Le Fer et les Fleurs : Etienne-Nicolas Méhul - Liseuse

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Le Fer et les Fleurs : Étienne-Nicolas Méhul (1763‑1817)

Je suis loin pourtant d’exiger qu’ils consacrent entièrement leurs veilles à neutraliser par leurs écrits, l’influence du mauvais goût et les caprices de la mode. Le bien faire est préférable au bien dire, et une bonne partition prouvera toujours plus que de bons préceptes. (Nota : On me demandera ce que j’entends par une bonne partition, car l’esprit de Système dira toujours que nul n’aura d’esprit que nous et nos amis. Une bonne partition sera celle que l’opinion aura jugée telle, quand l’opinion sera éclairée comme je vais le dire plus bas, on pourrait même assurer d’avance que la bonne partition est celle dont les effets plaisent même à l’ignorance et déplaisent à l’erreur.) Cependant, je voudrais que lorsqu’un ouvrage est destiné à voir le jour, il fut toujours accompagné d’un examen dans lequel les compositeurs rendraient un compte détaillé de leurs intentions, des moyens qu’ils ont employés pour les exprimer, des principes qui les ont dirigés, des règles qu’ils ont suivies, et des convenances qu’ils ont dû observer, par rapport au genre qu’ils ont traité. De pareils écrits forme‑ raient à la longue une poétique musicale, dans laquelle on apprendrait à distinguer le style qui convient à chaque genre en particulier, et même aux ouvrages de même genre qui ne diffèrent entre eux que par des nuances plus ou moins fortes. Cette poétique aurait surtout l’avantage de n’être pas l’ouvrage d’un seul homme. Tous les artistes étant appelés à l’enrichir du tribut de leur savoir, l’influence des écoles, des préjugés nationaux et des hommes à la mode se neutraliseraient. Le concours de toutes les opinions ferait connaître la vérité, et la vérité une fois connue fixerait les opinions, qui toutes ensemble constituent ce que je nomme l’Opinion cette Reine du Monde qui seule a le droit de décider si une partition est bonne ou mauvaise. N’en doutons pas ; si depuis la naissance de la musique dramatique jusqu’à nos jours, les musiciens célèbres avaient suivi la marche que je propose, nous ne serions pas dans cet état de mobilité qui égare les artistes et les amateurs. (Nota : L’anarchie dans les arts produit toujours la tyrannie du mauvais goût, parce que celui-ci prononce toujours hardiment tandis que le talent est toujours modeste. La multitude se déclare pour celui qui décide, et c’est alors que l’erreur trompe l’ignorance. Cela n’arriverait pas si chaque juge était obligé de motiver ses arrêts, si chaque compositeur développait ses motifs.) Les secrets du génie se retrouveraient dans la pensée écrite des grands hommes, et cet immense testament serait le pal‑ ladium du bon goût. En le méditant, le musicien philosophe soulèverait 10

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