La photographie d'architecture.

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LA PHOTOGRAPHIE D’ARCHITECTURE Représentation du réel ou représentation d’une idée ?

BOG HOSSI A N A dèle



Sous la direction de Mr Didier DALBERA Rapport de fin d’études - Licence - 2017 École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille



PRÉAMBULE


Depuis l’acquisition de mon premier appareil photo à l’âge de sept ans, je me suis toujours intéressée à la photographie ( capturer les instants de ma vie, de mon entourage…) ainsi qu’aux montages et aux collages.

C’est lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’architecture que je me suis rendu compte que photographier des édifices représentait un réel enjeu. En effet, la photographie est un moyen de communiquer l’architecture, mais aussi de la figer. Je pense que photographie est au service de l’architecture car elle nous permet d’apprendre, de comprendre et retenir de nombreuses notions, pourtant la photographie est aussi très subjective.

J’ai donc commencé à me questionner sur ce que pourrait apporter ce moyen de représentation à l’architecture.

Mes interrogations ont été d’autant plus grandes lors de la conférence de Campo Baeza à l’école d’architecture, lorsque celui-ci, en présentant son projet « The House of the Infinite » a précisé que toutes ses photographies étaient soigneusement retouchées pour supprimer les gardes corps (obligatoires).

Dans ce cas la photographie est-elle bien au service de l’architecture ?

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Est-ce une représentation de la réalité ou seulement d’une idée de l’architecte ?

Je me questionne donc sur le regard que nous posons sur l’architecture dès l’instant où elle est mise en images, et quelle peut être l’influence de ces images sur la pensée architecturale.

Faut il photographier l’architecture de manière objective pour pouvoir la communiquer ?

C’est à partir de toutes ces interrogations que j’ai décidé d’orienter mes recherches sur la relation entre la photographie et l’architecture.

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REMERCIEMENTS




Je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui ont contribué à l’élaboration de ce rapport de fin d’études, en particulier :

Mr Didier DALBERA, professeur référent et directeur de mémoire pour avoir suivi l’évolution de ce rapport depuis le début des recherches jusqu’à sa finalisation. Je le remercie de m’avoir encadrée, orientée, aidée et conseillée.

L’ensemble des professeurs que j’ai pu avoir durant ces trois années de licence, notamment Mr BOYER, Mme GASC ainsi que Mme DE LA SOUCHÈRE, enseignants d’arts, qui, grâce à leurs savoirs ont contribué à alimenter ma réflexion sur la photographie. Par leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques, ils ont guidé mes recherches et ont contribué à l’élaboration de ce rapport de fin d’études.

L’ensemble de mes proches, mes amis et ma famille pour leur soutient, leurs conseils tout au long de la rédaction de ce mémoire et plus encore.

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SOMMAIRE


INTRODUCTION

15

1. LA PHOTOGRAPHIE D’ARCHITECTURE…

23

1.1- Définition(s)

24

1.2- Vers une édification du visible

26

1.3- Comme vecteur de communication

32

2. AU PLUS PROCHE DE LA RÉALITÉ… « la vérité photographique »

37

2.1- Un moyen de communiquer l’architecture : la photo comme trace, empreinte

2.2- De la réalité à une construction fictive : pour donner une image la plus 42 juste possible

2.3- Quand la photo fige l’architecture: les limites du document

38

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3. AU PLUS PROCHE D’UNE IDÉE, LA QUESTION DE L’ESTHÉTIQUE… « du visible au visuel »

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3.1- Quel regard pose t-on sur l’architecture dès l’instant où elle est mise en image ?

54

3.2- Quand la photographie s’affirme comme une réalité en soi

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3.3- La question de la retouche photographique

70

CONCLUSION

81

TABLE DES ILLUSTRATIONS

87

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

93



INTRODUCTION






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Fig. 01


« La question n’est pas de savoir si la photographie est un art, mais ce que devient l’art, après la photographie » 1

Par extension, on peut se demander que devient l’architecture après la photographie ?

Quel regard pose t-on sur l’architecture dès l’instant où elle est mise en images ?

Penser et représenter étant deux notions intimement liées, quelle peut être l’influence de ces images sur la pensée architecturale ?

1

Walter BENJAMIN, Petite histoire de la photographie, Ed Allia, 2012

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Le mot photographie provient de deux racines d’origine grecques :

« photo- » : (φωτoς, photos : lumière, clarté) « qui utilise la lumière »

et « -graphie » : (γραφειν, graphein : peindre, dessiner, écrire) « qui écrit », « qui aboutit à une image ». 2

Ainsi, la photographie serait une « image dessinée par la lumière ».

La photographie est donc un processus de figuration. Considérée comme un acte de représentation du réel, elle sert pour diverses disciplines. Dès ses origines, elle est d’ailleurs intimement liée à l’architecture.

Ce n’est pas par hasard si la première photographie fut celle d’un bâtiment (Fig.01). Prise par Nicéphore Niepce en 1827, cette photo cadre une vue à partir de la fenêtre de sa propre résidence vers un autre édifice. En effet, le caractère très statique de l’architecture était indispensable aux longs temps d’exposition (environ une dizaine d’heures) requis à l’époque des premiers essais photographiques.

2

D’après le CNRTL, http://www.cnrtl.fr/etymologie/photographie !19


De plus, l’étroite collaboration entre architectes et photographes au fil de l’histoire reflète les liens qui existent entre le champ de la photographie et celui de l’architecture. En effet, la photographie joue un rôle très important dans l’architecture. Elle permet la mémorisation, la diffusion, la transmission et l’exposition de l’architecture. Elle est un moyen essentiel pour la communiquer.

C’est grâce à sa ressemblance avec le réel que la photographie se discerne des autres formes de représentation. La figuration qu’elle fournit passe pour une évidence, une vérité objective qui restitue l’image de la réalité.

Néanmoins, la photographie peut montrer une vision qui ne suggère pas forcement la réalité. Grâce à sa proximité avec le réel et sa capacité de manipulation de l’image, elle peut induire en erreur. Les architectes se servent d’ailleurs souvent de la capacité de manipulation de la photographie, pour mettre en valeur leurs œuvres (retouche, valorisation de détails, déformations, jeux sur la lumière…). Ainsi, la photographie peut participer à « une profonde manipulation du réel. »3
 Henri STIERLIN, La vision photographique en architecture, un itinéraire dans l’image, Ed Folio, 2005 3

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Par une démarche analytique et exploratoire sur le travail de plusieurs photographes et architectes, ce rapport de fin d’études tente d’approfondir le dialogue qui existe entre l’architecture et la photographie.

Ainsi, nous retracerons dans une première partie les débuts de la photographie d’architecture, son histoire et son développent dans la société.

Puis, nous verrons comment la photographie entre en interaction avec l’architecture à des fins de diffusion, et comment le caractère documentaire de la photographie a introduit en architecture de nouveaux questionnements : non seulement comment les bâtiments sont pensés par l’architecte mais comment ils sont perçus par l’observateur.

Enfin, dans une troisième partie, nous verrons que ce mode de représentation peut évoluer dans le domaine artistique, et avoir une valeur uniquement esthétique. Ainsi, comment le passage de la réalité à travers l’appareil photographique produit une nouvelle réalité : une réalité visuelle.

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« La photographie d’architecture est une interprétation et une représentation des éléments intrinsèques de l’architecture : espace, forme, lumière et couleur. » (Tadao ANDO, Couleurs de lumière, 2002)


1. LA PHOTOGRAPHIE

D’ARCHITECTURE…


1.1- DÉFINITION(S) « La photographie d’architecture est l’un des principaux thèmes de la photographie. Il s’agit d’une restitution d’édifices par l’image, cette restitution pouvant être fidèle ou magnifiée selon le désir, la volonté et la sensibilité du photographe. »4

La photographie d’architecture existerai grâce à la rencontre de plusieurs éléments. Un espace, un lieu, un temps, une lumière, un objet, et, un dispositif.

Un lieu…

L'objet architectural est à la fois en un lieu, grâce à la photo, il est contextualisé et il s’inscrit dans un lieu. Et l’objet de la photographie forme un lieu, un univers. Deux aspects intimement liés.

4

Définition du dictionnaire Larousse

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Un temps…

Il y a le temps de pose, dans le processus photographique, puis le temps comme moment de l'histoire qui se rattache à un contexte culturel. Et le temps météorologique qui a un impact sur le rendu, avec la qualité de lumière par exemple.

Un objet...

L'objet architectural en lui-même : un assemblage cohérent de matériaux selon une logique pré-établie qui se caractérise par sa singularité et sa finitude.

Un dispositif...

Il y a deux éléments : l'appareil en lui-même et la technique associée. S'y ajoute le photographe qui maîtrise cette technique et dirige le dispositif selon ses désirs et intentions esthétiques.

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1.2- VERS UNE ÉDIFICATION DU VISIBLE La photographie est l’outil qui permet une mise en images du monde.

Dès ses débuts au XIXè siècle, la photographie a contribué à la connaissance et à la diffusion de l’architecture, offrant une transcription précise de volumes en trois dimensions sur des surfaces imprimées.

Elle se développe avec la société industrielle et l’arrivée des moyens de transport rapides, qui bouleversent les notions antérieures de proche et de lointain. On part aux quatre coins du monde pour en ramener des images, des photographies. Ce monde revisité fait alors l’objet d’une compilation exhaustive, d’un inventaire du visible.

Suite aux destructions de la Révolution, un nouvel intérêt est porté pour l’architecture antique et médiévale. Apparaît alors l’idée de répertorier les monuments considérés comme types caractéristiques d’une époque ou d’un style, afin d’engager les actions nécessaires à leur conservation. En 1837 est ainsi créée la commission des monuments historiques qui suit de quelques années la création du poste d’inspecteur des monuments historiques.

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En 1838 est pensé un projet de recensement des monuments historiques par le dessin. Viollet-le-Duc soutient l’idée d’utiliser un daguerréotype5 face au choix du dessin. Il voit en l’exactitude de la représentation photographique une meilleure façon de mémoriser l’état d’un monument avant travaux.

En 1851, cinq photographes6 sont désignés pour parcourir la France et photographier 175 édifices pour ce qui sera plus tard nommé « la mission héliographique ». 7

La mission héliographique définit, en matière d’architecture, deux notions : ce qui est digne d’intérêt, c’est à dire ce qu’il faut voir, et la forme de sa représentation : comment il faut le donner à voir.

Ainsi, ne sont retenus que des édifices susceptibles de transmettre une certaine idée de l’histoire, évitant tout ce qui relève de l’architecture quotidienne : habitat, commerce, travail… Les édifices choisis sont de ceux qui, dans le tissu urbain, bénéficient d’une certaine visibilité par leur fonction symbolique ou plus simplement de par leurs dimensions physiques. Ces édifices sont ceux qui durent, ce qui leur confère un intérêt historique. 
 5

Procédé photographique du XIXe siècle

BAYARD, LE SECQ, BALDUS, LE GRAY et MESTRAL, les deux derniers travaillant en duo, se partagent le territoire 6

Anne DE MONDENARD, La mission héliographique. Cinq photographes parcourent la France en 1851, Editions du Patrimoine, 2002 7

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Ces édifices, qualifiés de monuments historiques8 sont ainsi le moyen de concrétiser, par le recensement, une idée de continuité temporelle du pouvoir. Et, la photographie est l’outil adéquat pour transmettre cette nouvelle idée.

La notion de monument précède de beaucoup l’invention de la photographie, mais la photographie arrive à un moment où l’on prend conscience d’une possible disparition du monument dans un monde où le rythme de transformation de l’environnement subit une forte accélération. Il devient urgent de sauvegarder le monument, et cette sauvegarde passe par la sauvegarde de son apparence, la fixation de son image par la photographie.

À cette époque, on pense donc que la photographie à le pouvoir de donner à voir une vérité nue parce que débarrassée de la médiation de la main humaine. Ainsi on accorde aux images rapportées par les photographes-voyageurs la capacité à dire la vérité sur l’état du monde.

Construction préservée par l'administration, car elle présente un réel intérêt dans le domaine de l'art, de l'architecture ou de l’histoire, définition du CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/ monument%20historique 8

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La photographie a donc permis une mise en images du réel, mais le monde, par cet acte de représentation est doublement réduit : il est réduit au visible et, à l’intérieur même de cet ensemble du visible, le monde réduit à ce que les photographes ont choisi de donner à voir.

Cet inventaire sélectif du visible, perçu comme fidèle au réel et capable de décrire pleinement des réalités lointaines, n’est en fait qu’une reconstruction du monde, et produit une « mise en ordre des visibilités » 9 définissant de ce qu’il faut voir et de comment il faut le voir.

André ROUILLÉ, La photographie entre document et art contemporain, Ed Gallimard, collection Folio essais, 2005 9

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Fig. 02

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Fig. 03


1.3- VECTEUR DE COMMUNICATION La reproductibilité de la photographie conduit a une mise en circulation des images, ce qui provoque un bouleversement : l’image peut désormais remplacer l’expérience directe. On ne va plus vers l’objet puisque les images viennent à nous.10

La photographie est peu à peu l’image de communication la plus utilisée. Concernant les livres d’architecture, ils se transforment en livres de photographie sur l’architecture :

« La photographie réalise la lunette de Galilée, qui ne sert pas à voir loin, mais à rapprocher la paysage, le plaçant directement, par l’intermédiaire de l’œil, dans mon cerveau, gravant ma mémoire. Aujourd’hui la culture visuelle se fait par les yeux plus que par le déplacement du corps dans l’espacetemps. »11

Jean Paul JUNGMANN, L’image en architecture, de la représentation et de son empreinte utopique, Les éditions de la Villette, 1996, page 78 10

Jeanne-Marie SENS et Hubert TONKA, Comment se conçoivent et s’écrivent certains de nos livres, revue Azimuts n°5, Saint Etienne, 1995 11

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Se construit ainsi un corpus de références imagées qui influe sur la manière de percevoir le monde. Les représentations substituent au regard : on ne regarde plus seulement les choses pour ce qu’elles sont mais pour ce à quoi elles se rattachent, et ce à quoi elles font référence dans l’ensembles des images déjà connues.

Ainsi, au XXè siècle, la diffusion des théories du mouvement moderne s’est appuyée sur cette capacité des images à circuler. Par exemple, l’entrepreneur Hennebique, pour la promotion du matériau béton, a été un des premiers à utiliser l’image photographique. D’abord comme promotion, puis peu à peu comme preuve pour du réel (Fig.04).

La reproductibilité et la mise en circulation de l’image a participé à l’essor de cette entreprise pionnière dans l’utilisation de la photographie.

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Fig. 04


Avec le développement considérable des publications faisant découvrir l'architecture par l’image, la culture architecturale se construit essentiellement sur la base de photographies.

Mais il s’agit d’une culture visuelle, sans expérience spatiale. Sans être forcément allé voir l’édifice, on dira volontiers que l’on a vu cet édifice, en parlant de son image seulement. Comme si la distance produite par l'image était annulée. Avec cette attitude, on oublie souvent que la représentation photographique n’est qu’une réduction à l’apparence, accordant ainsi une importance majeure à cette dernière.

La photographie a donc produit et continue de produire des images destinées à « nous servir le monde dans un fauteuil »12. Ainsi, le rapport direct au monde disparait au profit de sa médiatisation par l’image et par la photographie.

12

Gabriel BAURET, Approches de la photographie, Ed Nathan 1992 !35


« La photo d’architecture n’est qu’un constat, un constat bête. » (Georges FESSY, Georges Fessy - photographe d’architectures, 2008)


2. AU PLUS PROCHE DE LA RÉALITÉ

« la vérité photographique »


2.1- UN MOYEN DE COMMUNIQUER L’ARCHITECTURE : LA PHOTO COMME TRACE, EMPREINTE L’exactitude… La photographie apparait dans un contexte de recherche d’exactitude dans la représentation du monde : la vérité serait dans les mathématiques et la géométrique. Cela signifie que la représentation serait non pas proche de la vision ou même conforme au réel mais conforme à une convention de représentation : la perspective.

La perspective n’est pas l’illusion du réel mais « l’exactitude d’une réalité physique, géométrique »13. Et c’est cette exactitude qui certifie la conformité du document photographique par rapport au modèle.

Ainsi, l’outil photographique fait parti d’un nouveau monde, celui de la précision et de l’exactitude, très marqué par l’idée d’une vérité apportée par la science.

Guilio CARGO ARGAN et Rudolf WITTKOWER, Architecture et perspective chez Brunelleschi et Alberti, Ed Verdier, Art & Architecture 13

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Pour exemple, la collaboration entre Lucien Hervé et le Corbusier illustre bien la volonté du photographe de retranscrire en images le véritable esprit de l’architecte. En effet les propos de Lucien Hervé dans Aujourd’hui Art et Architecture14 sont très clairs :

« Au même titre qu’un chef d’orchestre ou qu’un pianiste, le photographe sélectionne la sonorité des instruments et des tons (…) respectant scrupuleusement l’intention du compositeur, en l’occurrence l’architecte »

Lucien HERVÉ, À propos de la photographie d’architecture, dans Aujourd’hui Art et Architecture n° 9, septembre 1956, p. 30 14

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Fig. 05

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La trace, l’empreinte… Une photographie est bien sûr une trace. Une trace de ce qui a été face à la surface photosensible de l’appareil lors de la prise de vue, une trace de l'action de la lumière, mais c’est aussi une trace dans l’histoire laissée par l’Homme.15

Dans cette recherche d’exactitude, la notion d’empreinte s’attache plus à l’aspect physique qu’à l’aspect optique. L’empreinte certifie la réalité de l’objet représenté, et en effet la photographie laisse l’empreinte de l’existant.

Ainsi, longtemps a été soutenu l’idée selon laquelle la photographie ne pouvait pas nous tromper, et ne pouvait être que fidèle à la réalité car sa condition première est dans ça co-présence aux faits dont elle enregistre l’apparence.

Mais, si la photographie est en effet dépendante du réel, elle ne peut être pensée sans prendre en compte certaines données : il s’agit d’une représentation dépendante de l’esprit du photographe, dans un contexte particulier à chacun. La photographie ressemble à la réalité, certes, mais n’est qu’une réalité construite selon un point de vue intellectuel et personnel plutôt que spatial…
 La photographie et le réel : exactitude, objectivité, document. d’après un séminaire de recherches, EHESS (Paris) / CRAL, nov. 2013 - fév. 2014 15

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2.2- DE LA RÉALITÉ À UNE CONSTRUCTION FICTIVE : POUR DONNER UNE IMAGE LA PLUS JUSTE POSSIBLE À la recherche d’une objectivité... Si la peinture s’est peu à peu éloignée d’une pratique figurative marquée par des préoccupations d’ordre réaliste, c’est parce que la photographie s’est proposée de la remplacer dans cette tâche. Elle s’est offerte comme un mode de représentation scientifiquement irréprochable (relativement à un mode de représentation manuel).

Cela mène, peu à peu, à cette idée que la photographie a une valeur de témoignage qui ne se discute pas : ce type de document atteste la vérité des faits.16

La première fonction de la photo d’architecture, outre celle de fixer un simple souvenir, réside donc dans une documentation. C’est une sorte d’état des lieux qui doit être aussi rigoureux, précis et scrupuleux que possible.

Il s’agit de documenter le spectateur de façon objective.

16

Gabriel BAURET, Approches de la photographie, Ed Nathan 1992

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Le style documentaire… Le style documentaire17, en photographie, qualifie des images qui privilégient une représentation fidèle, supprimant toute expression de la subjectivité. Ce style s’adresse à un spectateur de l’avenir. Il s’agit, dans un monde qui s’accélère, d’enregistrer des traces non pas pour conserver le présent mais pour saisir « ce à quoi n'importe quel moment présent ressemblera en tant que passé »18.

L’objectivité de la photographie, dite documentaire, se fait par la mise à distance. Il y a une volonté de retrait de l’auteur, d’impersonnalité et de clarté, le sujet lui-même est appelé à faire image. Dans le style documentaire, on retrouve le refus de marques expressives, de narration, en effet le cadrage est frontal, la composition centrée, et, s’il y a un sujet, il pose sans expression particulière.

17

Terme emprunté à Olivier LUGON

Olivier LUGON, Le Style documentaire. D'August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Paris, Ed Macula 18

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Le cas Becher… Durant les années 1950, un couple de photographes allemands : Bernd et Hilla Becher, a effectué un relevé photographique de l’architecture industrielle en Allemagne, le tout regroupé en séries fonctionnelles.19

Ils ont tenté de poser les bases d’une objectivité presque scientifique en mettant en place un protocole très strict dans le but de neutraliser à la fois les spécificités du contexte et leurs propres tentations d’interprétation en tant que photographes.

Dans leur travail photographique, on retrouve différents éléments : la chambre grand format pour aller au delà des possibilités de l’œil, l’usage du noir et blanc pour forcer le caractère abstrait des images, une lumière diffuse : les photos étaient volontairement prises tôt le matin, par temps gris, de manière à ôter le caractère expressif des ombres. La distance de prise de vue, pour donner une lecture globale de l’objet photographié, une frontalité et globalité du cadre : on recherche la totalité et non le fragment. Le cadrage frontal et les parallèles redressées, qui se rapprochent énormément des élévations d’architecture. 
 Thierry DE DUVE, Bernd et Hilla Becher ou la photographie monumentaire, Les cahiers du musée national d’art moderne, 1992 19

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Berndt et Hilla Becher mettent l'accent sur une idée que l'on retrouve dans le style documentaire : l'effacement du spectateur premier (le photographe) en tant que corps présent dans la scène réelle.

Les Becher se placent dans une recherche d'effacement de l'auteur, refusant tout effet de composition ou d’interprétation.

De plus, leurs photographies sont organisées en séries typologiques, c’est à dire classées suivant des critères fonctionnels, géographiques, historiques et esthétiques. La présentation de leurs photographies sous forme de séries renforce l’aspect de collection, tel un catalogue scientifique de leur travail.

Ainsi, nous ne sommes plus devant une illusion de spatialité dans laquelle nous aurions la possibilité de nous projeter mais devant une image qui a valeur de concept.

On passe ainsi de la représentation du réel à la représentation d’une l'idée.

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Fig. 06

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Fig. 07


2.3- QUAND LA PHOTO FIGE L’ARCHITECTURE: LES LIMITES DU DOCUMENT

Document : du latin « Documentum » = « qui sert à instruire »20

Le document photographique, par sa ressemblance avec le réel, propose de restituer l’image de la réalité sans transformation, il instruit donc l’observateur des faits présents au moment de la prise de vue.

Cependant, dans toutes les représentations, la question se pose : comment un outil offrant une transcription précise de volumes en trois dimensions sur des surfaces imprimées ne transforme-t’il pas la réalité ?

En effet, on peut essayer de rendre un effet de réel dans les représentations d’architecture, mais elles n’en sont pas moins réduites par les milites fixées de leurs représentations.

20

Étymologie du CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/document

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Des limites… La photographie, notamment au travers de la mission héliographique de 1851, a aidé à fabriquer l’idée nouvelle de « patrimoine architectural »21.

La photographie peut alors inventer, produire, et reproduire l’architecture. Elle en diffuse la connaissance, en construit la célébrité par la visibilité, et transforme son image en icône : « La photographie transformait le sujet en objet, et même en objet de musée. »22

La photographie d’architecture fabriquerai t-elle donc de monuments-icônes ?

La photographie d'architecture transmet l’idée selon laquelle le monde pourrait se réduire à sa partie visible, et, à la visibilité donnée par les images.

Ainsi, face à une photographie documentaire, on pourrait s’interroger sur le non-visible, ce qui a été mis à l’écart par les choix du photographe, le horschamp. En effet, derrière son apparence fidèle, il ne s’agit de rien d’autre qu’une partie limitée de la réalité. Que nous apprend une photographie de ce qui se cache dans son hors cadre ? Rien, ou peu de choses. 
 Anne DE MONDENARD, La mission héliographique. Cinq photographes parcourent la France en 1851, Editions du Patrimoine, 2002 21

Roland BARTHÈS, La Chambre Claire: notes sur la photographie, Les cahiers du cinéma, Ed Gallimard, 1980 22

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Face à une photographie documentaire, donc porteuse de la description la plus travaillée, la plus exacte possible, on peut mesurer notre ignorance : plus on voit de choses, plus on constate que, finalement, on n'en sait que très peu.

« Moins il en sait sur le sujet, plus l'observateur est contraint de compter sur sa connaissance et son expérience visuelle. (…) L'invisible est une composante fixe de l'architecture. »23

La photographie témoigne ainsi que voir n'est pas savoir. Le récepteur doit faire appel à son expérience, sa culture, pour combler le vide creusé par une description exacte. L'exactitude ne suffit pas à donner au document une valeur d’information : une intervention extérieure est nécéssaire pour organiser ces informations, les structurer. De plus, c’est la légende ou le commentaire qui vient soutenir l'image, lui donner du sens.

La photographie documentaire, qui se propose de décrire avec exactitude le réel, pose ainsi la question de l'autonomie de l'image. Comment une image photographique peut-elle porter en elle-même, et ce sans ajout ou commentaire extérieur, cette valeur de formation dans l'expérience du monde ? 
 23

Jörg SASSE, Photographe, Ancien élève de Berndt et Hilla Becher

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Fig. 08


« Innovative architecture proposes solutions that incorporate artistic strategies; conversely, the subject matter of art may often be articulate in relation to architectural givens. » ( Jacques HERZOG, Pictures of Architecture : Architecture of Pictures : a conversation between Jacques Herzog and Jeff Wall, 2004)


3. AU PLUS PROCHE D’UNE IDÉE,

LA QUESTION DE L’ESTHÉTIQUE… « Du visible au visuel »


3.1- QUEL REGARD POSE T-ON SUR L’ARCHITECTURE DÈS L’INSTANT OÙ ELLE EST MISE EN IMAGE ? Du visible au visuel... Comme évoqué précédemment, l’architecture se présente dans les images uniquement dans sa dimension visible, elle donne ainsi une transposition littérale de l'apparence, sans aucune possibilité laissée au spectateur de pouvoir envisager l'objet selon un autre point de vue. C’est donc l’apparence qui est donnée à faire image. Dans cette logique, plus l'objet est singulier, plus son image est susceptible d'être frappante.

Cette recherche d'impact visuel semble affecter la conception architecturale elle-même : du visible comme véhicule de communication de l'architecture on passe au visuel comme enjeu même de l’architecture.

L'architecture profite de la diffusion de son image par la photographie, et en retour, la photographie apprend à l'architecture à se faire image, à trouver une expression formelle qui puisse être relayée au mieux par l’image.

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L’expérience de l’image… Lorsque le photographe comprend que son appareil peut lui permettre de manipuler la réalité, d’en réinterpréter l’image, la photographie devient un moyen d’exprimer la beauté, par le choix de l’objet, du cadrage, du point de vue, de la lumière, la perception du moment idéal, etc.

La photo ne se résume plus à « objectiver » le réel mais tend à transfigurer le monument. Le photographe exprime dans ce cas les virtualités d’une œuvre, il en idéalise le contenu esthétique ou symbolique, il en sublime le sens.24

Ainsi, on évolue d’une photographie documentaire vers une expérience de l’image, conçue comme une composition formelle capable de transcender la scène elle-même.

Certains photographes vont s’approprier les projets d’architecture pour en dégager une vision très personnelle et en transformer la perception que l’on peut en avoir.

Henri STIERLIN, La vision photographique en architecture, un itinéraire dans l’image, Ed Folio, 2005 24

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L’artiste japonais Hiroshi Sugimoto, dans sa série « architecture » 25, nous montre à quel point nous sommes prisonniers de cette culture visuelle et comment les apparences constituent un piège.

Dans sa série de photographies représentant des édifices phares de l'architecture moderne, Sugimoto reconduit des points de vue maintes fois utilisés, connus, en faisant la mise au point de manière à brouiller la vision du bâtiment, il noie dans le flou toute possibilité de nous appuyer sur la description photographique. Il en devient même difficile de mettre des mots sur ce que nous voyons, et seule notre connaissance de l'iconographie de l’architecture nous permet d'identifier ces édifices.

Les photos poussent l’observateur à percevoir l’objet architectural différemment, laissant seulement l’essence du bâtiment visible. L’absence de clarté des photographies génère une nouvelle perception de l’architecture, une perception plus atmosphérique.

25

DE MICHELIS et Francesco BONAMI, Sugimoto: Architecture, Marco, Ed Chicago, 2003

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Il y a alors une prise conscience de la distance entre l'image et son référent : nous ne sommes plus face à l'image d'un édifice, mais nous sommes devant l'image d'un icône.

Ces photographies font apparaître les limites de la connaissance, mais aussi les limites de la photographie qui n'est jamais que l'image d'une image...

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Fig. 09


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Fig. 10


3.2 - QUAND LA PHOTOGRAPHIE S’AFFIRME COMME RÉALITÉ EN SOI La photographie comme œuvre d’art… Quand la photographie d’architecture n’est plus un moyen de documentation, elle devient un moyen d’expression artistique, liant l’architecture et la créativité des photographes.

Andreas Gursky est un photographe qui, comme Sugimoto, utilise le médium documentaire de la photographie pour créer des images architecturales presque irréelles. Il cherche à montrer, à travers ses photographies, l’architecture d’une manière encore jamais vue. 26

Son interprétation de l’architecture ne correspond pas aux normes instaurées par les médias de diffusion. Les photographies de Gursky sont construites indépendamment du sujet architectural, c’est-à-dire qu’elles sont le produit d’une interprétation de l’artiste et de ses décisions techniques et subjectives.

26

Beil, Ralf et Sonja FESSEL, Andreas Gursky : Architecture. Ostfildern : Hatje Cantz, 2008

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De cette manière, un bâtiment sur photographie n’est pas seulement un objet capturé dans le temps, mais l’image comporte également la vision artistique du photographe qui influence celle de l’observateur.

« Le photographe agit toujours avec le désir de « créer » une image, qui, auparavant, n’existait pas. »27

Ainsi, la manipulation de l’image en photographie lui permet de créer des œuvres artistiques en utilisant l’architecture comme sujet principal.

Serge TISSERON, Le mystère de la chambre claire : photographie et inconscient, Paris, Ed Flammarion, 2008 27

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Fig. 11


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Fig. 12


Bruno Cals, photographe brésilien, explore également les possibilités visuelles de l’architecture, en particulier les surfaces. Il présente ainsi les façades des bâtiments comme des « Horizons » (titre de sa série de photographies d’architecture). L’observateur est alors confronté à une nouvelle réalité produite par la photographie, il est en mesure de cerner certaines qualités architecturales différentes, celles mises en valeur par l’interprétation artistique du photographe.

Ainsi, un fragment d’architecture, cadré et zoomé pour en dégager les subtilités, se transforme en une architecture totalement différente pour l’observateur. Le point de vue unique de la photographie dans ce cas permet de porter une attention particulière à certains détails architecturaux.

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Fig. 13


David Hockey: de la toile à la photographie… David Hockney, peintre et photographe anglais, mêle dans ses réalisations peinture et photographie. Pour lui, la relation entre ces deux domaines artistiques est une évidence. Il émet même l’hypothèse que les maîtres anciens tels que Dürer, Van Eyck, Raphaël ou Velázquez pratiquaient eux aussi la photographie ou du moins un art précurseur de la photographie.28

David Hockney travaille à partir de photographie d’objets, de figures, de lieux… À partir de centaines de prises de vue décalées les unes par rapport aux autres, il peint et réalise de nombreux de photocollages. Pour lui peinture et photographie entretiennent un rapport intime : lorsqu’il pose sur la toile une très mince couche de peinture apposée en aplats il se rend compte d’une représentation proche de la photographie. De même, sur ses photocollages, c’est le dessin qui fait les raccords nécessaires entre ses photographies.

Ses œuvres s’orientent vers le Pop art et David Hockney utilise photographies et dessins pour recomposer des paysages. Les lignes modernistes des bâtiments en Californie l’ont toujours inspiré et c’est ce que l’on retrouve dans sa série « Swimming Pool », représentations de l’univers Californien.
 L'histoire de la peinture selon David Hockney. Les maîtres anciens faisaient de la photographie, dans Courrier international publié le 01/10/2003 28

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À travers son travail de photocollages et de peinture, David Hockney aborde les questions d'espace, de volume et de lumière avec une liberté totale, soutenue par une incroyable maîtrise technique. Maîtrise technique qui évoluera même avec l’arrivée des nouvelles technologies :

« Je m'intéresse à l'image, et la photo en fait partie. C'est même elle qui domine désormais, et c'est à travers elle que la plupart des gens découvrent le monde. Mais, contrairement à la peinture, elle est inséparable de la technologie. De chimique, elle est devenue numérique. En 1989, on m'avait invité au lancement de Photoshop, en Californie. Et je me souviens d'être sorti de là en me disant : « Ça y est, nous sommes entrés dans une ère nouvelle. » Il n'y aura plus de Cartier - Bresson. Car qui peut aujourd'hui faire confiance à la photo ? On pourrait me montrer en train de serrer la main de M. Sarkozy, alors que je ne l'ai jamais rencontré. »29

David HOCKNEY, lors d’un entretient avec Yasmine Youssi, journaliste pour Télérama, le 02/06/2012 29

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Fig. 14


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Fig. 15


3.3 - LA QUESTION DE LA RETOUCHE PHOTOGRAPHIQUE « À partir du moment où vous trichez par égard pour la beauté, vous savez que vous êtes un artiste. »30

La photographie exprime bien souvent l’essentiel de ce que l’architecture représente. Les architectes se servent de la photographie pour retranscrire en images leurs œuvres et les diffuser dans la mémoire collective. Pour cela, les architectes font régulièrement appel aux photographes d’architecture, qui sont capables d’exprimer leurs œuvres en images.

Il existe un grand nombre de collaborations entre architectes et photographes : Herzog & De Meuron avec Thomas Ruff, Florian Holzherr avec Peter Zumthor… Ce n’est pas étrange car la photographie d’architecture est importante non seulement pour sa communication mais aussi pour son pouvoir de décision. En effet, elle décide en partie d’une réussite ou non du projet sur la scène architecturale.

Il est normal que les architectes cherchent, avec le photographe, à rendre la meilleure image de leurs bâtiments. Ainsi, la tentation est grande pour les architectes d’en contrôler les représentations et d’en améliorer l’image… 
 David HOCKNEY, lors d’un entretient avec Yasmine Youssi, journaliste pour Télérama, le 02/06/2012 30

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De nombreuses manières existent pour photographier l’architecture. Les photographes et/ou architectes ne sont pas unanimes sur la façon de réaliser ces photographies.

Faut-il représenter l’architecture avec ses usages classiques et normaux ?

Une évidence quand on y pense car l’une des caractéristiques majeures de l’architecture est bel et bien de répondre à des usages.

Pourtant nombreux sont les photographes et/ou architectes qui préfèrent attendre le moment judicieux, celui où tout élément perturbateur ne vient déranger la capture de leurs clichés. Nombreux sont ceux qui, par le bien de la retouche photographique, excluent tout présence d’élément non désiré de leurs photographies.

Faut-il rendre les choses plus vraies que la réalité ?

Entre perversité et fidélité, il est parfois difficile de savoir de quel côté la photographie se trouve.

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La « belle » photographie… Mies van der Rohe est l’une des figures importantes du mouvement moderne dont le travail fut grandement influencé par la reproduction picturale des projets. Le cas le plus marquant est le Pavillon allemand de l’exposition universelle de Barcelone en 1929.31

Avant l’ouverture de l’exposition, Mies orchestra une séance de photos, immortalisant de la manière la plus précise et avantageuse le bâtiment. Seize photos, d’une clarté incomparable et réalisées avec un éclairage contrôlé et retouché, sont devenues pendant plusieurs décennies une source d’inspiration en architecture et en arts. Ces photos prises par l’agence Berliner Bild-Bericht montrent le pavillon sous son meilleur jour. La plupart des tirages ont été approuvés et même retouchés par Mies de manière à rendre encore mieux visuellement le projet, laissant le spectateur devant une architecture de rêverie. Mies, conscient du pouvoir des images produites, décida de conserver les photos plutôt que le bâtiment lui-même.

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George DODDS, Building Desire : on the Barcelona Pavilion, New York : Routledge, 2004

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Campo Baeza, quant à lui considère la retouche photographique comme indispensable. Par retouche photographique, on entend l’action de corriger et perfectionner une photographie, jusqu’à éliminer certains éléments constructifs qui apparaîtraient comme néfastes à la représentation de l’édifice, imaginé par l’architecte. Pour son projet « The house of the infinite » Campo Baeza reconnait s’être mis d’accord avec le photographe pour retoucher les photographies et supprimer les garde-corps, pour rendre la représentation « plus belle ».

Ainsi, d’une simple manipulation de lumière, de couleur, on arrive à la possibilité de faire disparaitre certains détails, ce qui conduit à diverses interrogations :

La retouche photographique n’est-elle pas une sorte de mensonge pour l’observateur ? Faut-il donner une image plus belle que la réalité par le biais de la photographie ? La maîtrise approfondie des outils de retouche ne permettrait-elle pas de créer des objets parfaits, mais inexistants ?

Ces deux exemples montrent en quoi la photographie est indispensable à l’architecture mais surtout comment elle peut, une fois retouchée, manipuler notre vision du projet.

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Fig. 16


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Fig. 17


La photographie des usages… A l’opposé, certains photographes et/ou architectes pensent que présenter, photographier des éléments dans leur usage quotidien, permet de mettre les photographies dans une histoire humaine et montrer qu’il ne s’agit pas d’œuvres d’art figées.

C’est le cas de l’agence française Lacaton & Vassal qui utilise la photographies d’architecture pour faire une sorte d’état des lieux. Sur les photographies d’intérieurs de logements, aucun élément n’est rangé, enlevé, retiré pour la prise de vue. Au contraire, les photographies sont volontairement investies, aménagées et habitées. Le photographe appréhende son travail comme le « prolongement de l'œuvre de l’architecte »32 .

Philippe RUAULT, photographe pour Lacaton & Vassal, lors d’un entretien avec Karine Guilbert, journaliste pour AMC le 24/11/2016

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Ce choix esthétique dans la photographie d'architecture se caractérise par une volonté de réintroduire l'humain dans les images d'architecture, jusqu'à photographier les édifices occupés, avec tout ce que l'usage apporte de ce qui est habituellement perçu comme source de désordre, comme pollution visuelle.

Ces nouvelles images témoignent d’un profond changement de position. Certains architectes admettent ainsi l'idée que leurs édifices puissent leur échapper, et que tout ce qui a été scrupuleusement défini, puisse un jour être totalement renversé par l’usage.

Ainsi, d'une architecture hors du monde, on passe à une volonté de replacer l'édifice dans le monde, au risque de se laisser submerger par le réel.

Entre ces deux points se situe un vaste territoire d'expression pour une photographie d'architecture qui balance entre une nécessité de plaire, et une volonté de faire surgir le réel.

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Fig. 18


Fig. 19


« Chacun a pu faire l’observation selon laquelle une représentation, en particulier une sculpture, ou mieux encore, un édifice, se laissent mieux appréhender en photo qu’en réalité. » (Walter BENJAMIN, Petite histoire de la photographie, 2002)


CONCLUSION


La photographie occupe donc une place importante en architecture.

Elle a engendré un grand changement dans la manière dont nous visualisons l’environnement, l’architecture, et par conséquent, la manière de représentation. Elle a apporté à l’architecture, et au monde des arts visuels en général, de la nouveauté en manière de diffusion et de production d’images.

La photographie d’architecture nait avec la révolution industrielle et le développement des nouveaux moyens de communication. Elle bouleverse notre perception du temps et de l’espace. Désormais l’architecture peut voyager à travers le temps et les époques en tant que représentation fidèle. Ainsi, les images permettant la diffusion et la communication de l’architecture sont omniprésentes dans notre quotidien.

Sans aucun doute, la photographie est l’outil mécanique le plus performant pouvant s’approcher du réel. La figuration qu’elle fournit passe pour une évidence, une vérité objective qui restitue l’image de la réalité. Elle montre parfois même d’avantage que ce que notre œil peut percevoir.

Mais, en dehors de ces qualités premières, la photographie a des limites. Elle peut nous tromper, ne pas être aussi fidèle à la réalité que ce que l’on pourrait penser. En effet, la photographie, par sa collection d’images visuelles, peut seulement nous aider à reconnaître l’architecture, mais pas à la connaître.
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De plus, l’expression de la représentation photographique en architecture peut s’effectuer de façons très différentes. Et l’intervention de ces différentes approches de manière juxtaposée, simultanée ou alternée apporte une certaine richesse mais également une complexité au projet. Ces représentations, au delà de la communication du projet, peuvent même avoir le statut d’œuvre d’art.

Que ce soit dans un souci de communication, de fidélité ou de séduction, la représentation photographique entretient toujours un rapport étroit avec la réalité. Ce mode de représentation, peu importe l’image finale, est un moyen fort de transmettre un projet architectural.

Et, parfois, la tentation de manipuler l’observateur pour mieux le convaincre est forte. Par conséquent un nouveau malaise nait, exprimé par la retouche photographique des projets architecturaux…

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Pour clore ce travail de recherche et d’analyse, je terminerai avec une photographie réalisée par Simon Porte JACQUEMUS33 dans la villa Cliffbird (Fig.20). Située dans le 7ème arrondissement de Marseille, cette villa a été rénovée par l’architecte français Rudy Ricciotti.

La photographie ne montre rien de l’édifice, elle ne laisse que suggérer sa présence par la découpe organique de l’arrière plan, découpe qui vient s’insérer comme un cadre dans le cadre. Sur cette photographie, l’architecture est donc réduite à sa plus simple expression, elle n’est plus l’objet placé au centre de l’image et qui focalise l’attention mais (re)devient la matière enveloppante qui nous met en situation particulière vis à vis du monde.

Ainsi cette image place l’architecture au même titre que la photographie : il s’agit non pas d’un outil de description mais d’un outil de perception et de vision du monde.

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Artiste et styliste français, fondateur de l'entreprise et de la marque Jacquemus

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Fig. 20



TABLE DES ILLUSTRATIONS



Fig.01 : Le point du vue du gras, Nicéphore Niepce, 1826 © Musée Nicéphore Niepce, p. 17

Fig.02 : Chenonceaux, château : vue d’ensemble, Gustave Le Gray et/ou Mestral, été 1851 © Paris, Bibliothèque nationale de France, p.30

Fig.03 : Le Puy, cathédrale Notre-Dame : le cloître en restauration, Gustave Le Gray et/ou Mestral, été 1851 © Paris, Bibliothèque nationale de France,

p. 31

Fig.04 : Vue du chantier appliquant le procédé Hennebique, Villa du docteur Arragon, Bizerte, 1902-1903 © doc IFA, p. 35 Fig.05 : Chapelle Notre Dame du Haut à Ronchamp, Lucien Hervé, 1950-1955 © Lucien Hervé, p. 40 Fig.06 : Water Towers, Bernd and Hilla Becher, série prise entre 1970 et 2009 © Courtesy of Sonnabend Gallery, NY, p. 46

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Fig.07 : Industrial Facades, Bernd and Hilla Becher, série prise entre 1970 et 2009 © Courtesy of Sonnabend Gallery, NY, p. 47 Fig.08 : L'escalier vers la mer, Daniela Carvalho, 2014 © Daniela Carvalho p. 51 Fig.09 : Seagram Building, Hiroshi Sugimoto, 1997 © Hiroshi Sugimoto Courtesy of Gallery Koyanagi Tokyo, p.58 Fig.10 : Church of the Light, Hiroshi Sugimoto, 1997 © Hiroshi Sugimoto Courtesy of Gallery Koyanagi Tokyo, p.59 Fig.11 : Paris, Montparnasse, Andreas Gursky, 1993 © 2001 Andreas Gursky, p.62 Fig.12 : Paris, Montparnasse (détail), Andreas Gursky, 1993 © 2001 Andreas Gursky, p.63 Fig.13 : Hermès , Bruno Cals, 2009 © Bruno Cals, p.65 Fig.14 : Pearblossom Highway, David Hockney 1986 © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, California, p. 68
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Fig.15 : A Bigger Splash, David Hockney 1967 © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, California, p. 69 Fig.16 : The House of the Infinite, Alberto Campo Baeza, 2014 © Javier Callejas Sevilla, p. 74 Fig.17 : The House of the Infinite, Alberto Campo Baeza, 2014 © Instagram,

p. 75 Fig.18 : Cité Manifeste, Mulhouse, Lacaton & Vassal, 2005, © Philippe Ruault, p. 78 Fig.19 : 96 logements, Chalon-sur-Saône, Lacaton & Vassal, 2015, © Philippe Ruault, p. 79 Fig.20 : Villa Cliffbird, Marseille, Simon Porte Jacquemus, 2017, © Instagram, p. 85

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BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE



Ouvrages… Walter BENJAMIN, Petite histoire de la photographie, Editions Allia, 2012, 48 pages.

Henri STIERLIN, La vision photographique en architecture, un itinéraire dans l’image, Editions Folio, 2005, 127 pages.

Tadao ANDO, Couleurs de lumière, Editions Phaidon, Paris, 2002, 283 pages.

Anne DE MONDENARD, La mission héliographique: Cinq photographes parcourent la France en 1851, Editions du Patrimoine, 2002, 319 pages.

André ROUILLÉ, La photographie: entre document et art contemporain, Editions Gallimard, collection Folio essais, 2005, 706 pages.

Jean Paul JUNGMANN, L’image en architecture, de la représentation et de son empreinte utopique, Les éditions de la Villette, 1996, 190 pages.

Gabriel BAURET, Approches de la photographie, Editions Nathan, 1992, 128 pages.

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Georges FESSY et Gérard MONNIER, Georges Fessy: photographie d’architecture, Editions Le Temps qu’il fait, 2008, 52 pages.

Guilio CARGO ARGAN et Rudolf WITTKOWER, Architecture et perspective chez Brunelleschi et Alberti, Editions Verdier, Art & Architecture, 2004, 123 pages.

Olivier LUGON, Le Style documentaire. D'August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Paris, Editions Macula, 2001, 440 pages.

Roland BARTHÈS, La Chambre Claire: notes sur la photographie, Les cahiers du cinéma, Editions Gallimard, 1980, 200 pages.

Jacques HERZOG, Pictures of Architecture : Architecture of Pictures : a conversation between Jacques Herzog and Jeff Wall, Editions Springer Verlag GmbH, 2004, 78 pages.

DE MICHELIS et Francesco BONAMI, Sugimoto: Architecture, Editions Chicago, 2003, 168 pages.

Beil, Ralf et Sonja FESSEL, Andreas Gursky : Architecture, Editions Hatje Cantz, 2008, 112 pages.
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Serge TISSERON, Le mystère de la chambre claire : photographie et inconscient, Paris, Editions Flammarion, 2008, 187 pages.

George DODDS, Building Desire : on the Barcelona Pavilion, Abingdon UK; New York, Editions Routledge, 2004, 200 pages.

Articles de revue… Jeanne-Marie SENS et Hubert TONKA, Comment se conçoivent et s’écrivent certains de nos livres, revue Azimuts n°5, Saint Etienne, 1995

Andrew MARR, L’histoire de la peinture selon David Hockney. Les maîtres anciens faisaient de la photographie, dans Courrier international publié le 01/10/2003

Lucien HERVÉ, À propos de la photographie d’architecture, dans Aujourd’hui Art et Architecture, 9, septembre 1956,

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Films, conférences… Thomas HARNETT O’MEARALL, Hockney at Tate Britian, Février 2017, 40 secondes.

https://vimeo.com/202188782

Campo BAEZA, Chercher inlassablement la beauté, Conférence du 25 février 2016 à l’ENSA Marseille, 61 minutes.

http://www.marseille.archi.fr/actus/alberto-campo-baeza/

Sites et articles internet… https://etudesphotographiques.revues.org/764

https://etudesphotographiques.revues.org/282

https://communication.revues.org/3607

http://expositions.bnf.fr/legray/arret_sur/1/index1d.htm

http://www.darchitectures.com/georges-fessy-a161.html

https://www.amc-archi.com/photographie-d-architecture/

http://www.telerama.fr/scenes/de-la-toile-a-l-ipad-david-hockney-peintre-enliberte,82245.php

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École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille Rapport de fin d’études - Licence - 2017 Sous la direction de Mr Didier DALBERA

BOG HOSSI A N A dèle


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