Culture social inter actions 2014

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CCAS de BORDEAUX



Première rencontre professionnelle organisée le 19 octobre 2012 dans le cadre du projet social de la Ville de Bordeaux

CULTURE – SOCIAL /

INTER – ACTIONS

Synthèse Plan d’actions Actes de la rencontre novembre 2014

CCAS de BORDEAUX

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Ont participé à la journée du 19 octobre 2012 :

Prénom

NOM

Organisme

Mélanie Estelle Stéphanie Ludovic Chrystelle Marie-Dominique Simon Morgan Sylvie Béatrice Maria Hamid Jean-Luc Cécil Philippe Luc Aude Monsieur Eva Anne-Sophie Sarah Virginie Évelyne Jean-François Pierre Laurence Marie-Anne Isabelle Geneviève Laurent Catherine Pierrette Yolande Cécile Vanessa Sylvia Christophe Véronique Alice Cécile Nadia Thomas Amélie Laurent Dominique

ADICEAM ALMODOVAR ANDRIEU ANTARAKIS AUDOIT BACIC BAILLEUL BALESTON BARRERE BAUSSE BELLOIR BEN MAHI BENGUIGUI BENSIMON BERBION BILLIÈRES BIRBA BOULAN BOUTEILLER BRANDALISE BROMBERG BROUSTERA BRU BUISSON CAILLET CASSAIGNARD CHAMBOST CHAUVIN AUDIBERT CHENE CHIVALLON CLÉMENT COLIN CONSTANT CROCE DAEMS DAL MOLIN DARASSE DARMANTE DEMARQUE DENIAU-SMITH DERRAR DESMAISON DESMOULIN DREANIC DUCASSOU

Communication cabinet du maire de Bordeaux Direction du développement social urbain / mairie de Bx Centre communal d'action sociale de Bordeaux Centre d'animation de Bacalan Direction générale des affaires culturelles Conseil général de la Gironde Caisse d’allocations familiales Gironde Centre d'arts plastiques contemporain de Bordeaux Fondation de France Centre d’animation Bastide Queyries Compagnie Hors Série Association des centres d’animation de quartiers de Bx Association des centres d’animation de quartiers de Bx Centre d'arts plastiques contemporain de Bordeaux Les Vivres de l’Art Cultures du cœur de Gironde Association Oxygène Médiatrice Compagnie Hors Série Opéra national Bordeaux Conseillère municipale déléguée à la culture Directrice centre d’animation Bastide Queyries Association hors limites Artiste Association Oxygène Festival Zest Association Point de Fuite Cultures du cœur de Gironde Association Oxygène Centre communal d’action sociale de Bordeaux Centre d’animation Argonne Nansouty Saint-Genès Centre d’animation Bacalan Festival Zest Professeur IUT Pola Crèche "Le Jardin d'Hortense" Direction générale vie sociale et citoyennté Centre d'arts plastiques contemporain de Bordeaux MJC centre de loisirs des 2 villes Association promo-femmes Saint-Michel Théâtre national de Bordeaux Aquitaine Association Point Barre Association Synthesis Culture Hors Limite Adjoint au maire à la culture / mairie de Bordeaux

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Frédéric Fabrice Adèle Marc Véronique Christine Cécilia Laura Jean Anne-Marie Malick Valérie Frédérique Erika Didier François Katia Véronique Sylvie Pierre Marc

DUMON ESCORNE FALCO FAVREAU FAYET FORESTIER GARANDEL GARDUNO GARRA GARRAU GAYE GIRARD GOUSSARD GUITARD HONNO HUBERT KUKAWKA LABAN LABOUH LAFAILLE LAJUGIE

Patrick Catherine

LARRIEU LAVEDAN

Marianne Marie Bérénice Marielle Anne-Marie Kirten Frédéric Dominik Jean-Cyril Elisabeth Sylvie Stéphane Christel Frédéric Stéphane Élodie Caroline Bruce Sylvie Léa Éric Julie Sabine Ramon Sophie Jean-Luc Catherine Muriel Brigitte Geneviève Hélène

LE CUILLIER LE MOAL LE MOING LE PRÊTRE LEBRUN LECOCQ LEMAIGRE LOBERA LOPEZ MAGNE MAKARENKO MALLET MANZANO MARAGNANI MAROLLEAU MEIGNEN MELON MILPIED MINVIELLE MOLINS NEZAN NIO OPALINSKI BENGUIGUI ORTIZ DE URBINA PEREZ-POVEDA PORTELLI POULAIN PRAX PROUCELLE RANDO RASSIS

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Maison de quartier du Tauzin Centre d’animation Bordeaux Lac Service civique / mairie de Bordeaux Musée des Beaux-Arts Adjointe au maire de Bordeaux / action sociale Centre communal d'action sociale de Bordeaux Atelier Fenêtre sur rue MC2A / Migrations culturelles Aquitaine Afriques Centre d’animation Argonne Nansouty Saint-Genès Association promo-femmes Saint-Michel Théâtre national de Bordeaux Aquitaine Direction du développement social urbain / mairie de Bx Fonds régional d'art contemporain / Aquitaine Centre d'animation de Bacalan Association Culture hors limite Conservateur Musée d'Aquitaine Musée d'Aquitaine Le Cuvier Artigues Responsable arts plastiques Association "C'est dans la boîte" Centre d’animation Bastide Queyries Président de l’Association des centres d’animation de quartiers de Bx Centre d’animation Bastide Benauge Conseil général de la Gironde Antenne Girondine insertion Bordeaux Centre d'arts plastiques contemporain de Bordeaux Direction générale de affaires culturelles / mairie de Bx Association Point Barre Association des centres d’animation de quartiers de Bx Centre communal d'action sociale de Bordeaux Association La Halle des Douves Agence Captures Atelier Fenêtre sur rue Archives municipales de Bordeaux Professeur d’arts plastiques Directrice Pôle Senior mairie de Bordeaux Centre d'arts plastiques contemporain de Bordeaux Oxygène Manufacture Atlantique Centre social et culturel du Grand Parc Cultures du cœur de Gironde Chahuts C'est dans la boîte Direction régionale des affaires culturelles Vivre de l'art Pola Centre d'arts plastiques contemporain de Bordeaux Centre d’animation Saint-Pierre Centre d’animation Saint-Michel Cultures du cœur de Gironde Directeur / Conservatoire Jacques Thibaud École du cirque Association Oxygène Directrice générale des affaires culturelles / mairie de Bx Centre social Bordeaux Nord Chahuts


Florence Caroline Nicolas Éric Lilian Isabel Jean-Philippe Viviane Léa Guillaume Anne Martine Philippe Malvina Bouchra Jean-Pierre Anne-Sophie Isabelle Agnès Emmanuel Pauline Émilie Romane

RIGAL ROSOOR ROUSSET ROUX SALLY SANCHEZ SARTHOU SAUTERAUX SCHEMBRI SENGENES SESTON SIMONET-BUTON STURZER SURLES TALSAOUI TERACOL TIBRE VALADE VATICAN VELLA VESSELY VIAUT VOLLE

Bibliothèque municipale Bordeaux Directrice adjointe / Conservatoire Jacques Thibaud Centre d’animation Bastide Benauge Rock School Barbey Direction générale des affaires culturelles / mairie de Bx Étudiante Arts Cultures et Médiation Centre d’animation Monséjour Centre d’animation Bordeaux Lac Étudiante Arts cultures et médiation Coordinateur projet social mairie de Bordeaux Rock School Barbey Chahuts Association Oxygène Direction du développement social urbain / mairie de Bx Centre d'animation Saint-Michel Théâtre la Lucarne Association Oxygène Centre social Bordeaux Nord Directrice des archives municipales Cabinet du maire Bordeaux / social Sociologue Sociologue Cultures du cœur de Gironde

Comité de rédaction : • Chrystelle Audoit / Directrice générale adjointe des affaires culturelles / mairie de Bordeaux • Jean-Luc Benguigui / Directeur général de l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux • Ramon Ortiz de Urbina / Responsable pédagogique de l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux • Marie-Sylvie Barrère / Responsable du département des publics au Centre d’arts plastiques contemporain • Laurent Chivallon / Directeur des nouvelles solidarités au Centre communal d’action sociale de Bordeaux

Réalisation du livret : • Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux novembre 2014

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Table des matières

Introduction

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9

Synthèse générale de la rencontre Culture – social / Inter – actions

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Question de terminologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15 Communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16 Rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18 Ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20 Plan d’actions

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21

Actes de la rencontre Culture – social / Inter – actions Séance plénière

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Compte rendu de l’atelier 1 : Attentes et enjeux des Inter - actions / Culture - social . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78 Compte rendu de l’atelier 2 : transmettre l’intérêt pour la culture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .119 Compte rendu de l’atelier 3 et 4 : espaces d’interactions matériels et immatériels, développer les formes de médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .149 Compte rendu de l’atelier 5 : Inter – connaissance des acteurs Conclusion

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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .193

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Introduction Alain Juppé, maire de Bordeaux

Je suis très heureux que les actes du colloque qui s’est déroulé le 19 octobre 2012 dans le cadre du projet social de la Ville de Bordeaux soient enfin publiés. Je crois qu’une ville dans laquelle il fait bon vivre est une ville qui porte attention à toutes les personnes, dès l’enfance et notamment aux plus isolées. La culture est un des moyens d’accès fondamentaux à la citoyenneté. En s’adressant à tous les publics, en cherchant à donner à chacune et à chacun la chance de s’exprimer, de cultiver ses dons, de construire une belle image de soi, la politique culturelle se veut éducative et sociale. Encore faut-il qu’elle soit en capacité de tisser des liens avec ces personnes qui, par définition sont éloignées des lieux culturels et qui sont bien mieux connues car accueillies par les acteurs sociaux et socioculturels, qu’ils soient publics ou associatifs. L’initiative de ce colloque est née du constat de la méconnaissance mutuelle des acteurs culturels, des acteurs sociaux et socioculturels.

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Ce rendez-vous a été précédé de nombreuses rencontres et d’un travail collaboratif qui a permis de dresser un état des lieux des pratiques et des publics. Il fut, je crois, de par la qualité des échanges et des propositions d’actions qui sont retranscrites dans ce livret, un moment fondateur de ce que doivent être, au quotidien, des interactions fluides entre ces différents acteurs, construites à partir d’une confiance et d’un travail commun dans la durée. La relation établie se devait d’être entretenue par une attention mutuelle permanente notamment pour que les personnes isolées, éloignées des pratiques culturelles puissent franchir le seuil des théâtres, des salles de concert, des musées et participer à un projet culturel. Deux ans après le colloque je crois que le pari est relevé. Les initiatives de collaboration se sont multipliées dans une dynamique transversale, d’amélioration de l’accessibilité aux lieux culturels et de l’équité, exigences qui sont prioritairement inscrites dans le projet culturel comme dans le Plan de Cohésion Sociale et Territoriale de la Ville. Je me félicite donc que cet ouvrage puisse témoigner de cette première étape fondatrice dans l’attente d’un acte II qui puisse nous aider à aller encore plus loin.

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Synthèse générale rencontre Culture – social / Inter – actions Le maire de Bordeaux Alain Juppé introduit la journée en expliquant que la vie culturelle bordelaise connaît une exceptionnelle richesse, pourtant il rappelle que beaucoup de concitoyens restent encore à l’écart des lieux culturels et des activités qui s’y déroulent. Il affirme que même si les raisons de cet éloignement sont multiples elles doivent être considérées. Comme le mon-

tre le projet social de la ville de Bordeaux, la mairie s’est engagée à bâtir une cité où chacun doit avoir droit à la même reconnaissance et à une égale dignité . Le maire explique que c’est justement par une ouverture à tous des activités culturelles que le lien social et le bien vivre ensemble peuvent se développer. C’est pourquoi Alain Juppé veut féliciter l’équipe projet (notamment Jean-Luc Benguigui, Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux, Sylvie Barrère, CAPC musée d’art contemporain et Laurent Chivallon, Centre communal d’action sociale) pour la création de cette journée de rencontre dont il attend beaucoup. Il souligne aussi la démarche partenariale de ce temps d’échange qui permettra d’aboutir à la rédaction d’un plan d’action, pour mieux articuler la politique culturelle et la politique sociale. Il donne ensuite la parole à Jean-Luc Benguigui qui présente rapidement l’historique de cette journée. En 2010, dans le cadre du projet social de la ville de Bordeaux, une équipe projet est constituée, son objectif est de mettre davantage en réseau les acteurs des champs social, socioculturel et culturel. L’équipe projet commence à travailler et perçoit une première difficulté : trouver un vocabulaire commun pour définir les notions de public, d’empêchement et de médiation. Puis, l’équipe envoie un questionnaire à 60 lieux bordelais qui accueillent des personnes éloignées ou isolées de l’art et de la culture. Une fois les questionnaires réceptionnés, l’équipe pro-

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jet, constituée alors d’une quinzaine de personnes et de la Direction générale des affaires culturelles de la ville, ne s’estime pas assez représentative de l’ensemble des acteurs pour proposer un plan d’action général. L’idée d’une journée qui rassemblerait une centaine de personnes réparties de manière équilibrée entre champ social, champ culturel et champ socioculturel prend forme. En 2011, l’équipe présente cette idée d’une rencontre culture-social / inter-actions à Véronique Fayet et Dominique Ducassou, adjoints au maire de Bordeaux, qui approuvent et soutiennent cette action. Enfin, Jean-Luc Benguigui conclut en disant qu’à la suite de la présentation d’exemples d’expériences bordelaises reliant champ culturel et champ social, les temps d’échanges de cette journée doivent permettre à chacun de s’exprimer et de donner ses idées pour réellement co-construire un plan d’action efficient. En séance plénière puis pendant les ateliers, les participants ont échangé sur leurs ressources, leurs pratiques, leurs attentes et leurs difficultés pour trouver des outils communs. La création de cette première journée de rencontre est donc unanimement saluée. Les participants souhaitent qu’elle permette de sortir du « bricolage » souvent réalisé pour élargir le public des struc-

tures culturelles et par extension des structures sociales et socioculturelles, tout en aidant aussi à poser les fondations d’un projet culturel et social fédérateur à l’échelle de la ville de Bordeaux. Lors de ces échanges, en plus des questionnements soulevés par les terminologies utilisées, deux mots-clés sont apparus de manière récurrente : communication et rencontre.

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Question de terminologie Une des difficultés pour la mise en place d’un travail en commun est la définition d’une terminologie commune entre acteurs du culturel, du social et du socioculturel. Le mot culture et l’expression : publics « empêchés » ou « éloignés » ou « isolés » par exemple, sont des notions qui recouvrent plusieurs approches. Une culture, des cultures, la culture ?

La culture peut se comprendre comme pratique artistique, au niveau sociologique comme les cultures d’origines des personnes, mais elle contient aussi une dimension patrimoniale lorsqu’elle sous-entend une « culture classique » ou une culture dite savante : « LA culture ». Il apparaît important aux participants de clarifier ce mot culture en précisant que s’il peut exister des personnes dites « empêchées », elles ne sont pas réellement empêchées de culture puisque la culture est propre à chacun, il n’y a pas une culture plus valable qu’une autre. En cela, les participants expliquent qu’il ne faut pas « démocratiser LA culture » mais à l’inverse « cultiver la démocratie ». En d’autres termes, l’art ne se pose pas la question de savoir quel

sera son public, s’il sera « empêché », « marginalisé », « isolé » ou autre, la proposition artistique est la même pour tous et invite à faire parler ses émotions. L’intérêt de créer une synergie entre acteurs du culturel, du socioculturel et du social est de chercher à travailler sur la manière d’accompagner, de proposer une médiation pour rendre accessible, faire connaître, faire ressentir mais aussi co-construire une action culturelle bordelaise dans son acceptation la plus large (offre culturelle, pratique artistique, création, etc.) et quelle que soit la nature de l’« empêchement » des personnes.

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Tous empêchés ou éloignés ?

En reprenant la problématique initiale de la journée, les participants reconnaissent que les personnes ne sont pas les seuls acteurs à être « empêchés » ou « isolés ». Les professionnels : travailleurs sociaux, médiateurs ou animateurs sont aussi « empêchés ». Les médiateurs des structures culturelles expliquent qu’ils ne savent pas toujours à quel type de public ils s’adressent, les travailleurs sociaux ne connaissent pas toute la programmation ou même toutes les structures culturelles présentes à Bordeaux et sont souvent dans l’impasse pour proposer un parcours adapté. Ils pensent aussi que pour qu’une action culturelle soit pertinente il faut qu’elle soit en cohérence avec la pluralité des publics. En effet, la culture peut être un vecteur d’insertion dans la société. Aller voir un spectacle, une exposition ou écouter un concert est un intermédiaire utilisé pour s’insérer dans la société. La pratique artistique peut également permettre d’accompagner une personne dans un apprentissage, lui redonner confiance et susciter son potentiel créatif, elle sert d’ailleurs d’outil pédagogique auprès du jeune public. Enfin, une offre

culturelle invite à la découverte, à la connaissance de l’art et à faire parler ses émotions. Il y a donc des méthodes communes à trouver pour travailler sur ces différentes combinaisons en fonction des publics. Cet échange sur les terminologies révèle un second frein au travail en commun entre champ social, culturel et socioculturel : le manque de communication.

Communication Bien qu’une réelle volonté de dialogue et de communication soit constatée, le travail de mise en commun entre les acteurs reste malgré tout insuffisant, les participants ont trop peu l’occasion de dialoguer et d’échanger entre eux.

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Susciter l’intérêt

Pour amener un public « empêché » ou « éloigné » à découvrir les actions culturelles de Bordeaux, il faut susciter sa curiosité et faire tomber les freins psychologiques ou sociaux éventuels. Cependant, les opérateurs culturels et socioculturels (musées, associations, centres d’animation, centres sociaux, espaces de vie sociale, maisons de quartier, Centre communal d’action sociale etc.) manquent de visibilité. De la même manière, les politiques tarifaires avantageuses ne sont pas assez connues du grand public. Des partenariats existent entre associations et structures institutionnelles, allant même parfois jusqu’à proposer la gratuité, mais les travailleurs sociaux n’en sont pas toujours informés. En outre, les participants soulignent que le public est très rarement consulté, on connaît peu ses attentes en termes d’action culturelle. Quels sont les envies, les manques ou les besoins de culture ? Bien que beaucoup d’animateurs socioculturels et de travailleurs sociaux aient initié des projets à partir des ressources humaines, artistiques et pédagogiques des institutions culturelles, il existe encore parfois des actions « clés en mains » qui ne laissent que très peu d’autonomie aux travailleurs sociaux comme aux animateurs socioculturels pour co-construire des projets avec les institutions culturelles. Tous les participants ont constaté que les blocages psychologiques et sociaux de certains publics peuvent être facilement surmontés par la sensibilisation des jeunes publics. Il est important de démystifier la pratique artistique, comme les visites aux musées ou la participation à un concert dès le plus jeune âge.

Sensibiliser les enfants, c’est aussi toucher les parents, le jeune public est un moteur pour faire venir la famille dans les musées, lui faire découvrir une pratique artistique, aller à l’opéra, etc. De plus, par cette appropriation des lieux culturels et des différentes actions culturelles, l’enfant développe une curiosité artistique qu’il gardera aussi adulte.

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Mais, pour susciter la curiosité et l’intérêt, les participants expliquent qu’ils manquent d’un travail commun efficace, déterminé en fonction des rôles et des attentes de chaque partenaire. Trouver un projet commun en fonction des impératifs de chacun

Travailler de manière transversale suppose de connaître et de comprendre les fonctions de chacun. L’animateur socioculturel et le travailleur social font le lien entre l’artiste et le public et cherchent à redonner confiance aux personnes avec lesquelles il travaille, alors que le médiateur culturel accompagne une programmation (concert, spectacle, etc.) qu’il cherche à mettre en valeur. Quel projet fédérateur est-il possible de trouver pour travailler ensemble ? Faut-il insister pour que les personnes aillent vers une offre culturelle ou travailler sur les conditions nécessaires pour qu’elles soient porteuses de leurs propres choix et pratiques culturelles ? Autrement dit, faut-il travailler en amont en fonction des envies des personnes ou amener les gens à découvrir une offre culturelle précise ? Les participants abordent aussi le problème du manque d’outils théoriques communs, la formation des travailleurs sociaux et des animateurs socioculturels intègre-t-elle suffisamment la culture comme outil de mobilisation sociale et citoyenne ? Ce déficit de connaissances est aussi une conséquence de l’absence de rencontres entre acteurs sociaux, culturels et socioculturels qui est un obstacle réel à la possibilité d’un travail cohérent.

Rencontre Pas de connaissance, pas de rencontres entre acteurs

Quelles que soient leurs compétences, les participants n’échappent pas aux représentations, aux stéréotypes et aux idées reçues des uns sur les autres. Les travailleurs sociaux n’envisagent pas de travailler avec des archivistes par exemple, les bibliothécaires ne connaissent pas toujours les contraintes

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de l’animation socioculturelle, etc. Très peu d’échanges et de rencontres entre les médiateurs, travailleurs sociaux et animateurs socioculturels sont organisées. Les incompréhensions naissent aussi du manque de retour et de réflexion sur les actions mises en place, qu’elles soient des réussites ou des échecs. Il n’y a pas d’espaces dans lesquels les professionnels peuvent interagir et se rencontrer. Espaces

En plus d’espaces « réservés » aux professionnels, il manque aussi des lieux de convivialité dans lesquels une relation de confiance pourrait se tisser avec le public. Pour susciter l’intérêt et pour faire découvrir les actions culturelles de la ville, des personnes s’accordent pour dire qu’il n’y a pas d’espace de proximité pour créer des liens, une véritable relation humaine sur le long terme. Faire confiance, mobiliser un public pour découvrir une exposition ou communiquer son enthousiasme pour un concert nécessite une interaction, un lieu où se rencontrer, où avoir des discussions formelles et informelles. Ces lieux d’échanges permettraient aussi de sortir d’une « simple » consommation culturelle. S’il est important de penser l’avant d’une sortie, il faut aussi laisser de la place pour l’après événement. Dire son ressenti, qu’il soit positif ou négatif, verbaliser ses émotions fait aussi partie du travail de médiation culturelle et sociale. Ne pas pouvoir dire et ne pas être écouté engendre une certaine frustration pour le public. Ces lieux d’interactions peuvent aussi être créés par la rencontre imprévue de la culture dans un lieu qui n’est pas « normalement » prévu pour accueillir une exposition ou une représentation. Il faut créer un croisement, un mélange des publics, interpeller les gens par l’intermédiaire d’une proposition artistique. Rencontrer les artistes par exemple est un bon moyen pour mobiliser du public. Les travailleurs sociaux et socioculturels soulignent le fait que lorsque les rencontres sont « hors les murs », en dehors du cadre de la représentation, cela a un impact

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encore plus fort pour le public et permet réellement de délier les langues. Il faut donc créer ces échanges, fabriquer une proximité sur le temps long, avoir des endroits de références pour construire une relation de confiance et créer des envies, des besoins d’action culturelle. Cependant, les participants sont réalistes et expliquent que la réalisation des projets dans le temps suppose des co-financements pérennes.

Ressources Le problème structurel auquel sont confrontés tous les participants est le court terme des financements, qu’ils appellent le phénomène du « saupoudrage ». Le système des appels à projets empêche de se projeter d’une année sur l’autre, car aucune garantie ne peut être donnée sur la reconduction d’un financement en totalité. Cela contraint les acteurs qui ne peuvent pas proposer des actions pérennes. Mobiliser les publics est un travail sur le long terme, or une fois les publics sollicités, si l’action n’est pas reconduite cela peut engendrer une désaffection, une démotivation pour participer aux actions culturelles à venir. Les participants aimeraient aussi sortir d’une consommation culturelle et monter des actions de création. Mais coconstruire un projet impliquant des artistes en résidence et un jeune public par exemple demande un financement pérenne. Enfin, les appels à projets ne sont que dans deux domaines distincts : champs social ou champ culturel. Il n’y a pas de croisement comme il pourrait y avoir par exemple avec un appel à projet social et culturel, cela complique le travail entre les acteurs. Le bilan de cette journée est très positif pour les participants. Cette rencontre a permis de mettre des mots sur des difficultés, de rencontrer des acteurs de terrain et d’envisager un travail en commun cohérent. Ils espèrent qu’une prochaine rencontre de ce type aura lieu dans le court terme.

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Plan d’actions Depuis la journée de rencontre du 19 octobre 2012, plusieurs pistes ont déjà été explorées et des actions initiées dans le sens des propositions ci-après. Voici 10 actions retenues par l’équipe projet au terme de cette journée d’échanges. 1) Proposition : affirmer la dimension culturelle du forum social. Comment : en plus de temps d’échange, elle permettrait de présenter des projets co-construits à dominante artistique et culturelle. Objectif : susciter l’émergence et le développement de nouveaux partenariats en favorisant la rencontre et le dialogue. 2) Proposition : proposer une offre culturelle ambitieuse,

conviviale et ouverte sur l’espace public : la culture hors les murs Comment :

créer des lieux d’expressions en place publique dans les différents quartiers de Bordeaux à l’occasion de temps conviviaux (repas de quartiers, fête des voisins, etc.) et des temps de rencontres avec les artistes, en lien avec les acteurs sociaux, socioculturels et la vie associative ayant les capacités de mobiliser les personnes. Objectif : sensibiliser le public au travail de l’artiste, développer sa créativité sociale, montrer que l’art peut être un vecteur pour réfléchir sur le vivre ensemble.

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3) Proposition : créer un appel à projet artistique,

social et culturel Comment :

flécher des financements associant champ social et champ culturel. Objectif : Ne pas dépendre uniquement de financements de la culture ou du social, mais donner les moyens aux acteurs du social, du culturel et du socioculturel de co-construire et cofinancer des actions. 4) Proposition : créer une fonction de médiateur

pour faire le lien entre les institutions culturelles et les associations. Comment :

sous couvert de la ville ou de Bordeaux Métropole. Objectif : le médiateur serait une personne ressource qui ferait le lien entre toutes les structures : sociales, culturelles, socioculturelles et les publics, pour mettre en relation les acteurs, proposer des projets en collaboration, évaluer les actions qui marchent ou qui ne marchent pas, écouter, comprendre et diffuser les demandes et les attentes des différents acteurs. Il pourrait être en charge de la coordination du plan d’action regroupant l’ensemble des propositions. Le médiateur pourrait aussi constituer un groupe « public » à partir de propositions des associations pour mieux être à l’écoute et prendre en compte les demandes. 5) Proposition : initier des résidences d’associations dans

les institutions culturelles bordelaises et des résidences d’institutions culturelles dans les associations. Comment :

proposer à des associations de s’installer dans un musée, un théâtre ou autre pendant une période déterminée et proposer une programmation commune avec la structure. Par exemple : une association portugaise au musée d’Aquitaine, un centre d’animation au musée des Beaux-

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Arts, etc. Et de la même manière, proposer à des institutions culturelles de programmer une exposition, un concert ou autre dans les locaux et avec les membres des associations. Objectif : favoriser les échanges et la connaissance entre les acteurs pour comprendre les besoins de chacun. 6) Proposition : créer des espaces de diffusion à destination des associations et des artistes bordelais. Comment : proposer des kiosques polyvalents dans le jardin public, sur une place ou dans un lieu de la ville, qui seraient mis à disposition par la mairie et dans lesquels les associations comme les artistes pourraient soit exposer, soit proposer une performance ou un concert. Objectif : permettre un lieu de diffusion pour tous les acteurs du monde culturel (amateurs comme professionnels) et sensibiliser le public bordelais. 7) Proposition : qui est qui ? Qui fait quoi ? Promouvoir

par une campagne de communication les différents acteurs des champs social, culturel et socioculturel. Comment :

réaliser des pancartes, des affiches de présentation en quelques phrases avec un lien Internet, par exemple : « Le centre d’animation, on y fait quoi ? » ; « Le centre communal d’action sociale, qu’est-ce que c’est ? » ; « Le Musée d’Aquitaine, on y voit quoi ? » ; etc. Objectif : mettre les affiches dans l’espace public pour créer une interaction avec les publics, développer les contacts, la connaissance entre les acteurs et provoquer des rencontres.

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8) Proposition : poursuivre l’expérience

« culture - social / Inter - actions » avec la création d’une deuxième journée de rencontre afin de favoriser plus de co-construction et de mener des projets avec les différents acteurs. Comment :

reformer un groupe projet qui proposera notamment de rédiger une charte à l’issue de cette deuxième journée de rencontre culture - social / inter - actions. Objectif : continuer la dynamique de rencontre initiée avec la journée du 19 octobre 2012 pour que les acteurs interagissent et co-construisent des projets. 9) Proposition : faciliter l’accès à l’information culturelle. Comment : état des lieux et création d’un support exhaustif (avec des entrées thématiques et territoriales) des « bons plans culture » de la métropole. Publication papier (type « Bordoscope »). Objectif : développer l’autonomie des personnes dites « isolées » ou « éloignées » de la culture qui dépendent majoritairement des propositions des travailleurs sociaux, bien que ces derniers ne connaissent pas toujours toutes les offres culturelles. 10) Proposition : favoriser l’organisation de formations. Comment : des sessions de formations « culture » pour les travailleurs sociaux et animateurs socioculturels et des formations socioculturelles pour les médiateurs culturels. Objectif : ouvrir les possibilités de co-construction de projets culturels pour les travailleurs sociaux ou les animateurs socioculturels et autonomiser leurs parcours culturels, de projets à vocation sociale pour les médiateurs culturels, pour une meilleure compréhension des champs professionnels respectifs.

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Actes de la rencontre CULTURE - SOCIAL / INTER - ACTIONS vendredi 19 octobre 2012 / 9 heures / CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux Problématique : « Comment davantage accompagner à partir des lieux d’accueil qu’elles fréquentent, des personnes éloignées ou isolées afin de faciliter leur accès à l’art et à la culture ? » Retranscription des interventions en plénière et en ateliers (enregistrements vidéo et audio)

Introduction séance plénière Jean-Luc Benguigui – directeur général de l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux (ACAQB)

Bonjour et merci à chacune et à chacun d’être venu à cette journée. Merci au CAPC de nous accueillir aujourd’hui pour cette rencontre culture-social / inter-actions. C’est une rencontre qui entre dans le cadre du projet social de la ville avec un objectif sur lequel beaucoup se sont interrogés, aussi bien dans les champs culturel, associatif, que bien évidemment dans les institutions. Comment essayer d’avoir des projets entre des

acteurs du champ culturel, social et socioculturel pour bâtir des projets ensemble, évidemment avec une attention toute particulière pour les personnes éloignées ou isolées de l’art et de la culture ? Nous sommes très honorés, Monsieur le maire, de votre présence, vous allez introduire cette journée. Vivement merci, je vous donne tout de suite la parole. Alain Juppé – maire de Bordeaux

Merci cher Jean-Luc et bonjour à tous. Bravo d’avoir bravé les intempéries et les difficultés de circulation qui sont grandes ce matin. Je crois que le thème de cette journée est suffisamment attractif pour que vous soyez tous là et je vous en remercie.

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Quelques mots d’introduction rapide. Vous le savez tous ici, la vie culturelle à Bordeaux et l’offre culturelle de notre ville sont d’une exceptionnelle richesse. Nous allons d’ailleurs publier d’ici quelques jours un petit document qui présentera cette offre dans toute sa diversité, qu’il

s’agisse du spectacle vivant, de la musique, de la danse, de la lecture publique, qui fait partie intégrante de notre démarche culturelle, des arts plastiques, etc., avec les grandes institutions publiques, mais aussi tout le tissu associatif qui est exceptionnellement développé dans notre ville. Il va de soi que nous voulons soutenir, encourager, amplifier toutes les expressions culturelles à Bordeaux et pas simplement à l’occasion de quelques événements phares qui polarisent parfois exagérément l’attention. De l’autre côté, le projet social est, vous le savez, un des trois piliers de l’action que nous menons avec le projet urbain et l’agenda 21, les trois s’articulant très étroitement pour tenter de bâtir une cité où chacun ait

droit à la même reconnaissance, une égale dignité, et cet objectif que nous poursuivons tous, non seulement du vivre ensemble, mais du bien vivre ensemble. Or, et vous en faites l’expérience je pense quotidiennement, beaucoup de nos concitoyens restent encore à l’écart des lieux culturels et des activités qui s’y déroulent. Les raisons de cet éloignement sont multiples, je sais que vous y avez réfléchi depuis longtemps. On a appelé cela en d’autres temps, la nécessité de démocratiser la culture, bref, vous avez bien formulé je crois le problème. Je vous cite : « Comment davantage accompagner à partir des lieux

d’accueil qu’elles fréquentent des personnes éloignées ou isolées, afin de faciliter leur accès à l’art et à la culture ? » Il me semble que l’enjeu est double. Premier aspect, les activités culturelles sont créatrices de lien social, elles favorisent la rencontre, l’échange, le partage d’émotions ou de réflexions. On le voit chaque fois que nous participons à des manifestations ou à des événements. Mais, autre volet, la culture est aussi bien sûr d’abord source d’enrichissement, 26


d’épanouissement personnel, elle peut donner sens à la vie et elle peut contribuer à libérer les potentialités créatrices qui sont dans chacune et chacun d’entre nous à des degrés divers mais peut-être largement répandues. Pour atteindre cet objectif, vous avez choisi de faire se rencontrer les acteurs de nos grands lieux de culture, qu’ils soient publics ou privés, je cite au hasard, je ne serai peut-être pas exhaustif, le TnBA, l’Opéra national, le Musée d’Aquitaine ou alors des acteurs associatifs, Chahuts, Oxygène, il y en a beaucoup d’autres dans cette salle, le monde culturel comme on a l’habitude de dire, et de l’autre côté, le monde « social » entre guillemets, avec le Centre communal d’action sociale, l’ACAQB, la maison de quartier du Tauzin, qui accueillent les populations qui nous intéressent et qui sont un peu la cible de notre réflexion. Cette démarche me paraît tout à fait excellente , je voudrais vous en féliciter parce qu’elle est fondamentalement partenariale et il se trouve qu’elle tombe à point nommé, au moment où nous allons ouvrir cette après-midi « les participiales » qui se dérouleront sur deux jours, ce soir dans les quartiers et demain de façon plus globale sur la ville, et dont la thématique est bien celle-là, comment faire en sorte que chaque citoyen se sente acteur de la vie collective et participe pleinement à la prise des décisions ? J’ai vu la liste des ateliers thématiques qui vont se dérouler cette après-midi et je crois que chacun aborde une question pertinente. Nous attendons beaucoup de vos travaux, nous attendons un véritable plan d’actions. Beaucoup de choses ont déjà été faites depuis quelques temps, notamment dans le cadre du projet social, mais je pense que nous pouvons encore aller plus loin en rapprochant davantage les professionnels du champ culturel et du champ social. Je voudrais donc féliciter Jean-Luc Benguigui, Sylvie Barrère, Laurent Chivallon, qui travaillent à ce projet depuis maintenant longtemps et je voudrais exprimer ma confiance à mes deux adjoints qui nous rejoignent, je vois Véronique Fayet qui vient d’arriver, qui est le maître d’ouvrage si je puis dire du projet social, et puis Dominique Ducassou dont

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chacun connaît ici l’implication dans la vie culturelle, l’implication culturelle. Cette rencontre est à la fois originale et prometteuse et j’espère qu’elle nous permettra de mieux articuler encore notre politique culturelle et notre politique sociale. En tout cas, je vous souhaite une bonne journée de travail, vous serez bien ici à l’abri de ce qui se passe à l’extérieur et sachez que j’attends beaucoup des réflexions et des travaux que vous mènerez tout au long de la journée. Nous essaierons de voir ensuite ensemble comment traduire cela dans de nouvelles initiatives de la ville et de l’ensemble des acteurs qui nous accompagnent. Je vous souhaite donc une bonne journée de travail. Jean-Luc Benguigui – directeur général de l’ACAQB

Merci pour tous ces encouragements, Monsieur le maire. Je vais assez rapidement revenir sur l’historique de cette journée. En 2010, dans le cadre du projet social, il y avait l’objectif que vous avez cité, même s’il a évolué en termes de vocabulaire par rapport aux terminologies qui peuvent être utilisées dans les champs social, socioculturel ou dans le champ culturel. L’idée de départ avec Sylve Barrère du CAPC, Laurent Chivallon du CCAS, auxquels s’est joint Ramon Ortiz de Urbina des centres d’animation, l’idée a tout de suite été de constituer une équipe projet, que je vais présenter, constituée d’une quinzaine d’acteurs aussi bien du champ culturel que social ou socioculturel avec une idée de transversalité, une idée de complémentarité. Lors de nos rencontres, dès le départ, nous avons situé les enjeux à trois niveaux. Le premier niveau pour les personnes en termes d’accès à la culture, je me permets de reprendre vos propos en termes d’égale dignité ou d’égale reconnaissance, sous-entendu nous étions dès le départ sous une définition de la culture la plus

ouverte possible pas seulement dans le champ des arts, des lettres, mais évidemment dans le champ beaucoup plus large des cultures, des origines géographiques, historiques, etc. Le deuxième enjeu concerne les associations et les institu28


tions culturelles : comment aller vers une meilleure connaissance des acteurs sociaux et socioculturels ? Et, évidemment pour le troisième enjeu : comment les acteurs sociaux et socioculturels peuvent avoir une meilleure connaissance des acteurs

culturels, des acteurs artistiques ? Nous avons beaucoup travaillé sur l’idée de mise en réseau, de travail ensemble, avec vraiment une ligne directrice, ce qui nous a animés, il existe déjà beaucoup de choses, beaucoup de choses qui sont co-construites entre des acteurs culturels, sociaux et socioculturels et est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de démultiplier les projets ? Qu’ils soient vraiment co-

construits à partir de la complémentarité des uns et des autres. Nous nous sommes entretenus d’objectifs, d’enjeux, de vocabulaire je l’ai déjà dit. Est-ce qu’on parle des personnes empêchées, défavorisées ? Est-ce qu’on parle des personnes isolées ? On voit que les terminologies sont tout à fait différentes dans nos champs, on n’a pas forcément la même culture. On le verra cette après-midi, puisqu’on va revenir sur les questions d’interconnaissance. On a parlé de médiation, là-aussi, la médiation sociale, la médiation socioculturelle, la médiation culturelle, la question des résidences, des parcours culturels. Bref, on a comme cela balayé tout un ensemble de champs, de réflexions, d’actions, des uns et des autres en essayant déjà de s’entendre,

d’apprendre à mieux se connaître avant même d’imaginer bâtir quelque chose ensemble. On a réalisé aussi un deuxième travail : référencer à Bordeaux l’ensemble des lieux où sont accueillies des personnes éloignées, isolées de l’art, de la culture. On a réalisé un questionnaire et aujourd’hui on a référencé 60 lieux d’accueil à Bordeaux, vous avez cité bien sûr les centres d’animation, les maisons de quartier, il y a les centres sociaux, il y a de multiples autres associations aussi qui accueillent des personnes. Et puis très vite, cette équipe projet composée d’une quinzaine de personnes a dit : « non, non, on ne va pas simplement à quinze proposer un plan

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d’actions par rapport au projet social de la ville ». On a voulu une démarche beaucoup plus contributive, participative et donc l’idée de cette journée, de rassembler une centaine d’acteurs, est arrivée assez vite. Ils sont répartis à peu près moitié/moitié, si je peux m’exprimer ainsi, c’est-à-dire qu’il y a autant de personnes ici du champ culturel que du champ social ou socioculturel. On a présenté en juin 2011 à Véronique Fayet et à Dominique Ducassou cette idée-là. Ils nous ont tout de suite validé le principe, d’où le titre : Culture-Social / Inter-Actions et Dominique Ducassou nous a aussi présenté deux personnes qui nous ont accompagnés pendant cette démarche, qui vont se présenter évidemment tout à l’heure, Émilie Viaud et Pauline Vessely, sociologues de l’art, qui nous ont aidés à partir des réflexions des uns et des autres à charpenter, organiser un peu plus le contenu des ateliers thématiques de cette après-midi. Et puis au-delà des champs culturels ou sociaux et socioculturels, il y a aussi une forte implication de l’institution, la Direction Générale des Affaires Culturelles, évidemment, la Direction Générale de la Vie Sociale et de la Citoyenneté, et la présence aussi de collectifs d’artistes. On voulait que ce soit le plus contributif possible avec un double objectif. Le premier objectif : faire partager les expériences. Ce matin, le choix a été très difficile, 8 expériences vont vous être proposées, reliant les champs culturels et sociaux. Deuxième objectif cette après-midi avec les ateliers contributifs par rapport à des thématiques où chacune et chacun va pouvoir s’exprimer, non pas simplement en son nom par rapport à l’action qu’il peut porter, mais en ayant à l’esprit la question suivante : est-ce que cette action on ne pourrait pas la partager davantage ? Il faut que les idées des uns et des autres aillent toujours vers cette

idée de co-construire davantage de projets entre le social et la culture. Voilà l’esprit, concernant la composition, je me permets d’insister, la composition de l’équipe projet en plus de la Direction

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générale des affaires culturelles et de la Direction du développement social et urbain que j’ai citées, nous avons aussi le Centre communal d’action sociale qui a été très impliqué, le CAPC : le Musée d’art contemporain, deux centres d’animation : Queyries et Saint-Michel, un représentant des maisons de quartier : la maison de quartier du Tauzin, le Musée d’Aquitaine, l’Opéra national de Bordeaux, le TnBA, le Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibault, Chahuts, l’association Oxygène, l’association Cultures du cœur, la Rock School Barbey et enfin le garage moderne. Ce sont l’ensemble des personnes qui ont participé de manière assidue à l’ensemble des réunions préparatoires à cette journée. Je vais dire maintenant quelques mots sur le déroulé de la journée. On a remis à l’entrée de la salle des programmes. Juste après ma courte intervention Émilie Viaud et Pauline Vessely vont introduire la problématique, je vais tout de suite leur laisser la parole avec ce matin 8 interventions. Nous commencerons par le TnBA avec Nadia Derrar. Le TnBA a multiplié les partenariats, Malick Gaye me fait un signe, il interviendra je pense aussi. L’Opéra national de Bordeaux, Anne-Sophie Brandalise mène aussi des projets avec les centres d’animation et les maisons de quartiers avec de multiples acteurs des champs sociaux et culturels. Ensuite nous aurons l’association Oxygène, l’association Cultures du cœur qui font un travail extraordinaire d’accompagnement des personnes vers des lieux artistiques et culturels, le Centre communal d’action sociale qui a ouvert un lien avec des artistes, des espaces, Laurent Chivallon et Bruce Milpied, photographe, nous en parleront. Chahuts, qui depuis des années associe le champ culturel et le champ socioculturel. Nous aurons aussi un exemple avec le centre d’animation Bastide Queyries, qui, entre autres, développe des projets autour des arts du cirque, avec beaucoup de personnes engagées en bénévoles aux côtés des professionnels qui viennent développer ce projet. Enfin, nous terminerons avec la maison de quartier du Tauzin, Frédéric Dumon nous présentera aussi des expériences.

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Cela nous amènera à-peu-près vers 11 h 30. Ensuite, il y aura une synthèse de ces interventions avec Émilie Viaud et Pauline Vessely, un premier échange avec la salle et on calera en fin de matinée les inscriptions aux différents ateliers. On a ramené 5 ateliers à 4, on a surtout essayé en préparant cette journée de respecter le premier choix, on avait demandé à tout le monde deux choix, il se trouvait que cela n’était pas tout à fait équilibré, il va y avoir aujourd’hui 4 groupes d’environ 25 personnes. On reste bien sur un premier groupe que j’animerai autour des « attentes et enjeux des interactions culture-social », il comprend les enjeux des uns et des autres qui ne sont pas forcément les mêmes, y a-t-il des valeurs, des perspectives communes ? Comment démultiplier des rencontres et comment d’une manière peut-être un peu provocatrice, on avait mis dans le texte, les professionnels sont-ils eux aussi empêchés ? C’est-àdire qu’est-ce qui permettrait au champ culturel de travailler davantage avec les acteurs sociaux et socioculturels et vice versa ? Un deuxième groupe avec Ramon Ortiz de Urbina sur les questions de transmettre l’intérêt pour la culture, comment transmettre le goût pour l’art, pour la culture ? Ensuite, nous avons regroupé : « le développement des formes de

médiation » et « les espaces d’interaction, matériels, immatériels », c’est Sylvie Barrère et Véronique Darmenté qui vont animer ce groupe. Comment davantage agir ensemble ? Avec quelles démarches et avec quels outils ? Enfin, le dernier atelier : « inter-connaissances des acteurs » aura pour modérateur Laurent Chivallon. L’esprit de la journée est de débattre mais aussi de trouver des éléments contributifs qui vont aller vers un plan d’actions. Voilà cela va durer deux heures, de 13 h 30 à 15 h 30. On va vraiment essayer de respecter les horaires. Ensuite, il y aura une heure de pause pendant laquelle on va à la fois diffuser le film « Un monde modeste » de Stéphane Sinde dans l’amphithéâtre, et faire une pause-café, qui nous permettront, les modérateurs,

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Émilie Viaud et Pauline Vessely de travailler à chaud pendant cette heure-là sur une synthèse, de façon après, à ce qu’il y ait une présentation d’ensemble à tout le monde. Il y aura bien une synthèse en présence de Véronique Fayet et Dominique Ducassou. Nous nous permettrons de dire quelques mots de conclusion aujourd’hui. Maintenant qu’est ce qui va se passer demain, sachant que ce type de relations, ce type de partenariat, ne peuvent s’inscrire que dans un temps long ? D’ores et déjà, nous avons l’idée que ce ne soit pas seulement une journée de rencontres, c’est pour cette raison que nous avons mis première journée de rencontres, de façon à pouvoir continuer. Voilà je m’arrête, les ateliers ce matin vont être enregistrés en vidéo. Cette après-midi tout va être enregistré en son, de façon à ce que nous puissions récolter de manière exhaustive vos réactions. Nous allons faire une synthèse à chaud, puis nous reprendrons tout cela ensuite. On préparera des actes écrits, pour présenter à la mairie de Bordeaux et en particulier au projet social toutes les contributions des uns et des autres, y compris les thèmes des ateliers. Pour terminer j’ajouterais que c’est l’ensemble des personnes qui ont participé à l’organisation, je ne suis le représentant que d’un collectif complémentaire. Alain Juppé – maire de Bordeaux

Je souhaite aux médiateurs Laurent Chivallon, Ramon Ortiz de Urbina, Sylvie Barrère, et vous-même, les 4 médiateurs, une bonne après-midi de travail. Je compte sur Dominique et Véronique pour venir me parler de tout cela le plus vite possible pour voir ce que l’on peut en tirer parce que je partage votre

approche, il faut qu’on débouche sur des actions concrètes, mon souhait est de passer de la philosophie à l’action. On a besoin de philosophie, mais aussi d’action. Voilà, bonne journée.

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Séance plénière Émilie Viaud et Pauline Vessely, sociologues de l’art

Merci, nous sommes ravies de nous joindre à cette réflexion autour de la première journée de rencontres Culture-social / Inter-actions du projet social de la ville de Bordeaux. Ce qui nous réunit autour de cette table ronde, c’est d’une part d’identifier

les inter-actions entre les professionnels de terrain et d’autre part les participants aux actions qu’ils mettent en place. La question que l’on peut se poser, qui va nous animer tout au long de cette première table ronde est la suivante : quels sont en fait, en réalité, les enjeux des inter-actions qui lient ces professionnels aux participants dans le cadre des activités qui sont déjà mises en place ? Nous vous proposons de commencer par une brève définition de termes, qui s’est révélée comme évoqué par Jean-Luc Benguigui, une étape fondamentale de l’élaboration de ces rencontres professionnelles. Les échanges autour du vocabulaire des acteurs de terrain, que la sociologie désigne généralement comme public empêché a permis de formuler la question suivante : qu’entendons-nous par public empêché ? Je cite Mylène Coste : « (…) ce terme est souvent synonyme de public éloigné ou public exclu et concerne toutes les personnes qui pour des raisons géographiques, physiques ou psychologiques ou sociologiques se retrouvent éloignées de l’offre socioculturelle ». Pourquoi insister sur cet aspect de définition ? Parce que le choix

des mots facilite l’élaboration d’une base de travail commune entre les univers sociaux, culturels et socioculturels. Pour approcher les enjeux de ces inter-actions, cette table ronde réunit différents acteurs de terrain qui vont vous présenter des actions représentatives de leurs champs d’activités à destination des personnes éloignées et ou isolées de l’offre culturelle. La parole sera également prise par des participants à ces actions, ces témoignages offrent une visibilité sur les actions concrètes qui sont menées à Bordeaux aujourd’hui. L’objectif est de se ren-

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contrer, d’échanger et de mieux connaître les problématiques de chacun, à la fois des professionnels et des personnes concernées par les activités proposées et également de connaître davantage la nature des actions concrètes. À la lumière de ces interventions émergent des exemples d’outils qui existent et qui associent déjà les mondes de la culture, du socioculturel et du social et cela témoigne de la vivacité d’un réseau ancré d’ores et déjà sur le terrain bordelais. Ce partage d’expériences mutuelles constitue un premier support de réflexion, Jean-Luc Benguigui a bien insisté là-dessus et bien mis en valeur cet aspect. C’est un premier support de réflexion qui sera nécessaire à la co-construction d’actions concrètes. Nous allons maintenant écouter 8 interventions rapides, elles vont durer 5 minutes, donc c’est un peu chronométré. Elles seront menées par des représentants de structures implantées dans la ville de Bordeaux, accompagnées de participants à des actions ou bien d’artistes impliqués dans les projets qu’ils vont nous présenter. La parole sera ensuite donnée à la salle pour que vous puissiez réagir et échanger autour de ces problématiques pendant une quinzaine de minutes. Malick Gaye – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (TnBA)

Bonjour. Je vais vous parler d’une carte mise en place par le TnBA et l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux, qui existe depuis un an maintenant. L’idée est venue du centre d’animation Saint-Michel qui, depuis quelques années, essaye de faciliter la venue individuelle de ses adhérents aux spectacles. Dans le cadre d’une convention avec l’associa-

tion, les adhérents, lorsqu’ils viennent en groupe, bénéficient d’un tarif préférentiel. On a réfléchi, on a mis en place une carte qui permet aux adhérents de bénéficier d’un tarif préférentiel en fonction du quotient familial, donc des revenus. Cela nous permet d’avoir des adhérents qui, selon leurs revenus, peuvent venir au TnBA voir des spectacles, sans forcément être

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dans un groupe. Ils peuvent choisir les spectacles, être dans une démarche beaucoup plus simple. L’idée aussi qui émanait des centres d’animation c’était d’avoir une carte qui permette de ne pas être stigmatisé par rapport à ses revenus. Alors on a mis une petite pastille de couleurs et selon la couleur, on bénéficie du tarif 1, 2 ou 3. Pour ce qui est des démarches

concrètes entreprises auprès des publics, il y a tout un travail d’accompagnement qui est fait en lien avec les centres d’animation, cela passe par des visites, des présentations de saison aux équipes des centres ou aux adhérents . Il y a aussi un atelier mis en place l’an dernier par l’association en partenariat avec le TnBA qui a lieu tous les samedis. Cet atelier permet par la pratique du théâtre et aussi par une pratique de spectateur de découvrir un peu l’art dramatique. Les participants ont obligation de voir 3 spectacles dans la saison et à côté de cela tous les samedis, ils viennent et ils s’exercent à la pratique de l’art dramatique. Anne-Sophie Brandalise – Opéra national de Bordeaux

Bonjour. En cinq minutes, présenter nos actions et ce type de problématique, c’est un peu compliqué. Je suis ici pour vous parler d’une action que mène l’équipe médiation action culturelle de l’opéra qui s’appelle Ma voix et toi. C’est une action insérée dans les quartiers depuis 9 ans maintenant. Moi ce qui m’intéressait, au-delà de vous raconter ce que l’on fait, c’est de travailler un peu la matière et le sujet des publics empêchés et de se dire qu’avec ce dispositif-là, on ne va

pas seulement faire venir les publics à l’Opéra, mais on va d’abord aller vers eux. On va découvrir leur environnement social, leur environnement familial et à partir de là leur donner les codes et les clés d’accès pour venir à l’Opéra. Le projet Ma voix et toi est un projet de plusieurs temps. C'est d’abord un projet dans les quartiers où sont les enfants. On organise pendant un an des ateliers de pratique vocale dans différents centres d’animation, ce qui permet en

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effet d’aller sur le terrain de vie des enfants. Le deuxième aspect est un travail qui s’inscrit sur une longue durée. On essaie

de contrer un peu la politique de consommation de loisirs, ou ce que j’appelle le zapping d’activités de ces enfants-là. On les inscrit dans un parcours de longue durée avec les aléas que l’on peut rencontrer sur ce genre de sujet. Ce sont des enfants qui ne sont pas forcément sollicités dans leur environnement familial pour faire la même activité pendant un an, mais qui sont plutôt sur-sollicités pour changer d’une activité à l’autre. L’environnement familial n’est pas non plus propice à cette endurance, le rendez-vous médical ou le petit frère malade prend parfois le pas sur la venue à l’atelier. Donc, le travail

qu’on fait au plus près du terrain avec les animateurs est extrêmement important pour qu’on les inscrive dans un temps long. Le troisième axe, c’est la fréquentation du lieu culturel et du grand théâtre de manière assez régulière, pour que les enfants et leurs familles, au sens très large, puissent découvrir l’Opéra. On a des ateliers qui se situent au cœur du grand théâtre deux à trois fois par trimestre. Au tout début du projet, on invite les parents à venir visiter le Grand Théâtre, rencontrer les animateurs qui vont porter le projet et on les invite à un spectacle ou à une générale dans la salle. Là c’est un premier choc,

c’est une première rencontre importante qu’on a accompagnée . Ensuite, tout au long de l’année, les enfants, leurs parents, leurs frères, leurs sœurs, leurs cousins, leurs grandsmères sont invités pour un tarif très bas à venir trois fois voir des spectacles qu’on a préparés avec eux. Les animateurs aussi viennent voir ces représentations, cela peut donner lieu à un échange au cours des ateliers qui suivent. Pour moi ce qui est important

c’est la navette, le va-et-vient entre : aller vers ces populations, ces enfants et les faire venir. Ça n’est pas juste les faire venir au Grand Théâtre, cela ne se passe pas si simplement que cela. Ce qui est important aussi, dans les sujets qui vont être abordés dans les prochaines semaines, puisque je crois que cela va donner lieu à plusieurs rencontres, c’est de se dire que les

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publics empêchés ne sont pas juste un segment à travailler. C’est un champ qui est beaucoup plus complexe. Vous le savez la culture aujourd’hui change de visage, les frontières traditionnelles élitistes, populaires, locales, nationales ou les formes culturelles aussi changent beaucoup. On ne doit pas uniquement travailler sur ces publics et ces segments de publics, on doit aussi avoir une approche plus globale. On peut saluer l’initiative qui se joue

ici et qui va se jouer dans les prochains jours, à mes yeux c’est important, c’est remettre le politique au cœur de ces politiques publiques, au cœur de l’action publique. La confrontation citoyen/animateur socioculturel/professionnel de la culture, c’est très bien, c'est remettre le politique au cœur de ces débats-là, c’est extrêmement important pour configurer l’action publique et accompagner ces mutations. Geneviève Chêne – directrice de l’association Oxygène

La présentation de notre structure. Nous sommes une association d’insertion et nous nous adressons plus particulièrement à des personnes qui ont vraiment des petits revenus, puisque dans notre association nous accueillons des personnes qui ont des aides sociales et particulièrement celles qui sont au RSA. Nous travaillons avec le Conseil général de la Gironde et puis bien sûr la ville de Bordeaux nous aide aussi. Nous avons notamment la chance d’avoir un local très bien placé dans Bordeaux, grâce à Madame Fayet qui est là, donc encore merci et qui permet de faciliter la venue des personnes. Je le souligne parce que c’est très important d’avoir un lieu avec des trams, une circulation ; cela facilite quand même grandement la mobilité des personnes. Notre association, pour faire vite, a actuellement deux grandes « branches d’actions » si je puis dire : on a une action appelée tremplin qui est un accompagnement pour une reprise de l’activité et puis des ateliers d’épanouissement, d’expres-

sion, qui visent particulièrement une dynamique de lien social et qui s’appuient sur des outils culturels. Ce sont 38


aussi bien les accompagnements aux spectacles, que des sorties aux musées dont je vais vous parler plus particulièrement et puis des ateliers de peinture, de chant, d’écriture, etc. Tout un ensemble de choses qui donne et redonne le goût de la culture, de l’expression. Monsieur Pierre Caillet qui m’accompagne est un adhérent qui pourra parler de son expérience des visites de musées, je vais développer mon propos sur ce point-là. Que ce soit des actions de remobilisation des publics vers l’emploi ou des actions d’épanouissement, nous programmons toujours des sorties aux musées. Nous avons un réel intérêt pour ces propositions. Nous sommes allés visiter tous ensemble le Musée des Douanes, le Musée Jean Moulin, le Musée d’Aquitaine, Cap Sciences, le CAPC, la Galerie des Beaux-Arts, le Musée Ethnographique, le Musée National d’Assurance Maladie, en fait 8 ou 9 musées et nous programmons en général une visite tous les deux mois.

C’est une offre variée, les groupes sont de 15 personnes environ, donc vraiment, il y a un intérêt majeur pour ces activités. Pourquoi ? Parce que je pense qu’au sein de notre association, d’abord on motive, c’est-à-dire qu’on incite à cette curiosité et je pense qu’une association peut et a les moyens d’être dans cette dynamique, dans cette motivation. Une personne n'irait peut-être pas toute seule, mais tous ensemble et avec des informations, une communication adaptée et des tarifs adaptés, cela crée la possibilité. On donne la possibilité aux personnes de s’intéresser à ce lieu de culture qu’est le musée. Les points forts de l’action sont la communication, la dynamique de groupe, l’accompagnement et l’éventail de choix puisqu’on ne va pas toujours dans le même musée. Je signalerai cependant deux freins récurrents. Le frein psychologique, les personnes pensent parfois que les musées ne sont pas pour elles. C’est un frein à surmonter, voir comment on peut ensemble, et on en discutera cette après-midi,

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comment permettre que cet accès aux musées soit banalisé et non plus sacralisé. Le deuxième frein, c’est certainement un frein financier. Aujourd’hui, on est dans une situation particulièrement difficile et aller au musée peut apparaître comme un luxe. Donc, je crois qu’il faut aider à ce que le musée puisse être accessible, vraiment, réellement, financièrement. Pierre Caillet – bénévole association Oxygène

J’allais aborder le problème de la culture peut-être avec un aspect beaucoup plus matériel, voire matérialiste, dans la mesure où quand on fait partie d’un public plus ou moins en recherche d’emploi, culture peut être antinomique avec précarité. C’est dû

à certains liens peut-être psychologiques, mais aussi au fait qu’il y a toujours l’aspect financier, matériel, on se dit : « la culture ce n’est pas pour nous ». Il y a aussi une question d’idée d’a priori. Le fait d’aller dans une association comme Oxygène, cela permet, outre le fait de se re-sociabiliser, d’avoir des propositions culturelles. Là encore je crois que c’est très important de pouvoir aller dans une structure qui propose des sorties et des visites accompagnées des musées. Il y a cet aspect collectif où finalement on n’est pas laissé à soi-même, on est accompagné par des référents de l’association. Ou bien, si on rencontre des gens des musées, ce qui est important c’est de pouvoir dialoguer, échanger. Disons qu’il y a une possibilité de reprendre contact avec la société. Je crois que c’est très important qu’il y ait un pont vers autre chose. Romane Volle – association Cultures du cœur

Je suis Romane Volle, salariée de Cultures du cœur Gironde, accompagnée de ma collègue, Isabelle Chauvin-Audibert. Cultures du cœur Gironde est une association d’aide à l’insertion par l’accès à la culture, aux sports et aux loisirs. Depuis 2006,

nous pratiquons la mise en réseau de partenaires sociaux, culturels par le développement de partenariats .

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Actuellement nous avons près de 80 structures culturelles qui mettent à disposition des invitations et 160 structures sociales qui redistribuent ces invitations à des personnes qui n’ont pas accès à l’offre culturelle, pour des raisons économiques ou sociales. L’association développe également des actions de médiation culturelle autour de certaines sorties et propose un accompagnement spécifique des structures sociales qui le souhaitent, par la mise en place de permanence Cultures du cœur, ce que présentera Isabelle. Les actions de médiation culturelle sont proposées tout au long de la saison et conçues dans le but d’approfondir l’accompagnement des publics et de valoriser leur pratique. Il s’agit d’actions spécifiques mises en place autour de certains spectacles, comme la visite de lieux, la rencontre avec des artistes, des

échanges autour de spectacles, des pratiques artistiques dans le cadre d’ateliers, etc. En mai dernier, dans le cadre de Root’Arts, une manifestation réunissant des artistes d’ici et d’ailleurs autour d‘un moment de création, l’association Fenêtre sur rue a proposé aux bénéficiaires de Cultures du cœur la visite d’une exposition à la Halle des Chartrons, une rencontre avec l’artiste bolivienne, Vania de Luca et la participation à un atelier peinture partagée autour des arts plastiques et du numérique. Deux structures sociales bordelaises ont pris part à ce projet, le centre d’accueil de jour de l’association des familles de traumatisés crâniens et l’association TCA [Tout Cérébrolésé Assistance]. Les bénéficiaires ont ainsi pu s’entretenir avec l’artiste pendant l’exposition, ont exprimé leur ressenti face aux œuvres présentées et ont pris part avec enthousiasme aux ateliers proposés. Isabelle Audibert – association Cultures du cœur

Je vais vous parler plus spécifiquement des permanences de Cultures du cœur et conclure sur les actions de l’association. Depuis décembre 2011, on a mis en place au CCAS de Bordeaux une permanence Cultures du cœur pour accueillir les usagers intéressés, leur faire connaître Cultures du cœur et surtout leur

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parler des propositions culturelles et des actions de médiation. Des travailleurs sociaux du CCAS ont assisté aux permanences pour mieux connaître le fonctionnement de l’outil Cultures du cœur et relayer l’information auprès des publics suivis. Ces permanences hebdomadaires ont déjà permis à plus de 150 usagers du CCAS de pouvoir assister à des spectacles et de pousser les portes de lieux culturels méconnus. Ainsi, les actions mises en place par Cultures du cœur permettent aux publics des structures sociales partenaires, la découverte de lieux culturels peu connus, une meilleure appréhension et compréhension des spectacles, de l’intention des artistes et l’envie, la curiosité de s’ouvrir à la pratique culturelle. Dans le cadre des actions de médiation, la culture est alors concrètement un outil d’insertion. Les objectifs de ces actions pour les publics touchés sont de contribuer à s’autoriser une vie culturelle pour surmonter le sentiment d’exclusion, reprendre confiance en soi, créer ou renforcer les liens sociaux, développer leur sens de l’autonomie et favoriser une attitude citoyenne. À plus long terme, le but de ces actions est également que ces publics deviennent spectateurs sans le dispositif de Cultures du cœur. D’autre part, pour les structures sociales partenaires, ces actions favorisent une meilleure appréhension, une connaissance des structures du secteur social et leur permettent aussi de diversifier leurs publics. Nous souhaitons poursuivre ces rencontres si riches entre le secteur culturel et le secteur social et également élargir l’offre de projet de médiation, à d’autres partenaires culturels sur l’ensemble du territoire girondin. Afin d’approfondir l’action de Cultures du cœur pour l’accès à la culture des personnes qui en sont éloignées, Cultures du cœur Aquitaine, qui a en charge la coordination et le soutien aux associations départementales, va mettre en place en novembre 2012 une formation à la médiation culturelle. Cette formation destinée aux travailleurs sociaux va leur permettre de développer et d’approfondir leurs compétences dans l’accompagnement des publics vers la culture.

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Laurent Chivallon – Centre Communal d’Action Sociale (CCAS)

Je suis Laurent Chivallon et je vais intervenir avec Bruce Milpied sur l’action qui se déroule au CCAS de Bordeaux et nous allons essayer, nous aussi en 5 minutes pour tenir le timing. Pourtant, nous allons devoir vous parler de révolution culturelle parce qu’effectivement l’action mise en place au CCAS et qui se déroule aussi dans le cadre du projet social, elle est même une action du projet social, est une action qui bouleverse un peu les habitudes du CCAS. Les Centres communaux d’action sociale sont des structures historiques qui portent un lourd passé de l’action sociale avec des domaines habituellement développés en direction du logement, de la vie quotidienne, de la santé, de l’emploi. Le CCAS de Bordeaux a fait le choix de développer un domaine qui est original pour un CCAS, c’est celui de la culture. Le moyen de s’en emparer était de se dire, le CCAS doit se remettre en question dans ce domaine et s’ouvrir à des choses qui étaient auparavant laissées à d’autres. La culture et notamment la relation avec les

artistes, s’est développée sous la forme d’un espace d’exposition, c’est-à-dire que les locaux du CCAS qui sont normalement dédiés à la culture administrative et à la culture sociale du travail se sont ouverts aux artistes. Nos locaux sont mis à disposition de façon relativement libre, mais dans un travail commun, à des artistes qui souhaitent présenter des réalisations avec un double objectif. Tout d’abord que les publics qui viennent au CCAS, qui viennent bien sûr pour des difficultés immédiates souvent, l’alimentation, les ressources, le paiement de factures, puissent au travers de leur venue au CCAS découvrir des œuvres artistiques ou une démarche artistique. Le second aspect de cette ouverture de nos locaux à des activités artistiques, c’est aussi de se dire que les publics qui vont venir voir ces expositions sont des publics qui ne viennent pas spontanément au CCAS, ce sont des publics qui n’ont pas besoin de fréquenter le CCAS, et qui au travers de cette venue peuvent modifier leur vision des publics en difficulté et des

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missions du CCAS. Je vais laisser la parole à Bruce qui va parler du côté artiste. Bruce Milpied – association C’est dans la boîte

Je vais présenter l’association c’est dans la boîte. La rencontre avec le CCAS s’est faite avec un projet qui s’appelait portraits en milieu urbain qui a réuni trois photographes et une journaliste. Cette exposition a duré 2 mois au CCAS, ça a été le premier lieu qui a accueilli l’exposition de façon spontanée, ouverte. On a trouvé que le lieu était vraiment très bien, très adapté pour faire de l’exposition, présenter de la photographie. Portraits en milieu urbain c’était il y a un an. Depuis, on en est à notre quatrième exposition. La première a été « Les irréelles » avec un magazine qui s’appelle « Compétence photo », la seconde ça a été celle de cet été où nous avons fait quelque chose d’assez léger que nous avons appelé on n’est pas sorti du sable parce qu’on l’a faite très très vite. La toute dernière qui vient de s’installer est une présentation d’un projet qui s’appelle « Gueules d’hexagone », faite par un collectif essentiellement parisien qui s’appelle Argos composé de photographes et de journalistes. L’idée de cette programmation proposée au CCAS est de mélanger à la fois des projets nationaux comme gueules d’hexagone qui est vraiment un projet qui tourne dans la France, mais aussi d’offrir un lieu de présentation pour un des projets qui serait conçu en local et aussi de présenter des expositions collectives de photographes, qui n’ont pas vraiment de lieu pour les présenter. C’est vrai que nous n’avons pas toutes ces démarches de présentation sur un public social, on est plutôt sur une création, une présentation artistique d’un projet, d’un développement et de montrer des œuvres d’artistes locaux, nationaux. Laurent Chivallon – CCAS

C’est vrai que nous nous le disions avec Bruce tout à l’heure pendant les premières interventions, je pense que les deux démarches sont vraiment très complémentaires. Effectivement, il

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y a des publics que l’on nomme en très grande difficulté, qui ont besoin d’un accompagnement et d’une attention particulière, mais la culture est une proposition très large qui doit être développée dans les lieux où les personnes vont habituellement, c’est une démarche qui est complémentaire et qui est nécessaire. Parallèlement il convient de développer le volet dont parlait Bruce : le soutien à l’activité des artistes. Car il est vrai que la reconnaissance de l’activité des artistes, et au-delà de la reconnaissance la question de leur rémunération, est particulièrement importante. La démarche du CCAS est donc multiple en termes de bénéfices pour le public, pour les artistes, pour les intervenants sociaux aussi. Hélène Rassis – association Chahuts

Je suis Hélène Rassis et voici Martine Buton-Simonet. Je suis très bavarde donc cet exercice de 5 minutes m’a beaucoup effrayée, donc j’ai tout écrit. Je suis salariée pour l’association Chahuts qui est une association qui existe depuis 21 ans et qui est née de la volonté de plusieurs associations et structures du quartier Saint-Michel. Aujourd’hui nous sommes trois salariés à y travailler tout au long de l’année sur des projets qu’on appelle des projets au long cours et aussi sur l’organisation du même nom que l’association d’un festival annuel qui s’appelle donc le festival Chahuts : un festival des arts de la parole. Nos bureaux administratifs sont situés au cœur du centre d’animation SaintMichel, dans ce quartier qui nous a fait naître. Comme on n’a pas de salle de spectacle qui nous est dévolue, on tisse des par-

tenariats avec des structures très différentes avec lesquelles nous co-fabriquons , ainsi qu’avec de nombreuses autres personnes, des projets de toutes sortes et comme ça on dit qu’on en partage la co-responsabilité. Je vais donc vous présenter un de nos projets au long cours qu’on a appelé le projet des « greetchahuteurs ». Il s’agit avec ce projet-là de proposer des balades sensibles dans le quartier Saint-Michel, ce sont des personnes qui emmènent en balade à peu près 3 ou 4 personnes

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maximum dans le quartier. L’objectif est de favoriser la créativité individuelle, de susciter des rencontres, des échanges, la découverte de lieu ou de structure, de faire-valoir la fonction d’accueil de ce quartier populaire qui est le quartier Saint-Michel et bien entendu de permettre des rencontres artistiques puisque nous disons que c’est notre outil, l’artistique, les arts de la parole. C’est un outil qui permet de

faire un pas de côté pour regarder le monde dans lequel on vit. On dit que ce projet s’adresse à tous, qu’on soit jeune, vieux, résidant du quartier ou de passage et "empêché" ou non. Nous travaillons depuis 2011, à la naissance de ce projet-là. 8 personnes se sont regroupées pour rédiger une charte et ont établi une liste de thématiques possibles pour les futures balades. Ensuite, chacun a activé son réseau pour proposer à d’autres personnes de devenir à leur tour des greetchahuteurs. Chaque greetchahuteur a conçu sa propre balade et en a fait une présentation écrite. Toute l’équipe de Chahuts est impliquée dans ce travail au même titre que les greetchahuteurs qui, eux, sont bénévoles. Pour que chacun se sente accueilli, toutes les rencontres de travail ainsi que tous les temps de balade sont organisés autour de

la convivialité, mot peut-être galvaudé mais on y tient énormément. On propose des petits-déjeuners, des goûters, des apéros, des repas partagés car, pour nous, c’est par là que ça commence. Bien sûr les premières visites et les premières balades ont eu lieu pendant le festival Chahuts ; les personnes qui étaient greetchahuteurs et les personnes qui sont parties en balade ont donc aussi profité des spectacles programmés dans le cadre du festival. Ce qui est important c’est que pour organiser ce type de balades et pour avoir accès aux lieux habituellement fermés au public dans le quartier, les greetchahuteurs ont dû entrer en contact avec différentes structures du quartier : des agents des services municipaux, mais aussi des propriétaires. Grâce à cela on a pu avoir accès à des lieux improbables, insolites, la plus vieille rue de Bordeaux ou encore un garage aty-

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pique dans lequel est installé une balançoire et une fusée. Les balades sont pour Chahuts un des multiples moyens utilisés pour créer des passerelles entre les projets, ils sont aussi un support à la rencontre de nouvelles personnes et de nouveaux lieux. Il y a par exemple une balade qui mène chez un artiste installé dans le quartier, une autre fait découvrir la Halle des Douves et son projet d’aménagement. Chaque greetchahuteur choisit sa balade et la construit dans le quartier. Elles donnent toutes la parole aux personnes et leur permettent d’échanger. C’est un projet en mouvement, l’engouement qu’il a suscité pendant l'édition "Chahuts 2012" nous a poussés à le reconduire pendant les journées du patrimoine, nous avons alors accueilli 120 personnes pendant le week-end. Plus encore, nous avons fait un pont avec le centre d’animation Saint-Michel. Dans le cadre d’Agora, ce dernier a organisé un pique-nique dans la rue Permentade, nous avons pu inviter les greetchahuteurs et le public des balades de la journée à nous y retrouver le soir. Je laisse la parole à Martine qui va témoigner. Martine Simonet-Buton – bénévole association Chahuts

Je vais vous parler de ma balade pour être plus concrète. Il faut dire que nous ne recherchons pas à concurrencer les guides de l’Office du tourisme, c’est tout à fait différent. Pour ma part, j’habite le quartier Saint-Michel et les Capucins comme l’ont habité, mon arrière-grand-mère, mes arrière-grands-parents, mes grands-parents, mes parents, mon père. C’est donc un quartier que je connais bien et que j’ai toujours beaucoup aimé pour sa vie, pour son effervescence, mais aussi parce qu’il est lié à mes souvenirs d’enfance. Mon père nous emmenait très régulièrement en promenade sur les lieux de sa propre enfance, alors quand Hélène m’a proposé de bâtir une balade sensible, j’ai pensé à deux sources que je pouvais utiliser. D’une part cette histoire familiale privée et d’autre part une source plus publique. Un ami de mon père, Monsieur Raoul Guillaume, un vieux Bordelais, a fait des recherches sur la vie

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dans le quartier entre les deux guerres. Il a pioché tout un tas de petits faits divers dans La Petite Gironde qui est l’ancêtre de SudOuest et nous avions, ma sœur et moi, tous ces documents en notre possession. J’ai bâti ma visite sur ce mélange entre vie privée et vie quotidienne du quartier racontée par le journal. De rue en rue, on utilise les petits articles du journal comme un fond sonore alors que les anecdotes familiales, elles, donnent un peu plus de vie, un peu plus de chaleur. Les gens venus assister à mes visites étaient d’horizons assez différents, certains habitaient le quartier, d’autres, d’autres quartiers, certains même en dehors de Bordeaux. Mais ils ont été sensibles au côté authentique

comme au côté anecdotique, parce que cela rend ces visites très proches, cela ne crée pas du Culturel avec un grand « C » comme on le rencontre habituellement, mais quelque chose de vivant. Pour moi ça a été un régal de découvrir ce groupe et de construire ça, parce que je me suis replongée dans l’histoire familiale, j’ai découvert des choses, j’ai relu les travaux de Monsieur Raoul Guillaume et j’ai découvert aussi beaucoup de choses sur l’histoire des quartiers. Donc j’ai pris beaucoup de plaisir à ce travail et à rencontrer les autres personnes qui font des balades. J’ai participé moi-même, j’ai assisté à différentes balades, mon mari prépare la sienne en ce moment. Nous nous sommes inscrits comme bénévoles dans l’association et cette entrée dans l’équipe nous a fait rencontrer encore plus de gens et tout cela à partir de cette participation à Chahuts. Finalement, après des années et des années en dehors de Bordeaux, nous venons de nous réinstaller dans la ville. Hélène Rassis – association Chahuts

Nous avons un nouveau projet : faire d’autres balades en y associant un artiste phonographe. La phonographie c’est le pendant de la photographie, lui, il enregistre des sons et il en fait des cartes postales sonores. L’idée c’est de faire des balades individuelles qui seront aussi sensibles. On pourra partir avec un casque pendant le festival Chahuts 2013 avec une balade sonore qui sera co-écrite

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entre cet artiste phonographe et des greetchahuteurs. On part du sensible comme nous l’a raconté Martine, des histoires personnelles de chacun et on va chercher l’artistique comme un outil pour aller plus loin dans la démarche. Dans notre projet on dit qu’il faut prendre le temps, c’est pour cela qu’on propose un projet au long cours, c’est très important de prendre le temps. Virginie Broustéra – directrice centre d’animation Bastide-Queyries

Bonjour. Le centre d’animation Bastide Queyries à vocation sociale et culturelle est agréé par la Caisse d’allocations familiales de Bordeaux et appartient à l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux. Ce centre est implanté sur la rive droite au sein de la maison polyvalente de quartier, c’est une structure de proximité à vocation intergénérationnelle qui a ouvert ses portes en 2006 dans le cadre du projet de Zone d’aménagement concertée Bastide 1. La singularité de la majorité ou de la plupart des centres d’animation est le développement de projets culturels et artistiques à travers des pôles d’excellence. Celui du centre Queyries est historiquement lié à la thématique des arts du cirque et c’est à l’occasion de l’écriture du premier dossier d’agrément du centre social en 2003 que la

définition du projet culturel, comme outil de médiation sociale mais aussi socioéducative, a pris sens et a été encouragée à la fois par la ville de Bordeaux, par ses soutiens financiers et par la caisse d’allocations familiales pour ses investissements en termes d’équipements pédagogiques. C’est donc très naturellement que nous avons opéré des rapprochements et des parte-

nariats avec des structures éducatives du quartier, tels que les établissements scolaires, écoles élémentaires, collèges et lycées. Nous présenterons deux actions culturelles et artistiques qui sont venues rencontrer les préoccupations socioéducatives, liées à la fois à la valorisation de savoir-faire et au développement des savoirs inscrits dans le cursus d’apprentissage de jeunes élèves.

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La première action : construction d’une structure métallique ou la productique d’apprentissage mécanique au service du projet artistique avec le lycée d’enseignement professionnel Trégey. Quels ont été les objectifs ? Valoriser les apprentissages et les savoir-faire de la productique mécanique ; créer des rencontres entre professionnels du champ artistique et de jeunes élèves en formation à travers un parcours culturel. Quels ont été les publics ciblés ? Une classe de 20 élèves de Bac pro pendant deux années scolaires. Les démarches concrètes entreprises ont été de mobiliser 2 professeurs d’enseignement technique qui ont orienté leurs cours théoriques vers la mise en œuvre des étapes de construction. Un professeur d’arts appliqués, un animateur socioculturel et un médiateur culturel du TnBA ont co-construit les contenus des rencontres entre des professionnels du champ artistique et les élèves. Deux spectacles ont été proposés dans le cadre du parcours culturel, j’en citerai un qui illustre la démarche, c’est un spectacle mis en scène par Gilles Baron. Dans ce spectacle ne figurait qu'une structure en bois, donc pas métallique, qui était un élément de scénographie réalisé par un directeur technique issu de l’enseignement professionnel. À l’occasion des échanges avec le directeur technique et le chorégraphe à la suite du spectacle, les élèves ont pu évoquer leur projet et s’entretenir de la démarche et de l’intérêt de s’entourer d’une équipe technique. Une fois la structure agréée par un bureau de vérification, sa première valorisation s’est inscrite dans le cadre d’un grand pique-nique de quartier, à l'occasion duquel la structure a montré toutes ses potentialités artistiques. Depuis, elle est installée dans la salle polyvalente au service de tous les ateliers liés à de l’aérien et plus ponctuellement en étant un élément de scénographie de spectacles fabriqués maison par des compagnies que nous accueillons. Les points forts de cette action, si on peut les évoquer, c’est

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bien sûr de mettre en présence une équipe pluridisciplinaire ; c’est aussi une des actions qui se reconduisent des années plus tard dans le cadre d’un projet d’éducation, par exemple le projet de construction d’un steadicam, c’est un stabilisateur de caméra, toujours par une classe de Bac pro. On vient donc encore nourrir un projet artistique et technique. Et puis l’idée que faire et apprendre se conjuguent dans les deux sens, apprendre à faire, mais aussi tout en faisant apprendre, décrypter, analyser. On aimerait beaucoup rendre systématique ce genre de coopération entre plusieurs équipes. L’action numéro 2, on reste toujours dans le projet artistique, le spectacle vivant comme outil de médiation scientifique. Ce projet est le fruit d’une rencontre entre la compagnie Silex et une étudiante en master de médiation des sciences. Les objectifs étaient les suivants : – engager de jeunes enfants dans la création d’un spectacle jeunes publics dont le propos artistique serait nourri de références scientifiques. – permettre au plus grand nombre l’accès au savoir, la connaissance scientifique, mais rendre aussi la science plus digeste, plus esthétique. – mettre en valeur sa production. – montrer les phénomènes avec plus d’acuité. – rendre la science plus culturelle. – ouvrir la science vers le sensible et l’imaginaire et montrer une science plus humaine. Ce projet s'adressait à une quarantaine d’enfants âgés de 7 à 11 ans. Les démarches étaient les suivantes : des ateliers techniques, bien sûr liés aux arts du cirque, ont été nourris de rencontres avec les intervenants de l’université populaire et les enfants. Chaque séance se déroulant avec la présence d’une enseignante-chercheur, d’une animatrice socioculturelle et bien sûr de la stagiaire en médiation des sciences.

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Évidemment, il y avait dans cette démarche une sensibilisation aux arts du cirque, mais il y avait de façon concomitante des rencontres, des échanges entre les adultes de l’université populaire, l’enseignant-chercheur et puis cette étudiante en médiation des sciences, pour impliquer ce jeune public et aller à sa rencontre à l’endroit où il était en termes de connaissances et d’apports. Voilà donc des travaux pratiques de construction de fusée, conférence-débat sur l’astronomie, des regroupements pour expliquer le rôle de la science évidemment dans chaque numéro de cirque et enfin pour le spectacle réalisé dans le cadre du festival Queyries fait son cirque. Les points forts : une aventure partagée tant par les enfants que par des adultes engagés. Les enfants ont été force de pro-

position et ont donné un bel exemple de regards croisés entre les univers artistiques et scientifiques. Je voulais vous citer quelques phrases, quelques mots, quelques réflexions issus du site de l’association Les chemins buissonniers qui ont, je pense, largement inspiré cette étudiante et l’équipe au complet concernant le lien et le dialogue entre culture et science, en tout cas ces deux formes de culture. La citation de Léonid Ponomarev : « Nous savons depuis longtemps que la science n’est que l’une des méthodes d’étude du monde qui nous entoure, une autre méthode complémentaire est réalisée dans l’art. L’existence conjointe de la science et de l’art est en soi une illustration éloquente du principe de complémentarité. Vous pouvez vous consacrer entièrement à la science ou vivre exclusivement pour votre art, les deux points de vue sont parfaitement valables mais considérés séparément ils sont incomplets. Le pivot de la science est la logique et l’expérimentation, la base de l’art c’est l’intuition et la pénétration de l’esprit. Mais l’art du ballet exige une précision mathématique et comme l’a écrit Pouchkine : “L’inspiration est tout aussi nécessaire à la géométrie qu’à la poésie. L’art et la science sont complémentaires plutôt que contradictoires. La vraie science ressemble à l’art de la

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même façon que le vrai art contient toujours des éléments scientifiques. Il reflète des aspects différents, complémentaires de l’expérience humaine et ne nous donne une idée complète du monde que lorsqu’ils sont pris ensemble” ». Frédéric Dumon – Maison de quartier du Tauzin.

Bonjour à tous, je vais vous parler de la maison de quartier du Tauzin, mais au préalable, je vais vous parler des maisons de quartier de la ville de Bordeaux. Les maisons de quartiers, pour être simple, c’est au niveau historique les anciens patronages qui se sont progressivement structurés pour devenir maison de quartier, c'est-à-dire labellisés par la ville de Bordeaux. Les plus anciens patronages sont connus des Bordelais, on retrouve l’AGJA [Avant Garde Jeanne d’Arc Bordeaux Caudéran] par exemple ou l’Union Saint-Jean, des patronages qui ont plus de 100 ans. Aujourd’hui il existe 7, voire 8 maisons de quartier qui ont été labellisées. La première a été les jeunes de Saint-Augustin en 1981. La dernière, qui n’est pas encore tout à fait « maison de quartier » mais qui le deviendra sûrement, est une association de quartier : les Coqs rouges dans le quartier Sainte-Eulalie. Cette répartition sur le territoire vient compléter, en termes d’offres d’animations socioculturelles et sportives, l’animation de l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux. La maison de quartier du Tauzin est, elle, située dans le quartier Saint-Augustin. Nous sommes le seul quartier à avoir deux maisons de quartier, au nord les JSA [Jeunes de Saint-Augustin] et au sud la maison de quartier du Tauzin. En règle générale les maisons de quartier sont structurées de la même manière avec 4 grands pôles : un pôle sports, un pôle culture, un pôle animation et un pôle enfance jeunesse. La maison de quartier du Tauzin, n’est pas issue du patronage, elle est née d’une association qui œuvre dans le quartier du Tauzin depuis 1968. La particularité étant que cette association est encore dirigée par son président fondateur, Louis Boullesque, pour ne pas le nommer, qui est

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accompagné d’une équipe de bénévoles et de 34 salariés. La spécificité de la maison de quartier du Tauzin est qu’elle s’est progressivement structurée avec des habitants et à destination des habitants. […] Cependant, avec le passage au statut « maison de quartier », on passera d’une offre de loisirs proposée aux habitants à une offre pour le public. Je vais vous parler plus précisément du projet qui nous concerne, c'est-à-dire le projet culturel de la maison de quartier. C’est toujours dans le même axe de travail, une démarche de coconstruction. Bien que les choses bougent, on n’a peu l’habitude dans nos maisons de quartier et en particulier à la maison du Tauzin, d’adopter une démarche de co-construction. En règle générale, dans le sport ou dans les loisirs, nous offrons un certain nombre de prestations, d’activités, etc. Mais on co-construit peu avec les habitants, ou les adhérents et encore moins avec des opérateurs. Dans le champ culturel, nous avons travaillé avec le CREAC [Centre de Rencontres pour l’Action Culturelle] et sur le plan social avec la MDSI. Les Maisons Départementales de la Solidarité et de l’Insertion échangent de plus en plus avec nos maisons, et en particulier avec la Maison du Tauzin, en partenariat également avec des éducateurs spécialisés. Le champ du social, de la prévention prend plus de place dans nos associations, parce que la réalité sociale, notre réalité économique, notre réalité culturelle, s’invitent aussi dans nos associations. Nous devons absolument prendre en compte cette réalité. Donc une démarche de co-construction avec des assistantes sociales, un opérateur culturel, le CREAC et un opérateur socioculturel, la maison de quartier. En préambule, ce projet qui s’appelle Parcours de Découverte Culturelle, les PDC ont été menés par la maison de quartier du Tauzin avec ces deux opérateurs social et culturel depuis 2008. Aujourd’hui c’est la maison de quartier du Tauzin qui porte le projet, alors qu’avant c’était un opérateur social : la MDSI. Progressivement on transfère des compétences du social au

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socioculturel. Dès le départ, l’objectif est d’associer les habitants à cette démarche, donc de co-construction, par des ateliers ou des sorties. On demandera également aux participants, qui sont choisis par l’opérateur social, de réfléchir aux tenants et aux aboutissants de ce projet, jusqu’à l’implication financière. En 2011, on change d’objectif et on demande aux opérateurs de mettre l’accent sur l’autonomie pour présenter un nouveau dispositif. On part d’un dispositif qui s’appelle projet de développement social et culturel pour arriver à un parcours de développement culturel. Ce parcours est une aventure commune entre un groupe d’habitants, une équipe de MDSI et la maison de quartier. En termes d’objectifs, ce qui doit être déterminant

pour le groupe : les travailleurs sociaux et les habitants, c’est la construction, l’organisation et la réalisation d’un projet culturel qui ne se limite pas dans le temps. On est pluriannuel évidemment. Pour les travailleurs sociaux, l’objectif est d’accompagner les habitants de façon à développer leur capacité d’initiative, à mieux appréhender leur environnement, que ce soit les structures, les sites et les partenaires possibles. Pour les habitants, l’objectif est de favoriser l’implication, l’autonomie et l’engagement dans un projet social. C’est le lien entre social et culturel, l’éveil et la découverte. Pour les opérateurs du champ social, l’objectif est de favoriser le partenariat, apprendre à se connaître, et ce n’est pas évident quand on travaille à côté, faire connaître sa structure à un public nouveau, amener son savoir-faire dans la médiation sociale et partager ses réseaux. Pour les opérateurs du champ culturel, l’objectif est de favoriser son savoir-faire dans la médiation culturelle, ce qui n’est pas notre cas en tant qu’opérateur socioculturel, et accompagner le groupe dans la découverte de spectacles vivants favorisant les rencontres. On offre des spectacles évidemment, mais ce qui est intéressant c’est qu’on amène les acteurs à découvrir aussi le public et donc à discuter concrètement de leur savoir-faire, cela permet aussi au public de mieux

comprendre comment les acteurs se positionnent, quel est le véritable projet d’une pièce par exemple, comment ça se 55


monte ? etc. Donc on est vraiment dans l’échange entre le public et l’opérateur culturel et en ce qui nous concerne, pour le champ socioculturel, l’objectif est de faire le lien entre les opérateurs culturels et les opérateurs sociaux, mais aussi de dépasser ce cadre et d’intégrer progressivement les personnes qui sont éloignées de ce champ culturel à venir nous rejoindre dans nos associations pour prendre une place tout aussi importante que n’importe quel adhérent. Il y a aussi des objectifs opérationnels concernant l’implication, la constitution, la mise en place d’ateliers, etc. Ce qui nous intéresse aussi ce sont les moyens, on est sur une coconstruction. Il y a par exemple des moyens mis à disposition par la MDSI, avec des assistantes sociales. À la maison de quartier du Tauzin, on met en place un suivi fait par des professionnels du champ de l’animation. Nous sommes deux à suivre ce projet, avec des moyens financiers mis à disposition par la maison de quartier, par des opérateurs culturels. On va même jusqu’à chercher des opérateurs privés, cette année par exemple le Rotary Club est venu soutenir notre démarche pour accompagner ce public éloigné du champ social ou socioculturel. Les modalités c’est donc l’orientation des participants, l’information est donnée par les travailleurs sociaux et pas spécialement par l’opérateur maison de quartier lors de rendez-vous. Si la personne est intéressée pour rentrer dans ce projet, le lien se fait avec l’équipe opérationnelle, on passe de la MDSI à la maison de quartier jusqu’à l’opérateur culturel. On rend compte évidemment de l’avancée du projet lors de réunions d’équipe où on se réunit régulièrement pour évaluer le dispositif. Le groupe est constitué d’une vingtaine de personnes aujourd’hui, mais c’est extrêmement souple, personne n’est obligé de suivre ce projet à la lettre, tout le monde peut y rentrer à n’importe quel moment ou en sortir s’il n’y trouve plus d’intérêt. L’avantage est que cette souplesse permet d’intégrer de nouvelles personnes. Les critères

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d’évaluation sont le nombre d’actions réalisées depuis 2008, soit une quarantaine d’actions et le suivi d’une cinquantaine de personnes. On est en phase de construction avec les adhérents jusqu’à la réalisation concrète d’actions. Sociologues de l’art (modérateurs)

Merci à tous les intervenants de s’être prêtés à ce difficile exercice. Nous sommes bien conscients que tout le monde n’a pas pu être représenté par les exemples de cette table ronde, mais les actions que chacun mène sur le terrain seront davantage explorées cette après-midi lors des ateliers, dans lesquels nous reviendrons sur l’idée d’une construction de nouveaux projets, de plans d’actions à venir. Ce que l’on retire à chaud de ces premières interventions, c’est qu’il existe déjà à Bordeaux un tissu opérant en faveur des rapprochements des univers et notamment au travers de différentes actions pragmatiques et concrètes. On y reviendra en détail en clôture de la table ronde en faisant une petite synthèse. À présent vous avez la parole et donc beaucoup plus de temps que prévu, c’est peut-être pour vous l’occasion de réagir sur des choses que vous avez entendues et qui vous ont interpellées, que vous souhaiteriez peut-être approfondir ou voir approfondies par les intervenants, des thématiques qui vous importent dans votre réalité de professionnel sur le terrain ou bien de participant à des actions qui vous sont proposées. On parlait des rapprochements entre les univers, peut-être que certains d’entre vous auraient déjà réfléchi à des outils qui permettent cette mobilité entre les mondes de la culture et du social. Est-ce que certains d’entre vous souhaiteraient prendre la parole ? Collectif Bordonor :

Je parle au nom du collectif de ressources Bordonor et du centre social Bordeaux nord. Pour rebondir sur votre dernière question, il me semble que l’accès à la culture et aux pratiques culturelles et artistiques est lié à une démarche volontariste des

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uns et des autres, mais dans « les uns et les autres » il faut aussi mettre les politiques publiques. Parce que la question qu’on peut se poser en permanence est la suivante : pourquoi les gens n’y vont pas ? Ou pourquoi les artistes n’y vont pas ? Pourquoi les lieux culturels ne peuvent pas ? C’est quand même lié à l’échafaudage qui est derrière tout cela, à savoir : quels sont les moyens effectifs qu’on a pour mettre en place, notamment dans les quartiers dits prioritaires, des actions qui peuvent dans la durée ressembler à quelque chose de cohérent par rapport aux pratiques culturelles et artistiques ? Il me semble que le débat, en tout cas moi j’ai envie de le dire comme ça, est aussi un débat de discussions et de négociations permanentes avec des postures politiques au niveau des actions culturelles qui souvent nous laissent à la marge. Sociologues de l’art

Est-ce qu’il y a des réactions dans la salle par rapport à cette question ? Est-ce que certains d’entre vous souhaitent rebondir làdessus ou peut-être poser d’autres questions ? Association Oxygène

Par rapport aux différentes interventions de ce matin, il me semble que les problématiques sont différentes en fonction du public que l’on touche. Je ne parle pas de spécifier le public, mais je parle vraiment d’engager une réception différente du champ artistique. Je m’explique. En ce qui concerne l’association Oxygène, effectivement la personne qui venait témoigner a bien mis en évidence qu’il s’agissait d’un accès à la culture et d’une insertion dans la société. Je crois donc que l’art en tant que tel n’est pas abordé directement, mais c’est plutôt par l’intermédiaire, c’est ce que j’ai compris, indirectement pour une insertion culturelle dans la société, ça c’est fondamental. Par contre lorsqu’on touche un public d’enfants, comme cela a été évoqué tout à l’heure avec le travail du cirque, il me semble qu’il s’agit plutôt d’accompagner la per-

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sonne enfant par un apprentissage, un apprentissage qui s’insère dans le fait de grandir. Et puis lorsqu’au contraire, il s’agit d’offre culturelle par exemple dans l’association Cultures du cœur, il s’agit d’aborder une certaine connaissance de l’art. Donc finalement à chaque fois, on a des problématiques différentes, ce qui fait que les méthodes doivent être différentes et appropriées. Ce qui est le cas bien sûr, mais je crois que si on veut mener des actions vraiment pour mettre en inter-relation le monde de la culture artistique et un public très divers, il faut tenir compte de ces différences. Il faut les penser, on a eu beaucoup d’exemples très riches, mais il faut aussi pouvoir les penser. Peut-être que cela sera développé dans les ateliers. Sociologues de l’art

Effectivement, la pluralité des publics pose une réelle question et rend la tâche complexe pour constituer un réel tissu d’actions communes, coordonner une unité d’actions. Didier Honno – association Culture hors limites et Opéra national de Bordeaux

Coordonner des actions est compliqué même au niveau géographique, aller d’un endroit à un autre est de plus en plus difficile, tous les intervenants l’ont dit. Nous avons travaillé avec le GIHP [Groupement pour l’Insertion des personnes Handicapées Physiques], les personnes handicapées qui ont un problème de mobilité dans leur quotidien. Quand on leur parle de la culture, cela vient en plus. Si on arrive avec des solutions pour compléter tous les petits maillons de la chaîne, on arrivera effectivement à aller jusqu’aux lieux culturels. J’aimerais juste vous présenter l’association Cultures hors limites. Nous avons été prix de l’innovation 2011 de la ville de Bordeaux. Il y a les professionnels comme l’Opéra ou le TnBA qui font des projets pour certains publics, il y a des associations spécialisées qui parlent à leur propre public. Nous proposons que ce soit des personnes individuelles qui discutent entre elles et que l’on va

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encourager à sortir de manière autonome. Je pense aussi que les gens sont intelligents et que c’est l’offre culturelle que l’on va proposer sur notre site qui encouragera les sorties en plus du travail que peuvent faire les associations spécialisées sur un public précis. Je rejoins le TnBA et Nadia qui parlent de ce public qui a les moyens et ne vient pas mais qui pourrait accompagner des personnes qui elles ne peuvent pas. Je vous invite à venir nous rejoindre sur notre site. Jean-Luc Portelli – directeur du Conservatoire de Bordeaux

Je voudrais dire un mot. Le conservatoire est toujours un établissement, une institution présentée comme extrêmement prestigieuse. J’aimerais juste, pour ceux qui ont parlé d’accessibilité de différents publics, vous dire qu’effectivement il y a 10 ans dans le quartier Sainte-Croix Saint-Michel, où on est installé, nous avons réfléchi avec l’inspecteur d’académie à ce qu’étaient les classes musique à horaires aménagés. Effectivement à l’époque, les classes musique à horaires aménagés, c’étaient des gamins très repérés qui étaient dans des classes à part à côté d’autres gamins, d’autres milieux sociaux. Aujourd’hui nous avons des classes musique à horaires aménagés qui sont à destination de tous les publics du quartier. Pour ces publics-là, les classes sont gratuites et l’instrument est gratuit puisqu’on le prête, par contre l’enseignement est absolument le même pour tous. C’est-à-dire que nous avons une revendication de qualité pour tous les publics et nous avons mis en place une série de démarches depuis 10 ans pour que toutes les musiques soient présentes, tous les accès soient possibles. C’est gratuit pour tous les gens qui ne sont pas imposables et malgré tout, je peux vous dire, il reste

beaucoup de travail à faire. Or ce travail, il ne peut pas se faire sans un partenariat avec les acteurs sociaux qui s’intéressent à comment on peut, ensemble, dire à toutes les personnes empêchées… pas « empêchées »… je n’en sais rien. Pour moi c’est très compliqué de comprendre cela. Quand on est en face de parents de classes d’horaires aménagés qui nous expliquent la dif-

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ficulté à comprendre pour un enfant d’être avec un instrument et de faire sa place à cet instrument dans sa vie, on a l’impression qu’on fait un vrai boulot de rapprochement au niveau du développement culturel. On ne sait pas si cet enfant deviendra musicien, d’ailleurs ce n’est pas du tout notre problème. Notre problème c’est qu’il apprenne comme les autres, au même moment que les autres, dans les mêmes conditions que les autres. C’est une invitation que je lance, car nous avons été à une époque beaucoup plus présents dans les associations de quartier. Je crois qu’on a ouvert les portes, beaucoup innové en matière de pédagogie, le conservatoire il y a 12 ans ce n’est plus du tout le conservatoire aujourd’hui. C’est un appel que je lance aux acteurs sociaux

du quartier avec lesquels on ne travaille pas assez, je prends ma part évidemment pour qu’on réfléchisse ensemble, juste pour que les informations soient bien connues, que les représentations ne soient pas dominantes. D’un côté il y a le centre social, d’un autre côté il y a le conservatoire et puis il y a les mêmes gamins qui circulent dans les deux. Peut-être qu’il faut qu’on les connaisse mieux et qu’on agisse ensemble. Mon petit regret c’est qu’on ne participe pas assez, mais c’est de notre faute, aux actions du projet social, on n’a pas assez participé à ce groupe de travail. J’ai envie de relancer cela et d’inviter Chahuts. J’ai été très intéressé par ce que Chahuts a dit, car les arts de la parole c’est aussi le théâtre. Il y a sûrement beaucoup de choses à faire, mais ce n’est pas pour faire de l’animation, c’est pour se dire on peut faire ensemble en étant dans nos rôles et je pense que les gens sont assez intelligents pour le voir et venir ensuite. Dans les classes aménagées et à l’école André Meunier, je suis désolé, c’est gratuit, c’est accessible à tous et bien on n’est pas plein. Quand même, il n’y a aucune barrière, sauf celle, peut-être beaucoup plus fine, de l’autorisation personnelle. Là il faut absolument aider les gens, il faut leur dire qu’ils sont autorisés et c’est vrai que ce n’est pas facile pour certains de rentrer au conservatoire. Dès qu’ils y sont, beaucoup découvrent que c’est un lieu tout à fait simple, mais cela demande une démarche individuelle.

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Je le répète on a une école qui était une école publique, des cours gratuits, des instruments gratuits et pourtant ce n’est pas plein. On devrait crouler sous les demandes, donc il y a vraiment un gros travail à faire et j’invite les partenaires du quartier SainteCroix Saint-Michel à en parler ensemble, car je crois qu’il y a vraiment un très beau projet de développement artistique à faire. Participant

J’avais demandé la parole tout à l’heure, donc c’est peut-être en décalage. C’était en réaction par rapport à votre intervention, Madame, à propos du TnBA. Je voulais rappeler que dans les gros projets, on avait une réflexion à ce propos, sur le fait que les structures elles-mêmes ont à faire un effort de réflexivité, effectivement on peut chacun s’interroger et se demander qui se donne les moyens et s’autorise à aller une fois par an ou dix fois par an au théâtre ou dans un musée. Du côté des professionnels, ils

ont leurs propres barrières et je crois, là on parle des personnes éloignées ou isolées, mais les professionnels qui les accueillent sont parfois éloignés ou isolés ou eux-mêmes empêchés. Est-ce que les structures qui emploient ces professionnels leur donnent le temps, les moyens aussi de s’autoriser à aller vers la culture ? Parce que je crois que le parcours compliqué que l’on souhaiterait faire faire aux personnes que l’on reçoit, on doit nous-mêmes le faire pour être légitime dans l’accompagnement auprès de ces personnes. En ce qui concerne l’accompagnement, la médiation aussi c’est essentiel. Le travail de préparation à une sortie fait en amont par les médiateurs est primordial. Chrystelle Audoit – direction générale des Affaires Culturelles (DGAC) de Bordeaux

J’interviens aussi un petit peu en décalage du fait des différentes prises de paroles par rapport à ce qu’avait dit Monsieur qui est membre actif de l’association Oxygène. Cela m’a beaucoup interpellée quand vous disiez que finalement les gens qui sont « empêchés » entre guillemets, s’ils participaient à notre journée

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aujourd’hui, ils ne suivraient pas forcément la nature des débats. Je crois qu’aujourd’hui l’exercice est intellectuel dans une certaine forme, c’est un travail de réflexion et je crois que le parallèle que vous avez fait avec la culture est un parallèle qui peut être, pas dangereux, mais qui en tout cas dénote un regard qui est porté sur la culture et qu’il faut absolument qu’on arrive à faire évoluer. Ce que je veux dire par là c’est que, pour moi, la culture ce n’est

pas avant tout quelque chose d’intellectuel, c’est avant tout de l’émotion et du plaisir. Je crois que cette image d’apports très intellectuels qui font que des personnes aujourd’hui sont éloignées de la culture, parce qu’elles ne s’autorisent pas à pénétrer dans ces lieux et qu’elles ne s’autorisent pas à regarder une œuvre d’art parce qu’elles ont l’impression qu’elles n’y comprennent rien - je schématise un petit peu - alors que dans les faits on ne leur demande pas de comprendre, on leur demande de vivre une émotion et aussi avant tout d’avoir un plaisir. Il y a des études assez précises qui ont bien montré que des personnes issues de milieux favorisés dont les parents fréquentaient des lieux culturels, quel que soit leur niveau social ensuite, une fois entrées dans la vie active, et même si elles sont dans une situation sociale plutôt précaire, continuent à fréquenter des lieux culturels. Alors qu’a contrario, des gens qui sont issus de milieux modestes, ou du moins de milieux qui ne fréquentaient pas les structures culturelles, quand elles arrivent, elles-mêmes, dans la vie active et même si elles ont un niveau de vie plutôt développé, elles ne fréquentent pas les lieux culturels. L’enjeu, en tout cas la ville de Bordeaux a axé son travail là-dessus, c’est peut-être de travailler

sur les très jeunes publics parce que c’est là que se joue aussi l’enjeu de la fréquentation culturelle. Il y a des partenariats qui existent avec l’éducation nationale, on en a dans les musées un exemple avec le travail formidable que font les enseignants détachés par l’éducation nationale, mais il nous semble que c’est largement insuffisant parce que l’enjeu est vraiment là. Je crois que si des enfants fréquentent des lieux culturels depuis le plus jeune âge, ils font complètement tomber cette barrière parce

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qu’ils sont, eux, je dirais naïfs, ouverts, sans complexe vis-à-vis de l’œuvre. Quand je dis l’œuvre c’est au sens générique. Ces gens-là s’ils le vivent très tôt dans leur expérience, ils continueront à fréquenter ces lieux-là parce qu’ils n’auront pas cette barrière psychologique. On l’a vu avec les expériences de tarification pour rendre les lieux accessibles, on sait très bien que c’est nécessaire, mais c’est très loin d’être suffisant. Ce travail-là doit être fait avec les très jeunes publics, c’est là qu’est, selon moi, l’enjeu principal pour faire en sorte que ces gens-là puissent accéder à la culture dans leur vie adulte. Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Je voulais réagir par rapport à la personne de Cultures hors limites qui parlait de barrières psychologiques et qui dégageait différents types entre guillemets « d’empêchement », c’est-à-dire l’éloignement, le handicap, l’argent, etc. En fait, effectivement sans ces empêchements, on n’est pas sûr non plus qu’on aille voir une exposition, un spectacle. On a l’argent, on est à côté, on est en bonne santé, tout ce que vous voulez, on n’y va pas quand même. Le problème au fond c’est de susciter de l’intérêt et plus exactement de l’investissement psychique, psychologique qui passe souvent par l’affectif. Quel est le moteur du spectacle, aller voir un spectacle pour se faire plaisir, oui mais quel est le moteur du plaisir, on n’a pas forcément de plaisir quand on est devant un spectacle qu’on trouve justement abstrait, bizarre, étrange, loin de son propre vécu. Cet investissement psychologique peut se faire sur différentes modalités, on en a évoqué quelques-unes ce matin, par exemple en suscitant la mémoire, en s’intégrant dans un groupe, une association, en suscitant un regard sur son propre environnement. Oui je sais Hélène Rassis me regarde car c’est aussi ce que font d’autres, notamment Chahuts. Madame Brandalise a dit : « il faut que les artistes soient au cœur du système et puissent prendre la parole », mais les artistes ils le font en faisant. Le fait de créer c’est leur prise de paroles. D’un autre

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côté, on a beaucoup évoqué l’importance des lieux de vie. L’exposition de photographies au CCAS, c’est être dans l’œuvre, c’est un lieu de fréquentation et ça c’est important d’aller

aussi bien dans le lieu de vie des personnes que dans les lieux qu’ils fréquentent. On a parlé de faire des diagnostics de fréquentation, mais l’environnement des personnes c’est y compris soi-même, puisqu’on est à soi-même et aussi les autres qui nous entourent notre propre environnement. L’environnement, ce n’est pas seulement le lieu que l’on fréquente, c’est aussi les gens que l’on fréquente, les proches, les modes de vie, etc. Je crois que ces deux éléments-là : l’artiste qui fait et d’un autre côté l’environnement au sens élargi, sont absolument compatibles en ce qu’ils sont en écho. C’est dans cet écho qu’il faut travailler. Il y a d’autres problèmes comme celui des politiques de la ville, OK, mais dans ce problème-là, psychologique, on aurait deux indices parmi d’autres. On va en trouver d’autres. Sociologues de l’art

Est-ce que vous pensez qu’il peut y avoir un transfert d’enthousiasme entre ces professionnels qui sont sur le terrain et ces publics ou ces personnes qui sont isolées pour différentes raisons ou qui s’isolent elles-mêmes pour différentes raisons ? Finalement, est-ce que l’engagement et la motivation de l’engagement des gens de terrain et de ceux qui les accompagnent n’est pas aussi un moyen d’agir à travers la transmission de cet enthousiasme ? Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Oui c’est ce qu’on fait, c’est ce qu’ils font à Chahuts, c’est un des éléments, il y en a d’autres. C’est la transmission dans le fait de communiquer à quelqu’un. Cela va se ramifier, bien sûr. Je crois que c’est dans ces types de modalités qu’il faut travailler, trouver des réponses qui sont déjà trouvées par ailleurs.

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Nicolas Rousset – Centre animation Bastide Benauge

Bonjour tout le monde, je travaille au centre d’animation [de la Benauge]. Je voulais juste réagir par rapport à la définition de la culture. Personnellement pour moi la culture c’est toute la population, tous les gens qui vivent dans le quartier. Depuis deux ans je travaille dans le quartier de la Benauge, je peux vous dire qu’au niveau culturel c’est d’une richesse extraordinaire, j’apprends tous les jours. Comme nous tous ici dans ce temps culture-social / inter-actions, nous sommes quand même des privilégiés, souvent quand je raconte ce que je vis au quotidien dans des colloques dans des quartiers, on est des privilégiés, on est ouvert à tout le monde, on a la possibilité d’apprendre tous les jours, il n’y a pas une heure où on n’apprend pas quelque chose grâce aux acteurs de la culture, mais aussi, je pense aussi aux professionnels qui vivent avec la population dans les quartiers. Je voulais juste revenir sur un élément qui me semble important, c’est le levier de la jeunesse. On a parlé de différents projets Ma voix et toi, de Queyries fait son cirque, on peut parler aussi de Clair de Bastide pour la danse à la Benauge, etc.

Très tôt il faut donner envie aux enfants de voir des lieux, mais aussi surtout de pratiquer. Sans la pratique on ne peut pas apprécier. Il faut essayer pour qu’à un certain moment on trouve un intérêt, cela peut être dans le sport ou la culture, mais c’est incontournable. Pour la plupart ici on en est tous conscients. Je voulais juste rajouter quelque chose sur la jeunesse, les plus grands, les 12-25 ans, c’est plus compliqué pour plein de raisons. Heureusement que nous avons une ville comme Bordeaux qui soutient des projets, la Caisse d’allocations familiales, le Conseil Général, etc. Mais bien souvent on est obligé de faire un choix, de choisir un projet au dépend de 2 ou 3 autres projets, mais il faut à mon avis finir le travail. On parlait à un certain moment des adultes qui amenaient leurs enfants parce qu’ils ont « baigné dedans ». Mais en fait, il ne faut pas s’arrêter à 11 ans parce qu’ils ont pratiqué, il faut encore les accompagner pendant des années jusqu’à un certain

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moment où ils prendront le relais à nos places peut-être et que cela devienne une évidence. Il faut aller au bout du travail et le bout du travail c’est l’enfance et la jeunesse, c’est les 0-25 ans. Sylvia Dal Molin – Crèche Le Jardin d’Hortense

Je représente la crèche à Bordeaux Bastide qui intègre des enfants handicapés en milieu ordinaire. Je voulais rebondir làdessus justement. C’est en touchant les jeunes enfants qu’on va aussi toucher les parents, parce qu’il faut associer les parents aux ateliers de pratique qu’on peut mettre en place, aux rencontres avec les artistes, quand les artistes viennent à la crèche. C’est en touchant ces parents et ces familles, peut-être éloignés, qu’on pourra faire des choses. Pour tout cela il faut le soutien du politique et des moyens pour faire des actions pérennes et non pas du saupoudrage, une année, deux années et tout arrêter du jour au lendemain. Marc Lajugie – président de l’Association des Centres d’animation de quartiers de Bordeaux (ACAQB)

Dans ce débat ce matin, je retiens l’interpellation. Comment

se fait-il qu’il y ait autant de possibilités culturelles d’ouvertes et si peu d’utilisateurs ? Moi je poserais une question : est-ce qu’en France on prépare le citoyen à la culture ? Contrairement à ce qui se fait dans les pays nordiques, dès l’école, la culture est un élément pédagogique de base. Est-ce que ce n’est pas là qu’est le véritable problème ? Le citoyen on le prépare à l’école, je crois qu’effectivement là on a un déficit pédagogique énorme en France. Tant qu’on ne comprendra pas ça, je crois qu’on se trouvera dans ces situations où, effectivement, on

dépense beaucoup d’argent pour ouvrir des lieux culturels qui ne sont pas utilisés comme ils devraient l’être par une majorité de citoyens. Voilà ce que je retiens.

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Martine Simonet-Buton – bénévole association Chahuts

Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit par les deux derniers intervenants et je voudrais apporter un témoignage. En tant qu’institutrice pendant bien longtemps rue du Pas Saint-Georges à la ville et ensuite en pleine campagne, je me suis rendue compte que ce n’était pas seulement les enfants que l’on devait former pour l’avenir en leur permettant un accès à la culture, mais que les enfants on peut s’en servir comme transmission et il y a beaucoup de populations, de femmes en particulier, qui ont des rapports très étroits avec les institutrices parce qu’elles leur confient leurs enfants. Tout le temps que j’ai vécu à la campagne, j’ai organisé beaucoup de sorties en ville et beaucoup de mamans de Charente-Maritime m’ont dit : « moi je n’aurais jamais osé prendre le train toute seule, je n’aurais jamais osé prendre l’autocar toute seule et je découvre le musée c’est formidable, je vais y revenir avec les enfants, avec mon mari. » L’enfant peut aussi servir de levier et pour cela c’est vrai qu’il faut s’appuyer sur l’éducation nationale et qu’il faut changer beaucoup de pratiques pédagogiques, pour mettre l’art et la création au niveau des enfants au quotidien. Participant

Je partage pleinement les interventions, les deux dernières en particulier qui montrent qu’en définitive la partie éducative est tout à fait essentielle dès le plus jeune âge. Cela a été dit également avec Jean-Luc Portelli avec l’exemple des classes à horaires aménagés. Mais se pose le problème des relations avec l’éducation nationale. Nous avons des relations avec l’éducation nationale, au niveau des musées nous avons des enseignants qui sont détachés pour certains musées en tout cas. Quel est le rôle de ces enseignants ? Ce n’est pas de conforter l’équipe des musées, non, c’est d’être des médiateurs vis-à-vis de leurs propres collègues, car sensibiliser les jeunes très tôt à une pratique instrumentale à un choix, c’est bien, ce sont des amateurs éclairés, des praticiens par la suite. La difficulté c’est de toucher les enseignants. Je parle

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sous le contrôle d’Anne-Sophie Brandalise, on avait passé une convention avec l’IUFM il y a quelques années, en se disant c’est une occasion, dans le cadre de la formation des enseignants, d’intégrer un module autour des problématiques de la culture. Ça a été un échec total, ce qui est très regrettable, lorsque les enfants ont la chance d’avoir un enseignant motivé qui va préparer une visite, qui va inciter aussi les parents à aller voir, c’est extraordinaire. Malheureusement celui qui n’a pas cette chance-là et qui se trouve à côté avec un enseignant qui n’est pas très motivé ou qui est plutôt motivé par le sport par exemple, c’est bien dommage. Donc il y a un travail effectivement à faire et ce qui serait intéressant c’est que la culture soit intégrée dans le programme scolaire et non pas en périscolaire. C’est un peu le problème. Intégrée dans le milieu scolaire, cela veut dire avec une vraie stratégie

participative du corps enseignant dans son intégralité et en relation avec le milieu associatif, avec les artistes, avec les établissements culturels. Il y a beaucoup de choses qui existent, beaucoup de choses qui se font, beaucoup de choses qui ne sont pas activées. La médiation évolue aujourd’hui très fortement et c’est essentiel. On a besoin de plus en plus de médiateurs qui assurent cette inter-relation mais il ne faudrait pas non plus, je me réfère à mon jeune âge des patronages, on vivait tellement le patronage qu’on n’allait pas voir le patronage d’en face. On vivait son quartier et que son quartier. Le but pour les jeunes d’aller vers les maisons de quartiers ou les centres sociaux, ce n’est pas de les enfermer dans ce quartier par rapport à d’autres établissements, c’est d’avoir un va-et-vient. Le but c’est au travers des

exemples qui ont été rapportés, faire des actions de proximité partagées, des co-réalisations, en utilisant les ressources qui existent, et puis aller sur les lieux de pratiques, un musée ou autre chose, avec un aller-retour. Et vous toucherez les enfants, les parents, vous toucherez la famille et donc à partir de là il y aura une vie de quartier et aussi d’inter quartiers.

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Membre de l’Association Oxygène

En vous entendant tous aujourd’hui, cela m’a inspiré certaines réflexions. Je voulais revenir sur ce que deux ou trois personnes ont dit, des éléments que j’ai pu réunir mais pas entendu de manière explicite, vis-à-vis de la prise de conscience de la part des acteurs que vous êtes, mais aussi des personnes ou des publics qui sont en demande, en besoin de culture. On a parlé de propositions, d’offres, mais par contre on n’a pas tellement parlé de demande. Surtout le mot aussi que je n’ai pas tellement entendu c’est le mot besoin. Comme votre collègue l’a dit tout à l’heure une des questions essentielles qu’il y a ici et qui est peu abordée parce qu’elle est difficile à entendre est : qu’est-ce que c’est la culture, les cultures ? Chaque personne est porteuse d’une culture, qu’elle soit socioculturelle, historique, d’un savoirfaire, elle a des cultures, elle est intéressée par la grande culture entre guillemets « classique » mais elle peut être aussi force de proposition pour créer sa propre culture, tisser quelque chose, pour elle-même, pour les autres. Un des points sur lequel je voulais revenir surtout, c’est la question du besoin. On a besoin de culture, c’est sur ce point que les personnes qui participent aux associations peuvent être intimement touchées. Effectivement, la culture ramène à l’émotion ou éventuellement à l’intellect, quand elle a été un peu plus vécue, pas nécessairement de manière empirique, cultivée, élaborée, discutée par différentes manifestations, par l’acquisition d’un métalangage ou aussi parce qu’on est issu d’un certain milieu, qu’on a fait certaines études. Mais au niveau de tous, la culture dans le sens le plus général où on peut l’entendre, social ou je ne sais quoi, c’est un besoin. Les gens qui n’en ont pas, qui en ont peu, sont en souffrance. Je pense qu’ils ne s’en rendent pas nécessairement compte, parce que cette souffrance, cette sècheresse dont ils peuvent être victimes les empêche en fin de compte d’être des personnes relativement équilibrées, je veux dire en termes de bonheur et ça les frustre de manière sociale, ça les frustre en tant que personne, ça les empêche d’avoir une action citoyenne de participation active,

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parce que sans la culture elles en sont réduites à des comportements, je dirais, plus primaires dans l’expression de leur ressentiment, de leur questionnement, de leur besoin créatif. Je suis bénéficiaire du RSA depuis un petit moment, depuis la fin de mes études puisque j’ai eu des emplois par intermittence, comme cela peut être le cas. Il y a en France la chance d’avoir un revenu minimum de pauvreté qui est établi, on a un seuil de pauvreté et on a différents mécanismes qui ont été mis au point historiquement pour y remédier, pour aider les gens dans cette situation-là. Sociologiquement, on est capable de définir à partir de quel moment on passe sous un seuil de tolérance sociologique qui amène dans l’isolement, mais on n’a pas mis au point un seuil de pauvreté culturelle, alors que pourtant c’est une des questions essentielles ici, qu’il s’agisse de la grande culture ou d’une petite culture disons personnelle que l’on peut proposer. On n’arrive pas à identifier un niveau en dessous duquel on se retrouverait en situation disons de misère culturelle. Sociologues de l’art

Est-ce que vous faites le lien, ou volontairement vous ne faites pas de lien, entre une précarité culturelle que vous décrivez comme une sècheresse et une précarité financière qui ne permettrait pas d’accéder à la culture ? Est-ce que vous faites un lien entre ces deux empêchements ? Membre de l’association Oxygène

Il y a une corrélation. Les deux apparaissent souvent conjointement. Au niveau des acteurs, quand on arrive à proposer quelque chose même quand c’est gratuit, c’est à côté, c’est disponible, les salles sont libres on peut même l’amener chez vous, vous amenez un animateur chez vous pour les personnes handicapées, quand on donne toutes les facilités possibles, on ne pourra jamais forcer quelqu’un qui n’en exprime pas le besoin, alors que pourtant ils n’en sont pas nécessairement conscients. C’est dans leur vie quotidienne, que nécessairement par des

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petites actions du fait que la culture est imbriquée avec chaque élément de ce que nous sommes, dans notre participation sociale, culturelle, intellectuelle qu’on se rend compte qu’il peut y avoir des manques. Il faut faire admettre aux gens qu’ils peuvent avoir des manques émotionnels, des manques parfois culturels. C’est cela surtout qui m’a intrigué ce matin. Il y a mille et une propositions à Bordeaux, c’est terriblement riche, de toute ma vie je ne pourrai jamais tout essayer. Placé du point de vue inverse, non pas des acteurs qui proposent car nous sommes des privilégiés comme cela a été dit, parce que nous pouvons en bénéficier, nous savons que cela existe, et là encore la question du réseau entre en compte. Moi, c’est surtout cette question par rapport à l’utilisateur ou peut-être le producteur individuel, non pas l’animateur, pas l’artiste, ou alors l’artiste au sens ou n’importe qui peut devenir son propre artiste. Sociologues de l’art

Effectivement, trois acteurs interagissent : les publics, les personnes isolées ou éloignées de la culture, les structures qui les accueillent et qui relaient des propositions à travers l’action d’artistes dans une réalité à trois branches que l’on a tenté de mettre en avant ce matin. Je voulais juste prendre la parole rapidement pour un point rébarbatif en revenant à la définition des termes. Ce doit être ma formation de sociologie qui déteint… Juste une question, est-ce que vous faites une distinction entre ce qui est de l’ordre de l’art et ce qui est de l’ordre de la culture ? Je me permets de préciser ça parce que ça a son importance, quand on parle de la culture on parle de quelque chose qui est fondamentalement trans-sectoriel, quand on parle de l’art, c’est fondamentalement sectoriel. Il y a l’art visuel, l’art théâtral, l’art dramatique, l’art du spectacle vivant, ça a des conséquences en termes de politiques publiques, en termes de pratiques surtout et donc je pensais qu’il était utile de faire ces précisions à ce moment de la journée avant de travailler dans les ateliers.

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Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

C’est une excellente question et nous nous la sommes posée, il y a plusieurs réponses. Je ne suis pas là pour amener la réponse, surtout pas. Les différentes voies sont que oui, il faut faciliter à la fois l’accès à l’art et à la culture et vous avez entendu ce matin les propos du maire, il a même rajouté l’art à côté de culture, mais en même temps, dans le groupe projet qui a préparé cette journée, on voulait rester suffisamment ouverts en disant et je l’ai dit très vite en introduction de cette journée, on prend la culture telle que définie par l’Unesco, en disant une égale reconnaissance de la dignité des personnes, sous-entendu ne pas cantonner strictement la culture avec le champ artistique. Mais, que ce soit ce matin dans les différentes interventions ou cette après-midi, les deux pourront autant être abordées, surtout pas opposées. On avait le parti pris dans la dernière formulation que effectivement la culture intègre toute la partie artistique, mais c’est bien plus large et vous avez raison d’avoir posé la question. Véronique Darmanté – enseignante mise à disposition au CAPC de Bordeaux

Juste pour une petite réponse, les arts visuels qui concernent aussi bien la musique, que le théâtre, font partie de la culture humaniste au même titre que l’histoire-géographie. Nous sommes bien conscients, je vais être un peu corporatiste, au sein de l’éducation nationale, que notre rôle est d’amener tous ces enfants à la culture à part égale. Merci aussi à la mairie pour la convention éducative qui a été signée et qui facilite cet accès. On peut être rassuré, car 40 000 nouveaux enseignants vont arriver, ils seront donc porteurs de cette culture pour tous. Dominique Ducassou – adjoint au maire de Bordeaux

Une précision, depuis deux ans, on a un groupe de travail qui associe la Direction culturelle de la ville de Bordeaux et des démographes de l’Université de Bordeaux IV, on travaille sur le prévisionnel de l’évolution de nos territoires en matière de popu-

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lation et d’aménagements pour savoir quels aménagements sur le plan culturel ? Comment se fait l’accessibilité ? Qu’est-ce qu’il manque ? Est-ce qu’on doit relocaliser ? C’est comme cela d’ailleurs qu’on relocalise certains établissements culturels pour avoir un meilleur équilibre entre la rive gauche et la rive droite, que la Garonne soit un axe de centralité et non pas une délimitation de la ville. C’est un travail en profondeur qui est réalisé sur l’objectif 2030 et qui se poursuit en ce moment avec Bordeaux IV. Cela nous est extrêmement utile. […] Guillaume Sengenes – coordinateur du projet social de la ville de Bordeaux

Je voulais juste témoigner de la démarche du projet social qui lui aussi est transversal, dire que la richesse des débats aujourd’hui… les questions qui sont liées à la sémantique sont très vastes parce que le sujet est très vaste. Mais on a une attente, nous, au niveau institutionnel du projet social et plus particulièrement de ce gros projet-là, de cette action-là, c’est justement tenter de répondre à cette question, l’intitulé est assez long, car c’est une réflexion qui est large, compliquée, qui mélange des champs qui ne se mélangent pas toujours. C’est compliqué, mais comme le disait le maire ce matin, on attend du concret, on attend

vos idées, on se rend compte qu’il y a mille et une propositions, mais est-ce que ces propositions suffisent ? Est-ce qu’elles ne suffisent pas ? Est-ce que c’est une histoire de communication ? Est-ce que c’est une histoire de médiation ? Est-ce qu’il y a des choses à inventer ? Est-ce que c’est plutôt de la mise en réseau ? Nous on se pose énormément de questions. On est nombreux aujourd’hui, on a beaucoup d’acteurs culturels qui nous disent : « nous faisons énormément de choses. » On a beaucoup d’acteurs sociaux qui nous disent : « mais nous aussi on fait énormément de choses. » On a ces deux mouvements, soit ils se rencontrent, soit ils ne se rencontrent pas, mais c’est vraiment cette notion de rencontre, quels sont les efforts que l’on fait chacun qui peuvent être mutualisés ? Quelles

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sont les nouvelles idées de recettes ? Quelles sont ces mises en lien ? La mise en lien des structures, la mise en lien des pro-

fessionnels, la mise en lien des publics avec une offre vers les publics. Enfin cela va dans tous les sens, elle est très large, elle est très compliquée, c’est pour cela qu’on se fait accompagner. On a mis longtemps à formuler ce colloque mais on a une vraie attente. Si on repart sur des définitions aujourd’hui c’est parce que nous, on attend vraiment du concret. Sinon des colloques comme cela on peut en faire un chaque année, le sujet est tellement vaste, on peut même en faire un tous les mois, on n’aura jamais épuisé la réflexion. Vous agissez déjà beaucoup, on se dit qu’il y a des marges de progrès : quelles sont-elles ? On compte sur vous pour nous les dire. Participant

Par rapport au TnBA et le fait qu’il y ait des personnes qui ont les moyens mais qui ne fréquentent pas le théâtre, sauf que ces personnes, elles ont le choix de fréquenter ou pas et elles ont les moyens. Elles ont le choix or les personnes qui sont en situation difficile n’ont pas ce choix. Sociologues de l’art

Est-ce qu’il serait possible cette après-midi de mettre en perspective la notion de choix dans sa globalité, c’est-à-dire que l’interdiction personnelle, l’autocensure est une forme de non-choix également au même titre que peut l’être l’absence de moyens financiers. C’est le dialogue entre ces deux problématiques qui rend véritablement la question complexe. Il peut y avoir une autocensure qui est un véritable empêchement et du coup qui devient un non-choix d’accès à la culture, au même titre que peut l’être un empêchement financier.

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Quelques mots de synthèse par Pauline Vessely et Émilie Viaud Pauline Vessely

Merci à tous pour ces échanges. Pour conclure assez brièvement, peut-être pouvons-nous essayer de ramener ces différentes réflexions sur le terrain, toujours dans cette perspective d’un plan d’actions concret. Je commencerai par deux axes qui me semblent importants dans tout ce qui a été dit. 1- On note qu’il y a différentes échelles d’intervention et que vous semblez tous les avoir bien identifiées. On a parlé de familles, on a parlé d’individus qui transmettaient des choses personnelles, on a parlé d’école, on a parlé de loisirs, on a parlé de beaucoup de choses. Le terme de maillon dans une chaîne semble important. Maintenant que toutes ces échelles sont identifiées, la question serait de savoir comment fait-on

concrètement pour coordonner davantage ces échelles déjà existantes pour que tous ces petits maillons deviennent une chaîne. Je pense que c’était une direction importante, notamment pour inscrire toutes ces actions dans une forme de pérennité qui ressort de votre discours comme étant un élément fondamental de possibilité d’améliorer ce qui est en place. 2- Le deuxième axe est la notion de mobilité. On l’a beaucoup évoquée, on a parlé de dynamique, on a parlé d’aller vers les publics, d’amener les publics vers les institutions mais peut-être que cette notion de mobilité est à développer davantage. Ne pas se limiter à penser à aller vers le public ou emmener le public vers une institution. À ce titre je trouve que l’exemple du centre d’animation de Saint-Michel, ce qui se fait avec le TnBA, Malick Gaye a bien mis en avant que c’était le centre d’animation qui avait sollicité le TnBA, c’est aussi une piste de réflexion intéressante de voir que des structures, on a parlé aussi beaucoup des associations, étaient capables ou en mesure d’aller solliciter des institutions « sacralisées », ou ce que vous voulez. Ils pouvaient, eux-aussi, ils étaient légitimes dans cette démarche de

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justement identifier des besoins, des demandes et qu’ils pouvaient faire la démarche d’aller solliciter ces institutions, se faire les porte-parole de besoins, d’envies, de volontés pour mettre en place des actions. Peut-être que cette notion-là aussi permet une autre pérennisation des actions mises en place et un développement autre de cette fameuse chaîne. Émilie Viaud

C’est vrai, ce qui ressort vraiment de ces échanges ce matin, c’est qu’il y a deux dimensions.

Il y a une dimension matérielle à laquelle il faut faire face et il y a aussi une dimension immatérielle qui est celle de l’engagement des uns, de l’implication des autres et du sensible. Cette personne qui par exemple propose des visites autour de son expérience personnelle mise en partage, qui est un élément de transmission et peut-être un élément moteur pour construire quelque chose de concret, un réseau d’action. Pourquoi ne pas aller chercher du côté de l’enthousiasme comme vous le suggériez ou du besoin des uns et des autres. Dans l’immédiat, ce point de vue est un peu théorique mais l’organisation des ateliers cette après-midi, la structuration de ces ateliers vise justement à mettre en avant des éléments concrets et des moyens de construire, ou de bâtir cette chaîne dont parlait Pauline Vessely. L’objectif de ces ateliers est de construire une perspective pragmatique commune et qui s’inscrit dans ce qui transparaît, ce que vous nous donnez à voir. C’est une volonté d’unité et de complémentarité peut-être concrétisée, matérielle, une dynamique favorable à l’élaboration d’un plan d’actions dans lequel vous pourriez agir ensemble.

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Compte rendu de l’atelier 1 : Attentes et enjeux des Inter - actions / Culture – social Connaître et comprendre les enjeux mutuels des différents acteurs des interactions culture / social pour contribuer à désenclaver les empêchements. Existe-t-il des valeurs et perspectives communes ? Les professionnels de la culture et du social souhaitent mettre en dialogue les motivations et les limites de leurs pairs et de leurs interlocuteurs : les publics empêchés. Les professionnels sont-ils eux aussi empêchés ? Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

L’objectif premier, qui est peut-être notre difficulté par rapport à cette journée, est d’abord d’imaginer que l’ensemble des contributions des 80 à 100 personnes qui sont présentes aujourd’hui participeront à élaborer un plan d’actions. Une personne ce matin disait : « il y a plusieurs problématiques ». Certes, il ne s’agit surtout pas de se dire on va définir une problématique. On va travailler à partir d’une pluralité d’avis et de points de vue, mais en ayant à l’esprit que c’est bien l’ensemble des contributions qui seront adressées à la mairie de Bordeaux. Florence Rigal – bibliothèque municipale de Bordeaux

La dernière partie : « les professionnels sont-ils eux aussi empêchés ? » est le point qui m’interpelle le plus. La bibliothèque municipale de Bordeaux est en grande mutation, aussi bien au niveau des pratiques professionnelles que du bâtiment actuellement en travaux. On se rend compte que nous avons un problème de prise de conscience par nos collègues des nouvelles pratiques culturelles du public. Il y a une incompréhension entre le personnel et le public. Le public a des besoins, il

demande des choses et il demande plus de social, notamment plus de sociabilité, de convivialité. Or le personnel est beaucoup dans une posture XIXe siècle où la bibliothèque est un

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temple de la culture, dans lequel on ne doit pas parler, téléphoner, ne surtout pas converser, être sur des grandes tables silencieuses. Effectivement ce problème d’empêchement des professionnels est actuellement en bibliothèque le cœur du problème. J’ai suivi une formation récemment où on expliquait la différence entre les codes des professionnels, en bibliothèque on fait ça et ça et le public il veut ça et ça, comment ces deux mondes qui n’arrivent pas à cohabiter ensemble peuvent réussir à se comprendre et à communiquer ? C’est également une clé pour d’autres pratiques culturelles. Je suis bibliothécaire, je mets très peu les pieds dans les musées, je vais très peu au théâtre, jamais à l’Opéra par exemple, car cela ne me parle pas. Ce sont des mondes que je ne connais pas, que je ne comprends pas et vers lesquels je n’ai pas forcément l’émotion d’aller. Cette question est prégnante et importante. Agnès Vatican – directrice des archives municipales de Bordeaux

Les archives municipales de Bordeaux sont sur le point d’intégrer le projet social au travers d’une action menée cet été avec le centre d’hébergement et de réinsertion sociale de Leydet. Par rapport à cette question de professionnels empêchés, ce que j’ai perçu dans les débats de ce matin, c’est que vraiment la culture est un champ qui véhicule énormément de représentations. Nous avons tous des représentations sur ce qu’est un musée, l’Opéra, ce que sont les archives et nous, archivistes, savons que nous sommes en plus dans un « sous-domaine culturel » qui, peut-être parce qu’il est victime d’une certaine méconnaissance, véhicule encore plus de représentations que d’autres domaines comme les musées ou les bibliothèques. S’il y a une première réflexion à retirer de l’expérience menée cet été avec les résidents du Foyer Leydet et les travailleurs sociaux avec qui cette opération a été montée, c’est effectivement le problème des

représentations et en particulier celles que pouvaient se faire les travailleurs sociaux. 79


Les archives municipales sont arrivées à Leydet comme un « cheveux sur la soupe » avec une obligation de mener une action en direction d’un public empêché, en raison de l’accueil d’une stagiaire de l’Institut National du Patrimoine qui avait l’obligation dans son stage de faire une action de ce type-là. En fait, il a été décidé de profiter de sa venue pour se lancer avec la compétence d’une personne supplémentaire dans l’équipe. La période n’était pas terrible, l’été nous savons bien qu’il y a beaucoup de structures qui sont en sommeil. Le foyer Leydet a rapidement pu être identifié après des envois de mails à un certain nombre d’associations qui n’ont jamais répondu à notre proposition. Les interlocuteurs à Leydet ne voyaient pas eux-mêmes, sans parler d’intérêt, ce qu’il pouvait y avoir à faire avec les archives, en quoi cette démarche pouvait être intéressante. La première barrière à ouvrir a été la connaissance entre les acteurs, entre l’équipe des archives municipales, les personnes engagées sur cette action, les travailleurs sociaux et l’encadrement du Foyer Leydet sur les archives. Cela s’est finalement fait assez simplement, ils sont venus aux archives municipales, tout s’est très bien passé et cette barrière a été ouverte assez rapidement. Le problème des représentations que l’on peut avoir, y compris l’équipe des archives municipales sur le Foyer Leydet, car on perçoit Leydet au travers des archives que l’on conserve, donc plutôt des archives du XIXe siècle avec des références au monde de l’asile, etc. Le premier frein à lever pour monter ce projet était effectivement de revoir complètement ces représentations, de savoir ce qu’était un centre d’hébergement, ce que honnêtement l’équipe des archives ne savait pas et la différence qui existe au sein de Leydet entre deux parties, à savoir l’accueil d’urgence et un accueil semi-stabilisé sur quelques semaines ou quelques mois. De l’autre côté, il y avait aussi des travailleurs sociaux à la fois très intéressés mais en même temps qui ne voyaient absolument pas ce qu’ils pouvaient faire avec les archives et qui ont été a pos-

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teriori surpris par le point auquel on est arrivé dans le cadre de ce projet. François Hubert – directeur du Musée d’Aquitaine

Je souhaite revenir sur un point qui m'est apparu très intéressant lors des présentations, notamment avec la présentation des actions de l’association Oxygène et son accompagnement des publics dans les musées. Ce qui est très paradoxal, c’est de

s’apercevoir que les personnes qui sont les plus en situation de précarité et qui ont aussi un faible capital intellectuel, sont les plus ouverts et les plus curieux à tout ce qu’ils peuvent voir. Ils peuvent aussi bien s’intéresser au Musée d’Aquitaine qu’au CAPC, par exemple. En revanche, les gens qui représentent les classes moyennes cultivées qui ont fait des études etc., sont dans des représentations qui les figent et qui font que s’ils sont clients du CAPC, ils n’iront surtout pas au Musée d’Aquitaine, même si le Musée d’Aquitaine présente de l’art contemporain, comme cela a pu être constaté à l’occasion d’Evento. C’est une constatation intéressante. Récemment il y a eu une expérience intéressante au Musée, deux jeunes femmes d’origine étrangère qui sont en formation continue suivent des cours de Français langue étrangère, avec d’autres personnes de différents pays. Elles ont demandé si le Musée d’Aquitaine pouvait accueillir leur groupe. L’animateur chargé de les encadrer dans leur formation a eu la surprise de constater que d’autres personnes du groupe connaissaient également le Musée, alors que lui ne le connaissait pas. Maintenant, il se dit qu’il peut emmener d'autres personnes qui suivent ses formations en visite au Musée. Donc, nos problèmes de cloisonnement ne sont pas nécessairement chez les gens qui ont un faible capital. Ils sont ouverts à tout car ils sont curieux.

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Marc Lajugie - président de l’ACAQB

Je reprends votre note et je lis : « contribuer à désenclaver

les empêchements ? », la formule est vague. Quel est le contenu et la nature des empêchements ? Si on ne définit pas déjà ce que peuvent être les empêchements, qu’est-ce qu’on peut trouver comme nature d’empêchement ? Ces éléments qui empêchent certaines personnes d’aborder la culture. Madame a soulevé un problème d’empêchement dans l’organisation d’une certaine façon de procéder dans les bibliothèques. Il faudrait définir un certain nombre d’empêchements et à partir de là voir comment on peut y revenir. Quels sont les moyens que nous avons ou dont nous aurions besoin pour régler le problème ? Le mot empêchement est une formule très vague, passe partout. Quel est le contenu de la notion même d’empêchement ? Didier Honno – Opéra national de Bordeaux

Je précise que j’interviens avec une double casquette, au nom de l’association Cultures hors limites et que je suis également responsable des relations publiques de l’Opéra. C’est de ma fonction de responsable des relations publiques de l’Opéra qu’a découlé la création de l’association Cultures hors limites. Je parlerais plus de public visé que d’empêchement. À partir du moment où on n’aura pas identifié un public, on ne pourra pas parler d’empêchement. On a dit ce matin, qu’il y avait un public qui avait les moyens et qui ne fréquentait pas les lieux culturels [...]. Par exemple, vous travaillez en bibliothèque, si vous n’avez pas les moyens financiers, vous avez néanmoins les moyens intellectuels et des connaissances de programmations de différents lieux. Je dirais que toutes les structures professionnelles ont des services et c’est leur travail de travailler sur ces publics captifs et d’aller les chercher. Après en parallèle reste à savoir tout ce public qui n’est pas captif, qui n’est pas sensible aux campagnes de communication, à l’affichage, à la presse et aux autres formes de communication, je dirais que ce public-là, je l’exclurais de fait,

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car effectivement il a un tel choix qu’il y a des professionnels dont le travail est d’aller le chercher. L’association Cultures hors limites a identifié un public de personnes handicapées. C’est un thème et un sujet qui lui tient à cœur depuis plusieurs années. On s’est posé la question de savoir qu’est-ce qui empêchait les handicapés de fréquenter des lieux culturels ? Nous avons travaillé avec de nombreuses associations, UNADEV [Union Nationale des Aveugles et Déficients Visuels], sur différents thèmes du handicap et la seule problématique essentielle c’est le transport, le moyen de venir, d’être accompagné. On peut parler de sensibilisation et de tout ce que l’on veut, mais à quel moment ces personnes-là ont eu l’information qu’un spectacle avait lieu, qu’ils y avaient accès et qu’on pouvait les y amener et les ramener ? Nous avons travaillé sur cette notion-là, très basique. On va faire se rencontrer des personnes valides et des personnes non valides avec différents types de handicap : handicap social, non-voyants ou sourds. On met en lien avec le GIHP [Groupe pour l’Insertion des personnes Handicapées Physiques], avec des associations professionnelles pour donner des conseils, pour être accompagnant, pour fournir des véhicules. Nous avons même créé un site sur lequel les gens vont pouvoir se parler, être géo-localisés en fonction de leurs besoins et pouvoir se dire : « j’aime le classique, je vais pouvoir communiquer sur un forum et j'espère que cela débouchera sur une sortie ». Évelyne Bru – association Culture Hors Limites

Je suis un peu dubitative car il me semble que nous continuons à faire ce que nous avons fait dans les présentations. Depuis ce matin, j’ai l’impression qu’il se fait plein de choses, on a eu un nombre important d’expériences qui montrent que sur

le terrain il y a énormément de gens qui travaillent pour mettre en lien culture et social, que ce soit les professionnels, les associations, les associations de quartiers, les centres sociaux, qui vont vers des publics que l’on sait loin de la culture et pour lesquels il me semble qu’il y a des tas d’exemples d’actions qui

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sont réelles sur le terrain, qui existent. Moi je me pose plutôt la question par rapport à l’atelier : comment maintenant créer un fil conducteur à toutes ces initiatives ? Au lieu de continuer tous à dire voilà ce que l’on fait, voilà ce que l’on pourrait faire ou il existe cela… En fait, il existe plein de choses, on en a eu un petit étalage ce matin lors des présentations, mais il y en a encore plus que ce que nous avons entendu ce matin. La question maintenant est la suivante : comment créer une dynamique commune qui fasse que cela devienne un projet global avec un sens ? Je ne sais pas comment exprimer cet espèce de manque que j’ai. Le constat est là, qu’est-ce qu’on en fait ? C’est la question que je me pose par rapport à toutes ces initiatives qui existent. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

[…] Je vous suis entièrement, juste j’aurais mis au pluriel :

quels fils conducteurs et quelles dynamiques communes ? Sachant qu’elles peuvent être plurielles bien sûr. Élisabeth Magne – maître de conférences en Arts Université de Bordeaux

Depuis ce matin j’entends des choses et j’ai l’impression qu’on réinvente les réponses à ce que Bourdieu a écrit il y a 30 ans. Je ne veux pas faire figure d’ancêtre universitaire, mais il y a quand même des choses auxquelles on a des réponses. La notion d’empêchement elle est portée par un déficit, ou en tout cas une charge symbolique qui n’est pas placée au même endroit par tous les gens socialement. Quand on utilise le mot « empêchés »

il faut évidemment le manipuler avec une grande précaution en se demandant empêchés de quoi ? Empêchés de culture, non. Les gens sont dans des cultures. Alors ce n’est pas la culture dominante si je reprends la terminologie de Bourdieu et il faut aussi se poser la question pourquoi veut-on absolument les amener vers une culture ? Ils n’en sont pas demandeurs. Est-ce que cela nous pose des problèmes en termes de citoyenneté ? Est-ce qu’on a une sorte de visée citoyenne qui

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dépasse leurs demandes réelles et qui irait comme une forme presque thérapeutique de lien social les sauver malgré eux ? Alors qu’a priori et c’est ce qu’exprimait ce jeune homme ce matin il n’y a pas de besoin. Cela il faut quand même l’entendre. Tout ce que j’entends ce matin, on a l’impression qu’on fait venir des gens vers une culture pour laquelle ils ne sont pas demandeurs, qu’ils ne demandent pas. Comment fabrique-t-on le besoin ? C’est peut-être la première question qu’il faut se poser, si tant est que nous soyons en légitimité, je dis nous parce que je me place quand même du côté des fabricants de culture. Dans quelle mesure sommes-nous légitimes à viser, pour un type de gens qui ne viennent pas vers un certain type de culture, à leur demander d’y venir ou aller les chercher pour y venir malgré eux ? François Hubert – directeur du Musée d’Aquitaine

Je réagis à ce qui vient de se dire. Effectivement, je suis d’accord, le débat, en tout cas pour des musées d’histoire à une époque mais cela peut être dit aujourd’hui également, c’était de dire que notre boulot c’est pas de démocratiser la culture,

parce que démocratiser la culture cela veut dire qu’il y a une culture dominante à laquelle tout le monde doit accéder, mais le boulot c’est de cultiver la démocratie. C’est l’inverse, c’est-à-dire de permettre à toutes les cultures d’être vues, écoutées, entendues, etc. C’est là effectivement aussi que se fait le débat. Simon Bailleul – conseiller territorial à la Caisse d’allocations familiales

Je voulais revenir sur la question de choix des personnes et revenir sur une expérience qui a eu lieu à Saint-Michel, cela s’appelle un réseau d’entraide qui a été créé pour des mères seules avec enfants. Le constat de départ était de dire : « nous ne pouvons pas sortir du fait que nous vivons seules avec nos enfants et nous n’avons pas accès à des offres que l’on pourrait qualifier de culturelles ou autres, cinéma, théâtre, musique ». Elles se sont regroupées, elles ont créé un réseau d’entraide, avec une pro-

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position d’accueil pour leurs enfants lors de soirées, ensuite elles ont choisi des sorties qu’elles souhaitaient faire. C’est important car, nous, on travaille sur les conditions nécessaires pour que les personnes puissent après être porteuses de leur propre projet et de se dire aujourd’hui si on a envie de faire une sortie au cinéma, on le peut, si on a envie de faire une sortie au théâtre, on le peut. Finalement, la difficulté est de dire est-ce qu’on doit les inciter à venir vers une offre culturelle ? Ou est-ce qu’on doit travailler sur les conditions nécessaires pour qu’elles soient porteuses de leur propre choix ? Dans le débat qui nous anime, là par exemple, c’était un facteur d’empêchement le fait de vivre seule avec son enfant et d’avoir des problématiques de garde pour les soirées, mais après on pourrait développer. L’exemple que je citais, c’est par rapport à la philosophie que l’on souhaite mettre derrière les projets. Est-ce qu’on travaille en amont ? Ou est-ce qu’on travaille sur la personne et sur ce qu’elle va souhaiter faire ? Ou est-ce qu’on travaille sur l’offre et comment on amène les gens à l’offre ? Dans l’orientation, c’est un peu différent, sachant qu’on peut travailler sur les deux en même temps. J’ai l’impression qu’on a beaucoup parlé de la deuxième, travailler sur l’offre et comment on amène à l’offre et moins sur comment on pouvait travailler en amont et développer l’autonomie des personnes, même si des personnes de l'association Oxygène en ont parlé. Ce qui m’intéresserait c’est de proposer une sorte de modélisation, cela dépend des facteurs d’empêchement même si l’empêchement je ne sais pas trop ce que cela recouvre. Ça peut être une question de handicap, une situation familiale particulière, la question des ressources financières, la question géographique, mais aussi la culture dans laquelle on a été baigné et ce vers quoi on est attiré naturellement. On est tous individuellement ou culturellement différents. Il y a des choix historiques, culturels, individuels, générationnels. Plein de facteurs rentrent en compte et sont à prendre en compte.

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Sylvie Minvielle – DRAC Aquitaine, Conseillère en charge des politiques transversales et du mécénat

Il y a deux points dans ces réflexions. Effectivement le point au niveau de chaque structure culturelle ou chaque structure liée au social, comment chacun travaille à davantage de lien et on l’a bien vu dans les témoignages, chacun dans son coin bricole un peu pour arriver à élargir les publics. Toute cette réflexion doit être globale mais est aussi propre à chaque structure culturelle. Pour certaines structures l'élargissement des publics est même une mission de service public. En parallèle de cette réflexion, il faut qu’il y ait une réflexion globale : au service de quel projet

fédérateur ? Au service de quel projet de la ville pourrait-il y avoir un élan de la culture vers le social ou du social vers la culture ? J’ai envie de parler de projet fédérateur. Pour quel projet les acteurs vont-ils se mettre autour de la table pour développer des actions ? Il y a une autre chose qui me surprend un peu depuis ce matin dans les débats. Toutes les discussions qu’on a eues, on aurait pu les avoir dans n’importe quelle ville de France. Quelle est finalement la spécificité ici, de ce territoire, de cette métropole, qui fait qu’on se pose la question de comment la culture pourrait intégrer le projet social ? Ou comment le projet social pourrait intégrer la culture ? Quelle est la spécificité de cette ville, de ses habitants et des politiques en général pour voir ce qui pourrait être construit. On a vraiment besoin aussi, pour reprendre les propos d’Anne-Sophie Brandalise, au-delà de ce qu’on peut envisager, des mots que l’on peut mettre, quel est le

projet politique de la ville dans laquelle tous les acteurs présents pourront s’inscrire pour porter cette volonté plus haute qu’elle n’est actuellement ? Anne Seston – Rock School Barbey

Je voulais juste réagir aux propos de Simon Bailleul sur l’offre et la demande. À Barbey on a plusieurs types de service, avec par exemple la politique de la ville qui agit beaucoup avec les jeunes des quartiers un peu éloignés. Il y a aussi des actions avec des

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personnes handicapées, des personnes du Mascaret [centre médical] par exemple qui viennent prendre des cours de chant. Autre public, le public des prisons, si je peux dire public, il y a des ateliers d’écriture, etc. Je m’occupe de tout ce qui est prévention santé, risque auditif à Barbey, mais finalement j’ai des demandes de part et d’autres. Par exemple, le centre Peyrelongue pour jeunes aveugles à Ambarès et Lagrave, Jérôme Legoff m’a contactée en m'expliquant qu'il aimerait essayer d’amener des jeunes dont il s’occupe à la musique, leur faire découvrir les instruments, les amener à un concert. Cette démarche vient quand il y a un lien : cette personne fait le lien entre ce public qui lui en a peut-être parlé, le deuxième maillon de la chaîne c’est lui, le troisième maillon c’est moi, c’est vraiment une question de personne, de volonté et de lien. Ce sur quoi nous devons nous interroger ici c'est justement comment faire le lien ? Kirten Lecocq – association la Halles des Douves

L'association la Halle des Douves est un projet transversal qui a pour vocation de devenir une maison associative et des habitants. Je trouve très intéressant tout ce qui a été dit. J’ai été un peu perturbée ce matin par rapport à des définitions, des terminologies, de quoi parle-t-on de la culture, de l’art ? J’aimerais rebondir par rapport à un exemple sur la mobilité, l’accessibilité à des spectacles lorsqu'on est en situation de handicap. L'objectif du grand déballage de la vie associative au mois d’octobre dernier était de réunir des associations, sociales, culturelles, d'arts plastiques, sportives, que « tout le monde » soit réuni. On essayait de créer des interactions entre les associations et le public. Je retiens de cette expérience un exemple particulièrement intéressant, les ateliers de la Klaus Compagnie. Ils sont réalisés par des handicapés et j’ai trouvé que c’était un message très fort au niveau de la culture, du social, même du handicap. Les personnes handicapées en chaises roulantes au travers de l’atelier et grâce à la Klaus compagnie ont fait un spectacle. Tout le monde a été touché parce que la culture au sens large, c’est

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aussi partager des valeurs, des émotions et il y a quelque chose à réfléchir par rapport au lien et à cette création. Effectivement, il faut donner le choix aux gens d’avoir envie, susciter l’envie et peut-être aussi les accompagner dans la création et le partage. C’est peut-être cela aussi l’inter-action / culture-social, les accompagnements de cet ordre-là, pas uniquement dans la consommation pure et dure. Je crois plus à une construction ensemble, cela ouvre les esprits, donne envie de partager, de choisir. On apprend aussi, moi j’ai pris une claque phénoménale avec le spectacle de la Klaus Compagnie. Ce sont des échanges, un partage d'émotion, la culture c’est aussi ça, ce n’est pas uniquement aller au musée. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Tout cela fait partie des interrogations par rapport aux questions que nous avons. De votre point de vue, est-ce qu’il y a des

valeurs sur lesquelles aussi bien des acteurs culturels, sociaux, socioculturels ou des artistes peuvent se retrouver ? Qu’est-ce que vous rajouteriez dans ce sens-là ? Kirten Lecocq – association la Halles des Douves

Pour moi c’est fondamental : pourquoi veut-on des interactions entre le social et la culture ? On pourrait se dire peu importe, il y a la culture d’un côté et le social de l’autre. Non, je suis foncièrement convaincue qu’au travers de la culture, enfin la culture c’est tellement vaste, mais c’est un champ

des possibles qui permet des échanges. Tout le monde s’enrichit au travers de cela . On a envie que le social rejoigne la culture parce que c’est un des moyens utilisés pour qu’il y ait une paix sociale. C’est aussi au travers de la création de ce genre de choses que c’est possible et ce n’est pas pour rien que nous sommes aujourd’hui autour de cette table. Oui effectivement, le politique se questionne peut-être aussi par ce vecteur-là, ce lien social-culture. On doit aspirer à quelque

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chose dans lequel chaque humain va pouvoir s’y retrouver et partager sa culture. Dans un cadre très apaisé au niveau social, le mieux vivre-ensemble. Nicolas Rousset – Centre d’animation Bastide Benauge

Je reviens sur ce qui a été dit par Simon Bailleul et enrichi par Kirten Lecocq. À mon avis, c’est incontournable de lier le social, la culture et l’économie. L’expérience sur la Benauge, où on retrouve dans les lieux le centre social, la MDSI comme partenaire, la Caisse d’allocations familiales, les éducateurs spécialisés avec un besoin bien particulier, culturel, social, économique, enfin peu importe. La personne qui rentre dans ce lieu, va chercher ce dont elle a besoin, un besoin bien défini : avoir un rendez-vous avec la Caisse d’allocations familiales, une Conseillère en Économie sociale et familiale ou pour un problème éducatif avec les enfants. Ils rentrent dans un lieu qui apporte plein d’autres choses. J’ai plein d’exemples de familles qui sont rentrées avec un besoin bien spécifique et qui ressortent avec l’envie d’inscrire l’enfant dans le centre d’accueil et de loisirs, de participer à des sorties en famille, d’avoir des réponses par une conseillère en économie sociale et familiale spécialisée en gestion. On voit des résultats nous sur le terrain, par exemple des personnes qui n’avaient jamais imaginé participer à des actions telles que Ma voix et toi avec leur enfant, rentrer à l’Opéra ou un jeune faire du cinéma. Au départ, il vient passer un peu de temps, voir ce qui se passe, faire une activité complètement ludique et à la fin il est engagé dans un projet d’une année avec la création d’un film. Ces lieux stratégiques sont importants car il y a de l’échange, une rencontre. Donc il faut que les portes soient ouvertes et on arrive à traiter énormément de points. C’est un message d’espoir. Pour revenir sur les propos de Simon Bailleul, il faut mettre en place des actions qui à un certain moment vont apporter autre chose, cela peut être la danse. Concrètement à la Benauge un enfant qui veut faire du hip-hop aura l’occasion de rencontrer des artistes qui font du contemporain, il aura l’occasion de rencontrer

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Hamid Ben Mahi, qui est un artiste très accessible. Il faut garder ce travail sur le terrain et enrichir ce type d’action. Cela marche pour les tout petits et j’insiste aussi en ce qui concerne les jeunes. Il faut finir le travail. On ne peut pas arrêter de suivre les

jeunes à 12 ans. Il faut continuer à faire des croisements d’activités, de propositions et bien entendu s’entourer de tout ce qui est culturel sur la ville de Bordeaux et des artistes. Lorsqu’on a pratiqué, les voir sur scène et pouvoir échanger avec eux est extraordinaire tout autant pour les jeunes que pour les adultes. Yolande Constant – Festival Zones d’expressions Temporaires (ZesT)

Je m’occupe des Zones d’expressions Temporaires, la dernière édition a regroupé 21 compagnies des arts de la rue. On reprend un projet qui a deux ans d’existence, on est une nouvelle équipe et on essaye beaucoup de choses. Cette année nous avons testé une nouvelle chose, ça s'appelle les bords de scène, cela consiste à faciliter la communication et la médiation entre les artistes et le public. On a été surpris de la qualité des échanges et de la démys-

tification de l’artiste qui redevenait comme tout le monde et parlait de son travail avec des mots très accessibles. On a pu vérifier la richesse de ce type d’échanges, de son importance. Cela nous a confortés dans l’idée que c’était vraiment un de nos atouts dans l’accompagnement que l’on pouvait faire auprès des compagnies des arts de la rue que nous tentons de promouvoir au niveau de la région. Florence Rigal – bibliothèque municipale de Bordeaux

Je voudrais rebondir sur les propos de Nicolas Rousset. Il faudrait que la culture soit une expérience pour toucher le grand public, les plus grand public. C’est l’expérience qui compte, le sensoriel. Dans une autre vie, j’ai travaillé dans une région où il y avait une expérience qui s’appelait les auteurs vivants ne sont pas tous morts. Cette animation rencontrait un grand succès car

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on voyait des auteurs qui « n'étaient pas morts », ils étaient présents. Rien que cela, ça donnait envie de lire. J’ai aussi souvent présenté des auteurs à des enfants plus ou moins jeunes, qui lisaient ou qui ne lisaient pas. Au moment où est sorti Le seigneur des anneaux, le film, je travaillais en bibliothèque jeunesse avec des enfants de 8 à 10 ans qui ne lisaient pas du tout. Pour aller voir le film les enfants devaient prendre le livre : ils l’ont lu en deux ou trois mois. Ce n’est pas qu’ils ne voulaient pas lire ou ne pouvaient pas lire, c’est qu’ils n’avaient pas la motivation de

lire, la motivation d’avoir cette expérience de plaisir de lecture. Le plaisir de la culture, le plaisir de la lecture, le plaisir du partage, c’est par là qu’on doit entrer. Ce n’est pas en disant on doit aller vers la culture. On a un besoin de culture, mais on a surtout un besoin de rencontres, d’expériences en tant qu’être humain en premier pas en tant que citoyen. Les humains se sont réunis parce qu’ils avaient besoin de se rencontrer et la culture a découlé de cela, ce n’est pas le contraire. Élisabeth Magne – maître de conférences en Arts Université de Bordeaux

Cela suppose évidemment un terrain et des proximités qui soient très solides, très posés, durables, etc., et qui donc relèvent de nécessités économiques, ce n’est pas « un gros mot » le mot économique. Il faut quand-même le dire, il y a des choses qui sont évidemment prioritaires. Comment fonctionnons-nous nousmêmes ? Comment allons-nous au cinéma ? Comment ouvronsnous un bouquin ? Tout simplement parce que nous avons quelqu’un autour de nous qui nous incite à y aller ou nous passe le livre, etc. Cela ne fonctionne que sur de la rencontre, de la

proximité, sur des gens tout proche, ce n’est pas sur des grandes institutions qui sont loin et qui vont faire des appels pour essayer de pêcher ou de repêcher du monde, pour les amener vers une grande culture. Quand vous dites ils rentrent avec un besoin, j’ai eu envie de dire, ils ressortent avec des désirs. En gros, vous fabriquez des besoins d’autres choses.

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Nicolas Rousset – Centre animation Bastide Benauge

Je fais la différence entre besoin et envie. Le besoin est vital et l’envie c’est la curiosité de la découverte. Élisabeth Magne – maître de conférences en Arts Université de Bordeaux

Qu’est-ce qui remplissait la fonction de centre social par le passé si ce n’est le bistrot ? Le bistrot tout le monde s’y rencontrait. Historiquement il faut replacer tout cela dans une dimension de vie sociale . Nous n’avons pas eu besoin de médiateur, de centres sociaux, de tas de choses qui existent actuellement quand la culture c’était juste ce que l’on vivait au quotidien avec sa famille dans son quartier. Si nous sommes actuellement dans ce questionnement, c’est aussi parce que des rouages et des maillages ont disparu, nous sommes dans des situations d’isolement, de nomadisme, de fonctionnement qui ne sont plus des fonctionnements traditionnels et donc il faut refabriquer ces lieux de proximité qui ne sont efficaces que dans la durée. La Halle des Douves est un magnifique exemple d’un maillage porté par des années de vie associative dans le quartier Saint-Michel. C’est la partie émergée de l’iceberg en quelque sorte, derrière il y a un travail de terrain sur trois générations. Simon Bailleul – conseiller territorial à la Caisse d’allocations familiales

Je voulais rebondir et apporter un autre éclairage par rapport à mon intervention de tout à l’heure sur l’offre. Ce que vous dites est important, on a besoin de lieux de rencontres de proximité et de lieux qui croisent. Prenons l’exemple des centres sociaux de Bordeaux, notamment ceux gérés par l’Association des Centres d’Animation sur Bordeaux, il y a un croisement entre l’entité proximité centre social et un pôle d’excellence avec une entrée autour de la danse, du cirque. Ce sont des exemples de rencontres qui sont intéressants et de projets aussi comme la Halle des Douves, nous avons des espaces partagés avec une pluridisciplinarité. Lorsqu’on disait tout à l’heure on est peut-

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être plus attiré par un art que par un autre, donc il faut aller dans des lieux où l’on va pouvoir accéder à de la musique, du théâtre, où il va y avoir un croisement de disciplines. Il faut créer l’interaction et de là créer des lieux de proximité où nous avons des

croisements de culture et d’art au sens le plus large possible et en interaction avec les autres structures de proximité des quartiers. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Une question ce matin me semblait vraiment très pertinente, elle est en rapport avec l’intervention des artistes, que ce soit dans le champ des acteurs culturels ou des acteurs socioculturels. Souvent, je le dis par expérience, on s’aperçoit sur le terrain que cela peut être une motivation assez extraordinaire pour des jeunes, c’est parfois par la relation avec un artiste qu’on arrivera à donner le goût et l’envie. J’aurai bien aimé donner la parole à un artiste autour de cette table, peut-être à Hamid Ben Mahi et ensuite à Maria Belloir par rapport à un certain nombre d’expériences. Hamid Ben Mahi a travaillé avec l’Opéra national de Bordeaux, avec l’OARA [Office Artistique de la Région Aquitaine], les centres d’animation. Aujourd’hui dans un certain nombre de projets qui peuvent être co-constuits, coécrits entre des acteurs sociaux et socioculturels, c’est aussi l’artiste qui peut être un moteur, un levier. Hamid Ben Mahi – chorégraphe Compagnie Hors Série

Après avoir grandi au sein des structures des centres d’animation, au Grand Parc, aux Aubiers, à Barbey, cours Argonne SaintGenès, à la Benauge… C’est là où nous avons rencontré des artistes à la fin des années quatre-vingt, où nous avons pu rentrer dans des comédies musicales, faire de la musique, faire du théâtre, faire de la danse. C’était aussi une entrée, ce n’était plus seulement la question de l’animation, il y avait un côté artistique. Comme nous n’avions pas fait ces écoles-là, nous nous sommes dit qu’il allait falloir trouver les moyens, mais c’était déjà grâce à

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une rencontre, des gens sont venus vers nous à cette époque-là. Pour avoir vécu l’expérience du Carnaval avec les centres d’animation et aussi des expériences des laboratoires d’artistes :

emmener une dizaine d’artistes, musiciens, chanteurs, danseurs sur un territoire en lien avec un théâtre, mais en dehors du théâtre. Nous avons fait une quinzaine de laboratoires d’artistes en France et à l’étranger. Ce système oblige la structure à se mettre en lien avec différents acteurs de la ville, collèges, lycées, pour des personnes en difficultés, handicapées, avec la maison d’arrêt, etc. Cela oblige à repenser et à faire sortir la culture du théâtre. C’était intéressant pour le lieu qui nous accueillait et qui nous donnait carte blanche sur ces laboratoires. Il fallait trouver ces artistes qui pouvaient être proches du public et prêts à passer une journée dans une école, dans une maison de retraite. Je nomme cette expérience car elle a un coût, mais on se rend compte que c’est une gratuité pour tous les gens qui vont passer une journée avec ces artistes. Nous l’avons vécu comme quelque chose d’éphémère, d’exceptionnel, qui amenait

de l’émotion, de l’humain, avoir un grand musicien guitariste, violoncelliste, danseur au sein de son établissement pour une journée, pouvoir passer du temps avec lui, essayer de comprendre son métier au quotidien, on sait que c’était une expérience riche . Cela m’a fait prendre conscience des barrières, des endroits où on était un petit peu coincé pour faire exister ces labos. On les a arrêtés par la suite car cela prenait énormément de temps, on faisait ça en plus de nos tournées. En fait, dans notre société au quotidien la cul-

ture se passe dans des endroits très précis, des théâtres. Pour pouvoir ouvrir les portes, faire sortir la culture c’est assez compliqué et ça demande vraiment d’avoir des artistes que l’on appellerait passerelle qui pourraient aussi être sur le territoire pour rencontrer, faire découvrir. Un artiste qui joue dans un opéra à de la valeur, mais s’il joue dans la rue tout seul, il n’a pas la même valeur, même si c’est le même artiste . Ayant grandi au Grand Parc et aux 95


Aubiers, à une époque je rêvais de pouvoir faire une rési-

dence permanente d’y monter un chapiteau, pouvoir faire des expériences mais en tant qu’artiste je n’ai pas les moyens de le faire, il faut que cela passe par une commande et depuis une quinzaine d’années on travaille sous forme de commande lorsque nous intervenons sur le Carnaval des 2 rives, sur des laboratoires. À Tremblay en France, nous avons eu carte blanche pendant 3 ans à l’année pour pouvoir mener des actions sur le territoire. Nous mettons parfois en place des initiatives, des festivals, des workshop, des rencontres, mais nous savons très bien que c’est un plus. L’avenir se passera aussi quand toutes les structures ouvriront les portes et feront en sorte que cela se passe à l’extérieur. Mais il y a des règles de sécurité à l’extérieur, on ne peut pas faire n’importe quel spectacle à n’importe quel endroit, cela demande de s’organiser, de prendre certaines mesures. Dans notre société, on voit très peu d’artistes à l’extérieur dans des parcs, au centre-ville, il s’agit plus de gens qui sont en difficulté. Les artistes d’eux-mêmes ne vont pas faire une résidence à l’extérieur. Dans l’avenir, à la fois c’est quelque

chose auquel il faut que l’on pense, qu’à un moment donné des structures ouvrent des directions artistiques à l’année en dehors de leurs lieux . La Communauté Urbaine, c’est 600 000 habitants. Combien reçoit-on de public à l’année dans un théâtre ? Chacun mène sa mission, mais cela demande des

croisements, des réflexions communes avec des artistes, des directeurs de structure, repenser dans l’année des rencontres avec des artistes dans des lieux improbables. Cela existe, il se passe des choses à l’extérieur, mais dans l’avenir il faut imaginer les choses à plus grande échelle. Dans notre vie

quand on voit quelqu’un chanter, danser ou faire de la musique dans un parc, on trouve cela étrange. Dans le futur ou maintenant, cela devrait nous paraître normal.

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Yolande Constant – Festival Zones d’expressions Temporaires (ZesT)

ZesT par exemple est un lieu d’expression dans l’espace public, de danse, de théâtre, de conte, des marionnettes. Justement cela se déroule aux pieds des immeubles, sur les bassins à flots. Par cette démarche nous essayons de descendre l’art dans la rue, puisque par définition ZesT fait la promotion des arts de la rue. Didier Honno – Opéra national de Bordeaux

Je voulais dire que tout cela se complète. Si nous prenons l’exemple de l’Opéra national de Bordeaux, lorsque j’étais en charge de l’action culturelle j’ai proposé à la direction de créer des journées portes ouvertes qui n’existaient pas avant, c’està-dire que le théâtre était réservé à des moments professionnels, vous venez vous public, vous achetez vos places. Mais, lorsqu’on

ne connaît pas l’artiste, si on n’a pas ce lien un peu privilégié, si on ne connaît pas son parcours, vraiment il n’y a pas d’attachement. Qui sait que l’Opéra a un ballet, un chœur, un orchestre, et qu’il est le deuxième opéra de France et compte 400 salariés ? Il faut faire attention, nous sommes en train de parler de désenclaver culture et social pour en revenir à notre thème de départ et de différencier les pratiques et la fréquentation. Si nous en revenons à des pratiques artistiques, ce n’est pas forcément cela qui va déclencher une fréquentation artistique. Cela va déclencher un développement personnel qui peut être déclenchera une envie personnelle de devenir artiste et ce ne sont pas les artistes que nous avons le plus en public. Les étudiants en conservatoire sont ceux qui fréquentent le moins les lieux culturels. Quand j’étais à Paris dans d’autres structures, c’était la bataille culturelle. C’est ceux qui pratiquent qui viennent le moins. C’est de manière habituelle sur tous les lieux publics, de théâtre ou d’opéra. C’est vrai que ce qui est intéressant c’est de titiller, c’est de dire on est capable d’entendre cela. À un moment donné celui qui n’a pas été voir Tchékov en Nô, ne peut

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pas comprendre que c’est hyper violent d’entendre du Nô et de voir la salle se vider par grande rangée. Un jeune qui n’a jamais écouté un opéra, du Mozart, c’est super violent à entendre. Quand les jeunes viennent à l’Opéra, je leur dis : « Détendez-vous mais même dormez. On va essayer de vous donner la chance de découvrir qu’il existe autre chose. » Il le choppe, il le choppe pas, mais c’est un frein cela. Ce frein-là tu le fais sauter en disant on va commencer par le Hip-Hop, toute motivation est bonne. Le danseur de hip hop a engagé des danseuses classiques, on va discuter avec les danseuses classiques. Après sur les grosses structures, comme nous à l’Opéra, c’est compliqué. Quand on a fait le ballet qu’on a diffusé à l’extérieur, à la fin, on a fait sortir les danseuses pour aller saluer dehors, pour essayer de dire on décloisonne ce que vous avez vu à l’écran. Dehors vous n’avez peut-être pas payé, mais elles viennent vous saluer. C’était un moment d’émotion et de grâce, on a eu l’impression que les danseuses sortaient de l’écran. Les gens n’en revenaient pas de voir les danseuses en tutu dans la rue. Mais c’est compliqué à organiser et c’est 220 000 spectateurs par an. Eva Bouteiller – Compagnie Hors-Série

Je travaille pour la Compagnie Hors-Série. J’organise tous les projets d’action territoriale pour la compagnie. Je voulais témoigner de l’expérience du Carnaval parce qu’elle me semble vraiment intéressante dans le sens où c’est un événement qui per-

met aux centres sociaux et aux participants de se rencontrer. L’organisation d’une parade chorégraphique prend des mois. C’est un travail de 4 à 5 mois avant l’événement pour permettre aux centres de formation de danse de Bordeaux et aux pratiquants dans les centres sociaux de se rencontrer et de faire ensemble. Ce qui me semble d’autant plus intéressant, au-delà des pôles d’excellence, qui est une très belle initiative au sein des différents centres d’animation, c’est de penser à les croiser. Cela permet à des artistes comme Hamid Ben Mahi de s’insérer 98


dans ces structures, mais aussi de pouvoir inviter d’autres artistes et de permettre des croisements interdisciplinaires. À mon sens l’avenir de ces pôles d’excellence c’est de les croiser et cela nous permettra de mixer les publics. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Je rappelle brièvement le principe de l’action menée pour le Carnaval des 2 Rives, le Carnaval est piloté par Musiques de nuit et la Rock School Barbey. L’objectif et de s’ouvrir à une culture du monde, chaque année on fait appel à des artistes de différents pays et on met en œuvre des ateliers de pratique inter-quartiers. De nombreuses rencontres se déroulent, sous forme de repas en musique, de discussions avec les artistes. Maria Belloir – Centre d’animation Bastide Queyries

J’ai été dix ans intermittente et artiste de cirque, je suis aujourd’hui animatrice au centre d’animation Bastide Queyries et j’anime des ateliers de pratique artistique. Je suis convain-

cue que par la pratique, et effectivement vu que j’ai la double compétence je suis identifiée par les enfants et les jeunes comme une artiste, cela permet de les amener vraiment à d’autres rencontres. J’encourage les familles à aller voir des spectacles. Cela fait deux ans que je travaille au centre d’animation Queyries. J’ai énormément de familles qui ont ma confiance, c’est une histoire de personne aussi mais c’est à développer. Pourquoi pas se reposer sur des artistes professionnels sur une longue durée ? Mais quand on est artiste, on ne peut pas être constamment en lien avec les centres sociaux. Nous avons aussi un temps de création, un temps qui nous appartient en tant qu’artiste pour pouvoir s’exprimer.

Pouvoir après faire des passerelles et partager c’est important . Par exemple au centre d’animation Bastide Queyries, il y a des projets avec les écoles primaires qui ont débuté avant mon arrivée. Cette année, nous avons un nouveau projet avec le collège et j’ai remarqué que des enfants qui ont

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participé à un projet cirque dans les écoles primaires il y a 3 ou 4 ans se sont inscrits dans cette option avec l’envie de retrouver le cirque qu’ils avaient pratiqué soit en centre de loisirs, soit à l’école primaire. Nicolas Rousset – Centre d’animation Bastide Benauge

Je voudrais juste rajouter un élément concernant les portes ouvertes qui permettent d’amener des acteurs de différentes origines dans un centre. J’insiste sur l’accueil de ces publics-là. Pour la petite anecdote, j’étais pendant dix ans dans une collectivité et quand je suis arrivé dans l’animation tous mes collègues d’une collectivité me disaient : « qu’est-ce que tu fais en fait ? Tu restes des heures à jouer avec des gamins, à les écouter ? Ce n’est pas du travail… » Effectivement, ils avaient raison, c’est complètement impalpable. On va pas compter le nombre de gamins à l’heure. L’accueil demande énormément de temps et de disponibilité. Nous avons tout un travail à faire auprès des pou-

voirs publics pour faire comprendre qu’avant d’amener un public quel qu’il soit, enfants, jeunes ou adultes, cela demande du temps et aussi une confiance. Ils ne nous suivront pas sur tel ou tel projet, aventure, ou même musée, si à un certain moment il n’y a pas un lien étroit qui s’est fait, une confiance et l’envie de partager autre chose. Là il y a un enjeu crucial de faire comprendre que cela prend du temps, que c’est beaucoup de travail, de patience. Combien de projets ne vont pas se finaliser, pour arriver à des projets bien construits, de supers aventures. On est tout le temps en expérience avec ces publics-là. Je peux parler encore plus librement pour le public jeune ce n’est que ça, du mardi au samedi, ce n’est que de l’expérience, des problématiques scolaires, de familles quand le contact est fait, la sexualité, etc. Je reviens aussi sur le besoin, pour moi le besoin c’est vital, avoir un toit, manger, pouvoir subvenir à ses enfants et l’envie c’est de les ouvrir à la culture, au sport. Mais un point sur lequel je ne suis pas tout à fait d’accord, quand on amène des enfants

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ou des publics à découvrir quelque chose, cela devient des spectateurs. Je prends l’exemple du théâtre d’improvisation au centre d’animation Argonne Nansouty Saint-Genès. Un enfant il gran-

dit, il faut qu’il s’oublie un peu, qu’il s’expose, c’est très très compliqué même pour des adultes, mais encore plus pour des pré-ados. Les amener à pratiquer, cela donne du sens après pour aller voir des artistes tout simplement parce que l’on sait combien c’est difficile de monter sur scène, d’avoir les projecteurs en face. Il y a un respect considérable. Agnès Vatican – directrice des archives municipales de Bordeaux

Il me semble important dans le cadre de cette rencontre de s’interroger sur ce qui change à Bordeaux, ce qui change dans le monde, dans les usages et ne pas poser la question du rapport culture-social comme une sorte d’invariant à travers les âges, les siècles. Tout à l’heure je donnais l’exemple du Foyer Leydet, ancien asile Brandbourg, on voit bien d’où on vient et où on en est aujourd’hui et vers quoi on essaie d’aller. Il me semble que

dans la partie culture qui tend plus vers la notion de patrimoine, même si elle n’est pas exclusive de l’intervention artistique, de la création et de tous ces aspects-là, il y a une évolution dans notre société qui est la demande mémorielle, sujet un tout petit peu évoqué ce matin, des formes d’individualisation, la recherche de ses origines, de son parcours personnel, la recherche d’une histoire y compris pour les gens qui n’ont pas d’histoire et qui sont souvent ces personnes accueillies dans le cadre du travail social. Je parlerai ici uniquement du point de vue des structures culturelles, nos structures culturelles sont quand même frappées de plein fouet par cette demande qui émerge. On avait un public qui était jusque-là dans l’adhésion et la connivence, par rapport à un projet patrimonial de reconstruction historique, et qui tout d’un coup va dire : « votre musée, vos archives, je ne m’y reconnais pas, mon histoire elle est autre ». C’est un peu la question de

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« nos ancêtres les Gaulois » qui ne sont pas les ancêtres de tout le monde. Pour revenir au thème de l’atelier, les professionnels sont-ils eux aussi empêchés ? C’est vrai que c’est un nouveau

rapport avec les publics qui demande des médiations spécifiques, derrière cette demande de co-construction elle est encore plus forte. On le voit bien si on fait la différence avec ce que l’on propose au public scolaire : une offre formatée. Même si on laisse une certaine liberté dans l’utilisation des ressources, au départ l’offre est construite et c’est un peu « clés en main ». Par contre, dans l’expérience que nous avons eue avec le Foyer Leydet, nous sommes tout à fait dans autre chose et cela a tout de suite des applications très concrètes, par exemple les horaires. Pour co-construire avec les résidants du Foyer Leydet, quand-est ce que vous les rencontrez ? Au dîner. Jean-Cyril Lopez – Archives municipales de Bordeaux

Ce qui fait le succès de ces opérations-là, c’est de savoir trouver le moment pour capter. Ce matin on a parlé de convivialité, à Leydet, la convivialité c’est le soir au moment du repas. On a demandé aux résidents quel moment de la journée vous semble le plus propice pour discuter, se rencontrer ? Ils ont répondu : « le soir, venez manger ». Donc tous les lundis soir de 19 h à 22 h. C’est savoir donner de soi , pour une structure municipale, nous ne sommes pas dans cette cul-

ture-là et c’est peut-être aussi quelque chose qu’il faut savoir développer. Agnès Vatican – directrice des archives municipales de Bordeaux

Sauf que très vite on voit les limites. Tout d’un coup nous sommes sur des horaires d’intervention qui n’ont plus rien à voir avec les horaires prévus par l’administration et auxquels nous sommes censés répondre. On n’est pas littéralement empêchés, mais on voit très vite la limite de cette action. On a bien vu très rapidement une forme d’engouement des résidents qui finalement étaient ravis d’avoir un échange, de continuer ce projet, de

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venir aux archives, etc. Nous voyons très bien les limites, c'est-àdire apprendre une nouvelle forme de médiation, on peut avoir cette évolution-là d’autant que cette demande sociale on l’a ressent et on la voit au travers du public qui vient en salle de lecture. C’est sur les modalités, les aspects pratiques, qu’on arrive véritablement aux limites de l’exercice. Une telle action à l’échelle de nos structures ne peut s’inscrire que de façon hyper expérimentale et une fois par an, pas plus malheureusement. François Hubert – directeur du Musée d’Aquitaine

Pour aller dans le même sens, ce que l’on remarque et qu’on n’a peut-être pas suffisamment évoqué aujourd’hui, on dit toujours il y a des institutions culturelles, il y a « des publics empêchés », on trouve des médiateurs pour les amener et faire apprécier les institutions culturelles, mais ce qu’il faut mesurer aujourd’hui et qui à mon avis n’a pas été fait, c’est toutes les transformations que cela impacte sur les institutions culturelles ; non pas pour qu’elles s’adaptent à ce public, mais parce que leur présence, ellemême, amène à d’autres besoins et d’autres aspirations. Nous, par exemple, qui traditionnellement avions des événements culturels « classiques » comme des cycles de conférences, nous nous sommes aperçus avec les salles sur l’esclavage, qui nous ont amené des populations originaires d’Afrique ou des Antilles, qu’elles n’attendaient pas du Musée que des conférences, mais qu’elles attendaient aussi que l’on présente leur musique, leur littérature, etc. Cela a un effet important puisque cela ouvre très largement le Musée à d’autres activités culturelles que celles qui étaient plus classiques. Ce n’est pas que nous qui donnons grâce à des médiateurs qui travaillent entre eux et nous, cela nous amène à faire complètement évoluer notre façon de travailler.

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Florence Rigal – bibliothèque municipale de Bordeaux

On parle de l’adaptation des structures municipales aux publics. L’été dernier une expérience appelée bibliosport s’est déroulée au niveau des bibliothèques. Pendant 6 semaines entre le 14 juillet et le 15 août une bibliothèque éphémère a été installée au milieu du quai des sports. Une permanence de 10 m² sous deux tentes tenue par 2 personnes. La spécificité de cette bibliothèque était de proposer en plus des livres, des jeux vidéo et des télévisions. Entre 200 et 250 personnes par jour ont fréquenté le bibliosport. La permanence fermait le samedi à 18 h sachant que le quai des sports fermait à 20 h. À 19 h quand on partait, ils ne comprenaient pas et à 18 h le samedi c’était pire. Nous avons énormément appris car la culture du jeu vidéo est une culture que nous ne connaissons pas, en dehors des très jeunes bibliothécaires qui ont joué lorsqu’ils étaient adolescents. Les gamins savaient tous se débrouiller. Il faut s’adapter à ce public-là. Nous avons vu des jeunes venir pour jouer. À l’ouverture à 10 h ils se battaient pour avoir les manettes. Durant les deux heures d’interruption de la permanence dans la journée, les jeunes tournaient en attendant la réouverture. Cette période coïncidait avec le Ramadan donc certains jeunes ne mangeaient pas et ne rentraient pas chez eux, ils restaient présents sur le quai des sports également fermé à ce moment de la journée. Ce qui était intéressant c’est que l’animation culturelle, le livre, avait aussi sa place. On a vu des parents, des grands-parents amenant des enfants, les grands frères ou les grandes sœurs en train de faire leur animation, à l’accro-branche, au judo ou au tennis de table pendant que la grand-mère surveillait la petite fille qui lisait. Il a fait très chaud, 40 degrés, cela a demandé une adaptation humaine, il a fallu accepter d’avoir chaud, d’avoir soif, d’avoir du bruit, deux ventilateurs dont un qui tombe plus ou moins en panne. On donne de sa personne, c’est enrichissant. C’est là qu’on trouve des limites. Les personnes qui ont participé à l’animation du bilbliosport étaient toutes volontaires, soit 15 à 20 volontaires sur 200 personnes à la bibliothèque de Bordeaux.

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Lorsqu’on a dit entre le 14 juillet et le 15 août vous allez être sur le quai des sports, il n’y a pas un arbre, cela a limité le nombre de volontaires. Nous savions quels publics nous allions avoir, a priori des jeunes sportifs. Ils arrivaient par le tram, de Bacalan, de la Bastide, Saint-Michel, Cenon, Lormont, les centres sociaux, les centres culturels. Effectivement c’était du lien entre la culture, le sport et le social. Cette rencontre s’est faite parce que la bibliothèque s’est déplacée vers le public et non le contraire, ce n’est pas le public qui s’est déplacé à la bibliothèque. Cette expérience sera vraisemblablement reconduite l’année prochaine. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Pour revenir sur des choses concrètes en rapport avec le thème de l’atelier, quels types d’actions permettraient d’imaginer, inventer et développer des projets avec différents acteurs des champs culturels, sociaux ou socioculturels ? Élisabeth Magne – maître de conférences en Arts Université de Bordeaux

Nous parlons tous de proximité. Qu’est-ce qui rapproche les archives et le Foyer Leydet ? Le lieu. L’histoire de la genèse de ce projet nous semble symbolique, une stagiaire qui vient en disant : « voilà ma formation me demande de faire un stage avec des publics empêchés ». Les publics empêchés du quartier n’ont rien demandé à personne, c’est cette personne qui vient et qui dit : « il va falloir que je me trouve du public empêché », si on schématise. On cherche dans le quartier, finalement : « ceux-là veulent bien, il va falloir aller manger avec eux », etc. Et puis vous vous rendez compte que lorsque vous mangez tous à la même table, il y a des choses à se raconter, ce n’est pas plus compliqué qu’avec des voisins avec qui vous décidez de descendre une table dans la rue, de manger avec eux et de vous raconter vos vies respectives.

Il y a quelque chose du côtoiement quotidien et de la proximité tout simplement. Ce que vous racontez sur le quai des sports, c’est aller chercher les gamins sur le terrain, ils y sont, ils y vivent, ils y passent leur été, ils ne sont pas ailleurs. S’il y a une

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bibliothèque vide à un kilomètre, autant que la bibliothèque aille porter sa tente là. Même si ce n’est pas confortable, si le boulot d’une bibliothèque c’est que les gens lisent ou viennent au contact de l’offre qu’elle propose, son boulot c’est d’aller sur les terrains de sport même s’il fait chaud. La réponse elle est là, on est tous sur l’idée que plus on fabrique de la proximité, de la rencontre, du côtoiement, plus les choses sont pérennes, durables. L’expérience du Foyer Leydet est intéressante mais une fois que la stagiaire est repartie, l’expérience s’est arrêtée là, vous n’avez pas les bons horaires, etc. Je travaille avec le réseau Paul Bert, ils ne font pas de bruit dans le quartier, ils sont là c’est tout. C’est juste un endroit où l’on s’arrête, on se croise, on vit, il n’y a plus d’étiquette. Il se trouve que la mixité sociale fabrique de la

rencontre, fabrique des émergences, des opportunités. Pour cela il faut que les choses soient posées, durables, stabilisées, économiquement solides, qu’elles fonctionnent avec du personnel qui ne change pas tous les quatre matins. C’est aussi des visages, faire confiance à quelqu’un, garder dans la durée un même interlocuteur. C’est des gamins qui grandissent qui reviennent quand ils sont adolescents, reviennent avec leurs gamins dix ans plus tard. Agnès Vatican – directrice des archives municipales de Bordeaux

Je voulais juste préciser au niveau du Foyer Leydet que les repas sont fournis par le SIVU [Syndicat Intercommunal à Vocation Unique] et sont loin d’être de la haute gastronomie. L’idée c’était d’amener les résidents de Leydet vers les archives municipales. La contrainte c’est que c’est un centre d’hébergement où les gens passent, sont hébergés quelques semaines ou quelques mois. Nous avions été bien avertis que toutes les personnes devaient garder la possibilité tout au long du projet d’y rentrer ou d’en sortir. C’est vrai que la pérennité c’est super et que c’est bien d’inscrire les actions dans la durée, mais je pense que lorsqu’on travaille dans le domaine social avec certains publics éloignés de la culture, au contraire on doit gérer des

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publics un peu intermittents et temporaires. Une classe, effectivement on sait qu’on la suit de septembre à juin, c’est calé. Au Foyer Leydet, non. L’idée c’était quand même de les amener aux archives et de les amener à être acteurs d’une action d’archivage. Ils travaillent sur des boîtes aux secrets qui sont des sortes d’enquêtes sur des thématiques qui les intéressent et qu’ils vont restituer dans le journal du centre qui s’appelle La taupe de Nansouty. Ce journal fera in fine l’objet d’une action d’archivage. Bibliosport est un projet éphémère, c’est son concept de départ, le quai des sports est également éphémère. Kirten Lecocq – association la Halles des Douves

Même si le projet est éphémère, le concept restera dans les esprits et devient donc pérenne. François Hubert – directeur du Musée d’Aquitaine

Pour répondre à Jean Luc Benguigui sur la question : que fautil proposer ? On s’aperçoit que ce qui marche, c’est justement

la proximité et les relations interpersonnelles. Si cela s’institutionnalise trop, cela risque de ne plus marcher. Cela marche sur la relation humaine et sur l’échange personnel. Ce que l’on peut proposer en termes de politique c’est de favoriser les proximités et en particulier de favoriser les échanges entre tous les acteurs, culturels, socioculturels, sociaux, comme aujourd’hui, puisque manifestement il y a quand même des gens aujourd’hui dans les participants qui ne se connaissaient absolument pas. Personnellement je connais très peu de monde autour de la table et pourtant nous travaillons sur ces domaines très proches, c’est aussi cela la question. Nicolas Rousset – Centre d’animation Bastide Benauge

Moi je voulais revenir sur la durée. C’est vrai que demander à des habitants de s’investir alors que cela risque à la fin de ne pas durer, c’est embêtant, cela risque de faire émerger des besoins

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auxquels il va falloir quand même répondre. Les projets qui sont évoqués avec des enfants, des jeunes par exemple, c’est important d’inscrire le public jeune dans la durée, que ce soit pour le sport, l’activité culturelle ou artistique. Les tenir, les mobiliser, les motiver, prend du temps. C’est aussi avoir des financements durables. Je reviens sur les politiques avec lesquelles à un certain moment on doit avoir des garanties. On répond à beaucoup d’appels à projets qui reviennent tous les ans. On peut être éligible une année et pas l’année suivante et donc « point d’interrogation » sur le projet. Avancer avec ces publics sur des projets et avoir un doute sur la continuité l’année d’après, même si c’est une super performance, cela pose des questionnements, toutes pratiques confondues. Je pense que nous devrions avoir plus de garanties dans ce sens, pas sur tout car il y a aussi des projets expérimentaux. Cela vaut le coup de les tester mais de les laisser disparaître s’ils ne sont pas satisfaisants. Lorsqu’il y a des projets qui sont pertinents, où ça marche… Et je parle d’un projet particulier que l’on mène sur la Benauge sur le cinéma, l’audiovisuel. Dernièrement tous les professionnels de France se sont réunis pour faire un constat : tous les projets audiovisuels fonctionnent avec les jeunes et les inscrivent dans la durée. On le sait depuis pas mal d’années dans l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux. C’est une garantie pourquoi ? Parce que ces enfants-là baignent dans le multimédia, sont constamment devant la télévision. On doit les éduquer à travers les images et tout ce qu’ils peuvent entendre. Lorsque vous êtes à Londres ou à Paris, le sujet n’est pas vu de la même manière, c’est important de le souligner. Il y a des projets qui sont phares pour les enfants. Je parle aussi de la danse, toutes les danses urbaines qui mélangent maintenant, grâce à des porte-parole comme Hamid Ben Mahi, le Hip Hop et le contemporain. C‘est un message fort pour les jeunes et il faut continuer à encourager des démarches de ce type mais tout en ayant des garanties.

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Marc Lajugie – président de l’ACAQB

Là vous soulevez un problème de fond : les financements

et la pérennité des financements. Quand vous examinez le contenu de la politique de la ville, on vous lance sur un projet, l’année suivante on vous dit : « attention, vous ne pourrez pas avoir la même somme que vous aviez l’année précédente » et puis l’année suivante, vous n’en aurez plus du tout. N’empêche qu’on a lancé l’opération, on a donné faim aux gens et à un moment donné on arrête tout. Voilà le problème de fond, la pérennisation d’une opération passe par une pérennisation de financement. Il y a eu un cas récent au Grand Théâtre il n’y a pas très longtemps. Une opération extraordinaire devait être lancée qui a réussi à Paris parce que toutes les collectivités se sont mises d’accord sur le financement et qui a achoppé à Bordeaux parce qu’une collectivité qui s’était engagée n’a plus voulu financer.

Moi je veux bien tout ce qu’on voudra, la culture, le social, mais cela passe aussi par la politique des financements. Ou on a la volonté de réaliser des choses et on se donne les moyens, ou on ne lance pas dans la nature des opérations et ensuite on fait des frustrés. C’est ainsi que l’on perd ensuite les jeunes. Je me bats tous les jours pour les financements. On n’a pas le droit de tromper les jeunes, parce qu’on les trompe car on les lance sur une opération sans avoir aucune sureté que cette opération continue à être financée et cela se retourne contre nous, contre les animateurs, parce que les gens ne comprennent pas. Là il y a un véritable problème et cela dépasse largement le social et le culturel. D’ailleurs ce qui est assez extraordinaire et c’est les règles des finances publiques, est-ce que vous avez déjà vu dans les budgets un financement socioculturel ? Non, vous avez un financement social et un financement culturel, autrement dit déjà vous spécialisez l’opération et cela, c’est bien comme règle financière mais au niveau du travail c’est 109


très mauvais, parce qu’en définitive et c’est normal, chacun se bat pour son budget. Chacun dit : « on veut bien travailler ensemble mais cela va coûter combien ? Moi je vous apporte tant, non il faudrait m’apporter tant… », c’est fini on achoppe complètement. Là il y a des vrais problèmes à soulever. Florence Rigal – bibliothèque municipale de Bordeaux

Pour revenir sur la transversalité entre social et culturel, je voudrais vous parler d’une expérience qui s’est déroulée en milieu scolaire en Angleterre. Ces dernières années une centaine de bibliothèques ont fermé en Angleterre, car pas de public. En Angleterre on est rationnel, pas de public, on ferme. Ils ont ouvert ce que l’on appelle des Idea Stores qui sont des structures transversales où sur le même lieu vous pouvez trouver une bibliothèque, un centre de soins, une salle de formation, de l’aide à la recherche d’emploi, une crèche, une salle de sport et un café. Tout le monde se pose ces mêmes questions car nous nous heurtons tous aux mêmes problèmes financiers, de modification des cultures, de modification sociale, d’émigrations, de migrations, d’accélération du temps, d’accélération de la communication. Nous sommes aussi dans ce monde-là, on est obligé de vivre dans ce monde-là et cela a un impact sur nos pratiques culturelles et sur la vision que le citoyen a de la culture. La priorité de la plupart des gens de nos jours ce n’est pas d’aller en bibliothèque, au musée, aux archives, d’aller voir un spectacle de danse : « c’est d’avoir un peu de taf et de pouvoir vivre tout simplement », avoir de l’argent et vivre tout simplement. C’est malheureux peut-être, on est secondaire. Élisabeth Magne – maître de conférences en Arts Université de Bordeaux

Secondaire et primordial.

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Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

François Hubert disait tout à l’heure : quelle politique faut-il adopter ? Il situait la question en termes de proximité, de relations interpersonnelles. À un moment donné, dans les ingrédients et les conditions pour essayer de favoriser des pratiques artistiques ou un accès à la culture, il y a évidemment les personnes et c’est là où nous, dans les centres d’animation, on s’interdit de juger. Avec quels artistes on va travailler, sachant que certains artistes pourront être extrêmement solitaires et ne voudront pas du tout partager la rencontre ; alors que d’autres ont cette espèce d’appétit, d’appétence et sont des personnes qui ont vraiment cette capacité à pouvoir attirer, impliquer et engager des jeunes sur des pratiques artistiques et au-delà. Je pense à un exemple en particulier, nous avons eu plusieurs projets mais en 2001, il y avait un projet particulier qui n’était pas du tout sur des questions ni de pratique artistique ni de parcours culturel. Par rapport aux discussions que nous avions eues avec Hamid Ben Mahi nous nous étions dit : « est-ce qu’un autre levier ne

serait pas de permettre à des jeunes de suivre le travail d’un artiste, de comprendre quel est ce travail ? » Hamid présentait à ce moment-là un spectacle à Avignon. Nous avons organisé tout un séjour inter-quartiers de Bordeaux à Avignon où l’objet n’était pas d’aller pratiquer de la danse, mais plus d’essayer de comprendre la démarche de l’artiste. On s’est rendu compte au retour que pour beaucoup de jeunes, qui n’avaient pas forcément une pratique, cela pouvait être un levier de comprendre cette démarche-là. Hamid Ben Mahi – chorégraphe Compagnie Hors Série

En créant une partie des spectacles dans les centres d’animation, il y a un public qui a suivi et qui regardait la création en train de se faire. Quand on a invité des écoles, des classes, pour leur montrer un extrait, ceux qui pratiquaient sont venus voir en se disant : « eux, ils ont un pro111


jet derrière, ils essaient d’en vivre, ils essaient de s’en sortir grâce à la danse ». Et puis il y a eu ce projet qui a été mis en place avec les centres d’animation et l’Office artistique de la région Aquitaine pour emmener un groupe suivre cette pièce en construction à Avignon, là où il y avait 600 compagnies qui défendaient leur création. On était filmé, interviewé par les jeunes qui suivaient. Voir que de nous-mêmes on s’était débrouillé à trouver des hébergements, une salle, à faire des petits spectacles de rue pour aller chercher le spectateur pour préparer notre saison et que par la suite, cette expérience nous a amenés à une saison au niveau national ainsi que des tournées à l’international, car nous sommes partis au Moyen-Orient, en Afrique, certains ont eu envie d’avoir la même expérience.

Aujourd’hui, il y a encore des jeunes qui dansent, qui essayent d’en vivre, qui donnent des cours, qui étaient à ce rendez-vous d’Avignon. Souvent avec le centre d’animation Argonne Nansouty Saint-Genès, avec Jean Garra et Thierry Charenton notamment, on emmenait des bus avec nous lors de premières des spectacles, à l’île de Ré par exemple. Nous avions déjà eu l’expérience à l’Olympia, il y a très longtemps, où nous avions fait une comédie musicale. En dehors des structures, nous avons aussi emmené des groupes avec nous, par exemple en Allemagne, en Hollande sur des événements importants, pour qu’ils voient à un moment donné l’ampleur et à la fois ce langage compétitif, ce que l’on appelait les battles internationaux en Hollande, mais aussi le rapport à la scène et les emmener voir une pièce à la cour d’honneur à Avignon, un endroit où ils n’auraient jamais mis les pieds. En nous suivant, on s’est nourri

mutuellement, mais à la fois il n’y avait pas que les gens de la danse. Il y avait aussi les gens du cirque, les gens du théâtre, ainsi que des parents, des mamans qui suivaient leurs enfants . Nous, nous avons nos réussites et nos défaites, on essaye aujourd’hui de tenir et de se dire quel avenir ici dans notre région. On voit que dans d’autres régions cela fonctionne différemment. Il y a aussi des moments où l’on peut se dire qu’en

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termes d’avenir cela peut être compliqué, difficile. On aimerait

que Bordeaux, en tout cas la région, puisse avoir une maison de la danse comme à Lyon, avoir un impact et des événements aussi forts que dans d’autres régions. Des fois on se retrouve à aller dans des villes voisines, comme à Pessac, pour Les vibrations urbaines et on se met à rêver qu’ici même il

pourrait y avoir des vibrations urbaines, plus proche, et on se dit ce n’est pas la politique actuelle. Nous espérons qu’il y ait encore plus de propositions, pas de propositions culturelles parce qu’il y en a énormément, mais plus de visibilité des acteurs. Même cet endroit-là, le CAPC c’est assez nouveau, on pourrait imaginer y faire de la danse. Marc Lajugie – président de l’ACAQB

Il y a une salle extraordinaire au CAPC. Dans ma vie antérieure, j’ai passé un certain nombre d’années à la mairie et à la Communauté Urbaine et entre autres j’ai connu l’achat de ces lieux qui allaient être démolis et j’ai vécu toute la transformation. Au départ il y a eu une grande réflexion. On ne savait pas trop ce que ce lieu allait devenir. À un moment donné, il manquait à Bordeaux une grande salle de concert, on s’était posé la question est-ce que là il n’y aurait pas une opportunité ? On a réfléchi un peu trop longtemps mais quelqu’un est arrivé, il n’a pas réfléchi et il a créé le musée d’art contemporain et tant mieux, car à l’époque cela a marqué en France et en Europe ce musée d’art contemporain de Bordeaux. Effectivement vous avez raison, ces lieux ne sont pas suffisamment ouverts. À Arc en Rêve, il y a du monde en permanence parce que cela remue beaucoup, mais ensuite, c’est un musée qui n’est pas figé mais destiné à un type d’art. Mais en définitive quand on voit les volumes, on pourrait se poser la question avec des volumes de cette importance, ne pourrait-on pas faire autre chose ? Ce sont des questions qu’il faut se poser. C’est comme l’histoire des musées à Bordeaux, c’est un vaste problème.

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Hamid Ben Mahi – chorégraphe Compagnie Hors Série

Dans certains musées à l’étranger, par exemple à New York, la danse est omniprésente. Il y a tout le temps des chorégraphes qui travaillent. Au Louvre, il y a constamment des concerts. Didier Honno – Opéra national de Bordeaux

Jean-Luc tu posais la question de savoir quel projet on pourrait proposer ? Moi je dirais à la Ville, déjà qu’ils fassent avec les gens qui sont là. Au lieu d’avoir des idées et de vouloir les faire développer, il faudrait plutôt prendre les gens qui sont là, qui sont en place, on ne va pas les changer. On a souvent des gens motivés et on leur pond des idées, on leur demande des choses et cela nous tombe dessus comme une obligation, comme une volonté effectivement de la Ville. On voit bien Les participiales, on nous a demandé à tous d’être là, d’être présents, sans être associés au préalable à quelque réunion que ce soit. Nous n’avons pas eu l’occasion de proposer quelque chose. On n’a même pas pu dire : « Génial, je me l’approprie parce que moi dans ma connaissance du public, je sais que sur du non-public il faut faire ça ». On m’a dit soyez présent pour informer. On s’engage dans une association, on sait très bien le temps que c’est d’être bénévole et nous en avons un tissu énorme. Que la Ville s’approprie cela avec les gens et que ces journées-là fassent que on dise : « Des gens se sont inscrits, sont venus, ils ont une volonté et ils peuvent le faire. » Les gens sont en place, ils sont là. C’est drôlement riche pour la ville de Bordeaux si on doit en retirer quelque chose. Dire qu’on va faire un projet, non, mais se réunir et aller voir les gens et dire : « Toi tu es capable de faire quoi ? Moi je peux faire ça… » Ces micro-projets, ils s’arrêtent, ils sont temporaires, on s’en moque que cela soit temporaire. Le projet il a existé, il reste dans les mémoires.

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Agnès Vatican – directrice des archives municipales de Bordeaux

J’avais une idée en vous entendant parler, c’était de faire un speed dating socioculturel ! Des rencontres brèves et à la fin on ressort avec un projet. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Beaucoup expriment leur envie de travailler avec d’autres personnes quels que soient la culture, le champ, la discipline, est-ce que ce qui ne va pas unir aussi les personnes, c’est peut être un référentiel commun ? Bien plus simplement, un certain nombre de valeurs ou de principes qui pourraient être autant partagés dans le champ social que dans le champ culturel ou socioculturel ? Dans les quatre à cinq minutes de conclusion, si on faisait un tour de table, la parole n’étant pas obligatoire. Qu’est-ce qui pourrait être mis

en avant en termes de valeurs pour permettre de se rassembler, d’avoir des choses communes pour avoir envie davantage d’avancer ensemble ? Simon Bailleul – conseiller territorial à la Caisse d’allocations familiales

Trois mots : proximité, mixité, pluridisciplinarité. Ce sont des choses que je voudrais voir demain dans des projets, comment on peut aller au plus près des gens ? Comment on peut croiser les publics et comment on peut croiser les disciplines

et les domaines ? Eva Bouteiller – Compagnie Hors Série

Espace inattendu ou improbable. Évelyne Bru – association Cultures Hors Limites

Je reviens à mon idée de début, j’aimerais que tout cela soit porté par une colonne vertébrale fédératrice, une ligne

directrice qui fasse que toutes ces mobilisations individuelles soit raccrochées à quelque chose qui nous soutienne tous. Je n’ai pas le mot magique, je ne sais pas si vous

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comprenez l’idée, mais pour moi c’est essentiel par rapport à tout ce qui a été dit aujourd’hui. Didier Honno – Opéra national de Bordeaux

Toujours la surprise de la rencontre. Moi ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de dire : « Tiens j’ai vu des gens autour de la table et j’ai drôlement envie de travailler avec certains et certaines ». C’est ça la richesse d’aujourd’hui. Hamid Ben Mahi – chorégraphe Compagnie Hors Série

Continuer dans cette idée de rencontre, poursuivre d’année en année une grande réflexion avec une culture visible. Anne Seston – Rock School Barbey

Cela a déjà été dit mais je pense que la proximité est une carte à jouer pour développer les publics. C’est une démarche que l’on a entreprise et je pense que la réflexion d’aujourd’hui va nous conforter dans cette démarche-là. Florence Rigal – bibliothèque municipale de Bordeaux

Je pense qu’il faut faire confiance au public, à nos concitoyens, dans cette appropriation de la culture. Le plaisir, l’expérience et la convivialité sont très importants. Frédéric Dumon – Maison de quartier du Tauzin.

Effectivement l’envie et les besoins des publics évidemment sont nécessaires. La proximité évidemment. Il y a un autre élément qui n’a peut-être pas suffisamment été développé ou que j’aimerais juste avancer ici, c’est la connaissance des publics pour la connaissance des acteurs, pour les structures, pour essayer de mieux saisir de quoi on parle quand on parle des publics. La connaissance des publics ou du public nous l’avons évoquée nous-mêmes en réunion collective. Pour pouvoir évidemment travailler ces sujets, c’est une des problématiques, comme la problématique de la pérennité des actions et la pérennité des subventions.

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Élisabeth Magne – maître de conférences en Arts Université de Bordeaux

Moi l’idée des grandes messes et des grands projets cela me fait peur. Il faut penser en termes de micro-utopie, de chaos du quotidien parce que la vie n’est pas faite de grands projets, pas faite de grandes colonnes vertébrales, elle est faite de petits bouts de morceaux qui se mettent les uns à côté des autres. Effectivement ce n’est peut-être pas très joli pour une mairie d’accompagner cette absence de visibilité parce qu’elle est faite de tout petits morceaux, mais ces tout petits morceaux, c’est le chaos de la vie de tous les jours et c’est ça qui fait la vie et le fonctionnement des gens les uns à côté des autres. Kirten Lecocq - Association la Halles des Douves

Je rajouterais Inter actions parce que mixité sans interactions… Qu’est-ce que la mixité ? Juste une petite réflexion. Par exemple, il y a Promofemmes ou l’association Hom’Age qui est rattachée à l’ALIFS [Association du lien interculturel familial et social], ce sont des associations et non pas des centres sociaux ou autre œuvrant vraiment dans le social auprès d’une certaine population immigrée. Ils font un travail formidable et font venir des artistes. Cela marche dans les deux sens. L’artiste apprend énormément car ce sont des cultures très riches, très diversifiées et les personnes qui sont dans l’association et qui viennent pour apprendre à lire ou à écrire découvrent aussi. Il faut des lieux où

l’on puisse se rencontrer et où il y a de l’accompagnement et pour l’accompagnement il faut des fonds. Jean-Cyril Lopez – Archives municipales de Bordeaux

J’ajouterais à la liste le mot écoute. Écoute des différents acteurs en fait parce qu’un projet qui connaît un succès c’est parce qu’au départ il a été conçu en co-construction. Au Foyet Leydet, par exemple, ça a marché parce que nous sommes partis de l’envie des résidents.

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Agnès Vatican – directrice des archives municipales de Bordeaux

J’avais envie de revenir sur les termes durable et éphémère parce qu’à chaque fois on a bien vu qu’on se posait la question de la temporalité dans laquelle doivent s’inscrire ou peuvent s’inscrire nos actions. François Hubert – directeur du Musée d’Aquitaine

J’ajoute visibilité parce qu’il se passe énormément de choses et on ne sait absolument pas ce qu’il se passe. Nicolas Rousset – Centre d’animation Bastide Benauge

J’allais rajouter ça : des musées vivants, rentrer dans un lieu et mettre de la vie, de la couleur, c’est important de faire vivre des lieux comme cela. Je reviens juste sur la proximité, c’est important de faire la proximité mais pour aller vers, tisser du lien pour amener à découvrir d’autres lieux et peut-être inventer des stratégies pour découvrir des lieux. Marc Lajugie – président de l’ACAQB

Il faudrait s’efforcer à avoir une meilleure osmose entre la culture et le social. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Sur ce vœu de meilleure osmose, un grand merci à chacune et à chacun. Beaucoup de choses ont été dites. Ne vous formalisez pas trop, une synthèse rapide va être faite par Pauline, Émilie et les modérateurs des 4 groupes, avant un travail plus important. On se retrouve à 16 h 30 dans l’auditorium pour partager la synthèse.

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Compte rendu de l’atelier 2 : Transmettre l’intérêt pour la culture Comment transmet-on le goût pour la culture ? La transmission entre professionnels et publics, mais aussi entre les professionnels eux-mêmes, est un élément clé de l’accès à la culture. Ramon Ortiz de Urbina – directeur centre d’animation Saint-Michel

Pour commencer cet atelier je propose à chacun d’écrire trois mots sur une feuille, trois mots qui sont symboles de transmission. Comment transmettre l’intérêt pour la culture ? Ecrivez trois mots qui vous viennent très vite à l’esprit. Le but de cet atelier est justement de trouver des idées pour transmettre la culture, des idées à partir de vos propres expériences. Beaucoup de choses se font, mais on est là pour aller plus loin que ce qui se fait déjà avec, pour ou autour de vous. Laura Garduno - Association Migrations Culturelles Aquitaine Afriques (MC2A)

Je pense que pour cette question d’intérêt de la culture, il doit y avoir le côté attractif de la participation, la volonté de participer et même la participation sur du long terme : que ce soit avant l’événement quel que soit l’événement et pendant l’événement également. Christine Forestier – assistante sociale

Les trois mots qui me sont venus comme cela, depuis ma place de travailleur social, ce sont : légitimité, connaître et besoin. Parce que je pense que c’est un débat qui traverse beaucoup les travailleurs sociaux « pur et dur » de base. Cette légitimité à se dire on va proposer une offre culturelle aux publics qui viennent pour des besoins qui bien souvent sont en décalage. La première demande c’est : « je veux un toit, je veux à manger », « je veux qu’on me paye ma facture d’électricité ». Le mot connaître c’est aussi parce qu’une fois qu’on se sera senti légitime et je le

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répète c’est un débat qui traverse et qui a traversé tous les travailleurs sociaux : qu’est-ce qu’on va faire ? Pourquoi on va proposer, pourquoi on va se mêler de proposer de la culture à des gens à qui on n’est pas capable de donner à manger, de donner un toit ? Après il y a le mot connaître parce qu’il me semble que ça ne peut se proposer, quoi que ce n’est pas tout à fait vrai, que dans le cadre d’un accompagnement, c’est-à-dire quand on connaît la personne. Le travailleur social est celui qui rencontre le public le plus empêché, je crois, et il ne s’autorise pas toujours à faire une offre de culture. Pourtant quand on travaille en transversalité avec les acteurs culturels, je crois qu’il y a une énorme offre de culture déjà en place, que ce soit par les centres socioculturels ou que ce soit par toutes les institutions culturelles de Bordeaux qui ont fait des efforts pour proposer déjà des tarifs accessibles. Sophie Perez-Poveda – association Cultures du cœur

Je suis ravie que Christine Forestier ait parlé du rôle des travailleurs sociaux, parce que je pense que culture et social ce n’est pas que culture, on n’a pas assez parlé de toute cette dimension sociale. C’est plus un constat en tant que salariée actuelle de Cultures du cœur Aquitaine, mais aussi parce que j’ai été médiatrice culturelle pendant quelques années dans les milieux associatifs. Je trouve qu’il est primordial pour les travailleurs sociaux d’avoir des outils de médiation, parce que même si cela fait partie de vos missions, il est évident que vous n’avez pas toutes les clés. Certains travailleurs sociaux vont être plus ouverts à la culture et à certaines thématiques, que ce soit la musique ou le théâtre, mais il est aussi super important d’avoir des outils théoriques, je parle de médiation culturelle globale. Cela veut dire savoir former ces travailleurs sociaux pour pouvoir mieux appréhender leurs publics, mieux les sensibiliser aux sorties, puisque dans le cadre de l’association que je représente et surtout des activités que les antennes départementales de Cultures du cœur proposent, il y a souvent des retours par ces travailleurs sur des soucis de mobilisation des publics.

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Ramon Ortiz de Urbina – directeur centre d’animation Saint-Michel

Quels sont vos trois mots ? Je vous demanderais dans un premier temps de parler de vos trois mots, de ne pas répondre à une autre intervention. Cela engage des conversations qui peuvent être dures à raccrocher. Que chacun s’exprime et que tout le monde écoute. Sophie Perez-Poveda – association Cultures du cœur

Pour moi ce sont médiation, don, partage. Pierrette Colin – bénévole centre d’animation Bacalan

Le regard sur l’autre, communiquer, la convivialité. Si on a un regard sur l’autre, on peut communiquer, discuter et être convivial, être affable. C’est un peu individuel mais je pense que tous nous devrions l’avoir dans notre mémoire. Patrick Larrieu – Centre d’animation Bastide Benauge

Patrimoine, richesse, diversité. On va parler de transmission, ce n’est pas vénal, je pense au patrimoine. Richesse ça n’est pas vénal non plus et cela a du sens. Diversité parce que les patrimoines et les richesses sont d’une telle diversité. Si on doit parler de transmission c’est vrai que le sujet est vaste. Transmission de quoi, de qui, vers qui ? Si on le raccroche à ce dont on parlait ce matin en termes de culture, avec le social, c’est vrai que le chemin est long. Je peux vous dire par exemple que j’ai fait un petit saut dans une autre forme de culture avec le sport pendant 25 ans et depuis 2 ans on va dire que je travaille dans un quartier, celui de la Benauge, où je découvre des cultures, la culture, je m’éclate tout simplement. Erika Guitard – conseillère en économie sociale et familiale au centre d’animation Bacalan

Mes trois mots sont : – partenaire parce que j’estime qu’on ne peut pas agir seul et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on est partenaire,

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sociaux, culturels, socioculturels. – Convivialité. J’estime qu’une certaine convivialité, un dynamisme doit être créé pour permettre à ces personnes ensuite de pouvoir accéder à la culture. – Mon dernier mot est connaissance et formation. Je pense au personnel qui n’est pas toujours à même de pouvoir au niveau des structures sociales, on ne connaît pas l’ensemble de tout ce qui peut être proposé. On n’est pas toujours apte et formé à pouvoir transmettre cette culture. Viviane Sautereaux – Centre d’animation Bordeaux Lac

Mes trois mots sont : – Vivant, parce que la culture qu’elle soit avec un petit c ou un grand C, c’est la culture vivante, qui se fait, se défait et qui s’invente. – Être, parce qu’il ne faut pas en voulant emmener la personne à la culture nier ce qu’elle est, son origine et la façon dont elle perçoit les choses. – Expérimenter, parce qu’il me semble que c’est par un parcours sensible où on découvre d’abord sa sensibilité qu’on peut aller vers la sensibilité de l’autre et des autres et avoir la curiosité de vouloir accéder à d’autres choses. Luc Billières – Les Vivres de l’Art

Mes trois mots sont : patrimoine, ludique et rêve. Je monte des expositions aux Vivres de l’Art dans lesquelles j’essaye de raconter des histoires et donc d’agir comme une sorte d’aimant par rapport aux gens qui pourraient passer place Raulin, je veux toucher tous publics. Le patrimoine, bon voilà. Le ludique car à partir du moment où on monte des expositions j’estime qu’il faut partir des enfants, car même si ce sont des adultes qui viendront, il faut essayer d’avoir quelque chose d’agréable, ludique. Le rêve c’est aussi pour montrer qu’il y a autre chose, que c’est possible, qu’on peut construire quelque chose. Quand tu viens

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voir cette exposition, si tu as quelque part une fibre, tu pourras aller au-delà de ça pour avoir une réaction du public qui passe, les attirer, voir que quelque chose est possible. Pierre Lafaille – Centre d’animation Bastide Queyries

Les trois mots sont : plaisir, écoute et partage. Je ne vais peut-être pas expliquer le pourquoi de chaque mot, mais globalement c’est ce que je trouve important quand on dit transmettre l’intérêt pour la culture, c’est surtout pour quelle finalité et c’est vrai que le but premier si j’aime la musique ou le théâtre, c’est surtout parce que j’y trouve du plaisir et que j’ai envie de le susciter chez les publics que l’on côtoie. Je trouve assez important que toutes les personnes dont on parle qu’elles soient isolées, empêchées, tout ce que l’on veut, elles ont, elles aussi, une culture. C’est important aussi parfois d’écouter ce qu’elles ont à nous dire et de ne pas croire que nous, nous détenons une culture qui est « la » culture. Ils ont plein de choses à nous proposer et c’est pour cela que ce vers quoi on tend, c’est vraiment cette idée de partage. À la fois on va peut-être leur faire découvrir des choses et elles vont nous faire découvrir des choses. C’est là où tout notre métier devient intéressant. Marie-Dominique Bacic - Conseil général de la Gironde Direction des affaires sociales

Mes trois mots sont lien, proximité dans le sens de proximité-lien, partage et empathie. Martine Simonet-Buton – bénévole association Chahuts

J’ai deux mots sur trois comme Pierre, c’est écoute et plaisir. J’ajouterai aussi curiosité. L’écoute parce que je pense que c’est une chose qui manque à beaucoup de gens, à moi par exemple et l’écoute bienveillante parce que je crois qu’on est entouré de beaucoup de jeunes et de vieux râleurs. Donc déjà prendre la vie du côté positif cela peut aider. Le plaisir c’est lier, car quand on veut amener les gens à faire quelque chose il faut leur donner un

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intérêt et l’intérêt premier et primaire c’est le plaisir. Donc ne pas hésiter à tomber dans des choses qui auraient l’air gratuites, ne pas vouloir forcer la culture avec un grand C toute de suite. La curiosité, parce que pour démarrer on a besoin de choses qui nous titillent un peu. Il suffit quelques fois de lancer une petite chose insolite, de juste démarrer quelque chose pour réveiller la curiosité des autres et leur donner envie de continuer. Philippe – membre de l’association Oxygène

Mes trois mots sont ensemble, passion et universel . Je crois que la culture ça se vit ensemble, on ne peut pas vivre sa culture dans son coin, on partage. Ce sont des émotions que l’on vit ensemble , des messages que l’on envoie, que l’on reçoit. Lorsqu’on est artiste on transmet des messages, des émotions. Il peut y avoir effectivement beaucoup de choses qui passent là-dedans. C’est quelque chose qui se vit ensemble. La passion, bien entendu lorsqu’on est passionné, on transmet aussi énormément, peut-être parfois un peu trop mais en tout cas on transmet un message assez puissant. Universel parce que je pense que dans l’art, il y a quelque chose d’universel, quelque chose qu’on a tous en nous. Il y a des artistes qui sont dits universels, mais en nous il y a aussi une part d’universel, parce que l’art part de quelque chose de très intime. On partage tous des émotions devant une œuvre même si on n’aime pas. Marc Favreau – conservateur du Musée des beaux-arts de Bordeaux

Mes trois mots sont savoir, citoyenneté et sociabilité. Il faut les rattacher au mot intérêt pour la culture puisque c’est le thème de cette réunion. Le savoir recoupe la curiosité dont parlait madame. Le savoir, pourquoi s’intéresse-t-on à la culture ? Les savoirs qui sont à la fois scientifiques, historiques ou même simplement humains. La citoyenneté parce que l’intérêt pour la

culture peut participer en l’effet de la construction de l’individu au sein de la société, du partage, ne pas rester isolé dans son coin. La sociabilité, c’est améliorer les rapports entre

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les hommes grâce justement à l’intérêt pour la culture, sans se borner uniquement à la culture. Cécil Bensimon – chargé de mission Association des Centres d’animation de quartiers de Bordeaux (ACAQB)

On aurait pu trouver beaucoup de mots, au-delà des trois mots, j’ai préféré trois notions qui se traduisent par des mots. J’ai adhéré à ce qui a été dit ce matin par rapport à l’éducation et effectivement c’est important de commencer tôt dans la prime enfance, l’éducation des enfants par rapport à la culture. Je ne suis pas persuadé que ce soit uniquement à l’école qu’on puisse avoir cet apprentissage. J’ai des enfants qui vont souvent au musée avec leur classe, je ne sais pas ce qui en ressort au final, ce qu’ils retiennent au-delà du fait qu’ils ont vu tel ou tel artiste, je ne sais pas si après, il va leur en rester beaucoup. La deuxième notion ce serait la parole, la transmission, comment transmettre cela et puis la formation, parce que les enseignants ont aussi cette mission-là, mais est-ce qu’ils ont eu la formation nécessaire pour avoir tous les éléments pour la transmission. Ma troisième idée, c’est un peu l’idée de Philippe, ensemble. Au-delà d’ensemble, je dirai avoir un projet ensemble, ce n’est pas uniquement l’idée d’aller au musée, c’est aussi tout un ensemble d’éléments par rapport à cette éducation. Isabelle Audibert – association Cultures du cœur

Mes trois mots sont médiation, mise en lien et clé de compréhension. Selon moi, pour transmettre quelque chose il est nécessaire qu’il y ait un médiateur, un passeur qui mette en lien deux univers. Pour mettre en lien ces deux univers, il faut des clés de compréhension, des outils qui soient communs à chacun. Sylvia Dal Molin – Crèche Le Jardin d’Hortense

Mon premier mot c’est l’éveil, l’éveil du jeune enfant, comment il devient curieux au monde qui l’entoure. Le second en passant par « la pratique » tout ce qui est éducation artistique

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et culturelle. Le troisième mot c’est l’accompagner, accompagner le parent et accompagner les professionnels aussi qui sont autour des enfants. Francis Boulan – directeur adjoint de l’association Oxygène

On a entendu des personnes, des adhérents de l’association Oxygène intervenir, l’un d’eux a parlé des besoins, c’est le mot que j’ai mis en premier. S’il n’y a pas de besoin, on ne peut pas transmettre. Le deuxième mot que j’ai écrit spontanément c’est l’écoute. Il faut vraiment être à l’écoute. Quand les besoins fondamentaux de base ne sont pas résolus, comment avoir d’autres besoins ou d’autres envies que d’avoir un toit, à manger, pouvoir se vêtir, etc. ? Ensuite, lorsqu’on a répondu à ces besoins-là, être à l’écoute de la culture de chacun, on va pouvoir communiquer, trouver, faire des ponts entre ce qui est leur culture à eux et ensuite faire ce transfert d’enthousiasme parce que la communication en fait c’est du transfert d’enthousiasme. Chaque fois que j’ai été enthousiaste pour quelque chose, lorsque j’ai été heureux et content de pouvoir communiquer quelque chose à qui que ce soit, je sais que je l’ai inspiré quelquefois à venir dans un lieu culturel où finalement il n’aurait pas mis les pieds parce que ce n’est pas son environnement habituel. Simplement parce qu’on a une bonne relation on amène cette personne avec nous et il y a de vrais moments d’émotion. C’est aussi mon expérience, j’arrive d’un milieu très difficile et je me souviendrai toujours de la première fois ou quelqu’un m’a inspiré et m’a amené au théâtre. Je ne voulais pas, ce n’était pas mon monde et j’avais cette peur dont on a parlé déjà ce matin et je me souviendrai toute ma vie de l’émotion que j’ai ressentie dans mon cœur, dans mon corps, c’était extrêmement fort. Je n’ai pas tout compris mais ce que j’ai retenu c’est l’émotion et c’est l’enthousiasme de la personne qui m’a accompagné, qui m’a fait faire le pas, ensuite je l’ai fait de moi-même.

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Cécile Deniau-Smith – association Prommofemmes

J’ai mis en premier le rêve, peut-être parce que je suis une grande rêveuse. Mais j’ai quand même l’impression qu’on peut apporter du rêve au travers de la culture, même à des gens sans avoir résolu leurs besoins de base. C’est depuis ma toute petite expérience à Promofemmes que j’ai pu constater ça. Cela se passe dans le partage et c’est mon deuxième mot, parce que j’aime que cela circule, je n’aime pas donner sans recevoir, je suis peut-être égoïste… En troisième mot la convivialité parce que ça découle du partage ou ça fonctionne avec le partage. Adèle Falco – Service civique à la mairie de Bordeaux pour la carte culture jeunes

Mon premier mot c’est envie, parce que je pense qu’il faut créer l’envie auprès des personnes pour qu’elles aient le désir de venir dans des lieux culturels, surtout par la parole tout ce qui est médiation, donc communiquer énormément sur les possibilités qu’offre la ville de Bordeaux. Il faut informer les gens, essayer de leur donner les clés pour qu’ils aillent dans des lieux qui leur sont ouverts, fidéliser les jeunes pour les retrouver plus tard dans leur pratique culturelle. Romane Volle – association Cultures du cœur

Les mots que j’ai choisis ont déjà été dits, la médiation comme un outil et comme une pratique culturelle, qu’elle soit culturelle et sociale, je la vois dans les deux sens. L’écoute, écouter les gens et les entendre. Pour arriver au troisième mot qui est le partage puisque cela va dans les deux sens. On peut être médiateur et recevoir beaucoup des gens qu’on reçoit et inversement. Léa Molins – stagiaire aux Vivres de l’art

Mes trois mots sont témoigner , c’est-à-dire la notion de transmettre, informer et donner un accès à la création.

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Laurène – stagiaire aux Vivres de l’art

Envie, car il faut créer l’envie chez les gens d’accéder à la culture. Émotion, car il faut que cela dégage une émotion et aussi un enrichissement chez les personnes. Muriel Prax – membre de l’association Oxygène

Mes trois mots sont échange, communication et partage. Le côté communication, c’est dire qu’il y a telle ou telle sortie culturelle, mais il y a aussi l’échange entre nous une fois qu’on a fait la sortie culturelle pour nous inciter à en faire d’autres. Je pense que même lorsqu’on est en difficulté de logement, etc., etc., j’en suis la preuve, on peut accepter d’aller à une sortie culturelle. Il faut nous donner la chance et ne pas nous couper non plus une fois qu’on a fait un pas. Il ne faut pas croire que tout est gagné, tout est figé une fois qu’on a fait un pas en avant. Élodie Meignen – association Cultures du cœur

J’ai mis l’enthousiasme car je trouve normal lorsqu’on a eu du plaisir, lorsqu’on a aimé un spectacle de le faire partager. Partage d’émotions également, car en partageant des émotions on se confie, on crée une situation de confiance avec la personne, on établit une relation avec l’autre personne qui peut aussi expliquer ce qu’elle a ressenti par son expérience de certaines activités qu’elle a pu faire. Et aussi par l’initiation artistique qui permet de comprendre un art, en le faisant on a parfois envie d’aller plus loin, d’aller voir des spectacles et de voir comment cela se passe sur une scène. Aude Birba – association Cultures du cœur

Mes trois mots sont médiation, communication et partage. Le partage, que ce soit le partage des points de vue des personnes face à l’œuvre ou encore d’un ressenti ou de toutes ces choses-là, justement quand on amène un public face à une œuvre, face à une pièce, ou à un spectacle, qu’on puisse ensuite partager les regards et les émotions.

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Ramon Ortiz de Urbina – directeur du centre d’animation Saint-Michel

Merci pour cette sincérité, c’est ce que nous voulions aussi à travers ces mots, que vous parliez de ce que vous pensez, de ce que vous êtes et pas de répéter des dossiers pour ceux qui en écrivent beaucoup, mais vraiment de partager ces idées. Bouchra Talsaoui – adjointe de direction centre d’animation Saint-Michel

Cela permet de construire du sens. Quand je dis sens, quand on parlait de la question de l’éducation, de la question de l’école, c’était une grande absente finalement aujourd’hui. Un enfant à l’école est dans un rapport au savoir particulier, il est dans un autre rapport au savoir au dehors de l’école et il ne trouve plus forcément de sens. Comment alors articuler ces différents temps, temps périscolaire, temps scolaire ? C’est important, actuellement c’est le grand débat de la réforme et j’espère qu’on intégrera cette question-là, c’est pourquoi je parle de sens. La

culture c’est aussi construire sa place et son rapport au monde. Là on est toujours dans le rapport au savoir. La troisième idée c’est construire une histoire et une mémoire collective. C’est cela aussi la culture et aussi au sens interculturel. Ramon Ortiz de Urbina – directeur du centre d’animation Saint-Michel

Est-ce que quelqu’un parmi vous veut rebondir sur des propos que vous avez entendus, les continuer, les développer, ajouter ? Bouchra Talsaoui – adjointe de direction centre d’animation Saint-Michel

Vous disiez c’est pas parce qu’on a des difficultés qu’on ne peut pas aller au spectacle. Je peux l’interpréter en disant que c’est aussi un droit. C’était hyper intéressant que vous l’évoquiez parce que souvent effectivement quand on est dans la nécessité, c’est un luxe on ne peut pas se permettre ce droit-là. Peut-être qu’il faut aussi évoquer l’autocensure. Dans le cadre du centre d’animation Saint-Michel, par exemple, à propos du fait de partir en vacances, souvent des gens qui sont dans ces difficultés-là se disent : « non je ne vais pas me donner ce droit d’aller en

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vacances. » Or on peut s’autoriser ce droit. Pierrette Colin – bénévole centre d’animation Bacalan

J’ai remarqué que le mot communiquer revient très souvent. C’est un mot important. Je voudrais juste dire qu’on termine souvent notre petit discours avec le mot voilà. Viviane Sautereaux – Centre d’animation Bordeaux Lac

Je voudrais revenir sur la notion de plaisir et de partage. Je parlais du faire tout à l’heure, de l’expérimenter. Ce matin on a parlé de l’artiste au cœur du processus et c’est vrai que c’est souvent absent, quand on veut emmener la personne à la culture, on n’a pas souvent le réflexe d’inviter des artistes ou de vivre quelque chose avec des artistes avant ou après les spectacles. Je pense que pour susciter l’envie d’aller vers le spectacle ou la chose artistique, l’artiste a vraiment un rôle à jouer dans le « faire devant », mais dans le « faire avec », dans la parole, dans pourquoi, comment il fait cela, qu’est-ce que lui ressent comme émotions justement dans le partage des émotions ? Je pense que cela est aussi à développer dans l’envie d’amener des gens vers l’artistique ou la culture. Pierre Lafaille – Centre d’animation Bastide Queyries.

C’est intéressant, on a parlé ce matin un tout petit peu de la place de l’artiste et c’est vrai qu’aujourd’hui au final il n’y en a pas autour de la table. C’est vrai qu’ils ont une place centrale dans la manière dont on va amener notre intérêt, notre envie de transmettre, tout cela parce qu’après, très souvent, il y a des artistes qui ne savent pas transmettre. Ce n’est pas parce qu’on est artiste qu’on sait aussi transmettre et je me posais la question, tout à l’heure on parlait de formation médiation pour nous, animateurs sociaux, ce qui est très bien, mais est-ce que aussi certains artistes n’auraient pas besoin de se mettre au niveau des publics qu’ils accueillent ? Parce que c’est pas parce qu’on est artiste qu’on sait. Très souvent on a l’impression que nous allons

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amener la bonne parole, que les artistes étant donné qu’ils sont artistes, ils savent. Or ce n’est pas vrai, je pense qu’il y a tout un travail de déconstruction à faire à ce niveau-là, y compris chez les artistes. Je suis complètement d’accord sur la place nécessaire qu’ils ont, mais après dans tous les mots qui sont revenus tout à l’heure, j’avais mis aussi écoute et partage et c’est aussi pour ces personnes-là. Martine Simonet-Buton – bénévole association Chahuts

Je reviens sur ce qu’a dit Pierrette tout à l’heure sur la communication. Je pense que c’est quelque chose de très très important pour toutes les associations, savoir communiquer, savoir se présenter, parce que tout bêtement je peux vous dire que bien que fréquentant le centre de Saint-Michel, dont je ne saurais toujours par dire si c’est un centre culturel, un centre d’animation, je nage complètement là-dedans. Vous c’est votre boulot, moi, quand j’ai demandé à Hélène elle m’a donné un fascicule qui doit faire 50 pages, je n’ai pas lu 50 pages. Les gens quand ils passent devant un centre, devant une association, pourquoi ils ne rentrent pas, parce qu’ils ne savent pas forcément à quoi cela sert. Ils ne savent pas forcément ce que l’on y fait. Moi quand j’ai poussé la porte pour demander, bon j’ai vu qu’il y avait du sport mais j’ai vu aussi qu’il y avait des gens qui discutaient et qui n’avaient pas du tout l’air de faire une activité sportive. Je crois que cela pourrait être un gros chantier de départ, déjà que chaque association ait une enseigne bien clignotante nous disant : « voilà nous on peut vous proposer ça et ça, on est fait pour ça et ça. » Luc Billières – Les Vivres de l’Art

À propos des artistes. Quelques fois ils sont comme cela, ils ne l’ont pas choisi et il ne faut pas forcément leur demander de s’impliquer dans une démarche de partage, etc. Dans la période de leur vie où ils créent, déjà c’est très difficile d’exposer des œuvres. Certains vont s’impliquer volontairement, ont cette demande, ils vont vouloir le faire. Mais il ne faut pas vouloir le

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généraliser à tous, c’est très compliqué avec les artistes et qu’ils s’impliquent tous n’est pas possible. Bouchra Talsaoui – adjointe de direction centre d’animation Saint-Michel

Sur la question de l’artiste, il y a deux choses, deux dimensions, la question de la transmission en tant que personne, son art, sa vie et la question de la pédagogie, ce n’est pas la même chose. Je pense que c’est aussi cela le rôle des travailleurs sociaux, des médiateurs, d’être dans une pédagogie, d’expliquer l’œuvre de l’artiste. L’artiste il est là pour transmettre son histoire et nous on ne peut que la prendre telle qu’elle est parce que cela fait partie de lui. Alors que la question de la pédagogie, de la médiation cela nous appartient de faire ce lien de médiation entre l’artiste et le public. Isabelle Audibert – association Cultures du cœur

Je voulais revenir justement sur la place de l’artiste et le rôle de transmission. Je trouve que bien souvent on a tendance à mettre la culture au-dessus du social, à se dire que c’est seulement la culture qui va pouvoir apporter aux êtres humains. Dans les expériences que nous avons par rapport à Cultures du cœur, il y a des artistes qui sont prêts à rencontrer le public et d’autres pas. Mais dans ceux qui sont prêts et qui ont envie de rencontrer le public, cela leur apporte autant que cela va apporter aux personnes. L’art est fait aussi pour les publics et un artiste a besoin des publics pour s’enrichir. Cultures du cœur travaille autant avec des structures sociales que des structures culturelles. Bien souvent le social est au-dessous du culturel, on dit tout le temps c’est le culturel qui apporte au social. Je ne dirais pas que c’est l’inverse mais en tout cas il y a autant d’apport du social pour le culturel et c’est très important qu’il y ait des rencontres comme cela. Christine Forestier – Assistante sociale

Par rapport aux artistes, je voudrais dire qu’il y en a beaucoup qui sont au RSA et que depuis le RSA ils ne sont plus sui-

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vis par le social mais par le Pôle emploi. Pour préciser ma pensée par rapport à tout à l’heure, la légitimité dont je parlais à proposer une offre culturelle, je l’ai trouvée maintenant, je ne me pose plus vraiment la question. Je pense que le travailleur social c’est important qu’il puisse proposer de l’offre culturelle, justement parce qu’autrement ce serait une exclusion supplémentaire de ne pas le faire, j’en ai bien conscience. Après je pense que nous ne savons pas faire, d’où l’importance de la médiation et de travailler avec des médiateurs culturels et nos collègues du socioculturel. Bouchra Talsaoui – adjointe de direction centre d’animation Saint-Michel

Pour répondre ou peut-être être en interaction avec toi, le travailleur social il ne faut pas qu’il se sente non plus obligé de proposer, il peut être le lien. Le rôle du travailleur social c’est aussi d’orienter et ce qui est important aussi c’est de connaître et de maîtriser l’offre culturelle et de savoir où est-ce que cette personne peut être orientée. Sophie Perez-Poveda – Cultures du cœur Aquitaine

On parle beaucoup d’artistes, mais je crois que ce qu’on entend aussi par médiateur c’est un travailleur social, mais ce sont aussi les médiateurs culturels de toutes les structures culturelles et je crois que c’est aussi à eux d’aller à la rencontre de tous ces publics-là. Parce qu’effectivement un animateur, un éducateur, un assistant social a plein d’autres choses à faire. Il est super important que ce soit aux structures culturelles et institutionnelles de s’investir plus auprès de ces publics en difficulté. Sylvia Dal Molin – Crèche Le Jardin d’Hortense

Je voulais rebondir là-dessus et tu as complètement raison parce qu’en fait c’est une de leurs missions en tant que scène nationale d’aller vers ces publics, mais ils ne le font pas tous.

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Muriel Prax – membre de l’association Oxygène

Je voulais rajouter deux ou trois choses. Quand je parlais d’échange et de communication, je parlais justement de ceux que vous avez appelés les gens empêchés, c’est-à-dire qu’il y ait une forme de transmission public-public. Je me suis dit que peut-être pour trouver des pistes pour répondre à la question qui nous intéresse : comment transmettre l’intérêt pour la culture ? Peutêtre qu’il faudrait justement réunir des gens empêchés et juste des gens empêchés, pour les faire débattre là-dessus. Je vous avoue que pour moi ça n’est pas évident de parler face à vous. Je pense que cela pourrait être une idée intéressante qui permettrait que certaines langues se délient. Cela pourrait peut-être amener des réponses à la question. Je voulais quand même rappeler qu’on a dit qu’il y avait beaucoup d’offres gratuites à Bordeaux, on n’est pas forcément au courant et pourtant vous voyez je suis dans une association, mais on ne sait pas toujours où, quand et même comment se renseigner. Peut-être qu’il faudrait faire un lieu là aussi, je ne sais pas de quelle façon, peut-être comme quelqu’un qui serait un porte-parole. Par exemple dans les lieux qui proposent comme les centres socioculturels, les centres d’animation ou les associations il pourrait y avoir une personne comme vous les avez appelés « du public empêché » qui soit en lien avec le professionnel qui propose l’activité. Je me dis qu’après la communication se ferait mieux justement de personne à personne directement parce que quelque part, je ne sais pas comment le formuler clairement, on est au même niveau, même si les gens à l’association veulent nous aider à aller vers la culture, je pense qu’il y a certains messages qui passent mieux quand on est au même statut. Viviane Sautereaux – Centre d’animation Bordeaux Lac

Tu te mets dans le camp des empêchés et tu nous regardes comme si nous nous n’étions pas empêchés, alors que finalement on est peut-être tous empêchés face à la culture d’une façon ou d’une autre. La raison peut être financière ou même plein d’au-

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tres raisons, le milieu social d’où l’on vient. Je crois à des expérimentations, par exemple l’expérimentation du TnBA sur l’atelier du samedi qui s’adresse aux salariés des centres d’animation et aux adhérents. C’est un atelier théâtre où on est ensemble, où on va voir des pièces ensemble et on se rend compte qu’on a les mêmes émotions, que nous avons parfois les mêmes empêchements. Nous vivons des choses ensemble. Nous parlons de partage et cela commence peut-être par là. On veut amener des gens à la culture, peut-être les vivre ensemble pour commencer et se rendre compte que finalement on a tous des intérêts communs, que nous vivons tous quelque chose à travers cela. Ramon Ortiz de Urbina – directeur du centre d’animation Saint-Michel

Je vais me permettre de parler pour déculpabiliser tout le monde, pour rassurer tout le monde. Savez-vous quelle est la proportion de français qui vont à un spectacle d’eux-mêmes ? Entre 7 et 8 %. Donc de l’empêchement il y en a et il y a du travail. Maintenant je vais vous proposer toujours à l’aide des petits papiers d’écrire des idées d’actions à mettre en place, pas de recopier celles qui sont déjà existantes. Avec tout ce qu’on a dit ce matin et cet après-midi, le mot de pont, de passerelle, de

chaînon. La transmission c’est cela, c’est prendre un élan d’un point à un autre. L’idée de communication revient également. Donc maintenant vous allez écrire des idées folles ou pas. On ne vous demande pas d’être originaux, si ça l’est c’est… Il y a beaucoup de gens de terrain autour de la table, allez-y, on vous demande du concret mais aussi du rêve, permettez-vous… Je ne vous demande pas trois idées d’action, s’il y en a beaucoup tant mieux, s’il y en a une, c’est bien. Francis Boulan – association Oxygène

Spontanément j’ai pensé qu’il serait nécessaire de mettre un

média commun qui communique tous les événements gratuits accessibles, par Internet, un site particulier qui pourrait renseigner toutes les associations, les centres sociaux,

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pour que cette information puisse passer rapidement . Ensuite, je reviens sur ce que dit Muriel, qui est dans l’association Oxygène, il faudrait réunir les bénéficiaires pour débattre de leurs attentes en termes de culture. On l’a déjà fait avec les plus motivés, on les a réunis et on leur a communiqué tous les événements à venir sur la saison culturelle en général. Je pense qu’il serait important d’aller un peu plus loin et les inciter à motiver, comme eux sont déjà motivés, à parrainer une personne de l’association en plus pour la motiver à venir avec eux voir un spectacle. Donc une action de parrainage, la transmission d’enthousiasme dont je parlais tout à l’heure. Muriel Prax – membre de l’association Oxygène

Je rebondis juste sur ce qu’a dit Monsieur Boulan, parce que quand je parlais de nous réunir entre nous, ce n’était justement pas comme ce qui a été fait auparavant, c’était juste entre nous entre personnes empêchées et ensuite on vous parle du rêve, c’est un peu utopique comme idée, je me dis que si les artistes jouaient un peu plus le jeu, par exemple on peut imaginer une exposition de peinture c’est difficilement accessible, peut-être s’il y avait une forme de gratuité pour les lieux socioculturels ne serait-ce qu’une fois, ce que je me dis en dehors des freins qu’on a évoqués ce matin, psychologiques, etc. C’est vrai que faire un pas une fois même si cela ne veut pas dire que c’est gagné, qu’on le fera tout seul par derrière après, cela a plus de chance malgré tout d’avoir une empreinte sur la personne et de faire qu’elle risque de revenir, de recommencer. Je pense que c’est vraiment la première fois qui est importante, motiver les gens pour qu’il y ait cette première fois. Peut-être qu’il devrait y avoir un jeu qui devrait se créer et pour qu’il y ait une première fois gratuite pour inciter les gens à « découvrir ». Après cela leur donnerait peut-être la soif d’encore plus et que les artistes justement partagent leurs passions, s’expriment, pas juste qu’on soit là pour regarder ou écouter. Quand les gens sont passionnés justement, ils font passer plus de choses. Je trouve cela passionnant d’écouter des passionnés.

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Laura Garduno – association MC2A

Je veux rebondir sur la communication. C’est vrai il y a un problème de communication dans les structures sociales et culturelles. Je fais partie d’une association, nous avons une galerie d’art et nous exposons des peintures d’art contemporain africain et c’est gratuit. Grâce à Cultures du cœur, nous avons fait venir plusieurs groupes, tous types de publics, personnes en difficulté, handicapés, personnes sans emploi, etc. C’est ce lien qui est encore à exploiter car tout le monde ne connaît pas Cultures du cœur, qui fait rencontrer, qui fait une première sortie. Après quelque chose peut se mettre en place. Il y a un gros problème de communication et c’est important de faire des échanges comme aujourd’hui. Mon idée était vraiment sur la base de la communication, justement. Mon idée c’est de faire une sorte de fête des associations sur les quais de Bordeaux, en investissant les Quinconces, que toutes les structures sociales et artistiques aient une sorte de stand avec des scènes, faire des spectacles, des expositions en plein air, des performances… mais par contre pas de l’envergure de la fête du vin, quelque chose qui soit un peu interne à la CUB, que ce ne soit pas comme seul but « faire vivre Bordeaux dans la France », c’est faire vivre les gens de Bordeaux et d’essayer de résoudre ce problème de rencontre et de communication, de compréhension de ce qui se passe sur Bordeaux. Voilà, donc un temps convivial avec des repas, c’est du rêve, mais ça pourrait régler pas mal de choses. Luc Billières – Les Vivres de l’Art

Les Vivres de l’art à Bacalan sont installés place Raulin, c’est une place publique. Nous avons mis des sculptures un petit peu partout, on a aménagé comme ci, comme ça, on a beaucoup d’interrogations, de passage. Je vous raconte par exemple la journée d’hier après-midi. Il y a des gros rochers sur la place et il y a un sculpteur qui vient, qui prend ses outils, qui taille la pierre. Les gens passent dans la rue et voient qu’il se passe quelque chose, ils vont voir : il y a un sculpteur, ils disent : « ah les statues

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cela se fait comme ça. » Moi j’ai une expo que je change régulièrement, mais j’ai toujours une expo. Je vois des gens, leur dit venez voir, j’ouvre la porte, la porte est ouverte. Je fais la visite, on voit ça, etc. Le quartier de Bacalan est en pleine rénovation, des entreprises font de la pierre, je vais les voir je leur demande de m’amener une palette de pierres, des chutes de cailloux, je demande à Gérard qui sculpte s’il n’a pas des ciseaux. On met les cailloux là, il y a des gens qui passent : « vous voulez essayer de tailler la pierre ? Allez-y ! Faites-le, c’est possible ! Vous pouvez voir, il a fait ça comme sculpture », etc. On est sur une place, allons-y. Voilà c’est juste une action. Après j’ai par exemple des accords avec le Collège Blanqui avec des élèves qui viennent et qui ont aussi essayé la sculpture. Ramon Ortiz de Urbina – directeur du centre d’animation Saint-Michel

Votre idée c’est d’offrir l’espace public. Luc Billières – Les Vivres de l’Art

L’espace public est à tout le monde. Mais je crains que si vous ne fassiez cela place de la Bourse, si vous amenez votre cailloux, vous risquiez d’avoir des problèmes. Bouchra Talsaoui – adjointe de direction centre d’animation Saint-Michel

Il me semble que l’idée c’est de faire pénétrer l’art ou la culture dans la vie quotidienne des gens. Au départ c’est un apprentissage et cela devient finalement naturel. C’est ça la question de la culture, pour certains c’est tellement naturel, cela va tellement de soi, qu’on va naturellement au Musée. Quand cela ne va pas de soi, c’est difficile d’y aller. Ramon Ortiz de Urbina – directeur du centre d’animation Saint-Michel

Très bien c’est une idée, mais une action de pénétration de l’art dans la vie quotidienne, car cela ça se fait déjà, cela se fait à Saint-Michel par exemple.

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Bouchra Talsaoui – adjointe de direction centre d’animation Saint-Michel

L’idée c’est de le généraliser. Viviane Sautereaux – Centre d’animation Bordeaux Lac

Juste un petit rêve que j’ai depuis un petit moment, un petit truc à faire. Ce serait de partir des savoir-faire de tout le monde. Quelqu’un qui sait faire des maquettes, une autre qui tricote, une autre qui fait de la couture, des petits loisirs créatifs, des choses que chacun a pu expérimenter. Partir de cela, le réunir, en faire une installation ou avec les choses faire quelque chose qui commence à se dessiner sur autre chose que le petit loisir créatif, qui prend une ampleur, qui prend une dimension qui va s’installer pour ensuite aller chercher, aller creuser, quel artiste, quelle personne s’est servi de cela dans la culture ? En quoi cela peut être rattaché à la culture ? Et une fois que l’on a trouvé parce qu’il existe plein de parallèles, aller justement voir qu’est-ce qui a été fait, dit de culturel et non plus de petits loisirs pour en arriver à la rencontre de ces œuvres ou à la rencontre physique de l’artiste. Pierrette Colin – bénévole centre d’animation Bacalan

Pour répondre à Muriel, je ne dirais pas gratuit, je dirais offert. Pour les connaissances qui n’ont pas l’habitude d’y aller, je dirais offrir une place. Pour répondre à Luc, son exposition place Raulin est formidable. Mais pour que des gens se déplacent il faut vraiment informer, passer des articles dans le journal du quartier ou sur Internet concernant ce qui s’y passe ou ce qui se construit. Informer sur les radios et surtout par quartier. Romane Volle – association Cultures du cœur

J’ai fait un rêve, comme aurait dit une personne, en fait c’est des projets qui peuvent exister aujourd’hui, mais c’est un projet que j’aimerais mener sur du très très long terme, l’idée d’une friche. Les Vivres de l’Art pour moi c’est une friche. Le garage moderne pour moi c’est une friche. Réhabiliter des bâtiments, des espaces oubliés ou pas par les habitants et en faire des lieux

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culturels et citoyens, des espaces de vie d’échanges de pratiques, qu’elles soient professionnelles ou amateurs. J’ai un très grand respect pour tout ce qui est amateur, que ce soit du théâtre, des arts plastiques, parce que les personnes peuvent et ce n’est pas une question de talent faire ressortir ce qu’elles ont au plus profond d’elles-mêmes par une pratique quelle qu’elle soit. J’aurais dans l’idée de reprendre un bâtiment et qu’il soit mis à la disposition des citoyens, que ce soit libre comme des squats, cela existe notamment à Madrid. Là-bas c’est à la vue de tous, des bâtiments en lambeaux mais remplis de Tags et vivant à l’intérieur, il y a plein de projets qui se font. C’est une utopie que j’ai. Pour rebondir sur les propos de Muriel et de Laura, Laura en fait ce que tu proposes c’est un peu un projet de Cap associations mais redynamisé, un projet beaucoup plus ouvert qui sort peutêtre du Hangar 14 et je te rejoins sur ce point. Pour l’avoir fait cette année pour la première fois avec Cultures du cœur Gironde, j’ai trouvé cette manifestation malheureusement assez triste. J’aurais aimé que cela bouge beaucoup plus, j’aurais aimé qu’il y ait beaucoup plus de gens qui soient là, j’ai trouvé cela hyper dommage. Au-delà de la communication, en tant qu’acteur socioculturel investi, on croule sous les offres socioculturelles, qu’elles soient payantes ou gratuites et c’est vrai que faire la différence et essayer de donner l’opportunité à des gens d’aller voir un spectacle ou autre, c’est très difficile. Je me pose la question de pourquoi on s’arrête sur des événements gratuits ? On peut aller voir des spectacles payants même si on est dit « publics empêchés », il y a des dispositifs qui sont là, il ne faut pas s’arrêter aux événements gratuits. Sophie Perez-Poveda – association Cultures du cœur

Je reviens sur le projet du rêve. Je suis un mixte de Luc et Romane. Travailler avec les mêmes personnes fait que l’on se confond, on a les mêmes idées. Mais toujours dans cette idée de pratiques amateurs par rapport à un lieu, qu’il soit en friche ou reconnu comme MC2a, on s’en fiche. Le but ce serait de faire

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participer les habitants pour une œuvre collective ou individuelle, dans différents lieux dans Bordeaux ou la CUB et à partir de là imaginer un circuit itinérant, avec pour guides les personnes qui ont participé à ce projet de création. Voilà, cela n’a rien d’extraordinaire, mais c’est mon rêve. Sylvia Dal Molin – Crèche Le Jardin d’Hortense

Moi, mon rêve il peut aussi rejoindre plusieurs de vos préoccupations. Pour moi c’est important d’aller vers et de sortir de tous ces lieux institutionnels. Ce matin c’était le TnBA et l’Opéra. Il y a des petites actions qui se passent à l’hôpital, en prison, pourquoi ne pas aller faire un accrochage d’œuvres d’artistes à Pôle emploi, à la CAF, en bas d’un immeuble. Il y a des petites choses qui se passent mais il n’y en a pas assez. Comment pérenniser toutes ces actions et ne pas faire que du saupoudrage ? Car c’est souvent cela. Donc notre rêve ce serait aussi, toujours dans l’idée de proposer des pratiques artistiques à chaque citoyen comme un droit, l’enfant va à l’école c’est gratuit, pourquoi l’adulte ne pourrait pas avoir une pratique culturelle pour chacun, offerte ou avec une petite participation. Je voulais aussi présenter une troisième idée, depuis ce matin on entend le mot co-construire, je n’en peux plus de ce mot-là, cela ne veut rien dire, si vraiment on devait co-construire, autour de cette table il ne devrait pas y avoir que Bordeaux, la CUB, le Conseil Général, la Région. Tout est cloisonné et ce n’est pas vrai on ne sait pas aujourd’hui co-construire. Pourquoi l’IDDAC [Institut Départemental de Développement Artistique et Culturel] n’est pas là ? Pourquoi l’OARA ? Pourquoi il n’y a que la mairie de Bordeaux ? Ouvrons, on dit faire ensemble mais on en est loin de vivre ensemble et de co-construire, là cela m’agace. Isabelle Audibert - Association Cultures du cœur

Moi ce ne sera pas un rêve, je vais parler de quelque chose qui existe déjà. Je crois vraiment que la transmission elle se fait aussi par la pratique artistique. Cela permet de mieux appréhender, de

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mieux comprendre un milieu et de vraiment faire se rencontrer le milieu social et le milieu culturel qui sont tous faits d’êtres humains. Je vais parler d’un projet qui est mis en place par l’atelier de mécanique générale contemporaine à Pessac. Ils avaient fait un spectacle à la Chataigneraie sur des immeubles en déconstruction, mis en scène avec des vrais acteurs et des habitants de cet immeuble. J’avais trouvé cela vraiment fabuleux parce qu’on ne voyait pas qui étaient les vrais acteurs et qui étaient les habitants. Cela a vraiment permis une belle rencontre entre le culturel et le social. Élodie Meignen – association Cultures du cœur

Pour te rejoindre Isabelle, l’une des actions que j’avais en tête, c’était justement de créer un projet entre les publics et les artistes, présenté ensuite dans des lieux culturels et dans des structures sociales, car il est important aussi que la culture s’invite dans les structures sociales. Pour rebondir sur le fait d’inciter à motiver et à parrainer, j’ai travaillé à Cultures du cœur à Lille et nous avons créé un comité engagé. Il rassemble plusieurs personnes, issues de différentes structures sociales qui sont motivées pour faire des projets, sortir et inciter aussi notamment les personnes de leur structure sociale, à venir avec eux. Cela marche vraiment bien et permet à des personnes qui n’auraient pas osé aller à un spectacle d’être invitées et de pouvoir participer. Cécil Bensimon – chargé de mission ACAQB

Tu parlais Ramon de 7 ou 8 % de personnes qui rentraient dans les lieux culturels, qui accédaient à la culture. Par conséquent, pourquoi, si on a du mal à faire entrer les personnes dans les lieux culturels, ne pas faire sortir la culture dans la rue ? Je rejoins un petit peu ce que disait Luc. Comme il y a la nuit des musées, la nuit des Publivores, les journées du patrimoine, la fête de la musique, ce serait bien de créer une manifestation, une journée un petit peu nationale ou uniquement régionale, oui nationale pourquoi pas ? Ce serait une journée culturelle qui per-

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mettrait de faire sortir les productions de différents artistes dans la rue. Ce serait peut-être une première idée… il y a la fête de la musique qui existe dans le cadre de la musique. Ce matin JeanLuc Portelli parlait de scènes pour les élèves qui étaient proposées gratuitement. Il y a des concerts qui sont proposés par des élèves du conservatoire, pourquoi ne pas faire sortir ces

scènes dans la rue, dans des manifestations où les élèves pourraient jouer comme cela pour tous les publics ? Au-delà de la fête de la musique, ce pourrait être le dimanche, n’importe quand ou dans la semaine. Voilà des propositions de faire sortir la culture dans la rue. Marc Favreau – conservateur du Musée des beaux-arts de Bordeaux

Je rejoins le propos de Cécil à l’instant. Je parle d’un point de vue institutionnel, je suis le gardien du patrimoine et c’est assez difficile, comme le dit Simon, de faire sortir le patrimoine ancien dans la rue. Et pourtant à titre d’exemple, on avait prêté un tableau à une ville de la Communauté Urbaine de Bordeaux, le maire n’arrêtait pas de me féliciter, même si je n’y étais pas forcément pour quelque chose, d’avoir prêté ce tableau ancien que les gens découvraient. Ils ne le connaissaient pas parce qu’ils ne vont jamais au musée. C’est vrai qu’on peut faire sortir les institutions de leur cadre, certes ce n’est peut-être pas évident, il y a une utopie qui va à l’encontre de la méthodologie des conservateurs, c’est éventuellement prêter ces œuvres anciennes à des lieux, mais cela ne sera peut-être pas réalisable. C’est vrai qu’il faudrait élargir, comme vous le dites très justement, l’offre des institutions à l’extérieur même parfois dans le quartier proche. Par exemple nous au Musée des Beaux arts, nous ne sommes pas forcément en lien. Il faudrait que les musées s’ouvrent davantage sur leur environnement, même leur environnement moins proche comme la Communauté Urbaine. Ce serait profitable à tous.

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Philippe – membre de l’association Oxygène

J’ai été interpellé par la proposition de Sophie, une sorte de parcours initié par les habitants eux-mêmes. Derrière tout cela, c’est très intéressant car on sort de tout ce côté institutionnel, on est toujours un peu dans la société de consommation, il faut aller au musée, on participe un peu à cela. L’art peut arriver comme cela, quand il veut, on n’est pas obligé d’aller dans des lieux institutionnels. Les lieux comme les musées sont évidemment incontournables mais il y a besoin d’autre chose. Il y a cette idée de parcours culturel instauré par les habitants eux-mêmes, géré par une sorte d’organisation, un comité. C’est marrant ce terme « d’empêché », à force d’être empêché, je ne voudrais pas devenir un empêché à tourner en rond. On ne sait pas très bien quelles sont les offres qui nous sont offertes. Je crois qu’il faut vraiment déblayer tout cela et qu’il y ait plus de spontanéité dans l’art, qu’on ne soit plus dans ce côté absolument contraint. Sortir de ce côté consommation. Martine Simonet-Buton – bénévole association Chahuts

Je vais être beaucoup plus pragmatique. Je suis d’accord avec tout ce qui a été dit mais pour revenir à la base de la recherche c’est qu’est-ce que vous voulez faire ? Qu’est-ce que vous pouvez faire en tant qu’association pour aider un cercle public ? Pour moi il y a un problème de communication, c’est ce que je vous ai dit tout à l’heure. Des petites choses comme quand vous avez mis des petites affichettes partout dans Saint-Michel avec des petites phrases, des petits mots qui interpellent, cela fait partie des petites choses qui pourraient amener des gens vers vos centres ou les amener à savoir ce qu’ils peuvent aller y chercher. Philippe vient de le dire, on ne sait pas ce qui nous est proposé. Des petites étiquettes partout avec des phrases qui interpellent par exemple : « le centre social et culturel ça sert à quoi » ou « je ne sais pas comment faire, qui peut m’aider » ou alors carrément « on t’emmène au théâtre » ou « le cinéma gratuit » et dessous un téléphone ou une adresse.

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Ramon Ortiz de Urbina – directeur du centre d’animation Saint-Michel

Les affichettes, c’était en toute illégalité, on n’avait absolument pas le droit de le faire. On ne demande jamais l’autorisation mais il faut demander l’autorisation. Enfin si on demande c’est toujours non. Martine Simonet-Buton – bénévole association Chahuts

Donc les affichettes n’étaient pas signées. Là, si on veut qu’elles servent à quelque chose il faut mettre les coordonnées du centre, donc là on est « grillé ». Christine Forestier – assistante sociale

Moi c’est un peu une petite folie. C’est aussi pour continuer, c’est une étape dans la réflexion d’aujourd’hui car je pense que nous risquons tous de repartir en ayant passé une très bonne journée, en ayant entendu, dit et partagé des choses très intéressantes, mais, c’est un peu une boutade en même temps, j’ai envie qu’il y ait des volontaires de cette journée entre acteurs du social, socioculturels, culturels et publics empêchés pour construire un spectacle, c’est-à-dire écrire, jouer une pièce de spectacle sur les sujets qui nous ont animés toute cette journée. Et pourquoi pas la jouer lors d’un colloque, d’un séminaire ou d’une autre journée de rencontres, l’année prochaine ou l’année d’après ? Marie-Dominique Bacic – Conseil général de la Gironde Direction des affaires sociales

Je voulais dire que je n’ai pas marre de la co-construction, je voudrais que cela continue. Elle existe, elle en est peut-être à ses débuts. Vous dites qu’il n’y a pas l’IDDAC, il n’y a pas non plus le Conseil Général, je ne sais pas ils sont peut-être dans la salle à côté, je ne les ai peut-être pas tous vus. Je voulais dire, justement au niveau du Département et avec l’IDDAC nous travaillons de plus en plus. C’est assez récent évidemment, mais je trouve que là on est dans un parcours qui se développe et qui est extrêmement important, intéressant. Il faut vraiment prendre la dimen-

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sion de cette chose-là. Pour nous ce travail de partenariat c’est nouveau, c’est vrai. Donc je crois que la co-construction elle en est peut-être à ses débuts, mais moi justement j’ai vraiment envie qu’elle se développe. Je suis dans le social, donc pour nous c’est passionnant ce nouveau travail. Il est à la fois difficile mais très intéressant. Il y a certains ponts aussi avec le TnBA. D’autres collègues n’ont pas pu venir, mais dès que nous avons vu cette proposition de journée, vraiment nous avons bondi dessus et moi tout ce que je souhaite c’est que justement ça continue. Au département nous en sommes aux balbutiements, mais je pense que les choses prennent de l’ampleur et vont assez vite. Pierre Lafaille – Centre d’animation Bastide Queyries

Je suis animateur sur le secteur jeunes pas plus tard que samedi un groupe de jeunes filles, originaires de Mayotte, est venu me voir, elles m’ont dit : « on aimerait bien faire découvrir la culture de Mayotte aux autres jeunes du centre ». Alors je me dis si l’on part dans les rêves les plus fous, il y a peut-être quelque chose à faire à partir de ça, car elles ont aussi envie de mieux connaître les autres jeunes du centre, là cela peut être des temps conviviaux avec de la cuisine, mais il y a aussi de la musique, de la danse. Ce n’est pas parce qu’elles sont jeunes qu’elles n’ont pas plein d’idées et si on peut leur donner plein d’argent pour réaliser leur rêve, c’est même quelque chose où cela pourrait terminer dans un magnifique spectacle qui ferait la tournée de tous les opérateurs culturels bordelais. Il y a des subventions allouées pour de très bons projets, mais je reviens toujours sur l’idée d’écouter les gens qu’on côtoie parce que ces jeunes filles ont plein de choses à proposer et il faut peut-être leur en donner les moyens. Peut-être que dans un an, on se retrouvera au TnBA pour une super soirée Mahoraise. Laurène – stagiaire aux Vivres de l’art

Moi c’était pour dire à peu près la même chose que Luc, sortir des structures culturelles habituelles, exposer par exemple

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dans la rue, dans des endroits regroupant tous les publics, le tramway ou des choses comme cela. Léa Molins – stagiaire aux Vivres de l’art

Je crois que je vais très mal m’exprimer, mais pour moi on est dans une logique de diffusion inversée aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on crée le produit, on cherche une plateforme de diffusion et ensuite on cherche une cible, on lui donne une image de besoin et on lui propose. Mais si on demandait au public d’aller vers cette plateforme et si cette plateforme faisait le geste vers l’artiste et l’artiste produisait dans des performances ou je ne sais pas, alors le public serait à la base de la demande, il partagerait beaucoup plus et il serait présent. Ramon Ortiz de Urbina – directeur centre d’animation Saint-Michel

Cela fait bientôt deux heures qu’on est ensemble, on va arrêter. À vous écouter cela m’a donné des idées. J’ai envie de voir dans les villes, je ne dis pas Bordeaux - CUB, mais dans l’espace

urbain des kiosques qui pourraient servir de kiosque à musique parce qu’il n’y en a plus, on les a tous enlevés, mais qui pourraient servir à la danse, qui pourraient servir à l’accrochage, qui pourraient servir à l’installation, des kiosques polyvalents on va dire, même si ce n’est pas beau. Moi je sais que quand j’étais petit il y avait des kiosques à musique et on venait écouter la musique sur des chaises installées par la municipalité et cela me manque. Je sais qu’en Espagne, cela se fait encore. Ici on a tout enlevé. Une autre idée m’est venue, c’est l’envie d’une passerelle entre le monde de l’éducation nationale, entre le monde de la famille, c’est-à-dire éducation personnelle et le monde des tiers, associations, centres, vraiment tendre des passerelles parce que je crois que l’idée de culture à l’artistique ne peut passer que par ces passerelles-là. Quelque chose de traiter à l’école, s’il n’est pas traité dans la famille, le gamin aura peut-être vite oublié et il aura peut-être honte d’avoir vu quelque chose avec ses parents et de ne pas oser le dire à l’école et ainsi de

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suite. Je crois que l’urgence c’est de tendre des ponts entre tous, familles, écoles et tous ceux qui participent à l’éducation d’un enfant, puisqu’une personne que je connais bien dit qu’on n’éduque pas un enfant, c’est l’enfant qui s’éduque avec tout ce qu’on lui amène et tout ce qu’il prend. Bouchra Talsaoui – adjointe de direction centre d’animation Saint-Michel

Ça rejoint ce que du disais Ramon, c’est aussi les projets partagés entre l’école et les temps périscolaires. C’est aussi que les structures sociales deviennent des lieux culturels. C’est vrai que finalement on est toujours dans le clivage entre le social, le socioculturel et le culturel. C’est toujours le socioculturel qui doit aller vers le culturel, mais comment faire de ces structures sociales des lieux culturels ? En plus on a des espaces où effectivement cela peut devenir, sous différentes formes, des lieux culturels, mais comment organiser cela de manière permanente tout en permettant l’expression de la culture populaire. Je prends l’exemple du hip-hop ou même de la culture populaire qui puisse aller aussi dans ces lieux officiels. Car il faut rééquilibrer un peu, qu’il n’y ait pas une culture plus légitime qu’une autre. L’autre idée c’est peut-être de créer un collectif d’artistes, c’est vrai qu’il y en a plein, qu’il y en a partout, mais comment ce collectif-là par exemple pourrait aller dans les centres d’accueil et de loisirs et proposer des actions. C’est ça aussi le faire vivre au quotidien, cela peut être l’école, cela peut être dans le cadre des centres d’accueil et de loisirs, cela peut être dehors, etc. Créer un collectif qui pourrait proposer avec l’idée de médiateur culturel. On parle d’agent de proximité ou de correspondant de quartier, mais c’est vrai qu’on ne parle pas de médiateur culturel de rue, cela pourrait être intéressant de faire le lien et cela pourrait compléter l’idée de kiosque justement.

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Compte rendu de l’atelier 3 et 4 : Espaces d’interactions matériels et immatériels, développer les formes de médiation Lieux concrets, dispositifs expographiques, espaces virtuels, etc. Dans quelle mesure la mise en forme et l’organisation d’espaces d’interactions impacte-t-elle l’accès à la culture ? Comment affiner les formes de médiation en faveur de la déconstruction des empêchements ? Comment agir ensemble pour trouver des démarches et de nouveaux outils ? Sylvie Barrère – CAPC Bordeaux

Le titre de l’atelier est : « développer les espaces d’interactions » ainsi que « réfléchir sur les espaces d’interactions matériels et immatériels ». À l’écoute de ce qui s’est passé ce matin, il m’a semblé important de poser la question de la médiation en ce sens que le rôle du médiateur revenait très souvent en filigrane, mais également engager un point qui nous a semblé important c’est-à-dire qu’il faut savoir où on se place lorsqu’on veut aller vers les autres, en l’occurrence des publics éloignés ou isolés de l’art ou de la culture. C’est un débat qu’il va falloir trancher, est-

ce qu’on parle d’art ou de culture ? Où est-ce qu’on se place ? Est-ce qu’on est dans un champ où on est un médiateur socioculturel ? Est-ce qu’on est un médiateur social qui va assurer une réassurance de la personne grâce à la culture et à l’art ou un médiateur culturel qui a un produit culturel à proposer et qui cherche à le valoriser auprès des divers publics ? Je vous laisse la parole. Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

De mon point de vue, il y a quelque chose d’important à dégager c’est la question de la rencontre de paroles, donner la parole aux différents types de publics d’un côté avec de l’autre

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côté la parole de « l’artiste » entre guillemets, qui passe par un faire, un fabriqué. Se donner la parole chacun avec son moyen, l’un en faisant, les autres en sollicitant différents points qui les touchent. Cela devrait se faire dans des lieux, pas forcément l’institution culturelle, mais dans les environnements des publics dont on parle. La parole de l’artiste dans le faire, le fabriqué, on n’est pas obligé de lui demander de l’expliciter, de faire le médiateur, même s’il y a des artistes qui dans leur art même font médiation. Donc le fait même de faire quelque chose est la parole de l’artiste et cette parole-là peut faire écho. L’artiste est ancré dans son milieu social et culturel, donc ça peut faire écho à des problématiques qui touchent des individus, c’est-à-dire des individus sociaux qui vivent dans une société, pas individus dans le sens de individualisme, personnel, etc. La difficulté étant, mais ça c’est l’objectif des centres d’animation et des centres sociaux, de donner la parole aux individus que l’on touche, aux individus sociaux, par exemple, en les faisant travailler dans un groupe pour qu’ils arrivent à se rencontrer. Il y a différentes façons de penser le collectif au sein d’un public qui va travailler ensemble. Mais ces différentes façons de donner la parole et cette parole-là pourra rencontrer le faire de l’artiste. Sauf que cette rencontre de parole, cet écho doit à mon avis se faire dans des lieux qui font partie de l’environnement de ces personnes-là. Véronique Darmanté – CAPC Bordeaux

Je crois qu’il faut qu’on fasse la liaison entre les deux axes de l’atelier que nous avons réunis. Donc d’abord parler des gens, du rôle du médiateur et du lieu, parler du lieu institutionnel et le lieu inhabituel qui sera aussi bien le centre d’animation, que l’appartement ou la rue. Virginie Broustéra – directrice centre d’animation Bastide

Pour revenir sur le lieu de la médiation ou lieu d’expression du projet, lieu institutionnel, culturel, le bassin de vie, mais aussi le milieu scolaire. L’idée de ce matin était de dire l’endroit où

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sont les personnes, alors du point de vue des acteurs centres sociaux, on parle beaucoup des publics, on s’est beaucoup interrogé sur la manière d’utiliser ce mot au singulier ou au pluriel,

on dit public mais derrière le mot il y a des personnes. Donc il faut avoir une attention particulière aux personnes en ce sens qu’elles sont porteuses d’une identité culturelle et qu’à ce titre c’est bien à l’endroit où on les rencontre. Jean-Philippe Sarthou – Centre d’animation Monséjour

Ce qui me paraissait intéressant c’était de savoir comment faire pour montrer la diversité de ce qu’est l’art ? C’est une des vocations du centre dans lequel je travaille. L’association a souhaité que des centres aient un certain nombre d’ateliers qui soient appelés « pôles d’excellences ». À Monséjour c’est arts plastiques et artisanat d’art. Ce sont des ateliers pour les adultes, mais aussi pour accompagner ces publics dits « éloignés » en les sortant de la structure. Il s’agit aussi d’éduquer les enfants au travers d’un certain nombre d’actions qui tendent de plus en plus vers de la prestation de service. Donc comment faire en sorte de conserver du sens et de pouvoir permettre à ces enfants d’accéder, même si ce ne sont pas des personnes qui majoritairement rencontrent des difficultés, mais comment faire en sorte que les enfants accèdent à une culture artistique ? Et puisqu’il s’agit de déboucher sur des propositions concrètes, il y a eu un séminaire avec certains salariés de Monséjour cet été où nous avons demandé au CAPC une médiation, pour que les animateurs connaissent les outils. Le bon moyen c’est que les animateurs qui sont en relation avec les enfants viennent aussi dans ces institutions pour qu’ils soient des médiateurs. Tous les animateurs sont porteurs de cette chose-là : comment réchauffer les relations en mettant un nom sur une institution, quelqu’un que l’on peut appeler, à qui l’on peut poser des questions, écouter les conseils du spécialiste ? Avant d’aller parler à ceux qui sont éloignés, à ceux que nous accueillons, il est important de parler aussi aux salariés.

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Sylvie Barrère – CAPC Bordeaux

Ce que tu proposes c’est une interconnaissance des acteurs qui est le titre d’un autre atelier, ce titre émane aussi de longues discussions que le groupe projet a eues. Tu proposes en fait de créer un outil par un lien entre établissements culturels et

structures sociales avec une personne ressource qui pourrait former à la chose artistique, à l’art, les animateurs socioculturels. Là on est vraiment dans un processus de chaîne. Jean-Philippe Sarthou – Centre d’animation Monséjour

Oui ça existe déjà mais il faut davantage le développer, trouver une autre forme. On a appelé le CAPC, le CAPC a répondu mais c’était à la carte, c’était du sur-mesure après un dialogue avec la structure sociale. C’est important d’avoir cette médiation, même si avec les explications on ne comprend toujours pas. On ne va pas dans ces lieux-là pour se prosterner, on a le droit de dire je suis allé au CAPC, je n’aime pas, mais en ayant quand même des clefs de compréhension et la possibilité d’avoir un regard critique. Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Mais il faut faire attention parce que, comme on le disait ce matin, il y a des gens qui vont transmettre et d’autres qui ne vont pas transmettre. Il faut inventer de nouvelles formes de médiation adaptées en fonction des publics, soit en fonction des âges des publics, soit en fonction des profils dont on a parlé ce matin. C’est-à-dire le sens du mot culture, qui est un gros mot qu’on devrait enlever je pense carrément, mais bon on va le mettre avec des guillemets, les gens n’entendent pas la même chose sous ce mot « culture ». Certains ont besoin de venir juste pour se réinsérer socialement, d’autre pour mieux connaître les œuvres, etc. Avec les étudiants en art et médiation on a commencé à inventer de nouvelles formes de médiation. Ça, je crois que c’est fondamental pour pouvoir redynamiser, pour donner des actions

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de médiation proches de la création. La médiation peut être une interface, ça peut être un outil très intéressant, tout est toujours à repenser. Virginie Broustéra – directrice centre d’animation Bastide

Juste sur deux points : « le mot culture fait peur », quand tu dis ça je crois que ce mot-là peut figer, scléroser des personnes parce que pour certaines personnes qui sont dans un parcours d’insertion, la culture c’est une nouvelle culture, donc c’est tout de suite une crainte. Derrière tout ça y a un travail sur la diversité culturelle qu’il ne faut pas négliger. Autre chose, pour la médiation dans les centres sociaux culturels et je le dis bien en deux mots car dans nos centres s’il n’y a pas le social et le culturel la médiation elle est boiteuse, dans cette médiation il va y avoir un certain nombre d’interlocuteurs d’où l’importance de l’interconnaissance. Mais c’est vrai que ce couple social et culturel nous met parfois mal à l’aise. Quand il faut aller soutenir des projets dans certaines collectivités c’est : « vous êtes inscrit dans un quartier politique de la ville », donc là c’est clivant au niveau social. On le voit avec notre projet cirque : quels sont les financements qui émanent du culturel ? Pas beaucoup, c’est moins de 10 %, du coup on est assez mal à l’aise car est-ce que c’est du social ou du culturel même si finalement c’est les deux à la fois, c’est ni-ni ou et-et. Léa Schembri – étudiante arts cultures et médiation

On se pose beaucoup de questions par rapport à la médiation, notamment parce que le public est passif face à la médiation. Il faut trouver des solutions où on fait participer le public pour susciter de l’intérêt et faire en sorte qu’il s’ouvre sur d’autres lieux, d‘autres institutions. Peut-être partir de ce que veulent les publics et c’est justement en les faisant participer à une autre forme de médiation que, justement, ils vont s’intéresser et vouloir peut-être s’approprier une autre culture qui n’est pas la leur et faire évoluer les choses. Le rôle de la médiation culturelle

n’est pas d’imposer quelque chose mais de donner envie

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aux gens, pour que eux se construisent leur propre culture. Un exemple concret serait ce que nous avons fait, des œuvres participatives. Au CAPC il y a des expositions avec en plus des lieux de création où on peut reproduire les œuvres que l’on a vu ou dont on peut s’inspirer, donc en relation avec l’exposition. Estelle Almodovar – Direction du Développement Social Urbain (DDSU) mairie de Bordeaux

Je voudrais réagir par rapport à ce que vous avez dit. Il y a un projet mené avec un public d’aire d’accueil qui a fait un travail autour du port. L’expo a été proposée au CAPC mais elle a été refusée, alors je ne sais pas pourquoi ni comment, je ne remets pas en cause le CAPC, mais ça pose tout de même question. Les publics sont potentiellement tous des créateurs artistiques, chacun en nous on a une capacité à la création, d’ailleurs le mot à la mode c’est empowerment. Si on veut que cet accès soit vulgarisé, que chacun puisse s’en emparer il faut aussi valoriser les capacités de chacun, alors que la réalité montre encore des clivages. Une proposition concrète serait un espace de création dans un lieu, CAPC ou autre, pour qu’un certain public puisse amener sa créativité dans ce lieu-là. Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Je pense plus exactement qu’il est possible de partir des capacités des gens et que les artistes fassent des actions qui prennent en compte ces capacités des gens et qui les amènent dans leurs travaux artistiques. Dominik Lobera – artiste association fenêtre sur rue

La médiation je ne sais pas ce que c’est, je ne sais pas le faire par contre interagir avec les gens qui viennent dans mon atelier qu’ils soient malentendants, autistes ou très bavards, c’est des choses qu’on sait faire parce que on sait travailler avec des couleurs, on sait faire de la communication avec des dessins, que les gens viennent du Vietnam ou du Cambodge on réussit toujours

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à entrer en communication avec eux. À partir du moment où la communication est établie, après on peut tout faire. On peut décider d’exposer nos expressions dans la rue ou dans l’atelier ou par exemple on a créé la presse de barbarie qui est une petite presse à graver qu’on a montée sur un caddie de façon à pouvoir la faire déambuler dans Bordeaux, avec qui en a envie, pour montrer que l’acte de graver peut être fait n’importe où. La seconde chose c’est les ateliers en milieu carcéral, on est allé au quartier femmes, au quartier hommes et au quartier jeunes et là, l’art a été juste le moyen de sortir de sa cellule pendant 2 h. C’était très clair pour les détenus, je me disais ça va être beau ils vont découvrir l’art… et pas du tout ! La réalité du terrain était que ça permettait aux détenus de sortir 2 h de leur cellule. Après c’était à moi de les convaincre que 2 h pour 2 h ça serait peut-être pas mal de s’intéresser au rouge, au jaune, au bleu, donc on est passé du dessin de Donald et Mickey à envoyer aux gamins à Andy Warhol et puis à Gauguin… Donc je ne sais pas si c’est de la médiation ou de l’interaction, mais par contre je n’étais pas dans le domaine socioculturel, j’étais dans le domaine artistique, je refuse de me situer dans un champ qui ne m’appartient pas de psy ou d’éduc ou autre. Stéphane Marolleau – directeur du centre social et culturel du Grand Parc

Je suis directeur du centre social et culturel du Grand Parc, le nom de la structure est centre social et culturel pas centre socioculturel, il y a la volonté de montrer deux univers qui sont différents et qui doivent se rencontrer donc je vous rejoins tout à fait, l’artiste n’a pas à faire de médiation. Bien sûr, il peut y avoir un projet dans le choix artistique qui fait médiation mais ça n’est pas la mission première de l’artiste. C’est pareil pour la question de la profession de médiateur, je suis très sceptique. Je pense que

c’est plus les espaces qui sont proposés qui vont faire médiation, qui vont permettre la rencontre entre une expérience en l’occurrence artistique et une expérience de vie, de vie locale. Donc ces espaces de médiation doivent être 155


des espaces de proximité, je pense qu’il n’est pas tellement important de développer des espaces de médiation à l’intérieur même des lieux institutionnels de l’art, je pense par contre qu’il est important que cette médiation se passe dans les espaces où vivent les gens. En plus, il me semble qu’il y a une nécessité je crois de clarification des projets des uns et des autres. Par exemple au centre social et culturel du Grand Parc la plupart du temps la question de la culture est plus souvent un outil, un moyen qu’une finalité, mais ça il faut l’affirmer. On le dit, il faut être clair et je crois que c’est pareil au niveau des artistes, il faut être clair sur son intention de départ. Nous, au Grand Parc, l’objectif c’est la consolidation de liens sociaux. Comment on s’y prend ? On considère que le meilleur moyen c’est la participation des habitants en tant qu’acteurs de la consolidation de ces liens sociaux. Donc on va utiliser toutes les possiblités existantes dans notre champ, tout nous intéresse, je peux m’intéresser au problème de plomberie d’un habitant parce que ça peut déboucher sur un projet et créer du lien social, c’est mon objectif premier.

Qu’est-ce que le lien social ? C’est « protection et reconnaissance », je cite Durkheim pour être précis. Donc qu’est-ce qui va être protecteur pour les personnes et qu’est-ce qui va leur apporter une reconnaissance ? Sur la question d’utilisation de l’outil artistique ou d’accès à la culture on est beaucoup plus sur cette question de la reconnaissance, donc c’est de fait un axe capital de notre travail. Mais c’est un outil qui pour nous « vise à », je ne dis pas que tout le monde doit fonctionner avec cet outil-là, il faut que tous les acteurs clarifient leur position pour éviter d’être dans des modes d’instrumentalisation les uns et les autres. Les cultureux qui vont chercher un peu de « pauvres » pour donner une plus-value à leur projet culturel et inversement, le champ du social qui va mettre un peu de paillettes sur un projet social, ça reste encore trop fréquent. Mais c’est possible d’éviter cela en annonçant clairement son projet. Si on devait imaginer un rôle de médiation porté par un professionnel médiateur, il serait celui qui invite l’individu à vivre une expérience.

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Véronique Darmanté – CAPC Bordeaux

Je fais juste une petite intervention pour recentrer le débat, je vais me faire l’avocat du diable en faisant un peu de provocation. Dans votre intervention vous avez parlé de cultureux que vous associez à des paillettes et de travailleurs sociaux donc ça a une connotation beaucoup plus sérieuse. Est-ce qu’on ne serait pas là justement pour affiner un peu plus les perceptions que le public pourrait avoir entre les paillettes et la vie ? Jean-Philippe Sarthou – Centre d’animation Monséjour

La question des paillettes, des champs, la question de la reconnaissance, de la participation, la sacralisation des institutions et de l’art aujourd’hui je pense que la véritable chose artistique se confond avec la vie, c’est le noyau de la vie. Vouloir à un moment opposer ceux qui sont de la culture qui seraient dans des temples, ça crée des fossés et des incompréhensions, mais je crois quand même que notre rôle c’est aussi d’amener les enfants et les adultes à avoir une relation poétique au monde, qu’on soit dans un centre social ou socio-culturel, quel que soit le lieu. C’est mettre dans le cœur des autres des choses de la fragilité humaine, de la difficulté d’être au monde, de la joie aussi, l’art est partout porteur de ça. Notre rôle ça peut être de les conduire à ça. Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

La relation poétique au monde, même la relation poétique au monde et puisqu’on est dans une ère post-post moderne, même si je suis d’accord avec vous Monsieur, je vais vous proposer une invention, un espace où il n’y aurait plus cette division entre art et lien social. Certains artistes en ont fait leur objet de travail et inversement nous avons certains animateurs socioculturels qui sont de véritables artistes et qui font des actions artistiques. Donc je propose aussi de travailler sur des rencontres avec des gens qui savent ce qu’ils veulent, ce que sont leurs objectifs, y compris ceux qui sont à l’interface de ces deux fonctions socio-

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culturelles et arts, avec ces acteurs-là on peut établir de vraies collaborations. Bérénice Le Moing – association Point Barre

J’ai l’impression qu’on spécifie trop la discussion sur l’art, culture. Est-ce que finalement l’art ne fait pas partie de la culture au sens très générique de quelque chose qui émane d’une société ? Ça peut être la langue, la cuisine, effectivement l’art qui est peutêtre la production matérielle de cette culture. On pourrait éventuellement s’entendre sur des acceptions communes si on travaille ensemble et même des objectifs généraux que l’on a en commun. Pour ma part j’imagine qu’un des objectifs de l’ac-

cès à la culture c’est avant tout l’émancipation d’un individu au sein d’une société, avoir un esprit critique et développer une citoyenneté, vraiment la libre pensée pour les individus. Est-ce qu’on pourrait s’entendre sur quelque chose de très général pour ensuite s’entendre sur des actions, mais en ayant des objectifs très généraux dans lesquels on pourrait tous rentrer ? Hélène Rassis – association Chahuts

Par rapport à tout ce qui a été dit je vais dire des choses très pragmatiques, puisqu’on a dit qu’il fallait être très concret, même si franchement je trouve ça difficile car il n’y a pas de recette. Je suis vraiment d’accord avec le fait de savoir de quoi on parle et d’où on parle et tu l’as dit Sylvie d’ailleurs en préambule en posant la question : « Médiateur de quoi on parle » ? De lien, de réassurance de la personne, etc. Proposer des formes de médiation : pour qui, pour quoi, où ? Je pense qu’on a tous droit et on se doit tous d’être dans cette médiation, mais le truc c’est de savoir d’où on parle, de quoi on parle et ensuite de mettre ça en commun. Cela suppose qu’on ait le temps de le faire, cela suppose que les politiques culturelles nous donnent les moyens de faire des actions, à nous tous associations, centres d’animation, lieux institutionnels de la culture, pour arrêter aussi de se tirer dans les pattes les uns et les autres, arrêter de se demander

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qui est responsable, je pense qu’on est tous responsables d’un vide. Et effectivement il faut qu’on se pose la question : quelles sont nos pratiques ? Ma posture est la suivante je ne me définis pas comme médiatrice dans mon travail, mais j’ai des actions de médiation. Ça rejoint l’autre atelier sur la question de la transmission, ça m’importe, je me suis interrogée sur ma pratique, sur mes manques, ce que je peux partager ou pas, car je n’ai pas accès à tout donc je me mets en relation avec d’autres structures qui peuvent combler mes manques. Parce que ma première posture dans les actions de médiation c’est de ne pas avoir peur de l’échec, de ne pas se positionner. Dans la médiation classique, il y a l’œuvre puis en dessous le programmateur, encore en dessous le médiateur, puis les gens qu’on va aller chercher pour les « élever ». Dans cette échelle les gens pensent que ce qu’il y a en haut est génial or c’est important de ne pas être sûr que ce qu’on va aller voir est génial. Il se trouve qu’il y a des pratiques culturelles dont on n’a pas l’habitude, dire qu’on n’aime pas ce qu’on a vu au musée par exemple c’est pas grave. La question de la transmission est primordiale , moi quand j’étais petite on m’a donné envie par exemple, j’apprends toujours encore aujourd’hui et ce que je m’efforce de faire c’est de dire qu’on peut se tromper, dire aux gens : « si vous n’avez pas aimé c’est pas grave, ça n’est pas parce que vous êtes nuls ». Et du coup engager un dialogue, un échange pour arriver à exprimer son ressenti, on a parlé d’émotion aussi ce matin. Cela suppose que dans ce travail de médiation on pense le avant, le pendant et le après. Véronique Laban – Le cuvier Centre de Développement Chorégraphique d’Aquitaine (CDC)

Il y a plein de choses que je partage dans ce qui a été dit, je vais parler en tant que plasticienne pour des ateliers que je fais au CAPC. On me demande toujours : « c’est quoi ton art ? ». En tant que plasticienne je suis toujours assez embêtée parce que mon

art c’est ça justement, c’est d’être avec les gens et de travailler avec eux. Leur montrer qu’ils sont capables de faire,

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exactement au même titre que les autres. Donc c’est très particulier parce que l’artiste c’est pas ça, je m’excuse d’en parler mais l’artiste c’est souvent un égo qui revient, surtout dans la tête des gens. Après je voulais revenir sur le mot culture c’est une

richesse, un savoir. Pour moi la culture avant tout c’est un savoir et un savoir à partager, à goûter et à apprendre à goûter. Et quand je suis avec des adultes qui viennent me dire : « je viens parce que le lieu est superbe », ou « je viens parce que j’ai envie mais je ne peux pas », je me nourris de ça et je suis une impulsion. Je ne peux pas dire que je suis une médiatrice, je suis

une impulsion, un passeur pour susciter l’intérêt pour l’art chez les adultes. Par l’expérience artistique il y a une ouverture à l’art en général, il y a une forme de liberté dans la culture pour tous, pour s’affirmer, dire pourquoi on aime ou on n’aime pas. Véronique Darmanté – CAPC Bordeaux

Nous arrivons à 1 h 15 de débat, tout le monde ne s’est pas exprimé, n’hésitez pas. Alice Demarque – Maison des Jeunes et de la Culture centre loisirs des deux villes (MJC CL2V)

Alors je voulais dire que je vous rejoins parce qu’il est important d’impliquer les publics directement dans l’expression. Pour parler d’une expérience personnelle en accompagnant les publics sur des activités culturelles, le fait de créer un projet pour les impliquer et amener le public à s’investir dans ce projet puis après à aller à l’extérieur voir des spectacles ou des expositions, etc., le fait de leur apprendre à s’exprimer et de valoriser leur expression sur des sujets du quotidien autour d’une table, ce qu’ils peuvent aussi maîtriser eux, ça permet qu’ils se sentent capables d’aller à l’extérieur, de les mettre dans l’action pour qu’ils aillent ensuite rencontrer des artistes. Le fait de mettre des dispositifs en place comme la gratuité c’est super, mais le fait de manquer de temps, je rejoins ce qui a été dit. Voilà, on a beaucoup de choses à faire dans la structure, à un moment donné

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quand on va proposer telle activité parfois on ne peut pas accompagner le groupe parce qu’on n’a pas le temps. Le fait de lâcher le groupe… ben les gens ne vont plus oser, ils vont se dire on n’y va pas seul et je pense que le fait de valoriser leur savoir permettrait de leur donner une certaine autonomie pour les activités que nous proposons. Stéphane Marolleau – directeur du centre social et culturel du Grand Parc

Je voulais rappeler, pour revenir un peu sur ce que je disais tout à l’heure pour ne pas que ça apparaisse comme réducteur sur la dimension de l’art et de la culture. Ce qu’on a repéré sur le quartier du Grand Parc lorsqu’il y a eu l’expérience Evento, c’est que le Grand Parc a été rayé de la carte. On s’est mobilisé entre partenaires locaux et quelques habitants et on a réussi à convaincre la ville et la production justement sur cette capacité

qu’a la culture et qu’ont les arts à créer des ponts entre des populations diverses, de cultures diverses et de catégories sociales diverses et ça il ne faut pas l’oublier. Ce qui est intéressant dans cette dimension c’est d’essayer de faire en sorte que les personnes fassent l’expérience de quelque chose. À partir du moment où elles sont actrices par exemple d’une programmation, les habitants tout d’un coup peuvent se sentir vraiment intéressés. On a un certain nombre de démarches comme ça qui font médiation et qui fonctionnent. Je donnerai un exemple de forme de médiation possible avec l’action du collectif Bordonor en lien avec la Boîte à jouer qui s’appelle les p’tits couche tard. Alors les p’tits couche tard c’est intéressant parce que on a pensé qu’il fallait lever un certain nombre d’obstacles pour que les familles aillent aux spectacles, donc le problème de la garde des enfants a été posé mais au lieu de dire : « on va garder les enfants », ça a été de dire : « bon pendant que les parents sont au spectacle on va proposer un spectacle pour les enfants ». Et ça, ça mobilise le réseau des acteurs socioculturels et des opérateurs culturels. Cela dit, la médiation dans ce cas est assumée par le collectif Bordonor avec des moyens très précaires, il n’y a aucune péren-

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nité, on ne sait pas. Ce sont des financements politique de la ville, donc les financements qui permettent de travailler pour les personnes éloignées ne sont pas des financements de la culture et ça pose sérieusement question. Grand Parc en fête, c’est un festival qui a 10 ans où des artistes se produisent et on a mis 10 ans pour obtenir 1 000 ¤ du service culturel de la ville de Bordeaux. 10 ans pour obtenir 1 000 ¤, une broutille évidemment par rapport au budget global. La plupart des financements sont de la politique de la ville et du Conseil Général. Certes, il faut des compétences mais aussi des moyens et du temps pour pouvoir accueillir les personnes. Estelle Almodovar – Direction du Développement Social Urbain (DDSU) mairie de Bordeaux

Je rajoute une chose, on est en train de penser pour des gens qui ne sont pas autour de la table et il faut qu’à un moment ils puissent s’exprimer aussi car on ne va pas décider pour eux. Tout à l’heure on disait les musées c’est gratuit, le TnBA c’est pas cher, mais une dame derrière moi me disait : « je suis désolée mais avec 487 ¤ par mois, 12 ¤ au TnBA c’est cher », voilà, donc à un moment il faut aussi qu’il y ait la parole de ces publics. […] Véronique Darmanté – CAPC Bordeaux

Les musées ne sont pas gratuits à Bordeaux, il n’y a que les collections permanentes qui sont gratuites. Sauf, le CAPC qui n’a pas de collections présentées de façon permanente. La gratuité sera donc pour le Musée d’Aquitaine et le Musée des Beaux-Arts par exemple, par contre toutes les expos temporaires sont payantes. Dominik Lobera – artiste association fenêtre sur rue

Juste une précision, à chaque fois que j’ai voulu amener des groupes, que ça soit des étudiants, des travailleurs sociaux ou des gens en situation d’addiction dans les musées de Bordeaux pour

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des expositions temporaires, à chaque fois on a été très courtoisement reçu et on a obtenu la gratuité. Sylvie Barrère – CAPC Bordeaux

On le fait mais ça n’est pas clairement défini. Sachez quand même que la ville de Bordeaux offre la gratuité d’accès à ses musées pendant tout le cursus scolaire et ça n’est le cas dans aucune autre ville, mais on ne sait pas communiquer là-dessus, la vrai gratuité c’est celle-là. Tout enfant de la maternelle à l’université peut venir gratuitement accompagné par son enseignant. Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Il existe des actions dans l’espace public, des actions en mouvement, des actions artistiques en milieu urbain qui permettent des circulations, des liens entre différents lieux culturels. L’année dernière, nous avons fait avec les étudiants en seconde année, un mariage de monstres devant la flèche Saint-Michel. Nous avons touché des gens qui étaient là et qui ne savaient absolument pas qu’on allait venir. On a fait toute une procession dans le quartier, en interaction avec l’espace, on avait fait un repérage. On a marié un couple de monstres non identifiables au niveau du genre, cela signifie que c’est ouvert à tous, ça a vraiment touché des gens. J’ai eu des retours de personnes qui nous ont vus et certains travailleurs sociaux aimeraient collaborer avec vous. Ce sont des gens dans la rue qui ne sont pas dans le milieu artistique qui ont été touchés. Donc aller voir les gens dans la rue, là où ils sont, là où ils vivent et leur transmettre quelque chose qui a du sens, sans forcément leur dire le sens, c’est possible. Sylvie Barrère – CAPC Bordeaux

Merci Cécile et merci les étudiants car c’est vraiment une coconstruction, ce que j’ai retenu c’est action artistique, les actions artistiques dans l’espace public, les actions menées à la fois par des artistes et par des personnes qui ont cette double capacité à

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marier l’art et la médiation. Ils sont à la fois artistes et médiateurs ? Est-ce qu’on peut dire ça ? Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Ce sont des étudiants qui ne se destinent pas forcément à être artistes, mais finalement ils font des actions artistiques. Leurs actions artistiques sont aussi des actions socioculturelles, ils sont dans cette fonction de passeur dont parlait Véronique. Hélène Rassis - Association Chahuts

C’est pas pour faire une autre proposition d’action mais c’est pour appuyer sur la question du sens de l’action. C’est pas tellement le fait de dire on a fait ça et ça va permettre d’aller dans des lieux et d’amener dans les lieux, ça n’a pas été fait pour ça, il y avait un sens tellement fort dans l’action que ça a une vraie répercussion et ça crée quelque chose. Aller faire du théâtre en appartement par exemple ça pourrait être une solution, mais ça n’en n’est pas une si ça n’a pas de sens. Franchement, on peut tous avoir ce travers-là de se dire on va amener l’art vers les gens, mais quand tu as parlé d’environnement, de choix de lieu c’est pas simplement pour dire les gens ne savent pas sortir de chez eux alors on va aller dans leur appartement, la question c’est qu’est-ce qu’on y fait et pourquoi ? Cette question du sens aux choses, c’est indispensable. L’action que j’ai présentée ce matin les déambulations des Greetchahuteurs on y est passé vite mais on a évoqué la passerelle avec la Halle des Douves dans le cadre des journées du patrimoine. Le sens premier n’était pas de dire il faut aller à la Halle des Douves, c’est juste qu’une personne a choisi de faire cette balade-là. Et finalement les gens qui se sont retrouvés seuls dans la Halle et qui ont vu cette médiatrice, cette greetchateuse se sont dit je vais la suivre. Ils sont venus pour autre chose, donc on peut malgré soi certaines fois créer des passerelles.

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Virginie Broustéra – directrice centre d’animation Bastide

Je voulais rebondir sur ce qu’a dit Léa sur la question de l’empreinte, tout le défi est de donner légitimité à la marque de chacune des personnes. Sachant que l’empreinte sociale c’est de plus en plus compliqué de pouvoir la valoriser, donc ne négligeons pas l’empreinte culturelle dans sa diversité qui peut être posée. La chose très concrète c’est de dire, d’évoquer la question de l’interculturalité, parce qu’on est tous dans nos singularités, mais comment va-t-on travailler à ce dénominateur commun cet « inter » ? Dans notre centre d’animation on est en train de mener pour la saison 2012-2013 avec des collégiens un projet artistique avec une thématique liée à une réalité locale, nationale même internationale, avec des populations en situation de migration et des réalités aussi dans des cursus scolaires auxquelles les établissements doivent faire face et puis des opérateurs culturels qui dans leur programmation artistique vont évoquer cette thématique, même ces thématiques : mémoires, voyages, exil, clandestinité. C’est ça qui va créer l’interculturel, l’inter-action et comment chacun des protagonistes liés par ces thématiques-là et cet engagement qui fait sens individuellement, comment un artiste, passeur ou guide, pourra se révéler à luimême par ce biais-là. C’est aussi un projet culturel et artistique comme un outil de médiation sociale pour nous. Je n’ai pas le temps de tout décrire mais par exemple le pôle art du cirque dans notre centre, ça n’est pas une école du cirque au centre d’animation, y en a d’autres qui font ça très bien, mais c’est un outil de médiation sociale, pas une école de cirque. Jean-Philippe Sarthou – Centre d’animation Monséjour

Puisqu’il s’agit d’action, ça part de deux actions auxquelles j’ai été confronté. Il faut amener des publics dans un lieu où ils puissent se reconnaître, se retrouver, avoir cet effet un peu narcissique, je sais pas comment le dire, qu’ils s’y retrouvent. Donc le choix des expos, des spectacles y a tout un travail qui doit être fait en amont, sinon il peut y avoir des actes violents, par exem-

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ple des jeunes qui cassent une salle, donc pour dire qu’il faut aussi trouver des choses je parle en particulier du CAPC où il y a quelque fois des œuvres qui sont difficilement compréhensibles, comment faire ? Comment faire à un moment pour permettre à des personnes d’accéder à l’art contemporain ? Je pense à quelqu’un que j’ai amené qui était tellement hermétique qu’elle a écrasé une œuvre on a dû la payer, enfin c’était un acte manqué, elle a reculé, elle l’a écrasée. Donc on peut produire en amenant à la culture des effets complètement inverses que ceux escomptés. Mais à quel moment prend-on le temps pour former les animateurs ? Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Pour amener à la culture, à des œuvres pour lesquelles les gens sont hermétiques, il ne faut pas imposer, il ne faut pas les amener de front. On peut toujours amener des gens de façon indirecte. Partir des besoins, les gens qui sont en prison et qui ont besoin de sortir 2 h, on va pas leur dire « tu sors et puis tu crées », déjà on va leur permettre de sortir de leur cellule et puis après on voit. Ce que je voulais dire surtout c’est qu’il y a des gens qui ont besoin de se perdre pour se retrouver et d’autres qui sont déjà perdus et qui on besoin d’un chemin pour se retrouver, donc il faut identifier au niveau psychologique les besoins. Autre chose pour une action concrète, ce matin on a pris le tram et sur les trams il y avait les affiches de communication pour arc en rêve. Or cette communication est un échec car c’est fait pour donner envie de voir la ville, or ça oblitère complètement la vue au lieu de montrer la ville. On aurait pu faire un jeu pour amener le public à chercher des monuments que les gens peuvent apercevoir dans le tram, adapter les moyens à ce qu’on veut faire passer, au sens, c’est pas toujours le cas. Ajuster les moyens aux sens qu’on veut faire passer, mais sans jamais imposer. Y a des moyens concrets pour amener les gens à vivre ce qu’on veut faire passer, à faire passer des valeurs sans jamais les manipuler, mais juste guider les gens simplement.

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Véronique Darmanté – CAPC Bordeaux

Alors s’il vous plaît, il nous reste 12 minutes avant la fin. À vous écouter je me rends compte qu’on a beaucoup parlé du public en tant qu’acteur dans des lieux hors institution. Pourrions-nous dans les quelques minutes qui restent trouver des solutions pour un public qui serait spectateur dans un lieu institutionnel ? Dominik Lobera – artiste association fenêtre sur rue

Deux solutions sont possibles, les refuges périurbains montés par Les Bruits du Frigo dans différentes communes sont un très bel accès à l’art. On est allé y passer une nuit, on s’est retrouvé à côté d’un campement rom juste à côté du hamac de Gradignan et du coup les mamies, les gamins, les parents sont venus pour voir ce qu’était ce truc-là, ils sont venus et le fait d’être sur des sentiers « non battus » cela a permis la rencontre. La seconde proposition c’est ce qu’on mène dans nos ateliers qui s’appellent la balade gourmande avec des jeunes cuisiniers en réinsertion. Ils voient nos œuvres puis ils décident si elles sont salées, sucrées, ils les reconstituent en nourriture et on les mange. C’est peut-être des axes de solutions, essayer de trouver des liens, voir en face de nous qui est là et ce qui peut résonner. Virginie Broustéra – directrice centre d’animation Bastide

Un mot par rapport à une expérience de spect-acteurs comme le dit Lubat, en 2002-2003 le contrat temps libre jeune avait financé cette initiative qui s’est transformée en action qui s’appelait l’apéro-opéra. C’était avec l’opéra national de Bordeaux et nous. L’opéra nous proposait des œuvres classiques incontournables et la médiatrice proposait de nous faire découvrir l’œuvre un peu avant la représentation. 15 jours avant on proposait donc un apéro-opéra, la prouesse de la médiatrice était qu’elle avait réussi à être attendue par les personnes qui étaient inscrites pour aller voir le spectacle. Les personnes trouvaient une entrée dans l’œuvre, dans le spectacle qui les mettaient dans l’impatience des

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émotions à venir et dans une espèce d’exclusivité d’un moment dans le spectacle qu’ils avaient saisi, qu’ils avaient étudié en quelque sorte. Ça a duré 4 ans jusqu’au jour où même si ça fonctionnait très bien, l’opéra nous a dit que les personnes n’avaient qu’à venir directement à l’opéra voir les médiations de l’opéra, pourtant c’était un moment de proximité et de convivialité. Jean-Philippe Sarthou – Centre d’animation Monséjour

Une idée par rapport aux actions : un représentant des animateurs mis à disposition au CAPC, on parlait du temps, une personne qui aurait une action transversale au sein de l’association qui serait une personne déléguée à la chose culturelle. Il est très difficile aujourd’hui vu le nombre d’actions qui se superposent, de plus en plus, d’avoir du temps. Un animateur aujourd’hui il a 28 heures de face-à-face pédagogique avec les enfants entre les actions, le temps péri-scolaire, etc. Or, il n’a que 7 h de préparation. Les animateurs sont partout et finissent par être nulle part, mais à quel moment nous donne-t-on le temps de mettre en place ce dont on parle aujourd’hui ? Sylvie Labouh – association c’est dans la boîte

Je suis d’accord avec Jean-Philippe parce que je rencontre ce problème. Je suis de formation médiatrice culturelle et je ne trouve pas de travail comme médiatrice, mais plutôt comme animatrice socioculturelle. J’essaie petit à petit de m’insérer dans une association pour trouver ce poste de médiatrice culturelle. Sinon comme proposition de médiation une qui marche pour les publics exclus, ce serait la valorisation de ces personnes en les aidant à « déconstruire » les schémas sociaux ou les pensées globales, en leur demandant leurs avis, leurs opinions sur un phénomène de société ou sur la démarche d’un artiste. Faire une exposition parallèle une monstration de leurs œuvres pendant un moment artistique, pour leur montrer que eux aussi ont des choses à dire et que ce qu’ils disent peut avoir de la valeur. Ne pas toujours les mettre en situation de passivité, de gens à qui on

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donne la main, par apitoiement. Dire qu’on aimerait être dans un échange, proposer quelque chose, déconstruire. Je peux vous donner un exemple précis, je suis d’origine togolaise, je suis née en France et systématiquement on me demande d’où je viens. Alors que non, moi je suis française à 100 % mais ça a toujours été un choc pour certains. J’ai grandi dans une société où le noir et blanc était obligatoirement en conflit alors que c’est pas spécialement vrai et ça dépend où on vit. Ça a été à moi de grandir et de ne pas forcément accepter ce modèle négatif de la mixité. C’est quelque chose, moi ça va j’ai été armée pour ça, mais y a des enfants qui vu là où ils ont grandi ils n’ont pas ces armes-là. Ça peut être ça pour les origines culturelles, mais aussi pour les origines sociales comme on a des gens qui disent : « ah non je ne peux pas aller aux musées, je ne comprends pas ». C’est justement déconstruire cette opinion en leur disant : « allez-y donnez nous votre opinion sur ce qu’il se passe en ce moment ». Cécile Croce – professeur IUT Bordeaux 3 art, culture, médiation en animation sociale et socioculturelle

Une dernière chose, il manque vraiment des diagnostics des actions qui marchent mais aussi des actions qui ne marchent pas, des échecs, voilà juste ça. Sylvie Barrère – CAPC Bordeaux

D’accord, alors je vais essayer rapidement de conclure, ce que j’ai noté dans ce débat c’est qu’on reste sur des notions de partage, la question de l’expérience artistique pour tous a été mise en avant. C’est-à-dire l’expérience artistique comme lieu de la parole partagée, ensuite l’expérience artistique, alors je ne sais pas comment on pourrait le dire, mais qui est la discussion,

l’expérience de l’échange. Échanger c’est aussi un moyen d’exister, de même que l’expérience artistique permet de dialoguer, ce sont des ponts qui permettent d’aller vers ce que certains qualifient de culture haute. Ensuite, travailler avec les lieux de formation qui sont en train de voir émerger des per-

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sonnes actuellement en formation des nouveaux modes de formation. Enfin, il y a eu des actions artistiques aussi dans l’espace public et aussi cette idée de mettre à disposition des animateurs socioculturels, qu’ils soient mis à disposition comme le sont les enseignants dans certaines structures de façon à ce qu’ils soient les promoteurs d’un lien avec leur propre structure. Voilà, merci à tous.

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Compte rendu de l’atelier 5 : Inter-connaissance des acteurs La connaissance mutuelle des différents profils professionnels entre eux, comme les rencontres croisées entre publics et acteurs de terrain permettent d’optimiser l’efficacité des actions déjà mises en place et à venir. Laurent Chivallon – CCAS

Donc je suis chargé de l’animation de cet atelier qui a pour titre inter-connaissance des acteurs. Cette thématique a été travaillée par le groupe projet et nous voulons la travailler avec vous pour pouvoir déboucher sur des propositions concrètes. Quand on parle des acteurs, qui sont les acteurs ? Y a-t-il des catégories d’acteurs en fonction des publics ou du public ? Une fois ces acteurs identifiés que pouvons-nous faire, quels outils pourrions-nous trouver pour mieux se connaître entre acteurs du champ animation, du champ social et du champ culturel ? Est-ce que quelqu’un veut prendre la parole ? Catherine Lavedan – Antenne Girondine Insertion Bordeaux

Moi, Laurent, j’avais envie de te poser une question sur cette inter-connaissance des acteurs, qu’est-ce que vous entendez, vous, dans l’équipe projet par inter-connaissance ? Quelles sont précisément les questions ? Il y a des pratiques, des lieux, est-ce que l’idée est d’aller plus loin ? Mais dans quelle direction ? Fabrice Escorne – Centre d’animation Bordeaux Lac

Il me semble qu’on a pour objectif de mieux se connaître entre acteurs du champ de l’animation ou du social ou des structures qui accueillent des publics, comment on construit des outils pour mieux se connaître, voilà ce que j’ai compris de la question. La deuxième chose c’est si les publics sont des acteurs, ce qui a été dit tout à l’heure, comment met-on en place des

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choses pour que les publics rentrent en relation et en connaissance notamment avec le culturel ? Voilà ce que j’attends de la discussion, mais j’ai envie de dire qu’il existe déjà des choses dans les quartiers, je parle en ce qui me concerne, il existe déjà des événements dits socioculturels adossés à du culturel, avec ou sans opérateur et c’est peut-être dans ces espaces-là qu’il faut trouver des pistes ? Laurent Chivallon – CCAS

Pour être plus précis sur l’objectif de l’atelier, on ne part pas de rien, il y a beaucoup d’expériences qui existent mais elles sont limitées à des personnes qui se rencontrent. L’idée ici est de formaliser des choses qui se font de façon informelle. On a des cultures professionnelles qui sont différentes donc il faut réussir à définir qui fait quoi. Cela est arrivé dans notre groupe projet, on a du mal à se mettre d’accord même sur les termes, comme le mot public par exemple, on l’utilise de manière différente. Donc quelles sont nos représentations des cultures, des autres acteurs, de ce qu’ils font ? Et puis comment faire vivre un lien entre nous et quelles sont les limites de chacun ? Thomas Desmaison – membre des associations Pola et Point Barre

J’ai participé à une étude sur le RSA en Gironde autour des artistes, artistes pris au sens global, c’était une étude au niveau national et bien que je n’ai pas le rapport final, on se rendait compte qu’il y avait quelque chose d’assez spécifique en Gironde. C’est un dispositif qui est coordonné par Catherine et qui s’appelle les espaces correspondant qui regroupait des acteurs qui venaient du social ou du champ de la formation autour de la même problématique : la précarité des artistes. En Gironde tous les mois, tous les 2 mois il y avait une réunion qui rassemblait des acteurs qui au départ ne se connaissaient pas, mais qui ont appris à travailler ensemble, je crois que c’est un exemple intéressant. L’important était de trouver une forme de coopération entres acteurs et cette étude sur le RSA a montré

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que dans les autres départements cela n’existait pas. Catherine tu peux en parler ? Catherine Lavedan – Antenne Girondine Insertion Bordeaux

Alors c’est un exemple qui me semble un peu hors sujet parce que c’était tourné vers la professionnalisation des artistes. On n’était pas dans la question du culturel et du social telle qu’on la pose aujourd’hui. Par contre ce matin quelqu’un a parlé de la position de l’artiste, on a dit qu’on ne parlait pas assez de l’artiste, or avec ces personnes au RSA on a les deux incarnés par une personne : il est artiste et il est au RSA, le social et l’art cohabitent. Sur Bordeaux c’était de l’inter-connaissance des acteurs à partir d’un besoin très concret qui était de parler des situations des gens qu’on accompagnait. On avait des opérateurs d’accompagnement pour les artistes et on avait des travailleurs sociaux, ces mondes ne se rencontraient pas trop avec du côté du social une peur de mal faire en s’occupant d’un artiste. Voilà et donc on a rapproché, essayé de construire ensemble le quotidien pour des situations particulières, trouver des résolutions, c’est une entreprise assez modeste mais qui répondait vraiment à un besoin donc c’est une coordination qui maintenant est instituée. C’est effectivement un exemple d’inter-connaissance. Laurent Chivallon – CCAS

L’inter-connaissance est aussi liée à l’espace, comme vous le dites c’est une question très pratico-pratique mais effectivement : dans quel lieu, dans quel espace ces rencontres, cette interconnaissance peut se faire ? L’expérience dont vous parlez continue toujours mais ça n’est pas une action faite avec les artistes, on parle d’eux à leur place, ils ne sont pas présents. Est-ce qu’il y a des espaces où les artistes peuvent venir, se sentent les bienvenus ? Par exemple ce matin dans le public présent il y avait très peu d’artiste, peut-être un ou deux. Un des artistes qui était là, je vais faire un peu de provoque, me disait qu’il voyait plein de gens qui parlent des artistes mais qui sont, eux, salariés d’une struc-

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ture, mais les artistes de quoi ils vivent ? Quand est-ce que les artistes peuvent être présents au-delà de ce qu’ils créent et de ce qu’ils présentent ? Geneviève Chêne – directrice de l’association Oxygène

Je voulais apporter le témoignage d’une action menée avec différents acteurs, c’est une action que nous avons menée avec le Conseil Général, l’IDDAC et l’Opéra de Bordeaux. On a eu la possibilité d’ouvrir les portes de ces lieux de culture, on a vu beaucoup de spectacles de musique, danse, théâtre et je voudrais me faire le témoin de la joie, de l’enthousiasme, de l’ouverture très importante que cela a produit auprès des personnes que nous accompagnions. C’était pas forcément des personnes dites cultivées même loin de là, beaucoup venaient d’origines très diverses, certaines n’avaient jamais été dans une salle de spectacle et ça a été un moment « d’oxygène » bien sûr mais surtout d’ouverture extrême. Alors cette action était basée sur une forte volonté politique c’est évident, sinon on n’aurait pas eu les moyens de la réaliser, mais aussi sur une volonté de faire se rencontrer des artistes, des lieux de programmation et des personnes qui n’allaient pas aux spectacles. Cela s’est fait avec des actions de médiation, c’est-à-dire au sein de l’IDDAC comme au sein de l’Opéra de Bordeaux des personnes parlaient du spectacle, nous faisaient rencontrer des artistes avant le spectacle, montaient des dossiers, etc., ce qui fait qu’on a eu vraiment une action extrêmement riche à tout point de vue. Cette action s’est arrêtée pour des raisons financières, néanmoins au sein de notre association elle a laissé des « traces », on a une réelle appétence aujourd’hui pour aller au spectacle, faire des rencontres on ne peut pas revenir en arrière. Alors on a des budgets moindres, mais pour autant c’est quelque chose auquel on tient beaucoup. On a pu mettre en place une action de ce type avec le TnBA, on pousse également la porte du Musée d’Aquitaine. Dans l’association cette action a créé beaucoup de bonheur et aussi du lien et de la capacité à réfléchir ensemble sur des actions culturelles.

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Aujourd’hui on a un groupe qui réfléchit sur des choix culturels mais est aussi investi de la mission de faire connaître ces lieux à d’autres personnes qui ne pousseraient pas la porte de ces musées. C’est ça semer un petit peu ce qu’on a et la chance que l’on a de pouvoir faire ces actions, chacun est vecteur de transmission, chacun doit mobiliser d’autres personnes. Laurent Chivallon – CCAS

Dans ce que vous dites on repère le fait que vous ayez cette volonté d’aller vers les autres, de créer des dynamiques, mais quid des autres acteurs ? Est-ce que toutes les structures ont cette pratique, cette connaissance des autres structures pour développer leurs propres actions ? Est-ce que les acteurs dans le culturel repèrent des acteurs du social qui sont en recherche de contacts et avec qui ils pourraient créer des partenariats ? Vanessa Daems – association Pola

Ça dépend des structures, mais pour nous par exemple le labo révélateur d’image travaille énormément avec des structures sociales ou socioculturelles. Après par rapport aux partenariats nous, La Fabrique Pola, on est un lieu de fabrication exclusivement et pas encore de diffusion, donc je suis en recherche de partenariat avec des lieux de diffusion où collectivement les artistes pourraient présenter leurs œuvres. J’ai fait une tentative réussie avec l’I-boat, on a une programmation régulière chez eux et ça fonctionne assez bien, alors que c’est un lieu qui n’était pas forcément voué à accueillir de l’art contemporain. Il faut développer ce volet et des projets de production reliés à une pratique de diffusion en partenariat vers le social au sens large. Thomas Desmaison – membre des associations Pola et Point Barre

Cela se place dans une dynamique des fabriques artistiques, pour faire un petit peu d’histoire, ça fait depuis mai 68 que les artistes ont pris notamment dans les friches industrielles, puis

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qu’on a appelé friches culturelles - on peut même considérer que le CAPC est un exemple pionner - les artistes prennent possession d’un endroit on va dire au patrimoine pas encore valorisé mais dont ils ressentent tout le potentiel, La Fabrique Pola c’est exactement la même chose. Il y a une prise de pouvoir collectif dans un lieu, mais aussi une volonté absolue de faire entrer

l’art et la valeur de l’artiste, de sa création artistique dans l’espace public général. L’idée c’est que l’art doit influer sur le social et le social doit influer sur l’art. Il y a dans cette dynamique un aller-retour permanent entre art et public et c’est l’engagement de La Fabrique Pola. Laurent Chivallon – CCAS

Donc là on est en train de parler d’un enjeu primordial, effectivement il y a l’art dans les musées qui est reconnu et puis l’art en tant que prise de parole dans la société, des artistes qui cherchent à remettre en question des choses, donc cette interconnaissance entre la production artistique, l’art qui cherche à produire et puis le social ça serait de reconquérir un espace public. L’enjeu dans l’inter-connaissance est de créer les conditions de cette expression. Frédérique Goussard – Fonds Régional d’Art Contemporain Aquitaine

Je ne pense pas qu’il y ait un art des musées et un autre art, je pense que c’est à nous de créer des situations de rencontre et de rendre les choses vivantes. Et pour répondre à votre question tout à l’heure, pour ce qui est du FRAC nous travaillons autour d’une collection qui existe et qui doit être diffusée et justement pas forcément dans des lieux dédiés à l’exposition. On cherche aussi à créer des partenariats, je prends comme exemple une expérience depuis trois ans sur le quartier Belcier avec Isabelle Kraiser, nous avons cette volonté de travailler sur ce quartier. Vous savez qu’il va y avoir le futur pôle culturel de la région, la MECA dans laquelle sera le FRAC et ce qu’on a voulu faire dans un premier temps c’est déjà de prendre connaissance

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avec le public de ce quartier, nos futurs voisins tout simplement. Nous le faisons par le biais d’ateliers de pratiques artistiques à partir des collections au sein des écoles, puis on travaille aussi avec des maisons de quartier mais c’est plus compliqué avec ces publics, on pourra d’ailleurs y revenir. Il faudrait réfléchir sur les conditions pour que les actions se déroulent et s’initient plus facilement avec certains partenaires. On a essayé de faire un outil sous forme de journal pour que cette restitution puisse aussi entrer dans les foyers par le biais des enfants. Il y a eu aussi des expositions intermédiaires dans les établissements qui nous ont permis de présenter à la fois les œuvres du FRAC, mais aussi les productions des élèves aux parents. Tous les parents ne viennent pas mais c’est un petit caillou. Et ça nous a permis de rencontrer les acteurs de ce territoire. Pour répondre à la question de tout à l’heure sur comment rencontrer d’autres publics, des publics empêchés pour différentes raisons on a été approché par l’association Cultures du Cœur. Le FRAC c’est aussi un lieu d’exposition à Bacalan et régulièrement on organise des ateliers parents-enfants avec des artistes et avec ce partenariat de l’association Cultures du Cœur sur ces ateliers à faire en famille on pourra certainement toucher d’autres publics. Geneviève Chêne – directrice de l’association Oxygène

Par rapport à votre intervention, nous aussi on est partant pour venir vous voir ! Pourquoi pas imaginer un projet, pas forcément avec les enfants, mais avec les adultes qui sont aussi demandeurs. Le besoin de culture est très fort quel que soit l’âge, même les adultes ont cette soif et ils sont toujours très enthousiastes. Frédérique Goussard – FRAC Aquitaine

Je rebondis tout de suite sur votre intervention pour vous dire que tous les samedis lorsqu’il y a une exposition il y a au FRAC les « rendez-vous au comptoir » avec une médiatrice qui fait découvrir les œuvres. Le travail consiste à s’appuyer sur les

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réactions du public, aider à verbaliser des impressions, créer du sens et mettre en commun un questionnement sur les œuvres. Cette médiatrice est un peu comme un chef d’orchestre, elle apporte des réponses autant qu’elle fait se poser des questions. Katia Kukawka – Musée d’Aquitaine

Je voudrais simplement rebondir sur ce qui vient de se passer, nous venons de voir un exemple de rencontre spontanée, Oxygène / FRAC. Mais comment faire en sorte que ces rencontres, qui se font là de manière très ponctuelles, comment faire en sorte que ces rencontres puissent se tenir dans une pépinière, dans un lieu de veille, d’échange où chacun viendrait apporter un peu de ses compétences, les mettre en partage, chercher des pistes. Au Musée d’Aquitaine, nous nous posons cette question : comment aller au-delà des relations interpersonnelles ? Par exemple au Musée on travaille avec des associations le RAMI, Alifs, on a là un trio de choc entre les associations et le Musée et chaque année on a une manifestation formidable, par exemple avec la communauté portugaise. Mais comment faire pour

dépasser ces relations interpersonnelles, travailler avec d’autres acteurs et dépasser ces rencontres de hasard ou d’opportunité pour arriver à tisser quelque chose de plus durable ? Alors une des pistes c’est déjà d’aller voir dans le quartier où les structures sont implantées, nous par exemple, nous allons explorer le quartier Victor Hugo, mais bon… et après ? Comment trouver une pérennité y a les moyens financiers bien sûr mais il n’y a pas que ça. Laurent Chivallon – CCAS

La question que vous reposez pourrait se résumer à : est-ce qu’il faut instituer des lieux pour que la rencontre se fasse avec le risque de figer les choses, d’institutionnaliser, de limiter à certaines personnes ? Comment faire vivre cette inter-connaissance ? La ville propose déjà quelque chose puisque à chaque rentrée la

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DGAC fait une « rentrée culturelle » avec les scolaires et met en lien les structures culturelles et les établissements. Catherine Lavedan – Antenne Girondine Insertion Bordeaux

J’allais justement interpeller les représentants de la ville ici présents pour dire que l’action sociale devrait être invitée à

ces présentations annuelles par la Ville des propositions culturelles. Marie Le Moal – DDAA (Documents D’Artistes Aquitaine) mairie de Bordeaux

Oui, il y a des liens qui se créent progressivement et des projets spécifiques comme l’exemple du CCAS et de la photographie. Ces temps de rencontre sont présents dans le projet

social qui a cette ambition de croiser les regards, de développer la transversalité entre des thématiques : culture, social, développement social… Mais c’est vrai que les gens se parlent d’ordinaire assez peu, progressivement cela va se développer. Certes c’est à la faveur d’initiatives ponctuelles, entre individus cela crée le lien, l’implication individuelle est incontournable. Morgan Baleston

Ce qui me frappe c’est que depuis tout à l’heure on parle de lieu, de structure de rencontre, on ne parle pas de personne. Je me présente le problème différemment est-ce qu’il serait possible de mettre en place un référent, quelqu’un dont la mission centrale serait en fait de faire le lien entre les différentes structures et associations ? Quelqu’un désigné par un grand nombre d’associations et qui aurait pour mission vraiment d’aller ponctuellement voir les gens. Parce que on sait que c’est vraiment entre quatre yeux, en discutant, qu’on peut vraiment formaliser les actions, les personnes, le public, on peut montrer les gens. Est-ce que ça ne serait pas nécessaire qu’une personne ait la responsabilité journalière ou hebdomadaire de passer dans les associa-

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tions, de prendre contact et d’être capable au moins de formaliser, d’être un référent. Cette personne pourrait répondre aux questions : que fait l’association A ? Est-ce que l’asso B est destinée à tel et tel public ? Il faut qu’il y ait des navettes, une personne aux Chartrons, une personne à Saint-Michel qui serait en charge de chapeauter des associations et de pouvoir dire cette asso est nouvelle, il fait ci, il fait ça. Marie Le Moal – mairie de Bordeaux

A mon sens c’est une coordination qui devrait s’appuyer sur la ville, sur des postes existant parce que ce sont les correspondants de quartiers, les agents de développement social, nous à la Direction général des affaires culturelles on travaille essentiellement sur les porteurs de projets associatifs et à cet égard je suis un certain nombre de personnes, des individus qui interviennent comme des vecteurs de lien. Il y a une question permanente de transmission tant au niveau de l’implication territoriale que de l’efficacité de montage de projet artistique, ce sont des gens qui font exemple et même qui sont copiés. À la suite de difficultés pour trouver un lieu pour se diffuser, ils vont inventer de nouvelles formes souvent dans une logique très informelle au départ et puis qui finalement s’optimise par la répétition et progressivement ça devient quelque chose de plus formalisé. Dans une logique où il n’y aurait qu’une personne qui ferait le lien, ça déshumanise parce qu’il n’y a pas de projet, il n’y a pas d’explication des fondements d’un projet. La rencontre est indispen-

sable sur un projet, on ne peut pas avoir de logique de l’annuaire. Laurent Chivallon – CCAS

La proposition faite par l’intervenant précédent est de créer un référent représentant des publics au sein des associations. Ce serait une force supplémentaire de relais et de mise à disposition par exemple le CAPC met en place une exposition dans son fichier il va faire passer l’info, mais pourquoi il ne chargerait pas

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Monsieur untel de telle asso qui aurait cette mission-là de diffuser l’info auprès du public de son association. Les structures institutionnelles telles que les musées pourraient avoir ces correspondants représentant des publics au sein des associations. Il serait alors question d’un réseau. Catherine Lavedan – Antenne Girondine Insertion Bordeaux

J’entends la fonction mutualisée, il me semble qu’il y a un programme chez nous qui demande à certaines associations de mutualiser des fonctions et je crois que là il y aurait peut-être la possibilité pour des associations de se fédérer pour créer un poste, on n’est pas dans la fonction déshumanisée dont vous parlez, il s’agirait bien d’un projet commun là qui serait de mettre du lien sur de l’information, des relais. Laurent Chivallon – CCAS

Des associations qui pourraient à ce moment-là se réunir autour d’une charte des bons usages de la médiation. Cela me rappelle un peu l’expérience du Collectif Bordonor qui avait créé il y a quelques années le garde champêtre culturel. C’était quelqu’un qui allait dans les associations, dans les structures et qui donnait les informations sur ce qui allait se passer sur le territoire. Fabrice Escorne – Centre d’animation Bordeaux Lac

Je vais parler de Bordonor même si je ne fais pas partie du collectif. Le Collectif Bordonor a toujours cette personne ressource, ça ne s’appelle plus garde champêtre culturel, aujourd’hui c’est Isabelle Vallade qui est membre du Collectif et médiatrice culturelle et qui fait ce travail sur Bordeaux nord. Elle vient voir les différentes structures d’animation avec beaucoup d’assiduité pour nous pousser à aller voir ce que font les autres. Tant que j’ai la parole, pour les centres d’animation c’est quelque chose qu’on a inscrit dans notre culture professionnelle d’aller voir les opérateurs, de se renseigner sur ce qu’il se passe

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au niveau culturel. Mais est-ce suffisant ? On est au courant comme un catalogue qui existerait, il faut pourtant, au-delà de la question des propositions qui consistent à adresser les publics vers une offre, il faut se poser la question de comment on co-construit avec les personnes ? La notion de construction est importante par exemple toutes les actions qu’on mène dans nos quartiers qui n’ont pas trouvé leur place dans une programmation à l’échelle de la ville et qui pourtant sont reconnues pour des événements socioculturels. Nous, on râle un peu contre ce cloisonnement. Nos moyens sont ceux de la politique de la ville, donc nous faisons des petits projets à la hauteur de nos moyens, mais les opérateurs culturels sont absents or on cherche ce type de partenariat. Laurent Chivallon – CCAS

Il se pose là la question du statut des actions, quand est-ce qu’elles peuvent être labellisées comme relevant de la culture alors que les initiateurs ne sont pas des acteurs de ce domaine ? Jean Garra – Centre d’animation Argonne Nansouty Saint-Genès

Nous avons les mêmes problématiques, sur le Centre Animation Argonne nous ne sommes pas dans des quartiers relevant de la politique de la ville. Donc on a trouvé des biais, on a la chance de travailler en direct avec des artistes, nous accueillons des artistes en résidence qui sont un lien direct avec les publics. Mais ça ne nous donne pas plus de visibilité en termes d’opérateurs culturels et de moyens. Pour exemple Hamid Ben Mahi a travaillé avec nous, y en a d’autres, mais comment être entendu pour aider ces artistes émergents qui sont dans la précarité pour la plupart et qui sont le meilleur lien avec nos publics ? Notre expérience dure depuis 10 ans le fait d’accueillir des artistes a pu mettre en place tout un réseau, on a par exemple travaillé sur des projets autour du Hip Hop, les artistes avec lesquels on a collaboré ont fini troisième au championnat du monde mais ils ne sont pas reconnus, ils ne sont pas

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aidés, donc se pose continuellement la question du statut de ces artistes, de leur rémunération, comment les structures sociales et culturelles peuvent travailler ensemble, mettre en commun des budgets ? Voilà. Laurent Chivallon – CCAS

Dans ces limites, les actions initiées par des acteurs hors du culturel ne doivent-elles pas se rapprocher d’acteurs de ce domaine pour formaliser ce qui se fait, le faire reconnaître ? Estce qu’il ne faut pas passer le relais à des professionnels de la culture ? Même si les centres d’animation sont à l’initiative. Fabrice Escorne – Centre d’animation Bordeaux Lac

Dans cette notion de relais si on raisonne comme ça on n’est plus dans l’inter-connaissance, ces événements-là qu’on défend nous ils ont un objet propre, une origine, ça n’est pas juste l’objet culturel qui prévaut. Je parlais de co-construction tout à l’heure c’est vraiment réfléchir ensemble à ce type d’événement, après qui porte, qui a les crédits c’est autre chose, mais en tout cas que ce ne soit pas juste l’un après l’autre. Laurent Chivallon – CCAS

Donner le relais à quelqu’un c’est plus sous la forme d’un réseau dans lequel on se fait confiance, donc où l’on accepte d’être dépossédé. Fabrice Escorne – Centre d’animation Bordeaux Lac

Par exemple sur le projet Grand Parc en Fête qui est coconstruit avec MC2A qui est une structure culturelle reconnue, sur le projet Evento effectivement il y a eu un relais, y a eu une volonté d’intégrer le Grand Parc en Fête à Evento. Mais, je ne suis pas sûr que le bilan de cette action soit si positif que ça. Je ne suis pas sûr que l’objectif de départ de Grand Parc en Fête ait été complètement atteint avec la venue d’Evento. Je pense qu’Evento est resté Evento.

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Marie Le Moal – mairie de Bordeaux

Il semble que cette dynamique se poursuit dans le quartier du Grand Parc où les habitants sont fortement impliqués pour le projet autour de la salle des fêtes. L’enjeu est toujours de tra-

vailler sur une logique de co-construction entre les associations de quartier, les habitants et un projet artistique qui reste à définir et dans lequel il y aurait une gouvernance partagée. Le travail qui est mené rappelle celui de la Halle des Douves où, après le passage d’Evento, il y a une réelle dynamique de quartier qui continue d’exister. Y a des exemples de pérennisation qui sont réels sous forme d’aller-retour entre projets culturels et projets sociaux. Jean Garra – Centre d’animation Argonne Nansouty Saint-Genès

Oui mais dans ces cas-là on pérennise des lieux, pas des publics. Y a des attentes des publics et des artistes, y a des lieux qui ne sont pas occupés à 100 % parce que pour qu’un lieu soit occupé à 100 % il faut que l’artiste soit reconnu hors de Bordeaux, je connais plein d’artistes qui galèrent je répète ils galèrent, il faut les soutenir or une ville comme Bordeaux ne le fait pas assez. On prend le relais avec nos centres d’animation au niveau local mais ça n’est pas suffisant. Laurent Chivallon – CCAS

Je reprends l’idée de réseau qui validerait des projets qui pourraient partir de structure comme les centres d’animation avec une visée de faire reconnaître une production artistique. Vraiment je trouve votre proposition intéressante de se dire aussi que dans un réseau comme celui-là il y aurait besoin de représentant des publics, une ou deux personnes par structures c’est important. Thomas Desmaison – membre des associations Pola et Point Barre

Dans le milieu culturel on peut mutualiser des heures dans différentes associations pour arriver à un temps plein, ça se fait

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beaucoup pour les chargés de diffusion notamment. Là ça me fait aussi enchaîner avec une réflexion qui est que tout est encore très sectorisé et malgré la réflexion de Dominique Ducassou ce matin, le mot culture, dans son acceptation philosophique, est très transversal, mais dans les faits, dans la réalité, le mot culture reste le domaine de la DGAC à Bordeaux sur des événements très artistiques. On parle le même langage mais c’est pas écrit noir sur blanc dans la réglementation cette confusion entre artistique, socioculturel au final ça crée des sectorisations dans les pratiques aussi. Lorsque je parle avec des amis qui sont animateurs ils me disent qu’ils en ont marre d’être pris plus ou moins pour des banques de publics. Je me permets de traduire ce que j’entends sur le terrain, c’est parfois douloureux pour eux. Le

principal effort serait dans la pratique de terrain et dans la pratique politique, il faut mettre en place cette pratique trans-sectorielle. Laurent Chivallon – CCAS

Il y a eu une rencontre avec le Développement social urbain au CCAS de Bordeaux sur la thématique de la culture et sur les quartiers de Bordeaux nord et c’est vrai qu’il y avait pas mal d’associations socioculturelles qui portaient ce sentiment-là, de dire que la politique de la ville finance beaucoup d’action autour de la culture. Mais, dans le cadre d’une culture considérée comme populaire, dès qu’on veut la faire reconnaître au-delà de ce caractère on se sent très limité. Je pense que dans l’inter-connaissance entre les acteurs on a à travailler avec la Direction de la culture, ce qui se passe dans le groupe projet du projet social. Catherine Lavedan – Antenne Girondine Insertion Bordeaux

Je pensais à cette dimension socioculturelle menée dans vos centres d’animation, quelle est la différence avec Oxygène, qu’est-ce qui fait la différence entre ce que vous faites ? On pourrait creuser aussi car derrière les mots il y a des pratiques mais parfois c’est les mêmes pratiques même si vous n’êtes pas consi-

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dérés de la même manière. Les centres d’animation, il y a une histoire derrière. Ludovic Antarakis – Centre d’animaiton de Bacalan

Moi je me reconnais tout à fait dans ce que vous décrivez, dans les centres d’animation on n’en a pas parlé mais on accompagne les publics vers les centres de diffusion, les théâtres, on fait des sorties familles régulièrement vers les lieux de programmation. Donc on se reconnaît largement dans les objectifs de l’association Oxygène mais on ne fait pas que ça, notre objectif est beaucoup plus large, on travaille avec tous les types de public, les centres de loisirs et les offres d’accueil périscolaire, etc. et puis la mission centre social qu’ont la plupart de nos structures. Pour préciser les choses un centre social c’est une structure de quartier, sur un territoire, ça peut aussi être en zone rurale, un centre social est un bâtiment qui a cet agrément de la CAF et qui a pour mission de travailler dans la globalité de l’animation du territoire, donc travailler avec tous les publics, sans être exclusif, de 3 ans à pas d’âge. Les principales missions c’est cette animation globale et transversale, après en interne il y a des activités pour les enfants de 3 à 5 ans, des jeunes de 12 à 25 ans et des familles. L’activité d’un centre social sur toute l’année ça ne s’arrête jamais et on se sert des moyens des structures du territoire, de la ville de Bordeaux de toute l’agglomération, pour faciliter la rencontre, la mixité des publics, les échanges, l’ouverture culturelle et aussi le lien social évidemment. Beaucoup d’animations de quartier sont des moyens de fédérer la vie associative et les habitants pour que les habitants soient aussi acteurs. Ça ouvre des œillères, on abat pas mal de préjugés grâce à ce travail de fourmis. Dans le quartier de Bacalan par exemple on a fait tout un travail avec les femmes d’un camp de gens du voyage qui ont pu exposer aux habitants des œuvres qu’elles avaient réalisées.

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Laurent Chivallon – CCAS

Ce qui est intéressant dans cet exemple c’est qu’on peut le rapprocher du travail initié par le Musée d’Aquitaine avec la communauté portugaise, qui lui part d’une structure culturelle et rejoint un objectif social. Il y a des dynamiques comparables. Ludovic Antarakis – Centre d’animaiton de Bacalan

Ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure, on est sur le même registre c’est l’ouverture culturelle, mais comment on le dit, comment on le témoigne effectivement c’est avec des mots différents. Pour nous centre social on va plus viser la culture comme vecteur d’amélioration sociétale : vivre-ensemble, que comme but en soi. Une exposition c’est pas rien, exposer son œuvre et la rendre visible par tous y a un cap à franchir. On tend vers la culture avec un grand C, à quand l’exposition dans un musée ? Katia Kukawka – Musée d’Aquitaine

Je ne pensais pas vous parler du lieu d’où je viens, mais je viens de Guyane et d’un territoire où la notion de musée n’existe pas. Conserver un objet pour des amérindiens, des noir-marrons c’est complètement antinomique, ça ne se garde pas, on brûle les affaires des morts et pourtant je travaillais dans un musée. Le rôle social d’un musée tout ce que vous dites des centres d’animation ou centres sociaux ou des centres de loisirs raisonne complètement pour moi parce que finalement un musée là-bas c’est exactement ce que vous faites. Dans la commune où j’habitais, la médiathèque c’était aussi le lieu où la correspondante du pôle emploi, la correspondante de la CAF venaient tenir leurs permanences. Et donc voilà, les gens fréquentaient naturellement la médiathèque, donc le lieu où il y a les livres qui est autant sacralisé qu’un musée ou une bibliothèque ici, les gens allaient à la médiathèque donc imaginer une permanence de la CAF dans un musée pourquoi pas, pour moi c’est le chemin naturel.

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Cécilia Garandel – association Fenêtre sur rue

Chaque année dans l’association on part sur une thématique et on fait venir des artistes étrangers en résidence à Bordeaux, sachant que la responsable de l’association part chaque fois découvrir l’artiste dans son pays d’origine. On définit un thème, tous les artistes travaillent dessus et on expose ensuite leur travail et cela se fait en lien avec des artistes bordelais. Comme on est des artistes pas connus on a toujours du mal à se faire connaître, à ouvrir des portes. Thomas Desmaison – membre des associations Pola et Point Barre

On touche à cette idée de mutualisation toujours, c’est vrai que Bordeaux c’est un territoire de beaucoup de tension et les mutualisations se font souvent en réaction à un contexte douloureux en tout cas pour Pola c’est ça. Si cette journée peut aider à créer d’autres dynamiques, ça serait vraiment bien. L’ensemble des pistes envisagées doit prendre en compte aussi la réalité des collectifs d’artistes . Ils ont des formes diverses et des objectifs variés, il y a notamment ceux qui existent car un artiste seul ne peut pas vivre, c’est très difficile de se faire connaître à Bordeaux, c’est souvent une nécessité ou une contrainte pour les artistes de se regrouper. Ces collectifs sont nés d’espaces physiques partagés, de squats et ces gens ont réalisé qu’ils étaient dans la même galère et ils ont décidé de travailler ensemble. Ça serait bien que les rencontres et le travail en commun se fassent dans des circonstances autres, plus heureuses. Laurent Chivallon – CCAS

On approche de la fin, l’idée de départ c’était de pouvoir proposer des pistes d’actions concrètes, je retiendrai de nos échanges que nous avons parlé de cette idée d’un espace de rencontre, un endroit un peu mixte peut-être faut-il en créer un supplémentaire ? On a parlé aussi d’une fonction mutualisée ou d’une mutualisation autour de ces questions, on a parlé aussi de ce projet de réseau ou de charte et puis surtout on s’est posé la

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question de la place des publics et comment on leur donne une représentation. Il y avait la proposition du Musée d’Aquitaine de s’ouvrir aux permanences d’autres structures, mêmes sociales ou autre, pour décloisonner les choses et puis une interrogation sur comment se positionne la Direction des affaires culturelles sur ces questions de transversalité. Marie Le Moal – mairie de Bordeaux

La transversalité de la Culture est à travailler pour aller toujours plus loin, individuellement je suis attachée à faire connaître le fait que la mairie travaille à cette transversalité et notamment la culture en tant qu’espace public et que ce soit les projections en plein air ou les concerts en plein air ce sont des actions très concrètes. On travaille avec le festival Relâche, les projets Cinésites, Chahuts, on travaille ensemble dessus et à mon sens ce sont des actions importantes puisqu’elles mettent sur un même objet des professionnels qui perçoivent les choses avec un prisme différent et ça amène à progresser. Et justement quand on parlait des centres sociaux qui avaient pour objet d’utiliser la culture comme vecteur d’épanouissement de soi, à mon sens non c’est aussi mon travail, pour moi la culture n’est pas une fin en soi. Individuellement je serais très favorable à ce que la ville adhère à l’Agenda 21 de la Culture par exemple, parce que dedans il y a tous les principes de diversité culturelle, d’épanouissement individuel par la culture dont nous avons parlé durant cet atelier et c’est ça qu’on poursuit tous. Katia Kukawka – Musée d’Aquitaine

J’ajouterais juste une dernière préconisation ou demande c’est que cette inter-connaissance soit entre les acteurs, les structures, les programmes mais aussi entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Qu’on ait un moyen d’obtenir de chacun une évaluation au plus juste de ce qu’il a mené en termes d’actions ou de programme avec une forme d’autocritique. Je trouverais formidable que nous, dans nos musées au sein de nos instances consul-

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tatives, on ait des représentants des publics, la question n’est pas de faire du chiffre mais plutôt d’être juste dans nos évaluations. Pistes d’actions évoquées lors de l’atelier :

– repérer des lieux où l’interconnaissance peut exister, peut se dérouler. Les imaginer en fonction des territoires – repérer dans les associations recevant du public des représentants interlocuteurs des structures socio-culturelles et culturelles qui pourraient relayer l’information, créer des synergies – valoriser les initiatives existantes qui correspondent à la notion de co-construction – envisager la création d’un réseau avec une charte du croisement social / culture avec des membres représentant les structures et les publics – créer des postes de médiation mutualisés – formaliser des critères d’actions relevant d’une co-construction de manière à les « labelliser », suivre leur déroulement, les évaluer – associer plus fortement les services culturels en vue de faire reconnaître des formes de création ne partant pas du domaine culturel. Affirmer plus fort la transversalité de la culture – multiplier les lieux de présentation de créations, d’œuvres et y présenter des créations n’ayant pas a priori un statut d’objet culturel notamment celles issues de cultures différentes – imaginer la présence de propositions relevant de l’action sociale dans des lieux de culture, décloisonner (permanences de travailleurs sociaux dans des musées…) – envisager d’adhérer à l’Agenda 21 de la culture il y a des permanences d’assistantes sociales ou de correspondants de la mission locale dans les lieux mêmes où de la culture est produite.

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Conclusion Émilie Viaud – sociologue

Il y a des points communs dans le vocabulaire que vous avez choisi qui est toujours celui de la relation humaine, beaucoup, celui de la proximité, la rencontre, la convivialité qui serait

un outil de construction de lien entre les univers et surtout entre les gens . La question du besoin qui est revenue de manière transversale dans les ateliers. Mais ça n’est pas seulement le besoin des participants, c’est aussi celui parfois des artistes. Cette terminologie de la rencontre inter-personnelle est plutôt positive et tourne autour de l’enthousiasme. Elle engage une perspective de pérennisation des actions. Vous avez imaginé des pistes d’actions concrètes qui pourraient faire l’objet d’un rassemblement dans le cadre de ce fameux plan d’actions à venir que vous souhaitez construire sur la base de valeurs communes. C’est aussi une thématique qui revient dans les ateliers. L’exemple qui nous a semblé le plus significatif, mais les autres sont tout aussi intéressants et de toute façon ce sera à vous de le dire, c’est la construction d’un média commun pour communiquer sur les événements que vous organisez ensemble ou auxquels pourraient se joindre certains de vos partenaires. Il pourrait y avoir aussi des lieux d’inter-connaissances entre les professionnels et les publics, des lieux qui favorisent l’échange, des lieux qui seraient bâtis, qui seraient matériels, qui seraient construits. L’ouverture au public cela passe aussi par la transversalité de l’engagement avec par exemple la proposition du Musée d’Aquitaine d’accueillir des permanences d’associations et d’organismes sociaux. Tout à l’heure j’ai évoqué rapidement la question des artistes, du rôle des artistes, aussi une thématique qui a été largement abordée dans un des ateliers, les artistes ont cette double casquette : d’être ce maillon de la chaîne qui permet

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de construire des actions culturelles, mais aussi qui peuvent parfois être dans une situation de précarité. Cet exemple est significatif de la complexité de la situation dans laquelle vous vous trouvez pour construire un plan d’actions commun, vous avez des publics aux identités plurielles. Pauline Vessely – sociologue

On voit aussi une volonté de s’inscrire au niveau local avec notamment le terme d’espace improbable qui est revenu dans différents ateliers, que ce soit des exemples de friches qui

seraient à la fois des lieux de création, de partage, des lieux de vie quotidienne, mais aussi de pratiques amateurs, qu’il y ait souvent ce lien entre la pratique amateur et la production artistique professionnelle, tout simplement l’échange de cette vie quotidienne comme fondement d’une base de culture. Cela passe aussi par l’investissement de l’espace public. On l’a évoqué autour des musées, de sortir des musées, dans les rues alentour, dans les places alentour, que la culture prenne possession de cet espace qui par définition étant un espace public, appartient à tous. Des actions qui rappellent cette possibilité sont à envisager, Jean-Luc tu as une très belle formule : cultiver la démocratie. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

La formule n’est pas de moi. Il ne s’agissait pas de démocratiser la culture mais de cultiver la démocratie en prenant en

compte à égale reconnaissance l’ensemble des différentes cultures. Émilie Viaud – sociologue

C’était donc dans l’atelier de Jean-Luc. Un autre exemple pour asseoir l’engagement commun qui est vraiment présent aujourd’hui, c’est une proposition d’une

charte qui serait cosignée par l’ensemble des représentants de chaque champ des professionnels mais aussi des 194


participants, qui fixerait un certain nombre d’objectifs et de besoins, justement de demandes et d’attentes, qui permettrait aussi de créer un réseau et du coup une meilleure connaissance des acteurs. Pauline Vessely – sociologue

Pour en revenir aux artistes, une proposition que j’ai entendue sur la médiation et les formes d’interactions immatérielles, c’était une proposition d’intervention d’ordre de la performance par des artistes, présentée par une enseignante de l’IUT qui est un événement concret qui a fonctionné et qui a l’air véritablement d’incarner la mobilité d’un mouvement de l’art vers le social. Sans presque que le sens qui est pourtant défini en amont, ne soit expliqué à ceux qui se mettent à suivre le mouvement, des artistes performent et se déplacent au CAPC et sur leur chemin emportent des gens qui n’avaient pas forcément prévu de se joindre à une performance. Par le jeu de l’enthousiasme et de la curiosité les gens sont amenés à rentrer dans le musée, alors qu’ils ne l’auraient peut-être pas fait d’eux-mêmes. Cette expérience, dont je vous livre des traits de manière très sommaire et qui a été développée évidemment par les acteurs eux-mêmes, est tout à fait intéressante sachant que ce qui compte plus que les mots ou les questions de terminologies ce sont les actions. Là en l’occurrence l’impression que j’ai eu c’est que le sens de l’action était très bien défini en amont, à tel point qu’elle a pu être menée efficacement, mais ceux qui ont suivi l’action n’ont pas été informés du sens très clairement, ou en tout cas n’ont pas été informés par des mots mais par les actes posés. Le sens transparaît par la force de l’action et par l’intensité du mouvement qui est impulsé par éventuellement des artistes, des animateurs socioculturels ou des étudiants. Il semble que l’intensité du propos ou de l’action vaut autant en termes de signification et de sens que éventuellement parfois des discussions. Bien que les discussions soient utiles aussi.

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Émilie Viaud – sociologue

Les idées d’actions concrètes sont très nombreuses. Ce qu’on note déjà, c’est une différence d’échelle de temporalité. Il y a des projets qui s’inscrivent dans le long terme, des projets plus ponctuels mais répétés et des projets d’ampleur différente et de coûts différents, on parle de financements qui sont aussi nécessaires pour mettre en place ces projets. Chacun à son échelle participe à construire cette fameuse chaîne dont on a parlé ce matin. Le média commun on en a déjà parlé. Le premier maillon de la chaîne c’est cette idée de parrainage par exemple. Un

bénéficiaire de certaines associations pourrait parrainer une personne en l’amenant en disant : « j’ai envie de te faire découvrir ça, je t’emmène avec moi découvrir ça ». Cette forme de parrainage serait une première approche, l’idée d’une première fois qui serait des actions où on ferait découvrir aux gens, ceux qui ne sont jamais allés à l’Opéra par exemple, la première fois à l’Opéra, la première fois dans un centre d’animation, si on ne connaît pas tout cela, ça serait une manière d’installer une première graine, pour peut-être une fréquentation plus importante par la suite. Pauline Vessely – sociologue

Il y avait une discussion aussi autour de la commande et de la volonté d’asseoir des commandes publiques, je crois que c’était dans l’atelier de Jean-Luc, des commandes autour d’actions dont les rôles de chacun sont très définis à l’avance. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Dans ce que j’en ai compris et entendu, de ce qui a été dit ce matin, c’était par rapport aux politiques publiques qui sont évidemment demandées tout autant par les champs culturel, que social ou socioculturel. Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer d’aller encore plus loin ? Des personnes ont employé le mot commande, on peut aussi nommer cela appel à projets. En tout cas

cette idée qu’à un moment donné, dans le cahier des 196


charges des projets, il y ait vraiment de manière volontariste le fait que des projets puissent être coécrits, coconstruits entre des acteurs des deux champs, c’est-à-dire culturel, social ou socioculturel. Pauline Vessely – sociologue

Cette idée rejoint la nécessité de construire éventuellement une charte dans laquelle chacun s’engage pour son domaine d’exercice auprès des autres, pour justement construire ce tissu d’actions et ce plan d’actions à venir. Je crois qu’on est arrivé au bout de notre temps. Émilie Viaud – sociologue

Juste peut-être un point sur un aspect important, on a évoqué

la création de la fonction d’animateur mutualisé, quelqu’un qui serait polyvalent, se déplacerait sur les différentes structures, sociales, culturelles, socioculturelles, un médiateur qui permettrait de faire le lien entre ces structures. Nous faisons très très bref et peut-être, même certainement, que les idées d’origine perdent de leur profondeur et de leur portée, mais on ne peut pas tout dire malheureusement. Merci Beaucoup. Jean-Luc Benguigui – directeur général ACAQB

Je vais tout de suite donner la parole à Véronique Fayet et Dominique Ducassou. Je redis l’esprit de cette journée par rapport à la suite, évidemment que cela ne va pas s’arrêter là. Maintenant nous allons reprendre de manière la plus exhaustive possible toutes les propositions qui ont été émises, toutes les contributions des uns et des autres, que ce soit en matinée ou cette après-midi pendant les ateliers. Nous allons réfléchir aussi très vite après avoir fait le point où nous en sommes aujourd’hui, imaginer au moins une

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rencontre annuelle, sachant que tous ces partenariats s’inscrivent dans un temps beaucoup plus long. J’entendais aussi ce matin une réflexion qui était qu’on avait peut-être abordé trop de problématiques. L’idée n’est évidemment pas de résumer tout cela en une problématique, on peut tout à fait imaginer différentes problématiques et un plan d’actions qui prendrait en compte la diversité des uns et des autres. Moi je retiens vraiment un mot dit aujourd’hui par beaucoup de personnes, c’est rencontre, la question de la rencontre, de provoquer cette rencontre. Je me souviens aussi d’une discussion il y a six mois avec Dominique Ducassou qui disait que peut-être un premier résultat serait justement d’avoir permis cette interconnaissance, cette rencontre entre des acteurs. Évidemment certains d’entre nous se rencontrent mais le fait d’avoir multiplié ces occasions de rencontre entre des acteurs qui ne travaillent pas forcément ensemble, cela peut faire partie déjà de quelques résultats. Dominique Ducassou – adjoint au maire de Bordeaux

Je suis très heureux avec Véronique de participer à cette séance de clôture, en tout cas à la conclusion de cette journée. Je voudrais bien entendu remercier les acteurs de cette journée, c’est-à-dire tous ceux qui ont participé activement mais particulièrement ceux qui ont préparé cette journée, je pense à JeanLuc Benguigui, bien sûr, à Sylvie Barrère et Laurent Chivallon. C’est un triumvirat d’origines différentes, du social, du culturel, des centres d’animation qui ont chacun un langage. Étant amené à les rencontrer à la faveur de telle ou telle activité, on se rend compte que le langage a de l’importance mais souvent les mots différents cachent les mêmes choses et cela a été dit aussi. Assurément cette journée et on en parlait avec Jean-Luc il n’y a pas si longtemps a eu l’avantage de permettre des échanges. C’est vrai, cela a été dit cette après-midi, il faut sortir de la pala-

bre pour aller à du concret, sortir du discours théorique pour de la formulation. Le concret nous a permis d’apprendre 198


à mieux nous connaître pour travailler ensemble et découvrir cette volonté que nous avons tous de travailler en commun. On a beaucoup discuté ce matin à propos de la définition de la culture, de l’art. Je le disais dans une des discussions ce matin et je le redis, la culture n’est pas une fin en soi. La notion d’œuvre d’art a aussi beaucoup évolué au cours des années à travers le point de vue même des artistes engagés dans les différentes formes d’art. Aujourd’hui ils sont de plus en plus avides de rencontres, d’échanges et de travail partagé. C’est un élément qui est relativement nouveau par rapport à ce qu’était un travail d’artiste il y a quelques années de cela. C’était alors un travail, une commande ou une création avec une présentation, éventuellement de la médiation pour une appropriation par un public de cette œuvre, mais il n’y avait pas ce désir a priori en tout cas de co-construire, de co-réaliser, de réfléchir et d’avoir une création résultant justement de cette réflexion partagée. Donc les choses ont bien évolué et aujourd’hui la culture n’est pas une fin en soi, elle est partout. Alain Juppé le disait ce matin dans sa partie introductive, la ville de Bordeaux a un plan social, un projet social, Véronique le connaît bien, c’est elle qui le porte. Il y a un projet environnemental avec l’Agenda 21, il y a un projet urbain, il y a toute une série de projets. Très souvent on nous dit il n’y a pas de projet culturel, ce n’est pas possible etc. Mais le maire explique qu’il y a des institutions, qui programment, qui s’activent, c’est riche d’information, les uns et les autres le disent et pourtant il y a toujours cette idée qu’il n’y a pas de projet culturel. Tout simplement parce que le projet culturel est partout, il n’y a pas la culture des établissements culturels et la culture hors des établissements culturels. La culture elle est partout, elle est transversale, elle est dans le projet social, elle est dans le projet environnemental, elle est dans le projet urbain avec des artistes qui participent à la réflexion, à l’accompagnement de la médiation pour une présentation de projets, une appropriation du projet, une évolution de ces projets et pour introduire de l’humain. Vous le disiez il y a un instant et je suis heureux de me rendre

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compte que malgré l’évolution du multimédia la notion de la relation humaine prédomine. Nous savons tous aujourd’hui que le multimédia prend une importance très grande, on change d’environnement, on change d’espace, avec une temporalité qui est différente et une gouvernance aussi qui est différente. La gouvernance de la culture est en train d’évoluer. On peut très bien travailler avec des réseaux constitués à travers le monde sans se connaître, mais je crois que sur les actions telles que vous les avez définies, réfléchies et présentées à travers ce matin certains exemples, c’est une co-construction avec une présence de l’humain. Une présence de l’humain sur un territoire donné, bien identifié, les quartiers, une ville, des territoires dont certains en devenir, cette volonté de mixité à la fois culturelle et sociale, pourtant les gens se connaissent mal. Cette journée, qui pour moi est une première journée, doit se poursuivre. Le rythme est à définir mais cela veut dire qu’entre des journées de restitution, il doit y avoir une volonté de continuer à travailler, avec comme objectif, de décliner des propositions de projets, que vous avez pu avancer à l’instant et qui étaient rapportées dans les conclusions. Il faut les décliner de façon très concrète, voire sous formes d’appels à projets qui

souvent effectivement sont une manière, quand c’est bien formulé, d’amener les équipes les unes et les autres à travailler ensemble sur des mêmes finalités. Vous avez très bien vu que sur les établissements qui se sont exprimés ce matin, il n’y a pas un désir de rester dans son territoire. Il y a au contraire un désir comme l’ont dit le TnBA, l’Opéra national de Bordeaux, le CAPC et d’autres lieux qui sont déjà engagés dans cette même volonté : dans leur propre politique d’établissement ils ont intégré le travail avec les publics dans leurs diversités et dans des actions rapprochées, en insistant bien sur le fait que nous sommes des maillons. Les élus aussi font partie des maillons et même je pense qu’ils sont au milieu de la chaîne. Cela veut dire que s’ils ne sont pas là ou clairement identifiés dans la chaîne, il y a une rupture. Donc c’est une chaîne, ce sont des maillons,

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c’est un désir de travailler ensemble mais il faut sortir de ces établissements. C’était redit encore cette après-midi, sortons avec des sculptures dans la ville, des installations, des arts de la rue, allons au-devant d’un public . Pour cela la médiation aujourd’hui joue un rôle très important, c’est vrai qu’on a mis beaucoup de temps à comprendre l’intérêt des médiateurs, mais il y a un gros besoin. Les médiateurs peuvent créer des liens avec l’éducation nationale et les enseignants, créer des liens entre les acteurs du monde associatif et du secteur social et des autres endroits. Il y a la nécessité d’avoir cette relation entre les artistes, la médiation et le citoyen. Donc ça c’est un point important et plus on est sur l’espace public, plus il y a une appropriation facile, il y a une pédagogie, un accompagnement, un désir d’en savoir plus et ce sont des effets d’entraînement. Vous le disiez très simplement avec ce que fait Chahuts, très clairement au niveau de Saint-Michel ce sont des accompagnements, ce sont des médiations, on l’a très bien vu, un désir partagé et un projet qui se met en place. Quelques-uns au départ et puis beaucoup à l’arrivée. Cette arrivée peut se trouver sur tel ou tel lieu, un lieu public ou un lieu privé, un espace dans la rue ou un espace réservé comme une friche qui peut avoir sa finalité en tant que telle de lieu de rassemblement. Si je dis cela et je suis persuadé que je ne serai pas contrarié par Véronique, c’est parce que on le ressent très clairement en tant qu’élu. On a donc des établissements qui sont très sincèrement, en tout cas qui ont tout à fait leur place au niveau national quand on les compare à des établissements similaires et c’est important de les comparer, c’est l’évaluation. L’évaluation est très importante, les indicateurs d’évaluation très pertinents, ils sont essentiels, on doit se com-

parer, on doit s’évaluer pour aller de l’avant et innover, créer et innover dans tous les sens, l’innovation organisationnelle est aussi importante qu’une innovation technologique ou liée à des aspects artistiques. Quand on se compare au niveau des établissements, on a de très bons établissements, très sincèrement, vous savez on est des élus, par rapport à des

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institutions culturelles, nous on est de passage donc on constate. Bien sûr on est un peu chauvin et parfois l’objectivité est un peu écornée mais quoi qu’il en soit dans des débats comme cela, on se doit d’être objectif et vraiment je vois à travers les différents responsables des établissements, il y a cette volonté de travailler avec les publics, non pas pour dire on va augmenter le chiffre de la programmation, non, de travailler vraiment avec les publics. C’est-à-dire des artistes avec un savoir-faire qui ont envie, on l’a très bien vu avec Culture à l’hôpital. Ces artistes sortent de chez eux, vont au-devant, là où il y a le public particulier. On a parlé ce matin d’une notion de public empêché, c’est très vaste, vous le disiez vous-mêmes, la définition d’un public empêché c’est très divers. Tout comme d’ailleurs l’émotion elle se travaille. Aujourd’hui j’ai une certaine émotion, demain devant la même chose, je n’aurai pas la même émotion. C’est un environnement aussi, un environnement qui s’y prépare. Donc tout cela fait qu’on peut s’organiser pour générer ces environnements qui puissent permettre cette émotion. Je puis affirmer que tous les responsables d’établissements sont dans cette logique et ils ne demandent pas mieux que d’être activés. Prenons par exemple les bibliothèques de quartier, ce ne sont plus des bibliothèques d’emprunt comme par le passé, ce sont des lieux qui ont des liens avec les centres sociaux, les maisons de quartier, qui coconstruisent des programmes. Une bibliothèque aujourd’hui, c’est un lieu sonore, ce n’est pas un lieu où il faut surtout se taire pour ne pas gêner le voisin. C’est un lieu où il y a des actions très diverses, il y a des livres mais on va plus loin et c’est comme cela qu’on peut aussi appréhender de nouveaux secteurs. Toutes ces actions-là elles se déclinent au niveau de la proximité, un point important en effet, on est organisé en quartiers comme tout territoire, le risque c’est de rester dans son quartier et je le disais ce matin, chacun a son vécu de jeunesse, j’ai beaucoup vécu à l’endroit de la ville où je suis né à Bayonne dans mon quartier. J’avais beaucoup de difficulté à aller dans un autre quartier, on était très chauvin, dans une proximité. Aujourd’hui il faut éviter cela parce

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que sinon, je crois que c’est un coup loupé. Et donc c’est aussi

être amené à aller dans un quartier, à aller voir les publics, à amener ces publics à travailler avec d’autres publics qui seront dans d’autres quartiers et avoir un désir de partager des choses. Je tiens de ce qui a été dit ce matin, peut-être dans le désordre et je m’en excuse, mais en tout cas ce que j’ai perçu ce matin, c’est une volonté qui a été exprimée par les uns et par les autres, une frilosité, une interrogation pour savoir comment on pouvait s’y prendre, beaucoup de réflexions un peu intellectualisantes, je dirais. Quoi qu’il en soit, c’est vrai que le secteur du social doit retrouver les autres secteurs, avec la même dynamique, avec la même motivation, les mêmes envies pour co-construire et aller de l’avant. Voilà ce que je peux dire à travers l’aspect global de la journée, ce qui a été dit il y a un instant, ce désir bien sûr aussi de coconstruire un média. Je pense que cela permet de communiquer aussi et de communiquer ensemble. Je crois que c’est une

chose intéressante d’avoir une construction en commun d’un média qui traduise des projets et l’évolution de ces projets. En arrivant cet après-midi j’ai rencontré des personnes qui ont participé aux ateliers et qui m’ont dit ça a bien parlé, ça a bien échangé, on a fait un certain nombre de propositions, cela a été dit dans la restitution, Jean-Luc l’a signalé. Donc voilà pour moi, la première étape est réglée. Maintenant il faut aller plus loin, s’appuyer sur des exemples qui ont bien marché, non pas pour les imiter mais pour savoir pourquoi ils ont bien marché, est-ce que c’était une question de moment plus propice qu’un autre ? Je ne sais pas mais il y a aussi l’humain, c’est-à-dire que s’il y a un désir de personne, il y a indéniablement une idée en tête, une volonté dans l’esprit et une réalisation concrète. Voilà donc rendez-vous à une autre journée et entre temps du travail en commun et soyez certains qu’en tout cas en ce qui nous concerne au niveau de la ville et de son volet culturel tout particulièrement, nous sommes à vos écoutes.

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Véronique Fayet – adjointe au maire de Bordeaux

Premièrement, on fait le constat qu’il y a beaucoup d’expériences et de très belles expériences, qui se font déjà à Bordeaux sur cette thématique du croisement du social et de la culture. On en a vu quelques-unes ce matin qui étaient très intéressantes. On a entendu qu’il ne fallait pas seulement aller vers mais faire venir. On a entendu qu’il fallait durer, qu’il fallait de l’endurance. J’ai découvert ce qu’étaient les greetchahuteurs, j’ai appris quelque chose. Ce que j’ai entendu de l’atelier de peinture partagé à Cultures du cœur m’a semblé tout à fait passionnant. On a entendu aussi ce monsieur qui parlait avec l’association Oxygène et qui expliquait très clairement mais aussi avec beaucoup de pudeur que les freins étaient en fait psychofinanciers, que le financier était un prétexte mais que c’était plutôt psychologique. D’une part, on ne s’autorisait pas à aller dans les lieux culturels quand on est en difficulté, on pense que ce n’est pas pour soi et on n’a pas envie d’y aller seul. Il y a plein de choses mêlées. On a approché un petit peu ce que pouvait être les freins et on a vu aussi les belles choses qui se faisaient. J’ai aussi en tête tout ce dont on n’a pas parlé aujourd’hui mais que je connais et qui se fait depuis des années. Je pense à tout le travail formidable qui se fait avec tout le collectif Bordonor depuis des années avec son garde champêtre culturel. C’était il y a une dizaine d’années, tout le monde les regardaient avec des yeux ronds, mais bon il y avait déjà une intuition de cet ordre, à ce qui se fait aux archives où Agnès Vatican a réussi à intéresser les gens d’un centre d’hébergement de réinsertion sociale, qui sont donc des gens vraiment empêchés et qui sont maintenant passionnés par les archives. Je pense à Plume’Palette qui était dans la salle. Je pense aux totems qui ont été sculptés. Je ne sais pas si vous avez suivi cela, deux totems ont été sculptés, un avec un artiste au jardin de ta sœur il y a deux ou trois ans peut-être et un aussi qui s’est fait récemment avec quelqu’un qui ne se déclare pas artiste, mais qui doit être artiste certainement sur ce lieu improbable qu’est la place André Meunier avec les

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gens de passage, les marginaux. Il y a un totem magnifique qui est maintenant dressé fièrement sur la place au milieu du chantier ou ce qu’il reste de la place. Voilà, donc il se passe plein plein de choses et vous avez tous aussi d’autres choses en tête, des choses très modestes, je ne sais pas si c’est des arts modestes mais pour moi c’est de l’art authentiquement. Je trouve que c’est intéressant de savoir que votre réflexion est sur un terreau fertile avec plein de choses qui se font déjà un petit peu partout et qu’on a évoqué en partie aujourd’hui mais que vous connaissez. Déjà c’est réjouissant et bravo pour tout ça et peut-être qu’il faut poursuivre aussi cet inventaire. Deuxièmement, pourquoi est-ce que c’est au cœur du projet social ? C’est une question que l’on peut se poser. Dans l’imagi-

naire traditionnel, le social c’est quand même des choses un peu basique, manger, dormir, travailler, etc., sauf que à Bordeaux dès le premier projet social en 1999, on avait eu cette idée saugrenue de dire on va s’adresser à l’homme tout entier, à l’homme dans sa richesse, sa sensibilité, sa créativité et que pour nous un projet social c’était toutes ces dimensions-là. Dès 1998, 1999, Jean-Luc Benguigui et d’autres qui étaient déjà là se souviennent, on avait dans le projet social l’ambition de se dire qu’il faut absolument permettre à ces gens en grandes difficultés, exclus, un peu, beaucoup, d’exprimer leur créativité et de rentrer dans cette grande chaîne de l’art et de la culture. On voit qu’au fil de la maturation des projets sociaux puisqu’on en est au troisième, et bien les choses maintenant se concrétisent avec des envies comme celles d’aujourd’hui de rentrer dans du dur, de formaliser des choses, de réfléchir, de concrétiser un petit peu. Je crois que c’est important de se rappeler que c’est vraiment le cœur du projet social dans sa dimension de fraternité et de créativité parce qu’on est créatif à tout âge et quelques soient ses conditions de vie, on peut être vraiment créatifs et que c’est à travers l’art que l’on va le mieux créer les opportunités de rencontre, puisque le projet social c’est la dimension solidarité un peu classique mais aussi la dimension de fraternité

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et de vivre ensemble. Et l’art, on le constate, on le vit, je l’ai moi aussi expérimenté notamment avec des expériences fortes au moment d’Evento il y a quelques mois. L’art rassemble,

apaise, pacifie, réunit, l’art est vraiment un vecteur, un lieu de fraternité et de vivre ensemble extrêmement fort. On tient à cet enracinement dans le projet social. Le projet social ce sont plein d’actions, c’est parfois aussi un petit peu de financement, pas beaucoup, ne vous emballez pas. Pas beaucoup parce qu’on sait que si vous montez des actions nouvelles, vous allez avoir besoin d’un petit coup de pouce. Le projet social est là pour ça, il est cofinancé par la Ville et par la Caisse d’allocations familiales et pour aller plus loin, on a créé un fonds de dotation du projet social. On est en train de faire rentrer les premiers sous. Le fonds de dotation du projet social c’est la mobilisation des entreprises et des particuliers, de tous les Bordelais qui ont envie de rentrer dans cette dynamique de Bordeaux solidaire et fraternelle et qui ont envie de mettre un peu d’argent dedans, moyennant une défiscalisation puisque c’est comme une fondation. Cela va permettre, dès 2013 de financer les projets du projet social et notamment vos projets puisqu’ils sont au cœur du projet social comme je viens de l’indiquer. Ne rêvez pas de la poule aux œufs d’or, mais je vous le dis quand même pour qu’on ne se dise pas « ça je ne le fait pas parce qu’il n’y a pas d’argent ». Ne bridez pas votre imagination, l’argent on essaiera d’en trouver, en tout cas on fera tout pour vous aider. Troisième point, qu’est-ce qu’on fait demain, après cette belle journée, très riche et qui donne envie d’aller plus loin ? J’ai entendu que le danger qui pouvait vous menacer, c’était de rester dans des concepts et dans des choses un peu intellectuelles, donc moi j’ai envie de vous dire, continuons à expérimenter, continuons vraiment sur le terrain des petites actions modestes, des actes, des expériences, des choses qui nous mettent en prise directe avec les personnes en grande difficulté et peut-être que

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cette journée annuelle qui est une excellente idée pourrait servir de relecture. Qu’est-ce qu’on a fait cette année ? Peut-être qu’on peut le relire ensemble, chacun en mettant sur le tapis une expérience et puis on la décortique ensemble, qu’est-ce qui s’est passé ? Quels ont été les échecs, les réussites ? Qu’est-ce qu’on en tire comme enseignement pour une autre expérience ? Peut-être un temps de relecture, un temps de valorisation aussi de tout ce dont on n’a pas eu le temps de parler aujourd’hui et dont on n’aura peut-être pas le temps de parler la prochaine fois. Vous savez que dans le projet social, une fois par an en novembre, au cours d’un grand forum social, on rassemble tous les acteurs du social, donc c’est très vaste, cela va de la culture au très social en passant par le logement, l’emploi, le parrainage des jeunes à la mission locale, le café des pères avec la Caisse d’allocations familiales, les systèmes d’échanges locaux, etc., c’est quand même une très grande richesse d’acteurs et de diversité. Cette année c’est le 24 novembre et j’en profite pour faire ma page de pub. Ce sera plutôt sur l’économie du partage, mais l’économie du partage c’est étroitement lié à ce dont on a parlé aujourd’hui. Pourquoi pas l’année prochaine, faire de la culture le thème central du forum social 2013. C’est une idée que je vous lance, cela peut être en 2014 si on n’est pas prêt en 2013, mais en tout cas un moment où on donnera à voir tout ce qui se fait, qui est d’une richesse extraordinaire, d’une grande modestie, mais d’une grande richesse et où on pourra peut-être permettre aux personnes qui vivent tous ces temps-là de venir s’exprimer, de venir en parler. Pour terminer, je vous fais une dernière proposition. En vous écoutant, je pensais aussi, puisque vous avez fait une journée de croisement des savoirs, d’inter-connaissances, je pensais à ce que j’ai déjà vécu moi avec le mouvement ATD Quart Monde et puis le CNFPT, de croisement des savoirs entre des familles qui ont vécu, qui vivent la grande pauvreté et des professionnels. Alors jusqu’à présent, cela se fait plutôt avec des professionnels du social, ou de la santé, ou des professionnels de l’éducation.

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À ma connaissance, cela ne s’est pas fait encore en mélangeant des professionnels du social et de l’art. Donc ça c’est aussi une piste très intéressante, c’est assez ambitieux, c’est comme un petit programme de formation mais c’est peut-être quelque chose qu’on pourrait expérimenter ensemble des sessions de croisement des savoirs. Cela se fait en petit comité, des groupes de 10 au maximum, pour prendre le temps de comprendre quand on parle de culture, quand on parle de savoir, quand on parle d’art, une famille très pauvre, qu’est-ce qu’elle met derrière ça ? Elle ne met sûrement pas la même chose que nous. Donc ce serait intéressant qu’un petit groupe parmi vous tous accepte de rentrer dans cette démarche. Ce sont des idées à creuser, mais cela vient forcément compléter ce travail d’inter-connaissances que vous avez démarré et sur lequel vous avez envie visiblement d’aller assez loin. Voilà les observations et les propositions que je voulais vous faire et encore une fois en vous remerciant de cette journée. Je sais que cela a été long à construire, on a changé x fois la date. Il y avait des imprévus, il y avait les élections mais les organisateurs ont été tenaces et on y est arrivé. Donc bravo et merci beaucoup car c’est pour moi beaucoup d’espérance.

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Direction du projet :

• Direction Générale des Affaires Culturelles de Bordeaux Chrystelle Audoit • Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux Jean-Luc Benguigui et Ramon Ortiz de Urbina • CAPC Musée d’art contemporain Marie-Sylvie Barrère • Centre Communal d’Action Sociale Laurent Chivallon • Sociologues intervenantes Émilie Viaud, Pauline Vessely • Synthèse et plan d’actions Armelle Gaulier (chercheure en science politique associée à l’université de Bordeaux)

Ont participé à l’équipe projet : • Direction des établissements culturels • Centre communal d’action sociale • Direction du développement social urbain (DDSU) / Conseil de développement social • Direction du développement, de l’action artistique et du patrimoine (DDAAP) • CAPC musée d’art contemporain • 2 représentants des centres d’animation (Bastide Queyries / Saint-Michel) • 1 représentant des maisons de quartier (Tauzin) • Musée d’Aquitaine • Opéra national de Bordeaux • Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (TnBA) • Conservatoire de Bordeaux • Chahuts • Association Oxygène • Association Cultures du cœur • Rock School Barbey • Garage moderne

Comité de rédaction : • Chrystelle Audoit / Directrice générale adjointe des affaires culturelles / mairie de Bordeaux • Jean-Luc Benguigui / Directeur général de l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux • Ramon Ortiz de Urbina / Responsable pédagogique de l’Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux • Marie-Sylvie Barrère / Responsable du département des publics au Centre d’arts plastiques contemporain • Laurent Chivallon / Directeur des nouvelles solidarités au Centre communal d’action sociale de Bordeaux

Réalisation du livret : • Association des centres d’animation de quartiers de Bordeaux novembre 2014


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