Extrait "Une singularité" de Damien Hauser

Page 1

Bastien Hauser

Le point de vue des éditeurs

Une singularité

Avril 2019. Pour la première fois, une équipe scientifique photographie un trou noir. Le même jour, Abel Fleck est victime d’un AVC. Et en réchappe. Deux miracles dont le jeune homme sent qu’ils sont intrinsèquement liés. Traversé de répliques du séisme cérébral qu’il a subi, Abel tait ses symptômes et cède à l’appel du grand mystère. Aux prises avec des notions littéralement impen­ sa­bles, il plonge dans une quête de savoir astrono­ mique obsessionnelle et désordonnée ; un voyage qui, progressivement, l’éloigne de sa galaxie ami­ cale et de sa propre réalité. Dans la douceur des nuits sans fin, en direct d’une génération lucide qui tente malgré tout de faire de sa jeunesse une expérience d’apesanteur, Une singularité raconte cette chute libre comme l’envol d’un esprit sensible et inquiet. C’est drôle et cosmique, vif, festif et désespéré.

www.actes-sud.fr DÉP. LÉG. : MARS 2024 / 22 € TTC France ISBN 978-2-330-18951-8

une-singularité-CV.indd 2-3

9:HSMDNA=V]^ZV]:

Photographie de couverture : © Dolorès Marat

Né en Suisse en 1996, Bastien Hauser est diplômé du master Textes et création littéraire de l’École nationale supé­ ­rieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles et lauréat du Laboratoire d’écriture dramatique de la Société suisse des auteurs. Une singularité est son pre­mier roman.

22/01/2024 16:38


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 2

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 3

UNE SINGULARITÉ

“Domaine français”

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 4

© ACTES SUD, 2024 ISBN 978-2-330-18951-8

19/01/2024 15:00


BASTIEN HAUSER

Une singularité

ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 5

roman

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 6

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 7

À Ingrid.

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 8

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 9

L’évolution du monde peut être comparée à un feu d’artifice qui vient de se terminer. Quelques mèches rouges, cendres et fumées. Debout sur une escarbille mieux refroidie, nous voyons s’éteindre doucement les soleils et cherchons à reconstituer l’éclat disparu de la formation des mondes. Georges Lemaître, “L’expansion de l’espace” in La Revue des questions scientifiques Je ne sais pas le nommer ni le définir, mais cela possède une force irrésistible et obscurcit toutes mes pensées. C’est un vide sans forme ni dimensions, une ombre que je ne peux pas voir mais que je sens de toute mon âme. Karl Schwarzschild in Lumières aveugles de Benjamin Labatut Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire aux hasards. Le monde entier est un hasard. Roberto Bolaño, 2666

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 10

19/01/2024 15:00


26 juin 2019 23 h 18 Quand elle me demande sur quoi j’écris, je réponds sur les trous noirs, j’écris sur les trous noirs. Personne ne dit rien. Je regarde mes mains. Ça bourdonne dans ma tête, c’est la honte. Si personne ne réagit, c’est la honte. Et puis Marta dit wow et je lui en suis reconnaissant, Sam vide son verre, Joshua dit j’ai des collègues qui bossent là-­dessus, je pourrais te mettre en contact, Cleo me regarde depuis l’autre bout de la pièce sans rien dire, j’attends sa réaction, la voir sourire ou se moquer, mais rien ne vient et j’ai l’impression que, pour la première fois, elle me regarde vraiment, c’est grisant, pendant une fraction de seconde je me sens fascinant, je me sens feux d’artifice, coucher de Soleil, supernova et puis, comme toujours, ça passe. Plus tard, on a poussé la table dans un coin pour faire de la place, Marta et Samuel dansent comme s’ils étaient amoureux, moi j’ouvre le frigo, attrape une bière et reste devant pour la fraîcheur. Il fait tellement chaud, c’est indécent. J’aime la sensation de l’aluminium glacé contre ma peau. Cleo

ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 11

11

19/01/2024 15:00


pose sa main sur ma hanche, son visage par-­dessus mon épaule, elle est sur la pointe des pieds, il reste quelque chose à boire ? Je lui tends la canette que je tiens et en attrape une autre. Elle dit j’aime pas la bière, il ne reste que ça et elle fait la gueule. Quand j’ouvre la fenêtre, c’est l’air de toute la rue qui s’engouffre. La fumée qui emplissait la pièce flotte encore quelques instants avant de se dissiper, je me dis nous c’est pareil, on existe seulement quand l’espace entre nos corps ne suffit pas à les distinguer, quand on est serrés dans une cuisine ou autour d’une table dans un café, quand, ensemble, on forme une nuée. Je me penche par la fenêtre, la rue est calme, il y a que notre boucan qui déborde, c’est Britney Spears volume au max, tout le monde aime ça. Joshua est sur son téléphone, il écrit compulsivement, je veux lui demander si tout va bien, mais je ne le fais pas. Cleo s’approche de moi, elle regarde sa bière et mime le dégoût. Si t’aimes pas ça, ne la bois pas. Je ne vais pas boire de l’eau non plus. Elle me fixe dans les yeux, longtemps, avec un air de défi, j’essaie de ne pas me détourner, mais je cède. Je regarde mes mains, je joue avec mon briquet. Elle dit alors comme ça t’écris sur les trous noirs ? J’acquiesce, mais elle en attend davantage. Je dis pour l’instant je me renseigne, je rencontre des gens, je fais des recherches, c’est encore embryonnaire. Je prie pour qu’elle ne me demande pas pourquoi, pourquoi les trous noirs, mais le sujet est tellement populaire qu’il ne choque plus personne. Je remercie la vulgarisation scientifique et la pop culture pendant qu’elle me parle d’un pote à elle, qui écrit de la science-­fiction, un type complètement barge qui

ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 12

12

19/01/2024 15:00


invente des planètes, des peuples et des langages. Elle dit je ne comprends pas comment son cerveau fonctionne. Je réponds je ne comprends même pas comment fonctionne le mien et ça la fait sourire. Joshua nous rejoint. Comme pour se laver d’une pensée trop privée, il enfonce son visage dans les cheveux de Cleo. Elle enroule un bras autour de lui, elle dit ça va bébé ? T’as l’air fatigué. Les deux me regardent dans les yeux comme si j’étais un animal de foire et pendant un instant j’ai l’impression d’être transparent. J’ai l’impression qu’ils savent exactement ce que je pense, qu’ils voient ce qui se trouve à l’intérieur de moi. Je m’attends à ce qu’ils hurlent, qu’ils reculent d’un coup et disent t’es dégueulasse, c’est quoi ce truc, mais à la place Joshua me demande combien de temps je prévois de rester. Je dis je sais pas, j’ai pas de billet de retour. Il faut que tu restes jusqu’à l’éclipse ! Je ne sais pas de quoi il parle. On va aller camper dans le désert et regarder l’éclipse, ça va être mystique. Il fait un geste avec les mains qui résume la spiritualité, le cosmos et tout ce qui nous dépasse. Marta hurle et sa voix me parvient par-­dessus la musique, Abel tu restes pour l’éclipse ? Je hausse les épaules, pourquoi pas. Elle lève les bras, elle mime la victoire. Je les connais depuis moins de vingt-­quatre heures, j’ai l’impression de les connaître depuis des années. Quand il ne reste plus rien à boire, je danse avec Joshua, j’aime comme il bouge, il a sa main sur la peau perlée de mon avant-­bras, mes cheveux détachés me rentrent dans la bouche, Cleo change la musique, je reconnais les premiers accords, je les

ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 13

13

19/01/2024 15:00


ai déjà entendus des centaines de fois, c’est Bonnie Tyler, tout le monde est excité, ils disent c’est notre chanson, Every now and then I get a little bit restless, Marta revient avec des paillettes, on en étale des poignées sur nos visages, on prend mille photos, certaines sont déjà en ligne, on dirait que tu pleures des étoiles, je me regarde dans le miroir, And I dream of something wild, ça fait comme une grosse larme sous mon œil droit, je m’allume une clope sans m’arrêter, j’aime fumer quand je danse, la proximité des corps me rassure, je ne sais plus distinguer les membres, seulement une masse de chair qui ondule en rythme, We’re living in a powder keg, je pense à Sacha, à Aloïs, à Val et aux autres, and giving off sparks, je revois leurs yeux rougis d’avoir pleuré toute la nuit, pas toutes les larmes ne sont des étoiles et pas toutes les étoiles ne brillent, je me demande ce qu’ils diraient s’ils me voyaient ici, like a shadow on me all of the time, ils auraient sûrement l’impression d’avoir été remplacés, mais c’est beaucoup plus compliqué, Sam agite la flamme d’un briquet qui fait briller les paillettes sur nos joues, Cleo est debout sur une chaise, elle est magnifique, elle hurle dans un micro imaginaire, Now I’m only falling apart, tout le monde chante et moi je pense aux étoiles, qui s’effondrent sur elles-­mêmes.

ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 14

19/01/2024 15:00


ne_singularite_INT_bat_01_2024.indd 1

19/01/2024 15:00


Bastien Hauser

Le point de vue des éditeurs

Une singularité

Avril 2019. Pour la première fois, une équipe scientifique photographie un trou noir. Le même jour, Abel Fleck est victime d’un AVC. Et en réchappe. Deux miracles dont le jeune homme sent qu’ils sont intrinsèquement liés. Traversé de répliques du séisme cérébral qu’il a subi, Abel tait ses symptômes et cède à l’appel du grand mystère. Aux prises avec des notions littéralement impen­ sa­bles, il plonge dans une quête de savoir astrono­ mique obsessionnelle et désordonnée ; un voyage qui, progressivement, l’éloigne de sa galaxie ami­ cale et de sa propre réalité. Dans la douceur des nuits sans fin, en direct d’une génération lucide qui tente malgré tout de faire de sa jeunesse une expérience d’apesanteur, Une singularité raconte cette chute libre comme l’envol d’un esprit sensible et inquiet. C’est drôle et cosmique, vif, festif et désespéré.

www.actes-sud.fr DÉP. LÉG. : MARS 2024 / 22 € TTC France ISBN 978-2-330-18951-8

une-singularité-CV.indd 2-3

9:HSMDNA=V]^ZV]:

Photographie de couverture : © Dolorès Marat

Né en Suisse en 1996, Bastien Hauser est diplômé du master Textes et création littéraire de l’École nationale supé­ ­rieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles et lauréat du Laboratoire d’écriture dramatique de la Société suisse des auteurs. Une singularité est son pre­mier roman.

22/01/2024 16:38


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.