. La Cour a tout d’abord été invitée à veiller, avec l’aide des Etats parties, à ce que des informations complètes et objectives soient fournies aux requérants sur la jurisprudence de la Cour, en particulier sur la procédure de dépôt d’une requête et les critères de recevabilité. Elle étudie de nouvelles solutions pour améliorer la mise à disposition d’informations sur son travail, de manière à permettre aux requérants de prendre une décision éclairée et à favoriser une bonne application de la Convention au niveau national. Fournir davantage d’informations est bien évidemment un moyen de contrer l’afflux d’innombrables requêtes irrecevables. Par ailleurs, la Cour a établi un guide complet sur la recevabilité, lequel a reçu un accueil fort positif et est actuellement en cours de traduction dans différentes langues non officielles. L’un des grands projets pour 2012 concerne l’intégration dans HUDOC (base de données sur la jurisprudence de la Cour) de

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traductions des arrêts les plus importants de la Cour. En parallèle, HUDOC sera aussi doté d’un moteur de recherche plus puissant. Actuellement en cours d’élaboration, il devrait être disponible en 2012 et permettra d’effectuer des recherches plus précises et mieux ciblées dans la jurisprudence. Un autre aspect important du Plan d’action d’Interlaken a trait au filtrage. La Cour doit faire un usage optimal de la formation de juge unique instaurée par le Protocole no14. Ce système, qui est pleinement opérationnel depuis juin 2010, est probablement le plus efficace des outils procéduraux créés par le Protocole. En 2011, 46 930 décisions ont été adoptées par un juge unique. Au total, le nombre de décisions de radiation et d’irrecevabilité a augmenté de 31% comparé à 2010. Bien sûr, malgré ces points positifs l’arriéré continue à croître, puisqu’il a augmenté d’environ 12 300 affaires en 2011. Pour permettre à la Cour de tirer le meilleur parti de cette nouvelle procédure, certains changements structuraux ont été opérés au sein du greffe. Il a ainsi été créée une section de filtrage, laquelle rassemble des équipes qui travaillent sur les requêtes dirigées contre les cinq Etats représentant le plus grand nombre de nouvelles affaires. L’objet de ce changement était d’amener une certaine centralisation du processus, la rationalisation des procédures et l’amélioration des méthodes de travail. Les résultats sont positifs,

comme le montrent les chiffres précités. Compte tenu de son succès, la section de filtrage pourrait voir étendre ses attributions à d’autres Etats. Le Plan d’action d’Interlaken traite également des arrêts pilotes, la Cour ayant été priée d’élaborer des règles claires concernant la procédure de l’arrêt pilote. En avril 2011, après consultation des gouvernements et de la société civile, la Cour a ajouté à son règlement un article 61 consacré à cette procédure. Interlaken ayant mis l’accent sur l’intérêt que présente un recours accru aux règlements amiables et aux déclarations unilatérales, la Cour a agi à ce niveau également. En 2010, plus de 1 200 décisions de radiation ont été adoptées sur cette base (près de deux fois plus qu’en 2009). En 2011, on en comptait plus de 1 500. L’augmentation du nombre de déclarations unilatérales est particulièrement remarquable. La Cour a passé en revue sa pratique relative aux déclarations unilatérales aux fins de la clarifier et de la renforcer. Le Plan d’action d’Interlaken demandait des mesures tendant à améliorer la transparence et la qualité de la procédure de sélection des juges. A l’initiative de la Cour, le Comité des ministres a créé un Panel consultatif, chargé d’examiner les listes de candidats soumises par les Etats membres. Cette procédure permet d’ores et déjà de s’assurer que la liste de chaque Etat correspond au niveau requis. Le Plan d’action a appelé les Etats contractants et le Conseil de l’Europe à conférer à la Cour, dans l’intérêt d’un fonctionnement efficace, l’autonomie administrative nécessaire au sein du Conseil de l’Europe. En octobre, le Comité des ministres a traduit cela dans les faits par l’adoption d’une résolution qui permet de déléguer au greffier de la Cour l’autorité décisionnelle pour la plupart des aspects de la gestion du personnel. La Cour est activement engagée dans le processus de suivi, et les résultats sont prometteurs. Elle continue d’explorer d’autres volets, tels l’amélioration de son dispositif de traitement des demandes de mesures provisoires fondées sur l’article 39 du règlement, ainsi qu’un éventuel système d’avis consultatifs. Il n’en est pas moins important pour les Etats contractants de mettre en œuvre les parties des déclarations d’Interlaken et d’İzmir qui s’adressent à eux, notamment en ce qui concerne l’exécution effective des arrêts de la Cour. La portée de leur réussite dans ce domaine sera décisive pour l’avenir du système de la Convention. Je ne doute pas qu’ils se montreront à la hauteur de la tâche, et aussi déterminés que la Cour à renforcer la protection des droits de l’homme en Europe.

l’applicabilité de ce critère de recevabilité : la valeur affective que le requérant attache aux biens en jeu, et le fait que le problème soumis aux juridictions internes constitue pour le requérant une question de principe.

Droits « cardinaux » Droit à la vie (article 2)

L’affaire Giuliani et Gaggio c. Italie(9) concernait le décès d’un jeune homme, fils et frère des requérants, alors qu’il prenait part à des heurts survenus lors d’un sommet du G8. L’arrêt rendu par la Grande Chambre précise la notion de « recours à la force rendu absolument nécessaire » « pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale » au sens du paragraphe 2 a) de l’article 2 de la Convention. En l’occurrence, la mort fut infligée lors d’une attaque violente et ponctuelle de la part de manifestants, qui constituait un danger imminent et grave pour la vie de trois carabiniers. La Grande chambre rappelle l’obligation positive de l’Etat de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie, notamment s’agissant du cadre juridique et administratif définissant les cas limités du recours à la force pour en réduire les conséquences néfastes. Pour contrer des attaques comme celles en cause dans cette affaire, la Convention ne saurait conduire à la conclusion qu’il n’est pas possible pour les forces de l’ordre de disposer d’armes létales. La Grande chambre rappelle également les obligations des Etats en matière d’organisation et de planification des opérations de police. L’obligation de conduire une enquête effective et indépendante au sens de l’article 2 continue de s’appliquer même si les conditions sont difficiles, y compris dans un contexte de conflit armé. L’arrêt Al-Skeini et autres, précité, l’étend à la conduite d’une enquête effective et indépendante par un Etat contractant occupant une région étrangère et hostile, en proie aux destructions des infrastructures, au lendemain immédiat d’une invasion et d’une guerre. La Cour reconnaît que cela pose des problèmes pratiques pour les autorités d’enquête de l’Etat occupant. Dans de telles circonstances, l’obligation procédurale découlant de l’article 2 doit être appliquée de manière réaliste, pour tenir compte des problèmes particuliers auxquels les enquêteurs doivent faire face. Cela étant, le statut de puissance occupante de cet Etat rend particulièrement important que ses autorités d’enquête soient, dans leur fonctionnement, indépendantes de la hiérarchie militaire et perçues comme telles. Des investigations sur le décès de civils par une autorité séparée hiérarchiquement des soldats impliqués, mais qui n’est pas indépendante de la hiérarchie militaire sur le plan opérationnel, méconnaissent les exigences de l’article 2. La Cour a conscience des difficultés rencontrées par les Etats pour protéger leur population contre la violence terroriste. L’arrêt Finogenov et autres c. Russie(10) (non définitif ) concerne les conditions d’un usage de la force conforme à l’article 2 en réaction à une prise d’otages par des terroristes. Dans cette affaire, la Cour examine plus particulièrement les conditions dans lesquelles les otages ont été évacués et

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Europe secourus à la suite de l’usage d’un gaz dans l’enceinte du bâtiment occupé. Selon l’arrêt Haas c. Suisse(11), l’article 2 oblige les autorités nationales à empêcher un individu de mettre fin à ses jours si sa décision n’intervient pas librement et en toute connaissance de cause. Le droit à la vie oblige les Etats à mettre en place une procédure permettant de garantir qu’une décision de mettre fin à sa vie corresponde bien à la libre volonté de l’intéressé. Un malade souhaitant se suicider demandait à obtenir une substance létale sans ordonnance médicale, par dérogation à la législation. Exiger une ordonnance médicale, délivrée sur le fondement d’une expertise psychiatrique complète, est une solution satisfaisante. Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (article 3)

La question générale du refoulement des demandeurs d’asile en application du règlement communautaire « Dublin II » a été examinée dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce(12). La Grande Chambre a souligné les devoirs pesant sur les Etats contractants en vertu de l’article 3 de la Convention. S’agissant des conditions de détention d’un demandeur d’asile, la Cour ne sous-estime pas le poids que fait peser sur les Etats situés aux frontières extérieures de l’Union européenne l’afflux croissant de migrants et de demandeurs d’asile, ni les difficultés engendrées par l’accueil de ces personnes dans les grands aéroports internationaux. Cependant, cette situation ne saurait exonérer l’Etat de ses obligations au regard de l’article 3, dont la Cour rappelle le caractère absolu. S’agissant du régime européen de l’asile, la Cour affirme que lorsque les Etats appliquent le règlement « Dublin II », ils doivent s’assurer que la procédure d’asile du pays intermédiaire offre des garanties suffisantes permettant d’é viter qu’un demandeur d’asile ne soit expulsé, directement ou indirectement, vers son pays d’origine sans une évaluation, sous l’angle de l’article 3, des risques qu’il encourt. Les conditions d’existence pendant des mois d’un demandeur d’asile vivant dans la rue, laissé dans un dénuement matériel extrême, sans pouvoir faire face à aucun de ses besoins les plus élémentaires, et vivant dans la crainte d’attaques et de vols, sans aucune perspective de voir sa situation s’améliorer, est à l’origine de souffrances qui ont été jugées contraires à l’article 3. Dans son arrêt Kashavelov c. Bulgarie(13), la Cour partage l’avis du Comité européen pour la prévention de la torture indiquant que le recours systématique aux menottes en prison dans un milieu sécurisé ne peut passer pour justifié. L’affaire visait un condamné à perpétuité, menotté depuis treize ans dès sa sortie de cellule, y compris pour sa promenade quotidienne. La Cour note que les autorités n’ont relevé aucun incident spécifique au cours duquel le requérant aurait tenté de s’évader ou de faire du tort, que ce soit à lui ou à autrui. Elle a conclu à l’existence d’un traitement dégradant. L’affaire Durđević c. Croatie(14) est la première qui porte sur la violence scolaire. La Cour n’exclut pas une mise en cause de la responsabilité d’un Etat membre sous l’angle des articles 3 et/ou 8. Elle n’ignore pas la gravité du problème de la violence à l’école mais fixe des

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REPÈRES

Sir Nicolas Bratza, Président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ir Nicolas Bratza a fait ses études au Wimbledon College et au Brasenose College, à Oxford. En 1969, il devint membre du barreau anglais. Ancien barrister du cabinet spécialisé en droit des affaires (1 Hare Court, Temple, Londres), il a également exercé dans le domaine des droits de l’homme. Il a notamment été conseil dans de nombreuses affaires examinées à Strasbourg par les anciennes Commission et Cour européenne des droits de l’homme. Il fut nommé Junior Counsel to the Crown en 1978 et Queen’s Counsel en 1988.

S

En 1993, il fut nommé Recorder à la Crown Court et devint Bencher de Lincoln’s Inn. La même année, il fut élu membre de la Commission européenne des droits de l’homme au titre du Royaume-Uni. En 1997, il devint vice-président de la première chambre de la Commission. En 1998, il fut nommé juge à la High Court et fut le premier juge élu au titre du Royaume-Uni à la nouvelle et permanente - Cour européenne des droits de l’homme. La même année, puis à nouveau en 2001, il fut élu à la présidence de l’une des quatre sections de la Cour. Il fut réélu en qualité de juge à la Cour et

limites : les obligations positives de l’Etat sur le terrain des articles 3 et 8 ne peuvent jouer que si les allégations de violence sont précises et détaillées quant au lieu, à la date et à la nature des actes reprochés. Dans cette affaire, le grief de l’écolier relatif aux brimades qu’il aurait subies à l’école de la part d’autres élèves aurait dû être plus précis. Certaines attitudes de personnels médicaux hospitaliers ont donné lieu à des constats de violation de l’article 3 : L’angoisse extrême subie par une femme enceinte en raison de l’attitude du personnel médical hospitalier a été qualifiée, pour la première fois, de traitement contraire à l’article 3 dans l’affaire R.R. c. Pologne(15). Les examens préliminaires avaient révélé une malformation du fœtus. Or cette future mère se plaignait du refus délibéré de médecins opposés à l’avortement de pratiquer en temps utile les tests génétiques nécessaires auxquels elle avait pourtant légalement droit. Malgré l’obligation légale des professionnels de la santé de reconnaître dûment ses préoccupations et d’y répondre, elle a dû endurer six semaines d’incertitude pénible quant à la santé du fœtus. Lorsqu’elle eut la confirmation de l’anomalie du fœtus, le délai légal pour pratiquer un éventuel avortement avait expiré. Sa souffrance a atteint le seuil de gravité requis pour emporter violation de l’article 3. La Cour a conclu à une violation des droits fondamentaux d’une femme rom de vingt ans à raison de sa stérilisation dans un hôpital public aussitôt après son second accouchement, dans des conditions lui déniant toute possibilité de consentement personnel éclairé. Elle souligne le droit à l’autonomie du patient (arrêt V.C. c. Slovaquie(16) (non définitif )). Dans l’arrêt Hristovi c. Bulgarie(17) (non définitif ) la Cour précise un aspect du volet procédural de l’article 3. Si les autorités sont contraintes de déployer des policiers masqués pour effectuer une arrestation, ces policiers doivent présenter de manière visible un moyen anonyme d’identification, par exemple un chiffre ou une lettre, pour permettre leur identification et leur audition au cas où la conduite de l’opération serait contestée. Exclure du champ de la

de président de section en 2004. En 2007, il devint l’un des deux viceprésidents de la Cour. Il fut réélu à cette fonction en 2010, avant d’être élu président en 2011. Sir Nicolas Bratza est membre du Conseil consultatif et ancien viceprésident du British Institute of Human Rights. Il est également membre du conseil d’administration du British Institute of International and Comparative Law et du comité éditorial de l’European Human Rights Law Review. Il est titulaire de doctorats honoris causa de l’Université d’Essex et de l’Université de Glasgow.

répression pénale certaine souffrances psychologiques subies aux mains d’agents de l’Etat, conduit à une impunité inacceptable des responsables. La Cour émet de sérieuses réserves quant au recours à des policiers cagoulés et armés pour opérer une arrestation à domicile dans un cadre familial où il est hautement improbable que les forces de l’ordre rencontrent une résistance armée. Une violation pour conditions de détention contraires à l’article 3 se trouve aggravée par le fait qu’elle est postérieure à un premier arrêt de violation de la Cour de Strasbourg ayant demandé fermement à l’Etat de libérer l’intéressé (arrêt Ivanţoc et autres c. Moldova et Russi(18) (non définitif )). Interdiction de l’esclavage et du travail forcé (article 4)

A défaut de consensus européen suffisant sur la question de l’affiliation des détenus exerçant un travail au régime des pensions de retraite, le travail obligatoire accompli par un prisonnier pendant sa détention sans être affilié à un tel régime doit être considéré comme un « travail requis normalement d’une personne soumise à la détention », au sens de l’article 4 § 3 a) de la Convention. La Grande chambre décide ainsi, dans l’arrêt Stummer c. Autriche(19), qu’il ne s’agit pas d’un « travail forcé ou obligatoire » au sens de l’article 4 § 2. Droit à la liberté et à la sûreté (article 5)

Détention régulière La conformité avec l’article 5 § 1 d’une détention par une puissance occupante en Irak sans limitation de durée ni inculpation au motif de risque pour la sécurité, est examinée dans l’arrêt Al-Jedda précité. L’Etat défendeur a vainement allégué que les obligations découlant pour lui de l’article 5 § 1 avaient été écartées par celles créées par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans l’arrêt Ivanţoc et autres précité, la Cour a décidé que le maintien en détention après un arrêt de Strasbourg ayant jugé arbitraire cette détention et demandé fermement à l’Etat une remise en liberté immédiate, était à l’origine d’une violation « aggravée » de l’article 5.

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Europe Durée de la détention provisoire En principe ni l’article 5 § 3 ni aucune autre disposition de la Convention ne crée une obligation générale pour un Etat contractant de tenir compte de la durée d’une détention provisoire effectuée dans un Etat tiers. La Cour apporte pour la première fois cette précision dans l’arrêt Zandbergs c. Lettonie(20) (non définitif ). Contrôle de la légalité de la détention Dans l’affaire S.T.S. c. Pays-Bas(21), le pourvoi en cassation contre la décision de rejeter une demande de mise en liberté fut déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt, le détenu ayant déjà été remis en liberté. L’arrêt de violation de l’article 5 § 4 rendu par la Cour est important. Même après sa libération, un ancien détenu peut fort bien avoir un intérêt juridique à obtenir une décision sur la légalité de sa détention, notamment pour se prévaloir de son droit à réparation au titre de l’article 5 § 5.

Droits procéduraux Droit à un procès équitable (article 6)

Une divergence de jurisprudence entre deux cours suprêmes distinctes et autonomes d’un même pays est, pour la première fois, examinée par la Cour dans son arrêt de Grande Chambre Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie(22). La Cour a déjà posé des principes dans des affaires concernant des divergences d’interprétation au sein d’une même structure juridictionnelle hiérarchisée. Le contexte juridique en cause dans cette affaire étant distinct, ces principes ne sont pas transposables. La responsabilité de la cohérence de la jurisprudence des cours suprêmes revient au premier chef à celles-ci. Dans un tel cas, l’intervention de la Cour de Strasbourg restera exceptionnelle. Des divergences peuvent être tolérées lorsque le système juridique national permet de les régler. Quoiqu’il en soit, il importe de respecter le principe essentiel de la sécurité juridique. La Grande chambre s’est longuement exprimée sur l’utilisation au cours d’un procès pénal de dépositions de témoins absents pour cause de décès ou de peur (arrêt Al-Khawaja

torité judiciaire a le devoir de rechercher si cette absence est justifiée. Lorsqu’une condamnation repose exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins absents, la Cour doit soumettre la procédure à l’examen le plus rigoureux. Elle précise les critères applicables pour assurer le respect de l’équité de la procédure examinée dans son ensemble au regard de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 d). Dans chaque affaire où le problème de l’équité de la procédure se pose en rapport avec une déposition d’un témoin absent, il faut savoir s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de sa fiabilité. Droit à un recours effectif (article 13)

L’arrêt de Grande chambre M.S.S c. Belgique et Grèce précité concerne l’existence de garanties effectives à même de protéger un demandeur d’asile contre un refoulement arbitraire. La Cour a déjà affirmé l’importance de la célérité des procédures dans le cadre d’affaires concernant des mauvais traitements infligés par des agents de l’Etat. Elle ajoute que cette célérité s’impose à plus forte raison quand l’intéressé fait valoir un grief tiré de l’article 3 en cas d’expulsion, qu’il ne dispose d’aucune garantie procédurale de bénéficier en première instance d’un examen sérieux du bien-fondé de ce grief, qu’il n’a statistiquement pratiquement aucune chance de bénéficier d’une quelconque forme de protection et qu’il vit dans des conditions de précarité telles que la Cour les juge contraires à l’article 3.

Droits civils et politiques Droit au respect de sa vie privée et familiale, du domicile et de sa correspondance (article 8)

Applicabilité L’arrêt Haas précité porte sur un problème particulièrement délicat, celui d’une personne malade souhaitant se suicider. Le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d’agir en conséquence,

Agenda

XÈME ÉDITION

Conférence Antitrust entre Droit européen et Droit national 17 et 18 mai 2012 Trévise - Italie Renseignements : +39 02 76 45 771 treviso@rucellaieraffaelli.it

2012-287

CROISIÈRE JURIDIQUE

Italie, Sicile, Tunisie, Espagne, France du 13 au 20 mai 2012 Bruxelles Renseignements : 03 85 42 83 63 cperraud@escales-marines.com

2012-288

CONFÉRENCE INSOL EUROPE DE L’EST DES PAYS EUROPÉENS

Companies, creditors and collateral in crisis du 24 au 26 mai 2012 Poznan - Pologne Renseignements : david@drpartners.com 2012-289 lindasmith@insol-europe.org

XXÈME CONGRÈS - 20 ANS

Avocat : une profession unie dans sa diversité

Un refus d’accorder une nationalité peut, outre son impact sur la vie familiale, soulever une question sous l’angle de l’article 8 en raison de son impact sur la « vie privée », laquelle englobe des aspects de l’identité sociale.

et Tahery c. Royaume-Uni(23)). Dans un procès pénal, l’accusé doit en effet avoir une possibilité réelle de contester les allégations dont il fait l’objet. En principe, les témoins doivent déposer au procès et toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour assurer leur comparution. Dès lors, si un témoin ne se présente pas pour déposer en personne, l’au-

est l’un des aspects du droit au respect de sa « vie privée ». Un refus d’accorder une nationalité peut, outre son impact sur la vie familiale, soulever une question sous l’angle de l’article 8 en raison de son impact sur la « vie privée », laquelle englobe des aspects de l’identité sociale (arrêt Genovese c. Malte(24) (non définitif )).

du 27 au 29 septembre 2012 Cannes Renseignements : mc.midavaine@avocats-conseils.org www.avocats-conseils.org 2012-290

COLLOQUE CYCLE HISTOIRE ET JUSTICE 2012

Les écrivains en justice Responsabilité pénale de l’auteur et éthique de l’écrivain (XIXème-XXIème siècles) 4 octobre 2012 Cour de cassation - Paris 1er Renseignements : www.courdecassation.fr

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Europe Le droit des couples à recourir à la procréation médicalement assistée pour concevoir un enfant relève de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée et familiale (arrêt S.H. et autres c. Autriche(25)).

Vie privée et vie familiale

Dans l’affaire Haas précitée, une personne malade souhaitait se suicider et voulait mourir sans douleur et sans risque d’échec. A cette fin, elle demandait à obtenir une substance létale sans ordonnance médicale, par dérogation à la législation. La Cour constate que la grande majorité des Etats membres semblent donner plus de poids à la protection de la vie de l’individu qu’à son droit d’y mettre fin. Dès lors, la marge d’appréciation des Etats est considérable dans ce domaine. Trois arrêts importants rendus en matière de santé et d’intégrité physique des personnes mettent en évidence les obligations positives des Etats en la matière : La Cour souligne l’importance de l’accès d’une future mère en temps utile à l’information sur la santé du fœtus, permettant de déterminer si les conditions pour réaliser un avortement légal sont réunies. L’arrêt R.R. c. Pologne précité concerne une femme dont le fœtus semblait atteint d’une maladie. Les Etats doivent prévoir des mécanismes effectifs permettant aux femmes enceintes d’avoir accès à un service de diagnostic prénataux dont l’importance est cruciale pour leur permettre de faire un choix éclairé sur la question de savoir si elle doivent ou non demander un avortement. Ils doivent

organiser les services de santé afin d’assurer que l’exercice effectif de la liberté de conscience des médecins dans le contexte professionnel n’empêche pas les patients d’accéder aux services auxquels ils ont légalement droit. Les dispositions nationales relatives à la possibilité légale de pratiquer un avortement devraient être formulées de manière à réduire l’effet dissuasif sur les médecins, lorsqu’ils doivent déterminer si les conditions pour pratiquer un avortement légal sont réunies. Les Etats doivent mettre en place, au titre de leurs obligations positives pour assurer le respect de la vie privée et de la vie familiale, une protection légale effective de la santé reproductive. La Cour a rendu son premier arrêt relatif à la stérilisation (arrêt V.C. c. Slovaquie précité). Il s’agissait d’une femme d’origine rom. A défaut de garanties juridiques, au moment de la stérilisation en cause, qui auraient pris spécialement en considération la santé reproductive de l’intéressée en sa qualité de Rom, l’Etat a méconnu ses obligations positives. L’affaire Georgel et Georgeta Stoicescu c. Roumanie(26) concerne un grave problème de santé publique et une menace concrète pour l’intégrité physique de la population. Dès lors qu’un phénomène atteint une telle gravité en terme de sécurité et de santé publiques, l’obligation de protection de la vie privée incombant aux Etats entre en jeu. L’article 8 les oblige à établir des mesures protectrices et réparatrices adéquates. La Cour a notamment relevé que les chiens errants demeuraient un fléau majeur dans les villes de Roumanie, des milliers de personnes étant mordues chaque année. Dans de telles circonstances, la Cour a condamné l’Etat en raison du manquement des autorités publiques à protéger une femme attaquée par une meute de chiens errants. La science médicale, et en particulier les traitements contre la stérilité faisant appel à des techniques de procréation médicalement assistée, est au centre de l’arrêt S.H. et autres c. Autriche, précité. Cette affaire concerne

REPÈRES

Arrêts rendus par la Cour

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l’interdiction du don d’ovules à des fins de procréation artificielle et la prohibition du don de sperme à des fins de fécondation in vitro posées par une loi nationale sur la procréation artificielle. Pour la Cour, le domaine en cause, qui connaît des évolutions scientifiques et juridiques particulièrement rapides, appelle un examen permanent de la part des Etats contractants. En effet, la Convention doit toujours s’interpréter et s’appliquer à la lumière des circonstances actuelles. Correspondance

L’arrêt Mehmet Nuri Özen et autres c. Turquie(27) enrichit la jurisprudence relative au contrôle de la correspondance des détenus. La Cour y traite d’un aspect inédit et potentiellement important pour ceux qui sont membres des minorités nationales. Imposer aux détenus la traduction préalable, et à leurs frais, des lettres écrites dans leur langue maternelle, langue qui n’est pas comprise par le personnel pénitentiaire chargé d’en apprécier le contenu, est jugée contraire à l’article 8. En effet, cette pratique « conduit à exclure d’office du champ de protection de cette disposition une catégorie entière d’échanges épistolaires privés dont les prisonniers pouvaient souhaiter bénéficier ». Liberté de conscience et de religion (article 9)

Applicabilité L’article 9 ne mentionne pas expressément le droit à l’objection de conscience. Toutefois l’opposition au service militaire, lorsqu’elle est motivée par un conflit grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et la conscience d’une personne ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, constitue une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application des garanties de l’article 9. C’est la position de la Cour depuis son arrêt de Grande Chambre Bayatyan c. Arménie(28). La question de savoir si et dans quelle mesure l’objection au service militaire relève de l’article 9 devra être tranchée en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Liberté de manifester sa religion ou sa conviction

L’affaire Bayatyan précitée concernait un témoin de Jéhovah qui avait refusé d’accomplir son service militaire en raison de convictions religieuses sincères. Le service civil de remplacement qu’il avait demandé à effectuer n’étant pas prévu, il a dû à la place purger une peine d’emprisonnement. La quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe qui ont connu ou connaissent encore un service militaire obligatoire ont mis en place des formes de service de remplacement afin d’offrir une solution en cas de conflit entre la conscience individuelle et les obligations militaires. Dès lors, un Etat qui n’a pas encore pris de mesure en ce sens ne dispose que d’une marge d’appréciation limitée et doit présenter des raisons convaincantes et impérieuses pour justifier quelque ingérence que ce soit. En particulier, il doit faire la preuve que l’ingérence répond à un « besoin social impérieux ». La démocratie commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante. Ainsi, une situation où l’Etat

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Europe REPÈRES

Arrêts rendus par la Cour

respecte les convictions d’un groupe religieux minoritaire (comme les témoins de Jéhovah) en donnant à ses membres la possibilité de servir la société, conformément aux exigences de leur conscience, est de nature à assurer le pluralisme dans la cohésion et la stabilité et à promouvoir l’harmonie religieuse et la tolérance au sein d’une société démocratique. La condamnation en cause était directement en conflit avec la politique officielle de réforme et d’amendements législatifs que l’Etat concerné menait à l’époque des faits, conformément à ses engagements internationaux auprès du Conseil de l’Europe. Elle n’a pas été jugée nécessaire dans une société démocratique.

les relations de travail doivent se fonder sur la confiance entre les personnes. Cette exigence n’implique pas un devoir de loyauté absolue envers l’employeur ni une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur. Toutefois, certaines manifestations du droit à la liberté d’expression, qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes, ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail. Une atteinte à l’honorabilité des personnes faite par voie d’expressions grossièrement insultantes ou injurieuses au sein du milieu professionnel revêt, en raison de ses effets perturbateurs, une gravité

qui sont susceptibles d’attiser les tensions existantes s’ils sont portés en public par un détenu. Cette marge d’appréciation va évidemment de pair avec un contrôle de la Cour. Dans son arrêt Otegi Mondragon c. Espagne(31), la Cour a examiné la conformité avec l’article 10 de la condamnation pénale d’un homme politique pour injure au roi. Elle a estimé que les principes qu’elle a dégagés dans sa jurisprudence au sujet d’un régime républicain « sont en théorie aussi valables s’agissant d’un régime monarchique ». Une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine du discours politique n’est compatible avec la liberté d’expression que dans des cas exceptionnels, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse d’un discours de haine ou d’incitation à la violence. L’arrêt RTBF c. Belgique(32) traite pour la première fois d’une mesure préventive dans le domaine de la presse télévisuelle. Il s’agissait d’une interdiction temporaire de diffuser une émission télévisée d’information qui avait été émise par un juge des référés, lui-même saisi par une personne mise en cause par l’émission, jusqu’au prononcé de la décision au fond. Une restriction préalable à la diffusion audiovisuelle doit s’inscrire dans un cadre légal particulièrement strict quant à sa délimitation et efficace quant au contrôle juridictionnel. En effet, l’information est un bien périssable dont l’intérêt est susceptible de pâtir même du plus petit retard. En l’occurrence, le cadre législatif combiné avec le cadre jurisprudentiel ne répondait pas à la condition de prévisibilité de la loi requise par la Convention. L’article 10 doit être interprété comme imposant aux Etats une obligation positive de créer un cadre normatif approprié pour assurer une protection efficace des journalistes utilisant des contenus tirés d’Internet. Ce principe est posé

Liberté d’expression (article 10)

Le licenciement de syndicalistes à la suite de la publication de dessin et articles jugés insultants pour deux autres employés et un cadre de leur société, est à l’origine de l’arrêt de Grande Chambre Palomo Sánchez et autres c. Espagne(29). Cet arrêt est important s’agissant de l’étendue de la liberté d’expression dans le contexte des relations de travail. L’affaire a été examinée sous l’angle de l’article 10, lu à la lumière de l’article 11, car l’appartenance des requérants au syndicat n’avait pas joué un rôle décisif dans leur licenciement pour faute grave. Les syndicalistes doivent pouvoir exprimer devant l’employeur leurs revendications tendant à améliorer la situation des travailleurs au sein de leur entreprise. Cependant, une distinction claire doit être faite entre critique et insulte, cette dernière pouvant, en principe, justifier des sanctions. Le contenu des articles et de la caricature reprochés en l’occurrence avaient dépassé les bornes de la critique admissible dans le cadre des relations de travail. Même si la question soulevée est d’intérêt général pour les travailleurs, l’utilisation de caricature et d’expressions offensantes, même dans le cadre de la relation de travail, ne saurait se justifier. La Cour a souligné que, pour pouvoir prospérer,

Une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine du discours politique n’est compatible avec la liberté d’expression que dans des cas exceptionnels, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse d’un discours de haine ou d’incitation à la violence.

particulière, susceptible de justifier des sanctions sévères. La Cour a conclu, dans cette affaire, à la non-violation de l’article 10, lu à la lumière de l’article 11. La décision Donaldson c. Royaume-Uni(30) est la première relative aux interdictions du port d’emblèmes par les détenus. Certains emblèmes, arborés publiquement en prison, peuvent être source de désordres. Les nombreuses significations que revêtent les emblèmes politiques et culturels ne peuvent être parfaitement comprises que par ceux qui ont une connaissance approfondie de leur origine historique. La Cour accepte donc que les Etats disposent d’une large marge d’appréciation pour déterminer ceux de ces emblèmes

pour la première fois dans l’arrêt Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine(33). Des journalistes avaient été condamnés à des dommages-intérêts pour avoir republié un texte anonyme objectivement diffamatoire trouvé sur Internet (tout en l’accompagnant d’un éditorial qui indiquait la source et prenait des distances avec le texte). Ils avaient également été condamnés à publier une rétractation et des excuses - bien que ces dernières n’étaient pas prévues par la loi. La Cour a conclu que ces sanctions n’étaient pas « prévue[s] par la loi », comme le veut le paragraphe 2 de l’article 10, en l’absence de règles visant les journalistes republiant le contenu d’une publication trouvée sur Internet. Les textes en matière de

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Europe publication d’informations extraites d’Internet doivent prendre en compte la spécificité de cette technologie, afin de protéger et de promouvoir les droits et libertés en jeu. L’arrêt Uj c. Hongrie(34) concerne l’étendue de la liberté de la presse face au droit à la réputation. La Cour reconnaît une différence entre la réputation commerciale d’une entreprise et la réputation d’une personne. En effet, une atteinte à la réputation d’une personne peut entraîner des répercussions sur sa dignité, alors qu’une atteinte à la réputation commerciale d’une société est dépourvue de dimension morale. Pour la première fois la Cour applique les critères de l’arrêt Guja c. Moldova(35), qui visait un agent de la fonction publique, à une personne salariée liée par un contrat de droit privé, qui signale un comportement illégal ou délictueux de son employeur. L’action pénale engagée par l’employé contre son employeur, alléguant l’existence de carences sur le lieu de travail, constitue une alerte, qui relève à ce titre de la protection de l’article 10. De même, son licenciement subséquent, confirmé par les juges nationaux, constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Cet arrêt Heinisch c. Allemagne(36) a reconnu une limite à la protection de la réputation et des intérêts commerciaux d’une société spécialisée dans les soins de santé. L’importance de l’intérêt du public à être informé des carences dans les soins institutionnels aux personnes âgées l’a emporté. Liberté de réunion et d’association (article 11)

Pour la première fois, la Cour traite de l’ingérence d’un Etat dans le fonctionnement interne d’un parti politique en l’absence de toute plainte de membres de ce parti, et de la dissolution d’un parti en raison de l’insuffisance du nombre d’adhérents et d’antennes régionales. Cette dissolution intervint au motif que le parti comptait moins de 50 000 membres et moins de 45 antennes régionales ayant plus de 500 membres, au mépris de la loi sur les partis politiques. La Cour s’est notamment référée aux travaux de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe (arrêt Parti républicain de Russie c. Russie(37)). Interdiction de discrimination (article 14)

L’arrêt de Grande Chambre Stummer, précité, concernait un détenu qui avait travaillé pendant de longues périodes en prison, entre les années 1960 et 1990. Il se plaignait de l’exclusion des détenus exerçant un travail de l’affiliation du régime des pensions de retraite prévu par la loi sur le régime général de la sécurité sociale. L’article 14, qui interdit aussi les discriminations fondées sur « toute autre situation » que celles qu’il énumère, vise la qualité de détenu. Un détenu qui exerce un travail se trouve dans une « situation comparable » à celle d’un salarié ordinaire. L’expression « toute autre situation » recouvre également l’état de santé, y compris la séropositivité, selon l’arrêt Kiyutin c. Russie(38). La Cour affirme que les personnes séropositives constituent un groupe vulnérable de la société et que la marge d’appréciation des Etats est étroite les concernant. Refuser d’accorder un permis de séjour à ces personnes ne reflète pas un consensus européen établi et ne trouve guère d’appui parmi les Etats membres du Conseil de

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l’Europe. Par conséquent, les autorités nationales doivent avoir des raisons très puissantes pour imposer une telle restriction. Dans cette affaire, la Cour a estimé, pour diverses raisons, que l’Etat avait dépassé son étroite marge d’appréciation en refusant le permis de séjour demandé au motif que l’intéressé était séropositif. L’arrêt Ponomaryovi c. Bulgarie(39) concerne l’obligation faite à certains étrangers de verser des frais de scolarité pour accéder à l’enseignement secondaire public. La Cour rappelle que seules des considérations très fortes peuvent l’amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur la nationalité. Le droit à l’instruction, indispensable au respect des droits de l’homme, est directement protégé par la Convention. Il s’agit d’un service public de nature très particulière, qui bénéficie non seulement aux usagers mais aussi plus largement à la société, dont la dimension démocratique passe par l’intégration des minorités. L’enseignement secondaire joue un rôle croissant en termes d’intégration sociale et professionnelle. En effet, dans une société moderne, n’avoir que des compétences et des connaissances du niveau élémentaire est un frein à un développement personnel et professionnel réussi. Pour la Cour, il y a donc lieu d’effectuer un contrôle plus strict sur la proportionnalité d’une telle restriction nationale visant l’enseignement secondaire public. S’agissant de l’attribution des logements sociaux, quand l’offre disponible ne suffit pas à satisfaire la demande, il est légitime que les autorités nationales fixent des critères, pour autant qu’ils ne soient ni arbitraires ni discriminatoires. Une distinction peut être faite en fonction du statut de l’étranger candidat à un logement social au regard des règles d’immigration. L’arrêt concerne une législation qui vise la répartition équitable par les pouvoirs publics de ressources rares entre différentes catégories de demandeurs (arrêt Bah c. Royaume-Uni(40). Les autorités avaient refusé d’accorder un traitement prioritaire à la demande d’attribution d’un logement social d’une immigrée dont les conditions de séjour de son enfant mineur excluaient toute aide financière publique. Une différence de régime en matière de visites de la famille et d’accès aux programmes télévisés entre détenus condamnés et détenus en attente de jugement, doit être objectivement et raisonnablement justifiée (arrêt Laduna c. Slovaquie(41) (non définitif )). Dans ces domaines, des régimes plus restrictifs envers les détenus en attente de jugement - qui sont présumés innocents - par rapport aux personnes condamnées, ont été jugés disproportionnés. La Cour a conclu à une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. Droit à l’instruction (article 2 du Protocole n°1)

L’arrêt de Grande Chambre Lautsi c. Italie(42) touche à la question sensible de la religion dans les écoles publiques. La Cour indique que le choix de mettre des crucifix dans les salles de classes relève en principe de la marge d’appréciation de l’Etat, d’autant plus en l’absence de consensus européen. Cette marge d’appréciation va toutefois de pair avec un contrôle par la Cour, à qui il appartient de s’assurer que ce choix ne relève pas d’une forme

d’endoctrinement. Selon la Cour, s’il faut voir avant tout un symbole religieux dans le crucifix, il n’y a pas d’élément attestant de l’éventuelle influence que l’exposition d’un symbole de cette nature sur des murs de salles de classe pourrait avoir sur les élèves. Il est compréhensible qu’une personne puisse voir dans l’exposition d’un crucifix dans les salles de classe de l’é cole publique où ses enfants sont scolarisés, un manque de respect par l’Etat de son droit d’assurer l’éducation et l’enseignement de ceuxci conformément à ses convictions philosophiques. Toutefois, sa perception subjective ne suffit pas à entraîner une violation de l’article 2 du Protocole n°1. L’affaire Ali c. Royaume-Uni(43) concerne l’exclusion temporaire d’un élève d’un établissement de l’enseignement secondaire. L’arrêt est important dans la mesure où la Cour affirme que, pour être compatible avec le droit à l’instruction, l’exclusion d’un élève doit respecter le principe de proportionnalité. Elle énumère les éléments à prendre en considération et se prononce sur la question des cours de remplacement pour les élèves exclus. Droit à des élections libres (article 3 du Protocole n°1)

L’arrêt de Grande Chambre Paksas c. Lituanie(44) concernait l’inéligibilité à un mandat parlementaire d’un ancien président de la République, destitué de ses fonctions pour violation grave de la Constitution et manquement au serment constitutionnel. Un Etat peut estimer que de tels actes revêtent un caractère particulièrement sérieux et appellent une réponse rigoureuse lorsque son auteur est détenteur d’un mandat tel que celui de président de la République. Toutefois, ajoute la Cour, le caractère définitif et irréversible de l’inéligibilité qui en résulte en vertu d’une disposition générale, ne répond pas de manière proportionnée aux nécessités de la défense de l’ordre démocratique. La Cour relève à cet égard que la Lituanie fait en la matière figure d’exception en Europe. Protection de la propriété (article 1 du Protocole no 1)

Respect des biens L’arrêt de Grande Chambre Stummer, précité, concerne la question de l’affiliation des détenus exerçant un travail au régime des pensions de retraite. Dans ce domaine, les Etats contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation. La Cour n’intervient que lorsqu’elle considère que le choix politique du législateur se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable. Il s’agit d’une question complexe que la Cour appréhende comme un élément du système global du travail pénitentiaire et de la couverture sociale des détenus. Lorsqu’il s’agit de définir l’ampleur de la marge d’appréciation de l’Etat en ce qui concerne la couverture sociale des détenus, la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des Etats contractants peut constituer un facteur pertinent. Satisfaction équitable (article 41)

L’affaire Megadat.com SRL c. Moldova(45) est la première où la Cour accepte une déclaration unilatérale d’un gouvernement visant à régler

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Europe la question de la satisfaction équitable, une fois celle-ci réservée. La Cour déclare que rien n’empêche un Etat défendeur de soumettre une déclaration unilatérale à ce stade. Elle l’examinera à la lumière des principes généraux régissant l’article 41 de la Convention. Force obligatoire et exécution des arrêts (article 46)

Soulignant le besoin urgent de mettre fin aux violations des articles 13 et 3 de la Convention dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, s’agissant d’un demandeur d’asile afghan en Grèce, la Cour estime qu’il incombe à cet Etat de procéder à brève échéance à un examen du bien-fondé de sa demande d’asile qui satisfasse aux exigences de la Convention et de s’abstenir, en attendant l’issue de cet examen, de tout éloignement de l’intéressé. Dans son arrêt Gluhaković c. Croatie(46), elle enjoint à l’Etat de veiller à permettre à un père de pouvoir rencontrer sa fille à un moment compatible avec son horaire de travail et dans un lieu satisfaisant. C’est la première fois que la Cour indique à un Etat, en vertu de l’article 46, des mesures à prendre relativement au droit au respect de la vie familiale, à titre exceptionnel et eu égard au besoin urgent de mettre fin à la violation de l’article 8 constatée. L’arrêt Emre c. Suisse (n°2)(47) (non définitif ) concerne un recours en révision déposé par le requérant à la suite d’un arrêt de Strasbourg ayant constaté une violation de la Convention. La Cour rappelle la nature obligatoire de ses arrêts au sens de l’article 46 § 1 et l’importance de leur exécution effective, de bonne foi et compatible avec les « conclusions et l’esprit » de l’arrêt qu’elle a rendu. En l’occurrence, le juge national a substitué sa propre interprétation à l’interprétation faite par la Cour, sans que sa nouvelle appréciation des arguments exposés par la Cour dans son arrêt ne soit complète et convaincante. La Cour constate pour la première fois, tant dans ses motifs que dans le dispositif, une violation d’une disposition matérielle de la Convention - en l’occurrence l’article 8 -, combinée avec l’article 46.

Radiation (article 37)

La Cour a procédé à la radiation des requêtes concernées par un problème national systémique identifié dans un arrêt pilote de 2006. Déterminer si la question soulevée par une affaire pilote a été résolue ne se limite pas au redressement offert au requérant et aux solutions adoptées dans son cas individuel. L’appréciation de la Cour englobe nécessairement les mesures générales appliquées par l’Etat pour résoudre la défaillance fondamentale générale qui a été constatée dans son ordre juridique interne. La Cour a évalué les « solutions globales » adoptées par l’Etat défendeur et le mécanisme de réparation rendu disponible au niveau interne. La Cour a déclaré la procédure d’arrêt pilote close (décision Association des propriétaires de biens immobiliers à Łódź c. Pologne(48)). Restrictions aux droits et libertés dans un but non prévu (article 18)

L’arrêt Khodorkovskiy c. Russie(49) précise le régime de la preuve lorsqu’un requérant allègue que les autorités de l’Etat ont fait usage de leur pouvoir dans un but autre que ceux définis dans la Convention. La preuve exigée doit obéir à un niveau de précision très élevé. Affirmer que tout l’appareil juridique de l’Etat fut du début à la fin utilisé de manière abusive au mépris flagrant de la Convention, est une accusation fort sérieuse, qui réclame une preuve irréfutable et directe. Notes : 1 - Il s’agit d’une sélection d’arrêts et de décisions qui traitent d’une question nouvelle ou d’un sujet important d’intérêt général, ou encore qui posent de nouveaux principes de jurisprudence, développent ou clarifient la jurisprudence. 2 - Niveau 1 = Importance élevée - arrêts dont la Cour juge qu’ils apportent une importante contribution à l’évolution, à la clarification ou à la modification de sa jurisprudence, soit de manière générale, soit pour un Etat donné. Niveau 2 = Importance moyenne - arrêts qui n’apportent pas une contribution significative à la jurisprudence mais ne se bornent malgré tout pas à appliquer la jurisprudence existante. Niveau 3 = Faible importance - arrêts n’ayant qu’un faible intérêt juridique, c’est-à-dire ceux appliquant la jurisprudence existante, les

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règlements amiables et les radiations du rôle (sauf s’ils présentent un intérêt particulier). 3 - [GC], n°55721/07, 7 juillet 2011, à paraître dans CEDH 2011. 4 - [GC], n°27021/08, 7 juillet 2011, à paraître dans CEDH 2011. 5 - (déc.), n°57602/09, 4 octobre 2011. 6 - N°23205/08, 1er février 2011, à paraître dans CEDH 2011. 7 - (déc.), n°11774/04, 12 avril 2011. 8 - N°24360/04, 21 juin 2011, à paraître dans CEDH 2011. 9 - [GC], n°23458/02, 24 mars 2011. 10 - N°s18299/03 et 27311/03, 20 décembre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 11 - N°31322/07, 20 janvier 2011, à paraître dans CEDH 2011. 12 - [GC], no 30696/09, 21 janvier 2011, à paraître dans CEDH 2011. 13 - N°891/05, 20 janvier 2011. 14 - N°52442/09, 19 juillet 2011. 15 - N°27617/04, 26 mai 2011, à paraître dans CEDH 2011. 16 - N°18968/07, 8 novembre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 17 - N°42697/05, 11 octobre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 18 - N°23687/05, 15 novembre 2011. 19 - [GC], n°37452/02, 7 juillet 2011, à paraître dans CEDH 2011. 20 - N°71092/01, 20 décembre 2011. 21 - N°277/05, 7 juin 2011, à paraître dans CEDH 2011. 22 - [GC], n°13279/05, 20 octobre 2011. 23 - [GC], n°s26766/05 et 22228/06, 15 décembre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 24 - N°53124/09, 11 octobre 2011. 25 - [GC], n°57813/00, 3 novembre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 26 - N°9718/03, 26 juillet 2011. 27 - N°15672/08 et autres, 11 janvier 2011. 28 - [GC], n°23459/03, 7 juillet 2011, à paraître dans CEDH 2011. 29 - [GC], n°s28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, 12 septembre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 30 - (déc.), n°56975/09, 25 janvier 2011. 31 - N°2034/07, 15 mars 2011, à paraître dans CEDH 2011. 32 - N°50084/06, 29 mars 2011, à paraître dans CEDH 2011. 33 - N°33014/05, 5 mai 2011, à paraître dans CEDH 2011. 34 - N°23954/10, 19 juillet 2011. 35 - [GC], n°14277/04, à paraître dans CEDH 2008. 36 - N°28274/08, 21 juillet 2011, à paraître dans CEDH 2011. 37 - N°12976/07, 12 avril 2011, à paraître dans CEDH 2011. 38 - N°2700/10, 10 mars 2011, à paraître dans CEDH 2011. 39 - N°5335/05, 21 juin 2011, à paraître dans CEDH 2011. 40 - N°56328/07, 27 septembre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 41 - N°31827/02, 13 décembre 2011, à paraître dans CEDH 2011. 42 - [GC], n°30814/06, 18 mars 2011, à paraître dans CEDH 2011. 43 - N°40385/06, 11 janvier 2011, à paraître dans CEDH 2011. 44 - [GC], n°34932/04, 6 janvier 2011, à paraître dans CEDH 2011. 45 - (satisfaction équitable – radiation), n°21151/04, 17 mai 2011, à paraître dans CEDH 2011. 46 - N°21188/09, 12 avril 2011. 47 - N°5056/10, 11 octobre 2011. 48 - (déc.), n°3485/02, 8 mars 2011. 49 - N°5829/04, 31 mai 2011.

Source : Le Rapport annuel 2011 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme est consultable dans son intégralité sur le site internet : www.echr.coe.int 2012-286

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Vie du droit

Conférence des Bâtonniers Assemblée Générale - Paris, 30 mars 2012

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

A l’issue de l’Assemblée Générale du 30 mars dernier, Jean-Luc Forget avait invité les candidats à l’élection présidentielle 2012 qui devaient répondre à quelques questions d’actualité concernant tant la profession d’avocat que la justice : l’accès au droit, le budget de la justice, les réformes pénales et plus particulièrement celle de la garde à vue ; certains se sont déplacés personnellement d’autres ont envoyé leurs représentants. Nous publions ci-après le compte-rendu de cette passionnante journée sous la signature d’André Coriolis. Jean-René Tancrède

Jean-Luc Forget, François Bayrou et Jean-François Mortelette a première assemblée générale annuelle qui a suivi l’assemblée annuelle a revêtu un intérêt exceptionnel comme en témoigne son ordre du jour et plus spécifiquement par l’audition de parlementaires candidats à l’élection présidentielle. Elle s’est tenue le 30 mars dernier sous la présidence du successeur du Bâtonnier Alain Pouchelon, JeanLuc Forget. Nous publions la composition 2012 du bureau des commissions et délégations, du Conseil de la Conférence. Le Président a insisté sur sa volonté de les rendre plus efficaces en leurs travaux. Une innovation, le Conseil de la Conférence : quatre thèmes. Chaque président est assisté d’un ancien (exemple : celle « Les Ordres et l’Europe » est présidée par les bâtonniers Michel Lacroix et Michel Bénichou). Le Président entend également programmer dans le temps les travaux de la Conférence.

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Après le succès de la réunion au Barreau d’Angers et la réception de la Conférence par son Bâtonnier Claudine Thomas le 17 mars sur le thème : « Les outils financiers des ordres et les CARPA », la prochaine se tiendra à Chartres les 22 et 23 juin 2012 sur le thème : « L’instruction et la procédure disciplinaire ». La conférence sera reçue par le Bâtonnier Leroy. Le Président avant de donner la parole aux sept rapporteurs sur les sujets à l’ordre du jour, a évoqué ceux qui fâchent ou réjouissent : le premier relatif à la discipline des avocats, le second au barème indicatif des honoraires : pratiques (art. 10-L. 31 décembre 1971). Le troisième, qui n’était qu’un projet de décret relatif aux conditions d’accès à la profession d’avocat(1). Le Président en a saisi le Garde des Sceaux Michel Mercier et son Directeur des affaires civiles Laurent Vallée. Le Président a également parlé du retard dans le paiement des indemnités des avocats (plus de trois mois).

Il devrait y être remédié. En revanche, une bonne nouvelle pour les ordres : l’accord du 22 mars relatif aux locaux occupés dans les Palais de Justice par les Ordres. Revenant à l’ordre du jour, la matinée était consacrée aux rapports avec débats et vote d’une motion relatif au différend opposant les avocats du Barreau de Nîmes et du ressort de la cour(2). L’après-midi a été réservée à la réception et à l’audition des candidats à la présidentielle : François Bayrou, André Vallini (représentant François Hollande), Bâtonnier Tamet et Maître Raquel Garrido représentants Jean-Luc Mélenchon, Philippe Gosselin représentant Nicolas Sarkozy, Hervé Temple, avocat au Barreau de Montpellier représentant Nicolas Dupont-Aignan, chaque candidat a été auditionné une demi-heure. Dans le premier quart d’heure, ils ont exprimé leur vue en général sur la justice et dans le second ils ont répondu aux questions

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Vie du droit REPÈRES

« 1 an en garde à vue » : premier bilan d’application de la loi du 14 avril 2011 es avocats ont répondu présents en assurant dans l’urgence, mais effectivement et avec efficacité, l’assistance des personnes placées en garde à vue. Du jour au lendemain, sans même savoir s’ils seraient indemnisés, puis sans savoir comment ils seraient indemnisés, et enfin en attendant pendant plusieurs mois le versement de premières indemnisations, ils ont pris la place que la loi leur accordait enfin. Les ordres d’avocats ont fait preuve d’imagination en organisant des dispositifs adaptés. Par leurs actions et leur réactivité, ils ont rappelé combien ils constituaient un maillage territorial précieux en pareilles circonstances. Telles sont les conclusions du premier bilan d’application de la Loi du 14 avril 2011 présenté par la Conférence des bâtonniers à l’occasion de son Assemblée générale du 30 mars 2012. En prenant appui sur les réponses des barreaux, la Conférence a déterminé les difficultés auxquelles se heurtent les avocats et leurs ordres, difficultés qui nécessitent la mise en œuvre sans délai d’un certain nombre de dispositions.

tribunaux de grande instance éviterait également aux avocats des temps de trajet inutiles, coûteux et parfois même incompatibles avec les dispositions légales. La Conférence considère même qu’une telle perspective aurait un coût moindre pour l’Etat lui-même…

Une indispensable perspective : le regroupement des lieux de garde à vue La Conférence des bâtonniers a toujours considéré que le regroupement des lieux de garde à vue devait être la perspective de l’Etat et ce dans l’intérêt de l’Etat lui-même, mais également et surtout des justiciables et enfin des avocats. Seule une telle évolution est susceptible d’assurer la salubrité et la dignité de certains lieux, mais encore la confidentialité de l’entretien de l’avocat avec la personne gardée à vue. Un tel regroupement auprès des

Le remboursement des coûts de mise en place et de fonctionnement des permanences et dispositifs organisés par les ordres Les 160 ordres de province se sont organisés. Certains ont dû faire appel à des avocats coordinateurs, d’autres ont pris des abonnements téléphoniques, ont loué des ordinateurs, ont eu recours aux services d’un centre d’appel, ont mis à disposition leur personnel… Les protocoles permettant le remboursement de ces frais doivent être désormais signés sans délai avec les présidents de juridictions et les procureurs de la République. Il doit être aujourd’hui rappelé à la

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Deux mesures complémentaires : La nécessaire prise en compte des sujétions de nuit et de déplacement. Il ne pourra pas être accepté plus longtemps que des confrères assument à leurs frais des déplacements longs en distance ou en temps pour intervenir sans qu’ils en soient défrayés. Bien souvent, notamment lors des interventions d’une demi-heure, leurs temps de déplacement est sans commune mesure avec le temps d’assistance indemnisé pour la seule somme de 61€ HT. Le coût du déplacement peut rapidement être supérieur à l’indemnisation de l’assistance. Ces mesures conditionnent la poursuite de l’investissement de confrères volontaires pour assurer une assistance effective des personnes gardées à vue.

posées, arrêtées par le Bureau de la Conférence. A l’issue de l’introduction des travaux de l’assemblée par le Président Jean-Luc Forget, la parole fut donnée au Bâtonnier CharrièreBournazel, président du Conseil National des Barreaux, en présence de son prédécesseur Thierry Wickers. Avec aisance, ses dons naturels d’orateur brillant à l’éloquence flamboyante, en une brève intervention, il s’est réjoui d’assister trop brièvement à cette assemblée réunissant les 160 Bâtonniers de France, en se félicitant que le Conseil National des Barreaux, le Barreau de Paris, la Conférence des bâtonniers, parlent d’une seule voix, étant en harmonie sur nos valeurs essentielles. Faisant allusion au différend de Nîmes, nous sommes prêts, dit-il, du plus petit au plus grand à nous mobiliser chaque fois qu’il est porté atteinte à la dignité et aux droits de la défense.

Chancellerie qu’un an après la mise en place de ces dispositifs aucun barreau n’a perçu le moindre centime lui permettant d’être remboursé. L’investissement et l’imagination des ordres et des avocats ont leurs limites : la nécessaire considération par l’Etat de ce que ces structures et professionnels ont réalisé et donc, le remboursement désormais sans délai, des frais assumés. Une disposition corrective : La modification de l’article 2 du décret 2011-810 du 6 juillet 2011 qui prévoit la seule indemnisation du dernier avocat intervenu en permettant aux ordres de rémunérer chaque avocat ayant participé à une mesure de garde à vue. La rédaction de ce texte est source de très nombreuses difficultés. En effet, il ne permet pas de gérer équitablement le seuil maximum d’indemnisation par avocat par 24 heures et ne tient pas compte du régime fiscal de chaque avocat intervenu. Il doit et peut être rapidement corrigé La Conférence des bâtonniers participe activement aux rencontres désormais mises en place dans le cadre du contrôle de l’application de la loi sur la garde à vue. Elle formule aujourd’hui des propositions et revendications qui doivent être impérieusement et rapidement prises en compte par l’Etat. A défaut, l’investissement des avocats, pour assurer une défense effective des droits des justiciables dans le cadre d’une réforme encore inachevée, aura ses limites.

Source : Communiqué de la Conférence des Bâtonniers du 10 avril 2012

A l’issue de son intervention, le Président a donné la parole aux sept rapporteurs. Ceuxci sont sur le site de la Conférence des Bâtonniers. Nos observations se limiteront aux points essentiels. Le premier concerne le projet de décret relatif à la discipline des avocats, dont l’objet correspond à la place que devraient occuper les plaignants dans la réforme de la procédure disciplinaire comportant son intervention dans la procédure disciplinaire. Une réforme qui pose bien des questions de principe, sur la nature des ordres, la nature de leur décision, sa spécificité. Ce projet ne manquera pas de noircir les pages de nos revues. L’exposé remarquable du Bâtonnier Pierre Chatel clair, précis, complet, guidera dans la réflexion. Le second du Bâtonnier Ducasse : « Les barèmes indicatifs des honoraires pratiqués ». La loi du 13 décembre 2011 n’est

pas non plus sans susciter de légitimes inquiétudes professionnelles. Une brèche nouvelle dans la liberté de l’honoraire, devenue une peau de chagrin. C’est la conséquence d’un compromis de la commission Guinchard, sur le divorce par consentement mutuel envisagé d’être confié aux notaires. L’application de la loi n’est pas sans soulever des difficultés en dépit des efforts du Conseil National des Barreaux, en particulier du Bâtonnier Paule Aboudaram, pour recueillir des barreaux des informations. Le troisième, toujours de l’excellent Bâtonnier Ducasse encore un rapport d’actualité relatif à un projet de décret qui fâche, non sans raison la profession. Le décret relatif aux conditions particulières d’accès à la profession alors soumis pour avis au Conseil d’Etat, permettant aux parlementaires l’accès à la profession d’avocat sans en remplir les conditions. Ce texte d’opportunité politique a suscité la réprobation de la profession. Cependant, le 30 mars 2012 alors en communication pour avis au Conseil d’Etat, il a été promulgué par décret le 4 avril 2012.

Le quatrième rapport sur la garde à vue était attendu. Celui-ci est un rapport de synthèse sur la garde à vue du 15 avril au 31 décembre 2011. Le mérite de celui-ci de 35 pages y compris les annexes : extraits des premières conclusions du Comité d’audit de la réforme de la garde à vue et des dernières statistiques de la garde à vue de la Chancellerie revient une fois de plus au Bâtonnier Jean-François Mortelette (nous le publions dans notre supplément juridique et judiciaire au présent numéro). Un document remarquable ou chaque question qu’elle pose en son exécution est illustrée par un tableau commenté : les lieux de garde à vue, distance des lieux par rapport au siège du tribunal de grande instance, difficultés particulières d’accessibilité, densité de la circulation (conditions météo, zone de montagne), ces tableaux sont édifiants. Pour 75% des Barreaux on dénombre de 11 à 40 lieux de garde à vue. Distance : plus de 39% se situent entre 20 et 50 kilomètres. Durée de déplacement : elle est en moyenne entre une demi-heure et deux heures, plus le temps de retour. Quel bilan après une année ? C’est l’objet de ce rapport. Après avoir constaté les temps de déplacements, les difficultés hivernales des zones de montagne pour les assurer, le rapporteur en demande la centralisation. Ces conditions d’exercice difficiles démotivent les volontaires pour les assurer. Pour les Ordres c’est un coût dans sa mise en œuvre, sans oublier les difficultés qu’ils rencontrent dans l’élaboration ou le maintien des protocoles.

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Vie du droit Ce rapport fut suivi de celui de la présentation du groupe de travail : « Les Ordres et l’Europe » par le Bâtonnier Michel Lacroix. Nous quittons les sujets qui fâchent ou inquiètent pour la prospective de l’avenir dont le Président Lacroix a rappelé l’objet de la commission. Il en va de même de celui du Bâtonnier Marc Bollet, également vice-président de la Conférence. Avocat et économie où sont définies les thématiques de celles-ci. L’avocat dans l’entreprise, le rapport Prada ne sont pas dans l’objet de cette commission. En effet, en son intervention, le Bâtonnier JeanLuc Forget a rappelé que la Conférence en 2009 avait rejeté celui-ci, quant au rapport Prada il estime qu’une réflexion s’impose. Le septième rapport fut présenté par le Bâtonnier Ducasse sur la valorisation de la prestation de l’avocat. Un sujet permanent, essentiel pour assurer l’indépendance de l’avocat affectée par des barèmes institutionnels. Il aura le mérite d’actualiser les précédents travaux, en particulier ceux de la C.N.A. de 1978 et ceux de 2005 organisés par Madame le Bâtonnier Brigitte Marsigny en 2005 intitulés «L’avocat traverse le temps» (voir Les Annonces de la Seine du 3 octobre 2005, page 1). Enfin, pour clôturer ce panel des problèmes de la profession, le Bâtonnier Jean-Luc Médina a clôturé les travaux par un rapport intitulé : Les conséquences de la dématérialisation sur les activités de l’avocat. Il a conclu par : « Demain, nomadisme absolu, plus d’une proximité, plus de bureau… l’avocat n’est plus rattaché à aucun lieu de travail. » L’après-midi fut consacrée à l’audition des candidats à l’élection présidentielle, une tradition que perpétue la Conférence. Parmi eux, n’ont été retenus que ceux qui ont un mandat parlementaire. Ils devaient, après un exposé de quinze minutes, répondre aux questions. Un seul candidat s’est présenté, François Bayrou. Les autres furent représentés : François Hollande par André Vallini, Jean-Luc Mélanchon par le Bâtonnier Yves Tamet, ancien bâtonnier du Barreau de Bobigny et Maître Raquel Garret, avocat au Barreau de Paris, Nicolas Sarkozy par Jean-Pierre Gosselin, Nicolas Dupont-Aignan par Maître Hervé Temple, avocat au Barreau de Montpellier. Ces cinq auditions ont été enregistrées. Elles sont sur le site de la Conférence des Bâtonniers. Dans ce compte rendu, nous nous efforçons sauf erreur ou omission d’en résumer les déclarations essentielles. De la communication de Monsieur Bayrou : nous avons retenu les points suivants : le droit étant l’équilibre de notre société, l’indépendance de la justice passe par deux réformes de principe : revenir à la séparation des pouvoirs de Montesquieu. La justice n’est pas une autorité mais un pouvoir. C’était le cas antérieurement sous la Vème République. Le Garde des Sceaux doit être une personnalité éminente de la société civile, indépendante du Gouvernement dont la nomination doit être ratifiée à une majorité qualifiée par le Parlement. L’accès à la justice en l’état n’est pas équitable. La réforme irréfléchie, sans une véritable concertation de la carte judiciaire, par la disparition de la proximité, pénalise les plus démunis, en raison des distances. A l’appui de

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sa déclaration il cite des exemples régionaux constatés ou portés à sa connaissance. Cette réforme qui devait assurer une diminution des coûts a eu un effet contraire. Une réflexion s’impose pour en corriger les effets les plus déplorables. La sécurité juridique est en cause en raison de la multiplicité des lois en particulier liées à des faits divers. Nos moyens sont limités. Cependant, pour faciliter l’accès à la justice, financer celui de l’aide juridictionnelle, il propose avec d’autres comme André Vallini que le timbre de 35 € soit perçu sur tous les actes juridiques donnant lieu à enregistrement, sans oublier l’économie de la suppression du coût des jurés citoyens. André Vallini, le spécialiste au Parti socialiste de la justice, ancien avocat, que la famille judiciaire a eu l’occasion d’écouter au Conseil National des Barreaux le 28 mars en un « duel » avec Dominique Perben ou encore au Cercle présidé par Monsieur le Bâtonnier Jean Castelain. Après avoir rappelé qu’après Outreau, les travaux de la commission dont il était membre, on a manqué l’occasion d’une grande réforme de la justice, il a déclaré que l’on a également manqué les rendez-vous qui s’imposaient d’une réforme du Parquet, du statut de ses membres. Ces derniers devraient n’être pas soumis au Garde des Sceaux mais à une personnalité éminente de la société civile « apolitique » à l’image de Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel. La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature procède de la même improvisation que celle de la carte judiciaire. Si, contrairement à Monsieur Bayrou, il lui paraît difficile de revenir sur la réforme de la carte judiciaire, il suggère en revanche, une solution qui pourrait remédier à son aspect le plus critiquable : la disparition de la proximité. Auprès des tribunaux d’instance, des juridictions supprimées, un juge délégué du tribunal de grande instance assumerait les affaires relevant de la compétence des juges aux affaires familiales. Il déplore que le rapport du Conseil d’Etat dénonçant la « diarrhée » législative qui suscite l’insécurité juridique soit demeuré lettre morte : « En effet, nous légiférons beaucoup trop et donc mal, que le Gouvernement nous envoie le moins possible des textes et des textes généraux, des dispositions du Code pénal sont d’applications générales, il n’y a pas lieu de créer un délit particulier pour chaque situation. », Pierre Mazeaud (député, novembre 1993). Nous pourrions multiplier les citations parmi bien d’autres. Nous retiendrons celle du Doyen Ripert dans : « Les forces créatrices du droit », « On n’a pas le droit de faire des expériences législatives en légiférant. Ce sont des fantaisies législatives qui font trop de mal. » Un souhait, une opinion partagée par la majorité. Il déplore comme tous qu’il convient d’assurer un meilleur accès au droit, l’insuffisance des indemnités allouées aux avocats, aux affaires d’aide judiciaire, et de garde à vue. Il regrette que le Gouvernement n’ait pas traduit dans les actes la jurisprudence de la Cour européenne en n’autorisant pas l’avocat à avoir connaissance du dossier. Maître Yves Tamet et Maître Raquel Garrido, au nom de Jean-Luc Mélenchon, ont succédé à Monsieur Vallini. Maître Garrido, le premier

REPÈRES

Questions aux candidats - Etes-vous favorable à une réforme de l’accès au droit et dans quel délai pensez-vous possible de la mener à bien ? - Considérez-vous que l'accès au droit au bénéfice de tous les citoyens et déjà des plus défavorisés est une mission qui incombe à l'Etat et à l'Etat seul ? - Etes-vous favorable à ce qu'une taxe soit mise en place sur tous actes soumis à enregistrement ou publicité ou/et à l'occasion de tout contrat d'assurance volontaire, afin de faire en sorte que notre système d'accès au droit ne soit pas déjà financé par des taxes touchant exclusivement ceux qui doivent saisir la justice ? - Pensez-vous que les systèmes de protection juridique doivent devenir obligatoires ou que les compagnies assurant ce risque doivent participer financièrement à notre système d'accès au droit ? - Considérez-vous que la Justice, dont les avocats pensent qu'elle assure un rôle essentiel de « régulateur social », dispose des moyens humains, financiers et matériels suffisants pour assumer l'ensemble de ses missions ? - Dans la négative, comment et dans quel délai envisagez-vous de lui donner des moyens supplémentaires ? - Pensez-vous qu'il convient de revenir sur la réforme de la carte judiciaire qui s'est résumée à la suppression de juridictions, de la stopper ou de la poursuivre ? - Considérez-vous que la suppression de juridictions est de nature à améliorer la réactivité de l'institution judiciaire, à favoriser les économies et à assurer sa proximité avec les justiciables ? - Considérez-vous qu'une telle évolution est acceptable ou bien, au contraire, qu'elle est synonyme d'une véritable insécurité juridique préjudiciable à notre Etat de droit et en définitive aux citoyens ? - D'une façon plus générale, comment concevez-vous l'évolution de notre droit et de notre procédure pénale au regard des principes énoncés par la Convention européenne des droits de l'Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne ? - Pensez-vous qu'il est acceptable que l'Etat fasse supporter, tant aux avocats qu'à leurs ordres, une partie importante de l'effort financier qui en résulte, d'une part, en s'abstenant d'indemniser les sujétions de nuit ou de déplacement des confrères et d'autre part, en n'ayant pas à ce jour assuré le financement des systèmes de permanence mis en place par les ordres, alors que ceux-ci se sont engagés en signant des conventions avec leurs tribunaux ?

intervenant, a expliqué que la politique économique de leur candidat, de substituer une économie au fondement financier, à une économie réelle, permettrait de dégager les ressources nécessaires au financement du budget de la justice et de répondre aux questions posées. Pour le Bâtonnier Yves Tamet, spécialiste de l’accès au droit, c’est à l’Etat d’assurer effectivement, efficacement, le service public de la justice, donc de l’accès au droit, de l’aide juridictionnelle, des gardes à vue. » Cela suppose notamment une rémunération d’un taux horaire décent (garde à vue de 122 € de l’heure), l’abrogation et la taxe de 35 € et comme ses prédécesseurs, la soumission de cette taxe à tous les actes juridiques, relevant de l’enregistrement.

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Vie du droit

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André Vallini et Jean-Luc Forget

Cette réforme doit s’ouvrir sur un « Grenelle » de l’accès au droit, de l’aide juridictionnelle, de la garde à vue, avec la participation de ceux qui en sont également les acteurs les assureurs, les sociétés de protection juridique. Philippe Gosselin, représentant Nicolas Sarkozy, lui succéda. Monsieur Gosselin après avoir rappelé que la justice est un service public tourné vers le peuple à qui le Gouvernement doit rendre des comptes. C’est pourquoi l’Etat se doit de réconcilier la justice avec les citoyens. Nous avons ainsi créé les jurés citoyens. Nous entendons en outre que la victime, l’oubliée des procédures, ait la place qui lui revient, d’où le projet de décret assurant sa présence dans les procédures disciplinaires. Nous avons la volonté de respecter l’indépendance de la justice, d’où notre réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. Face aux critiques d’une inflation en matière de procédure pénale. Monsieur Gosselin répond. Cette législation et celle de l’exécution des peines ont pour but d’assurer la sécurité publique. En revanche, par la réforme de celle de garde à vue, nous avons accordé aux citoyens les garanties d’une procédure équitable, comme pour les handicapés mentaux. A propos des prisons Maurice Garçon, parlant des prisons a dit : « On mesure la moralité et le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses prisonniers. » Ce sujet est au cœur de nos débats, depuis plusieurs années notamment après le rapport du Docteur Vasseur. Leur état, leur surpopulation La condamnation de la France en raison de cette situation a fait prendre conscience à nos gouvernements de son urgence, d’où la nomination de Jean-Marc Delarue. Après Albin Chalandon alors Garde des Sceaux, Monsieur Gosselin a souligné l’effort du Gouvernement par la construction de prisons ou leur

rénovation. Il est fâcheusement effaré par l’augmentation des détenus. Monsieur Gosselin, a juste titre, a rappelé qu’à cette fin le budget de la justice est le seul dont les crédits ont augmenté de 20% avec la création de 2 000 postes dont 1 600 pour l’administration pénitentiaire. Il est permis de se poser la question avec JeanMarc Varaut « La prison pour quoi faire ? ». De l’énumération des réformes accomplies au cours de ces cinq dernières années, nombre d’entre elles critiquées, on retiendra celle du Conseil Supérieur de la Magistrature et principalement, l’une qui marquera ce siècle, la QPC. Cette question prioritaire de constitutionnalité est une grande, très grande réforme, dont on mesure chaque jour l’importance. Monsieur Dupont-Aignan était représenté par Maître Hervé Temple qui a clôturé l’après-midi. Maître Henri Temple a séduit par sa culture, ses connaissances historiques, ses qualités d’expression, son éloquence feutrée. Un avocat de talent, un sage. C’est un excellent avocat. Après un rappel de notre histoire contemporaine : les décrets lois de Pierre Laval de 1935, les déclarations de Winston Churchill du 12 novembre 1936 et de Léon Blum, avant de répondre aux questions il a rappelé le pourquoi et le programme de Nicolas Dupont-Aignan. Le bilan actuel de la situation économique de la France est catastrophique : en 1973, nous occupions la deuxième place parmi les pays les plus riches, nous sommes à la vingtième. Notre balance du commerce extérieur ne cesse de se dégrader. Nous sommes la lanterne rouge avant l’Espagne, le mal c’est l’euro. En matière de justice, il faut une justice de proximité, rétablir le maillage, favoriser la médiation sous l’œil d’un juge. Non spécialiste de la procédure pénale, il pense évident qu’il faut assurer la sécurité mais c’est bien de la dire, dit-il, mais mieux de la faire. Pourquoi avoir supprimé 6 000 postes dans la Police ? Notre

politique judiciaire doit éviter tous les jours des « Outreau ». Elle marque de moyens, et succombe sous l’inflation législative, il faut que notre justice gagne en qualité, en indépendance, en disposant des moyens nécessaires, par l’é conomie (exemple : les jurés citoyens), la réforme de la carte judiciaire sans concertation et son coût est un autre exemple. Par une citation appropriée de Bossuet il a clôturé son intervention. Ce compte rendu des déclarations est imparfait. Il se dégage de tous la volonté d’une justice indépendante, riche en moyens excluant des réformes coûteuses non concertées. Sur le financement de l’aide juridictionnelle, on constate une quasi-unanimité pour une taxe applicable à tous les actes juridiques. De ces interventions on peut retenir pour le financement de l’aide juridictionnelle et la garde à vue l’application du timbre de 35 euros à tous les actes juridiques soumis à l’enregistrement et l’arrêt d’une législation de circonstance, d’émotions de faits divers. Deux propositions, celle d’un Garde des Sceaux indépendant, proche du « Lord Justice » britannique (François Bayrou) ; d’une réforme du statut des magistrats du Parquet, dont le supérieur hiérarchique ne serait plus le Garde des Sceaux mais une personnalité éminente comme l’est au Conseil constitutionnel JeanLouis Debré. Le Bâtonnier Jean-Luc Forget, après cette grande assemblée générale, son succès, sa qualité, son intérêt, entre dans la cour des grands. Orateur éloquent, précis, concret, il peut être fier de la réussite de celle-ci. A. Coriolis Notes : 1 - Le 4 avril 2012 a été publié un décret qui dispense parlementaires et assistants parlementaires du CAPA, un décret qui fâche les Barreaux contre lequel le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel s’est élevé avec vigueur et talent (voir Les Annonces de la Seine du 5 avril 2012, page 12). 2 - Voir Les Annonces de la Seine du 2 avril 2012, page 8.

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Club du Châtelet “Avec la QPC, le Conseil constitutionnel est-il devenu une Cour suprême ?” Paris - 10 avril 2012 Le Club du Châtelet et la Chambre des Notaires de Paris ont organisé une conférence-débat ce mardi 10 avril 2012 sur le thème de la question prioritaire de constitutionnalité instituée par la loi organique 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, l’invité du Président Christian Lefèbvre était Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel depuis 2007, à la tribune on a pu relever la présence de l’ancien Ministre Alain Lambert également Président d’Honneur du Conseil Supérieur du Notariat ; nous publions ci-après l’intervention du Président de la Chambre des Notaires de Paris. Jean-René Tancrède

La QPC face à la souveraineté parlementaire par Christian Lefebvre ermettez-moi néanmoins de revenir sur le thème de ce jour en évoquant la pensée d’une personnalité à laquelle je suis profondément attaché, le Doyen Jean Carbonnier. J’ai eu en effet le grand honneur de l’auditionner chez lui dans le cadre d’un Congrès des Notaires dont j’assumais la communication, et comme tous ceux qui ont pu le faire, je conserve un souvenir ému de cette rencontre. Le notariat a beaucoup admiré Jean Carbonnier, pour les éminents ouvrages qu’il a consacrés au droit civil et à la sociologie du droit, pour la qualité de sa réflexion et de son analyse sur notre société, mais aussi parce qu’il apporta une

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Christian Lefebvre

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contribution essentielle, sous la présidence du Général de Gaulle, à la grande œuvre de modernisation du Code civil qui s’imposait en raison de l’évolution des mœurs. Cette réforme porta sur le mariage, sur les successions et les libéralités, sur le divorce, sur les incapacités, sur les sûretés. Il s’était engagé sur un chemin que vous avez en quelque sorte poursuivi. C’est donc votre première parenté, votre première filiation avec le Doyen. Celle que nous pouvons remarquer en nous rendant en salle de réunion « Jean Carbonnier » à la Direction des Affaires Civiles et du Sceau. Il y en a une seconde sur laquelle je vais m’avancer avec plus de témérité, et avec la possibilité d’être contredit, c’est la conception que chacun d’entre vous a du rôle de la loi. Je rappelle que le Doyen Carbonnier a toujours plaidé pour un droit humble et modeste, un droit qui laisse une place au non droit, c’est-àdire à la responsabilité de chacun, c’est-à-dire au libre jeu des évolutions sociales. Reprenant certaines formules bibliques que le théologien

Alain Lambert, Marc Guillaume et Christian Lefebvre Les Annonces de la Seine - jeudi 12 avril 2012 - numéro 26


Vie du droit

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Alain Lambert, Christian Lefebvre, Marc Guillaume et Jean Tarrade

La QPC permettra au droit de s’amender de lui-même, de respirer, de lui donner une seconde vie, un nouveau souffle, sans pour autant que le juge puisse se substituer au législateur et mettre fin à cette tradition de souveraineté parlementaire à laquelle nous sommes attachés. protestant qu’il était aussi maîtrisait parfaitement, le Doyen suppliait ainsi les législateurs : « Ne légiférez qu’en tremblant », comme il demandait aux juges : « Ne jugez qu’en tremblant ». Pour lui, il ne fallait pas trop légiférer ou juger. Il regrettait qu’il y ait trop de droit dans notre société. Il s’affirmait à l’opposé un « amateur de vide juridique ». Il trouvait que les lois étaient des brodequins étroits alors qu’il préférait

chausser, disait-il, des pantoufles. Ce grand réformateur était également attaché à la place des traditions collectives, qu’elles soient communautaires, régionales ou sociales, mais également à la primauté de la liberté individuelle. Sachez, Monsieur le Secrétaire Général, que les

notaires partagent cette prévention devant la menace d’un gouvernement des juges. Ils se veulent des instituteurs du droit, qui ont pour mission de l’expliquer, de l’appliquer aux situations concrètes, en respectant l’esprit et la lettre de la loi mais aussi en la faisant vivre. Ils se veulent les magistrats de l’amiable, qui vont sans relâche consigner, faire œuvre de médiation, authentifier et puis conserver. Ils se veulent par conséquent ces partisans d’un droit modeste, d’un droit simple, d’un droit bref, mais aussi d’un droit profond qui innerve les relations humaines et leur permettent ainsi de prospérer. Or, avec la question prioritaire de constitutionalité, on peut penser que notre système juridique pourra corriger cette invasion de la loi qui s’est accentuée récemment. Car finalement, l’effet de la QPC sera, est peut-être déjà, un moyen d’aboutir à ce « flexible droit » que Jean Carbonnier appelait de ses vœux. Elle pourra permettre de faire évoluer des dispositions législatives, sans pour autant nécessairement les abroger dans leur intégralité. Elle réévaluera celles qui, au moment de leur adoption, pouvaient apparaître contingentes et prendront la valeur d’un principe général de notre droit ; elle dévaluera celles qui semblaient essentielles, mais se sont avérées moins adaptées

à l’évolution sociale. La QPC donnera à une loi la faculté de résoudre des questions auxquelles on ne s’était pas référé au départ. En quelque sorte, la QPC permettra au droit de s’amender de lui-même, de respirer, de lui donner une seconde vie, un nouveau souffle, sans pour autant que le juge puisse se substituer au législateur et mettre fin à cette tradition de souveraineté parlementaire à laquelle nous sommes attachés. Car si la QPC en arrivait à cette extrémité, cela signifierait que le juge serait devenu, comme aux Etats-Unis, un troisième pouvoir, complètement indépendant, une Cour Suprême à l’exemple de cette Cour Suprême des Etats-Unis. Je rappelle que les juges de Washington, dont 4 sont estimés libéraux et 5 sont réputés conservateurs, doivent apporter en juin prochain, à l’issue d’un interminable feuilleton législatif sur la généralisation du système américain d’assurance maladie, leur sanction sur la conformité de cette loi aux principes des Pères fondateurs, en revisitant en quelque sorte ces principes à la lumière des exigences de la société américaine en 2012.

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Vie du chiffre

Investissements d’avenir Paris - 20 mars 2012

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Alain Juppé, Michel Rocard et René Ricol

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REPÈRES 22 juin 2009 « Notre avenir va se jouer sur l'investissement. » Nicolas Sarkozy, devant le Parlement réuni en Congrès

Premiers Ministres Michel Rocard et Alain Juppé, ce fut l’occasion d’annoncer les lauréats des différents appels à projets concernant notamment les hôpitaux, les universités et les entreprises. Sur les 35 milliards dont est doté le « Grand Emprunt » 25 milliards ont déjà été affectés pour financer 800 projets dans les secteurs des nouvelles technologies, de l’aéronautique, des énergies renouvelables et de l’habitat du futur. Alain Juppé et Michel Rocard, co-présidents du Conseil de Surveillance d’ « Investissements d’Avenir » ont parlé d’une même voix tant ils sont satisfaits des résultats de cette initiative qui finance des projets qui ont de l’avenir et qui

devraient attirer des financements privés. Bientôt, ces investissements publics, contrôlés par le Parlement, devraient voir leur montant doubler. Le Commissariat Général à l’Investissement doit poursuivre ses contrôles et vérifier que les engagements pris par les lauréats des appels à projets sont bien respectés. Au-delà de tous clivages politiques, les deux anciens Premiers Ministres et René Ricol se sont réjouis de constater que le « Grand Emprunt » participe au redressement de la compétitivité de l’économie française et assure des emplois pour l’avenir. Jean-René Tancrède

19 novembre 2009 « Les investissements que nous proposons doivent être au seul service des générations futures. Ils n'ont qu'un objectif, constituer un mode d'emploi pour permettre aux jeunes de défendre leurs chances et les chances de la France dans le monde de demain. » Alain Juppé et Michel Rocard, Investir pour l'avenir

9 mars 2010 « Le projet de loi ouvre 35 milliards d'euros de crédits complémentaires sur le budget de l'État, destinés à financer des investissements visant à augmenter le potentiel de croissance de la France. » Projet de loi de finances rectificative

Michel Rocard et René Ricol

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e 20 mars 2012, environ deux ans après l’adoption de la loi de finances rectificative ayant initié le programme d’investissements d’avenir, le Commissaire Général à l’Investissement, René Ricol, a tenu une conférence de presse à l’Hôtel de Cassini conjointement avec deux anciens


Vie du droit

Conseil National des Barreaux Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Le décret “passerelle” du 3 avril 2012

Christian Charrière-Bournazel ans égard pour la motion votée en Assemblée générale par le Conseil national des barreaux, que j’ai pris le soin de faire porter aussitôt au ministre de la Justice, vient d’être publié ce 4 avril le décret « passerelle » qui ajoute au décret du 27 novembre 1991 un nouvel article 97-1 rédigé comme suit : « les personnes justifiant de huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi sont dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat ». L’imprécision de cette rédaction justifie le recours que j’ai demandé au président Didier Le Prado de former devant le Conseil d’Etat. Notre profession a toujours été ouverte, refusant toute barrière excessive à l’entrée et tout numerus clausus. C’est son honneur. Elle n’a jamais fait obstacle à ce que des juristes ayant une expérience professionnelle sérieuse dans d’autres métiers rejoignent le Barreau dès lors que les anime le désir de servir dans le respect de notre indépendance, du secret que nous devons à ceux qui se confient à nous et de notre exigeante déontologie. Telle est la raison pour laquelle il est nécessaire de définir les critères précis qui permettront ensuite aux barreaux, en vertu de la maîtrise souveraine de leur tableau, d’admettre ou de refuser l’inscription de tel ou tel candidat à la profession d’avocat. Si le décret a fort opportunément ajouté une condition à l’accès à la profession, notamment des juristes d’entreprise, en les soumettant à un examen de contrôle des connaissances en déontologie et règlementation professionnelle, les personnes qui bénéficieraient de la dérogation issue de ce nouvel article 97-1 seraient dispensées de cet examen, et ne seraient soumis qu’à une obligation de formation de vingt heures. On est en droit de demander quelles qualités effectives justifient ce privilège. Or la définition de l’article 97-1 est d’une totale imprécision. Que signifie l’expression « exercice de responsabilités publiques » ? S’agit-il de simples fonc-

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tionnaires ayant travaillé dans le service de législation d’un ministère ? Ou s’agit-il d’élus de la Nation ? En ce cas, pourquoi ne pas l’avoir dit ? La suite du texte est aussi vague, qui précise qu’il s’agirait de responsabilités publiques « faisant directement participer à l’élaboration de la loi ». Qu’est-ce que la participation directe à l’élaboration de la loi ? Le texte vise-t-il tous les rédacteurs et rédactrices chargés de préparer les propositions ou les projets de lois et/ou, sans distinction, tous les parlementaires, quelles que soient les commissions où ils ont été appelés à siéger et quand bien même ils n’auraient que rarement assisté à des débats en Assemblée, donnant leur pouvoir à un collègue pour voter à leur place la plupart du temps ? Enfin, malgré les demandes que nous avions formulées, il n’est fait aucune référence à une condition de diplôme, même si cette condition est inscrite dans la loi. M’objectera-t-on qu’on ne saurait déroger à une loi par un décret ? Certes, mais il eût été si simple d’accepter la lourdeur d’une répétition plutôt que de semer le trouble en donnant l’impression de vouloir à tout prix, dans l’urgence, trouver un point de chute pour d’éventuels recalés des prochaines élections législatives. Le CNB avait proposé de désigner nommément dans le décret ceux qui bénéficieraient le cas

échéant de cet accès parallèle : les députés, les sénateurs et les ministres titulaires d’au moins une maîtrise en droit et ayant pendant huit années travaillé effectivement, en raison de leurs qualités de juristes, à l’élaboration de textes législatifs. S’y ajoutait la condition d’une formation d’au moins vingt heures en déontologie préalable à l’admission au Barreau. Les avocats ne nourrissent aucune suspicion a priori et sont les premiers à revendiquer la présomption d’innocence. Ils ne nourrissent pas la mauvaise pensée qu’un ancien parlementaire devenant avocat se consacrerait à faire du trafic d’influence. Un carnet d’adresses ne pèse que le poids de son titulaire ; une fois la fonction perdue, l’encre a tendance à s’estomper. Il suffit de penser à tels ou tels de nos confrères qui, devenus parlementaires puis revenus ensuite au Barreau, ont eu les plus grandes difficultés à reconstituer un cabinet. Il n’y a dans l’attitude du Conseil national des barreaux ni parti pris de méchanceté, ni jalousie, ni frilosité, mais le seul désir que ceux qui nous font l’honneur de nous rejoindre, loin de banaliser le nom que nous portons, nous rendent au contraire fiers de les compter parmi nos nouveaux confrères. Christian Charrière-Bournazel Source : Lettre du CNB du 5 avril 2012 2012-295

Adjudications Yvelines 78

Vente aux enchères publiques au Palais de Justice de VERSAILLES - 5, place André Mignot

Le mercredi 23 mai 2012 à 9 heures en deux lots libres sis

Centre Commercial MAG 2000 - Route départementale 928 de Mantes à Dreux

78730 MAGNANVILLE Cadastré section AC n° 8, “1 rue des Pierrettes” pour 2 ha 07 a 24 ca 1er Lot : - Un local (lot de copropriété n°13) situé dans le Centre Commercial, en façade sur l'allée D, face à l'allée E d'une superficie de 104,08 m2. - Un local (lot de copropriété n°17) situé dans le Centre Commercial, à l'angle des allées D et E, d'une superficie de 89,49 m2. - Un local (lot de copropriété n°18) situé dans le Centre Commercial, à gauche de l'entrée n°3 avec toute sa façade sur l'allée E, d'une superficie de 1 153,10 m2. 2ème Lot : - Un local (lot de copropriété n°23) situé dans le Centre Commercial, à l'angle des allées C et D, d'une superficie de 32,12 m2.

Mises à Prix : 1er lot : 192 000 € - 2ème lot : 6 000 € Pour tous renseignements, sʼadresser à : - la SCP SILLARD & ASSOCIES avocats, 73 bis rue du Maréchal Foch, VERSAILLES (78) Téléphone : 01 39 20 15 75 - e-mail : cabinet@avocats-sillard.com Le cahier des conditions de la vente peut être consulté au Greffe du Juge de lʼexécution du Tribunal de Grande Instance de Versailles et au cabinet de lʼavocat. VISITES SUR PLACE JEUDI 10 MAI 2012 DE 14 HEURES À 16 HEURES ET VENDREDI 11 MAI 2012 DE 10 HEURES À 12 HEURES.

Consignation pour enchérir : Chèque de banque à l'ordre du Bâtonnier Séquestre d'un montant de 19 200 euros pour le 1er lot et de 3 000 euros pour le 2ème lot, outre une somme pour les frais et émoluments dont le montant sera indiqué par l'avocat chargé deporter les enchères. On ne peut enchérir que par le ministère dʼun avocat du Barreau de Versailles. 03082

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Jurisprudence

Enregistrement audiovisuel des interrogatoires et des confrontations des personnes mises en cause en matière criminelle Commentaire de la décision 2012-228/229 QPC Rendue par le Conseil constitutionnel le 6 avril 2012 e Conseil constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2012 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts n°261 et 262 du 18 janvier 2012) de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées par M. K. Z., concernant, pour la première, le septième alinéa de l’article 116-1 du Code de procédure pénale (CPP) et, pour la seconde, le septième alinéa de son article 64-1. Le Conseil a joint ces deux QPC dans la mesure où les dispositions attaquées, bien que régissant deux stades distincts de la procédure pénale (l’enquête et l’instruction), sont néanmoins identiques en leur rédaction et leurs effets. Par sa décision n°2012-228/229 QPC du 6 avril 2012, le Conseil constitutionnel a jugé les septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale contraires à la Constitution. Il a, en outre, précisé que cette déclaration d’inconstitutionnalité prendrait effet au jour de la publication de sa décision. Dans cette procédure M. Guy Canivet a estimé devoir s’abstenir de siéger.

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I. Dispositions contestées Les septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale excluaient, en principe, tout enregistrement audiovisuel des interrogatoires lorsque la personne gardée à vue ou mise en examen l’est pour « un crime mentionné à l’article 706-73 du présent code ou prévu par les titres Ier et II du livre IV du Code pénal ». A. Contexte

Les articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale sont issus des articles 14 et 15 de la loi n°2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, entrés en vigueur le premier jour du quinzième mois suivant la publication de la loi, soit le 1er juin 2008. Ces articles prévoient, en matière criminelle, l’enregistrement audiovisuel des gardes à vue (article 64-1) et des interrogatoires des personnes mises en examen dans le cabinet du juge d’instruction (article 116-1). Sous cette réserve, ils présentent une rédaction identique. Cette exigence d’enregistrement, déjà prévue depuis 2001 pour les gardes à vue de mineurs(1), a ainsi été étendue par la loi du 5 mars 2007 aux majeurs placés en garde à vue ou mis en examen pour des faits de nature criminelle à compter du 1er juin 2008. Une telle extension a été motivée par le souci de mettre un terme aux contestations relatives à l’authenticité des procès-verbaux d’interrogatoires dressés en garde à vue ou dans le cabinet du juge d’instruction. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, « ces enregistrements sécuriseront les procédures, tout en constituant une garantie à la fois pour les justiciables et pour les enquêteurs, en prévenant les mises en causes injustifiées dont ces derniers font parfois l’objet ». L’obligation d’enregistrement prévue au premier alinéa des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale connaît toutefois des limites. - Tout d’abord, les cinquièmes alinéas des articles précités disposent que lorsque le nombre de personnes gardées à vue ou mises en examen « devant être simultanément interrogées au cours de la même procédure ou de procédures distinctes, fait obstacle à l’enregistrement » de tous les interrogatoires ou de toutes les auditions, le procureur de la République ou le juge d’instruction décident des interrogatoires qui ne seront pas enregistrés. - Ensuite, les sixièmes alinéas de ces mêmes articles précisent qu’une « impossibilité technique » peut justifier le défaut d’enregistrement. Dans

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un tel cas, il est fait mention dans le procès-verbal d’interrogatoire de la nature de cette impossibilité. - Enfin, les septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale, dispositions censurées, excluaient, en principe, tout enregistrement audiovisuel des interrogatoires lorsque la personne gardée à vue ou mise en examen l’était pour « un crime mentionné à l’article 70673 du présent code ou prévu par les titres Ier et II du livre IV du cCode pénal ». Par exception, il était toutefois prévu que le procureur de la République ou le juge d’instruction pouvaient ordonner l’enregistrement. C’est cette exclusion de principe de l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires s’agissant de certaines infractions qui était soumis à l’examen du Conseil. Aussi celui-ci devait-il, avant de procéder à un tel examen, cerner précisément les contours de cette exception. B. Domaine des dispositions contestées

Les interrogatoires menés pour « un crime mentionné à l’article 706-73 du présent code ou prévu par les titres Ier et II du livre IV du Code pénal » n’avaient pas, en principe, à être enregistrés. L’article 706-73 du Code de procédure pénale, issu de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, fixe une liste d’infractions de criminalité organisée pour lesquelles s’applique une procédure pénale dérogatoire, offrant davantage de prérogatives aux enquêteurs que la procédure de droit commun. Par ailleurs, les titres Ier et II du Livre IV du Code pénal sont relatifs respectivement aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et aux actes de terrorisme. Parmi les atteintes aux intérêts de la nation, on retrouve les infractions touchant à la trahison, les atteintes aux institutions de la République, à l’intégrité du territoire ou encore, à la défense nationale. Le domaine de l’exception au principe de l’enregistrement des interrogatoires en matière criminelle recouvrait ainsi à la fois les infractions de criminalité organisée et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation.

II. Examen de constitutionnalité Le requérant faisait grief aux septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du CPP de contrevenir au principe d’égalité découlant de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « seul et en combinaison avec le principe des droits de la défense, le droit à un procès équitable et le droit à un recours juridictionnel effectif ». L’examen de constitutionnalité consistait donc à envisager la conformité des dispositions contestées au principe d’égalité. A. Le principe d’égalité

Le principe d’égalité est proclamé à l’article 1er de la Déclaration de 1789 suivant lequel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Ce principe découle également de l’article 6 de la Déclaration qui dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le Conseil a eu de nombreuses occasions de préciser la teneur du principe d’égalité qui implique de traiter de manière identique deux personnes placées dans une même situation et laisse la possibilité au législateur de prévoir des règles différentes suivant les situations et personnes auxquelles elles s’appliquent. A cet égard, le Conseil rappelle souvent, dans une formule de principe, que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon

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Jurisprudence différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »(2). Par ailleurs, s’agissant plus précisément de l’égalité des citoyens devant la loi pénale, le Conseil a récemment jugé que « le principe d’égalité devant la loi pénale, tel qu’il résulte de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par la loi pénale entre agissements de nature différente »(3). En matière de procédure pénale, le Conseil a, dès sa décision des 19 et 20 janvier 1981 relative à la loi « Sécurité et Liberté », indiqué qu’« il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, pourvu que les différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées des garanties égales aux justiciables »(4). Quelques années plus tard, à l’occasion de deux décisions du 3 septembre 1986, le Conseil a retenu le considérant de principe suivant : « Considérant qu’il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l’article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des

garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense »(5). Ce considérant de principe a ensuite été repris dans plusieurs décisions dans le cadre du contrôle a priori(6), en particulier celle du 2 mars 2004 relative à la loi du 9 mars 2004 précitée pour le régime procédural dérogatoire de la criminalité organisée(7). Il a été utilisé dans huit décisions rendues dans le cadre du contrôle a posteriori, avec quelques différences rédactionnelles(8). A l’occasion de la décision du 2 mars 2004, le Conseil avait justifié le report de l’arrivée de l’avocat à la quarante-huitième heure de garde à vue pour certaines des infractions de l’article 706-73 du Code de procédure pénale par « la gravité et la complexité des infractions concernées »(9). En effet, la criminalité organisée est une criminalité de réseaux, souvent internationaux, nécessitant que les mesures de garde à vue se déroulent, du moins pendant un certain temps, sans intervention de l’avocat ou de tiers à la procédure, le report de l’intervention de l’avocat le protégeant d’ailleurs d’éventuelles pressions des coauteurs ou complices de la personne interpellée. Aussi le Conseil constitutionnel a-t-il jugé conforme à la Constitution une différence de traitement de certaines personnes gardées à vue fondée sur la nature particulière des infractions pour lesquelles elles sont soupçonnées.

REPÈRES

Conseil constitutionnel Décision n°2012-228/229 QPC du 6 avril 2012 Le Conseil constitutionnel, (…) 1. Considérant qu’il y a lieu de joindre ces deux questions prioritaires de constitutionnalité pour statuer par une seule décision ; 2. Considérant qu’aux termes du septième alinéa de l’article 64-1 du Code de procédure pénale : « Le présent article n’est pas applicable lorsque la personne est gardée à vue pour un crime mentionné à l’article 706-73 du présent code ou prévu par les titres Ier et II du livre IV du Code pénal, sauf si le procureur de la République ordonne l’enregistrement » ; qu’aux termes du septième alinéa de l’article 116-1 du même code : « Le présent article n’est pas applicable lorsque l’information concerne un crime mentionné à l’article 706-73 du présent code ou prévu par les titres Ier et II du livre IV du Code pénal, sauf si le juge d’instruction décide de procéder à l’enregistrement ». 3. Considérant que, selon le requérant, en faisant exception au principe de l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires en matière criminelle lorsqu’ils sont menés dans le cadre d’enquêtes ou d’instructions portant sur des crimes relevant de la criminalité organisée ou d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, ces dispositions portent atteinte au principe d’égalité et au respect des droits de la défense ; 4. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que son article 7 dispose : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites... » ; que son article 9 dispose : « Tout homme étant

présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; 5. Considérant, en deuxième lieu, qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ; 6. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations injustifiées ; 7. Considérant qu’en insérant dans le code de procédure pénale les articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale, la loi du 5 mars 2007 susvisée a prévu l’enregistrement de la personne gardée à vue ou mise en examen interrogée en matière criminelle ; que, toutefois, les dispositions contestées prévoient que les garanties instituées par ces deux articles

ne sont pas applicables aux enquêtes et aux instructions conduites pour les crimes énumérés à l’article 706-73 du même code ou ceux prévus et réprimés par les titres Ier et II du livre IV du Code pénal, à moins que le procureur de la République ou le juge d’instruction n’ordonne l’enregistrement ; qu’il résulte des travaux parlementaires de la loi du 5 mars 2007 qu’en limitant ainsi le nombre des enquêtes ou des instructions soumises à l’obligation d’enregistrement de l’interrogatoire des personnes suspectées d’avoir commis un crime, le législateur a entendu concilier cette nouvelle règle procédurale avec les particularités des enquêtes et des instructions conduites en matière de criminalité organisée ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ; 8. Considérant, en premier lieu, que, d’une part, les articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale disposent que le procureur de la République ou le juge d’instruction peut prévoir que les auditions ou les interrogatoires ne seront pas enregistrés en raison du « nombre de personnes… devant être simultanément interrogées » ; que l’obligation d’enregistrement ne s’applique pas en cas d’impossibilité technique mentionnée dans le procès-verbal ; que, d’autre part, ces dispositions ne permettent la consultation des enregistrements que sur décision du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement, à la demande du ministère public ou d’une des parties ; qu’en outre, la diffusion non autorisée de ces enregistrements est pénalement réprimée ; que, par suite, les dispositions contestées ne trouvent une justification ni dans la difficulté d’appréhender les

auteurs des infractions agissant de façon organisée ni dans l’objectif de préservation du secret de l’enquête ou de l’instruction ; 9. Considérant, en second lieu, qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose l’enregistrement des auditions ou des interrogatoires des personnes suspectées d’avoir commis un crime ; que, toutefois, en permettant de tels enregistrements, le législateur a entendu rendre possible, par la consultation de ces derniers, la vérification des propos retranscrits dans les procèsverbaux d’audition ou d’interrogatoire des personnes suspectées d’avoir commis un crime ; que, par suite, au regard de l’objectif ainsi poursuivi, la différence de traitement instituée entre les personnes suspectées d’avoir commis l’un des crimes visés par les dispositions contestées et celles qui sont entendues ou interrogées alors qu’elles sont suspectées d’avoir commis d’autres crimes entraîne une discrimination injustifiée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité et doivent être déclarées contraires à la Constitution ; 10. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité

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doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ; 11. Considérant que l’abrogation des septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu’elle est applicable aux auditions de personnes gardées à vue et aux interrogatoires des personnes mises en examen qui sont réalisés à compter de cette date, Décide : Article 1er.- Les septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale sont contraires à la Constitution. Article 2.- La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au considérant 11. Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 avril 2012, où siégeaient : Jean-Louis Debré, président, Jacques Barrot, Claire Bazy Malaurie, Michel Charasse, Renaud Denoix de Saint Marc, Jacqueline de Guillenchmidt, Hubert Haenel et Pierre Steinmetz.

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Jurisprudence Au regard de l’ensemble de ces éléments, il revenait donc au Conseil de déterminer si, dans la présente affaire, la différence de traitement dont faisaient l’objet les personnes gardées à vue ou mises en examen pour l’une des infractions visées à l’article 706-73 du Code de procédure pénale ou réprimées aux titres Ier et II du Livre IV du Code pénal se justifiait au regard de la nature des comportements reprochés. B. Application à l’espèce

Ainsi qu’on l’a déjà relevé, les dispositions censurées faisaient exception au principe de l’enregistrement pour les crimes mentionnés à l’article 706-73 du Code de procédure pénale et ceux prévus par les titres Ier et II du livre IV du Code pénal. L’article 706-73 du Code de procédure pénale vise un certain nombre de crimes, avec la circonstance aggravante qu’ils ont été commis en bande organisée : meurtre, tortures et actes de barbarie, trafic de stupéfiants, enlèvement et séquestration, traite des êtres humains, proxénétisme, vol, extorsion, destruction, dégradation et détérioration d’un bien, fausse monnaie, terrorisme, détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, contribution à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Pour leur part, les titres Ier et II du livre IV du Code pénal visent les crimes suivants : - la livraison du territoire national, des forces armées et de matériel affecté à la défense nationale à une puissance étrangère ; - l’intelligence avec une puissance étrangère ; - la livraison d’informations à une puissance étrangère ; - le sabotage ; - l’attentat et le complot ; - la participation à un mouvement insurrectionnel ; - l’usurpation de commandement militaire ; - la levée, sans ordre et sans autorisation, de forces armées ; - la provocation à s’armer contre l’Etat lorsque suivie d’effets ; - la provocation criminelle des forces armées à passer au service d’une puissance étrangère ; - l’entrave criminelle au fonctionnement normal du matériel militaire ; - la provocation criminelle à la désobéissance des militaires ; - les actes de terrorisme (qui faisaient ainsi l’objet d’une double référence dans les dispositions censurées). Il revenait au Conseil de trancher la question suivante : la gravité, la complexité et, plus largement, la nature de ces crimes justifient-elles qu’en principe les auditions des personnes gardées à vue ou les interrogatoires, par le juge d’instruction, des personnes mises en examen ne soient pas enregistrés ? Si, comme on l’a vu, le Conseil a jugé dans sa décision du 2 mars 2004 que la gravité et la complexité des infractions de l’article 706-73 du Code de procédure pénale légitiment le report de l’arrivée de l’avocat en garde à vue, dans la décision du 6 avril 2012, il a jugé que l’exception faite, par les dispositions contestées, au principe d’enregistrement des interrogatoires en matière criminelle n’était pas justifiée. Certes, comme le Conseil l’a relevé, le législateur avait entendu, en adoptant les exceptions contestées dans le cadre de la présente QPC, concilier la règle de l’enregistrement avec les spécificités des enquêtes et instructions menées en matière de criminalité organisée ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Le Conseil constitutionnel a toutefois estimé que la différence de traitement instituée n’était pas en adéquation avec cet objectif. La motivation du Conseil est développée en deux temps. Dans un premier temps, le Conseil a relevé que le régime auquel il était fait exception par les dispositions contestées prévoit les garanties de nature à permettre de prendre en compte les particularités des enquêtes liées à la criminalité organisée ou aux crimes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, s’agissant tant de la nécessité de faire face à un nombre important d’auditions simultanées que de la nécessité de protéger particulièrement le secret de l’enquête ou de l’instruction. Premièrement, l’existence d’un nombre important d’auditions ou d’interrogatoires simultanés est un motif pouvant justifier, sur décision du magistrat, qu’il ne soit pas procédé à l’enregistrement. Deuxièmement, l’obligation d’enregistrement ne s’applique pas, aux termes du sixième alinéa des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale, « en raison d’une impossibilité technique ». Ces deux types de dérogation à l’obligation d’un enregistrement audiovisuel permettent ainsi de prendre en compte les difficultés matérielles et de ne pas faire obstacle au déroulement des interrogatoires et donc des enquêtes.

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Troisièmement, les articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale prévoient, en leur deuxième alinéa, que l’enregistrement ne peut être consulté que « sur décision du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement, à la demande du ministère public ou d’une des parties ». Par suite, la consultation des enregistrements est très encadrée et ne peut intervenir qu’au stade de l’instruction ou de l’audience de jugement. Ce dernier élément permet de constater que cette consultation ne peut avoir d’incidence sur l’enquête. Intervenant bien après cette enquête, la consultation ne peut remettre en cause sa confidentialité et risquer ainsi de compromettre l’interpellation de l’ensemble du réseau criminel. En outre, le Conseil a rappelé que l’encadrement de la consultation des enregistrements est pénalement garanti. La loi du 5 mars 2007, afin d’assurer une telle confidentialité, a en effet inséré un troisième alinéa au sein des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale aux termes duquel : « Le fait, pour toute personne, de diffuser un enregistrement réalisé en application du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». De ces premières constatations, le Conseil a déduit que « les dispositions contestées ne trouvent une justification ni dans la difficulté d’appréhender les auteurs des infractions agissant de façon organisée ni dans l’objectif de préservation du secret de l’enquête ou de l’instruction » (cons. 8). Dans le deuxième temps de sa motivation, le Conseil a estimé que la différence de traitement instituée « entre les personnes suspectées d’avoir commis l’un des crimes visés par les dispositions contestées et celles qui sont entendues ou interrogées alors qu’elles sont suspectées d’avoir commis d’autres crimes entraîne une discrimination injustifiée » (cons. 9). Avant de parvenir à cette conclusion, le Conseil a d’abord jugé que l’enregistrement des interrogatoires et confrontations ne procède d’aucune exigence constitutionnelle. Toutefois, en permettant de tels enregistrements, le législateur a entendu que leur consultation permette la vérification des propos retranscrits dans les procès-verbaux d’audition ou d’interrogatoire des personnes suspectées d’avoir commis un crime. Il s’agit d’un objectif de sécurisation des procès-verbaux dressés en matière criminelle. Au regard d’un tel objectif, il est apparu au Conseil que la différence de traitement instaurée par ladite loi entraînait une discrimination injustifiée, donc contraire au principe d’égalité découlant notamment de l’article 6 de la Déclaration de 1789. En définitive, le Conseil a donc déclaré les septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du code de procédure pénale contraires à la Constitution. En outre, il a jugé que l’abrogation de ces dispositions prendrait effet à compter de la publication de sa décision ; ce qui, à compter de cette date, implique que les dispositions des six premiers alinéas des articles 64-1 et 116-1 du Code de procédure pénale s’appliquent à tous les interrogatoires de personnes placées en garde à vue ou mises en examen en matière criminelle. Notes : 1 - En vertu du paragraphe VI de l’article 4 de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945, entré en vigueur le 16 juin 2001. 2 - V. not. décisions n°s 2009-578 DC du 18 mars 2009, Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (cons.19) ; 2010-3 QPC du 28 mai 2010, Union des familles en Europe (Associations familiales) (cons. 3). 3 - Décision n°2010-612 DC du 5 août 2010, Loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale (cons. 6). 4 - Décision n°80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes (cons. 31). 5 - Décisions n°s 86-213 DC du 3 septembre 1986, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’Etat (cons. 12) ; 86-215 DC du 3 septembre 1986, Loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance (cons. 18). 6 - Décisions n°s 93-326 DC du 11 août 1993, Loi modifiant la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du Code de procédure pénale (cons. 11) ; 97-389 DC du 22 avril 1997, Loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration (cons. 61) ; 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice (cons. 23) ; 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (cons. 30) ; 2004-510 DC du 20 janvier 2005, Loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance (cons. 22). 7 - Décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004, préc. 8 - Décisions n°s 2011-190 QPC du 21 octobre 2011, M. Bruno L. et autre (Frais irrépétibles devant les juridictions pénales), cons. 4 ; 2011-179 QPC du 29 septembre 2011, Mme Marie-Claude A. (Conseil de discipline des avocats), cons. 3 ; 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, M. Hovanes A. (Communication du réquisitoire définitif aux parties), cons. 4 ; 2011-156 QPC du 22 juillet 2011, M. Stéphane P. (Dépaysement de l'enquête), cons. 3 ; 2011-153 QPC du 13 juillet 2011, M. Samir A. (Appel des ordonnances du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention), cons. 3 ; 2011-112 QPC du 1er avril 2011, Mme Marielle D. (Frais irrépétibles devant la Cour de cassation), cons. 3 ; 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre (Motivation des arrêts d'assises), cons. 8 et 2010-81 QPC du 17 décembre 2010, M. Boubakar B. (Détention provisoire : réserve de compétence de la chambre de l'instruction), cons. 4. 9 - Décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004, préc., cons. 32.

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Décoration

Bernard Pagès, Officier de la Légion d’Honneur Paris - 11 avril 2012

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Bernard Pagès

ier, à la Garde Républicaine, quelques amis entouraient Bernard Pagès pour une cérémonie au cours de laquelle Jean-Claude Marin, Procureur Général près la Cour de Cassation

H

lui a remis les insignes d’Officier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur ; le Général Philippe Schneider Commandant de la Garde Républicaine figurait au premier rang des personnalités ainsi que Chantal Arens Présidente du Tribunal de Grande Instance de Paris, Vincent Lamanda Premier Président de la Cour de Casstion, Pierre Mutz, Jean Cabannes, Jacques Degrandi Premier Président de la Cour d’Appel de Paris et Jean-François Legaret maire du Ier arrondissement de Paris. Le parcours et les mérites du récipiendaire ont été rappelés par l’Officiant avec talent : la carrière exemplaire de l’homme de droit et de justice débute en 1977 en qualité de substitut du Procureur de la République à Versailles. Grand Parquetier, Bernard Pagès brille par son intelligence et son ouverture d’esprit, il est également apprécié pour son calme et sa disponibilité. Ce haut magistrat, qui jouit d’une autorité naturelle, est reconnu pour sa loyauté. Lorsqu’il rejoindra le Parquet de Paris à la demande de Bruno Cotte une vingtaine d’années plus tard, il fera preuve « de rares qualités humaines et d’attention à autrui » a précisé l’Officiant. En janvier 2001, Bernard Pagès a rejoint la Direction Générale de la Gendarmerie à la tête

de laquelle se trouvait alors Pierre Steinmetz puis Pierre Mutz ; en 2003, il est nommé Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Nanterre, quatre ans plus tard Bernard Pagès devient Avocat Général à la Cour de Cassation où il est affecté à la première chambre de la Cour. Il était donc légitime que la République mette à nouveau en lumière les éminents mérites de ce haut magistrat dont le dévouement et les qualités morales reflètent une attachante personnalité. Sa lucidité et sa détermination sont à l’image de son pragmatisme et de sa puissance de travail. Homme élégant et distingué, il sait porter haut les lettres de noblesse de la magistrature, conférant ainsi à sa profession une prestigieuse renommée. Qui mieux que Bernard Pagès méritait cette promotion dans le plus grand Ordre Républicain ? Son engagement au service du droit est sans faille, il œuvre ainsi avec éclat et loyauté au service de la justice donc au prestige de la France. Jean-René Tancrède 2012-297

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Jean-Claude Marin et Bernard Pagès

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