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Après le Polyptyque de Pise, Masaccio est appelé à travailler pour des commanditaires qui lui confient des réalisations de dimensions plus réduites mais non moins importantes, tel le petit retable portatif destiné à la dévotion privée d’un cardinal de la sainte Église romaine. La Vierge à l’Enfant Casini (ill. 2 et 4), aujourd’hui aux Offices1, représente Marie qui, à la fois, pressent le destin tragique de son fils et, dans un geste de tendresse maternelle, lui chatouille le menton. Langé et vêtu d’une mince chemise transparente, l’Enfant rit, cherche à se soustraire aux deux doigts glissés sous son menton en repoussant de ses menottes le bras de sa mère et s’agite au point de faire glisser sur son épaule le corail rouge qu’il porte au cou, symbole de sa Passion à venir. Cette iconographie, dite Madonna del solletico (Vierge de la chatouille), était familière aux sculpteurs, comme en témoigne la Vierge à l’Enfant au Museo Bardini réalisée par un artiste de l’entourage de Donatello (ill. 1), ou la Vierge à l’Enfant Goretti Miniati au musée du Bargello, peut-être de Maso di Bartolomeo2. Alors que la petite peinture a échappé à l’attention de Vasari et d’autres chroniqueurs du fait probablement de “sa destination très privée”, Roberto Longhi, qui a été le premier à l’attribuer à Masaccio, a écrit sur elle des lignes mémorables : “Et le thème ? Si l’on m’avait dit, sans que je la voie, que Masaccio avait peint aussi une Madonna del solletico, j’aurais écarté la chose d’un haussement d’épaules ; face à la peinture, il faut pourtant se rendre à l’évidence. Masaccio a bel et bien repris le thème du
1 Cercle de Donatello, Vierge à l’Enfant. Florence, Museo Bardini.
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POUR LA DÉVOTION DU CARDINAL. LA VIERGE À L’ENFANT CASINI (1426-1427 ENV.)
gothique fleuri, mais pour aussitôt le nier avec force dans une nouvelle méditation laïque pleine d’humanité. La Mère, absorbée dans ses pensées, sourcils haut levés et pâles lèvres serrées de l’éternelle couturière italienne, semblerait ne faire aucun cas du rire grandissant, du presque fou rire de l’Enfant (qui, comme le petit enfant, tend les bras vers sa mère, etc. [Dante, La Divine Comédie, « Paradis », chant XXIII, 121-122]), si le geste qu’elle ébauche, comme de bénédiction, ne se muait en une caresse, le prétexte prenant ainsi la puissance d’une image de Dante3.” L’attribution proposée par Longhi, d’abord rejetée – la Vierge à l’Enfant Casini ne figure pas dans l’exposition qui a lieu à Florence en 1954, “Mostra dei quattro Maestri del primo Rinascimento” –, a ensuite été accueillie par toute la critique4. Le rapprochement stylistique convaincant qu’il opère entre les petites peintures de la prédelle du Polyptyque de Pise et la Vierge à l’Enfant Casini est généralement partagé et, en conséquence, la datation de sa réalisation, qu’il situe en 1426 : “Le « supermodelé » du manteau bleu était déjà présent, c’est vrai, dans le manteau de la Vierge assise dans le giron de sainte Anne, qui date peu ou prou de 1424 ; mais ici les cheveux presque albinos et le teint coloré, hâlé, en jaunerouge, du visage, ainsi que les ombres d’un orangé d’ambre sur le dessus de la main maternelle et les étonnants motifs dans l’espace n’ont de points de comparaison que dans les petits panneaux de Pise5.”
2 Masaccio, Vierge à l’Enfant (“Madonna del solletico”). Florence, musée des Offices.