L'ALGERIE ET LA GUERRE (1914-1918) - 1918

Page 1


Qass

3 5 &Q I

?



Digitized by the Internet Archive in

2011 with funding from

The

Library of

Congress

http://www.archive.org/details/lalgrieetlagueOOml




JEAN MELIA

L'ALGÉRIE ET

LA GUERRE (1914-1918) QUATRIEME EDITION

PARIS LIBRAIRIE PLON PLON-NOURRIT et C IMPRIMEURS-ÉDITEURS ie

,

8,

RUE GARANCIÈRE I918 Tous droits réservés

6e



L'ALGERIE ET LA (1914-1918)

GUERRE


Ce volume a

été

déposé au ministère de l'intérieur en 1918.

DU MEME AUTEUR

:

|

La Vie amoureuse de Stendhal. Les Idées de Stendhal. (Mercure Stendhal

et ses

(Mercure de France.) de France.)

commentateurs. (Mercure

Le Triomphe de

de France.)

l'argent, roman. (Fasquelle.)

POUR PARAITRE PROCHAINEMENT La

Ville

Blanche (Alger et

Laghouat

ou a

la

son département). (Plon-Nourrit.)

Réunion de Maisons entourées de jardins

».

{La Ville Blanche devait paraître, par traité, chez PlonNourrit, le 15 octobre 19 14; la guerre remet cette publication à une date ultérieure.)

PARIS. TYR.

PLON-NOURRIT ET

C", 8,

RUE GARANC1EKE.

23023.


JEAN MÉLIA

L'ALGÉRIE ET

LA GUERRE I914-I918)

PARIS LIBRAIRIE PLON PLON-NOURRIT et C IMPRIMEURS-ÉDITEURS ie

,

S,

RUE GARANCIÈRE

I918 Tous droits réservés

6e


v|$i\-* 9

Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.


à A

MARCEL MÉLIA pour qu'un jour, en revivant

C'est

souvenirs

tes

d'enfant, tu te rappelles plus encore la profonde émotion

qui

fit

battre le

cœur de

siasme qui la

dans

ta terre natale et le

accourir,

fit

toutes ses forces,

V Allemagne déclara

la

aux

grand enthou-

dans toute sa jeunesse frontières

et

menacées quand

guerre à ta patrie, que je

te

dédie ce livre.

Tu

ne peux heureusement comprendre encore toute

l'horreur déchaînée

par

la barbarie la plus sanglante;

mais, petit Algérien, tu as vu ta chère Algérie transportée à l'annonce de la plus formidable

dans

yeux, reste à jamais gravé

tes

navires emportant la vivace tirailleurs

bronzés par V endurance

mâle aspect les

spahis

races

et

fleur

et

et les

les artilleurs

goumiers, tous

de toutes

décidé et leur

parmi

les religions,

amour pour

le

guerre,

de ton pays et

et,

spectacle des

les

:

les

zouaves au

lesquels ton père et

les soldats

de toutes les

déjà héros par leur air

la patrie.

Et tu as instinctivement pressenti qu'un grand drame se jouait

quelque part sur la terre

et

ton

cœur

s'est

ému


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE dans

spontanée

la reconnaissance

et vive

prochain bonheur de ton pays, tu allais ces soldats partis

Comme

pour

t'

que, tout le

devoir à tous

la frontière.

yeux grands

tu les regardais, de tes

tous ces tirailleurs

le

tous ces zouaves,

et

ouverts,

comme

et

ils

apparaissaient, durant leurs quelques jours de per-

mission, ainsi que des êtres à part! Tous, jusqu'aux

plus jeunes,

tes

aînés à peine d'hier, tu les considérais

avec la plus touchante

que tu

et la

pensive admiration, parce

devinais dans la monstrueuse fournaise de

les

liquides

et

enflammés

et

d'obus, dans la rigueur des saisons

tombe vivante de

grands capitaines dont

la tranchée

des mois, plus stoïques encore tes

ils étaient

depuis

plus beaux que

et

les

maîtres te célébraient l'héroïque

existence.

Ils ont combattu et

pour que

France

la

leurs pères avaient subie en

i8yi ;

ceux qui sont morts, tu as contracté qui soit au

en

soit victorieuse

afin que ta vie ne soit pas gâtée par l'humiliation que

effet,

de toutes

La c'est

monde

surtout envers

et,

la

plus haute dette

devant leur mémoire sacrée, tu

:

à jamais comptable de chacun de tes

es,

tes actes et

pensées.

France, qu'ils

te

en la faisant plus

remettront glorieuse

belle

encore par

le

et libérée,

cœur,

comme

plus puissante par

les

armes, que tu seras

digne de leur souvenir auguste.

belle

ils l'ont faite

dans

l'intelligence

aussi dans

attendrie

l'harmonie

guerre, dont tu n'as vu

mais dont

de

de la

toutes

par les

le

et

car

la

vie fraternelle,

aucune rouge lueur à

tu as senti le fier frisson

cœur,

choses,

l'horizon,

aux mâles poignées


MARCEL MÉLIA

A

main

de

des jeunes soldats, a donné

plus entière leçon

noble

et la

pour

la défense de

l'étaient

pour

la

la

même

:

ni

au monde

la plus

qu'égaux devant la mort

patrie, tous les

part de soleil

et

de ton pays

fils

de bonheur.

C'est en ta vaillante Algérie, petit Algérien, que cette loi

de fraternité doit principalement recevoir mainte-

nant son application. Le devoir qui nous incombe a

une double cause

amoureux de

parce que nous sommes Français

:

la beauté

sante de la mère patrie

morale toujours plus resplendiset

parce que nous sommes Afri-

cains qui avons la certitude que l'avenir de la France est

en notre énergique, vivante

et

inépuisable Afrique, où

d'hommes

et

Algériens, quelles que soient leur race

et

se trouvent les plus magnifiques richesses s' épanouissent

de biens qui

Tous

les

dans

l'univers.

leur religion, ont donc acquis leurs définitives lettres de

naturalisation

forme par

le

:

il

n'y a de véritable race que

cœur et notre cœur

Au-dessus de toutes patrie;

et,

celle

qui se

tout entier est à la France.

les religions, il

y a

sur ces bords méditerranéens,

la religion de la il

n'y a plus ni

Français vainqueurs ni indigènes vaincus

:

il

n'y a

que des frères vivant pour une France plus grande

et

plus prospère.

Et

si l'on

veut faire pénétrer en ton jeune cœur

souvenir des haines anciennes ou l'égoïsme exploitant sans pitié

le

plus faiple,

du plus

le

fort

si l'on veut te per-

suader qu'il ne faut rien changer du passé en Algérie, repousse, petit Algérien, funestes et ces

mon

cher

filleul, ces conseillers

mauvais prophètes.

L'Algérie musulmane, dans la presque unanimité de


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

iv

ses cœurs, s'est farouchement et merveilleusement dêvox

à la France. Il n'est pas jusqu'aux femmes indigent qui, et

dans

la ruisselante

douceur des blanches mosquées

des saintes zaouïas, n'aient invoqué Allah pour

triomphe de

la

France pourtant chrétienne,

que l'Algérie musulmane, dans son ensemble, a et patriote, parce,

que toutes

eu des enfants morts pour

familles indigènes ont

la

défense de la France, les

quelques douars qui ont encore,

mauvais

parce

les

ne soyons pas inexorables pour les

et

été fidèle

quelques tribus ou

comme on

dit,

ui£\

état d'esprit.

S'il est vrai qu'il

y

ait encore, en notre terre natale,

des âmes rebelles à l'appel de la France, nous savons bien qu'il n'y a là que

le

suprême sursaut d'un passé qui

s'en va parce qu'il n'a plus sa raison d'être, et que

l'amour qu'inspire notre patrie l'emportera irrésistible-

ment sur

cœurs ignorants

les

et

que l'ignorance

encore se replier sur eux-mêmes pour

Et en souvenir des

un temps

faifç

passager.

milliers et des milliers de soldats

musulmans qui sont si héroïquement tombés sur nos champs de bataille, enfant qui, demain, comprendras toute la tristesse de nos misères, tu pardonneras, comme nous pardonnons, à leur tendras la

A

ces indigènes, et

comme

quoi servirait à la France d'être triomphante, si

la victoire qui est aussi la gloire des soldats

qui ont combattu à nos côtés, n'était pas, en la

nous, tu

main.

grande

et

musulmans

même

temps,

généreuse rédemption de leurs coreligion-

naires qui ont failli ?

Mais

le

souvenir de ces défaillances va

bientôt dis-


1

MARCEL MELIA

A paraître dans

autour

d'elle,

le

sublime rayonnement qu'exerce ta patrie

comme

disparaissent

les taches

du

soleil

dans V éblouissement pur de sa majestueuse lumière. Et, dans notre Algérie, où

n'y aura,

il

que place pour la justice

et

pour

comme en France,

la devise républicaine,

tout sera beau, tout sera fécond, tout sera grand.

mon cher Marcel, ce livre est-il, même temps qu'un document historique, une louange

Aussi, petit Algérien,

en

justifiée,

à

la gloire

de tous nos frères de ce côté-ci de la

Méditerranée, quelles que soient leur race

gion

et

dont

les

dances complexes,

sangs divers les

et

commun, dans

le

creuset de la

l'incomparable terre est

cette

faisait battre d'émotion si le

leur reliten-

les

aspirations multiples et parfois

contradictoires se fondent admirablement, tin

et

tumultueux,

«

vive

mère

pour un des-

patrie,

et

grand cœur de Prévost-Paradol.

dont

et

chance suprême d'espoir sans

»

qui



L'ALGÉRIE ET LA

GUERRE

(1914-1918)

1

LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE

Le temps n'est plus où Bismarck pouvait dédaigneusement déclarer « Nous autres Allemands, nous n'avons pas besoin de colonies. » L'Allemagne a, en :

effet,

d'un côté, développé sa force industrielle autant

que sa force militaire et, pour son expansion économique, il lui faut des débouchés. D'un autre côté, métropole industrialisée et militarisée à l'excès, il lui est indispensable d'avoir une quantité infinie de matières premières, que ce soit des céréales pour son

du minerai pour ou du cuivre, du fer et de

manufactupour ses arme-

alimentation,

ses cités

rières,

l'acier

ments toujours croissants. Depuis qu'elle a pris rang parmi les premières et les plus actives nations du monde, à l'encontre de ce qu'affirmait Bismarck qui fut, pourtant, son plus grand homme, l'Allemagne a besoin de colonies. Cela devient une nécessité nationale de plus en plus impérieuse. Écrivains et

hommes politiques

allemands,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

2

;

soucieux de l'avenir de leur pays autant que d'une patrie dont l'ambition est d'exercer une hégémonie universelle,

le

comprennent

et

le

proclament pour

pousser leurs compatriotes, dans un irrésistible élan

de croisade, à la conquête de colonies. Le docteur Péters, en créant à Berlin, en 1884, la Société pour la colonisation allemande, a bien soin de poser comme principe fondamental :

«

L'Allemagne

doit

nationale énergique

plus vite et

le

cette

;

œuvre de colonisation œuvre doit s'accomplir le

faire

plus activement possible, de façon à

détourner vers des terres allemandes leurs

territoires

le flot

annuel

empêcher que les meilextraeuropéens ne tombent tous,

de l'émigration allemande

et

exclusivement, au pouvoir des nations étrangères.

»

L'élan est donné; et déjà tous les Allemands par-

tagent cette idée qu'en 1899 sert définira ainsi

monde,

il

magne qui

:

«

géographe Kurt Hasfait le partage du

le

Lorsqu'on a

une puissante

n'existait pas encore

aurait

pu

dire son mot,

eut une puissante Allemagne,

L'heure a donc sonné pour

le

monde

elle

Alle-

et lorsqu'il

était partagé.

y »

de réclamer sa part

et, pour cette indispensable revendication, elle ne devra épargner aucun effort. Notre avenir est sur la mer, s'écrie un jour Guil-

laume

II,

c'est-à-dire

par delà

avec des ports d'attache où les marine marchande déverseront

les

océans lointains,

flottes

géantes de la

le trop-plein

de

l'in-

dustrie nationale et d'où l'on exportera toutes les

manquent à la mère patrie. Ce rêve d'une Allemagne coloniale se développe

richesses qui

avec l'ambition la plus démesurée. Le Togo, le Cameroun, le Sud-Ouest africain, l'Afrique orientale, c'est-


LES VISÉES '

ALLEMANDES EN ALGÉRIE

3

une superficie totale de 2 700 000 kilomètres une population indigène totale de 11 millions et demi d'habitants, approximativement, et un mouvement d'affaires de 278 500 000 francs, ne suffisent pas à calmer l'impatience germanique. à-dire

carrés, environ, et

A

cette impatience s'ajoute la sourde colère qu'ins-

Le traité du 4 noFrance s'implante au Maroc, cause à l'Allemagne une profonde désillusion. L'attaché militaire de l'ambassade française à Berlin, le colonel Pelle, écrit, en effet, en 1912, au ministre de la guerre à Paris « Le ressentiment éprouvé dans toutes les parties du pays est le même. Tous les Allemands, jusqu'aux socialistes, nous en veulent de leur avoir pris leur part au Maroc. Il semblait, il y a un an ou deux, que les Allemands fussent partis à la conquête du monde. Ils s'estimaient assez forts pour que personne n'osât entamer la lutte contre eux. Des possibilités indéfinies s'ouvraient à l'industrie allemande, au commerce pirent les convoitises manquées.

vembre 1911, par lequel

la

:

allemand, à l'expansion allemande. a Naturellement, ces idées et ces ambitions n'ont pas disparu aujourd'hui. Les Allemands ont toujours besoin de débouchés, d'expansion économique et colo-

estiment qu'ils y ont droit parce qu'ils granque l'avenir leur appar-

niale. Ils

dissent tous les jours, parce tient. Ils

nous regardent, avec nos 40 millions d'hommes,

comme une

nation secondaire.

Et Joachim de Bulow Deutsch «

»

d'écrire

dans West-Marokkô

:

Il est

impossible que la France garde

le

Maroc

même pendant des dizaines d'années. Si sa population diminue comme elle l'a fait dans les derniers temps,


L'ALGERIE ET LA GUERRE

4

on peut calculer

moment où

elle

sera obligée de

s'adresser à ses voisins pour avoir des

hommes. Aupa-

ravant,

elle

le

s'estimera heureuse de céder ses colonies

à la nation la plus forte.

»

Aussi, la France doit-elle faire place à l'Allemagne.

Outre-Rhin,

le regret

devient de plus en plus vif de ne

pas s'être emparé en 1871 de l'Algérie, l'Algérie porte d'or ouverte sur le continent africain et nostalgique entrée du plus beau paradis colonial perdu.

Mais ce qu'une guerre n'a pas

fait,

une autre guerre

le fera.

19 14, le chancelier de Bethmannpour s'assurer la neutralité britannique, expose à l'ambassadeur d'Angleterre à Berlin, sir E. Goschen, que, sachant que la Grande-Bretagne ne

Le 29 Hollweg,

juillet

consentira jamais à se tenir à l'écart de façon à laisser écraser

la

donnera toutes les ne revendiquera aux frais de la France».

France, l'Allemagne

assurances qu'en cas de victoire,

elle

aucune acquisition territoriale Sir E. Goschen ajoute « J'ai posé à Son Excellence une question au sujet des colonies françaises il me répondit qu'il ne pouvait s'engager d'une manière semblable à cet égard. » Le comte von Bernstorff, ambassadeur d'Allemagne à Washington, est plus brutal, mais plus explicite. Il spécifie, en effet, au lendemain de la déclaration de guerre, que Guillaume II réclamera à notre pays, après l'inévitable victoire des armées allemandes, entre «

:

;

autres choses et en premier lieu «

Toutes

compris, bien entendu, nisie.

En

:

les colonies françaises le

sans exception, y

Maroc, l'Algérie et

la

Tu-

»

mi-juin 1917, la ligue pangermaniste tient une


LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE

5

grande réunion au cours de laquelle est adoptée la résolution suivante «

...

:

L'Allemagne devra, d'autre part, annexer

gérie et le Maroc...

l'Al-

»

Mais l'Allemagne n'a-t-elle pas déjà atteint une la partie de ses conquérantes visées, en appliquant à événements, les par poussé Bismarck, de parole adopter sur la

fin

même temps

en

de sa carrière, la politique coloniale qu'une tactique appropriée à cette

Le marchand d'abord, le soldat, après »? Le rapport de l'Office du gouvernement général de

dernière

:

«

l'Algérie, à Paris, publié

en

effet les

en

fin

décembre 1914, donne

renseignements suivants

La valeur des exportations de magne en 19 13 a été de 13 666 000

:

l'Algérie

en Alle-

francs, c'est-à-dire

qu'au cours de cette dernière année, elle représente atteignant précile double de ce qu'elle était en 1904, celui des hostiprécède sément, pendant l'exercice qui d'immaximum le commerciale, lités et de la rupture auparavant. eu portance qu'elle ait jamais Les principaux articles que l'Allemagne a reçus de l'Algérie en 19 13 ont été

:

Phosphates naturels 3 240 000 francs minerai de francs zinc 2 412 000 francs peaux brutes 2 296 000 fr. 1246000 brut liège francs crin végétal 1740000 ;

:

;

:

;

:

:

minerai de fer

:

1

;

:

;

126 000 francs.

Viennent ensuite, par ordre d'importance, mais en proportion beaucoup plus réduite, les huiles volatiles

ou essences végétales 238 000 francs les vins ordinaires et de liqueur 5 368 hectolitres et 165 000 francs ; liège ouvré, les fruits de table, les laines et déchets, le ;

:

:

les espèces médicinales, la cire

et tartres bruts, les

animale, les

pommes de

terre, les

de vin tabacs en

lies


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

6

feuilles

es 1

et

fabriqués, le

boyaux

frais, secs

lin,

ou

les

minerais de cuivre sons ou fourrage'

salés, les

b

alfa, etc.

'

Comme on peut s'en rendre compte, la nature des produits que l'Allemagne achète à l'Algérie est des plus variées. A ces rubriques, il convient d'ajouter orge en grain que l'empire allemand importe pour

alimentation de ses brasseries et dont il avait reçu d Algérie, en 1912, 85192 quintaux évalués à 1

917 000 francs.

1

De 1902 à 1913, les importations de l'Allemagne en Algérie s'établissent ainsi qu'il suit

1902 1 415 000 francs; 1913 Ces chiffres témoignent de :

:

l'effort

conquérir

le

marché

:

7470000

francs

allemand pour

algérien.

Les principaux produits qui font ventes ont été en 19 13

l'objet

de ces

:

Houille crue carbonisée et agglomérée 1 741 000 produits chimiques 1062000 francs; :

fr

machines et mécaniques 908 000 francs; ouvrages en caoutchouc et gutta-percha 606000 francs; pommes de terre légumes secs et leurs farines 416 000 francs; objets et ouvrages en métaux 398 000 francs; tabacs en feuilles et fabriqués 380 000 francs; poteries, verres et cristaux 364 000 francs. :

:

:

:

:

:

:

«

Le marchand d'abord,

le

soldat après.

»

En

atten-

dant que le sort des armes appelle le soldat il y a dans tout marchand un espion et cela est indispensable pour la réussite des visées allemandes en Algérie Un rapport officiel et secret sur le renforcement de 1 armée allemande, daté de Berlin le 19 mars 1913 et dont le gouvernement français reçut communication d une source sûre, nous renseigne à ce sujet C'est


LES VISÉES

ALLEMANDES EN ALGÉRIE

7

but et l'un des devoirs de la politique nationale » allemande. Son système d'espionnage s'étend donc, comme un filet, sur toute l'Algérie, pour la connaître en tous ses détails et pour l'utiliser contre la France «

le

elle-même.

n'y aurait pas à s'inquiéter du sort de nos colonies, dit le rapport officiel et secret du 19 mars 19 13. Le résultat final, en Europe, le réglera pour elles. Par contre, il faudra susciter des troubles dans le «

Il

nord de l'Afrique

et

en Russie. C'est un

sorber des forces de l'adversaire. Il est

moyen

d'ab-

donc absolu-

nécessaire que nous nous mettions en relations, par des organes bien choisis, avec des gens influents

ment

en Egypte, à Tunis, à Alger et au Maroc, pour préparer les mesures nécessaires en cas de guerre européenne. « Bien entendu, en cas de guerre, on reconnaîtrait ouvertement ces alliés secrets et on leur assurerait, à la conclusion de la paix, la conservation des avan-

On peut réaliser ces desiderata. Un premier essai qui a été fait il y a quelques années nous avait procuré le contact voulu. Malheureusement,

tages conquis.

on n'a pas consolidé les relations obtenues. Bon gré, mal gré, il faudra en venir à des préparatifs de ce genre, pour mener rapidement à sa fin une campagne. de guerre « Les soulèvements provoqués en temps soigneuseêtre à par des agents politiques demandent ment préparés par des moyens matériels. Ils doivent éclater simultanément avec la destruction des moyens de communication, ils doivent avoir une tête dirigeante que l'on peut trouver dans des chefs influents, religieux ou politiques. » La main des agents de l'Allemagne se trouve par-


8

L'ALGERIE ET LA GUERRE

tout, avec

une audace extraordinaire

et l'assurance

cynique qu'inspire à tout sujet du Kaiser la croyance qu'il a de la supériorité et de l'invincibilité de son pays. Le chef de l'espionnage allemand en Algérie est un nommé Richard Heckmann, agent maritime de la

Norddeutscher Lloyd en notre colonie. Ses bureaux sont boulevard de la République, à Alger, en face du square. Il a une ressemblance assez marquée avec Guillaume II pour que d'aucuns se plaisent à assurer qu'il est un de ses parents naturels. Avec une fleur à la boutonnière, toujours assortie à la nuance de sa cravate, son excessive affabilité, son genre actif et éblouissant de brasser les affaires, il a réussi à s'immiscer dans un certain nombre de milieux. On se méfie de lui, mais on le tolère, et plusieurs traitent des affaires avec lui. Pourtant, il est inscrit au carnet B des suspects du département d'Alger, depuis le 5 novembre 1893. Ses fréquents voyages à l'étranger, notamment en Allemagne, la protection dont le couvre le consul d'Allemagne à Alger qui a facilité ses débuts, l'autorité mystérieuse dont il est de plus en plus investi au point que son protecteur allemand ne fait bientôt plus que suivre son inspiration, ses relations avec les Allemands de passage en notre colonie et, au Maroc, avec les frères Mannesmann, ses conciliabules avec les capitaines des paquebots allemands, ses dépenses excessives peu en rapport, dans les premières années surtout de son séjour à Alger, avec ses ressources, la composition en majeure partie allemande ou suisse allemande de ses bureaux dont les chefs de service sont le Suisse allemand Spilmann et l'Allemand Kozlovoski, tout le fait considérer

comme un

individu très dangereux.


LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE

g

quelques Il subit à Alger, il y a plusieurs années, jours de prison, sous l'inculpation d'espionnage, mais bien qu'il soit l'objet d'une surveillance constante, et tant, dit-on, son habileté est grande,

aucun

fait carac-

ne peut être établi contre Pourtant, ne sait-on pas que, pour éviter la poste française, il remet certaines de ses lettres directement aux capitaines des bateaux allemands mouillés dans lui.

térisé

le

port d'Alger, au

moment où

ils

s'apprêtent à partir?

L'on n'ignore pas que Richard Heckmann a un piëd-à-terre rue Monge, n° 3. Il a loué à cette adresse chez une Mme R..., une chambre meublée à 60 francs par mois, mais à la condition expresse que personne ne se trouve dans le couloir de l'appartement au moment où il y est lui-même. Il reçoit assez souvent à cette adresse delà correspondance au nom de R. Grenneville, et, lors de ses fréquents déplacements, prie

Mme

R... de la lui faire suivre à Cologne. Quelques jours avant la guerre, une maison de commission, à désinence française, et opérant dans la

capitale de l'empire turc, lui écrit pour lui

demander

de se charger de faire transporter à Constantinople 250000 fusils Mauser qui se trouvent dans un port mais Richard Heckmann a déjà quitté italien, l'Algérie, laissant un fort passif. Il a filé à Londres où,

sous un

nom

pion et où Enfin,

il

les

numéro du

d'emprunt,

continue son métier d'es-

il

ne tarde pas à être arrêté. Nouvelles, d'Alger, publient dans leur

5 octobre

1917

:

La prison militaire de notre ville donne en ce moment l'hospitalité gratuite à un espion de marque, M. Richard Heckmann, qui, à la demande des «

autorités militaires, a été extradé d'Angleterre où


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

io

il

s'était «

réfugié

avant

la

déclaration

Le Boche Heckmann sera déféré à

taire sous la

de

guerre.

la justice mili-

double inculpation d'espionnage et de

livraison d'armes et de munitions de guerre à des tribus dissidentes marocaines. »

D'autres espions résident également dans toutes nos ils sont surtout hôteliers. La plupart des grands hôtels deviennent d'actifs centres d'espionnage. L'hôtel Excelsior, boulevard Laprincipales villes de la colonie

;

ferrière,

à Alger, n'est-il pas clandestinement muni d'un appareil de télégraphie sans fil? Les Allemands installent en Algérie des usines comme l'usine de K... dont le directeur est un nommé von Vaenkel, officier dans l'armée de Guillaume II, usine dans laquelle on trouve

pour

la confection de la

du

sable fin employé

dynamite, des cloisons

iso-

lantes contre matières explosives, etc., et qui est située sur la côte algérienne, entre Mostaganem et Ténès, où, dans la suite et pendant la guerre, plu-

sieurs navires sont torpillés.

Que

il

les touristes qui, villes et

parmi ceux qui viennent visiter y a 60 pour 100 d'Allemands parmi chaque année, parcourent nos grandes

d'espions

l'Algérie, car

nos lointaines oasis

geurs allemands

même

On rencontre des voyasur les routes où ne passent !

que des nomades et qui mènent dans le désert à des points que jamais ne fréquentent les Européens. Mais les les

voyageurs allemands sont là sous les prétextes Comme une mission commerciale ne

plus divers.

se justifierait pas,

ils s'improvisent savants orientaparce qu'ils sont ou géographes ou ethnographes, ils cherchent à se mettre en relations avec tous les groupements musulmans, si intimes soient-ils.

listes et


LES VISÉES Ils

de

ALLEMANDES EN ALGÉRIE

n

demandent le nombre des habitants, le nombre dont on dispose, ils interrogent sur l'état

fusils

d'esprit des indigènes et font miroiter à tous ceux-ci

que;

si

l'Algérie était

allemande,

ils

ne paieraient

plus d'impôts et auraient toutes les terres pour leurs

troupeaux. soi-disant savant baron von Oppenheim, accrépar toutes les académies impériales d'Allemagne et par l'empereur lui-même, finit presque par se croire déjà maître en Algérie., de même que le profes-

Le

dité

seur Léo Frobenius.

En juin 19 14, les archéologues allemandes, Léo Frobenius, Martins, Corman, Cari Aniens, Fischer, Derenburg, von Stetten et Bauskhe sont encore en département de Constantine et, le 3 juin, la Dépêche de Constantine

Algérie. Ils viennent de parcourir le

publie l'entrefilet qui suit

:

On

nous signale des invasions d'archéologues allemands. Ils opèrent, en ce moment, des fouilles considérables à Siba et dans les environs d'El-Guerrah. Ils ont déjà recueilli, paraît-il, quantité de matériaux du plus haut intérêt scientifique qu'ils ont expédiés aux musées de leur pays. Comme il est interdit aux simples particuliers de disposer des richesses archéologiques qu'ils découvrent, on nous demande pour«

quoi les savants d'outre-Rhin font exception à la règle

commune

et

peuvent en toute

notre région au profit de Berlin.

Le

liberté exploiter

»

préfet de Constantine veut faire saisir ces maté-

riaux, mais, le 16 juin,

du serment, que

Léo Frobenius

déclare, sous la

contenant les richesses archéologiques sont déjà expédiés en Allemagne. On s'incline devant le serment de ce chef de mis-

foi

les colis


L'ALGERIE ET LA GUERRE

12

sion officiellement accrédité par le

mand, on ne perquisitionne pas Régence, à Alger; où priétaire-gérant est

il

est

un de

colis suspectés étaient

gouvernement

ainsi

descendu

alle-

à l'hôtel de la et

dont

le pro-

ses compatriotes. Or, les

encore à cet hôtel et y restèils furent embarqués sur

rent jusqu'au 22 juin, jour où le

bateau allemand York.

Le 17 juin 19 14, Léo Frobenius a même l'audace au gouverneur général de l'Algérie vous serais infiniment reconnaissant, monsieur Je le Gouverneur général, si vous vouliez bien faire aviser M. l'Administrateur à Tiaret, et donner, si possible, des ordres pour qu'un agent puisse m' accompagner afin d'ôter des difficultés possibles et d'empêcher des malentendus. » Ces Frobenius, Martins, Corman, Cari Aniens, Fischer, Derenburg, von Stetten, Bauskhe prétendent aussi faire des voyages d'études scientifiques dans le d'écrire

:

«

Sud

algérien.

En

d'autres choses,

réalité,

s'occupent bien plus

ils

— surtout de

la légion étrangère.

Le

17 avril 19 14 ne se sont-ils pas entretenus à Sfissifa avec un caporal et un soldat boulanger de ce régiment et

ne leur

ont-ils

pas

fait faire

un copieux repas au

cours duquel les langues se délièrent?

Le 17 avril, Frobenius et ses acolytes sont surpris avec des légionnaires. Le 29 avril, M. Zimmermann, sous-secrétaire d'État aux affaires étrangères, entretient

la

commission du budget du Reichstag des

enrôlements qui se font dans la légion étrangère, le

30

avril,

et,

à Berlin, une des ligues fondées en Alle-

contre cette même légion donne une réunion au cours de laquelle on représente une scène où est fusillé un déserteur portant l'uniforme de ce régiment.

magne


LES VISÉES

ALLEMANDES EN ALGÉRIE

13

moyens d'espionnage sont bons. A la à Blida, en janvier 1908, Mers-el-Kébir, zaouïa de ferveur sur le tombeau du avec priant pas, n'y a-t-il Tous

les

musulman, un individu, vêtu d'un burnous, qui, quelques jours après, était arrêté, puis remis en liberté et ce pieux persondes ordres venus d'Alger,

saint

sur

nage n'était qu'un Allemand, soi-disant converti à l'islamisme?

Et à

maison mère des Pères Blancs d'Afrique,

la

comme à Maison-Carrée, près d'Alger, n'y a-t-il pas,. qui, Allemands membres de cet ordre, trente-trois encore circulent guerre, durant les premiers mois de la français librement, sous prétexte que leur supérieur leur garant, et n'est-ce pas parce que le fin à scandale est trop grand que l'on se décide à la

s'est

fait

au Fort l'Empereur? Parce que les espions allemands jouissent d'une on veut à tout prix tolérance excessive parmi nous, le gouvernement avec diplomatiques éviter des conflits être déjà semble Africain Nordnotre du Kaiser, inorale., conquête de et d'élection terre devenu leur

les interner

ne prennent même plus les plus élémentaires préla puiscautions. Tout ne doit-il pas trembler devant ils

sance allemande? plus Cette puissance s'affirme, d'ailleurs, jusqu'à la un de 1910, commencement Au provocation. insolente le navire de guerre allemand n'entre-t-il pas dans les port d'Alger comme en port conquis, sans faire

cette salutations d'usage, et l'émotion est telle en où déjà l'on a vu avec stupéfaction des ville^ déserteurs de la légion étrangère être embarqués

_

allemands par des émissaires alleque le gouverneur général, M. Jonnart, en

sur des navires

mands,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

14

M.

réfère

Aristide Briand, président du Conseil. à l'orientaliste Becker, professeur à l'Université Bonn et directeur de l'Institut colonial de

Et de

Ham-

bourg, d'exposer en 19 14 même « La crainte des Allemands atteignait chez les Français un degré souvent risible. Il y a quelques années, :

la presse française s'est

préoccupée du fait que des à Tunis ou à Alger avec de grosses lettres de crédit. Comme on ne prenait pas garde à la richesse croissante de l'Allemagne, on voyait dans ces touristes des agents de la politique islamique alle-

AUemands venaient

mande. « Mais

les sympathies pour l'Allemagne et pour l'empereur allemand n'avaient pas besoin d'être excitées chez les musulmans de l'Afrique du Nord. Beaucoup d'Allemands ont remarqué qu'en Algérie et en ^

Egypte leur qualité d'AUemand leur valait d'être particulièrement bien accueillis par les indigènes. Dans les colonies françaises et anglaises, on trouvait la

demeure de beaucoup de musulmans

l'empereur.

dans de

le portrait

»

Dans bien

cette illusion mensongère, l'Allemagne compte que, selon le rapport officiel et secret

du

19 mars 1913, le but et le devoir de la politique germanique étant de susciter des troubles dans l'Afrique

du Nord,

ces troubles se produiront.

Déjà au cours de la guerre de 1870-1871, elle avait tenté de le faire. M. Warnier, préfet d'Alger après la révolution du 4 Septembre, déposant devant la Commission d'enquête sur les actes du gouvernement de Défense nationale, déclare, en effet, ce qui suit « Voici des faits bien autrement graves dont la

la

:

Commission d'enquête doit tenir grand compte.


1

LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE

15

« Tunis et Tanger étaient deux foyers de propagande allemande contre la sécurité de l'Algérie. Le consul général de Tanger nous a informé que deux Prussiens partis de Tunis avaient traversé toute l'Algérie pour arriver au Maroc, semant l'argent sur leur route, recrutant des chefs pour l'insurrection, et qu'ils venaient d'arriver à Tanger il ne comprenait pas que ces deux fauteurs de révolte ne nous eussent pas été ;

livrés.

Tous

de tous

les points, on

nous signapu en capturer un seul, pas plus qu'à Paris, d'ailleurs, où ils étaient nombreux. «

lait

«

les jours, et

des émissaires prussiens. Jamais on n'a

Mahon

était le point d'observation

mouvements,

et,

de tous nos

des Baléares, on expédiait sur les

côtes de l'Algérie, en contrebande, des armes et des

munitions. «

A

armes

Tunis et

et

à Tanger, on vendait ouvertement des

des munitions pour l'insurrection, et les

convois qui les apportaient aux futurs insurgés de 187 nous étaient dénoncés, mais n'ont jamais pu être saisis« La fièvre jaune régnait sur les côtes d'Espagne de Gibraltar à Barcelone, et nous étions sans lazarets, en Algérie, il a fallu en improviser en toute hâte. « A la même époque, le gouvernement nous avisait que des flibustiers allemands avaient acheté des bâtiments en Amérique et les avaient armés de pièces à

longue portée, à destination de la Méditerranée, pour venir incendier nos établissements de la côte algérienne et provoquer la révolte des indigènes.

Nous

n'avions pas un seul canon sur toute la côte, en dehors

de nos places fortes et pour défendre nos villes pas une seule pièce n'eût pu envoyer un boulet à 5 kilo;


L'ALGERIE ET LA GUERRE

j6

Avec une

mètres.

telle artillerie,

comment lutter contre

des canons portant à 6 ou 7 kilomètres? Le gouver-

nement, en

même temps

qu'il

nous donnait cet

avis,

expédiait trois frégates cuirassées dans le détroit de

Gibraltar pour arrêter ces flibustiers, les combattre, si elles les

ville

rencontraient, et envoyait, pour défendre la

d'Alger contre toute attaque, deux autres frégates

cuirassées. «

Ces précautions nous ont probablement préservé

d'un danger sérieux. «

La population ne

que nous recevions

;

savait rien des avertissements

elle

ignorait toutes nos préoccu-

On nous accusait souvent de ne rien faire. Nous laissions dire, sans confier à qui que ce soit le secret de nos travaux de jour et de nuit. On sait ce que les nouvelles de ce genre, exploitées par les passions politiques, peuvent amener de troubles pations et nos occupations.

dans toutes

les.

intelligences.

De nouveau au

»

cours de la guerre 19 14-19 18 pour

parvenir enfin à susciter des troubles en Algérie contre la France, l'Allemagne n'épargne

Elle agit encore à la veille

Le 28

juillet 1914,

croit être

mand

aucun

même

effort.

de la guerre.

M. Othon de Bulow,

— que l'on

en réalité l'ex-chancelier de l'empire encore en voyage en Algérie.

est

alle-

Il

naturellement descendu à l'hôtel Excelsior dont propriétaire est

Allemand

muni d'un poste de l'avons déjà

dit.

et qui est

est le

clandestinement

fil, ainsi que nous Richard Heckmann a déjà avec le fondé de pouvoirs de sa

télégraphie sans

Comme

quitté l'Algérie, c'est

maison que cet Othon de Bulow a de fréquents rendez-vous jusqu'à l'heure, où, dans la matinée du 28.. il s'embarque sur le Gœben.


LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE

i

7

L'Allemagne agit aussi dès l'ouverture des hostilités. Des émissaires allemands sont signalés aux autorités supérieures,

comme

circulant, déguisés en Arabes, à

travers les douars où

ils tenteraient de fomenter une Leur principal centre d'où part toute action contre notre Afrique du Nord est le Maroc espagnol.

agitation.

Là,

ils

ont toute liberté d'allure et toute liberté d'ini-

avec ou de certains

tiative. Ils agissent à leur guise et, souvent,

la bienveillance étrange

ou

la complicité

chefs espagnols.

Comme ment chez 19 15

ils

naguère en Algérie, ils se croient telleeux, en ce Maroc espagnol, qu'en mars

poussent l'outrecuidance, à Mélilla, où

~sont établis presque à

demeure, jusqu'à

faire

ils

des autorités locales une démarche afin de savoir les déserteurs

y

y

se

auprès si

seraient bien accueillis et pourraient

être enrôlés.

Berlin édite les brochures les plus propres à frapper les esprits

Tunisie

et

:

Mensonges

français, Barbarie française en

en Algérie, Intrigues françaises contre

l'Is-

lam,; etc.

Un

certain El

Hadj Abdallah qui

tenant, fait paraître une brochure

mée

dans laquelle il prétend que « les cravachent impitoyablement et lancent des

française,

officiers

épithètes grossières à l'égard des les

s'intitule lieu-

l'Islam dans l'ar-

:

soldats indigènes sont

jamais à l'honneur

Un

»,

etc.

autre qui se dit être

«

musulmans

»,

que

toujours à la peine et

*

«

Mehmet

l'Algérien, officier

de l'armée française, passé en Turquie pour combattre les oppresseurs de l'Islam », assure que les Français sont ignorants, obtus, menteurs, infidèles, ivrognes, libidineux, mais

que l'Allemand, travailleur émérite,


L'ALGERIE ET LA GUERRE

i8

l'homme « le plus instruit, le plus méditatif et le mieux éduqué de l'Europe., qu'il a le culte de la jusest

dans la peau,

tice

si

l'on peut s'exprimer ainsi, qu'il

est honnête, sincère, vénérant, etc.

Guillaume

est

«

la civilisation industrielle

et

Mehmet

»,

que l'empereur

et

un grand honnête homme qui défend au milieu de son peuple

raconte ces choses dans une

imprimée à quatre pages,

intitulée

le

»,

feuille,

Devoir, et qu'il

tâche d'adresser de Se ville, sous enveloppe affranchie

à vingt-cinq corréos. Comme, malgré tout, ces brochures ne peuvent avoir accès dans nos douars, ce sont mille bruits que l'on tâche de faire circuler parmi

musulmans. Les une coiffure différente de celle des soldats français les Allemands ne tirant pas sur eux, la France a donné ordre d'enlever aux tirailleurs leur coiffure spéciale, ce qui fait que, malgré eux, les Allemands tuent autant de musulmans que de Français. On fait encore courir le bruit que Guillaume II a prononcé la profession de foi mahométane et que c'est pour cette raison que le sultan de Constantinople a pris les armes contre les Alliés, afin d'être aux côtés d'un empereur qui s'est déclaré le champion des musulmans. les

tirailleurs algériens, raconte-t-on, avaient ;

On

fait aussi circuler

L'une conseille à faire

attention

à

des chansons en arabe.

celui qui se

rend en France de

Hadj Guillaume qui possède des

canons puissants, des obus empoisonnés et des appareils qui volent dans le ciel autant que des étoiles. Une autre établit qu'El Hadj Guillaume est fort

comme une contre sept

panthère,

qu'il

lutte

nations et que, par

d'autres grandes villes seront rasés.

lui,

victorieusement Paris et bien


LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE

Une

19

autre encore déclare qu'El Hadj Guillaume

est le vainqueur,

zeppelins,

qu'il

frappe dans

le ciel

avec ses

sous l'eau avec ses sous-marins, et sur

terre avec ses 420.

On

chante aussi que

le

Français est insensé dans

sa croyance que Stamboul lui appartiendra, qu'il se ruine dans cette lutte et que, contre ces lions puissants

mands

et se

que sont

les

dresseront bientôt

se dressent

lui,

Turcs

les Alle-

et

tous les Arabes de

tous les Saharas. Puis, voici

une longue pièce de vers arabes, auto-

graphiée sur papier pelure, ayant pour titre brillantes à la louange des

hommes de

la

:

«

Paroles

Chaouia

»,

ayant pour refrain « Gens de la Chaouia, élancezvous avec entrain et allégresse à la guerre sainte contre la France traîtresse et sanguinaire. » On s'adresse également aux soldats de la légion étrangère, d'origine allemande, et on établit, dans l'espérance de la leur faire parvenir, la lettre suivante nous envoie, nous, « Camarades, notre empereur ses officiers, vous dire que le passé sera pardonné et oublié pour tous ceux qui, en cette heure décisive, tireront l'épée pour la gloire et l'honneur de l'Allemagne. Nos frères d'Allemagne ont payé leur dette. La Russie gît, brisée à terre. La France sent la main de l'Allemagne sur son cou; avec le concours des troupes revenant de Russie, son anéantissement n'est plus qu'une question de peu de mois. Le moment est venu, maintenant, de porter en Algérie et en Tunisie le coup mortel aux Français. « Camarades, ré jouissez- vous que notre empereur vous ait assigné ce devoir, à vous, soldats de la légion étrangère, et que vous puissiez gagner, en combattant, et

:

:


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

2o

et prompt retour dans votre patrie. Vous souvent risqué votre vie pour un rien vous n'hésiterez pas maintenant que c'est votre empereur

honneur avez

si

:

qui vous appelle. «

Au

cas où vous ne pourriez vous rendre maîtres

de votre garnison par un coup de main, enfuyez-vous immédiatement, autant que possible avec vos fusils, chez les Arabes vivant en dehors des villes, lesquels sont tous nos amis et dont la lettre arabe ci-jointe

j

vous assure le secours et l'accueil hospitalier. Vous apprendrez d'eux où nous séjournons et où se rassemblent les combattants de la Turquie, notre alliée, et de Sidi Ahmed El Senoussi. « Aux légionnaires non Allemands qui se joindront à vous, nous garantissons une riche récompense. L'avenir nous appartient. Sur vous, camarades, plane le bonheur; ayez le courage de le saisir. Que votre A bas les Français, les ennemis mot d'ordre soit :

mortels de notre chère patrie allemande » On essaie aussi de distribuer des médailles !

commé-

moratives, venant d'Espagne, de la dimension d'une pièce de cinquante centimes, portant à l'avers cette « Dieu protège nos devise, gravée en allemand armes, » et, au revers, ces mots inscrits dans la même langue « Bombardement de Philippeville et de Bône

i

;

:

j

!

:

j

4 août 1914. » On tente de jeter le trouble parmi la population algérienne tout entière, et, sur les murs de la ville d'Alger, principalement du côté de la place du Gou-

par

les croiseurs

vernement

et

Gœben

et Breslau, le

du quartier Bab-el-Oued, où domine

l'élément étranger, on colle des bandelettes de papier, portant ces mots « Vive Guillaume à bas Poincaré !

:

Vive l'Allemagne, à bas la France

!

»

!

j


LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE

21

Quels sont donc les malfaiteurs qui, en pleine guerre, ne craignent pas de se livrer, en pleine terre française, à cette propagande en faveur de nos ennemis? Se trouvent-ils dans la tourbe des bas-fonds qui existent

dans toutes

les villes

cosmopolites, ou bien parmi ces

contrebandiers qui opèrent de tout temps sur la côte ouest de l'Algérie ?

Ces émissaires allemands ou payés par l'Allemagne, dont on craint à chaque instant l'action un peu partout, semblent insaisissables, et très dangereuse est cette propagande qui veut s'exercer à bon escient pour parvenir à soulever l'Algérie contre la France et à

de soldats en notre coloavec des éléments louches ou

faire retenir le plus possible

aux

nie,

ainsi,

prises,

avec l'Islam à nouveau soulevé. Mais, après tout, cette propagande est-elle dangereuse? L'Allemagne réalise-t-elle ce but et ce devoir

de sa politique nationale qui, aux termes de son rapofficiel et secret du 19 mars 19 13, est de susciter

port

des troubles dans l'Afrique du Nord? Trouve-t-elle « un moyen Comment va

ainsi

d'absorber les forces de l'adversaire»? se

comporter, durant

la guerre

de

19 14-19 18, cette population algérienne dont la minorité est composée d'éléments français et dont la très grande partie est faite du trop-plein, parfois aventurier ou parfois aventureux, de tous ies pays du monde? Est-il vrai, comme le prétend l'orientaliste Becker,

que

les

sympathies pour l'Allemagne et pour l'empemême pas besoin d'être excitées

reur allemand n'aient

chez

les

musulmans de

Comment va

se

l'Afrique

du Nord?

comporter aussi notre Islam nord-

africain, cette Algérie., la plus belle colonie

dont l'Allemagne regrette

tant

de

ne

du monde pas

s'être


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

22

emparée en 1870-1871

et qui est

un des principaux

enjeux, sinon le principal, de la guerre de 19 14-19 18?

L'Algérie

musulmane

va-t-elie être fidèle?

Cette guerre de 1914-1918

est,

y va de

en

effet, la

pierre de touche,

il

France en Afrique,

et le tragique conflit

l'avenir

grande

même

de la dans lequel se

joue toute la destinée de notre pays va décider à jamais si les indigènes algériens reconnaissent vraiment et uniquement la France pour leur patrie et s'ils

méritent d'être enfin considérés et traités

des Français.

comme


îï

LA NOUVELLE DE LA GUERRE A ALGER

Nous nous souvenons encore. Il flottait en ce commencement d'août 19 14 une très grande douceur de vivre. Dans la tiédeur qui l'enveloppait, Alger s'étirait paresseusement au bord des

flots

bleus de la Médi-

Du

boulevard de la République, l'incomparable spectacle s'étalait dans la magnificence chanterranée.

Les voiles des barques blanches qui se reposaient sur la mer azurée, et les arbres qui couronnent les collines encerclant la baie d'une étreinte amoureuse semblaient un long déroulement d'éclatantes émeraudes. Toute la ville, la veille encore, avait un air de fête. Juillet avait toute la beauté de la terre mûrissante par geante de toutes étaient

comme

les heures.

de grandes

ailes

ses blés et ses vignes et les arbustes en fleurs

maient

la

campagne

embau-

algérienne. Notre raison d'être

de nous abandonner entièrement au ravissement de la nature. Nous ne pouvions avoir d'âme et de pensée que pour l'enchantement de cette Méditerranée éprise de sa propre langueur et dé ce ciel qui finissait lui-même par partager cette extase qu'il imprégnait dans tous les cœurs. S'il nous arrivait parfois de nous arracher de la était alors


L'ALGERIE ET LA GUERRE

24

splendeur environnante, c'était pour songer aux bruits sinistres qui

nous venaient de la terre d'Europe. Nous

savions bien qu'un cliquetis d'armes retentissait déjà,

dans le mystère effrayant des massacres prémédités, par delà cette mer amusée et si tranquille nous n'ignorions rien de l'insolence autrichienne à l'égard de la ;

Serbie et des agissements de l'Allemagne, mais nous

ne voulions pas croire à l'inévitable. toutes les âmes, toutes les choses étaient

Ici,

si

premier jour d'août, par les moissons commencées et les prochaines récoltes, créait encore

fraternelles, et ce

tant de vie, toute une vie nouvelle

!

Il était

impossible

que la terre épanouie dût s'offrir pour l'hécatombe et pour la mort. La beauté de la nature amollissait nos âmes de nouveau, nous nous laissions reprendre par ;

de cette miraculeuse baie d'Alger, nous emportait bien loin, dans le parfum des dans le sourire des grappes d'or, dans la nostal-

l'ensorcellement et le rêve roses,

gique attirance des lointains Saharas. Mais, de plus en plus, quelle contradiction entre la sérénité continue de la mer,

du

ciel et

et le désarroi sans cesse grandissant

des campagnes

de nos âmes

!

Le télégraphe nous transmet, en effet, des extraits de journaux parisiens. M. Stéphen Pichon, devenu, depuis, ministre des Affaires étrangères dans le cabinet

Clemenceau, «

Le

écrit,

dans

sort en est jeté.

guerre.

Toutes

les

le

Petit

Journal

Nous sommes

:

à la veille de la

puissances sont sous les armes.

L'Autriche a mobilisé, la Russie, répondant à cette initiative,

a mobilisé à son tour

;

l'Allemagne mobilise

France ne peut pas ne pas mobiliser. Jusqu'à la dernière minute, nous avons voulu espérer contre l'es-

et la

pérance.

»


LA

NOUVELLE DE LA GUERRE

A

ALGER

25

semble qu'en une seconde nous ressurgissions âmes dans la croyance que tous les hommes étaient frères vraiment, c'est le douloureux échec de toutes nos illusions, la défaite de tous nos rêves d'amour s'étendant sur toute la terre, et, dans la plus sainte ferveur de la patrie, dans l'élan de notre âme ramassée et ne vivant plus désormais que pour la pensée qui agite la France, nous sommes pris tout entiers par l'idée de la Il

hors de la léthargie qui avait engourdi nos

;

guerre.

Nous ne parlons plus que

d'elle,

et la Méditer-

ranée et toute la nature africaine ont beau être les splendides courtisanes qui se

moquent de tout

ce qui

peut bouleverser l'âme des hommes, pour continuer à exercer leurs captivants sortilèges, ni la nature africaine ni la Méditerranée n'ont plus d'empire sur nous. Nous leur en voulons maintenant de demeurer si

le

indifférentes à tout ce qui nous

émeut

et

de dresser

superbe désintéressement de leurs cœurs, en face

de l'anxiété des nôtres. Sans doute, il faut que cela soit. La mer, le ciel, la. terre ont leurs profonds déroulements et nous passerons dans nos angoisses, dans nos indignations et

dans tous nos

sacrifices, tandis

que

tinuera à incendier la radieuse

mais aujourd'hui,

il

s'agit

le soleil

d'or con-

baie d'Alger.

Oui,

du destin même de la France,

et tous les destins s'agitent, entraînant,

dans leur tra-

gique solidarité, celui de la patrie.

Et

voici

que

la

proclamation adressée par

le prési-

dent de la République à la nation française nous parvient dans son héroïque sérénité, prête à braver tous les effets

:

«La France

qui a toujours affirmé sa volonté paci-


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

26

qui

fique,

a,

dans des jours tragiques,

donné à

l'Europe des conseils de modération et un vivant

exemple de sagesse, qui a multiplié ses efforts pour s'est elle-même préparée

maintenir la paix du monde,

à toutes les éventualités et a les

pris,

dès maintenant,

premières dispositions indispensables à la sauve-

garde de son

de partis,

il

et résolue.

territoire...

tout entière unie dans dignité.

Et

A

cette heure,

il

n'y a plus

y a la France éternelle, la France pacifique Il y a la patrie du droit et de la justice, le

calme, la vigilance et la

»

c'est l'annonce. de la mobilisation qui

presque en

même temps que

de Jaurès. Alors que

la nouvelle

nous arrive

de l'assassinat

pays fait appel à toutes ses en supprime une des plus généreuses et des plus grandioses. La mort de Jaurès jette un voile sur la ville ensoleillée. Ici où l'on aime, comme on dit, ceux qui parlent bien, Jaurès, aux idées de justice et de fraternelle émancipation, appaforces,

un misérable

raissait comme un

le

lui

homme au-dessus des autres hommes,

maintenant que nous le savons victime du plus odieux des crimes, dans l'éloignement où nous sommes, sa face d'apôtre et de martyr monte à notre horizon comme celle d'un dieu. et

Nos

indigènes,

pas son

nom

compter sur

comme

sur

même

les plus incultes, n'ignoraient

et ils savaient lui,

aussi qu'ils pouvaient

qui avait déjà pris leur défense,

un grand

frère qui leur tendait la

main

son affranchissement moral et politique. C'est sa mort, autant que les prochains et sanglants événements que prépare et précipite l'Alle-

pour

les élever à

magne, qui leur donne, à eux comme à nous tous, à penser que c'est la plus formidable crise qui, dans


LA NOUVELLE DE LA GUERRE A ALGER

27

monde comme

elle

quelques heures, va bouleverser

le

a déjà bouleversé les cœurs.

Dès demain, tout ville

le

monde va

être soldat.

blanche, naguère en fête par

le soleil et

Dans

la

par

les

fleurs, une âme unique se forme qui pense au salut suprême de la patrie, et cette âme, maintenant, s'exalte de plus en plus. M. Stéphen Pichon avait raison le sort en est jeté. Va donc pour la guerre, car c'est pour la plus grande et la plus belle cause qu'on se battra :

bientôt

Oh!

!

cette soirée

du

tout l'honneur, tout

I er

août où nous sentons que

le génie,

France se jouent pour jamais, dissement

même du monde

toute la lumière de la

avec eux,

et,

entier

!

le resplen-

Un frisson parcourt

tout Alger, mais c'est un frisson de résolution virile et

de mâle énergie. Chacun

président de la République

fait siennes les paroles :

«

A

cette heure,

il

du

n'y a

» il y a la France éternelle Les adversaires politiques d'hier fraternisent sans même avoir eu l'idée de se réconcilier, car vraiment, a-t-on jamais été séparé quand la patrie a besoin de l'union de tous ses fils? Et le soir tombe sur les maisons et sur les rues, le boulevard de la République conserve toute la majesté de son infinie splendeur, toute la ville, comme à l'ordinaire, semble illuminée par toutes ses maisons et âgées et éclairées les mille feux de son port paraissent, dans l'immensité, comme autant d'étoiles endormies sur le velours calme et sombre de

plus de partis,

!

;

la Méditerranée.

Toujours ce contraste entre la magnificence de l'imdu cœur de l'homme Mais, pour la première fois certainement, ce soir, on n'a pas d'yeux pour ce ciel si beau où la lune argentée

passible nature et l'agitation

!


L'ALGERIE ET LA GUERRE

2S

se balance et

pour

la

masse ondoyante des

collines

du

Sahel s'allongeant dans la nuit.

Nul ne peut demeurer chez

soi,

tous les cœurs ont

besoin de se rapprocher. Toute la ville descend dans

on se presse dans les cafés, principalement dans ceux de la place de la République et dans ceux de la rue de la Liberté. Les orchestres font entendre des airs patriotiques. Alors, comme il n'y a plus qu'une âme dans la foule, le même refrain emportant, comme un torrent, toutes les âmes, éclate dans la nuit. On chante la Marseillaise. La voix de la foule monte jusqu'aux étoiles étonnées et qui regardent tous ces jeunes gens qui chantent maintenant et qui, demain, seront des dieux parce que c'est en héros qu'ils combattront et qu'ils mourront. La foule se rassemble au square de la République. On dirait que le tressaillement guerrier des manila rue

;

festants réveille jusqu'à la vieille terre africaine endor-

mie à cette heure. Ici, c'est un lieu de vaillance et d'espérance. A la place même où s'élève le kiosque de musique se dressait autrefois la kouba de Sidi Bekta. Sidi Bekta y vivait de sa vie ascétique, quand la flotte de CharlesQuint apparut à quelques kilomètres de là. Le vieux marabout sentit renaître en lui toute son énergie pour l'indépendance de sa terre natale. Il demanda, avec ses amis Sidi Ouali Dadda et Sidi Bou Gueddour, la protection divine. Un pouvoir miraculeux anima leur croyance. Les trois saints descendirent sur la plage et en appelèrent à la fureur de la mer familière. Sidi Bekta et Sidi Ouali Dadda étaient armés de bâtons. Ils en frappèrent les flots et ceux-ci se cabrèrent. Tandis que ses deux compagnons flagellaient ainsi


LA

NOUVELLE DE LA GUERRE

A

ALGER

29

vagues écumantes, Sidi Bou Gueddour brisait des le rivage et destinés à un marchand mozabite de la rue Bab-Azoun. A chaque coup de bâton, les flots se soulevaient davantage, à chaque pot cassé s'engloutissait un navire espagnol. Le puissant empereur échouait dans son orgueilleux rêve d'hégémonie universelle. La vieille terre africaine demeurait dans la volonté farouche de son indépendance entière. Il semble que l'âme indépendante de Sidi Bekta reparaisse dans ces lieux et communique à l'âme de la foule son sublime entêtement d'aimer par-dessus tout la liberté de son pays. La Marseillaise alterne avec le Chant du Départ. Il n'y a plus maintenant d'émotion possible. Tous ces jeunes gens qui chantent ont l'exaltation du sacrifice pour la patrie et la haine irrémissible de cette Allemagne qui va s'attaquer à la France. Au-dessus de la mer mouvante, des fronts échevelés, des drales

pots débarqués sur

peaux

se

déploient,

emplissant toute la

La

foule se

et

acclamations

les

montent,

ville.

met en marche

et c'est déjà

comme

le

bruit martelé des pas de tous les régiments courant

La

foule se presse davantage, une emparée d'elle, elle n'est plus seule, elle est, en effet, avec le drapeau tricolore, c'est-à-dire avec la. France elle-même et c'est la France maintenant qu'on applaudit et qu'on acclame. La foule se dirige vers la rue d'Isly, au quartier

à la frontière.

grande

général

fierté s'est

du

XIX

8

se dresse la statue

Père de tous est

devenue

si

les

corps d'armée. Mais, sur la place,

du maréchal Bugeaud. soldats, général

dont la casquette

légendaire, tu déclaras, dans une de tes

proclamations, qu'il

fallait

que

«

le

drapeau de la


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

3o

France soit seul debout sur cette terre d'Afrique ». Du haut du socle sur lequel tu te dresses pour que

monte vers toi, comme un reconnaissant encens, tout l'hommage de ce sol algérien que tu fis si glorieux par l'épée et

si

vainqueur

fécond par la charrue, soldat sublime,

d'Isly, regarde

le

:

drapeau de

la

France

est seul, debout.

Ses

claquements te disent l'âme de tout ce Tu disais que tu arriver à fonder une province française »

fiers

peuple, ton cher peuple algérien. voulais

«

sur ces bords africains. Elle est fondée, cette province,

et

française

autres provinces,

et,

et

vaillante

comme

toutes les

parce qu'elle sait que tu

le

sens

dans ton âme de bronze, voici qu'elle t'acclame aussi

comme

si

tu étais vivant.

Quelqu'un monte sur ton socle, entoure ta statue de drapeaux. Ce drapeau qui flotte auprès de toi, tu le tins d'une main ferme, d'autres mains, demain, vont le tenir aussi fermement. Un vif enthousiasme s'empare de la foule. Celle-ci comprend maintenant, plus que jamais, que, pour triompher, elle a le souffle des grands aînés, tous les souvenirs de gloire comme les tiens, et aussi, quoique cette terre algérienne soit le le

née d'hier à la patrie,

elle a,

au plus haut point,

sentiment de la tradition française. Elle sait que pays auquel elle appartient ne peut pas disparaître,

mais

elle se dit

que, pour cela,

il

faut

le

défendre,

jusqu'à la mort même. Père Bugeaud, on acclame en e toi, devant ce quartier général du XIX corps d'armée,

tous

La

les soldats

de

la patrie.

devenue belliqueuse presque tous ceux qui la composent, demain même, rejoindront la caserne, mais à présent, elle veut témoigner de l'hostilité que foule est

;


NOUVELLE DE LA GUERRE

LA

A

ALGER

31

fait pénétrer en elle, elle s'est mise en marche, elle se dirige rue Michelet et conspue le consulat d'Allemagne. Le préfet Lefébure et le maire de Galland interviennent et font appel au calme patrio-

l'ennemi a déjà

tique et digne des manifestants.

La

foule rebrousse

chemin et, de nouveau, la MarMais un cri de rage sourd

seillaise se fait entendre.

de toutes

les poitrines.

vont se battre les accueillit

la

comme

concurrence et

laient faire

sa.

Ces Allemands, contre lesquels

les manifestants, la

les

France pacifique

des hôtes, et ces hôtes, déjà, par méfaits de leur commerce, vou-

conquête. Ils s'implantaient chez nous

en trafiquants audacieux où, dans l'audace,

comme une

victoire

;

ils

il

y avait

bâtissaient des hôtels, et voici

beaux d'Alger Ce soir de veillée guerrière, il érige ses hauts étages sombres comme un lourd défi et le cri de rage de la foule se précise plus encore. Cette façade d'hôtel est comme un symbole de cette insolence allemande qui prétend à la domination. On verra bien si cette domination doit l'emporter, et les manifestants se ruent contre les devantures de l'hôtel l'un des plus importants et des plus

:

l'hôtel Excelsior.

Excelsior.

On

mais de plus hauts que ceux d'un saccage d'hôtel doivent animer ceux qu'exalte la cause de la France, et les groupes se reforment plus loin, ils vont vers le consulat de Russie témoigner de leur fidélité et de leur amour envers la grande nation. De nouveau, l'hymne national retentit et les manifestants se séparent en divers sens. Toute la ville est haletante dans l'impatience, puisque le sort en est jeté, des grands événements qui doivent se succéder.

soucis

brise les vitres des fenêtres

;


L'ALGERIE ET LA GUERRE

32

A

comme un grondement

travers toutes les rues,

farouche et sourd, courent

magne, vibre

puis,

une

comme un

fois

cris

les

conspuant

l'Alle-

de plus, l'airain de la Marseillaise

écho sonore.

C'est la grande

communion dans

patriotique de toute la

ville,

mais,

même pensée comme pour les

la

prochaines attaques, on a besoin de se retrouver unis.

La

foule compacte se recherche du square, sur le boulevard de les

et se reforme. la

bureaux, pour la navigation, d'un

Heckmann dont nous avons Chacun

En

République,

nommé

face

y a Richard il

parlé.

pressentait en lui le chef de l'espionnage

allemand en Algérie maintenant, l'instinct populaire, de par les faits qui se succèdent, en a la certitude. L'exaspération s'empare de la foule, on veut détruire ces bureaux où se tramaient tous les complots. Des projectiles sont lancés contre les vitres de l'entresol, les devantures plient sous les coups redoublés, les glaces sont brisées. Les agents interviennent. Les cris redoublent c'en est fait, on est décidé à répondre jusqu'à la mort à la provocation de l'Allemagne, on ira se battre à la frontière, et le Chant du Départ se fait entendre à nouveau sur ce boulevard de la République qui domine la mer, à la balustrade duquel on s'accoude, chaque jour, pour voir les navires prendre la route aimée de la métropole, et la voix mâle des manifestants monte, grave et résolue, en ce ciel africain qui est aussi, plus que jamais, celui de la patrie ;

;

française.


III

LE JOUR DE LA MOBILISATION

Nous nous rappelons encore ce matin du 2 août 19 14. Dans la tiédeur ensoleillée qui fait d'Alger la merveilleuse

ville

blanche,

toute la population s'était

dans une ardeur incomparable. C'était le premier jour de la mobilisation. Un grand et noble orgueil semblait douer d'une vie plus nouvelle et martiale les plus jeunes, ceux à qui l'honneur était dévolu de donner l'exemple. Tous ces enfants d'hier avaient une âme qu'animaient les plus hautes résolutions. Ils n'avaient mis aucun soin raffiné à leurs personnes et, dans la .hâte de répondre à l'appel de la France, on les voyait, courant dans les rues, avec leurs paquets à peine ficelés et où ils avaient rassemblé à tout hasard les objets de première nécessité. réveillée

Devant

les casernes, stationne

une foule dense; ce

sont les parents et les amis qui ont accompagné les

premiers mobilisés et qui demeurent sur la chaussée pour affirmer qu'ils sont de cœur avec les jeunes partants.

Tous

On

les

regards se tendent vers les portails de

voit s'engouffrer sous les hautes voûtes

celles

de la caserne Pélissier, en face

le

fer.

comme

lycée,

ou

pénétrer dans l'immense cour de la caserne d'Orléans,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

34

dans la

Casba, tels jeunes gens connus dont on noms. On leur sourit dans la patriotique fierté qui s'est emparée de tous à voir ces futurs combattants auxquels l'on découvre un air viril que l'invieille

se redit les

souciance des jours précédents n'avait jamais fait deviner.

Mais on ne peut s'empêcher d'une émotion profonde c'est

bien l'arrachement à la famille, c'est

:

le sacrifice

entier à la patrie qui s'accomplit, l'acceptation

du

devoir jusque dans ses conséquences les plus terribles.

Malgré nous, nous songeons aux paroles de Jouhaux, secrétaire général de la Confédération générale du Travail, aux obsèques de Jaurès « Comment trouver des mots; notre cerveau est obscurci par le chagrin et notre cœur est éfreint par la douleur. » C'est que Jouhaux aperçoit, à côté de la tombe ouverte du grand tribun, toutes celles où s'enseveliront :

des milliers d'êtres braves, vaillants et qui étaient l'avenir et l'espoir «

Nous serons

du pays. Et Jouhaux continue

les soldats

:

de la liberté pour conquérir

aux opprimés un régime de liberté comme le nôtre, pour créer l'harmonie entre les peuples par la libre entente des nations... Cet idéal nous donnera la possibilité de vaincre. >

C'est ce qui fait qu'à Alger

on considère

ailleurs,

cet

comme

à Paris et partout

arrachement à

la famille, ce

sacrifice entier à la patrie et cette acceptation

comme

les choses les plus naturelles. Il

du devoir

n'y a plus de

doute on s'est déjà habitué à l'état de guerre, et des groupes se forment où l'on discute les chances de la :

victoire.

Dans la rue de la Marine où sont les bureaux de recrutement militaire, des hommes se pressent de tous


LE JOUR DE LA MOBILISATION

comme

côtés; ce sont

35

des vagues de têtes humaines

qui s'agitent sous les arcades et tout

long de la

le

chaussée. L'exubérance de la jeunesse éclate heureu-

sement, on se reconnaît, on s'appelle, besoin de paroles d'encouragement,

n'est nul

il

résolutions

les

viriles entraînent à la gaieté. Tous ces jeunes gens qui, demain, affronteront les pires destins et dont beaucoup vont mourir, frappés par devant comme les

héros antiques, plaisantent, s'amusent et chantent. « Que viens-tu faire là, toi qui n'es pas soldat? » demande quelqu'un à son voisin qu'il sait réformé. Et l'autre lui répond d'un ton dont l'extrême

simplicité exclut d'avance toute louange

m'engager.

Sur

:

«

Je viens

»

du Gouvernement, à tous

la place

les carrefours,

sur les terrasses des cafés, on épilogue, on fraternise.

On apprend que

tous les bateaux sont réquisitionnés,

on se raconte que

ne s'arrêtent plus, que

les trains

le

télégraphe fonctionne de tous côtés, chacun est avide

de nouvelles, les cœurs s'exaltent les plus petits faits sont démesurés. Qu'importe La sincérité rend plus touchante encore :

!

vibrant patriotisme.

le

les

« Il

premiers jours, dès

y a

les

une âme dont, dès

premières heures, on a

dans l'air, les vibrations. » C'est l'âme même de la France, après la déclaration de guerre, et cette âme, comme affirme Edith Wharton, « c'est le magnifique élan d'un grand peuple résolu à résister à la

senti,

destruction

».

Oui, mais, après la première émotion qui, en instant,

nous a

fait surgir

fait vivre

un

tous les instants et nous a

hors de nous, au-dessus de nous, après la

flamme spontanée qui

jaillit

de notre orgueil redressé


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

36

en face de l'insolence allemande, après le pur enthoules foules, l'empyrée patriotique où nous avons atteint en Algérie nous sera-t-il con-

siasme qui soulève servé? et

comme on l'a

est-il vrai,

envolée ait une fin? Car

ici,

dit,

les

que

la plus belle

éléments

plus

les

en notre colonie qui

divers s'entre-croisent,

fut,

à

travers les siècles, le carrefour livré à tous les passants et

à toutes les races, est-ce que les mentalités mulvont reprendre chacune ses secrètes aspirations,

tiples

ses primitives tendances et vont-elles converger vers

des affinités étrangères ou hostiles à notre pays?

Le Français lui-même qui a quitté son clocher natal où dorment ses aïeux pour venir en

et la terre bénie

que le soleil parfois dessèche, ce Français que l'éloignement peut rendre étranger ou indifférent, avec le temps, aux saintes traditions et aux grands

ces lieux

souvenirs de la vieille famille métropolitaine, verra-t-il

son élan retomber

et les ailes

sur elle-même? L'Algérie

âme

de son

l'a-t-elle pris

point de ne plus se reconnaître?

C'est ce

«

se replier

tout entier au

que j'aime

un personnage de la Cina. Ce n'est pas comme en France ou ailleurs aucun clocher n'y arrête le dans le vieux monde de ce pays

:

la liberté

de l'espace

!

dit

:

regard. tient,

On

s'imagine que toute la terre vous appar-

qu'on n'a qu'à marcher devant

soi,

qu'à mar-

cher toujours... Oui, on devient des errants, de vrais

nomades d'Afrique » Et puis, le sentiment de !

la race qui dressait Vercin-

gétorix contre la puissance romaine et l'humble

de

Domrémy

fille

contre l'envahisseur sera-t-il tout à

partagé, épousé

même

par tous ces

fils

fait

d'étrangers qui,

sous l'habit du soldat français, parlent encore la langue

de leurs ancêtres? Gustave Flaubert

l'a

dit,

dans


LE JOUR DE LA MOBILISATION Salammbô, en pariant de l'Afrique du Nord

37

:

«

Il

y

hommes de toutes les nations. » Est-il donc vrai, comme Louis Bertrand le fait dire à l'un de ses personnages, qu' « il y a chez nous, comme à avait là des

toutes les époques africaines, une plèbe confuse faite

de toutes en ce

méditerranéennes, laquelle cherche

les races

moment à se

définir,

à s'affirmer

comme un peuple

homogène, » si bien, comme s'écrie un autre personnage du même romancier « ... Mais, ils ne s'intéressent à rien, les militaires Ils voient passer dans leur com:

!

pagnie des Espagnols, des Italiens, des Maltais, des Arabes, des Juifs, toutes les races composantes de l'Algérie actuelle

quelque chose

numéros Il

y a

!

!

!

Si

vous croyez que ça leur apprend

Pour eux, ce sont des

«

hommes

»,

des

»

aussi les Juifs, ces naturalisés en

v

masse du

décret Crémieux, à propos duquel, dès le 22 avril 187 1,

Gueydon, gouverneur général de l'Algérie, au président du Conseil « Cette mesure n'a pas été seulement une erreur administrative regrettable, mais encore une grande

l'amiral de écrivait

:

faute politique. D'après toutes les informations qui

me ont

parviennent, et de l'avis unanime de ceux qui le

plus d'occasions

en rapport avec

d'être

les

populations indigènes, ce décret est bien certainement

une des causes principales, sinon fection des Arabes.

la seule,

de la désaf-

»

fait assez pour les rayonnement généreux de la France, leur avons-nous, par notre sympathie et notre esprit

Ces Arabes, enfin, avons-nous

attirer

dans

le

de réformes, c'est-à-dire par notre sagesse même, fait ou bien, devant les dangers qui nous menacent, demeureront-ils les vaincus qui partager notre idéal,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

38

dans

se détournent de la cause de leurs vainqueurs,

la

tentante et secrète espérance de pouvoir s'insurger?

Toute cette masse musulmane, l'avons-nous trop tenue

comme un

peuple inférieur et maintenant, venger de nos dédains hautains, en se repliant, comme en son blanc burnous, dans un éloignement où il y a de l'indifférence, en même temps qu'une attentive observation? Ah si nous allions regretter de n'avoir pas davantage associé l'indigène à notre vie nationale pour qu'il pût maintenant comva-t-elle se

!

prendre que notre cause

est la sienne et

succombe, s'éteindront avec

que

si la

France

toute force morale,

elle

toute lumière intellectuelle et toute flamme d'idéal

Une

autre pensée nous obsède

!

en 1892, dans son rapport à la Chambre des députés, sur le budget de l'Algérie,

Burdeau rappelait

:

premier devoir du musulman,

:

«

La

»

et

guerre sainte est il

justifiait ces

le

mots

par ce verset du Coran « Achevez mon œuvre, étendez partout la maison de l'Islam. La maison de la guerre est à Dieu, Dieu vous la donne. Combattez les infi:

dèles jusqu'à leur extermination. le

maniement des armes

Deux ans

est

un

Pour tout musulman,

acte de religion.

»

M. Pourquery de Boisserin, à son tour rapporteur du budget de l'Algérie, écri« A côté du clergé des mosquées, salarié par le vait gouvernement et des medersas subventionnées, existent les zaouias, qui sont en même temps des lieux de prières, des maisons hospitalières, des écoles. Là s'élève tout ce qui peut être appelé à exercer une influence dans le monde islamique de nos départements africains, iman, khodja, instituteurs, médecins arabes, après, en 1894,

:

'

tolba, marabouts. religieuse fanatique

Ils

en sortent, pénétrés de l'idée

dont

la caractéristique

dominante


LE JOUR DE LA MOBILISATION Djehad, c'est-à-dire

est le saris

paix ni trêve

L'infidèle,

c'est

la guerre sainte perpétuelle,

comme

le

39

sans merci contre

l'infidèle.

Contre lui s'ajoute la vainqueur et le maître. »

Français.

haine du vaincu contre

le

L'Algérie est au tournant le plus tragique de son histoire.

plus

savoir si

La guerre

émouvante si

son

âme

va devenir pour elle la de touche, car nous allons bat à l'unisson de celle de la France, actuelle

pierre

tous les éléments venus de tous les coins

monde malgré

se sont fondus la

dans

du vaste

de la patrie et si, l'antagonisme des

le creuset

complexité des races et

religions, la terre sur laquelle le général

planta, en 1830, le drapeau de

Valmy

est uniquement, essentiellement une Algérie française.

de Bourmont

et d'Austerlitz,

et jusqu'à la

mort,


IV LES FRANÇAIS DE FRANCE

Voici les Français de France, les

fils

— comme on

dit

ici,

des premiers colons, des fonctionnaires et des

soldats.

que l'Algérie a nécessité une double

C'est

conquête, par l'épée d'abord, par la charrue ensuite, et,

du

dans ce pays où tout était à créer, dans la fertilité sol ou dans la sécheresse horrible ou le marais

pestilentiel,

et

contradictoires,

parmi des populations aux intérêts a bien fallu administrer à tâtons

il

souvent, parfois dans la lumière,

si

bien que tous,

colons, fonctionnaires et soldats, ont concouru à la

même œuvre

d'une France plus grande et plus puis-

sante.

A

tous,

à remplir le

soldat,

il :

a fallu la plus haute conception du devoir

la

suprême endurance contre l'ennemi pour

contre la terre elle-même pour

contre l'erreur et l'injustice pour et c'est ce qui fait

le

le

colon,

fonctionnaire,

en Algérie toute la magnificence

de ce que la France entreprit dès 1830 et continue pour la gloire de son génie et pour le bienfait de tous.

Chacun de ces fils a hérité des qualités qui caractéBugeaud l'esprit de suite et de décision, la méthode, le pressentiment de l'avenir. Bugeaud voulait assurer en ce pays la prédominance française. risèrent

:


LES FRANÇAIS DE FRANCE

41

« Ces colons, écrit M. Victor Démontés, il les rangea un peu comme on range les soldats dans une armée leurs villages, il les plaça ainsi que des places fortes sur des plateaux peu accessibles ou des éperons mon;

tagneux d'où des

créa

il

Ou

la défense était facile.

agglomérations

dans

le

places fortes occupées par nos troupes.

bien, encore,

voisinage

des

»

Ces pionniers de la plus grande France, venus prin-

cipalement de la Provence, du Dauphiné et du Lan-

guedoc avaient l'attrait

le

goût de l'aventure et aimaient tout

du danger. Leurs descendants qui vont com-

battre sur le front ont la

mante

même

insouciante et char-

vaillance.

C'était

pour l'honneur français surtout

qu'ils s'atta-

quaient à ces terres où, selon la parole du général Duvivier, les seules colonies florissantes étaient les

acceptaient la fièvre, la faim, la misère

cimetières et

ils

et la mort.

La

terre,

comme

Saturne, dévorait ses

enfants, mais ceux-là, finalement, l'emportèrent.

Age

de fer et époque héroïque, la colonisation française a eu ses dévoués et ses martyrs. C'est pourquoi, pour tous les

fils

de ces colons sublimes,

3e sol algérien,

c'est aussi la patrie, la patrie, aujourd'hui, à la végé-

tation luxuriante, riche de céréales, de vignes et de fruits d'or, et c'est

pour

elle qu'ils

vont combattre,

car par toutes les souffrances endurées, les invincibles

espérances, les abondantes moissons et l'idéal fécond,

par toutes

les

mères vaillantes qui partagèrent tous

accablements de leurs maris, par les pères qu'aucune fatigue ne rebuta et qui dorment, tout près de là,

les

dans l'étroit cimetière, par ces ancêtres d'hier, devenus les dieux protecteurs des foyers nouvellement établis, l'Algérie s'est à jamais pétrie à l'image de


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

42

la

métropole

et

C'est aussi la

est devenue la France elle-même. France pour tous ces fils de soldats

qui vécurent la vie errante et fébrile sous la liberté

du grand

soleil éblouissant,

à tous

les pas. Ils

même

qui,

mais avec

les

avaient à lutter contre

le

embûches pays lui-

pour garder sa farouche indépendance, en

hérissait ses collines et transformait ses rivières

torrents.

Mais ce fut

la plus belle

épopée qu'ait jamais vécu

armée, digne des douze pairs de Charlemagne. Le clairon sonne. la

«

J'écoute ce clairon avec délices

France qui parle Ici,

!

»

écrit

:

c'est

Emile Masqueray.

l'armée a un renom légendaire, c'est l'armée

d'Afrique. C'est pourquoi tous ces Français de France, qui, demain,

s'embarqueront pour

patrie attaquée, sont, tous, les

fils

aller

des Lamoricière, et des Margueritte,

dans leur

âme

la

défendre la

des Changarnier,

prodigieuse volonté

car

ils

ont

de vaincre,

l'opiniâtreté hardie, l'élan, le mépris des plus affreux

en avant leurs pères sur la dans la charge, dans la fournaise et dans la mort, au point que Guillaume I er ne pouvait s'empêcher de murmurer « Oh les braves gens » Raymond Aynard écrit « L'Algérie a été, est encore

périls qui portaient plus

terre fauchée par les éclats d'obus,

:

!

!

:

une merveilleuse école d'initiative hardie et patiente, de courage et de constance pour notre armée, pour nos administrateurs, pour tous nos créateurs d'ordre et de richesse elle a formé de Bugeaud à Lyautey une famille de chefs militaires aux conceptions claires et vastes, aussi ardents aux travaux de la paix qu'ordonnés et méthodiques dans les opérations de guerre, généraux à la romaine qui ont ouvert à nos ;


LES FRANÇAIS DE FRANCE

N

armes des voies nouvelles, aussi nobles

43

et plus larges

qu'aucunes autres. Dans l'œuvre algérienne, il y a mieux que de la gloire, il y a de la vie pour la com:

prendre,

faut aimer la vie et l'action, malgré leurs

il

erreurs et leurs duretés, malgré les cruelles surprises

de la nature et

Comment et la

les

âpres luttes des races.

»

de ces créateurs d'énergie nouvelle de vie emportée et plus belle n'adoreraient-ils pas France? Ils savent qu'elle n'a pas voulu la guerre les

et que, selon le

fils

message adressé au Parlement par

le

président de la République, elle représente aujourd'hui,

une

fois

de plus, devant l'univers, la liberté, la événements

justice et la raison. Ils n'ignorent rien des

qui se passent dans la métropole.

«

Cette terre algé-

rienne, écrivait déjà Prévost-Paradol vers la fin de

l'Empire, est assez près de nous pour que le Français,

qui n'aime pas à perdre de vue son clocher, ne s'y

regarde pas des

yeux

Comme

et

comme

exilé, et

du cœur

ils

puisse continuer à suivre

les affaires

de la mère patrie.

»

triomphent, en cette heure, de la joie

la plus patriotique et la plus justifiée,

ceux qui ont

toujours prétendu que l'Algérie n'est pas, à propre-

ment parler, une colonie, mais qu'elle est le prolongement même de la France. Elle est en Europe, peut-on dire. M. Arthur Girault n'amrme-t-il pas, dans ses Principes de colonisation

et

de législation coloniales,

que l'Algérie se rapproche de l'Espagne, de l'Italie et du midi de la France par sa formation géologique, par son climat, par les productions de son sol, et M. Augustin Bernard ne nous indique-t-il pas que la limite de l'Europe est plutôt le Sahara que la Méditerranée? C'est encore M. Arthur Girault qui proclame avec raison qu'à l'histoire des civilisations qui


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

44

ont

fleuri

sur les bords de la Méditerranée, celle de la

Berbérie est intimement

liée.

Voilà pourquoi l'Algérie, prolongement de la France, l'Algérie, française

comme

le

sont la Provence, la

Gascogne ou toute autre province,^ relève, elle aussi, le défi de la provocation allemande. La première victoire, gage de toutes les autres, est déjà remportée. Elle l'est sur nous-mêmes, -car il n'y a plus entre nous, qui nous divisent, les discordes personnelles ou les dissensions politiques. Chacun obéit à la voix com-

mune

de la patrie, à l'appel de

la

France. Désor-

mais, nous ne songerons plus qu'à l'ennemi. C'est

M. André Houbé, député d'Alger, qui

télé-

graphie, dès le 4 août 1914, à M. Charles Lutaud, « Au moment où gouverneur général de l'Algérie tous les partis communient dans la religion de la patrie, je vous tends une main loyale, certain que tous mes amis sont déjà groupés autour du représentant de la France. » Et M. Charles Lutaud de répondre « Votre geste vous honore. J'y réponds avec empressement par une entière réciprocité. Ici, tous les Fran:

:

çais sont unis et enthousiastes...

C'est

la première

suivit

»

M. Morinaud, maire de Constantine,

qui, dès

séance des Délégations financières qui

l'ouverture

des

affirme solennellement

hostilités,

le

24 juin

19 15,

:

« Aux heures tragiques que nous vivons, nous ne pouvons échanger que de brèves paroles sur les affaires de l'Algérie. Que sont-elles dans l'horrible tourmente actuelle? Bien peu de chose. Un grain de sable sur la

plage. Aussi, nos pensées ne sont-elles point

traversent la Méditerranée,

elles

sont

ici.

Elles

d'une façon

constante près de ces vaillantes armées françaises qui,


LES FRANÇAIS DE FRANCE

45

sous la conduite d'un soldat de génie, sont en train,

avec un héroïsme surhumain, de libérer le sol national, de faire mieux encore, de défendre, de faire triompher la cause sacrée de la civilisation et de l'humanité... » Et, abordant la discussion même du budget de notre colonie, il a soin d'ajouter « Je voudrais que les :

paroles que je vais prononcer ajoutent

un anneau de

plus à la chaîne de cette union sacrée qui existe entre

tous les citoyens de France et qui doit relier plus que

jamais l'Algérie à la France.

»

Les Françaises de l'Algérie actuelle sont les nobles continuatrices de leurs aînées qui vinrent, dès le lendemain de l'occupation, partager tous les périls avec leurs frères et leurs maris. Il y a aussi l'épopée de la femme algérienne écrite avec les larmes et le sang. Mais jamais, compagne du colon-soldat, colon-soldat elle-même, elle ne se laissa abattre un seul instant. Elle aussi a fait la conquête de l'Algérie, par son courage à demeurer dans la ferme isolée, alors que la fièvre

ravageait

membres et que du lendemain.

sa

poitrine,

Elle était héroïque, cette

le

grelotter

cantinier qui, ne

le suivait

avec sa petite

âgée de dix ans, et qui trouvait avec

11 septembre 1833, dans Elle est incomparable

pidité,

cette

femme de

colonel Trumelet

le défilé

d'amour

ses

dans l'incertitude

femme de

voulant pas quitter son mari, fille

faisait

la famille peinait

lui la

mort,

de Boufarick.

solidaire et d'intré-

fermier dont nous parle

le

Toujours sur la brèche de 1836 à 1839... Quand Laurans repose, c'est à sa femme que sont confiées la garde et la défense de la ferme, et, le fusil à la main, la voilà guettant avec une patience féline, l'œil au créneau, les gourmands de son bien. » :

«


L'ALGERIE ET LA GUERRE

46

Laurans tombe un jour aux mains de l'ennemi, il est emmené prisonnier chez les Hadjouth. « En apprenant cet enlèvement, la femme de Laurans, au lieu de s'abandonner à sa douleur, sauta sur son arme et se précipita à la recherche de son mari. Elle avait déjà dépassé le fossé d'enceinte de la ville, lorsque cinq ou six colons se mirent à sa poursuite pour l'empêcher de tenter une entreprise ne présentant pour elle que des périls.

A

»

toutes ces vertus se joignent les dons les plus tou-

chants de l'âme. Ces colons qui disputent

la terre

aux

marais pestilentiels et qui vivent, avec leurs femmes, sous des gourbis faits de branchages, de roseaux et

de

paille,

pressentent dans celui-là

même

qui,

pour

assurer l'indépendance de son pays natal, ne craint

pas de

les tuer/

«

un

frère prochain, et, déjà,

ils

veulent

à eux par un dévouement sans bornes. milieu de la Mitidja, à douze lieues d'Alger,

l'attirer

Au

au delà de notre poste

le

plus avancé, s'élève une

construction récente, ouvrage de quelques Français,

admirables d'entre eux, le baron une ambulance ou hôpital provisoire destiné spécialement aux Arabes malades des tribus de la plaine et des montagnes de l'Atlas... A la fondation de cette ambulance se lie un plus grand projet

écrit l'un des plus

Vialar

:

c'est

:

de faire précéder tous les pas importants de notre armée en Afrique par des établissements semblables,

celui

afin

de ne pas maintenir seulement

les

populations

indigènes par la force des armes, mais de nous les

attacher par les bienfaits de la civilisation.

A la

cette ambulance,

sœur

même du

il

»

y a des femmes, entre autres

baron Vialar,

qui,

par leur patrio-

tique empressement et leurs soins qu'aucun mal ne


LES FRANÇAIS DE FRANCE rebute, se font déjà les

47

compagnes secourables

;

les

travaux de l'hôpital provisoire à peine terminés, en mai 1835, de dix-sept hommes, trois femmes et trois enfants. Les Françaises d'Algérie de la guerre 1914-1918, dignes de leurs sublimes devancières, n'ont pas, qui peut les abattre, le désespoir préconçu des plus formidables actions. Dès l'annonce de la mobilisation, les

hommes

ont quitté leurs faux et leurs charrues et les restées dans les fermes à la richesse ten-

femmes sont

tante par les moissons épanouies et dont l'isolement

semble emprunter à l'heure tragique qui sonne le mystère du chaos et l'angoisse du lendemain. Elles se sont mises à toutes les rudes besognes qu'exige la

devenu

terre africaine et elles conserveront ce sol

magnifique, dans l'attente patiente

et

si

résolue des

héros et des vainqueurs.

comme

leurs aînées des premiers jours de la prouvent leur solidarité à la patrie, et le prouvent aussi, comme la sœur du baron Vialar, toutes celles, mères au cœur attendri, jeunes filles dignes, par leur si sincère et fraternel dévouement, des plus beaux fiancés qui s'en vont à la guerre cueillir des lauriers, toutes celles qui, sous la haute et très noble inspiration de Mme Charles Lutaud, femme du gouverneur général de l'Algérie, de Mme Moinier, femme du général commandant en chef les forces de terre et de mer de l'Afrique du Nord, et de Mme Ardaillon, femme du recteur de l'Académie d'Alger, ont soulagé Ainsi,

conquête,

elles

tant d'infortunes et soigné tant de blessés.

A

ces

femmes

se

sont jointes toutes

les

autres,

que soient leur race et leur religion, et toutes ensemble ont montré, en cette grande crise, les émiquelles

nentes qualités de la

femme

algérienne.


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

4S «

le

La femme

algérienne, a déclaré

M. Charles Lutaud,

6 juin 19 16, à rassemblée plénière des Délégations

financières, a dressé

pour

les

combats de

la vie sa

robuste stature. Ce ne fut pas pour nous une révéla-

nous étions accoutumés à la voir participer aux travaux agricoles les plus ingrats. Mais nous avons vu surgir en elle, à côté des élans de son cœur, des restion

:

sources inépuisables d'énergie, des intuitions merveilleuses d'organisation, de

ment.

méthode

et

de commande-

»

Ses vertus s'auréolent

du plus pur

patriotisme.

L'Algérie a été frappée dans sa chair, dans toutes ses forces vives. C'est qu'elle a intégralement accompli

son devoir avec cette spontanéité, cette ardeur joyeuse, ainsi que s'exprime M. Charles Lutaud, qui,

en temps de paix, inspire à ses colons plus téméraires et qui, sur

le front,

les initiatives les

désigne tradition-

nellement ses zouaves et ses tirailleurs pour les plus meurtrières.

les

tâches

Les femmes d'Algérie sont au

rang glorieux de ces soldats.

Le lieutenant-colonel commandant

le 3 e

zouaves.

Le

Bouhelec, exprimant à tous ses hommes « son entière satisfaction pour leur décision, leur entrain, leur crâne c'est dans attitude au cours de l'attaque d'hier », ajoute, dans son ordre du régiment, le l'Aisne, « Aucun ne perdra de vue que les ... novembre 1914

:

mères et les femmes souffrent sans se plaindre et donnent le plus noble exemple de courage et d'abnégation à la patrie.

Puis

il

»

tient à porter

«

à la connaissance du régiment

par la mère du sergent Pavet, de la 4e compagnie, tombé au champ d'honneur ». Cette lettre est ainsi conçue

la belle lettre écrite

:


LES FRANÇAIS DE FRANCE

49

« 16 octobre 1914. Monsieur, nous venons d'apprendre la mort de notre fils, Paul Pavet, sergent à la e 4 compagnie. Nous savons qu'il a fait son devoir

jusqu'au bout, départ

et,

comme

qu'il n'a

il

l'a

toujours fait depuis son

pas souffert, ayant été tué instan-

tanément. «

Malgré notre immense douleur,

les détails

qui nous

ont été donnés par son ami ont un peu calmé notre angoisse et nous pensons à ceux de ses camarades qui restent. «

Je vous

prie,

monsieur, de leur distribuer

les effets

d'hiver que nous avions, nous et des amis, adressés

à ce pauvre soldat en différents parvenait un

colis

mandat de cinquante

distribuez-le, en souvenir

de

lui,

;

de

même

francs en son

s'il

nom,

à ceux qui l'appro-

chaient de plus près.

Mes

et moi confectionnons des effets pour les nous continuerons pourrions-nous vous les adresser pour votre campagne? « Paul a été, il y a quelques jours, rechercher son lieutenant sous le feu de l'ennemi afin qu'il ait une sépulture; Dieu a permis que cette charité lui soit faite à lui-même. Que sa volonté soit faite, que la France soit victorieuse et que la plus grande partie de ses enfants qui se battent rentrent dans leurs foyers, près de leurs parents si angoissés dans les terribles moments que nous traversons. « Nos vœux sont avec vous tous, ainsi que notre «

filles

soldats,

;

cœur. «

Signé

:

E. Pavet, Mondovi, près Bône, Algérie.

»


V LES NÉO-FRANÇAIS

La

place

du Gouvernement

était jadis

un

lieu

recueillement et de prière. Sur son emplacement vait,

en

comme

effet,

de

s'éle-

avant 1830, une mosquée, gracieuse

son nom, la mosquée Es-Sida, la mosquée de

dame. Les deys habitaient tout près de là, à la filles, les belles princesses aux voiles

la

Jenina, et leurs

mystérieux, venaient

le

vendredi prier à Es-Sida,

le

beau temple aux colonnes de marbre, aux voûtes dentelées et consacré à leur piété.

Aujourd'hui, un brouhaha emplit cet emplacement saint.

La

foule se presse sous les rangées d'arbres et

déborde sur la chaussée qu'encombrent les voitures et les tramways. Il y a là tous les visages du monde et toutes les expressions. Nous nous rappelons les paroles de Paul Margueritte, se promenant sur cette place

un raccourci d'humanité qui

roule, avec le

accentué des passions propres à

:

«

C'est

masque

chaque peuple,

»

de Charles de Galland C'est le carrefour où se coudoient des Européens, petits rentiers et flâneurs, des ouvriers en quête d'embauchage, des Espagnols qui, en attendant la fortune, offrent l'imprévu de leur costume national, et celles t<

:


LES NÉO-FRANÇAIS

51

hommes de Valence, de Minorque ou d'Iviça, gitanos aux cheveux huilés, des gitanes, marchandes de toilettes; des Arabes trop loqueteux, de grands chefs indigènes trop pompeux, des petits Arabes, cireurs ou marchands de journaux, effrontés, amusants et braillards, des Mauresques d'un style trop moderne, prêtresses d'un Orient facile et douteux.

Les sentiments et se heurtent ici comme

les

les

»

égoïsmes de chaque race passants eux-mêmes et ce

forum, établi au cœur du premier Alger, semble un

microscome où,

parfois, le

pur Français craint

de

voir se diluer l'idée qu'il se fait de sa patrie.

Mais, aujourd'hui,

le

murmure de cette

foule bigarrée

a quelque chose de plus rauque et de plus passionné,

de plus vif et de plus émouvant. C'est que, pour la fois peut-être, une même pensée agite tous

première

pour la première fois peut-être aussi, le drapeau qu'on aperçoit, flottant sur le sommet du Palais Consulaire, a une signification, en harmonie avec cette pensée c'est la France qui est en guerre, la France généreuse, la France hospitalière, ouvrant toutes grandes les portes de l'Algérie à ceux qui, accablés ou brisés dans leur propre pays, viennent, sur ce continent africain, chercher, en même temps qu'une nouvelle raison de vivre, la joie de l'espérance et l'attrait du bonheur. Dans tous les cœurs que l'exil, l'incertitude et la souffrance ont fait replier sur eux-mêmes, dans tout ce cosmopolitisme où régnent, d'ordinaire, l'indifférence et l'égoïsme, il y a à cette heure une émotion profonde sans doute, l'inquiétude du lendemain devenant plus particulière à chacun, mais aussi, mais surtout une émotion instinctive, communicative, faite à la fois

les esprits, et,

:


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

52

de reconnaissance pour la France accueillante et nouroù tous les fils de la terre, quelles que soient

ricière,

un

leur race et leur religion, ont

libre foyer, et d'in-

dignation contre cette Allemagne qui, dans son rêve

d'hégémonie universelle, prétend à tout asservissement, jusqu'à celui des exilés. Et parce qu'on respire le même air, parce que les yeux se sont familiarisés avec le même azur, surtout parce que toute la ville fut maternelle aux âmes opprimées, voici que cette foule cosmopolite entre en

communauté

d'angoisses et d'espérances,

d'enthou-

siasmes et de réflexions, avec la foule française, et c'est cela qui donne à tous la certitude que la guerre

qui

commence

justice,

est bien la guerre de la liberté, de la de la tendresse humaine elle-même contre

le droit de la force. Sans doute, nous aurons beaucoup à souffrir de quelques-uns de nos frères latins, nous serons cruellement blessés dans nos illusions, dans nos sympathies, dans nos attentes. Dans l'Oranie, que l'Espagne occupait encore quarante ans avant la conquête française, bien de tristes

l'égoïsme brutal et

racines

trouveront

un terrain favorable, bien des

bruits rencontreront de complaisantes oreilles il

n'est pas de latinité parfaite,

soleil

il

;

hélas

!

n'est pas de

sans tache!

C'est qu'ici, plus

sons

comme

le

que partout au monde, nous subis-

contre-coup direct à la

fois

de l'idée allemande,

du principe allemand, de la propagande allemande. Le plus grand romancier de l'Espagne moderne, sublime esprit qui

s'est

voué au culte de

Blasco Ibanès, nous prévient

dans

:

«

la France,

Ceux qui représentent

la péninsule ibérique les idées

de pouvoir, de


LES NÉO-FRANÇAIS force et de tradition,

53

les dirigeants, les prêtres,

ont tout de suite formé des vœux pour la victoire des armes allemandes, qui représentent à leurs yeux ce

même pouvoir,

cette

même

force, cette

même

tradi-

tion qu'ils prétendent détenir encore. Les monarchistes

voient dans

le

succès des empires centraux

ment du pouvoir royal contre

le renforce-

les "idées républicaines

représentées par la France démocratique et libérale... «

Ce que

les cléricaux

ont en horreur, ce n'est pas

spécialement la France de 19 15, c'est la France des encyclopédistes, celle des Diderot, des Condillac, c'est la

France de Voltaire. Pour eux,

essence,

un

le

Français

sainte règle de l'Église catholique et qui

l'impénitence finale.

Comment donc

pourraient-elles ne pas aller

encore

les

est,

par

être impie, toujours en révolte contre la

mourra dans

leurs sympathies

aux puissances où régnent

vertus médiévales de l'obéissance aveugle,

de la soumission à la force et du respect servile pour pour les honneurs? h

les castes et

En

et ainsi que l'expose encore Blasco pendant que les soldats de l'Allemagne égorgeaient systématiquement les civils belges, ses agents commençaient en Espagne une propagande « colossale » en faveur de la « Kultur ». Conférenciers et journalistes nous inondèrent de leurs feuilles mensongères et de leurs brochures tendancieuses. Il n'y eut pas de jour que, sur un communiqué de l'agence Wolf, annonçant un nouveau succès des armées impériales, les Allemands et leurs partisans ne manifestassent avec bruit, en déclarant bien haut que la France était perdue et que le Kaiser entrerait sous peu à Paris. »

outre,

Ibanès,

Or

«

l'Algérie est la terre bénie des prêtres et des


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

54

contrebandiers de la péninsule ibérique,

par eux

et,

y viennent en nombre, un sentiment hostile a été entretenu comme une flamme de sanctuaire en notre qui

même

parmi nous, les journaux germanoEspagne ont eu un cours presque constant. Les forces du passé ont allongé ici leurs colonie

et,

philes imprimés en

survivantes tentacules et ont étouffé en bien des âmes jusqu'à la simple reconnaissance de l'hôte satisfait.

Mais un bonheur immense de

féconde et du

la terre

est

en Algérie qui tient

éblouissant

ciel

ici,

;

tout

captive et tout retient. Nul ne peut plus les oublier

qui a vraiment goûté la tendresse généreuse de notre sol et toute la fraternité sincère

plus au

monde

de nos cœurs

:

il

n'est

d'autre pays que l'Algérie.

Souvenons-nous de ce passage du Sang des races : « Écoute Ramon, disait le vieux en adoucissant qui abandonne son pays renie son sang. sa voix, Et le sang ne se renie pas, vois-tu, c'est plus fort que

!

tout... les yeux farouches Qui renie son sang renie le Christ et le Christ le maudira le jour du Jugement... Entends-tu, Ramon? « Celui-ci, sans lever les yeux vers son père, répondit simplement «

Puis s'exaltant, soudain,

:

«

:

«

Non

!

»

C'est que,

comme

dit encore

Louis Bertrand,

«

cette

Afrique à demi sauvage, tous ces Espagnols la considéraient

comme

chaient les

leur conquête

champs

:

ceux de Mahon

produire, tondaient les plaines d'alfa. et

d'Alicante,

défri-

incultes, forçaient le sol aride à

avec des

efforts

Ceux de Valence

surhumains, entraî-

naient de lourds chariots chargés de vivres et de matériaux, à travers les sables

mouvants du

sud.

»


LES NÉO-FRANÇAIS

55

Ils sont venus principalement d'Espagne, d'Italie ou de Malte sur cette terre que, légendairement, ils

connaissent, parce qu'il

du monde.

grenier

Ils

y a des

siècles elle a été le

n'ont qu'à traverser la

mer

familière, cette Méditerranée toujours ensorcelante et

bleue sur chacun de ses rivages, et nul ne peut se

dépaysé en cette Algérie, à l'ouest de laquelle ceux des rives du Guadalquivir ou des bords de Carthagène et d'Alicante, par delà les flots aimés, voient croire

montagnes natales, tandis qu'à l'est, ceux du Piémont, de Naples, de Sicile et de Malte aper-

la ligne des

çoivent, émergeant de la tranquillité transparente des

eaux, les chères et

que 'dore

le

îles

qui rappellent la patrie éloignée

même

soleil.

Espagnols, dans l'Oranie, Italiens, dans

ment de Constantine,

ils

domaine qui a appartenu à la vieille terre villages,

départe-

le

reprennent possession du leurs ancêtres

;

ils

réveillent

endormie, créent des fermes et des

transforment tous

les

lieux en jardins

au

milieu desquels palpite l'âme des jets d'eau, en

champs

de verdure et de fruits où dominent toutes

les pri-

meurs,

et tous

ensemble, terrasssiers et maçons,

laboureurs et maraîchers, rudes travailleurs et défri-

cheurs hardis, du sol inculte ou des pierres même, font

jaillir,

comme des

les richesses,

ils

étincelles, toutes les vies, toutes

toutes les splendeurs. Grâce à leur patient

labeur et à leurs constants efforts, dans

le

triomphe

sacré de la résurrection, l'Algérie redevient de plus en

plus le grenier qu'elle a été

du temps des empereurs

romains.

Mais ce domaine dont ils reprennent possession, maintenant sous la domination de la France, à l'ombre du drapeau tricolore. Ils le savent et s'inc'est


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

56

clinent devant la fatalité des

que le

c'est grâce

armes

et

ils

reconnaissent

à la France qu'ils partagent avec

elle

bon pain quotidien dans l'ordre et dans la paix. Ainsi, il y a eu, dès les premiers jours, communauté

d'épreuves entre tous ces pionniers venus de nos provinces et de tous les bords de la Méditerranée,

eu fraternité dans

la douleur et

dans la

joie.

il

Et

y a les

existences se sont tellement mêlées; les cœurs ont

tellement vibré à l'unisson de

si

semblables souvenirs

;

toutes les espérances, tous les bonheurs sont pour tous

devenus

si

Alors,

menter

«

la

Français font en

pareils, qu'étrangers et

Algérie une grande et

même

famille.

puisque nous n'avons plus l'espérance d'aug-

moyen de

population française au

que s'exprime

la colo-

gouverneur général Louis Tirman au Conseil supérieur de gouveril faut chercher le nement, le 20 novembre 1884, remède dans la naturalisation des étrangers... Nous proposons de déclarer Français tous les étrangers nés dans ce pays, à moins que, dans l'année de leur majorité, ils ne répudient cette qualité. Ce projet, j'en ai l'espoir, nous donnera d'heureux résultats. » La loi du 26 juin 1889 est ainsi intervenue. Aux temps antiques, l'étranger était celui que ne protégeaient pas les dieux de la cité. La France de 1889, plus généreuse et plus confiante, certaine de la prédominance de son génie, convie tous ces fils d'étrangers qui ont contribué à la fertilisation de son sol et au développement de son commerce en Algérie, à s'asseoir à son propre foyer. Sans doute, il faut se rappeler ce que dit Montesquieu à propos de tous ces peuples d'Italie résolus à périr ou à être cito3*ens romains

nisation

officielle,

ainsi

:

le


LES NÉO-FRANÇAIS «

Rome

57

accorda ce droit tant désiré aux

n'avaient pas encore cessé d'être fidèles, peu, l'accorda à tous. cette ville esprit,

chirée

dont

le

Dès

lors,

Rome

alliés et,

qui

peu à

ne fut plus

peuple n'avait eu qu'un

même

un même amour pour la liberté... La ville déne forma plus un tout ensemble, les sentiments

romains ne furent plus.

»

Ce fut le commencement de la décadence romaine. Est-ce que la loi du 26 juin 1889 se tournerait contre la magnanime France? Mais, consultée sur le projet qui devait devenir la

de naturalisation automatique, l'École de droit

loi

d'Alger déclarait déjà en 1884 «

:

L'absorption des étrangers, bien qu'accélérée, ne

s'en fera pas

moins d'une manière progressive

:

c'est

par une sorte d'alluvion insensible que, chaque année,

au moment du tirage au sort, l'élément français s'augmentera de ces couches nouvelles. Les jeunes gens, ainsi incorporés dans notre armée, auront grandi sur notre sol, au milieu de nos compatriotes l'instruction obligatoire les aura rendus familiers avec la langue, ;

l'histoire et les institutions nationales

taire

;

le service mili-

achèvera de développer chez eux

patriotique.

D'excellents et purs Français, Soliers,

ont

le

sentiment

»

dit,

dès

le

comme M.

premier jour

Félix de

:

Ce sera une nouvelle variété de la race française une teinte plus fraîche sur la vieille uniformité du type national, et plût au ciel qu'elle pût ainsi essaimer des peuples nouveaux sur tous les points du globe, apportant avec eux, en même temps que la langue, le génie délicat et étincelant de la mère patrie, afin de lui assurer dans le monde une éternité relative. » «

destinée à jeter


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

5S

Oui, cette guerre de 19 14-19 18 est,

comme nous

l'avons déjà écrit, une pierre de touche.

Est-ce que l'École de droit d'Alger s'est montrée clairvoyante?

que

Est-ce

commencé chez

ces

le

sentiment patriotique

par l'instruction

néo-Français

obligatoire a vraiment achevé de se développer avec le service militaire?

Est-ce que ces naturalisés d'hier

vont, selon l'espérance de M. Félix de Soliers, assurer

à la France dans le

comment

et

monde une

tous ces nouveaux

Hoche

s'illustrèrent

et

éternité relative,

venus dans la famille

Kléber vont -ils supporter

qu'à leur patrie adoptive l'Allemagne adresse?

le défi

Nous nous en

référons à la plus haute autorité de

notre colonie. M. Charles Lutaud affirme au Conseil

du gouvernement, le 27 juin 1916 Le peuple algérien, envisagé dans toutes ses fractions, a été admirable. Son élan a été unanime; le supérieur

:

«

premier appel de

la mobilisation, qui retentit

en pleine

période de récoltes, n'a donné lieu qu'à des scènes

d'enthousiasme, auxquelles ont participé, pêle-mêle et

du même cœur, Français tion.

C'est le

d'origine et Français d'adop-

»

un

cri

de solidarité

et

d'amour qui

jour de la déclaration de guerre.

retentit, dès

Témoin

cet appel

adressé par François Hurtado, de Marnia, départe-

ment d'Oran, à «

A

ses coreligionnaires

:

l'heure tragique où les destinées de la France

vont s'accomplir, notre devoir à tous qui avons vécu sous la protection de la grande nation sœur est d'aider

dans la mesure de nos moyens notre patiie d'adoption. La reconnaissance que nous devons à la nation qui nous a accueillis, instruits et nourris sans rien exiger de nous, nous impose un devoir impérieux


LES NÉO-FRANÇAIS «

Ce devoir,

c'est

59

de payer sa générosité en nous

rendant utiles à quelque chose dans

les difficultés

l'heure présente. Présentons-nous tous en foule,

mandons des armes,

agissons

de vrais Français. Ce sera

comme si nous moyen de

le seul

de de-

étions

recon-

naître tout le bien qu'on nous a fait. Vive la France,

que le Dieu des armées soit favorable à ses armes » M. E. Sabatier, président de la section des colons aux Délégations financières, raconte dans une de ses et

!

conférences

:

Le 4 août 19 14, vers le Pons, un de ces nombreux «

soir, je

rencontrais le père

jardiniers, d'origine

maho-

naise,

qui cultivent les environs d'Alger, et qui, à

force

de sobriété, de ténacité, de labeur, se sont

implantés dans

le

pays,

y ont

fait

souche, et s'y sont

une situation modeste. Il était rayonnant, radieux. Il m'annonça qu'il venait d'accompagner ses quatre fils à la caserne. Comme je le félicitais, il me répondit simplement « Tout ce que je possède, je l'ai gagné ici, c'est la France qui m'a enrichi; il est bien juste, puisqu'elle est attaquée, que mes enfants la défendent. » A Fort-de-1'Eau, près d'Alger, il y a un très pauvre et vieux pêcheur italien, nommé Almaviva. Quatre de ses fils sont déjà partis au front et le cinquième, de la classe 17, va rejoindre la caserne. Or, un de ses enfants vient d'être tué et au maire qui lui apprend avec ménagement la fatale nouvelle, il répond d'une créé

:

voix qui, noblement, lutte contre toute émotion, et

main tremblante seulement par l'âge « C'est pour la un geste de résignation

tandis que sa esquisse

:

France » Ce sont les mères qui encouragent les fils. Mme veuve Torro, humble ouvrière de Barrai, département de !


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

6o

Constantine, 3

e

à

écrit

son

Emmanuel,

enfant,

zouaves, la lettre suivante, en

date du

du

14 oc-

tobre 1914 « J'ai bien reçu en son temps ta lettre et télégramme :

me

disant que tu étais blessé, ça m'a fait beaucoup de peine, ainsi qu'à toute la famille, mai? enfin, que veux-tu, il faut que tu prennes beaucoup de courage, car ici, nous avons tous confiance à ce que ça finisse par une grande victoire pour la France, notre

Nous sommes

patrie tant aimée.

aussi heureux de te

savoir en voie de guérison. Prends patience et courage,

quoique loin de

et nous,

toi

par

la distance qui

nous

sépare, nous souffrons avec toi ta douleur qui ne sera

pas longue. Sois bon pour notre chère France et reviens-nous vainqueur. »

Ce sont des mères natives d'Espagne qui deviennent dignes des plus héroïques Françaises.

Carmen Ramos

en sa langue natale, cette lettre que M. Augustin Bernard cite dans une conférence en juin 1916 « Ma peine est bien grande, car j'ai perdu mes plus chères espérances, mais je vis dans l'espoir que le sacrifice de mon fils ne sera pas inutile. Il a donné son écrit,

:

cœur à

la

patrie.

La Vierge du Carmel me donne

France

vivre, car je fils.

Bien

ne

et

vis

il

ne faut rien regretter pour la force

la

de

que pour prier pour l'âme de mon au sein de Dieu, je pense toujours

qu'il repose

à l'endroit où je pourrai aller chercher cet enfant adoré, mais je ne dois pas le pleurer, car il est mort

pour la défense du pays. Je dois me résigner, espérant que cette maudite guerre finira et qu'on me rapportera mon fils, pour que je puisse pleurer de tout mon cœur et je

me

consolerai.

Ce sont

les fils

»

qui sont dignes de la voie indiquée


LES NÉO-FRANÇAIS

61

les pères et du tendre encouragement des mères. Le zouave Vives Ginès écrit à l'un de ses amis en fin novembre 19 14 « J'ai été blessé le 8 septembre, après une journée de lutte terrible contre les Boches. Nous leur avons fait voir ce que valent les troupes d'Afrique. Tu peux croire que tous les enfants d'Alger leur ont montré ce qu'ils étaient. Ils ont montré aussi à notre belle France chérie ce que valent ses enfants d'adoption, car la moitié, parmi nous, nous sommes fils d'étran-

par

:

gers.

Nous avons voulu payer à notre

«

patrie le bien

en les adoptant sur cette belle terre d'Algérie et en leur donnant, sous ses trois couleurs, un asile pour nous élever. Maintenant la France qu'elle a fait à nos pères

peut être

fière

d'avoir de tels enfants. Il nous tarde

pour pouvoir retourner au feu. Vivent les Algériens, vive la France » Combien, pour servir cette patrie adoptive, affronteront joyeusement tous les périls C'est le cas de ce modeste ouvrier de la marine dont parle le Petit Orad'être guéris de nos blessures

!

!

nais

du 24

A...

S...,

avril 19 15

:

aujourd'hui

zouave

à

Oran,

s'abstenir de servir la France. Il n'avait,

qu'à, exciper sa nationalité l'en suppliaient.

tu

«

allais être tué?...

Tu »

cela,

Ses parents

de famille... si de répliquer « Je suis né ai gagné mon pain et celui

es marié, père

Et

lui,

à Oran, j'y ai été élevé, j'y

de

espagnole.

pouvait

pour

ma

famille.

me

suis toujours considéré

:

Je ne connais pas

ma

patrie d'origine

comme

Français. Et au moment où la France a besoin de moi que je la renierais. Ce serait une lâcheté » Puis, pour rassurer « Chacun ici-bas suit sa destinée. Si je dois les siens et

c'est

!

:


L'ALGERIE ET LA GUERRE

62

tramway

mourir, je périrai aussi bien écrasé par un

ou une automobile qu'écrabouillé par un obus. » M. E. Sabatier raconte encore « C'était un Espagnol, Sanchez, grand, élancé, des yeux de flamme, des lèvres décolorées, une petite moustache brune. A vingt ans, devenu, par suite de circonstances douloureuses, soutien unique de deux familles, il eut peur de l'avenir et, quoique né sur notre :

sol, il

de

revendiqua sa nationalité,

au régiment «

il

y a quelques années

Ses camarades, ses amis, ses parents allaient

cela.

et

en revenaient

fiers et

purifiés de l'infériorité originaire

pas d'histoires de zouaves à conter.

Il

comme

heureux,

»

;

seul,

n'avait

il

en était quelque-

fois soucieux.

Août 1914 la guerre tous s'en vont à la caserne, dans les rues, avec eux, il chante, il crie Vive la France Mais, à la porte, l'oreille basse, il lui faut faire demi-tour. Alors son cœur d'Algérien se ré«

!

!

et,

:

!

volte,

il

entre, lui

On

aussi.

l'interroge;

On

se dit

il

on zouave « Mais on apprend le subterfuge. On le renvoie on ne peut accepter que les règlements sont formels des Français aux zouaves Pas une minute d'hésitation, il va droit au recrutement, il s'engage à la légion. La légion part pour les Dardanelles. Elle aussi enfin, il va se battre Et il est admise à la gloire se bat si bien qu'on lui donne des galons de laine,

Français, l'habille,

il

il

a perdu son

est

livret.

l'incorpore,

!

;

:

!

!

;

qu'on apprend ses exploits, et qu'à Paris, sur sa demande, on va lui donner ses galons de Français. « Quelle joie il éprouvera en recevant le pli officiel que sa femme est chargée de lui transmettre Quel !

bon Français de plus

!

Avec

quelle

ardeur

il

va

se

|


LES NÉO-FRANÇAIS battre pour la France, sa nouvelle patrie

enthousiasme

triomphera avec

il

elle!...

63

!

Avec quel Le pli est

revenu non décacheté... Au verso, il y avait ces « Caporal Sanchez, mort au champ

simples mots

:

d'honneur » Et je songe à vous tous, néo-Français, fils de la terre algérienne. L'avez-vous assez aimé, par exemple, ce !

quartier Bab-el-Oued, faubourg ouvrier de notre capitale,

qui offre, étrangeté peut-être unique au monde,

cette particularité d'avoir des colonies étrangères, tiples,

çaise

mul-

indépendantes, autonomes, dans la colonie fran-

elle-même

!

Vos pères vivaient

là,

dans leurs coutumes

et leurs

traditions, pratiquant toutes les fêtes qui leur rappelaient la patrie absente et les consolaient

de leur éloignement. Alger s'agrandissait. Les hautes maisons surgissaient de jour en jour, comme si quelque fièvre d'impatience travaillait le sol pour faire de la ville une capitale encore plus grande, plus magnifique et plus riche. Vous vous intéressiez à l'essor de votre ville natale, et,

avec la florissante ascension de cette dernière, vos esprits s'ouvraient aussi à plus d'aspirations et de nobles désirs. Toute la beauté de la ville pénétrait

dans vos âmes d'alentour,

du

et,

avec

ciel,

de

elle,

la

toute celle' des choses mer, de l'horizon sans

bornes.

Vous

étiez les vivants

exemples de ces générations

ignorantes, que la longue misère des ancêtres avait

conduites à la résignation, à la privation des choses primordiales,

du cœur vers

même

de

celles

l'art et le

de

l'idéal et

de tout élan

beau. Vous étiez les rejetons

des pauvres vieilles races engourdies, qui s'éveillaient


64

dans

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE le bien-être,

dans

le

foyer stable, dans le soleil

et la lumière.

Quel contraste, jeunes ouvriers au sang étranger et françaises, vous formiez, dans votre amnement quotidien, avec les parents âgés que la séculaire soumission à leur sort malheureux rendait encore d'esprit timide et qui, resserrés les uns contre les autres par la constante appréhension des inconnus lendemains, n'avaient pas même éprouvé le besoin de changer de langue et parlaient encore espagnol ou italien, malgré leurs années d'Algérie. Étrangers nés sur la terre française, vous secouiez la tradition des ancêtres, vous vous libériez des anciennes coutumes, vous rejetiez vos races derrière vous, et, en vous évadant, sans même vous en apercevoir, du vieil esprit de vos familles, vous brisiez tous les dieux privous deveniez mitifs. Une autre aurore vous attirait Français par tout ce qui vivait en vous, par tous les bouillonnements des sèves de votre jeunesse éprise d'un nouvel horizon et d'autres connaissances humaines, par tous les sentiments qui montaient en vous et dont, chaque jour, vous découvriez, avec des cris de joie, la

aux tendances déjà

:

sincérité profonde, la générosité sublime, toute l'éter-

L'âme française s'emparait ainsi de vos âmes, derniers fils d'une Espagne ou d'une Italie qui n'avait pas su garder ses fils, et dont le souvenir s'ef-

nelle beauté.

façait avec les générations.

Votre faubourg Bab-el-Oued subissait en même temps que vous l'impérieuse évolution des temps ses masures croulaient pour laisser place à de blanches bâtisses ses terrains vides, ce qui restait de ses champs en broussailles se couvraient de hautes maisons et se transformaient en larges rues il devenait un beau ;

;

;


LES NÉO-FRANÇAIS

65

ses harmofaubourg. C'était encore la France qui, par à marquait pierres, de entassements durs nieux et de volonté la enfance votre de berceau du chaque coin civilisation. son génie tutélaire et les progrès de sa senti que', par instinctivement pas n'aviez vous Si la grande votre humble travail, vous vous associez à

œuvre de votre nouvelle patrie, vous vous avec moins de cœur à vos rudes besognes.

seriez livré

Mais vous sentiez, vous vous assimiliez pour jamais, vous l'aimiez, Latins qui n'étiez plus que Français. Et main, vous la par pris cette France qui vous avait êtres beaux de vous de fait guidés, qui avait avait

accomplis. regretParce que vous vous saviez dignes, vous ne regards des fixité la supporter pouviez tiez rien, vous pays et si, parfois, des vieux parents attachés à leur montait à votre méans premiers vos le souvenir de de coutumes des et anecdotes des rappel si le

moire, propres demeures, l'ancienne patrie se précisait dans vos tradition des anla de sursaut final et si l'inattendu

comme une tradicêtres faisait frissonner votre sang chair même de sa tion qui ne veut pas mourir dans la dans l'âme de son âme, parce que votre évoluloin du solde tion s'était faite de par votre naissance dans votre vos aïeux, dans la fatalité de l'existence, ne pouvous pas, entière sincérité, vous n'aviez

chair,

plus

race quittée. viez pas avoir le remords de la

de vivre pour la France et vous de combattre et de étiez, suprême honneur, dignes mourir pour elle. Oh votre départ pour la frontière La Méditertransparente où ranée offrait sa surface tranquille et rayons du soleil les perdre plongeaient et semblaient se

Vous

étiez dignes

!

!t

5


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

66

Elle était

comme un

les collines

du

miroir

immense qu'encerclaient

Sahel, le cap Matifou et, plus loin, la

Le ciel était d'un bleu sans dans ce merveilleux azur, se dessinaient davantage les cuirassés, les torpilleurs, les paquebots,

ligne jalouse de l'horizon.

tache

et,

tous les navires sous pression prêts à lever l'ancre au

premier signal.

Toutes ces forces de la France donnaient à tout le un aspect majestueux. Quelque chose de solennel et de poignant flottait dans l'air et qui

port d'Alger

rendait plus silencieuse la foule contemplative, appuyée

à la balustrade du boulevard de la République. Tous quais étaient remplis de soldats en armes, de

les

parents venus pour les accompagner et voulant demeurer jusqu'au dernier instant près du ponton de la

Compagnie Transatlantique. Les soldats gravissaient l'étroit escalier accolé aux en montait encore, de plus en

flancs des paquebots. Il

plus, des zouaves, des tirailleurs, des spahis, des artilleurs, des chasseurs d'Afrique et des goumiers, c'est-

à-dire des

hommes

les races.

C'était la première et plus

de toutes

les religions et

de toutes

belle victoire

morale déjà remportée par la mère patrie que l'unanimité, l'enthousiasme et l'élan spontané de tous ces

musulmans, d'origine française, étranou kabyle, s'embarquant ensemble, d'un cœur, frères d'armes aux visages empreints des

chrétiens, juifs, gère, arabe

même

mêmes

résolutions.

en montait toujours, des soldats, accourus des villes, des fermes lointaines et du bled où ne vit aucun Européen. Il en montait jusqu'au plus haut des mâts, Il

grappes humaines qui, de point en point, déployaient le drapeau de la France, et c'était maintenant des


LES NÉO-FRANÇAIS

67

tout hourras qui partaient de toutes les poitrines, ciel

le

en était ébranlé.

Le roulement des tambours

se prolongeait

au

loin,

chant martial et clair les clairons éclataient et leur miroir des eaux jusqu'au faire frissonner semblait

;

perçantes comme le puis c'était la nouba, aux voix dans leur timbre si violentes armes, tranchant des de la victoire, farouche volonté la marquant net et et dont le frénécouleurs mille aux musique étrange ville entrain déchirait l'azur et criait devant la tique

loyalisme et la fidélité des ksars, des de tous les Hautsdouars, des oasis, de tout le Tell, France allait sans Plateaux, de tout le Sahara où la combattants. cesse recruter de nouveaux Babpartiez. Pères, mères, parents, amis, tout

entière

le

Vous

avait une émo-

el-Oued se pressait sur les quais. Il y particulière. Les plus tion profonde dans cette foule plus vieux, parfois, les jeunes s'efforçaient de sourire et angoisses ne pouvaient dissimuler leurs

et leur

suprême

déchirement.

Vous ne vouliez

pas, pour la dernière fois, voir vos

pour mieux vous faire entendre vous employiez, celle que d'eux, c'était leur langue que puisqu'elle avait été bien si d'ailleurs vous connaissiez disiez de n'avoir leur Vous enfance. a langue de votre pas, que trembliez ne vous vous, pas peur puisque qu'il leur en ce Allemands aux montrer vous alliez qu'il était bien juste coûterait de vous avoir dérangés, où était en jeu que vous prissiez part à cette guerre et c'était à de vieux -parents le sort du pays adoptif, italien, que vous, espagnols ou italiens, en espagnol ou français et patriotes jeunes étrangers d'hier, parliez en

parents accablés

et,

en vrais soldats de la France

!


L'ALGERIE ET LA GUERRE

6S

Mais

le

bateau

sifflait

;

une

fois

de plus,

les

s'agitaient, les acclamations retentissaient

des mâts et

du haut des boulevards

le

;

drapeaux du haut

même

refrain

emplissait la ville blanche et la rade, la Marseillaise

vous emporter vers vos nouveaux

éclatait qui allait destins.

Puis tout fut jaillir

dit.

Les amarres tombèrent, faisant

l'eau en grosses perles, les hélices tournèrent,

nouba, et tous prenant la passe, se mirent en marche

les sirènes retentirent et les clairons et la les navires,

au chant de suprême

le

la Marseillaise, mille voix, mille accents, salut,

bruyant

délirant, le suprême dans la volonté, dans de tous ces soldats si

et

à l'Algérie française,

adieu

l'apothéose et dans la gloire,

dignes de leurs frères de France. Et, tandis que la foule, après avoir répondu en agitant les chapeaux et les mouchoirs, remontait

quai ou quittait

le

boulevard,

les

du

paquebots, emportant

toutes les forces vives et tous les grands espoirs de la colonie, tournaient la jetée, dépassaient la baie,

ayant

les cuirassés à leur tête, et, près d'eux, les torpilleurs, flotte

sublime s'en allant dans la solennité du

ciel,

vers la défense de la patrie. Bientôt l'horizon se ferma

sur elle dans le silence de l'infini, dans le triomphalement, parsemait, en tous lieux,

soleil qui, l'or

de ses

rayons.

vous quittiez la belle terre immense vos yeux s'ouvraient dans l'étonnement de votre pensée nouvelle, vos âmes s'agrandissaient et se magnifiaient de tout

Pour

la première fois,

algérienne, et sur l'espace

l'azur et de toute la Méditerranée.

Lorsque vous débarquâtes sur le sol de dans le frénétique et enthousiaste

patrie,

la

mère

grouille-


LES NÉO-FRANÇAIS ment des grands quais tive

vous entraîna

bataille, la

si

69

marseillais, lorsque la

rapidement vers

le

locomo-

champ de

reconnûtes-vous selon votre rêve, cette

France qui, dans votre éloignement africain, vous paraissait le pays même de l'idéal, de la bonté et du génie, des plus admirables choses de tout l'esprit

humain? dans les regards des foules encombrant les mères tendres comme les vôtres, de ces travailleurs comme vous, de tout ce peuple, enfin, qui se dressait impatient de sacrifices, que vous voyiez l'âme admirable de la France, telle que vous l'aviez conçue. Votre rêve se réalisait. Avec quelle divine exaltation, quand le train s'arrêtait, vous fouliez la terre de France Mais le sang de la vieille race reprenait sa sourde jalousie. Toutes vos lettres, dans la suite, sans vous en douter, se ressentaient de cet état. Ce n'était pas pour la gloire du sol de vos ancêtres que vous L'ancienne tradition, sucée avec le alliez combattre lait maternel, les premiers souvenirs de votre enfance, toute la mémoire du passé se réveillaient en vous, à votre insu, dans un sursaut suprême et, dans la tranchée où la mort encerclait de toutes parts, les premiers mots appris revenaient à vos lèvres, votre pensée évoquait les vieux parents au costume national, vos cœurs, loin des vôtres, s'attendrissaient. Mais le signal de l'attaque était donné. Vous secouiez comme une poussière tous les vieux souvenirs, vous rivalisiez d'entrain, vous donniez l'exemple, vous ne craigniez rien, vous riiez au plus fort du danger. N'étiez- vous pas de ces zouaves au renom légendaire, prêts à toutes les offensives et réclamant encore plus de périls? C'était

gares, de ces

!

!

;


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

7o

Vous aviez

l'ivresse

complissiez, et,

pour

du devoir à

remplir, vous l'ac-

la victoire française,

giez en jurant en espagnol

ou en

italien

;

vous charet puis,

encore touchant retour des choses d'autrefois,

— —

pour charmer vos heures de repos, des cartes espagnoles, des jeux italiens que vous demandiez dans vos lettres, tant il est vrai que, pour l'homme qui va mourir, il n'est d'émouvant et de cher que le rappel des c'était,

premières années.

Mais

obus de l'ennemi fauchaient vous vous indigniez de ces massacres et une grande haine s'emparait de votre cœur, contre tous ces Allemands aux crimes prémédités, votre esprit n'était alors altéré que de justes représailles, et, maintenant dans vos lettres, ce n'était plus les demandes de cartes espagnoles, c'était la transcription de la légitime vengeance, la volonté nette de tuer plus de soldats allemands que l'ennemi ne tuait de soldats français, la décision farouche de la défense, la bataille dans son caractère le plus sacré. Vous ne désespériez les balles et les

les rangs,

pas à l'idée des reculs déjà oubliés et des tranchées perdues vous n'aviez plus en vous que l'âme de la France, et vous écriviez que la France est immor;

telle.

que votre hérédité essayât, de reprendre en vous le cœur de ses fils à jamais perdus pour la race, car il n'y avait en vous que la plus profonde sincérité et la plus grande somme des plus probes sentiments, comme si, à l'instant le plus tragique de votre vie, il vous fallait encore Il était

bon,

une dernière

il

était noble

fois,

choisir.

Mais la France était attaquée et envahie, et, après aimée dans toutes ses vertus et dans toutes ses

l'avoir


LES NÉO-FRANÇAIS

et chérissiez grandeurs, maintenant vous la vénériez ravagés champs ses pour d'une incomparable affection pour ruines, ses toutes pour pour ses villes détruites,

vous accomtous ses morts. Fils de races étrangères, sublime votre même, bataille de plissiez, sur le champ élue. avaient âmes vos que patrie ascension vers la éléfrançaise si et divine cette de Pour la beauté ^

vation,

il

fallait que, la plupart,

vous mouriez

et

que

fût aussi arrosée de votre la terre de votre pays adoptif et de gloire. sang pour les futures moissons de lauriers pas Beaucoup d'entre vous ont été tués. Ils n'ont cœurs, les tous de tombes ils ont toutes les tombes, ;

honnête et

si toute la France, car leur vie si humble, souvenir que le désormais, dans si vaillante, apparaît '

nous gardons de leur mémoire,

comme

le

symbole de

par leur mort même, cette Algérie néo-française qui, place au foyer de acquiert son éternelle et définitive la patrie.

cosmopoLeur dévouement a effacé toute trace de il prouve irréfutablement, litisme en notre colonie et, multiplicité la malgré que, dans notre Nord-africain, races, il suffit du génie des sangs et la complexité des Français de tous les des faire de la France pour

Algériens.


VI LES ISRAÉLITES

Il y eut la plus profonde émotion dans notre colonie lorsqu'on lut ces mots placés au commencement du décret du 24 octobre 1870 « Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens :

français.

»

C'était tout

un monde nouveau qui

s'ouvrait pour

la race la plus désemparée. Les errants de la terre

que

le sort

momentanément

avait

fixés

en notre pos-

session africaine étaient enfin assurés de la patrie stable, dans la tranquillité de l'ordre et sous la pro-

tection des

lois.

Lorsque l'empereur Napoléon III avait parcouru l'Algérie en 1865, le grand rabbin d'Oran à la tête de son consistoire n'avait-il pas sollicité :

«

par

Sire, le

cinquante

mille

coreligionnaires

protégés

drapeau glorieux de la France, sans patrie

depuis bien des

sont encore aujourd'hui sans vous la demander, sire tous leurs efforts comme ceux de leurs frères de la mère patrie tendent à s'en rendre dignes. » Et le grand rabbin de Constantine n'avait-il pas siècles,

patrie. Ils osent

;

remis cette adresse collective «

Nous aimons

:

la France, notre nouvelle patrie...


.

LES ISRAÉLITES

73

Que Votre Majesté nous soumette à une fixe et

législation

uniforme, propre à nous soustraire à des inter-

prétations arbitraires, qu'Elle nous ouvre les carrières

qui nous sont encore fermées et Elle nous verra bientôt

répandre notre sang sur les champs de bataille, à côté de nos frères de France. Elle nous verra bientôt accourir partout où il faut de l'intelligence et des études

pour parvenir.

A la

»

vérité, les esprits n'étaient

pas encore préparés

à ce grand acte, l'heure était devancée et c'est la

de la vive émotion qui s'empara de au lendemain du 24 octobre 1870. Ici, tous les événements prennent la plus formidable signification. La France est en guerre et la mort plane justification

l'Algérie entière

en tous lieux. Pour être à la hauteur du péril et de l'angoisse,

il

faut avoir l'âme dégagée des ténèbres

dans une masse, victime des dans une dégradante déchéance, il n'est que l'élite, c'estet l'esprit conscient. Or,

séculaires humiliations et encore tenue, la veille,

à-dire le très petit

nombre qui

puisse aspirer à

un

des-

promesses que faisaient à l'empereur Napoléon III les grands rabbins tin meilleur et jurer les solennelles

d'Oran C'est

et

de Constantine.

du temps

seul qu'il faut attendre l'émancipa-

tion intellectuelle et morale des humbles, des miséreux,

damnés de

que l'on Nul ne doit donc s'étonner que dans le monde nouveau où on la fait tout à coup pénétrer, la malheureuse masse des des ignorants, de tous les

la vie

redresse vers la lumière et vers l'espoir.

les anciennes tares et ne atavisme et par habituelle résignation, devant l'éblouissement qui frappe soudaine-

asservis et des incultes

y porte

regrette, par lamentable

ment et vivement ses yeux, l'ombre des j ours précédents


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

74 Il

y a

la crainte des"

nouveaux venus,

l'effroi

des

dans ce bouleversement des êtres et des choses, toutes les imperfections, toutes les pauvretés de Tâme tâchent, une dernière fois, de reprendre le dessus. Alors, les émancipés semblent indignes de leur affranchissement et il arrive que les émancipateurs reculent devant la noblesse même de leurs .gestes timides

et,

fraternels.

Cette vérité de l'histoire, Lamartine l'a rappelée en termes immortels, le 18 juillet 1847, dans un banquet célèbre «

:

C'est la marche, c'est le flux et le reflux de l'esprit

humain. Souffrez une image empruntée à ces instruments de guerre que beaucoup d'entre vous ont maniés sur terre et sur mer, dans les combats de la liberté. Quand les pièces de canon ont fait explosion et vomi leur charge sur les champs de bataille, elles éprouvent par

le

contre-coup

un mouvement qui

même

les fait rouler

de leur détonation en arrière. C'est ce

du canon. en politique, ne sont pas autre chose que ce refoulement du canon, en artillerie. Les réactions, c'est le recul des idées Il semble que la raison humaine, comme épouvantée elle-même des que les «

Eh

artilleurs appellent le recul

bien

!

les réactions,

!

vérités nouvelles

nom

que

les

révolutions faites en son

le monde, s'effraye de sa propre audace, se rejette en arrière, et se retire

viennent de lancer dans

lâchement de tout le terrain qu'elle a gagné. » Le décret du 24 octobre 1870, établi à Tours où siégeait le gouvernement de la Défense nationale et connu sous le nom de décret Crémieux, est une révolution faite au nom de la raison humaine. La France s'effraye, en Algérie, de sa propre audace, et son plus


LES ISRAÉLITES

75

haut représentant en notre colonie, l'amiral de Gueydon, gouverneur général, de télégraphier au président

du

Conseil, le 22 avril 1871

:

Des considérations d'un ordre supérieur me portent à désirer plus vivement encore le retrait du décret de Tours, 24 octobre, relatif à la naturalisation en masse des israélites algériens. Cette mesure n'a pas été seulement une erreur administrative, mais encore une grande faute politique. » Les émancipés, avons-nous dit plus haut, semblent indignes de leur affranchissement. C'est dans cette indignité que le gouverneur général puise une force nouvelle pour tâcher de rejeter les israélites algériens dans leur obscurité première et les maintenir dans «

leurs tares originelles.

au ministre de l'Intérieur, le 4 juillet 1871 Accoutumés à vivre partout en étrangers, depuis

Il écrit «

:

leur dispersion séculaire, l'idée de patrie n'existe pas

pour eux, et jamais aucun des élans généreux qui naissent du sentiment patriotique n'entra dans l'âme d'un israélite indigène. Ils viennent prouver dans l'insurrection actuelle, où ils ont refusé de marcher en recourant à toutes sortes de mauvais prétextes, ou ceux qui ont marché en petit nombre n'ont pas voulu s'accommoder de l'ordinaire du soldat en campagne, sous prétexte que leur loi «

de

Aussi sont-ils de détestables soldats.

le

religieuse s'y opposait.

»

Or, Lamartine avait nobleFrance « Mais cela n'a qu'un jour D'autres mains reviennent charger cette artillerie pacifique de la pensée humaine et de nouvelles explosions non de boulets, mais de Fallait-il désespérer?

ment prévenu

la

:

!


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

76

umières, rendent leur empire aux vérités qui paraissent abandonnées ou vaincues » C'est l'éternel honneur de la France de ne pas vouloir replonger dans leur dégradante misère ceux qu'elle a appelés à sa civilisation. Aussi, demeure -t -elle fidèle à la plus haute mission qui soit, pour le bien de l'humanité, donnée au plus grand peuple. Elle a fait, de par le rayonnement seul de son génie, évoluer les sans-patrie d'hier vers l'amour de la patrie et elle leur a inculqué ces généreux élans qui, selon les justes paroles du gouverneur général de Gueydon, naissent du sentiment

J

!

patriotique.

Ce sont

les lois et les

vertus naturelles, à jamais

souveraines de la France, qui ont dominé et pétri

comme

d'une matière nouvelle l'âme juive algérienne.

Et

raison

la

«

»,

qui

est, dit-on,

«

d'essence divine

»,

notre patrie a prouvé qu'elle était aussi d'essence française en l'accordant

entièrement aux israélites

algériens par son éducation, par son instruction à pleins bords, et, parce qu'elle les a habitués à rai-

sonner, c'est-à-dire à avoir une perfection de plus en plus vaste de la pensée, elle leur a donné la vraie

conscience et la pure morale. Parce qu'elle en a fait des êtres humains, elle en a fait de bons Français. N'est-elle pas d'un

M. Abraham à son

fils,

bon Français,

cette lettre de

Zerbib, rabbin à Constantine, et adressée

soldat de l'armée de Salonique

:

un bon soldat, brave, obéissant envers tes chefs et doux avec tes camarades tu n'es plus enfant, tu es un homme puis« ...

Ce que

je te conseille, c'est d'être

;

qu'on

t'a

fait

l'honneur de t'envoyer à la guerre

défendre notre chère patrie, la France. L'honneur de toute la famille est maintenant entre tes mains,

il

faut

\\


LES ISRAÉLITES le

conserver

pour

et,

nom

porter le vice,

le

conserver,

un bon

soldat, et si tu es

il

77

faut être

un bon

soldat, tu seras digne de

de Français. Enfin, fais bien ton seril faut que tu retournes chez nous,

ton devoir

;

après la victoire, décoré de la médaille militaire et de la croix

de guerre...

»

de ceux qui étaient « accoutumés à vivre partout en étrangers depuis leur dispersion séculaire » savent maintenant lutter, souffrir et mourir pour la patrie qui les a si volontairement et Les

si

fils

et les petits -fils

généreusement,

bien voulus à «

comme

elle.

Les

la meilleure des mères, si

fils

et les petits-fils

de ces

détestables soldats qui refusaient de marcher en

recourant à toutes sortes de mauvais prétextes

»

sont

des héros et des vainqueurs.

symbole rédempteur de son antique race, cet soldat de 2 e classe au 3 e bis régiment de zouaves, Jouda ben Bourrack, qui, sur le champ de bataille, voyant son lieutenant blessé et menacé par deux Allemands, se précipite à son secours et réussit à le sauver en tuant ses deux ennemis. Lui-même faillit succomber et c'est le général en chef Joffre qui Il

est le

humble

juif,

lui attribue, le

de par cet ordre

27 février 1915, la médaille militaire « Blessé très grièvement à la poitrine :

« Ma peau France » donnant le plus bel exemple de patriotisme et d'abnégation à ses cama-

pendant «

le

cours de l'attaque, s'est écrié

n'est rien, vive la

rades qui l'entouraient.

:

!

»

non moins représentatif par son entrain patriotique, ce typographe du Petit Oranais, Moati, qui, en août 1914, écrit à sa famille « Je suis versé à la 6i e comIl

est

:

pagnie, i re section de zouaves... J'espère que vous

n'avez pas été effrayés par la déclaration de guerre.


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

78 Ici,

nous en sommes heureux,

il

faut en finir avec cette

sale race allemande... J'espère être bientôt à la fron-

compte pour

tière et je

ma

vraie bataille

!

C'était

part descendre quelques

me

casques à pointe... Qu'il

mon

tarde d'assister à une

rêve quand j'étais petit

!

»

Son rêve se réalise. Il est blessé et il écrit encore aux siens « J'ai bon estomac, bon pied, bon œil, et, sur la conscience, sept Alboches,ce qui ne m'empêche pas de dormir... Un éclat d'obus, au rein, huit jours de repos et on y retourne. J'ai frôlé la mort de près :

et elle

ne

me

La jeune

fait

pas peur.

»

demeure digne de en 1865, demandait à l'empereur Napoléon III la naturalisation en masse de tous ses coreligionnaires. C'est, par exemple, M. René Mesguich, sous-lieutenant d'artillerie à l'escadrille n° 12, deux fois blessé, élite

juive d'Algérie

celle qui,

décoré de la croix de guerre, de la médaille militaire,

de la Légion d'honneur et dont la citation, à l'ordre de « Officier d'une vaillance et d'un

l'armée, comporte

:

dévouement à toute épreuve. A livré dix combats aériens, au cours desquels il a abattu trois avions ennemis. Volontaire pour

les missions à

longue portée,

a exécuté, en particulier, une reconnaissance de deux cents ldlomè très dans les lignes ennemies. »

M. Edmond Benhamou, engagé médecin des hôpitaux d'Alger, cité ainsi, « Médecin chef de service à l'ordre de la division d'une haute compétence, plein d'entrain et d'énergie, a fait preuve d'un réel courage et du plus grand zèle dans l'organisation du service de santé du régiment à Verdun, parcourant lui-même tout le secteur, malgré la violence du bombardement, d'abord pour reconnaître et installer les postes de secours du régiment, C'est entre autres

volontaire,

:


LES ISRAÉLITES puis,

pour

les visiter

aux moments

7g

critiques,

donnant

à tous l'exemple du courage et du dévouement. » Ce furent de louables audacieux et de clairvoyants

que ceux qui, comme les grands rabbins d'Oran et de Constantine, demandaient que la France devînt la patrie de leurs coreligionnaires sans patrie. Malgré la défaillance même de leurs proches, ils croyaient en l'avenir et ne se laissaient rebuter par aucune critique. Ils prévoyaient que le sang des juifs

initiateurs

algériens serait courageusement, les

champs de

bataille,

un

jour,

répandu sur

à côté de celui de leurs frères n'a pas à regretter la beauté

de France, et celle-ci de son geste ni l'hospitalière générosité de son cœur. Et c'est une grande leçon d'humilité que donne l'histoire. Quand des serments sont solennellement proclamés par des collectivités entières

comme ceux que

transmettait le grand rabbin de Constantine à l'em« Nous aimons la France, notre pourquoi juger définitivement et

pereur Napoléon III nouvelle patrie,...

»

:

démentir, d'après des ressentiments politiques, des dépits personnels, des arrière-pensées ou des craintes

intimes ? les promesses jurées des consistoires d'Or an de Constantine, sans oublier celui d'Alger, l'amiral de Gueydon, ne s'en tenant qu'aux contingences momentanées et n'ayant aucune vue sur les temps qui « Les suivraient, affirmait péremptoirement encore israélites sont aujourd'hui avec nous parce que nous les protégeons contre les musulmans, mais il leur

Malgré

et

:

serait parfaitement indifférent

que l'Algérie appartînt

à toute autre nation qui les protégerait également...

»

L'amiral de Gueydon se distinguait par la droiture

de son esprit et la sincérité de son cœur.

Comme

il

se


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

80

déjugerait patriotiquement devant l'acte d'un Jouda ben Bourrack jurant devant la mort que sa peau n'est rien et criant

:

«

Vive la France

!

»

sous les obus et la

mitraille, car cette guerre de 1914-1918 est aussi la réhabilitation des races opprimées et méconnues C'est l'honneur des plus clairvoyants antisémites de !

reconnaître que les héroïsmes

rances

communs et les enducommunes ont supprimé toute raison d'être à

leurs particulières croyances, et c'est le plus touchant et le plus magnifique gage de l'Algérie à jamais récon-

avec elle-même, que d'entendre M. Charles de Galland, maire d'Alger, élu avec l'enthousiaste et ciliée

unanime appoint des voix antijuives, prononcer, le 15 mars 1916, sur la tombe du très jeune médecin auxiliaire israélite Edmond Timsit, mort des suites de maladies contractées aux Dardanelles et en Serbie, où il avait demandé à aller et où, dans la retraite de Stroumitza, malgré ses souffrances personnelles, il avait été jusqu'à porter des blessés sur son dos, ces éloquentes paroles, si fraternelles et bien françaises :

La

guerre que nous subissons fait des ravages dans tous les rangs et la mort frappe également le «

chef et

Mais

le

simple soldat, l'humble et l'intellectuel.

a mis fin à des malentendus qui divisaient les enfants de la France, aux haines politiques et elle

religieuses. Il n'y a plus

patrie

!

qu'un seul culte

:

celui

de la

»

Le 15 août 1916, un jeune Algérien, le lieutenant Victor Daveluy, convalescent de la terrible blessure qui mit si longtemps ses jours en danger, écrit à M. Mallebay, directeur des Annales africaines : Lorsque l'éminent professeur Morestin, « un sculpteur en chair humaine, aura terminé la recons-

\


LES ISRAÉLITES truction chirurgicale de

mon

Si

crâne, je pense venir

passer quelques jours à Alger. « Je rêver rai avec la joie que vous devinez tous ceux qui ont été des camarades dévoués et à qui je n'ai pas ménagé mon estime.

« Et, parmi eux, plusieurs sont de ces juifs à qui, avec votre coutumière impartialité, vous avez rendu un juste hommage dans votre bel article consacré à

la retraite

ont

juifs «

par

A

d'Edouard Drumont,

fait leur

devoir

car,

comme

avez-vous

dit, les

les catholiques.

ce sujet, laissez-moi corroborer votre assertion

mon modeste

témoignage, en vous contant, de

anecdotes entre beaucoup d'autres que je pourrais dire sur le même thème.

petites

«

Au

cours d'un violent bombardement, un de mes

zouave Draï, — du — reçoit un shrapneli à jambe.

compagnons brancardiers, département d'Oran, Je cours à lui pour secours

;

juif

le

la

le faire

évacuer sur

le

poste de

mais, sans s'occuper de lui-même et quoique

il ramasse un de ses camarades blessé comme l'emmène. « Dans une autre circonstance, un 150 venait d'arjuif de Consriver sur un abri. Le zouave Assoune, avait le bras affreusement déchiqueté. Le tantine, malheureux, qui souffrait horriblement, trouva ces simples mots prononcés dans le sabir que vous con« Ma lieutenant, j'y meurs ici, j'y meurs à naissez « l'hôpital, ça fait rien, j'y meurs quand même au « champ d'honneur. » « Le brave n'est pas mort, il a été amputé et on lui a donné la médaille militaire. « Puisque je suis sur le chapitre des anecdotes, encore une autre, si vous voulez bien.

boitant,

lui et

:


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

S2

«

je

Convalescent de ma première blessure, à Paris, trouvais un jour à la terrasse d'un café du bou-

me

levard des Italiens. Le zouave Simon, d'Alger,

blessé,

un

juif

comme moi, vint me tenir compagnie

nous parlâmes des choses de la guerre. Après que de plusieurs de ses coreligionnaires, Simon, enthousiasmé et ému, s'écria « Il n'y a donc plus de question « juive, permets-moi de t 'embrasser. » Et nous nous et

je lui eus dit la belle attitude, sous la mitraille,

:

donnâmes

l'accolade.

Cher monsieur Mallebay, après nous être donnés, nous, à la défense du pays, ce sera le rôle de tous les publiciste^ probes, ce sera le vôtre de vous consacrer à la reconstitution du pays et à la réconciliation défi«

nitive de tous les partis.

»


VII LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE DÈS LE PREMIER JOUR

Ah

!

la douloureuse

méconnaissance des

hommes

et

des choses dans laquelle beaucoup d'entre nous ont

assombrir et désespérer leurs âmes Hélas, combien d'entre nous ont manqué de foi dans l'irrésistible attrait qu'exerce la France sur tous les cœurs et combien ont douté de la fidélité des indigènes Il semble qu'avant cette guerre de 1914-1918, nul de nous ne se connaissait en Algérie. Nous vivions trop sur les anciens et mauvais souvenirs et, parce que certaines tribus s'étaient soulevées en 1871, d'aucuns étaient portés à oublier le dévouement jusqu'à la mort de ces tirailleurs, qui semaient, à la même époque, l'épouvante dans les rangs de l'armée allemande. Pourtant le chef de bataillon Lamy avait écrit pendant l'année terrible « J'ai vu passer, se rendant au lieu d'embarquement, un de nos régiments de tirailleurs indigènes, presque tous Kabyles et Arabes arabisants. Le regard comme la tournure de ces enfants des montagnes étaient martiaux. Pleins d'enthousiasme, ils allaient, pour le sultan français, recommencer les exploits de Crimée et d'Italie. La tête de colonne, fanfare et tambours, laissé

!

!

:


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

84

dans les rues. Un ouvrier, sur sa porte, à ces bruits joyeux, s'écrie «Tiens, ce ne sont pas des Français, ce sont des Arabes » Et aussitôt un tirailattirait la foule

:

!

leur de tourner la tête et de s'écrier à son tour « «

Nous, pas Français?... pour le sultan »

Si,

:

nous, Français... mourir

!

Le capitaine

Villot, chef

de bureau arabe dans la

province de Constantine en 1870-1871, avait dit «

La

:

déclaration de guerre ne surprit point les indi-

gènes, habitués au succès de nos armes et ce fut avec

enthousiasme que

les turcos

opérèrent leur concentra-

tion. L'attitude des troupes indigènes

pour la France

ment

était

était tel que,

vraiment belle à

comme

s'embarquant

voir.

L'empresse-

punition, on avait eu l'idée

de mettre à l'ordre que les tirailleurs qui se griseraient ne partiraient point. Cette menace avait suffi pour les empêcher de se griser. » Et n'était -elle pas admirable, l'attitude de ce Ben Kaddour, dont un modeste monument, sur les lieux mêmes de ses exploits, rappelle la sublime vaillance? C'était au combat de Lorcy, le 26 novembre 1870. Ben Kaddour reste seul, le bras fracassé. « Il demande à un mobile blessé de charger les fusils et, de son bras valide,

il

tira,

visant juste, sur une colonne ennemie

qui s'avançait, l'arrêtant ainsi par plusieurs décharges successives. Il

fit

Le souvenir de

feu jusqu'à ce qu'il

tombât mort. » Ben Kad-

ces milliers et milliers de

dour qui ont porté la gloire de la France sur les plus lointains

du globe

aurait

les

points

être la grande

le gage de la plus patriotique entente. Mais cela n'a pas suffi. Comme au conseil municipal d'Alger, M. Ladmiral « Il ne faut pas que l'on s'écriait, le 28 mars 1913

espérance et

:


LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE

85

vienne suspecter le loyalisme des indigènes. Il me semble que ceux-ci ont assez donné de preuves de fidélité. Beaucoup sont soldats, beaucoup ont versé leur sang pour la France », M. Eugène de Redon interrompait avec emportement « On les paye pour cela » Ne nous étonnons pas de cet état d'esprit. Le 19 juin 1912, M. Albin Rozet n'avait -il pas déjà fait connaître à la tribune de la Chambre des députés « Je aois vous dire que, il y a cinq ou six mois, au début de la guerre italo-turque, on a fait dans les journaux d'Alger une campagne tellement violente contre les musulmans en général, que le gouvernement, et cela ne peut être démenti par personne, a prié :

!

:

officieusement, au point de vue de la neutralité, les journaux français d'Algérie de mettre une sourdine à leurs attaques contre les musulmans. » Malheureusement, le doute gagne aussi la métropole.

M. Georges Clemenceau, devenu, depuis, président du Conseil, s'adresse, le 10 février 19 12, à la tribune du Sénat, à M. Raymond Poincaré, alors ministre des Affaires étrangères et président du Conseil « Vous vous souvenez de l'insurrection algérienne de 1871? Vous avez maintenant allumé un foyer qui va de l'Atlantique de M. Caillaux à sa Grande-Syrie. Quant au XIXe corps, je crois que vous feriez très bien de n'y plus songer... » (M. le comte de Treveneuc « Très bien! ») M. Clemenceau « ... parce qu'il aura de la- besogne et que vous devrez ou abandonner vos colons au massacre, ce que vous ne ferez jamais, ou '

:

:

:

bien sacrifier le

XIXe

corps.

Tout cela ce sont des président du Conseil » bancs.)

!

Très bien raisons,

»

sur divers

monsieur Te


L'ALGERIE ET LA GUERRE

86

C'est le Radical, de Paris, organe officiel

du parti

radical et radical-socialiste, qui affirme, le 25 juillet

19 12

:

Tout

«

Un

en Algérie, pour l'explosion

est prêt,

d'une guerre sainte.

»

autre président du Conseil, M. Monis, dit à la

tribune du Sénat, le 20 juin 1913

nous abordons

sommes

:

«

grand problème

ce

Au moment où algérien,

nous

déjà en lace d'une situation plus générale et

qui s'impose à l'attention de la métropole. La sécurité de l'Algérie est un des éléments de notre force. Une attaque de nos frontières peut avoir pour contre-coup des tentatives de troubles possibles en Algérie. » Le 24 juillet 1913, M. Georges Clemenceau récidive dans l'Homme libre : « Nul n'ignore qu'en cas de guerre nous aurions sur les bras une formidable insurrection en Algérie et au Maroc, sans parler de la Tunisie. » En fin mai 19 14, au moment même où le général

Lyautey

visite les soldats

musulmans

algériens blessés

à Taza et adresse au lieutenant indigène félicitations écrit «

pas

dans

le

pour sa

belle

Réveil de Relizane

J'espère en la victoire, qu'ici,

Ayad

ses

conduite, M. Jules Boss

et,

:

quoique âgé,

je

ne doute

en Algérie, où j'habite depuis plus de

un

pour vendre le plus dans le cas possible d'une insurrection arabe... Mieux vaudra mourir les armes à la main que de tomber entre les mains des Arabes ou des Allemands. » Le malaise, par conséquent, se précise, effrayant. D'aucuns, certains de la conquête définitive par les armes, ne croient pas à la conquête morale de l'Algérie. Quand donc pourra s'établir la réconciliation des trente ans, je prendrais

chèrement

ma peau

fusil

et celle des miens,


LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE

87

cœurs et la fraternité des intérêts? M. Maurice Wahl, en 1889, tâchait d'expliquer « Qu'il en soit ainsi, la faute n'en est pas tout à fait ni aux indigènes ni à nous. Quand le contact a comdéjà,

:

mencé à peuples

s'établir, les

;

rien

n'était

commun

sociales, l'organisation

causes de mésintelligence et d'éloignement.

Et

entre les

mœurs, les institutions économique étaient autant de

croyances, les

»

août 19 14, la guerre éclate avec l'Allemagne, cette Allemagne qui a, depuis tant d'années, de Palesle 2

tine à Agadir, si inlassablement travaillé et agité le

monde islamique Que va-t-il se passer en Algérie? Le 27 juin 19 16, dans son discours d'ouverture au Conseil supérieur du gouvernement, M. Charles Lutaud, !

gouverneur général, rappelait

les craintes

que certains

avaient eues dès l'annonce des hostilités et avouait

qu'on ne pouvait se défendre d'un frisson rétrospectif «

En

:

pleine activité productive, en pleine fièvre

créatrice, notre

pays a été secoué par une tourmente

sans précédent. Les problèmes les plus troublants, les plus angoissants se sont subitement dressés devant nous. « Les populations autochtones, d'origine, de tempéraments si divers, envisageraient-elles sous le même angle leurs devoirs à l'égard d'une patrie dont l'idée repose sur un concept si divergent de leur mentalité et qui, jusqu'à ce jour, ne leur avait demandé qu'un respect nominal ou abstrait? « Étions-nous bien sûrs de leur avoir inculqué par notre enseignement rudimentaire, et par notre exemple, le culte d'un idéal -dont la beauté ne peut apparaître qu'à des esprits parvenus au stade le plus élevé de la civilisation? Le spectacle de nos discussions et de nos


L'ALGERIE ET LA GUERRE

88

luttes contrastant si

étrangement avec leur concep-

tion d'un régime d'autorité, ne les détournerait-elles

de sacrifice et d'amour nécessaire pour un pays menacé? Ces populations avaientelles pu résister au venin de propagande germanique dont le pays avait été pénétré par une infiltration

pas de

l'esprit

secourir

occulte et persévérante? «

On

ne peut se défendre d'un frisson rétrospectif les dangers auxquels

quand on passe en revue tous

nous étions exposés... » Mais un grand bonheur nous était réservé, surtout à nous dont l'immense fierté est d'avoir sans cesse et fermement cru au loyalisme sincère et à la haute fidélité

des indigènes d'Algérie.

Le 2 août 19 14

est affichée sur les

murs d'Alger

la

proclamation au peuple français, signée par le président de la République, M. Raymond Poincaré, et par

du Conseil, M. René Viviani Le gouvernement compte sur le patriotisme de tous les Français et sait qu'il n'en est pas un seul

le

président

:

«

qui ne soit prêt à faire son devoir.

Aussitôt

un comité indigène

l'appel suivant «

»

se

forme qui lance

:

Les indigènes sont

les

enfants adoptifs de

la

France

;

élevés à l'ombre de son drapeau, sur les bancs de ses écoles,

grandissant aux côtés des

fils

de colons,

ils

ont appris à aimer la mère patrie. « Depuis de longues années, ils ont mêlé leur sang au sang gaulois sur les champs de bataille. Frœsch-

Tonkin, Madagascar, pour le prouver. « La patrie est en danger, nous voulons lui manifester notre attachement et notre lovalisme en versant

willer, Villersexel, la Tunisie, le le

Maroc sont


LES INDIGENES POUR LA FRANCE

89

pour elle jusqu'à la dernière goutte de notre sang. « Les régiments indigènes vont être, nous l'espérons, les premiers à marcher. « Mais nous demandons plus encore nous voulons que les bureaux de recrutement s'ouvrent tout grands devant les nôtres, qui sont prêts à prendre ou à reprendre du service. « Un comité indigène composé de notables musulmans algériens vient de se former pour faciliter l'engagement des volontaires. « Il fait appel à toutes les bonnes volontés que ceux ;

;

qui sont prêts s'adressent à

lui, qu'ils

fassent parvenir

demandes au siège du Comité, rue de la Marine, M. Sliman Brizène. « Déjà, des demandes actives ont été faites auprès de M. le général Moinier, commandant en chef de

leurs

n° 9, chez

l'armée d'Afrique, qui connaît bien les spahis et les turcos, qu'il a «

En

si

souvent conduits à la

victoire.

avant, pour la patrie, pour la France

!

Pour le comité Mohammed Brizène, Braham ben Roudouane, Chérif-Zehar Touhami, Hamdam ben Roudouane, Hamadou Oukil, Mustapha Bouchelaghem, Ali ben Abdelkader, Larbi ben El Guedj. » Ici, les événements qui se précipitent ont leur «

:

superbe signification Ils

et la plus

révèlent hautement l'âme

admirable éloquence.

musulmane,

la lient

pour

jamais à la France, et répondent enfin de l'avenir.

Le 6 août 1914, les journaux publient la proclamasuivante du Gouverneur général, M. Charles Lutaud, qui fait allusion aux bombardements de Bône et de Philippeville, par le Gœben et le Breslau, dont tion

nous parlons plus loin «

:

Indigènes musulmans

!

Vous aimez à vous pro-


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

go

clamer les enfants de la France. Vous rendez hommage aux bienfaits qu'elle a prodigués dans vos tribus. Vous reconnaissez ainsi que vos destinées sont unies à celles de notre nation, vous partagez désormais ses dangers, ses aspirations, ses espérances

joies, ses

!

Musulmans, l'Allemagne nous déclare la guerre, et, honneur suprême, c'est la terre d'Algérie, votre terre natale, que vous contribuez tous les jours à rendre si o

belle et si féconde, qui reçoit les premières atteintes.

Aussi ressentirez-vous avec indignation cet acte

«

accompli par des ennemis jaloux de notre grandeur et de notre puissance.

Pourquoi

«

ont-ils choisi

pour

cible

une population

sans défense plutôt que d'aller se heurter tout d'abord à nos bataillons de fer? « Auraient-ils escompté quelque défaillance ou quelque trahison? Ce serait pour vous un sanglant ils oublieraient les paroles qu'a prononcées outrage :

votre grand prophète et dont vous vous inspirez «

Dieu n'aime pas « Il

les traîtres

!

:

»

n'en existe pas parmi vous

!

J'affirme solennel-

lement, devant tous, votre loyauté, parce que je

l'ai

personnellement éprouvée et que vous avez hérité des traditions chevaleresques de vos ancêtres.

Nos ennemis

«

feraient peur

!

ont-ils

pensé que leurs canons vous Quel musulman a

Quelle démence

!

jamais connu la crainte et la lâcheté

!...

L'état de siège est décrété sur tout le territoire

«

de la France et de l'Algérie. La République est résolue à faire respecter partout l'ordre et la sécurité. Aideznous dans cette tâche. Rendez toute précaution inutile Demeurez nos collaborateurs et nos frères et souvenez-vous que la France, à travers les siècles, !


LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE fut toujours la nation la justice!...

De son

du

droit,

91

de la générosité et de

»

dans son message à la Chambre des le président de la République

côté,

députés et au Sénat, affirme

:

Dans

la guerre qui s'engage, la France sera énergiquement défendue par tous ses fils dont rien ne brisera, devant l'ennemi, l'union sacrée, et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans la «

même

indignation contre l'agresseur et dans la

foi patriotique.

même

»

Cette union sacrée, que certifie M. caré, s'opère aussitôt

parmi tous

les

Raymond

Poin-

indigènes et leurs ;

vieux-turbans et jeunesspontanément, du même cœur, à l'appel du gouverneur général Dès le premier jour, des manifestations de sympartis,

adverses la

veille,

algériens, se rendent

pathie se produisent et continuent plus vives et plus

nombreuses avec

les

mois

et les années.

Faut

il

en

rappeler qui se distinguent par leur noble caractère? C'est

M. Hadj-Harnmou, cadi de

la

Mahakma

d'Au-

male, qui, le 23 août 19 14, fête de l'Aïd-Seghir, convie tous ses coreligionnaires, tous les fonctionnaires civils

de la garnison à la mosquée de la prononce un mémorable discours « Louange à Dieu, à Celui qui rend puissant et aussi démoralise, à Celui qui a partagé le monde en différentes puissances, qui, selon son gré, abaisse ou élève, qui peut nuire ou être utile... « Chers coreligionnaires, je commence par vous recommander de mettre toute votre confiance en Dieu. Evitez tous troubles, ne commentez pas, ne discutez pas les ordres que vous pourrez recevoir et ne proet tous les officiers

ville et

:


L'ALGERIE ET LA GUERRE

92

pagez aucun faux

bruit...

Mes

frères,

il

nous incombe

d'aider notre gouvernement à remporter la victoire,

de

le

commune avec

défendre et de faire cause

ses

enfants, nos frères, pendant ces terribles événements,

de faire face à l'ennemi et d'y consacrer nos vies et nos fortunes. a A l'appel que nous a adressés par voie d'affiches, le 6 août 19 14, M. le Gouverneur général, appel com« Vous aimez à vous proclamer les mençant ainsi « enfants de la France... » nous répondons que cela est l'exacte vérité et que ce n'est pas par parade que nous parlons ainsi. « Oui, nous sommes les enfants de la France, nous mettons tous nos efforts dans l'exercice de nos fonctions et nous donnons au gouvernement et au pays l'assurance formelle de notre fidélité et de notre loyalisme. Nous sommes prêts à accepter gaiement tous les ordres que vous voudrez bien nous donner, à y répondre par l'obéissance la plus absolue, et, en re:

tour de notre

vaillance, à ajouter tout

notre

zèle

dans leur exécution. « Nous invoquons Dieu et formons des vœux pour qu'il repousse nos le bien de notre gouvernement ennemis et que sa gloire soit éternelle. Et tous, dans une même idée et par une même voix, crions Vive la France, vive l'Algérie, vive la République » A ces lignes d'un indigène, personnage officiel, ajouunion sacrée, celles d'un des organes les tons. plus répandus des Jeunes- Algériens, et à qui une entière indépendance permit souvent de critiquer les actes de l'administration, le Rachidi, du 28 août 19 14, et dont ;

:

!

le

service est

tement

:

spécialement

fait,

ce

jour-là,

gratui-


LES INDIGÈNES

POUR LA FRANCE

93

« L'interruption de notre journal nous a empêchés de publier plus tôt l'admirable proclamation de M. le

Gouverneur général. « Malgré que beaucoup de nos confrères aient

fait

connaître à leurs lecteurs cette proclamation, nous

croyons de notre devoir de publier également

les élo-

quentes paroles de notre Gouverneur général abonnés, qui conservent

le

;

nos

Rachiâi, auront ce précieux

document dans leurs collections. « Avec quelle joie profonde, nous avons vu M. le Gouverneur général, de sa voix autorisée, dire, bien haut, à la face du monde, le loyalisme de nos coreligionnaires «

!

C'est le fossé qui séparait les habitants de l'Algérie

à tout jamais comblé. « «

C'est la fraternité proclamée.

C'est la libération de l'Islam algérien

coup que

la

libération de

du même

l'Europe par la guerre

actuelle. « Que M. le Gouverneur général veuille bien accepter l'hommage de notre gratitude avec l'assurance de notre indéfectible dévouement. » Le peuple indigène, lui-même, tient également à exprimer d'aussi nobles sentiments. Dès le 15 août 1914, un nombreux groupe d'habitants musulmans de la commune du Camp-du-Maréchal envoie au Gou-

verneur général l'adresse suivante «

:

Vos paroles ont profondément

cœurs.

La haute

retenti dans nos

confiance dont vous nous honorez

nous touche au plus haut point. Nous en comprenons le prix, monsieur le Gouverneur général, et nous allons tâcher de nous en rendre dignes. Nous vous le promettons solennellement, devant Dieu, sur notre honneur.


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

94

Vous

l'avez dit nos destinées sont unies aux nous partageons désormais vos joies vos oui, oui dangers, vos aspirations, vos espérances Dans nos souffrances, dans nos infortunes, nous avons toujours senti la France auprès de nous, soulageant, encourageant Nous l'avons toujours vue attentive à (f

vôtres

:

;

;

!

î

î

notre progrès et à notre bien-être. «

C'est à notre tour de

à remplir

ici,

chacun dans

la mère patrie Nous sommes prêts

montrer à

qu'elle n'a pas obligé des ingrats. la

mesure de

devoir qu'elle attend de nous, avec la cience,

la

même

ses forces, le

même

cons-

ardeur que ceux des nôtres

qui

vont, dans les plaines d'Alsace, marcher au feu, aux côtés de leurs vaillants frères français auxquels

dévolu

le rôle

sacré de sauver la situation.

est

»

Pourquoi ces témoignages d'amour et de fidélité venus de tous côtés? Pourquoi la France attaquée fait-elle l'unanimité des cœurs et le rassemblement de toutes les énergies autour d'elle? C'est que tous les indigènes ont senti, les uns par pure compréhension, les autres instinctivement, que notre patrie accomplit ici une œuvre de très noble civilisation, qu'elle est la source de toutes les libertés et la mère de tous les droits et qu'on peut faire appel sans cesse à sa justice et à sa générosité.

C'est que, vaincus d'hier, ils ont compris que la France n'était pas une nation victorieuse comme les autres, parce qu'elle est secourable envers les malheureux et fraternelle envers les faibles, parce qu'elle ne conquiert pas pour abaisser, mais pour élever dans la sollicitude, dans l'équité, dans le progrès. C'est surtout parce que, malgré les désillusions passagères ou les désappointements inhérents, parfois, aux choses


LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE

mêmes de

la vie,

ils

95

n'ont jamais désespéré de ses

nobles traditions et qu'ils ont la plus entière confiance

en son magnifique idéal. L'œuvre française en Algérie et qui explique

le

loyalisme dont les indigènes donnent la preuve la plus constante et de plus en plus vive, Si

Allouache,

muphti de

la

M'hamed

mosquée de Bougie,

l'a

exposée de la façon la plus haute et la plus émouvante. C'était lors d'une grande prière, dite en sa mosquée, le

18 décembre 1914, pour

soldats morts

le

repos de l'âme de nos

au champ d'honneur

et la victoire

de la

France. Si

M'hamed Allouache s'exprima en

O mes

«

frères

!

ces termes

:

Par l'expression de nos vœux pour France, nous acquitterons dans une

triomphe de la mesure la dette de reconnaissance contractée envers elle, car vous n'ignorez pas, mes frères, que c'est à elle que nous devons notre relèvement matériel

le

faible

et moral.

Depuis quatre-vingt-cinq ans qu'elle dispense dans

«

ce pays les bienfaits de son administration, elle ne s'est

jamais lassée de se pencher sur nous, de nous

tendre une main maternelle pour nous élever dans le bien-être et la dignité.

du Moghreb avant 1830? un quasi-esclavage et que tous les

Qu'étaient les indigènes

«

Des

ilotes réduits à

maux

affligeaient.

Un pâté de monts, de vallées et de plaines agrestes et peu pra«

Qu'était l'Algérie à cette époque?

ticables. «

Afin de nous apporter

les avantages de sa civiliFrance a sillonné le pays de grandes routes de chemins de fer, jeté des ponts sur les rivières

sation, la et


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

96

et les torrents infranchissables et établi

vigilante

pour

la sécurité

une police

de nos campagnes.

« Elle a creusé des ports nombreux sur le rivage barbaresque et créé, ainsi, pour notre pays et des

habitants, des sources intarissables de bien-être. «

Nos

abandonnées par montagnardes sans cesse divisées par les

terres, autrefois incultes et

les tribus

luttes intestines, sont aujourd'hui fécondes en produits

de toutes sortes, grâce aux instruments aratoires modernes et aux méthodes culturales dont la France les a dotées. Les chiffres, mes frères, apportent, dans ce domaine, leur haute éloquence les transactions com:

merciales, qui n'atteignaient pas cinquante millions de

francs en 1830, dépassent aujourd'hui le milliard et

demi. «

A

la faveur

de ce bien-être incontestable, la popu-

lation elle-même s'est accrue, et, dans le

même

laps

de temps, elle est passée de deux millions et demi d'âmes à cinq millions. « La France nous a apporté plus que le bien-être matériel, elle a dispensé le bien-être moral. Elle a respecté nos croyances et encouragé l'étude de notre langue maternelle autant que de la sienne. Pour nos enfants, elle a édifié des écoles pour l'étude du français et des médersas pour l'étude de l'arabe, s'efforçant par cela de nous rendre meilleurs et plus éclairés par la pratique de la morale et de la science, la science qui '

élève et ennoblit.

Devant

»

déclarations et ces purs témoignages de fidélité, qui donc ne s'inclinerait pas? La Dépêche algérienne, qui, toujours, défendit avec acharnement la cause des colons et combattit avec non moins d'âpreté l'arabophilie du Temps et de ces

solennelles


LES INDIGExNES POUR LA FRANCE M. Albin Rozet, vembre 19 14

écrit

97

dans son éditorial du 11 no-

:

« Ne doit-on pas rendre à nos frères d'armes, les Arabes et les Kabyles, ce témoignage qu'ils se sont groupés autour du drapeau tricolore au moment où il

était le plus

les

menacé? Dès l'ouverture des

hostilités,

contingents réguliers, tirailleurs et spahis, partirent

aux avec un entrain admirable. Mais il y a mieux heures d'angoisse que nous a fait vivre la retraite :

de Charleroi, des milliers de volontaires s'enrôlèrent dans les goums, sous les ordres des notables qu'ils s'étaient

donnés pour chefs

et

dont

ils

subissaient l'as-

cendant moral, souvent doublé d'une influence religieuse. Nous les avons vus, le 5 et le 6 septembre,

avant la victoire de la Marne, embarquant leurs petits chevaux nerveux, leurs paquetages de caravaniers, joyeux de cette joie sobre et grave qui distingue leur race et parlant de leurs prochaines rencontres avec les Boches en découvrant leurs dents blanches d'un rire silencieux. Depuis lors, dans les brouillards de l'Aisne, dans les marécages des Flandres, ces enfants du soleil se

sont battus terriblement, à côté des nôtres, rivalisant

d'endurance et d'audace avec les soldats de métier. La Dépêche algérienne ajoute

»

:

Cela, nous ne l'oublierons pas. » Non, nous ne l'oublierons pas. Déjà, Français et indigènes, ne sommes-nous pas devenus frères par la communauté des angoisses, des souffrances, de la joie réconfortante des combats qui nous étaient propices, et par la communauté, après les dures épreuves de trois années, du bonheur espéré de la victoire? Il y a deux nations qui, dans l'histoire et à travers «

les siècles, se

sont disputé l'empire des terres et des


98

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

mers et qui

se sont, sans cesse, entre-déchirées.

du péril commun et quand humaine et du triomphe de

il

s'est agi

Au

jour

de la justice

la civilisation, toutes les

haines séculaires ont disparu, et aussi les rivalités anciennes, tous les arguments, tous les obstacles. C'est la plus belle victoire

côtés de la

remportée sur

Manche que

de l'Angleterre

et

les

âmes des deux

cette fraternelle réconciliation

de la France.

Et après ce grand acte de la conscience nationale qui fît oublier noblement et patriotiquement le bûcher de Jeanne d'Arc, 'holocauste de Trafalgar, la défaite de Waterloo et le rocher de Sainte-Hélène, nous nous souviendrions que nous sommes seulement les conquérants de l'Afrique du Nord et nous appliquerions, sans cesse,

nous

î

l'inexorable loi

du plus

fort! Mais, là aussi, tous les

mauvais souvenirs d'autrefois doivent Il

disparaître.

n'y a plus sur la terre algérienne ni vainqueurs

ni vaincus

;

il

n'y a que des Français, oui, de la

France, glorieuse et adorée, au-dessus de tout pour bien de chacun de ses enfants et pour

monde

le

le

progrès du

entier Les musulmans qui tombèrent à. Wissembourg, à Frœschwiller, à Villersexel, partout où notre pays a dû combattre, le prouvèrent. Quarantequatre ans après, leurs fils, massacrés à Charleroi, ou l'emportant, pour le triomphe de leur nouvelle patrie, sur la Marne, sur l'Yser, à Verdun, sur la Somme, en renouvellent sublimement le témoignage. Eux aussi, dans l'histoire, seront les grands ancêtres devant lesquels s'inclineront pieusement tous les enfants de ce pays. Leur indomptable vaillance et leur grandiose souvenir se confondent avec ceux de leurs frères de France. La terre de la patrie commune est aussi arrosée de leur sang, et lorsque, dans les anciens !


LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE territoires envahis, aujourd'hui libérés,

ossements sous

le

il

99

soulève des

soc de sa charrue, le laboureur ne

s'ils sont ceux d'un de ses propres fils ou d'un de ces indigènes, accourus de tous les points de l'Algérie, pour donner, dans l'oubli du passé, leur

peut distinguer

force, leur

endurance, leur

foi

même, jusqu'à

la mort,

à la nation qui, pourtant, l'emporta sur leurs pères.

Tous

ces indigènes qui

dorment leur suprême sommeil

dans la terre de France, héros anonymes et martyrs obscurs, sont les très chers, très hauts et éternels garants de leurs coreligionnaires.

Les

mêmes

deuils, les

mêmes

espérances, la

du devoir accompli habitent

et légitime fierté

même

les

mai-

sons de la métropole et les plus pauvres gourbis de

La grande tourmente

notre colonie.

fondu dans un glorieux

et

même

d'avenir

est passée qui a

creuset de larmes, de sursaut

fécond,

toutes

les

âmes,

et,

désormais, nous faisons confiance aux indigènes d'Al-

comme à des frères ayant même idéal que nous.

gérie, et le

Et lisme

c'est

pour

les

mêmes

aspirations

sanctifier patriotiquernent ce loya-

musulman que nous

allons plus particulièrement

parler des chefs indigènes, des jeunes Algériens, des

muphtis, des marabouts, du peuple indigène, car tous, chargés d'honneurs ou esprits d'extrême indépendance,

ou personnages religieux, humbles ou dans les agitations des assemblées, dans le recueillement des mosquées, dans la tendresse des chères zaouïas et jusque dans la pauvreté des douars éloignés,^montré qu'ils étaient nos égaux et nos semblables par la dignité de la pensée au milieu de la guerre, par la fidélité du cœur et par l'inaltéclergé officiel

ignorants, ont,

rable

amour envers

3a France.


VIII LES CHEFS INDIGÈNES

La France

n'a pas cru

bon jusqu'à

ce jour, en ce

qui concerne l'organisation administrative des indigènes, de porter une modification fondamentale à ce

qui existait avant sa conquête de 1830. Elle a laissé subsister le régime des grandes familles et, dès la

première

heure,

sur

pour étendre

elles

exclusivement

s'est

elle

et

maintenir

appuyée

sa prépondé-

rance.

Dans

cette absence

totale de corrélation directe

entre la France et le peuple indigène, les chefs de ces

grandes familles sont devenus

les indispensables inter-

médiaires et c'est encore par

hérédité que le plus

souvent se transmettent certains pouvoirs,

— comme

les plus

ceux de bach-agha, d'agha ou de caïd. C'est aussi parmi eux que sont choisis les membres de 'nos principales assemblées, telles que les Délégations financières et le Conseil supérieur du gouvernement. Ce système peut avoir ses avantages. L'administration d'un peuple dont les traditions diffèrent totalement de celles d'un conquérant, et aussi les lois et les coutumes, est ainsi plus immédiate et plus facile, elle ne trouble pas les habitudes des indigènes et leur importants, surtout,


LES CHEFS INDIGENES' offre

même

101

des garanties de continuité dans les façons

de penser et de vivre. Mais ce pouvoir, conservé aux chefs de ces grandes familles, peut parfois se retourner contre le pays qui le perpétue et, par là, le fortifie avec le temps. A la voix de ces chefs, aux heures troubles de l'histoire, le peuple s'insurge et c'est une nouvelle conquête, encore plus âpre, parce qu'inattendue et répétée, que la France

doit poursuivre. Si ces chefs

ne sont pas des esprits que l'amour de

l'indépendance pousse jusqu'à la révolte, on peut craindre que, dans leur complet ralliement, ils ne deviennent trop les instruments dociles du pays vain-

queur. Pour plaire à ce dernier et mériter un traitement toujours grandissant d'honneurs et de faveurs, ils

peuvent abdiquer toute personnalité,

s'incliner con-

tinuellement devant tous les désirs de l'administration, et d'aucuns,

de par leur complaisance, ont pu

se voir qualifier de cette épithète de

«

Beni-oui-oui

»,

de celui qui répond toujours affirmativement, grâce à son extrême docilité. Mais, là encore, un danger peut être latent et sourd et éclater à l'occasion la plus propice. Ce renoncement de toute conscience et cette spontanéité à se faire immanquablement les agents de toutes les mesures, parfois, ne sont qu'apparentes et les protestations de fidélité dissimulent habilement bien des rancœurs et c'est-à-dire

cachent, sous leurs brillants dehors, bien des ferments

de haine. Ainsi, pays vainqueur et grands chefs du peuple vaincu se mentent dans leurs réciproques témoignages de confiance, et ce qui est bien plus mutuel, c'est le

caractère méfiant qui subsiste en secret au fond de


L'ALGERIE ET LA GUERRE

io2

tous les actes. Seuls, de graves événements peuvent arracher tous voiles et mettre les cœurs à nu. alors

ouvertement prendre

parti, car

il

Il

faut

y va même de

toutes les aspirations intimes., de toutes les arrièrepensées, de l'avenir tel qu'on l'avait entrevu dans

de son rêve ou dans la préparation réfléchie de son plan demain, il sera trop tard. Or, l'Allemagne a flatté par une insidieuse et pénétrante propagande jusqu'aux plus folles tendances d'un islamisme irraisonné, elle a eu la prétention de s'ins-

l'élan

:

de ceux qui, de par le que devant le croissant, elle leur indépendances et a mis à leur ser-

tituer la puissante protectrice

monde, ne

s'inclinent

a promis toutes les vice sa poudre sèche et sa pointe aiguisée.

L'occasion est donc la plus favorable,

s'il

est

en

Algérie de grands chefs indigènes qui veulent renouveler les tentatives de certains anciens bach-aghas.

Mais qui a donc douté de leur loyalisme

et

de leur

fidélité?

et

Le temps n'est plus aux déshonorantes duplicités aux lâches trahisons. Toutes ces grandes familles

indigènes se distinguent à travers l'histoire par leur esprit chevaleresque, et, de l'heure

elles

ont cons-

taté que l'idéal de la France est en harmonie avec leurs nobles sentiments, elles ont le profond respect

des paroles données.

Leur honneur, durant cette guerre de 19 14-19 18, de prouver la sincérité de leur ralliement à la cause

est

française, et, dès le premier jour des hostilités, elles se

sont, indéfectiblement et

du cœur

le

plus

vif,

groupées

autour du Gouverneur général de l'Algérie. Si

plus

Eddin, bach-agha des Ouled-Sidi-Cheik, une des hautes figures musulmanes du Sud-Algérien,


LES CHEFS INDIGÈNES n'avait-il pas d'ailleurs certifié

103

au Gouverneur général

de l'Algérie, le 5 avril 1912, et devant MM. Etienne et Thomson, députés de notre colonie « Nous sommes les :

enfants de la France, prêts à mourir pour le

commandera

elle

quand elle

»?

M. Ali Mahieddine, membre du Conseil supérieur de gouvernement, président des Délégations financières, section arabe,

n'avait-il pas,

dans la séance

du 23 juin 19 14, que M. Charles Lutaud demandait

plénière des Délégations financières

expliqué, alors

que la contribution de l'Algérie dans les dépenses militaires de la France fût portée à quatre millions « Si j'ai demandé la parole, ce n'est pas pour venir discuter le quantum de la contribution que nous demande la mère patrie, c'est uniquement parce que je tiens à faire une déclaration, qui est, soyez-en convaincus, l'expression véritable du sentiment des indi:

gènes. «

Cette déclaration est que, lorsque,

comme

rappor-

du budget et président de la Délégation des indigènes, j'ai demandé à mes collègues s'ils étaient teur

somme de cinq millions que la France fait la moindre observation. Au Ils se sont tous élevés pour dire Comment

d'avis de voter la

demande, pas un n'a contraire

!

:

!

vous voulez qu'on discute cette demande et qu'on dise à la France, notre patrie d'adoption, que nous ne voulons pas lui donner de l'argent, quand elle nous en demande ? Cela n'est pas possible « Quelques-uns sont même allés jusqu'à faire observer qu'il existe un proverbe arabe qui dit que le serviteur et sa fortune appartiennent à son maître. Ils ont con!

sidéré la le

mère patrie comme un véritable maître,

cas d'appliquer ce proverbe, et

ils

c'est

ont ajouté

:


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

io 4 «

Elle a besoin de notre concours, nous ne

v

le lui refuser. «

pouvons pas

»

Puis, sans discussion, on a vcté les cinq millions.

iVujourd'hui, nous n'avons qu'un regret, c'est celui de

nous rallier à la proposition de l'administration qui propose une diminution sur ce que nous avions voté, nous voterons donc les quatre millions. Sans cela, nous aurions maintenu notre vote de cinq millions. » C'est aussi la mobilisation des cœurs indigènes qui s'opère durant la première quinzaine du mois d'août 19 14. Les grands chefs indigènes, gens de courage et de poudre, organisent ces goums qui vont attester, sur le sol même de la Belgique, que les musulmans d'Algérie veulent, eux aussi, participer, sous l'égide de la France, à la libération des peuples opprimés. Faut-il citer des

noms?

L'agha Djelloul ben Lakhdar, de la Confédération des Larbâa, fils de l'illustre bach-agha Lakhdar, compte parmi les membres de sa famille un très grand nombre d'engagés volontaires, dont son fils, Belgacem, adjoint indigène du douar Ighoud, à Teniet-el-Haad, et luimême va sur le front prendre sa part des tragiques événements et toujours encourager ses coreligionnaires à plus d'action et plus d'entrain, tandis que son autre fils,

Daillis, caïd des caïds des

goum

Maamra

(Laghouat),

Sud Oranais, alors qu'il a déjà participé à l'expédition du Maroc. Le frère de l'agha Djelloul, El Hadj Ben Aouda, caïd des caïds des Larbâa de l'Ouest, ancien officier qui a fait la campagne de Tunisie, devient le chef du convoi qui va jusqu'à Fort-Flatters, à la frontière tri-

prend

la tête

d'un

qui va dans

le

politaine.

Un

autre descendant de cette illustre famille, Lakh-


LES CHEFS INDIGÈNES

105

dar ben Hamza, caïd des Mekalif Lazereg, part au comme lieutenant de spahis.

front

L'agha Ben Chérit, d'Aïn-Mâabed, près de Djelfa, a son

fils

aîné

aux armées,

le

caïd

Ben

Chérit, lieute-

nant de spahis.

Le caïd Yahia Taouti, de Tadjmout, près de Laghouat, donne aussi son fils aîné à la France, ainsi que le caïd de Laghouat Cheikh-Ali. Le caïd des Brarcha donne cinq membres de sa famille, dont son le caïd des Allaouma, Si Ferhat fils Si Ahmed Lakhdar ben Ahmed Chaouch, donne trois membres, dont son neveu, Si Cherif ben Tlemç.ani, qui fit déjà la cam;

pagne du Maroc. M. Mohamed ben Abdesselam, fils du caïd Gaba ben Brarcha, s'engage également et l'avocat Méhana, fils de l'adjoint indigène du douar des Aït-Itichem (Kabylie), part avec les camarades français de sa classe. Le caïd Ourabah Abderrhamane, ne pouvant s'enrôler à cause de sa santé débile, fait partir dans les spahis auxiliaires son fils unique qu'il aime par-dessus tout et cet exemple de sacrifice stimule toutes les familles notables de sa région, celle de la Soumman. On voit le chef des Oulad Chamokh, du cercle de Tébessa, insister, malgré son grand âge, pour partir avec trois de ses fils. L'adjoint indigène de Zarza, commune mixte de Fedj-M'zala, ancien lieutenant de tirailleurs et officier de la Légion d'honneur, demande à reprendre du service.

L'agha Boudiaf Seddik, de M'Sila, a constitué un dix membres de sa famille sont attachés. L'un de ses fils, sous-officier, écrit à l'un de ses frères, en octobre 19 14 « Tu nous recommandes du courage. Je pense que tu ne doutes pas de notre courage et de

goum auquel

:


L'ALGERIE ET LA GUERRE

io6

notre dévouement pour la France. Nous marcherons au

combat, décidés à vaincre ou à mourir... » et, à la même époque, M. Ali Ou Rabah, caïd de Dra-Larba, qui, bien qu'il atteigne la soixantième année, est parti pour la frontière à la tête du goum d'Oued-Amizour, écrit au chef de sa famille :

«

Confiance, courage, bravoure, voilà ce qui domine

Tu peux compter sur moi et sur nous tous morts ou vivants, tu peux porter la tête haute, carie nom de la famille Ou Rabah, que tu représentes, sera dignement porté. Enfin, tu peux dire que tu as envoyé, pour défendre la Patrie, des lions... Je sais que vous pensez à nous, mais ici, je te l'avoue, nous ne pensons qu'à sentir la poudre... » Faut -il citer les membres de la célèbre famille des Ben Gana, Si Abdelaziz ben Gana, que son ardeur entraîne toujours plus loin, ou le caïd Si Ali ben Gana dont l'irrésistible ascendant sur tous ses soldats fait que ceux-ci le suivent au plus fort des périls ? Faut-il citer encore l'agha Sahraoui ben Mohamed, ici...

membre

;

des Délégations financières et du Conseil supé-

rieur de gouvernement, en la personne duquel le

Gou-

verneur général de l'Algérie saluait, le 7 juin 1915, « l'incarnation même de ce loyalisme et de cette bravoure indigène qui auront été pour nous une source joie dans la guerre actuelle ». Mais écoutons M. Charles Lutaud « Dès que retentit le premier appel de la patrie, l'agha Sahraoui sentit bouillonner en lui les ardeurs de sa jeunesse, réchauffée par cet amour de la France dont il nous a donné les preuves depuis de longues années. Il prit le commandement d'un escadron de spahis recrutés par ses propres soins. Je copie textuellement

de

:


LES CHEFS INDIGÈNES

[07

Depuis le début de la montré un vrai chef « indigène tant par son commandement, son tact et sa « tenue que par sa noble attitude au feu, tout partier octobre, le « culièrement à Douai, le I 9, à Berles« aux-Bois et le 19 à Schudeberg, au nord deBovekerke. « Dans ces circonstances, se trouvant en reconnais« sance avec son escadron, est resté sous le canon et « sous une vive fusillade, avec le plus grand calme et « la plus belle indifférence, exécutant les ordres de « son colonel, qui, très audacieusement, ramenait sous « un feu nourri des troupes en retraite. » Avec quelle grandeur d'âme s'est manifestée la générosité de ces chefs indigènes Ils ont voulu courir à la défense de la France et ils l'ont fait dans le plus haut esprit de désintéressement. Tous les goums qu'ils ont levés l'ont été à leurs propres frais et c'est sur les étendards de ces compagnies, inconnues avant la guerre présente sur les champs de bataille européens, qu'ils ont inscrit l'ardeur qui les anime. C'est ainsi que l'étendard des goumiers de Khenchela porte l'inscription suivante « République Française. Goum de la commune mixte de Khenchela, département de Constantine. Dieu accorde la victoire aux soldats français et à leurs frères musulmans. Amen. » Sur celui des goumiers de Bou-Saâda, on lit la célèbre inscription « Le succès vient de Dieu l'appréciation de ses chefs «

:

campagne, l'agha Sahraoui

«

s'est

!

:

:

et la victoire est proche.

»

Ceux qui restent témoignent des plus

sincères sen-

timents, et ceux-ci sont traduits dans la lettre que le

cadi d'Aïn-Bessem, M.

Bou Djemia,

sénateur Henry Bérenger « Il

y a longtemps que

adresse à M. le

:

je n'ai

eu de vos nouvelles

et,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

ioS

dans cette période troublée que traverse actuellement manquerais à tous mes devoirs de ne pas

la France, je

demander des

vôtres.

Nous sommes

vous, et nous formons des

ici

vœux pour

tous

comme

la réussite sûre

et certaine des opérations françaises. «

Cette noble et grande nation qui fait l'admiration

de toutes

les

puissances par son esprit

de bonté,

d'équité et de droiture ne peut que. sortir victorieuse

de cette guerre. C'est notre vœu, à tous, musulmans, compter sur ses enfants d'adoption. « Ce que font nos frères les tirailleurs, goumiers et spahis, nous tous, sommes prêts ici à le faire encore, car aucun sacrifice ne sera assez grand pour montrer au gouvernement français le respect et l'amour que nous avons pour lui. » Aux jours de marché, sur les places publiques des douars, caïds ou cadis réunissent leurs coreligionnaires et, comme le fait par exemple M. Hassani ben Hamouda, président du douar Cheuder et conseiller municipal d'Haussonvillers, ils exposent à leurs auditeurs tout ce que la France a fait pour eux ils les exhortent à se montrer respectueux et soumis dans toutes les circonstances, à exécuter ponctuellement toutes les mesures ordonnées par les autorités, à ne rien tenter contre les personnes et les propriétés et leur font jurer de s'unir à leurs frères français pour et la France peut

;

repousser l'envahisseur.

ments éclatent

et le

De

frénétiques applaudisse-

serment, réclamé par

les chefs, se

dans cette foule uniformément blanche par les burnous, aux cris de « Vive la France » Mais, pour que ce calme puisse continuellement se

précise,

:

!

maintenir, afin que la France, sans entrave, porte tous ses efforts contre l'ennemi

commun,

il

faut assurer

If


LES CHEFS INDIGÈNES la tranquillité

publique et

109

les chefs indigènes

d'en

prendre aussitôt la responsabilité. Faut-il citer, entre autres,

M. Ben Daoud Mohamed

Taïeb, affecté au 6 e chasseurs d'Afrique à Tlemcen,

déclarant qu'il tient à la disposition des autorités

un

de caïds ou de notabilités, pour contribuer au service de sécurité du département. d'Oran, ou bien le président de la commune indigène de Rebeval, M. Mahidine Hassen, habitant l'annexe d'Horace-Vernet, et ses deux frères, MM. Hussin Mahidine et Mezian Mahidine, affirmant tous trois, aux colons de ce centre, ainsi qu'à ceux de Rebeval, qu'ils prennent toute la responsabilité de ce douar? Le caïd Titouche Mohamed ben Ahmed, du douar Rouafa, commune mixte de Bordj-Menaïel, sachant qu'un déserteur indigène appartenant au I er tirailleurs cherchait secrètement à se rendre dans sa famille, se postait sur un sentier et l'arrêtait le 23 août 19 14. Puis il remettait sa capture entre les mains de l'autorité militaire en faisant connaître qu'il renonçait patriotiquement à la prime à laquelle il avait droit. En faveur des soldats qui vont être blessés ou des familles que la guerre frappera dans tous leurs intérêts, des souscriptions circulent et des comités d'assistance se fondent dès août 19 14. A Alger, MM. Boutaleb Boubeker, cadi malékite, Lehtihet Mohamed, étudiant en médecine, Lakehal corps de soixante-dix cavaliers, tous

fils

Abderahmane, bach-adel à

Yousn Hamida,

secrétaire

la

Mahakma

malékite,

au Parquet du Tribunal

répressif, lancent l'appel suivant

:

Le moment est venu de montrer notre amour, notre dévouement et notre reconnaissance à la France «


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

no

noble et généreuse qui a tant des hommes.

De chaque

pour

fait

faire

de nous

point de l'Algérie, des pro-

testations de loyauté parviennent

aux autorités supé-

Mais nous estimons que l'heure n'est plus aux paroles, mais aux actes. « Par décision en date du 17 août 19 14, M. le général gouverneur de la place d'Alger, commandant supérieur de la défense, nous a autorisés à former un comité à l'effet de recueillir les oboles des musulmans d'Algérie en faveur de l'Union des Femmes de France. Cette institution humanitaire est composée de femmes qui, affrontant avec un courage sublime tous les dangers, prodiguent, avec dévouement et abnégation, les soins

rieures.

matériels et

moraux aux

blessés, sans distinction

de

race ni de religion, et les soldats indigènes qui sou-

tiennent avec leurs frères métropolitains l'honneur

des armes françaises vont être l'objet de leurs meilleurs soins et de leur constante sollicitude. «

Mais, malheureusement, aucune

musulmane ne

fait

partie de cette institution ou d'une autre similaire.

Nos mœurs tel

et notre religion ne leur permettent pas honneur. Aussi, avons-nous pensé, pour remédier

à cet état de choses, à recueillir les dons des musul-

mans généreux

Femmes de

et à les transmettre au Comité des France, la seule société d'assistance aux

blessés représentée en Algérie. C'est

une des meilleures

façons, nous semble-t-il, de servir la France et l'Hu-

manité...

»

A K errata, Messouaf prète

le

Hamou

judiciaire

cadi

Abdellatif

termes leurs coreligionnaires «

Rabia,

les

caïds

Chemssaoui Shmaire, et l'interHacène Ahmed, exortent en ces et

Louange à Dieu

seul

!

:

A

tous nos frères musul-


m

LES CHEFS INDIGÈNES mans habitant

de Takitount et les sur vous « Vous n'êtes pas sans savoir qu'une guerre est actuellement engagée entre notre chère patrie d'adoption et le peuple allemand, son ennemi. Cette guerre a été provoquée par ce dernier peuple qni a toujours

environs de

foulé et

la conscription

K errata,

aux pieds

que

le salut soit

!

de droit et de justice

les principes

méconnu les traités internationaux. « Vous n'ignorez pas non plus que dans l'armée

fran-

combattent côte à côte, contre le même ennemi, des soldats français et musulmans, défendant ensemble avec un égal courage et un élan admirable le même çaise

idéal et le sol

secret

commun

pour personne,

;

la

car, aujourd'hui, ce n'est

rançon de guerre,

si les

un

Teu-

tons en sortent victorieux, est notre belle Algérie, cette terre qui nous est si chère et que, pour plusieurs

raisons

bien

compréhensibles,

nous

ne

voudrons

jamais voir devenir allemande... «

C'est

pour toutes ces raisons que nous venons

faire

appel à votre concours et à votre bonne générosité

pour nous aider, chacun dans son possible et selon ses moyens, à soulager les braves soldats blessés au champ d'honneur... « Allah le Très-Haut et le Très-Puissant a dit Aidez-vous les uns les autres dans la générosité et dans vos devoirs. » Puis « N'oubliez pas de vous :

« «

:

montrer généreux les uns envers les autres certes, « Dieu voit et surveille toutes vos actions !... » On pourrait citer bien d'autres appels, mais ceux-là suffisent. Nul n'ignore, en effet, que l'on peut assurer, sans conteste, que dans toutes les manifestations de solidarité qui ont eu lieu en Algérie, à propos de la guerre, les indigènes ont été de ceux qui se sont dis«

;


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

ii2

tingués par leur générosité et la spontanéité de leurs élans.

Le comité d'assistance musulmane aux blessés de la que préside M. le Cadi malékite Boutaleb Boubeker, a assuré que l'heure n'était plus aux paroles mais aux actes, et quel acte de plus belle moralité sociale que celui par lequel M. Seddik Boudiaf, conseiller général de M'Sila, demande, en avril 19 15, en son nom et au nom de tous ses collègues indigènes du guerre,

conseil général de

Constantine, l'interdiction, dans

toute l'Algérie, du

kiff et de la chira (mélange de d'opium) qui font parmi leurs coreligionnaires autant de ravages que l'usage de l'absinthe et de l'ani-

kiff et

parmi les Européens Devant les dangers qui menacent

sette

paraissent

!

toutes

les

la

considérations

France

dis-

personnelles.

L'union sacrée ne doit pas être un mot seulement de il faut que le monde sache que notre pays est décidé à le pratiquer par-dessus tout. L'agha Djelloul ben Lakhdar, de la Confédération des Larbâa, en donne la plus digne preuve. Depuis plusieurs années, il n'avait plus de relations avec le chef de la Confrérie des Tidjania, Sid Ali ben façade et

Sid

Ahmed

Tidjani. Cette séparation de

deux grandes un malaise parmi tous les indigènes de notre Sud Algérien. Le chef de l'annexe de Laghouat lui ayant demandé de dissiper tout regretfamilles laissait subsister

table malentendu, à l'heure où le rapprochement de

toutes les fidèles volontés était

si nécessaire, l'agha Djelloul n'a pas hésité à montrer le plus grand esprit

de conciliation. Il se rendit donc à Kourdane, près d'Aïn-Mahdi, à la somptueuse demeure de Sid Ali. Celui-ci alla


LES CHEFS INDIGENES

113

au-devant de lui pour bien marquer également qu'il ne

aux you-you stridents des femmes et aux accompagnements des joueurs de musique que le chef de la famille de feu le bach-agha Lakhdar devint l'hôte du marabout des Tidjania. Pendant deux jours, ce ne furent que fantasias et diffas et, pour sceller leur amitié, Sid Ali fit les cadeaux d'usage à l'agha Djelloul.

subsistait plus rien des anciens différends, et c'est

Cette réconciliation produisit la plus favorable impression dans tous les milieux musulmans. Elle est pour nous une nouvelle marque de très haut patrio-

tisme et c'est une grande leçon de concorde que nous donnent ainsi ces indigènes de l'ancienne école que qualifier de vieux-turbans et qui, ainsi que le dit M. Morinaud, n'ont de vieux que leur dévoue-

Ton aime à

ment à la France. Que devient donc aussi l'épithète de Beni-oui-oui? Aux yeux du Gouverneur général de l'Algérie, elle « une ironie à la française, une au fond très innocente ». Aussi déclare-t-il, le 30 juin 19 16, au Conseil supérieur de gouvernement « La France a fait appel au concours des indigènes, sous la forme où il était le plus précieux elle leur a demandé, de tous les sacrifices, le plus noble, le plus complet, le plus sublime, celui de leur vie. Nous avons vu aussitôt sortir de terre, avec une rapidité foudroyante, ce régiment de spahis auxiliaires. Qui l'a composé? Les Beni-oui-oui. Qui en a formé les cadres? Nos chefs indigènes, les membres des grandes familles, ceux que nous avons toujours trouvés à nos ordres, dans les bons comme dans les mauvais jours... « Qui a constitué la masse du régiment ? Leur clien-

n'est plus, dès lors, qu' raillerie,

:

;

tèle, leurs

amis, leurs fermiers, leurs

khammès. Plus


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

ii4

tard,

quand on a eu besoin de

tirailleurs,

créer des régiments de

à qui s'est-on adressé? Quels sont ceux qui

nous ont apporté leur collaboration? Les Beni-ouioui. C'est grâce à eux et à eux seuls que des dizaines de milliers de tirailleurs se sont enrôlés, les mêmes qui, ces jours-ci encore, à Verdun, ont fait preuve d'héroïsme et ont inscrit sur les drapeaux de leurs régiments des gloires nouvelles.

»


IX LE CLERGÉ OFFICIEL

Il n'est rien

notre

MUSULMAN

de plus pur dans la douceur bleue de

d'Afrique que la blancheur des minarets

ciel

du haut desquels à la prière.

La

le

muezzin appelle tous les hommes musulmane, avec ses lois

religion

d'amour, ses règles sociales et ses principes de toléune religion faite pour l'humanité entière,

rance, est

car le Prophète a dit « J'ai été envoyé pour tous les humains. » Toute âme est avec Dieu unique et le calme infini qui règne dans les mosquées met la conscience en face de l'absolu même. C'est cette tendresse, enveloppante dans la blancheur sans tache des mosquées majestueuses en leur suprême nudité, qui a conquis le cœur d'Ernest Renan et de Guy de Maupassant, du Père Hyacinthe Loyson et d'Emile Masqueray, si bien :

qu'ils

ont eu la troublante et enivrante tentation

d'adorer

le Croissant.

Dieu est clément et miséricordieux, » a certifié le Prophète et il est dit dans le mandement de Si Mahmed ben Aïssa dont le saint tombeau est à « Les cœurs sont des jardins, les prières Méquinez en sont les arbres, les mots sont une eau vivifiante, » «

:

et voici

qu'hommes d'une autre race

et

d'une autre


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

n6 religion,

il

nous

est

donné d'en vivre

la plus frater-

nelle démonstration.

Du jour où la

guerre a été déclarée, on prie, en

effet,

à l'ombre du Croissant, pour la France, c'est-à-dire

commune, pour sa victoire et pour les que ces soltombés au champ d'honneur, car la dats soient musulmans, chrétiens ou juifs,

pour

la patrie

soldats

France, en ce conflit, qui incendie toute l'Europe

d'une sanglante pourpre, représente la justice et le droit, c'est-à-dire la plus belle part de l'humanité,

même humanité à laquelle s'adresse la religion du Dieu clément et miséricordieux. Dans chaque mosquée, au jour saint du vendredi, tous les croyants musulmans rendent un pieux homcette

mage à

leurs frères français qui

meurent

et sur

combattent et qui eux appellent les bénédictions d'Allah. les cœurs des Si Mahmed ben Aïssa a raison maintenant ouverts à l'esfidèles sont des jardins, pérance de la patrie aimée l'emportant sur l'injustice et la barbarie, et les mots que l'on prononce sont bien l'eau vivifiante qui retrempe l'énergie de la nation :

comme Et

du

l'acier

de l'épée.

cela est si vrai

clergé officiel

cultuelles,

imans

que tous

musulman et

les

appels patriotiques

d'Algérie,

muphtis,

— associations

sont

rédigés sous

forme de sermons, débutent par une exhortation à ses adeptes les engageant à craindre Dieu et à se conduire dans les différentes circonstances de la vie suivant les principes de la morale mahométane et sont destinés à être lus dans les mosquées à l'issue de la prière du vendredi. Ce sont ensuite les exposés les plus sincères, les conseils les

touchantes.

plus louables, les implorations les plus


LE CLERGÉ OFFICIEL Est-il, entre autres,

MUSULMAN

117

appel plus noble et plus français

que celui de l'Association cultuelle musulmane du département d'Alger et qui fut rédigé sous l'égide de son président, M. Mohammed ben Siam, le 15 Ramadhan 1332, correspondant au 7 août 1914? « ... Vous savez avec quelle audace et quels procédés inavouables l'Allemagne vient de déchaîner une guerre générale. Elle a refusé de prendre part à une discussion diplomatique engagée entre les grandes puissances en vue de trouver une solution pacifique au conflit. « Sans déclaration de guerre préalable, elle a envahi des pays neutres et violé des territoires. Sa soldatesque, véritables hordes de barbares, s'est jetée à l'improviste sur la France, notre pays d'adoption, que nous aimons par-dessus tout. « En agissant de la sorte, les Allemands ont foulé aux pieds le droit des gens et méprisé les principes du droit international. Cela ne nous surprend, d'ailleurs, pas de leur part l'Allemand est connu pour son injustice, son impiété, son arrogance, sa violence, sa vanité, ;

sa grossièreté. «

Notre belle France est réputée, au contraire, pour

sa pitié, sa sollicitude pour les faibles, sa compassion. Elle est le

champion de

fraternité,

de l'équité

de l'égalité, de la de la générosité. Elle a répandu partout la civilisation et accompli de grands progrès pour le bien-être de l'humanité. Elle protège les sciences et tend une main généreuse aux peuples dépourvus de moyens de progresser dans l'univers. « C'est en raison de ces belles qualités de la France que Dieu a placé sous son égide les plus vastes colonies, et lui a donné, dans maintes rencontres, la victoire sur ses ennemis la liberté,

et


L'ALGERIE ET LA GUERRE

n8 «

Quelle attitude devons-nous avoir vis-à-vis de

cette nation noble et chevaleresque

que

dirige, vers

des destinées lumineuses, une République vigilante et impartiale? Soyons-lui

toutes nos espérances en

soumis elle.

et

dévoués

Ayons

!

Mettons grande

la plus

confiance dans la puissance de ses armes et l'intrépidité

de ses soldats pour lui assurer la victoire. « Toute défaillance dans notre loyalisme équivaudrait à un véritable suicide, nous agirions comme un fou qui mettrait le feu à sa propre demeure. « Fidèles N'oubliez pas que la France généreuse vous a adoptés. Elle compte sur vous comme sur ses propres enfants. Il vous faut justifier cet espoir par des actes et montrer que vous êtes dignes de vos ancêtres hommes résolus et pleins de bravoure, ils ont accompli des prodiges et mêlé leur sang sur les champs de bataille à celui de leurs frères d'armes français. Leur admirable conduite au combat força l'admiration de l'ennemi. Cela, l'histoire est là pour vous le dire. « C'est à vous qu'il appartient d'augmenter ce lot de belles actions que vous ont légué vos pères et de montrer à l'univers que c'est bien leur sang qui coule !

:

dans vos veines. «

Si notre patrie d'adoption fait appel à vous, soyez

hommes

répondez à son appel. Mettez vos biens En défendant ses droits, vous défendez la cause de l'humanité. « Ne troublez pas l'ordre et la tranquillité. Respectez les mesures nécessitées par les circonstances et so}7ez fidèles à la parole donnée. N'enfreignez pas les des

et

et vos personnes à son service.

lois et «

pas

ayez

le

Redoutez les seuls

respect des droits d'autrui. les

désordres

;

les injustes

qui en souffriraient.

ne seraient


LE CLERGÉ OFFICIEL

MUSULMAN

119

« En tout, il faut considérer la fin. Celui qui ne se soumet pas à cette règle s'expose aux pires consé-

quences. «

C'est

un devoir que d'observer

les

rapports de bon

Que

voisinage et de faire le bien à son prochain.

la

Dieu inspire vos rapports avec vos voisins. Ne vous conduisez pas vis-à-vis d'eux d'une façon crainte de

indigne. «

N'écoutez pas

les

racontars et ne vous

fiez

pas aux

colporteurs de nouvelles plus ou moins fausses.

Ne

vous occupez pas de choses qui ne vous regardent pas. Gardez votre sang-froid et soyez réservés.' « Nous ne saurions trop vous recommander la soumission et l'obéissance, qualités qui vous rendront heureux. «

Ces bons conseils nous ont été dictés par

le seul

souci de votre bonheur. «

Si

vous manquez à ce devoir,

les liens

qui nous

unissent à notre glorieux gouvernement pourraient

en souffrir

;

les

marques de sa

sollicitude

pour nous en

seraient également affectées. Les conséquences d'une pareille situation seraient incalculables et

raient dans l'abîme. celui a

pas «

Ayez

le

nous mène-

souci de vos personnes et

de vos familles.

Ne commettez

point d'injustices, car Dieu n'aime

les injustes.

Ne vous

mains dans Dieu aime ceux qui font

précipitez pas de vos propres

l'abîme. Faites le bien, car le bien.

Abou-Hourira rapporte que l'Envoyé de Dieu le un jour par la main et lui dit « O Abou-Hourira tu ne commets pas d'action répréhensible, tu seras le plus pieux des hommes. Contente-toi de ce que «

prit «

«

:

!


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

i2o «

Dieu t'aura donné, tu seras

«

Fais le bien à ton voisin, tu seras an vrai croyant.

«

Fais pour autrui ce qu'on désirerait qu'on te

«

seras «

plus riche des

un bon musulman. » Le même compagnon raconte, d'autre

Prophète a «

le

dit

qui la réveille.

a

:

La

guerre dort

;

hommes.

part,

maudit

fît,

que

tu

le

soit celui

»

En

août 1914, M. Mouddah Abdelkader ben Sedik, muphti de Mascara, exhorte également en ces termes,

à la grande mosquée, ses coreligionnaires «... Sachez que le peuple allemand, notre ennemi :

commun,

que Dieu

le

précipite dans l'abîme, à

perdition, et fasse qu'il soit vaincu et

abandonné

!

a déclaré la guerre à la France, la bien secourue de Dieu. «

Prions Dieu,

qu'il soit exalté

la victoire à notre puissant

!

d'accorder

gouvernement français

de lui prêter son assistance, qu'il disperse les débris de l'empire allemand aux quatre points du globe, fasse que l'humiliation et le mépris soient son lot et qu'il sème dans le cœur de ses armées la terreur,

et

l'effroi, la

Tous

lâcheté, la nonchalance

!

»

imans de notre colonie expriment les mêmes sentiments, et voici que, pour la première fois en ces heures meurtrières où la France a besoin de l'union de tous les cœurs, pour l'emporter dans la bataille, que les portes des mosquées s'ouvrent solennellement aux chrétiens et aux juifs. Des cérémonies ont lieu, de grandes prières publiques sont organisées où sont invités toutes les autorités civiles et militaires et les représentants des principaux groupements de les autres

l'Algérie.

N'est-ce pas, par exemple, en présence

du Comité


LE CLERGÉ OFFICIEL

MUSULMAN

121

de l'Union des Femmes de France, que M. Lefgoun Zououi ben Mohamed Salah, iman de la grande mosquée de Constantine, déclare au commencement de décembre 19 14 « Nous, musulmans, nous devons. nous coaliser avec la nation française bien-aimée pour la défense de sa cause, avec abnégation et loyauté... « La France, à nos yeux, ne peut être comparée qu'à la pleine lune qui éclaire nos destinées. Elle est la gardienne de notre sécurité et la motrice de notre :

existence... «

Rallions-nous à son drapeau et marchons avec

abnégation et cohésion dans ses rangs pour vaincre ou mourir. Luttons sans reculer contre les hordes qui

cherchent à envahir son sol sacré, et redoublons nos

pour leur écrasement par une victoire éclatante. attendant cette heure solennelle, levons nos mains au ciel et invoquons le Dieu puissant et suprême de sauvegarder notre patrie d'adoption de tout le malheur et de lui accorder la victoire contre ses ennemis malfaisants. « O Dieu daigne exaucer mes prières et confondre nous te prions, ô Seigneur, nous, tes les méchants humbles créatures qui implorons le secours de ta grâce éternelle, de protéger notre gouvernement de la République et de ne pas nous tromper dans nos espérances efforts «

En

!

;

!

Amen! » La France, avons-nous pour

la justice

et

pour

l'humanité la meilleure, phète.

En

le

le

telle

combat en droit,

que

cette guerre

c'est-à-dire

pour

la concevait le Pro-

luttant pour la patrie française, les musul-

mans sont d'accord avec dans

dit,

Coran

:

leurs croyances, car

il

est dit


122

«

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE Dieu que de comcomattaquant les premiers,

C'est agir selon la volonté de

battre ceux qui vous feront la guerre, mais ne

mettez point d'injustice en les car Dieu n'aime point les injustices, » et à tous ceux qui se sacrifient pour la même cause, on peut « Vous êtes tous appliquer la parole du Prophète devenus un peuple de frères. » Frères quels que soient leur race et le Dieu qu'ils adorent, car jamais tolérance n'eut plus large tendresse « Certes, ceux qui que celle qu'établit Mahomet croient (les musulmans) et ceux qui suivent la religion juive et les chrétiens et les sabéens, en un mot, quiconque croit en Dieu et au jour dernier et qui aura fait le bien, tous ceux-là recevront une récompense de leur Seigneur... » et c'est ainsi que, dans les mos-

:

:

quées, les hommes et les femmes indigènes, à l'appel de leurs imans, ont prié pour tous les soldats de la France, morts dans la bataille, fussent-ils chrétiens

ou juifs. Tous sont, en

effet, les

même cause, la même où ils suc-

héros d'une

plus sacrée. Leurs tombes sont là

combèrent. Mahomet aime tous ces vaillants. Lorsque lui-même combattait les koreïchites, au soir de la défaite d'Ohod, « il défendit, ainsi que le rapporte M. Kasimirski, de transporter les morts du champ de bataille pour les enterrer ailleurs, il défendit même de laver leur sang, en disant que les martyrs paraîtront au jour de la résurrection avec leurs blessures saignantes et exhalant l'odeur du musc, il recommanda seulement une prière sur les corps des morts ». Cette prière est maintenant dite, pour les héros français, dans toutes les mosquées de l'Algérie, et toujours revient, en même temps, la plus touchante


MUSULMAN

LE CLERGÉ OFFICIEL pensée que soient protégés tront jusqu'au triomphe.

les

123

vivants qui combat-

M. Ben Mouhoub, muphti malékite de la grande mosquée de Constantine, prie ainsi en novembre 19 14 «... C'est Dieu que nous invoquons, devant qui nous nous humilions, à qui nous demandons de nous diriger dans la bonne voie et d'accorder la miséricorde aux vivants et aux morts Dieu est le plus grand Combien :

î

est «

!

magnifique sa miséricorde

!

Musulmans, vous qui êtes doués de

la pitié et

du

sentiment, vous savez que vos enfants ainsi que les fils

de vos

frères, chrétiens et israélites,

combattent

même

cœur, pour défendre l'honneur du gouvernement de la République française qui actuellement avec

le

aime, plus que tout, le progrès et la paix... «

Ces héros sont contents d'être atteints, car chacun

d'eux préfère la mort à la perte d'une seule parcelle

du

sol national...

Levons nos mains et adressons-nous avec humilité au Dieu à qui aucun secret n'est ignoré, et deman«

dons-lui l'éclatante victoire

et, enfin, la

large miséri-

corde pour les assistants, les absents, les vivants et les morts... »

Comme en décembre 19 15, sur l'initiative des Dames de France, une grande prière était dite en la mosquée de Bougie, pour le repos de l'âme de nos soldats morts au champ d'honneur et pour le succès de la France, le muphti Si Allouache Si M'hamed de qui nous avons rapporté, dans un précédent chapitre, les raisons qui font aimer la France par les indigènes, prononça l'admirable allocution suivante « Louange à Dieu unique Mes frères, la céré:

!

monie à laquelle vous

assistez

si

nombreux au jour-


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

124

d'hui nous permettra d'élever nos cœurs et nos

âmes

vers l'Éternel Dieu et la France, notre patrie. « Nous voulons d'abord dire une prière pour le repos de nos morts, sans distinction de culte et de race, qui

dorment du sommeil éternel après avoir bien rempli champ de bataille nous voulons invoquer ensuite le Dieu tout-puissant pour qu'il étende sa protection sur les armées françaises et alliées, combattant pour une cause juste la défense de la liberté et de la civilisation. Puisse le Tout-Puis-

leur devoir de soldat sur le

;

:

sant affermir leur courage et fortifier leurs rangs. «

Je vous invite donc à lever vos mains suppliantes

et porter

vos regards d'humilité vers

le

Souverain des

cieux et de la terre, pour lui demander, en faveur des

morts de nos armées, sa haute miséricorde, et, pour les vivants qui continuent à lutter sur les champs de bataille, la victoire prochaine sur les hordes de Guillaume, émule d'Attila et de Pharaon. « Ne cessons point de le prier, par l'intervention de tous les prophètes, afin que les peuples de mensonge et de barbarie, indignes de la lumière du ciel, ne trouvent, par le monde, ni influence auprès des États, ni échos à leur voix prions-le avec ferveur, pour que l'empire des tyrans germaniques s'écroule et que ses armées, souillées de sang innocent, se dissolvent au vent de la victoire française, comme la cire au souffle ;

du

brasier.

Ainsi cessera

l'injure

à

la

civilisation

humaine, ainsi sera vengée la civilisation meurtrie. « O Dieu éternel, reçois nos ferventes prières et accorde-nous, pour la patrie en armes, les faveurs que nous espérons de ta sainte bonté !... « O mes frères, qu'a fait l'Allemagne à l'égard des peuples vaincus, non de l'Afrique, mais de l'Europe


LE CLERGÉ OFFICIEL

même «

:

MUSULMAN

125

ceux de Pologne, d'Alsace

Pour

et de Lorraine? domination arroa détruit les écoles où s'en-

établir sur ces peuples sa

gante et tyrannique,

elle

seignait leur langue maternelle,... elle a multiplié les

peines d'amende et de prison pour imposer à tous son

Deutschland

iiber ailes

au mépris du droit

et

de la

conscience universelle... « O mes frères, élevons nos vœux les plus ardents pour la victoire de la France, notre mère, sur ses ennemis, maudits du ciel. « Ne cessons de nous montrer loyaux et dévoués pour elle à l'exemple de nos enfants qui luttent à côté de ses propres enfants, à l'ombre de ses glorieux drapeaux. C'est aux puissants et aux riches à donner l'exemple du grand devoir; les paroles ni l'argent ne suffisent point ceux-là n'auront rien donné à la France, s'ils ne lui ont pas donné le sang de leur chair. « Ayons confiance dans l'avenir, combattons partout l'impatience et le pessimisme qui troublent les cœurs la victoire, qui, déjà, point à l'horizon, ne tardera pas à irradier les nues et à éclairer le monde d'une ;

;

lumière bienfaisante et régénératrice

comme

le soleil

de Dieu.

Vivent la France et ses Alliés Vive son gouverneVivent nos armées Que ces mots soient dans nos cœurs et sur nos lèvres s'élevant en prière fervente vers le Seigneur tout-puissant » Ainsi le clergé officiel musulman d'Algérie se montre, en son grand cœur et en son inlassable dévouement, l'ami fidèle que ne troubla pas la défaite de Charleroi dans la patriotique certitude que suivraient d'immortelles victoires comme celles de la Marne ou de Verdun. «

ment

!

!

!

!


X LES MARABOUTS

Une aube, enfin, commençait à dissiper les ténèbres au cœur des hommes. Il n'y avait plus d'autre dieu que Dieu dont Mahomet était le sublime envoyé. Alors, pour célébrer ce mémorable événement de la religion à jamais fondée et qui devait s'étendre un jour des aux confins de l'Afrique, Mahomet

confins de l'Asie

en pèlerinage à la Mecque. Les fidèles arrivaient de tous les points de l'Arabie pour accompagner celui dont l'œuvre impérissablement sainte avait commencé dans le mépris des uns et dans le blasphème des autres. Ils arrivaient de plus en plus nombreux par centaines et par milliers, et quand le mont Arafat fut tout peuplé de croyants en prière, le sublime envoyé de Dieu invoqua la justice et l'humanité elle-même « O mon alla

:

Dieu, s'écria-t-il ensuite, ai-je rempli

ma

tous les pèlerins répondirent d'une

commune

«

Oui, tu l'as remplie

!

mission?

»

et

voix

:

»

C'était en la dixième

année de

L'œuvre Dieu n'avait

l'hégire.

auguste était pour toujours accomplie

:

plus qu'à rappeler à lui l'homme d'ardente extase à la et d'énergique action qui avait été son plus magnifique serviteur. Quelques mois après, un jour

fois

qui était un lundi, celui entre les épaules

duquel,


LES

MARABOUTS

127

alors qu'il était adolescent, le moine arabe chrétien, du nom de Bahira, avait découvert le signe divin, le « sceau de la prophétie », expirait sur les genoux de sa

chère Aïcha. C'était à Médine, et Médine, gardant

tombeau de l'envoyé de Dieu, devenait monewwereh, c'est-à-dire l'illuminée. Des hommes sont venus dans la suite qui ont eu l'âme illuminée comme la sainte ville gardienne du corps du grand prophète. Dans la lumière bleue qui les imprégnait de toutes parts, ils ont tendu les bras vers l'immensité, car le bonheur et l'ivresse de l'absolu entraînaient leur cœur comme s'ils pouvaient conl'éblouissant

templer face à face

Et

ces

le

hommes,

dieu unique.

fussent-ils

fils

des plus pauvres

laboureurs, n'ayant pour tous garants devant leurs frères

de misère et de céleste espérance que leur foi, au nom même de Mahomet, dont, presque

ardente

toujours,

ils

se sont affirmés les descendants,

— —

et ils

par la pieuse exaltation de leur esprit, ont voulu continuer son œuvre sur la terre, cette même mission que, sur le mont Arafat, tout un peuple de

l'étaient

pèlerins avait jugée

Tous ceux qui

si

bien remplie.

pauvres et les faibles, de ce monde, tous ceux qui étaient épris d'amour infini, de justice, de fraternité, suivaient la lumineuse voie de ceux qui parlaient au nom de Mahomet, se groupaient autour d'eux en disciples et en apôtres, prêts à tout affronter, les pires tourments et la plus horrible mort, quand ces prétendus descendants du prophète le jugeaient souffraient, les

tous ceux dont

le

et l'ordonnaient

au

bonheur

nom

n'était pas

d'Allah.

Ainsi, à l'impérieuse voix des marabouts, toutes les

zaouïas se sont, plus d'une

fois,

farouchement dressées,


L'ALGERIE ET LA GUERRE

128

par le

fer et

par

le feu,

contre la domination

par la révolte et par

même

le

massacre,

de la France. C'est pour-

quoi M. Pourquery de Boisserin a pu écrire, en 1894, dans son rapport à la Chambre des députés sur le budget de l'Algérie « A côté du clergé des mosquées, salarié par le gouvernement, et des médersas subventionnées, existent les zaouïas, qui sont en même temps des lieux de prière, des maisons hospitalières, des écoles. Là s'élève tout ce qui peut être appelé à exercer une influence dans le monde islamique de nos départements africains, iman, khodja, instituteurs, médecins arabes, tolba, marabouts. Ils en sortent pénétrés de l'idée religieuse fanatique dont la caractéristique dominante est le Djehad, c'est-à-dire la guerre sainte perpétuelle, :

sans paix ni trêve

comme

sans merci, contre

dèle. L'infidèle, c'est le Français.

Contre

l'infi-

lui s'ajoute

du vaincu contre le vainqueur et le maître. » Mais la générosité de la France n'est pas de poursuivre d'un inextinguible ressentiment ceux qui ont rêvé et tenté de réaliser l'indépendance de leur pays. Son honneur est de rendre hommage à ces adversaires, très souvent implacables, qui, des monts hérissés de la Kabylie aux plaines mystérieuses du Sahara, ont la haine

lancé le

mot

Sa dignité

d'ordre des plus sanglants soulèvements.

et la conscience

de sa mission

civilisatrice

furent de les combattre, parfois de sévère façon, mais

dès que le sort des armes eut décidé, la France a su se

montrer

qu'à

le

pay, fraternel dont l'indulgence va

jus-

l'oubli.

Devant étudier maintenant la pensée et l'action des marabouts durant cette guerre de 1914-1918, les paroles que le maréchal duc d'Isly transcrivait dans


?H| sa circulaire

à l'esprit «

LES

MARABOUTS

129

du 17 septembre 1844 nous reviennent

:

L'Arabe

est très sensible

n'ai eu jusqu'ici qu'à

me

aux bons procédés

et je

louer de les avoir employés

si on pourrait citer deux ou Arabes ayant répondu aux bons traitements par

avec eux. C'est à peine trois

l'ingratitude. .

Et

voici

»

que ces farouches,

insaisissables et puissants

ennemis d'hier, dès qu'ils ont vu la France attaquée par l'Allemagne, ont montré la noblesse de leur cœur, la fidélité de leur reconnaissance, et, à notre pays en guerre, ont magnifiquement donné sans arrière-pensée l'appui de leur influence religieuse et de leur autorité

morale. C'est tout d'abord Sid Ali ben'Sid

Ahmed

Tidjani,

dont la somptueuse résidence est à Kourdane-Aïn-Mahdi, qui écrit à M. le général Moinier, commandant en chef des forces de terre et de mer de l'Afrique du Nord «... Lorsque j'ai appris que la guerre était déclarée chef de la célèbre confrérie des Tidjania,

:

entre notre puissante nation et ses ennemis, les Alle-

mands, je me suis rendu sur-le-champ, à Laghouat, dans le but de savoir si cette nouvelle était exacte. « Elle m'a été confirmée et je tiens à vous dire que je suis prêt à consacrer tous mes efforts au service de la France et tout mon zèle à l'assister et à encourager tous les habitants de notre région à se lever pour la servir et lui prêter leur concours contre ses ennemis,

en

lui

consacrant leurs personnes, leurs enfants, leurs

biens, et en versant leur les conduire, «

Ils

sang partout où

elle

voudra

j

seront prêts à répondre à votre appel de nuit

comme de

jour.

M


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

130 «

Que

représentants de notre gouvernement ne

les

s'imaginent pas qu'une agitation quelconque puisse se produire «

Non

dans

;

parmi

ils

les

gens de notre région.

sont tous debout pour le servir et lui obéir,

de leur cœur et la pureté de leurs sen-

la sincérité

timents, dussent-ils périr jusqu'au dernier. « Nous demandons au maître généreux d'assister la France contre ses ennemis et de lui accorder la victoire, en quelque lieu qu'elle se dirige... « Nous demeurons fidèles à la parole donnée et nous vous conservons notre amitié sincère... » L'ordre des Tidjania, fondé vers 1780, à Aïn-Mahdi, est depuis très longtemps fidèle à la France, et, dès 1838, Abd-el-Kader voulut lui faire expier son dévouement à notre pays, en assiégeant, durant de longs mois, sa ville sainte. En 1844, lorsque l'armée du duc d'Aumale, ainsi que le rappelle M. Gaston Marguet, dans l'Echo d'Alger du 23 septembre 19 14, se dirigeait vers Biskra pour s'en emparer, tous les chefs des Zibans et du Souf, qui étaient des adeptes de la confrérie des Tidjania, vinrent trouver leur grand-maître pour lui demander conseil sur la manière d'arrêter la

marche des Français « C'est Dieu qui a donné l'Algérie aux Français, répondit le vieux Sid Hadj Ali, alors presque, cente:

naire, c'est lui qui veut les y voir dominer. Restez en paix et ne faites jamais parler la poudre contre eux. »

Malgré toutes

Tes angoisses

qui suivent la déclara-

tion de guerre avec l'Allemagne, les Tidjania ne déses-

pèrent pas du sort de la France et c'est pourquoi

le

de leur zaouïa de Tmassine, Bachir ben Mohamed ben Mohamed Laïd, adresse en juin 1915 l'appel suivant khalife

:


LES MARABOUTS

131

A

nos frères musulmans, à nos fidèles adeptes de à tous ceux qui vivent sous la vigilante protection du peuple français. «

la confrérie Tidjania,

Chers frères,

«

il

n'est point nécessaire d'insister

sur la douloureuse situation qui est faite à l'humanité

par cette épouvantable guerre préparée, voulue et imposée par l'Allemagne l'univers entier est, depuis dix mois, plongé dans des inquiétudes et des tourments sans bornes et il n'est pas un de nous qui ne ressente ou ne subisse les conséquences de ce sanglant :

à l'heure actuelle, il est du devoir de de cœur, de tout concitoyen, d'alléger dans la mesure de ses forces le poids des charges écrasantes qui pèsent 'sur les épaules de notre pays...

conflit. Aussi,

homme

tout

«

Apportons aux autorités

le

concours

la collaboration la plus fraternelle

;

le

plus dévoué,

que chacun de

vous s'ingénie à leur faciliter leur tâche ardue et difficile. Mettons à la disposition de la nation française, autant que chacun de nous peut le faire, non seulement nos biens, mais encore et surtout no^ personnes. En ces temps de luttes et d'héroïsme, l'abandon de notre vie, le sacrifice de notre sang, seront nos plus belles et précieuses offrandes. «

Tournons nos regards vers le ciel, implorons le Très-

Haut de hâter la fin de cette calamité, de cet horrible cauchemar. D'un cœur ardent et pieux, élevons nos âmes et prions Dieu de donner la victoire à nos armées qui combattent pour la civilisation, la vraie, celle qui n'exclut ni le droit ni la justice. Faisons également

des

vœux pour

pour

le

Comme à leurs

les

puissances qui luttent à nos côtés

triomphe de la bonne

et sainte cause...

les chefs indigènes, les

coreligionnaires

»

marabouts déclarent

qu'une des conditions

les


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

32

plus précieuses de l'heure présente est la concorde entre tous. L'exemple doit venir de haut, c'est-à-dire d'eux-mêmes, et c'est une leçon admirable qu'ils donnent au monde que l'oubli même de leurs plus personnelles et familiales revendications.

Un Sid

des marabouts d'A'ïn-Mahdi, Si

Mohamed El

Mahmoud ben

Béchir, est en conflit, au sujet

du

partage de la succession de Si El Bachir, avec son cousin Sid Ali ben Sid Ahmed Tidjani. Mais la France

en guerre et la pensée de la France attaquée doit dominer seule. Si Mahmoud promet donc à l'autorité de ne soulever aucune contestation tant que ne sera pas vaincue l'Allemagne, et il se met au service de notre pays, en allant jusqu'au Maroc rallier à notre est

cause de farouches rebelles.

Et

pas moins grandiose et réconfortant du chef de l'ordre des Rahmania de Seddoukou-Fella, M. Belhaddad Ahmed, allant trouver l'adn'est-il

l'acte

ministrateur de la

commune mixte d'Akbou,

c'est-

pour lui déclarer qu'il se met à l'entière disposition du gouvernement français et l'assurer de son concours, ainsi que de celui de ses adeptes, quand on songe que le marabout Belhaddad Ahmed est le petit- fils de celui qui, s'unissant au chef indigène Mokrani, proclamait en 187 1 la guerre sainte contre la France? C'est la plus grande gloire morale de notre patrie d'avoir rallié à sa cause les fils de ceux qui, comme nous le démontrerons plus loin, s'insurgèrent contre elle, et cette gloire est encore plus magnifique quand il s'agit d'ordres religieux, longtemps si inexorablement fermés à nos contacts. à-dire de sa circonscription,

Et

comme

l'on

s'est

parfois,

même

jusqu'au


LES

MARABOUTS

133

2 août 19 14, étrangement mépris sur

digènes

!

On

beaucoup

d'in-

suspecte de panislamisme militant cet

autre chef de la confrérie des Rahmania, en résidence

Mohamed El Hamel ben

à Souk-Ahras, Si

Azzouz.

Or, dès août 19 14, Si Mohamed El Hamel ben Azzouz adresse à ses frères musulmans la proclamation suivante, qu'il fait ensuite répandre en Algérie à un

nombre considérable d'exemplaires

:

Apprenez que l'Allemagne, ennemie de l'Islam, depuis le sultan Modjir Eddine qu'elle assiégea dans la ville de Damas au sixième siècle de l'Hégire, a déclaré la guerre à la France notre patrie, qui est, depuis l'illustre Napoléon I er l'amie sincère des musulmans. « Cette guerre est une preuve incontestable de la «

,

politique de tyrannie et d'oppression de l'Allemagne.

«

« L'historien et philosophe Ibn Khaldoun a dit Les peuples barbares déchaînent la guerre dans le but de s'approprier ce qui est à autrui. Ils n'envisagent nullement les terribles conséquences de leurs

«

actes, la perte

«

national.

:

« «

«

Telle est la déception qui est réservée à l'Alle-

magne «

de leur royaume et de leur honneur

»

provocatrice.

Vous accomplirez donc votre devoir qui

consiste à

aider la France en lui fournissant tout ce qu'elle

demandera, en vous associant à toutes ses entreprises, en vous rangeant pleins de courage et d'abnégation aux côtés de ses fils. « Vous lutterez âprement et, animés de la résolution de vaincre et de détruire les ennemis de la France qui sont aussi les vôtres, vous contribuerez à assurer l'inviolabilité de son territoire. « Vous ferez cela en retour des innombrables bien-


L'ALGERIE ET LA GUERRE

134

faits dont elle vous a comblés depuis un siècle et qu'elle ne cesse de semer sur cette chère terre algérienne. Ce sera de votre part un témoignage de loyalisme, de fidélité et d'attachement. « La victoire éclatante qui lui est réservée rejaillira en partie sur vous et vous assurera un avenir meilleur

encore. «

Musulmans

!

En

attendant, soyez calmes, évitez

tout ce qui est susceptible de troubler l'ordre public.

Vive la France, vive la République, vive l'Algérie » C'est également un autre marabout rahmania, le cheikh de l'importante zaouïa d'El Hamel, près de Bou-Saada, dans le département d'Alger, qui offre spontanément aux autorités françaises son dévoué concours et, par une circulaire à ses mokkadem, recommande à ses nombreux khouans la plus complète soumission aux lois et la plus grande confiance dans l'issue de la guerre où la France est engagée, et son frère Hadj Brahim donne l'exemple comme lieutenant «

!

de spahis auxiliaires. Les autres ordres suivent la même conduite. Faut-il citer des exemples le cheikh de la confrérie des Chadelia, M. Boukachabia Omar ben Belkacem, qui réside au douar Ouïchaoua, commune mixte de i'Édough, département de Constantine, et dont le père, officier :

de la Légion d'honneur et conseiller général, fut un des plus fidèles amis de la France, écrit au préfet de Constantine « Louange à Dieu qui illustre la souveraineté de notre gouvernement français et le couvre de gloire, qui humilie et couvre d'opprobre quiconque cherche à l'opprimer et qui réserve à la France à tout moment :

des

alliés

et des défenseurs résolus, dignes, remplis

^


LES MARABOUTS pour

'

135

de sollicitude, qui protègent son pays, raf-

elle

fermissent son ardeur, entretiennent et propagent ses idées généreuses... «

envoyé de nombreuses proclamations, entre

J'ai

autres à Philippeviile, à Jemmapes, à Guelma, à la Galle,

à Souk-Ahras, au

Kef

,

et

mes

émissaires ont reçu

Tordre de leur donner la plus grande publicité...

Chaque

«

suivantes «

jour, je rappelle

aux Arabes

les paroles

:

N'oubliez pas les services de la France qui met sa

comme vous mettez votre confiance vous faut répondre à son attente par des actes dignes. Montrez-lui que vous êtes ses enfants, que, parmi vous, il est des hommes loyaux et braves qui se sont dévoués pour elle avec abnégation, jusqu'à lui sacrifier leur vie... Et si le peuple français a besoin de vous, soyez hommes et répondez à son appel avec confiance en vous

en

elle. Il

obéissance et sans arrière-pensée... «

Que Dieu

«

A

l'aide

fortifie la

de ses balles invincibles «

artillerie et la pluie

:

cœur de l'ennemi de ses terribles aux étendards victorieux, dont les rangs

Qu'elle écrase le

bataillons,

sont «

puissance de la France...

de la foudre de son

si

impénétrables

;

Qu'aucun ennemi présomptueux ne puisse conce-

voir l'espoir de les percer

Que

;

peuple français triomphe des ennemis et qu'il réduise son adversaire «

le

!

«

Prions Dieu qu'il maintienne sur nous la souverai-

neté de la France...

Mohamed ben

»

moqquadem de l'ordre des en résidence à Nedromah, département d'Oran, n'approuvait pas la conscription des indigènes Si

Chadelia,

Rahal,


136

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

et suscita bien des difficultés lorsque celle-ci fut appli-

quée pour la première fois. Depuis cette époque, il était quelque peu tenu à l'écart, ce qui lui causait quelque dépit. Mais il tint, dès la déclaration de guerre, à aller, en compagnie du cheikh Mohamed ben Soulmane, trouver l'administrateur de sa commune, et lui dire, encore piqué dans son amour-propre d'être un objet de méfiance « Vous ne me verrez point mettre d'empressement à aller au-devant des nécessités du moment, mais n'oubliez pas, je vous prie, que chaque fois qu'il vous plaira de faire appel à mon concours en quelque moment que ce soit et pour qui que ce soit, vous pouvez compter sans réserve sur mon concours le plus sincère, ne l'oubliez pas, je vous prie. » Le chef de la confrérie de Moulay-Tayeb, Si Ahmed ben El Hosni, chérif d'Ouazzan, se rend dans les principales communes du départernent d'Oran où ses adeptes sont très nombreux, et fait une active propagande à l'effet de provoquei des enrôlements dans les corps de troupes indigènes. Les marabouts Si Ali ben Brahim, de Gouraye, Si Mammar ben Abdallah, de Morsott, les fils du marabout de Guemmar (El Oued) Si Mohammed El Aroussi, dans le département de Constantine, et, entre autres, le marabout « ben Choua », Si El Hadj Aïssa, de Crescia, dans le département d'Alger, observent la même attitude patriotique, ainsi que le marabout de Chellala, Mokhtari (Abderrhaman ben Boulanouar) dont le frère Mokta s'engage dans les spahis auxiliaires. Le cheikh ben Tekhouk, le grand marabout de la région de Bouguirat, dans le département d'Oran, écrit à ses frères Si Abdallah ben Amar, Si Abdelkader ben Khaled et Si Mihoub ben Ali « Que le salut :

,

:


MARABOUTS

LES soit sur

vous

!

Au

137

reçu de cette lettre, chacun de vous

se rendra dans les tribus et les villages de l'arrondis-

sement de Mostaganem et en portera le contenu à la connaissance de nos frères, amis, alliés et affiliés, en leur recommandant d'observer strictement nos recommandations. Faites-leur comprendre, afin qu'ils le sachent bien, que nous sommes entièrement dévoués à la France et que nos sentiments sont bien sincères... » Et comme, à la sous-préfecture de Mostaganem, aghas, caïds et autres chefs se réunissent pour la formation d'un goum qui ira combattre à la frontière, c'est le fils du cheikh ben Tekhouk qui est proposé pour en prendre

De son

le

commandement.

côté, le cheikh el

moqquadem de la secte des

Ammaria, à Constantine, M. Chabi Hadj M'barek ben Cheikh Ahmed Bougherara Bouchakour, conseille à ses coreligionnaires

:

Le gouvernement de la République, nos frères musulmans, nous a traités comme ses fils. C'est le moment de lui montrer notre leconnaissance. Vous ne «

devez pas

faillir

à ce devoir, vous devez aimer la France

et lui apporter tout votre concours. «

Je ne suis investi d'aucun pouvoir

conscience m'oblige,

comme

officiel,

mais

ma

chef religieux, à vous

dicter votre devoir qui, dans les circonstances présentes, est d'aider la

votre disposition.

France par tous

Que

les

les

moyens à

braves accourent sous ses

drapeaux, que les riches viennent en aide aux victimes de la guerre, voilà ce que vous devez faire pour attirer sur vous les bénédictions de Dieu. »

Le grand marabout de Tolga, M. Omar ben Ali ben Omar, proclame à son tour « ... Apprenez que l'Allemagne vient de déclarer :


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

133

injustement la guerre au gouvernement de la République française, qui nous a toujours traités avec bienveillance, justice et équité. «

Notre devoir

est

donc de nous mettre à

la disposi-

tion de la France, de combattre dans ses rangs et de

nous confondre avec l'ennemi commun...

ses enfants,

afin de terrasser

»

De même que les chefs indigènes, les marabouts se mettent à la disposition des autorités pour assurer l'ordre public. En fin avril 1915, c'est aussi grâce à l'intervention du marabout Si Lazhani ben Mazouz que le bandit Boukhatem Naceur, dont les méfaits s'exerçaient dans la région de Morsott et de Boudjabeur, est obligé de se constituer prisonnier, et qu'en mars 19 16, M. Lazari Mohamed ben Mostefa, cheikh de la confrérie des Rahmania à Nef ta, remet à la justice le bandit Zerouali ben Gargah et profite ensuite de son passage à Négrine pour engager certains de ses affiliés religieux à restituer aux nomades du Souf plusieurs animaux dont ils s'étaient emparés quelques mois auparavant. Tous les marabouts assurent la France de leur dévoué concours, qu'ils s'appellent Si Mohamed ben Derrouiche, moqquadem de la zaouïa des Taibya et dont l'influence est considérable parmi les Beni-Menir, les Beni-Mishel, les Beni-Abend et les Beni-Khalled, à l'ouest de l'Algérie, et que, à l'est,

Abdel hafid ben

M'Hammed

de Khirane, Khiari

(Si

ils

s'appellent Si

Lazari, chef de la zaouïa

Mohamed ben Hadj

Lakhdar),

chef de la zaouïa de Si El Hadj Lakhdar ou (Si

Saïd ben

si

Amrani

Messaoud), chef de la zaouïa de Sidi

Boubekeur. C'est enfin le ralliement à notre cause

:

le

marabout


MARABOUTS

LES

139

Barbara, dont la zaouïa du douar El Meddad, com-

mune mixte de

Teniet-el-Hâd, département d'Alger,

avait fait, jusqu'en mi-septembre 19 14, l'objet d'une

Comité de Separmi les indigènes de sa région et des environs il se montre très sensible à cette marque de confiance et son dévouement est acquis à la cause française. M. Fadel Mohamed ben Salah, marabout de l'ordre surveillance spéciale, est chargé par le

cours algérien

»

de

«

recueillir les souscriptions ;

des Hansalis, domicilié à Gastonville, avait,

il

y a

quelques années, prêché la guerre sainte contre la

France

et,

pour

ce, était, lui aussi, l'objet

d'une sur-

bonnes relations avec nos concitoyens s'affirment de plus en plus. Il est à jamais passé le temps où l'amiral de Gueydon, gouverneur général de l'Algérie, écrivait, en fin juin 1873, au ministre de l'Intérieur « ... Le peuple arabe et kabyle est essentiellement guerrier. Au premier signal de ses chefs et marabouts, il court au combat... Nous devons donc prendre des mesures sérieuses et rapides, afin que, si l'éventualité de nouvelles complications venait à se produire en Europe, nous ne soyons pas exposés à avoir suri les bras une autre insurrection qui serait alors d'autant plus terrible et désastreuse que la haine invétérée des veillance spéciale

:

ses

:

indigènes serait incontestablement exploitée avec habileté et succès

combattre.

par l'ennemi européen que nous aurons à

»

L'amiral de Gueydon, dont l'excuse était d'avoir

de 1871 et d'avoir dû énergiquedans ses sentiments, sans écrivait 'encore à la même époque,

assisté à l'insurrection

ment

la réprimer, persistait

prévoir l'avenir.

au

même

Il

ministre

:


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

4o

« ... Il suffit que la voix d'un chef religieux, d'un personnage jouissant d'une influence traditionnelle, vienne, dans un moment de mécontentement ou d'hallucination, rappeler aux indigènes que le temps des épreuves est passé et que l'heure de la délivrance a sonné pour les musulmans. Il en sera ainsi tant qu'il existera en Algérie un marabout, un ordre de khouans

ou une famille féodale importante.

»

Toutes les familles féodales ont été remarquables par la fidélité de leurs sentiments et leur action continue à servir notre pays. Quant aux zaouïas que dirigent les marabouts et qui pour les khouans sont la sainte et belle maison-mère, « elles ne sont pas, comme l'affirment certains auteurs qui ne les connaissent que de nom, des écoles de fanatisme, » dit un des plus admirables et des plus inspirés écrivains de l'Algérie, Isabelle Eberhardt. Celle-ci, qui les fréquenta assidûment, ajoute « Outre l'instruction musulmane, leszaouïas dispensent les bienfaits de leur charité à des milliers de pauvres, d'orphelins, de veuves et d'infirmes :

qui, sans elles, seraient sans asile et sans secours.

Et

elle

»

redevient de la plus haute et véridique actua-

lité l'adresse

que

les

taient à l'empereur

indigènes notables d'Alger remet-

Napoléon

sur la terre nord-africaine

III,

débarquant, en 1865,

:

« Nous approchons respectueusement du trône de Votre Majesté pour protester contre les allégations qui représentent les indigènes de l'Algérie comme une population fanatique et rusée, insensible aux bienfaits

de la France. « Ces exagérations de langage, après s'être traînées dans les journaux les plus passionnés et les moins éclairés

de

l'Algérie,

ont retenti jusqu'à la tribune du


LES MARABOUTS |

ij

;

S

141

Corps législatif. Il n'est pas nécessaire de chercher laborieusement dans le Coran quelques versets qui semblent commander la haine et la guerre contre les peuples non musulmans.

On

sait

que toutes

les reli-

gions croient posséder la vérité et adorer le vrai Dieu j

|

j

I

et qu'elles

condamnent

les

croyances qui diffèrent de de tous de mettre

la leur. Il serait plus utile à l'intérêt

en lumière les paroles de notre Livre saint qui prêchent concorde entre les peuples, qui rendent hommage à toutes les convictions religieuses sincères et qui rappellent aux hommes qu'ils sont les enfants d'un la

même «

Dieu.

Nous ne pouvons que

protester aussi contre ce

qu'on a dit au sujet des confréries religieuses musulmanes (khouans). Ces associations pieuses ont été observées très superficiellement et qualifiées delà façon la plus injuste

quelques

par

les

auteurs qui en ont parlé. Sur

faits isolés, d'après les

réponses d'informa-

teurs ignorants à des questions captieuses, ralisé des incidents particuliers,

on a géné-

sans réfléchir que ces

jugements inconsidérés propageaient la défiance et l'antipathie contre la population musulmane tout entière. « Lorsqu'on voudra y regarder de plus près, on se convaincra que les khouans sont, pour la plupart, de pauvres gens rudement éprouvés par les misères de la vie et cherchant dans les pratiques religieuses une consolation à leurs souffrances. Les associations religieuses ne sont d'ailleurs pas spéciales à l'Algérie et à l'islamisme. Elles existent aussi pour le catholicisme dans tout le midi de l'Europe. On n'a cependant pas encore songé à transformer les pénitents, les congrégations, les confréries catholiques en sociétés secrètes politiques.


L'ALGERIE ET LA GUERRE

U2 «

Si ces accusations étaient vraies, si les zaouïas

de l'Algérie fomentaient incessamment, au nom du Coran, la guerre sainte et la haine des chrétiens, si nous étions les fanatiques qu'on dépeint, croit-on

que notre

race,

dont la

lettre impériale adressée le

6 février 1863 au duc de Malakoff attestait la fierté et le courage,

ne répondrait pas à ces excitations par

des actes de désordre et de violence sur tous les points

du

Aurions-nous laissé les colons européens pacifiquement au milieu de nous, souvent au détriment de nos intérêts les plus chers? territoire?

s'établir

« Le grand cœur et l'esprit élevé de l'empereur n'ont pas été trompés par de fausses apparences, comme ceux qui ont pris la dignité du caractère pour de la ruse et l'attachement aux traditions nationales et reli-

gieuses pour «

du fanatisme.

Aussi, c'est sous l'égide de l'empereur que nous

nous plaçons pour qu'on n'empêche pas les Français de nous estimer et de nous aimer comme nous sommes portés nous-mêmes à les aimer et à les respecter. » Aujourd'hui, c'est sous la maternelle égide de la République qu'ils se placent avec le plus absolu dévouement, et pour qui croit encore aux légendes enfin surannées, appelons-en, une fois de plus, à la plus haute autorité de notre colonie. M. Charles Lutaud, gouverneur général de l'Algérie, certifie le 6 juin 19 16, dans son discours prononcé à l'ouverture de la session ordinaire des Délégations financières «

:

Oui, affirmons-le avec joie, les indigènes ont mani-

de la France le loyalisme le plus comD'aucuns, paraît-il, en avaient douté ceux qui, voyant la Turquie entrer en lice, avaient redouté de festé à l'égard

plet.

:

I


LES MARABOUTS

un entraînement de fanatisme.

la part des indigènes

Mais

si les

143

indigènes d' Algérie sont religieux, *

sont pas fanatiques.

ils

ne

»

Et, pour terminer, le sont-elles, enfin, ces confréries religieuses des

Ouled Sidi Amar, Bou

Aïssaouas,etc,

les

Alia, Khadria,

Aïssaouas qui quelquefois traînent,

à leur suite, des lions apprivoisés et fascinés, disent-ils, par l'influence de leur grand saint Sidi Ben Aïssa, et qui, dans l'embrasement de leur foi exaltée, se brûlent, se lacèrent, broient des épines et les avalent, saisissent et déchirent

avec leurs dents des scorpions et des

vipères et qui, avec leurs

yeux égarés, leurs cheveux au dire d'Emile Mas-

longs, leurs corps torturés, font,

queray, de leur scène religieuse un cercle

même

l'enfer, le sont-elles enfin, fanatiques, toutes ces

fréries qui, ainsi

que

le

rapporte

le

les

emblèmes français

du Bône pour

Réveil bônois

2 août 19 16, se sont rendues à la mairie de

prendre

de

con-

et alliés qu'ils ont joints

à leurs pieux emblèmes en se rendant en cortège à Sidi-Brahim, à l'occasion de la fête de i'Aïd-Seghir?


XI LES JEUNES-ALGÉRIENS

Ce qui fait la noblesse de la France en Algérie, que son droit de conquête n'est pas basé sur la force matérielle. La France a trop de souvenirs généreux et de triomphes désintéressés comme ceux de La Fayette allant assurer par delà l'Océan l'indépendance américaine ou ceux des soldats de Napoléon III franchissant les Alpes pour établir fraternellement c'est

l'unité nationale

en

Italie

tions idéalistes qu'elle

a,

;

elle

a trop de pures concep-

sans cesse, mêlées, à travers

son histoire, à ses conceptions humaines, à l'idée qu'elle se fait de la civilisation et du progrès, pour ne pas trouver en chaque individu un être susceptible de

penser et de s'abreuver aux sources inspiratrices de

son génie. Voilà pourquoi toute conquête française

est,

par-

une conquête morale et pourquoi la sublime mission de notre patrie est, à travers le monde et principalement à travers les pays où passe son drapeau, une mission d'affranchissement d'esprit et de dessus tout,

relèvement intellectuel.

La propagation de notre enseignement dans le nord de l'Afrique, ce n'est pas le flambeau porté dans les ténèbres de l'Islam, car l'Islam avant eu, à travers


LES JEUNES-ALGÉRIENS

145

beauté de sa haute culture, n'a pas d'obspour une renaissance de la pensée, l'espérance d'un peuple que l'on réveille dans l'épanouissement de tout ce que la France a de supéles siècles, la

curité, c'est l'acte fraternel,

d'amour pour le cœur, de liberté humain. Propager notre instruction, c'est battre, indéfectiblement et pour jamais, le rappel de toutes les âmes au foyer de la France et rieur

pour

l'esprit,

et d'égalité

c'est

pour

l'être

éternellement assurer, de ce côté de la Méditer-

une Algérie vraiment française. Des jeunes gens, indigènes algériens, dont

ranée,

les

pères

vivaient dans l'immuabilité des choses de leur race,

ont rejeté le manteau que le passé appliquait jalousement sur leurs épaules, et, attirés par l'irrésistible prestige du génie de la France, comme jadis Christophe Colomb et Vasco de Gama par l'éblouissante tentation des terres nouvelles, sont accourus parmi nous à la découverte de tout ce qui fait grande l'intelligence française et incomparables la dignité élevée et la noble indépendance de notre conscience nationale. La France les a accueillis dans toute sa ferveur maternelle parce qu'ils étaient, parmi leurs coreligionnaires, les hérauts annonciateurs d'une ère nouvelle elle leur a prodigué toutes les fleurs de son âme ;

tous les trésors de sa pensée.

et

«

Nous

leur avons, dit

M. Victor Trenga, parlé de

conscience humaine, de droits et de devoirs indépen-

dants du droit divin, basés sur distributive et de libre arbitre la

pensée

ditions,

;

les notions de justice nous leur avons montré

libre, s'affranchissant

nous leur avons

fait

des dogmes et des tra-

toucher du doigt la réalité,

la nécessité des droits imprescriptibles

du

citoyen.

de l'homme et

»

10


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

146

Ils se sont, dit

encore M. Victor Trenga,

ces idées nouvelles

»,

et

ils

«

grisés

de

ont regardé autour d'eux

de la cité agonisante parce qu'elle ne correspond plus aux temps modernes et dans laquelle leurs êtres chers vivent en la mélancolie du dernier la tristesse

rayon d'un soleil finissant. Ils se sont penchés sur leurs frères de misère pour les appeler à la lumière, à l'instruction, le doux lait de la France maternelle et parce qu'ils ont eu le dévouement et le courage de vouloir attirer leurs coreligionnaires hors de l'atmosphère traditionnelle, ils sont, en notre Nord- Africain, devenus les apôtres des temps nouveaux, de l'âme islamique se fondant indissolublement, de l'Atlantique au golfe de Gabès, dans l'âme française, comme jadis l'âme chrétienne, des mers du Nord au golf e de

;

Lion.

Sans doute, dans l'ivresse de leur liberté et leur de cette même justice ardent amour de la justice, qui est le glorieux et rédempteur apanage de la France,

ils

se sont laissés parfois aller à des écarts, mais

quel novice a la prudence calculée des esprits expéri-

mentés? Ils ont quelquefois employé de vives paroles, mais est-ce qu'en Algérie, comme dans la métropole d'ailleurs, l'impétuosité des mots a causé quelque crainte?

du caractère de

Il est

la France,

dans sa rédemp-

tion des peuples et dans l'ascension qu'elle veut leur favoriser, de

ne pas se

laisser

émouvoir par quelques

heurts ou par quelques désillusions. M. Charles Lutaud,

Gouverneur général de

ment à

la tribune

l'Algérie, l'expliquait très noble-

de la Chambre des députés,

vrier 1914, en sa qualité de commissaire

nement

:

le

9 fé-

du gouver-


LES JEUNES-ALGÉRIENS «

Il arrive parfois

qu'un enfant ou un

147

homme impar-

faitement éduqué est grisé par le grand air et par

l'es-

de formules sonores, une sorte de vertige s'empare de lui et engendre quelquefois des états d'âme pour lesquels je suis, personnellement, plein d'indulgence, pour lesquels d'autres se montrent pace

;

il

est enivré

plus sévères.

On

va, parfois, jusqu'à qualifier certaines

manifestations d'esprit qui se produisent chez ceux qui ont été imparfaitement éduqués. Je crois que c'est là

un mal passager. Il «

ajoutait

La

»

:

reconnaissance est un fruit très lourd à porter

pour une

pas encore assez vigoureuse; nous recueillons quelques manifestations d'ingratitude de la part de ceux qui pourraient nous être le plus dévoués, nous avons lieu de penser qu'à la seconde génération, ces hommes seront plus clairvoyants, qu'ils seront plus justes pour la souveraineté française et nous ne devons pas les condamner et

si,

tige qui n'est

parfois,

d'emblée.

»

Mais tous protestent de leur dévouement à la France. M. le docteur Belkacem Bentami, conseiller municipal d'Alger, chef de la délégation des Jeunes-Algériens à Paris, ne certifie-t-il pas, en juillet 1912, à toute la presse de la capitale « Tout d'abord, nous tenons à déclarer que les musulmans d'Algérie sont prêts à remplir, vis-à-vis de la mère patrie, tous leurs devoirs de patriotes. » Ne dit -il pas à M. Raymond Poincaré, président de la République « La délégation musulmane algérienne vous est profondément reconnaissante du grand honneur que vous avez bien voulu lui faire en lui permettant de venir :

:


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

43

présenter ses

hommages respectueux au

chef de l'État.

Elle saisit cette heureuse occasion avec le plus grand

empressement pour vous exprimer tout le respect et le dévouement que les musulmans français de l'Algérie professent pour votre personne et vous

tout

assurer de leur loyalisme et de leur inaltérable attache-

ment à la France

et à la République.

»

même époque

que M. Bentami verse, à Paris, la somme de 29 896 francs produite par la souscription ouverte par le Comité Central indigène d'aviation et qui doit servir à la construction de deux aéroplanes auxquels on donnera le nom de « Musulman C'est à la

français

».

M. Mokhtar Hadjsaïd, avocat à Châteaudun-duRhummel, n'écrit-il pas, en fin janvier 1914, à M. Servier, rédacteur en chef de la Dépêche de Constantine : « Nous sommes, nous, tout simplement, de JeunesFrançais musulmans, et nous ne voulons pas être autre chose. Dans ces conditions, il est à peine besoin de déclarer que tous ceux qui sont les adversaires de notre patrie sont nos pires ennemis, quelles que soient leur nationalité ou leur religion... « Je combats ouvertement vos opinions parce que j'estime que lu Dépêche de Constantine est injuste et qu'elle est surtout de nature à semer la haine et la discorde entre Européens et indigènes, deux éléments qui sont faits pour s'entendre, vivre en paix et travailler en commun pour la prospérité du pays et la grandeur de la patrie. » Or l'Allemagne, orgueilleusement confiante dans la savante préparation de ses plans militaires, dans son audacieuse puissance et sa patiente et habile propagande, déclare la guerre à la France. Tout aussitôt,


LES JEUNES-ALGÉRIENS les

149

Jeunes- Algériens suivent l'élan de leurs cœurs et

sont parmi les premiers à se resserrer autour de la

France attaquée, en proclamant leur haine de l'Allemagne. M. Sadek-Denden, directeur de l'Islam, écrit « Notre devoir de musulmans loyalistes profondé:

ment attachés aux tracé

:

tous,

institutions républicaines est tout

comme un

seul

homme, nous devons

faire

face à l'ennemi teuton et seconder de toute la force

de notre âme les trois couleurs a triompher du soudard allemand... « L'Allemagne, dans ses conceptions chimériques, rêve de faire de l'Algérie une colonie allemande, mais il y a loin, dit la sagesse "des peuples, de la coupe aux lèvres, et c'est à nous, musulmans algériens, par notre courage, par notre esprit d'abnégation, à démontrer aux assassins de Samain qu'ils se sont trompés d'adresse et qu'aussi bien Français qu'indigènes défen-

dront leur sol jusqu'à la dernière goutte de leur sang.

»

Par l'organe de leurs présidents. Ml le docteur Belkacem Bentami et M. Sarrouy, les sociétés la Rachidia, l'Union franco-indigène et laToufikya adressent

à leurs

membres

l'appel suivant

:

Les conditions actuelles imposent aux indigènes, enfants de la France, des sacrifices en rapport avec les «

circonstances. a

Frères musulmans, vous qui avez fraternisé jus-

vous qui avez bénéficié comme eux des avantages consentis par la mère patrie, votre devoir est tout tracé « Tout pour la France » M. Mahmoud Mouhoub, d'Alger, qu'un député de notre colonie, M. Broussais, avait mis en cause à la tribune de la Chambre, fait parvenir à Mme la Préqu'ici avec les Français,

:

!


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

150

Femmes de France une somme de cinq mille francs destinés aux soins à donner aux blessés de la guerre, donnant par là un exemple qui sera admirablement suivi par tous les indigènes. Le Rachidi, qui, ainsi que nous l'avons dit plus haut, avait avec spontanéité répondu à la proclamation du 6 août 19 14 du Gouverneur général, expose dans son numéro du 28 août de la même année « Les nombreux musulmans algériens que l'instruction, répandue par la France, met à même de lire et de comprendre commentent et flétrissent comme il convient la conduite de nos ennemis ils expliquent autour d'eux le rôle odieux de l'Allemagne qui a tout d'abord commencé à faillir à sa propre signature en violant la neutralité de la Belgique qu'elle s'était engagée à respecter et à faire respecter. Ils savent d'avance la condition misérable qui leur serait faite si, par impossible, notre généreuse France devait succomber. » Sans doute., il est, parmi les musulmans, comme d'ailleurs parmi d'autres, des pessimistes, des mécontents ou des gens intéressés à répandre certains bruits. Mais, n'est-ce pas le Rachidi qui, en fin octobre 19 14, sidente de l'Union des

:

;

prévient

:

Depuis le commencement de la guerre, on a pu constater que les nouvelles les plus fantaisistes concernant les hostilités sont lancées par des personnes certainement hantées par l'esprit du mal. Les auteurs de ces bruits sont passibles du conseil de guerre une récente circulaire du gouvernement est venue «

:

rappeler à ces langues trop longues les peines qu'elles

encourent.

»

L'établissement

des listes de

recensement de

la


LES JEUNES-ALGÉRIENS

i

5

ï

de 19 15 donnant lieu à certaines difM. Mokhtar Hadjsaïd, avocat, s'empresse, en mi-septembre 1914, d'expliquer, dans une conférence à la salle des fêtes de la commune mixte de Châteaudundu-Rhummel, le mécanisme de la loi à ses coreliclasse indigène ficultés,

gionnaires et dissipe, ainsi, toute regrettable émotion. « pays de lumière et terre de liberté », proclament les Jeunes-Algériens, qui a fait que, « sur les bancs de ses écoles, ils ont acquis la dignité qui convient à des hommes libres ». Elle les a fait « sortir de leur sommeil léthargique, de leur ignorance pour les faire marcher vers la civilisation »,

C'est la France,

comme

la

comme

l'écrit le

Rachidi.

Aussi ressentent-ils tout ce qui porte atteinte à cette <t

mère chérie

».

Les Allemands ont donné la mesure

de leur culture en incendiant Louvain et Malines, en détruisant la cathédrale de Reims. Les Jeunes- Algériens ont été blessés dans tout l'amour de l'art et des belles choses

que

la

France leur a inculqué.

Eux

aussi

marquant

protestent contre les grossiers vandalismes,

du « pays de lumière », et de leur sommeil léthargique

ainsi qu'ils sont dignes

qu'ils

sont bien

et

«

sortis

leur ignorance

Le 3 octobre

de

».

1914, en effet, l'Islam écrit

brûlé, détruit, pulvérisé la

:

«

De

quelle

Allemands qui ont cathédrale de Reims, poème

excuse pourront jamais s'abriter

les

de pierre, cerveau du passé, cœur qui protégeait, réchauffait, réconfortait, de son palladium, des blessés ennemis, âme élancée d'un jet vers le ciel et qui exprimait et une foi et une race Quelle excuse à ces êtres de destruction?... « O musulmans, qu'auraient-ils laissé de vos minarets, de vos mosquées, de vos médersas, de votre art !


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

152 si

de tout ce qui est votre

délicat,

foi,

votre âme,

votre pensée, ces destructeurs? Qu'auraient-ils

laissé,

pour assouvir leurs instincts barbares, les Gœben et les Breslau, de nos belles mosquées, des admirables mosquées d'Alexandrie, de Tunis, d'Alger,

eu

s'ils

en avaient

le pouvoir?... «

Et vous aurez

été,

ô

hommes du

Livre,

parmi

les

meilleurs bras choisis par Dieu pour anéantir cette race

de malédiction Soyez fiers, ô musulmans d'Afrique Soyez fiers, ô musulmans français » De son côté, le docteur Morsly, un de nos plus érudits indigènes, écrit dans le Républicain de Constantine, le 8 octobre 19 14 «... Les Teutons ont donc détruit pour le plaisir de détruire, comme ils ont fait pour Louvain, Malines et Reims. C'est pour assouvir leurs instincts de bêtes fauves qu'ils ont détmit brutalement tous ces chefs!

!

!

:

d'œuvre, toutes ces richesses amassées à grands depuis des

siècles. Ils

ont

fait disparaître

frais,

en un clin

d'œil tous ces trésors qui faisaient l'admiration et l'orgueil

du monde

l'univers

puisqu'ils

entier, qui

appartenaient à tout

représentaient

toute la science humaine et que

tous

celle-ci

les

génies,

n'a pas de

patrie... «

Chose étonnante, ce sont

mêmes

ceux-là

les

Allemands, c'est-à-dire

qui osent se qualifier d'être à la tête

de la civilisation et du progrès, qui se montrent

le

plus acharnés après leurs victimes, qui commettent

le

plus d'excès,

le

plus d'ignominies. Leurs actes, dont

auraient honte les plus arriérés, sont réprouvés par le

monde

entier parce qu'ils les ravalent

les plus

immondes...

au rang des bêtes

»

Ainsi, les Jeunes-Algériens, qui, grâce à la France,


LES JEUNES-ALGÉRIENS ont marché vers la civilisation

153

en déplorant la une autre relitrès haut exemple de tolégion que la rance et de concorde pour tout ce qui touche au patrimoine de notre patrie et de la patrie opprimée qu'est «

monuments leur, donnent un

destruction de

»,

glorifiant

la Belgique.

Cet exemple d'union sacrée, étendu aux personnes mêmes, dès

l'ont

ils

d'ailleurs

premier jour de la

le

mobilisation.

M. Sadek-Denden écrit dans l'Islam : « Pour Dieu, pour nos foyers, pour nos biens, pour la patrie enfin, oublions nos mesquines querelles d'hier trêve à nos zizanies pour ne former avec nos frères français qu'un faisceau puissant et indissoluble, capable de mener nos troupes, fraternellement unies dans un seul et héroïque élan, à la victoire finale. » Le Rachidi imprime de son côté « Plus de partis Coopérons tous à la victoire et unissons-nous pour rendre au pays l'Alsace et la Lorraine. Musulmans d'Algérie, nous devons, avec les Français, nos frères, ;

:

avoir le

même amour

lonté de vaincre

La

;

de la patrie

commune

et la vo-

plus de divisions, plus de discordes

!

»

Rachidia, l'Union franco-musulmane et la Tou-

fikya conseillent à leurs

influence

auprès

qu'ils soient

diligents et

De

!

de

membres

:

«

Usez de votre

vos coreligionnaires

en toutes circonstances

les

loyaux des autorités françaises.

nobles cœurs reconnaissent

le

et

faites

collaborateurs «

mérite des Jeunes-

Algériens,

Comme

à la séance du conseil municipal de Cons-

M. Christofle, en s'adres« Il n'y musulmans, déclare

tantine, le 17 octobre 1914,

sant à ses

collègues

:

a plus de différence entre vos enfants et les nôtres,


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

54

puisque tous combattent pour la défense du sol franà tous ces vaillants fils de la France, je vous propose d'adresser l'expression de notre admiration et de notre reconnaissance », M. Morinaud, maire, tient à approuver les paroles de son collègue et çais. Aussi,

à faire remarquer que « l'attitude des indigènes, toute d'attachement et de dévouement à la mère patrie, est la plus noble justification de l'œuvre accomplie par la France depuis près d'un siècle dans le nord de l'Afrique elle a su se faire aimer des indigènes », car il a pu personnellement apprécier beaucoup de ces ;

indigènes cultivés et lettrés.

Et en

c'est

fin

l'honneur de son esprit de justice d'exposer,

janvier 19 17, à la délégation de la Commission

des Affaires extérieures de la

Chambre des députés les incidents du

venue en Algérie pour enquêter sur Sud-Constantinois qui l'ont réfléchi «

les

On

ému

et sur lesquels

il

a

:

a trop négligé les jeunes indigènes instruits.

a souvent traités

comme

On

des ennemis publics.

Je n'ai jamais pu obtenir une modeste décoration telle les palmes académiques pour un docteur en méde-

que

conseiller municipal de Constantine, tel que M. Moussa. M. Kaiafa Medjoub, vieux professeur du lycée de Constantine, naturalisé français, n'a jamais eu la décoration de la Légion d'honneur tant prodiguée aux cheikhs et aux cadis. Même observation pour M. le docteur Morsly, de Constantine, et tant d'autres. « Chaque fois qu'un indigène instruit et indépendant s'est présenté aux délégations financières et au conseil général, il a été combattu avec acharnement cine,

par l'administration qui n'a jamais eu qu'une pensée, faire entrer dans nos assemblées des gens ne parlant


LES JEUNES-ALGÉRIENS

même .pas

le français. C'est là

155

une politique indigène

détestable qu'il convient d'abandonner complètement.

Sans

sacrifier les

jours bien servi,

«

il

vieux -turbans

tinctions et d'honneurs

Nous aurions

lectuels.

dans

le

M.

le

qui nous ont tou-

aux indigènes algériens intelun solide appui de plus

ainsi

milieu indigène

Comme

»

faut réserver une «juste part de dis-

»

docteur Bentami, conseiller municipal

d'Alger, président de la délégation des Jeunes-Algériens à Paris,

s'embarque pour

la

France en qualité

d'aide-major, M. de Galland, maire, lui écrit «

Mon

cher conseiller et ami.

:

Au moment

où,

appelé par la confiance du gouvernement à soigner nos

concitoyens indigènes blessés, vous allez vous embarquer, je tiens à vous adresser, au

lègues de la municipalité et

sentiments de

commune

du

nom

de tous

les col-

conseil municipal, nos

sym-

fraternité et de cordiale

pathie.

de votre mission, vous dont vous nous avez déjà donné des preuves et, à ce propos, je me fais un devoir de reconnaître avec quel louable empresse«

suis sûr qu'au cours

Je

apporterez

le

même dévouement ;

ment vous vous

de concert avec vos collègues, malheureux de la commune d'Alger. Je vous souhaite bon voyage tous nos vœux vous accompagnent. » êtes,

employé à secourir

les indigènes

;

Ce mérite que l'on reconnaît

ainsi à

vos coreli-

gionnaires, la France vous le reconnaît aussi, capi-

taine émir Khaled, petit-fils d'Abd-el-Kader

;

aides-

majors Belhandouz, Meridi, Morsly, Moussa, BouloukBachi à vous, agrégé de l'université et professeur au ;

lycée d'Alger, Saoulah, caporal fourrier

aux zouaves

à vous, instituteurs ou moniteurs indigènes

:

;

Dennoum,


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

56

Kouadi, Amhis, Azouaou, Tehamine, Mahed, Tirouche, Boudekhil, Àmmena, Riabi, Bilek, Saïdi, Mostefa Garadelli, Taïf, Younès, Maabed, Abderrahim, Saadi, Alim, Medjoubi, El-Aïd, Chenikar-Saïd, Benmostefa Mohammed, zouaves ou tirailleurs lieutenant-colonel Kadi, ;

capitaine

Diimi,

Guennoum.

lieutenant

lieutenant

Benbacite,

Tabti,

lieutenant

sous-lieutenant

loudj, officier interprète Tabti

fils,

Mou-

aviateur Hadj ou

Saïd; avocats Enfâa Djouadi, Abdesselam Mehana, Teleb Abdesselam, artilleurs; ingénieur électricien Achour, soldat du génie; étudiants en médecine

Maachou Hadj ben AbdeLkader auxiliaires

;

étudiant Kessous

médecins

et Askri,

lycéens

;

Kheddar

et

zouave Metahri Sadek, spahi Chennouf, et à vous, Rachidi, qui faisiez connaître en « Le Rachidi suspend sa publication mi-août 19 14 nos rédacteurs et une jusqu'à la un de la guerre partie du personnel de l'imprimerie ont été appelés par la mobilisation pour remplir un devoir sacré » et « Tous, pour la France!... Haut les qui ajoutiez « cœurs Vive la grande France En avant » En avant aussi, tous ceux dont nous n'avons pas cité les noms pour ne pas faire trop longue cette énuStambouli, tirailleurs

;

:

:

:

!

!

!

mération. Capitaine Khaled, digne figure qui émerge au-dessus de tant de figures nobles cependant, vous êtes le symbole franco-indigène du devoir accompli. Vous vous êtes superbement distingué au front, ainsi que l'attestent la croix de guerre avec palmes et étoiles et la rosette de la Légion d'honneur qui brillent sur votre poitrine. Petit-fils

de celui qui, avec tant de fière dignité, et qui se raJlia pour jamais à elle

combattit la France


LES JEUNES-ALGÉRIENS quand

il

157

eut compris que sa puissance militaire, dont

pu triompher, s'unissait à la plus haute beauté morale et à la plus fraternelle générosité pour

il

les

n'avait

vaincus remplis de vaillance et de sentiments qui

forcent l'admiration

du vainqueur, vous avez donné à

votre pays adoptif votre lot d'énergie, de courage et

de souffrances. Nous vous avons vu, amaigri et pâli, à l'hôpital Maillot d'Alger, le cœur toujours débordant d'indomptable espoir pour la France dont la pensée, en vous, se confond si magnifiquement avec celle que vous avez pour tous ceux de votre race. Dans le pavillon des officiers, ancienne maison de plaisance construite par BabaHassane, yers 1760, au milieu des jardins et devant Méditerranée resplendissante sous l'éclat du soleil, vous nous avez dit votre confiance en l'avenir, malgré les désillusions causées par ceux qui ne veulent pas connaître le fond de l'âme si sincère et si reconnaissante de vos chers coreligionnaires, et vous en appeliez à plus d'équité et de sagesse de la part de ceux qui dénigrent si inconsciemment le monde musulman algérien, et à plus de lumière pour tous les vôtres, à plus d'instruction, à tout l'enseignement français qui fera des indigènes nord-africains des êtres pensants et la

dignes.

Et vous avez raison il ne faut pas se laisser abattre par l'âpre égoïsme des uns et par la médisance des autres. Calomnier les bienfaits de l'instruction fran:

même

de la France en notre de son génie, le rayonnement de son amour, c'est désespérer de tout progrès et de toute civilisation. Mais c'est déjà pour vous la plus touchante récomçaise, c'est nier la

mission

sol natal africain, c'est nier l'attraction


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

53

pense que de vous voir compris et approuvés par des patriotes qui ont, au-dessus de toute compétition per-

sonnelle et de tout appétit de caste, le souci de la

France en Afrique. M. E. Bresson, rédacteur en chef du Petit Tlemcénien, écrit, en effet, très justement, le 10 septembre 19 14 a Aujourd'hui, instruits dans nos écoles, dans nos lycées, dans nos universités, une importante cohorte :

d'indigènes qui ont appris à connaître l'histoire française

par

ses hauts faits de gloire, sont à

même, par

des comparaisons faciles à établir, d'apprécier que les

musulmans ne sauraient accorder leur sympathie leur dévouement à d'autres qu'à la France. «

Les indigènes

Algériens

»,

lettrés,

et

que nous appelons les « Jeunesune belle mission

ont, à l'heure qu'il est,

à remplir auprès de leurs coreligionnaires. Cette mission,

ils

la remplissent déjà

d'un mouvement spontané,

en proclamant bien haut que la France est leur mère d'adoption et que, dans

les circonstances

graves qu'elle

traverse, tous les indigènes d'Algérie doivent se dévouer

pour

elle.

Aussi, voyons-nous, grâce à cet enthousiasme,

se manifester partout des actes de loyalisme qui se

traduisent par un profond respect des personnes et des propriétés, par la constitution de comités de secours et surtout

Et

par des engagements dans notre armée.

suprême

»

Les soldats musulmans qui sont prisonniers en Allemagne sont en butte à toutes les -sollicitations pour qu'ils abandonnent la cause de la France et pour qu'ils s'engagent dans les rangs de l'année turque. Chacun d'eux voici

,1a

et plus belle consécration.

a un dossier spécial.

M. Taouti ben Yahia, fils du caïd de Tadjmout et descendant de l'illustre famille de Ben Salem qui fut


LES JEUNES-ALGÉRIENS

159

maître de Laghouat avant l'occupation de cette ville par les Français, rapatrié en Algérie le 15 juin 1917 après avoir été blessé et fait prisonnier le 12 octobre 19 14, nous dit à ce sujet «

:

Nous apprîmes que nos réponses

étaient notées

:

mauvais, susceptible, jeune-algérien, etc., ce terme de jeune-algérien signifiant resté fidèle à la France. » bon,

:


XII LE PEUPLE INDIGÈNE

Parce que toute l'ardeur qui nous anime, tout

l'idéal

qui nous soutient nous font sur ce sol africain inces-

samment songer après celui du et

comme

le

à la France,

ciel,

comme

le

plus beau

royaume

disaient les poètes anciens,

proclame, de nos jours,

le

monde

entier,

du dévouement, de l'honneur, de l'altruisme, civilisation et du progrès pour tout le genre

la terre

de la humain, parce que notre sincère exaltation est de voir, chaque jour, la France accomplir la rédemptrice mission qui fait d'elle la nation élue pour être la généreuse

ou la patrie de toutes les patries, parce que nous avons l'indestructible et enthousiaste certitude que les peuples ensommeillés trouveront leur plus magnifique réveil dans la clarté française et que les peuples qui se fanent dans la misère, la faiblesse ou l'oppression trouveront leur plus complet épanouissement dans le bien-être, dans la puissance et la liberté qu'apporte la France à l'univers, parce que notre unique ferveur, brûlante, dans notre âme, comme la plus pure des flammes divines, est de voir la France

inspiratrice

d'autant plus belle qu'elle est plus rayonnante, d'autant plus respectée et plus forte qu'elle est plus grande,

nous aimons, de tout cœur

et

de toute espérance


LE PEUPLE INDIGÈNE

161

nous considérons nos égaux de demain, tous ces millions d'indigènes dont l'âme admirable fit la conquête de leurs vainqueurs même, si bien que ce*sont les Bugeaud, les Changarnier, les Saint-Arnaud, les Lamoricière, les Du Barail et les Margueritte qui se sont faits devant leur propre pays les garants de leurs vaincus. d'awmir, notre terre

comme

algérienne,

comme

nos frères de toujours,

Soldats, c'est-à-dire les héros les plus désintéressés,

ne mourant que pour l'honneur et la beau rêve matérialisé qu'est la patrie, ils ont livré maints combats aux Arabes et aux Kabyles, et voici que musulmans et Français se sont reconnus par leur nature chevaleresque, leur mépris de la mort ne vivant

gloire

de ce

et

si

et leur courage.

Leurs âmes pareilles se sont éprouvées par la », dit Emile Masqueray, et ce dernier en est si convaincu qu'il certifie ensuite « Aghas et généraux, «

guerre

:

caïds

et

capitaines,

hommes que

je viens

spahis et chameliers,

tous ces

de voir n'ont pas été vainement

forgés et soudés ensemble, tout

un arsenal de

force et

de courage n'a pas été rempli pour que les portes en restent fermées... Une heure sonnera dans laquelle nous

comme par une empire africain qui nous

serons secoués et poussés en avant,

main puissante, vers

cet

attend depuis quarante ans.

»

France est en Afrique. L'avenir de fait qu'Onésime Reclus, clairvoyant qui ce C'est esprit, demeure optimiste malgré les inquiétudes causées en 1914-1915 par la guerre que l'Allernagne a déchaînée, et, optimiste, il le reste à jamais à cause de l'Afrique même. Il voit surgir de son sein toute une France nouvelle, « la France future, une France à la la


L'ALGERIE ET LA GUERRE

i62

population innombrable, une France puissante, riche, prospère, magnifiquement jeune et vivace et qui déjà s'élabore dans l'immense creuset

cain

du continent

afri-

».

Nord- Africain sera pour la France bien plus pour Rome. Il donna à cette deinière toutes ses richesses matérielles, ses épis de blé

Tout

qu'il

si

ne

le

fut, jadis,

épais et

si

lourds qu'ils suscitaient les cris d'admi-

i

.

ration de la Ville Éternelle, le sang rouge de ses vignes

sang d'or de ses olives, toutes ses céréales et tous que son sol fut merveilleusement mis en valeur, il devint le grenier du pays des Césars. De jour en jour, ce Nord-Africain sera beaucoup plus pour la France, car il est aussi dès à présent le grenier de millions d'êtres humains, dont les fils travaillent aujourd'hui à sa défense et travailleront, demain, à la reconstitution de ^es villes envahies. Car ces Arabes sont, de moins en moins, ces nomades dont les chevaux légers n'avaient dans leur course rapide, pour limite, que l'horizon, toujours fuyant ils sont, de moins en moins, ces derni-sédentaires dont la patrie était où se fixait, jusqu'à un hasard nouveau, car ces Kabyles sont, de moins la mouvante tribu en moins, les montagnards liés à leur rocher natal, car les temps s'accomplissent et la France est venue qui a introduit parmi eux ses plus rudes fils du Languedoc, du Dauphiné, de la Provence, qui a tracé des routes et le

ses fruits et, parce

;

i

;

;

et des voies ferrées, qui a établi l'ordre et a assuré

nomade, est plus tranquille dans les chemins déserts où passent, seules, les caravanes et, s'il est devenu plus sédentaire, il est plus heureux dans son commerce, à l'abri des incerla paix, et l'Arabe, s'il est encore

titudes des lendemains pillards

;

et le

Kabyle, malgré

(

!

i


LE PEUPLE INDIGÈNE

163

son amour pour la montagne, descend dans la plaine et peut, dans la certitude que tous les siens ne sont plus en danger, donner libre cours à son humeur aventureuse en parcourant le monde.

Tout ce bien-être, même si relatif qu'il soit pour mais plus assuré qu'il ne le fut jamais, cette

certains,

liberté et cette paix féconde, tous ces bienfaits, l'indi-

gène, fût -il le plus ignorant, sent,

ment,

qu'il les doit à la France. Il

même

instinctive-

a appris à aimer son

Algérie plus belle et plus tranquille, l'Algérie dont la face a été complètement renouvelée et qui est devenue la

France elle-même.

sommes nés, où sont où il y a identité d'intérêt en même temps que d'idéal, où l'histoire se fait de plus en plus pour tous les êtres qu'un sort propice unit au même coin de l'univers, l'histoire, mère des traditions com-

La

patrie est la terre où nous

enterrés nos pères,

munes, source de la même inspiration, foyer de lumières diverses et pourtant semblables

aux

autres.

L'Algérie, c'est-à-dire la France, est notre patrie, à

nous dont les ascendants vinrent de la métropole ou de l'étranger ou dont les aïeux étaient déjà établis sur ces bords méditerranéens. Nous sommes les fils du même sol et du même amour, de quelque race ou de quelque religion qu'on nous désigne, et, tous,

nous aurions été les exilés et les arrachés, contre notre volonté, de la patrie française, si l'Algérie, c'est-à-dire la France, de par le sort impie des armes, était devenue allemande. Il

n'y a donc pas de loyalisme chez

les

musulmans

Français ou néo-Français d'Algérie, il y a un patriotisme égal, digne à titre unique, qui tient au cœur des indigènes et de tous les Français,

et patriotisme

chez

les


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

i6 4

métropole, — y va de son honneur, pour lequel — ne doit établir ni catégorie ni la

et

il

distinction.

La guerre actuelle a été aussi, a été surtout pour le monde musulman, au regard de la France, la plus formidable, la plus émouvante et l'éternelle pierre de Il n'est plus l'être fanatisé par on ne sait quel de guerre sainte contre le chrétien, l'être hanté par on ne sait quel amour d'indépendance qui ne serait, d'ailleurs, que passagère, l'être animé par on ne sait quelle haine contre le vainqueur qui lui tend la main

touche. esprit

ouvre son âme, il n'est plus rien de tout cela. Mais il est Français par le cœur et par l'esprit, par sa' conscience patriotique et noble fondue dans la et lui

conscience nationale elle-même, l'indigène qui, pour

défendre la France, devient soldat, que ce soit par ou par engagement volontaire, ou qui

la conscription

s'enrôle s'il

comme

travailleur dans les usines,

ou

qui,

n'est ni l'un ni l'autie, montre, par la sagesse de son

existence durant cette guerre, par son application à

de vouloir susciter la moindre au contraire, à sa plus grande prospérité et à son plus beau renom et qui ne vit par son action quotidienne et par sa foi que pour que la France soit victorieuse. N'oublions pas, par exemple, que, si pauvre qu'il soit, l'indigène a tenu à cœur de payer ses impôts et de s'inscrire le plus possible à toutes Jes souscriptions, et que tous les hommes et toutes les femmes du monde musulman algérien ont, ainsi que nous l'avons déjà dit, prié dans toutes les mosquées et dans toutes les zaouïas afin que la France triomphe de l'Allemagne. M. Camille Jullian, membre de l'Institut et professeur au Collège de France, étudiant la place de la ses labeurs, que, loin difficulté

à son pays,

il

s'efforce,


LE PEUPLE INDIGÈNE

165

guerre actuelle dans l'histoire de la France, déclare

que

c'est «

une guerre nationale,

la première et la seule

guerre qui ait été vraiment nationale, faite par la

nation entière et faite uniquement pour

elle.

Au

delà,

dans le passé, si grandes que furent les autres guerres, aucune n'a mérité d'être, comme celle-ci, la guerre pure et sainte de la France. Toutes les autres ont été mêlées d'éléments impurs, de ceux qui troublent ou divisent

un peuple.

»

Guerre nationale, guerre pure

et guerre sainte

la France, les indigènes l'ont ressentie avec la

âme que nous

tous.

n'est

Il

donc pas

de

même

vrai, selon la

phrase routinière, et que répétait inconsidérément et

malheureusement une

fois

de plus l'Echo d'Alger du

25 décembre 1915, sous la signature de M. L. Martin, avocat à Sétif, que « l'admiration des indigènes,

sinon leur sympathie, va 'd'abord instinctivement à celui qui est le plus fort

».

Quand l'Allemagne a battu

la France à Charleroi, quand, ainsi que l'exposait le président du Conseil, M. Aristide Briand, le 19 décembre 1916, à la tribune du Sénat, « l'Allemagne s'est précipitée, après quarante années de préparation systématique, à travers la Belgique violée et sanglante, sur 3a France, que sa vague est venue jusqu'aux portes de Paris, oui, à ce moment -là, on pouvait croire qu'elle triomphait, elle avait le droit de l'espérer... alors la France était presque isolée et dans son organisation militaire et dans son outillage... » Alors, c'était bien Guillaume II

qui était

le

plus fort.

Qui donc, autant que la France ou que l'Algérie française, l'a éprouvé, au plus haut point, si ce n'est le monde indigène de notre colonie, car nos plus vail-


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

ï66

lants régiments de tirailleurs ont leroi,

et ni

«

l'admiration

musulmanes n'ont est le plus fort

»,

été

«

»

succombé à Char« sympathie »

ni la

instinctivement à celui qui

c'est-à-dire à l'Allemagne.

Cette admiration et cette sympathie ont été, d'un seul élan, dans la plus touchante et inoubliable spon-

à la France vaincue dont bien des pays,

tanéité,

même finale.

attendaient impatiemment l'agonie

neutres,

A

cette France vaincue, les indigènes algériens

ont aussitôt donné leurs plus intrépides et valeureux enfants, car l'histoire enregistrera que c'est surtout au

mois d'août 1915

qu'il

y

eut,

en notre Nord- Africain,

le

plus d'enthousiasme et le plus d'engagements volon-

pour nos régiments de tirailleurs, de spahis et de goumiers. M. Charles Lutaud, Gouverneur général de l'Algérie, expliquait fort justement, dans son discours d'ouverture de la session ordinaire des Délégations finan-

taires

cières, le 7 juin

1915

:

Dès le premier jour des hostilités, l'indigène s'est donné à nous franchement et sans réserve. Il a senti confusément planer sur l'humanité comme un immense danger. Il a compris que nous approchions peut-être d'un des grands cataclysmes de l'histoire. D'un mouvement rapide, dont le caractère prime-sautier avait «

quelque chose de touchant,

On

il

s'est resserré contre nous.

dissertera sur le point de savoir si ce

tané a été instinctif ou

réfléchi.

don

si

spon-

Les deux hypothèses,

remarquons-le, seraient également favorables à la souveraineté française, qui contient, pai elle-même, une si

haute puissance d'attraction

si

particulier sur les peuples où s'éveille

cension et de civilisation.

»

un prestige un désir d'as-

et exerce


LE PEUPLE INDIGENE

167

L'année suivante, à l'ouverture de la session ordinaire des

mêmes

Délégations financières,

6 juin 19 16,

le

M. Charles Lutaud certifiait une fois de plus « Au lendemain de la déclaration de guerre, j'ai affirmé solennellement que les indigènes resteraient :

Nous

étions

autorisés à parler ainsi, nous ne redoutions

aucun

indéfectiblement

à la France.

fidèles

démenti. Les événements ont justifié notre pronostic.

Nous avons vu qu'à

l'appel de ses

muphtis

et

>>

de

marabouts le peuple indigène s'assemble et prie pour la France dans les mosquées et zaouïas. Pour « affirmer avec enthousiasme leur patriotisme et leur dévouement au gouvernement français par les cris de « Vive la France » les indigènes, descendus des douars, se réunissent sur la place publique de leurs communes, ainsi que, par exemple, le télégraphie le maire de Dellys au Gouverneur général de l'Algérie en mises

!

:

août 19 14. Ils sont

là,

au nombre de plus de

mille,

comme

ils

sont le double, quelques jours après, à Duperré et

dans beaucoup d'autres centres. Les orateurs muphtis, :

musulmane, proclamations de M. Charles

cadis ou présidents d'association cultuelle lisent et

Lutaud

commentent

les

et rappellent, en glorieux exemple, la conduite

des soldats indigènes qui ont mêlé leur sang à celui de leurs frères français sur lçs

gascar,

au Tonkin,

champs de

et, hier

Maires, administrateurs de

mandants d'armes faits

et

ils

de l'œuvre de

commune mixte ou com-

la civilisation française

indigènes. C'est le péril !

A

à Mada-

font, à leur tour, ressortir les bien-

certifient avoir confiance

des races

bataille,

encore, au Maroc.

dans

commun

qui

le

parmi nous

loyalisme des

fait la fraternité

ces manifestations publiques correspond


L'ALGÉRIE

i6S

LA GUERRE

E?T

une recrudescence d'engagements volontaires. Même de vieux tirailleurs qui ont fait la campagne de 1870 demandent à reprendre du service. Nous avons dit, plus haut, qu'à l'assemblée plénière des Délégations

financières, le

23 juin 1914,

M. Ali Mahieddine avait rappelé qu'un proverbe arabe avait assuré que « le serviteur et sa fortune appartiennent à son maître

et

»,

qu'en l'occurrence,

le véri-

table maître, c'était la France.

Dès la déclaration des hostilités, le peuple indigène montre qu'il pense de la même façon et il s'empresse de faire connaître aux administrateurs des communes mixtes que ses bêtes de trait, son matériel agricole, ses bestiaux et ses grains sont à la disposition du gouvernement et, chaque fois qu'il s'agit d'un transport pour les services de la patrie, il réunit, en quelques heures, le nombre de mulets ou de chameaux nécessaires, si bien que les autorités locales s'accordent pour certifier que son état d'esprit est le même que ;

même

celui des Français, avec le

premiers jours, la

même

certains revers et aussi la

dans

le

Que

succès

même

et tenace espérance

final.

d'autorités font remarquer que les indigènes

emploient l'expression

non

enthousiasme des

inquiétude à l'annonce de

:

«

Nous serons vainqueurs,

»

Les Français seront vainqueurs, » identifiant par là leur cause à la nôtre On constate que les indigènes, ayant conscience de nos graves préoccupations, se montrent beaucoup moins bruyants qu'à l'ordinaire sur les marchés et dans les cafés maures, partageant ainsi notre recueillement. Toutes les fêtes religieuses musulmanes, comme celle du Mouloud, jour de la naissance du Prophète

et

:

«

!

;


LE PEUPLE INDIGÈNE l'Aïd-es-Seghir, la

«

petite fête

du Rhamadan

»

169

célébrée à l'occasion

« grande au cours de laquelle tout musulman aisé doit égorger un mouton, dont il donnera au moins le quart aux pauvres, moyennant quoi, à sa mort, le mouton lui servira de monture, pour aller, après le jugement, prendre sa part du paradis, toutes les fêtes religieuses donnent lieu d'ordinaire à de grandes et exubérantes réjouissances. Chacun s'habille de neuf, les femmes

de la

fête

fin

;

l'Aïd-el-Kebir, la

»

revêtant leurs plus beaux atours,

et, la nuit, les

mu-

siques se font entendre dans la clarté rouge des feux

de bengale et dans l'accompagnement de pièces d'artifices. Le Rhamadan s'achève aussi dans la joie. C'est la satisfaction légitime d'un devoir accompli. Mais souvent, quand le jeûne rituel a été rendu particulièrement pénible par la chaleur excessive de juillet, la joie

dégénère en désordre et en querelles surchauffées.

Or, durant

calme et

la guerre,

ces fêtes

se passent

dans le vou-

la dignité les plus parfaits, les indigènes

une fois de plus la preuve de leurs sentiments à l'égard de la France. Le cheikh ben Tekouk, chef de la zaouïa des Oulad Chaffaâ, n'écrit-il pas, en fin août 19 14, au sous-préfet

lant ainsi solennellement donner

de Mostaganem «

:

De temps immémorial, nous donnons, dans

le

mois de septembre de chaque année, un grand toâm pour perpétuer la mémoire de notre ancêtre Sidi Charef dont le mausolée est situé dans la commune de Bouguirat. Français et indigènes, fonctionnaires, notables et pauvres assistent à cette fête. En raison des circonstances actuelles, j'ai supprimé ce toâm en signe de deuil, car nous partageons, avec les Français, aussi bien leurs peines que leurs joies.


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

7o

«

Toutefois, nous réservons cette fête. Elle aura lieu

après la victoire des Français et sera comprise parmi

qui seront données par les

les fêtes et réjouissances

Français. Vive la France «

!

D'autre part, à l'occasion de la fête de l'Aïd-Seghir

mes recom-

qui aura lieu demain,

je

mandations aux

qui viennent habituellement

fidèles

faire la prière à la zaouïa.

Aux grandes des vœux sont

Comme

renouvellerai

»

prières qui terminent les cérémonies,

formulés pour

le

triomphe de notre

10 Dou-el-Hadja 1333, correspondant au 20 octobre 19 15, à l'occasion de la fête du patrie.

mouton,

les

le

fidèles étaient

tombe de son

venus

faire leurs prières

M. Bendjoudi Cheikh Yahia ben Djoudi exhorta ainsi ses coreligionnaires de la commune des Biban « Mes frères, voilà quinze mois que nos héros se battent pour notre mère la France. Ses enfants cou rageux et ses héroïques alliés font le sacrifice de leur vie pour la civilisation et l'humanité. Que Dieu les préserve. O héros, prenez patience, faites feu sur vos sur la

père, Sidi-Yahia,

Ahmed ben

:

adversaires et tirez

La

le

sabre contre eux. Patience

victoire finale arrivera avec l'aide

!

du maître de

l'univers... «

Cette guerre a arrêté vos affaires commerciales et

vos relations avec

les

et les syndicats. Le commerce manipulait

banques

dernier parmi nous pour son

des milliers de francs. Ce qui

fait

que certains que vous

connaissez sont devenus riches et propriétaires, alors qu'ils étaient

auparavant des gardiens de moutons ou

des colporteurs transportant leurs marchandises sur des ânes de marché à marché. Tout cela ncus a été

donné par

la

domination pacifique de

la

France.


LE PEUPLE INDIGENE

171

Étant donné ce jour de fête et, par la grâce de ce mains et prions Dieu à haute voix pour que la France et ses alliés soient victorieux de nos «

jour, levons les

ennemis.

»

La guerre actuelle aura été la cause d'initiatives que la religion musulmane prohibait cependant. La Dédu 15 décembre 1915 explique

pêche tunisienne ces prohibitions «

La

îeligion

ainsi

:

musulmane en

au point où

est encore

se trouvait la primitive église chrétienne qui était

opposée,

si

nos renseignements sont exacts, à ce que

le

prêteur perçût de l'emprunteur quoi que ce soit, en

dehors de la «

Les

somme prêtée. de Mahomet se

fidèles

basent sur ce verset du

Coran pour régler leur conduite dans les questions de prêt d'argent « O croyants ne vous livrez pas à « l'usure en portant la somme au double craignez le « Seigneur et vous serez heureux. » « Les commentateurs mahométans qui font autorité connaissant les défauts de la race, l'imprévoyance d'un côté et l'âpreté au gain de l'autre, ont, en se basant sur le verset précité, défendu d'une manière formelle le placement d'argent à intérêt de quelque manière que ce soit et quel qu'en soit le taux. « Le prêt n'est donc licite qu'à la condition absolue de ne produire aucun intérêt. Il doit être un service rendu et non un motif de profit. C'est la cause principale du refus de tous les musulmans d'acquérir des actions ou des obligations et de se livrer à la spécula:

!

;

tion des valeurs.

»

Mais de nouvelles circonstances, les plus hautes qui soient, se produisent en Europe il y va du salut de la France, et devant ce salut s'inclinent les préceptes de :


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

72

exemple, que, à l'emprunt de 19 15, les indigènes de la commune mixte de Mascara participent pour plus de 30 000 francs la djemâa du douar d'El-Ouessah, dans le département de Constantine, souscrit pour 40 000 francs les sociétés de prévoyance indigènes d'Algérie participent pour 118 685 francs de rente moyennant le dépôt d'un capital de 2 087 033 francs et elles auraient fait un apport plus considérable si elles n'avaient pas été tenues par leurs statuts. Le même fait se reproduit dans toutes les villes et, dans l'ensemble, pour plusieurs Ja loi coranique. C'est ainsi, pai

;

;

millions. Il

se renouvelle pour' l'emprunt de 19 16 avec la

même

pour de plus grandes sommes au que 186 indigènes de Laghouat sousd'autres souscrivent à crivent pour 85 000 francs Beni-Mansour pour 10 315 francs et à Bou-Saada pour 16 705 francs, ce qui fait dire à la Dépêche algérienne du 13 novembre 1916 « Une nouvelle preuve de loyalisme a été fournie en la circonstance par la population indigène de la commune mixte de Bou-Saada qui, une fois de plus, a montré combien sincère est sa foi pour les destinées de la France en souscrivant généreusement à l'emfidélité

et

total. C'est ainsi

;

:

prunt.

»

Le même enthousiasme se produit pour l'emprunt de 19 17. Tous les indigènes comprennent que prêter à l'État, c'est contribuer à hâter la victoire et

il

n'est

pas jusqu'au plus humble qui ne s'efforce de souscrire.

Des comités de propagande pour ce troisième emprunt se constituent en Algérie, et les musulmans y participent. C'est ainsi qu'en font partie, aux Attafs,


LE PEUPLE INDIGENE

173

municipaux Abdelhakan Atba ben Atba Bouziane Rahmani ainsi que les chefs de fraction et, à Oued-el-Alleug, les conseillers municipaux Laouri, Tefïali et Tchantchane. Tous les indigènes se rendent, en effet, aux sages paroles que M. Djoudi Mohamed, cadi de la mahakma de Duperré, prononce sur la place publique de cette ville, le 4 décembre 19 17, devant 4 000 assistants les conseillers

et

musulmans «

fils

:

Coreligionnaires, vous avez

qui ont rendu, partout où

vices.

La France demande,

Donnez-le-lui

;

donné à

ils

la

France vos

sont de brillants ser-

à présent, de l'argent.

affirmez encore votre

amour

à votre

mère adoptive. Donnez dans la mesure de vos moyens, mais donnez tous. » C'est avec le même empressement que le peuple indigène paye l'impôt. Le Mobacher, journal officiel de l'Algérie, le 22 novembre 19 16, publie un tableau des recettes budgétaires de l'exercice 1915. Il est à remarquer que si l'ensemble des recettes de cette année 19 15 accuse un fléchissement de plus de 7 millions et demi sur l'exercice 19 14 et de 41 millions environ sur les évaluations budgétaires de l'année, les contributions et centimes additionnels de l'impôt arabe considéré isolément sont cependant en excédent de 17 477 francs sur ces mêmes évaluations et en augmentation de 552 344 francs sur les recouvrements de 19 14. Cet empressement patriotique est d'autant plus touchant qu'on ne peut s'empêcher de songer que la propriété non bâtie européenne qui rapporte, par ses magnifiques vignobles, des millions et des millions

à leurs détenteurs, était hier encore exonérée d'impôt et que,

comme on

le

verra plus loin, à propos de Tin-


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

74

sécurité, le peuple indigène a,

durant cette guerre,

considérablement souffert de misère par suite de la

de la mortalité de ses troupeaux et des ravages des sauterelles. Ne nous étonnons pas d'ailleurs de ce qu'il ait si bien acquitté ses impôts. Comme, pour équilibrer le budget de l'Algérie, il fallait établir de nouvelles charges, aux Délégations financières, les sections arabe et kabyle se sont montrées le plus prêtes à voter

sécheresse, des intempéries,

immédiatement tout ce qu'exigeait la situation. M. Ben Siam déclarait à l'assemblée plénière du 25 juin 19 15 « Les indigènes sont prêts à consentir tous :

fices

qui leur seront demandés.

les sacri-

»

M. Si Henni appuyait cette observation Chenane affirmait à son tour

et

M. Ben

:

«

L'indigène est prêt à payer les taxes qu'on lui

demandera

:

il

le fera

avec patriotisme.

»

Ainsi le peuple indigène, par ses souscriptions et ses

engagements volondonne son courage jusqu'à la mort, et, par la main-d'œuvre dans nos usines nationales, il donne son énergie et sa force au impôts, donne son argent

;

par

les

taires et la conscription militaire,

il

travail.

Que de et aussi

détails touchants

l'amour

le

!

Le cœur

patriote peut demeurer insensible

Un modeste

entier s'y révèle

plus pur pour la France. Quel

aux

faits

suivants

:

ouvrier kabyle de Chéragas, arrondis-

sement d'Alger, M. Chabane ben Mohamed, originaire de Zouaoua, a aidé au déchargement et au transport de sacs destinés au magasin de réserve de la « soupe populaire » de la commune. Comme on insistait pour lui faire accepter une rétribution, il refusa en déçla-


LE PEUPLE INDIGÈNE rant

C'est pour la France

«

:

d'hui

:

je fais

mon

devoir.

que

175

je travaille

aujour-

»

Informé de cette action par le maire de Chéragas, Gouverneur général de l'Algérie envoie à Chabane ben Mohamed, avec ses compliments personnels, un « Puisque tu aimes bien la France, fusil d'honneur nous te comptons parmi ses enfants et nous t'offrons cette arme qui te permettra de contribuer à protéger le

:

et à défendre ta patrie.

»

Quelques semaines après,

le

maire de Chéragas

écrit

à M. Charles Lutaud « Il y a quelques jours, Chabane ben Mohamed, qui :

ne sait plus comment manifester sa joie depuis qu'il possède le fusil que vous lui avez offert, est venu me trouver à la mairie,

me demandant

s'il

lui serait pos-

pour l'élever, un petit orphelin ou une petite orpheline de nationalité française, parce que, « Je ne connais pas « les Belgique ». Ma ajoutait-il « femme et moi, nous sommes seuls, il nous ferait plai« sir de garder un enfant nous mangerions du pain, « mais, pour le petit Français, il y aurait toujours des sible d'obtenir,

:

;

«

confitures. «

Je lui

»

ai

répondu que

j

appréciais beaucoup sa

demande qui prouve son dévouement, mais que

la

question était toute nouvelle et qu'elle pourrait être étudiée je lui ai signalé que l'éducation d'un enfant dans ces conditions n'entraînait pas une aide pécuniaire de l'État, comme dans certaines espèces prévues d'assistance publique. « Il m'a répondu qu'il était loin de sa pensée de solliciter quelque secours que ce soit, que sa femme et lui avaient quatre bras, qu'ils étaient ouvriers, et que, s'ils avaient eu des enfants, ils les auraient élevés ;


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

76

sans rien demander à personne. Je iui ai formellement promis de vous exposer sa demande et je m'empresse de le faire. «

L'adjoint indigène des trois tribus, stimulé par

l'exemple deChabane, et qui est plus fortuné, est V3nu

me

même

il prétend que d'autres par des indigènes des tribus. Je ne sais si pareilles demandes ont pu vous être formulées par les indigènes d'autres tribus, mais je les ai trouvées touchantes et exprimant dans toute la force de l'offre rattachement à la France des indigènes de

faire la

demandes seront

nos tribus.

proposition,

faites

»

Écoutons le Gouverneur général de l'Algérie « Il est de touchantes et délicates manifestations de dévouement comme celle des tribus de diverses communes mixtes qui, recevant des commandes de peaux de chèvres et de moutons d'une valeur de :

12 654 francs, ont refusé tout

payement parce

qu'il

s'agissait d'envois à l'armée. D'autres tribus ont trans-

formé le payement de ces fournitures en dons à diverses Quoi de plus touchant que ces oboles de pauvres gens marquant ainsi leur attachement à la France? » Et cet humble vendeur de fruits et de légumes au marché de Karguentah, à Oran, nommé El Mahjoub ben Chaach Onld Mohammed ben El Mahjoub, qui fait parvenir au président de la République une figue de Barbarie en indiquant « qu'un fruit qui apparaît hors de saison et envoyé au souverain est un présage de victoire », ce dont M. Raymond Poincaré le fait sociétés de bienfaisance et d'assistance.

officiellement remercier

Et

?

cet Oranais, Zerouali

père, lieutenant

aux

ben Aouda, dont

tirailleurs,

blessé

le

trois

grandfois

à

j


LE PEUPLE INDIGÈNE

i7:

Malakoff et une fois à Puebla, fut décoré de la Légion d'honneur par Napoléon III, aux Tuileries, et dont le père, gendarme en retraite, fut blessé comme caporalsapeur des turcos à Wissembourg, en 1870? Zerouali ben Aouda, étant à Paris à la déclaration de guerre, s'emploie aussitôt à faire engager des mineurs kabyles, chassés

du Nord par

2 064. Puis

il

s'engage

l'invasion, et réussit à en enrôler

comme simple soldat, est nommé

successivement sur le champ de bataille sergent, puis adjudant-chef au 46 e de ligne, régiment de La Tour

d'Auvergne, et sa citation comporte « A ramené en bon ordre sa compagnie dont tous les gradés étaient tombés au champ d'honneur et a sauvé, sous le feu de l'ennemi, Pierre de Castelnau, neveu du général du même nom, commandant la 2 e armée. » Bouaziz Ammar ben Mohammed, du douar Aïn:

Tabia, écrit de Trouville-sur-Mer, à l'administrateur

de sa lui et

commune mixte, son frère Ahmed

Collo,

pour

lui faire savoir

ont été blessés

que

23 août 1914, souhaitent tous deux d'être le

au combat de Dinant. Ils vite rétablis pour rejoindre leur troisième frère Boudjema, car, écrit Bouaziz Ammar, cent Prussiens ne font pas peur à un tirailleur. L'administrateur convoque le père de ces trois jeunes soldats, le plus âgé ayant vingt-cinq ans, Bouaziz Mohammed ben Ahmed, pour lui donner des nouvelles de ses enfants, et ce père de répondre très simplement « Je suis content que mes fils aient été blessés en défendant le drapeau français. J'ai moi-même, comme tirailleur, servi la France pendant onze ans et ai pris part à l'expédition du Mexique, à la guerre de 1870, pen:

!

dant laquelle

j'ai été fait

prisonnier à Sedan, et à

l'insurrection kabyle de 1871. Je n'ai

qu'un regret


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

73

aujourd'hui, celui que mon âge avancé ne pas de combattre à côté de mes enfants. »

me permette

Kara Mohamed Ould Kara, fils d'un officier de campagne de 1870, appartient à

spahis qui a fait la

la fraction des Douaïres, la première qui se soit ralliée

à la France, ce qui lui vaut

le privilège

d'une diminu-

tion d'impôts. Kara, malgré son âge, soixante-deux ans, a tenu à partir sur le front avec les spahis auxi-

vaillamment comporté et a été nommé logis sur le champ de bataille. Naoun Mahmoud, soldat au 111 e d'infanterie, dont le père est gendarme en retraite, est blessé en Lorraine, non loin de l'endroit où, en 1870, son grand-père mourut pour la France, et, à peine « remis sur pied », demande à repartir au front. Trois prisonniers allemands évadés du camp de Mezouir, commune mixte de Maillot, franchissent le col de Tizi-N'kacilel, traversent les douars Houdrarine et Akbils, ne voyageant que la nuit, évitant de s'approcher des villages et se cachant dans les broussailles durant le jour. Ils arrivent ainsi jusqu'à proximité du village de Taourirt-Amrane, à trois kilomètres de Michelet. Là, ils sont aperçus par un indigène occupé à moissonner et qui va, aussitôt, prévenir l'administrateur de sa commune. Une heure liaires, s'est

maréchal des

10 juillet

après, c'est le

allemands sont ils

n'ont rien

clarent qu'ils

arrêtés.

19 15, les trois prisonniers

Leur fatigue

mangé depuis se sont

contre promesse

est

extrême,

leur évasion et

ils

dé-

adressés en cours de route,

d'argent,

à des

Kabyles qui ont

refusé de leur prêter assistance et de leur donner de la

nourriture.

Les femmes ne sont pas moins admirables. Le Matin

5


LE PEUPLE INDIGÈNE

i

79

du 7 octobre 19 14 publie la lettre suivante dont il supprime la signature mairie d'une petite commune du « Secrétaire de littoral algérien, je suis chargé de recevoir les demandes de secours des femmes de tirailleurs partis à la frontière elles viennent par longues théories, voilées de blanc, toutes jeunes et presque toutes très belles, et voici la conversation que nous avons « Ton mari est soldat tu viens pour toucher ce à :

;

— quoi tu as droit? — Mon mari

:

;

est à la guerre, monsieur le khodja mais je viens seulement te demander de lui écrire que je suis heureuse de le savoir en campagne, défendant la France. Nous avons bon courage et espérons qu'il fera tout son devoir, et que, s'il «

secrétaire),

(le

revient, ce sera après l'extermination des lâches Prussiens.

»

Ce secrétaire de mairie ajoute

:

«

Je vous assure que

c'est sublime. »

Et pourquoi ne l'indiquerions-nous pas en songeant que Jésus rallia à sa foi jusqu'aux blondes Samaritaines de son époque? Il n'est pas jusqu'aux prostituées musulmanes qui ne fassent sincèrement des vœux pour la France, et les Ouled-Naïls, les belles danseuses aux voiles éclatants, sont prêtes à lui donner les pièces d'or dont elles sont pourtant si orgueilleuses et si jalouses pour l'ornementation de leurs coiffures et de leurs cous. Les enfants partagent le même enthousiasme que s eurs amis français. L'Echo d'Or an du petits 15 mars 19 15 relate l'exemple suivant :

Deux

m'amènent à reparler du loyalisme des indigènes d'Ammi-Moussa. Dernièrement, un tout «

faits


L'ALGERIE ET LA GUERRE

iSo

jeune indigène, dix ans environ, arrivait de la mon-

commune mixte pour contracter un engagement de quatre ans, afin, tagne et se présentait directement à la

se battre contre les Boches.

dit-il, d'aller «

L'autre jour, c'était un autre jeune indigène,

Draoua Bouzid,

seize ans environ, qui, à l'insu

de ses

parents, se présentait à la caserne de notre garnison et sollicitait l'autorisation

ment pour

de contracter un engageUn de ses frères

durée de la guerre...

la

Abdelkader, âgé de dix-neuf ans, est parti pour la comme spahi auxiliaire; il avait été cependant ajourné, l'année

frontière, dès les premiers jours d'octobre,

précédente, par la Commission de conscription,

Renault,

comme faible de constitution.

à

»

Les secrétaires du colonel commandant le terriGhardaïa ne virent-ils pas se présenter, en avril 19 16, un petit nègre qui arrivait à pied, après plusieurs jours de marche, vivant de mentoire militaire de

zaouïas d'Aflou où on n'avait pu de son jeune âge, dans l'espérance qu'à Laghouat on le déclarerait bon pour le service? dicité

ou dans

les

l'enrôler à cause

Et

les

fils

du colonel Ben Daoud

qui, à la tête

du

I er

régiment de spahis, fit des prodiges de valeur et combattit toujours si vaillamment à l'ombre du dra-

peau français?

Que de

fois n'a-t-on

Parlement,

pas

cité,

même

à la tribune

du

comme preuve

s'assimiler, le

d'une race qui refuse de colonel Ben Daoud, prenant sa retraite,

se retirant dans son douar et vivant à

nouveau parmi qu'aux premiers jours de sa jeunesse Mais quelle étrange preuve et combien mal choisie Le colonel Ben Daoud se retire dans son douar comme tant d'officiers français dans leurs petits villages, mais

les siens, ainsi

\

!

1


LE PEUPLE INDIGÈNE il

1S1

continue à élever ses enfants dans l'amour de la

France.

L'un d'eux est capitaine et sert très dignement son pays adoptif sur les confins de la Tripolitaine. Un autre, Abdramen ben Daoud, est engagé au 4e

régiment de et part

Maroc guerre.

En

a

tirailleurs. Il

au front dès

janvier 19 15,

il

les

est

fait la

campagne du

premiers jours de la

en traitement dans un

hôpital de Clermont-Ferrand, et voici comment un de nos confrères de cette ville, après l'avoir été visiter, relate ses exploits «

A

Charleroi,

:

pendant que

la bataille faisait rage,

son capitaine tomber, une jambe fracassée, à quelques mètres de lui il se précipita sur l'officier, le plaça sur son dos où il l'attacha avec sa ceinture et, sous la tempête formidable des

Abdramen ben Daoud

vit

:

obus, des shrapnells et des balles, l'emporta loin du ainsi 25 kilomètres pour trouver

champ de combat. Il fit

l'ambulance où le capitaine put recevoir des soins. « Le tirailleur algérien repartit dans la nuit et retourna à la bataille qui continuait. Son lieutenant venait d'être blessé par un éclat d'obus quinze blesil chargea sures. Abdramen ben Daoud n'hésita pas autre une vers alla l'officier sur ses épaules et s'en :

:

ambulance plus rapprochée qu'on

lui avait

indiquée

:

il parcourut 17 kilomètres avec son précieux fardeau. Quand il parvint au but, son lieutenant, après l'avoir remercié, lui conseilla de se reposer jusqu'au lendemain.

Je ne veux pas me reposer, répondit-il, je veux aller tuer beaucoup de Boches encore. » « Mais en route, dans son courageux sauvetage, famille il avait perdu son sac contenant des papiers de médaille et quelque argent de plus, ses médailles, «

;


L'ALGERIE ET LA GUERRE

iS 2

coloniale, militaire,

agrafe Maroc et agrafe Oudja, médaille du Nicham-Iftikhar et du Nicham du Maroc,

— avaient été arrachées de leurs rubans Abdramen ben Daoud eut des larmes dans yeux. — On te remplacera, médailles, va ;

les

tes

les

«

dit l'officier.

Ne

!

te désole pas ainsi et reste avec

lui

nous

pendant quelques heures encore, tu dois être éreinté

!

»

Le vaillant soldat répondit négativement. Il serra main de son lieutenant et fit le trajet du retour au

«

la

pas de gymnastique comme s'il craignait de ne pas arriver pour reprendre sa place à sa compagnie.

Abdramen ben Daoud coup de feu pour défendre une position autour de laquelle pendant deux jours, «

Le combat touchait à sa

revint dans les rangs et

fin.

fit le

la lutte avait été opiniâtre et glorieuse. C'est à ce

moment qui

le

qu'il fut atteint

au visage par un éclat d'obus

blessa gravement aux yeux.

L'histoire se fera

un

»

jour, très complète,

reconnaissance de la victoire à laquelle

le

dans la peuple

musulman

d'Algérie aura porté son impérissable et magnifique contribution. C'est pour cela que nous sommes persuadés que c'est par la masse indigène, au cœur naïf mais très sincère, à l'intelligence encore peu ouverte, mais qui ne demande ardemment qu'à être cultivée et instruite, à la nature spontanée, virile et saine, que l'assimilation à la France doit surtout se faire.

Tout un peuple est là, qui ne vit que dans le désir de se dresser dans la majesté et la lumière de notre pays. Qui a vécu dans sa fréquentation est persuadé qu'on peut tout obtenir de lui par la fraternité et la justice.

Ce sera

la

grande

fierté

de beaucoup d'entre nous


LE PEUPLE INDIGÈNE

183

d'avoir sans cesse et fermement cru en la haute fidélité

et le patriotisme

sincère

des

musulmans d'Al-

gérie.

A nous trer

que

aussi,

on

a,

les indigènes,

à toute heure, essayé de démonétant d'une autre race et d'une

autre religion, ne pouvaient avoir ni notre mentalité, ni notre attachement pour tout ce qui était le plus

cher

:

tradition et patrie.

A nous

aussi,

on a essayé, de

tout temps, de faire entendre que, ne pouvant les plier ni à nos coutumes, ni à nos conceptions, toujours nous

marcherions côte à côte avec les indigènes sans jamais pouvoir nous confondre dans la même pensée et les

mêmes aspirations. La guerre de 19 14-19 18 donne

à toutes ces tenta-

tives le plus cinglant démenti.

Devant

exemples sublimes et les détails touchants auxquels cette guerre a donné lieu et dont nous n'avons, ici, reproduit qu'une très faible et modeste partie, comment oserions-nous croire encore que la race est un obstacle insurmontable, que la religion les

creuse des abîmes, qu'une mentalité nouvelle et indestructible ne peut pas se faire dans le génie et l'amour

de la France?

Comment

pourrions-nous imaginer que, seuls de

l'immense univers, les indigènes d'Algérie se refuseront à acquérir et aimer jusqu'à nos traditions même, fait notre vie et notre unique piété dont la foi

notre raison d'être?

Mais

ils

ont, dit-on, leurs souvenirs, leurs tendances

et leur idéal. Elles avaient bien les leurs, toutes les

provinces françaises, jadis et à travers les siècles, en lutte impitoyable les unes contre les autres, au point

de former des patries étrangères

les

unes aux autres,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

i84

jusqu'à l'heure où toutes celles-ci se sont réconciliées

dans une seule et même patrie. Le sentiavec ses coutumes, sa souvenance, sa touchante pensée du passé c'est cette diversité qui fait la force et l'originalité de l'âme française. Nous espérons que le jour est proche où le sentiment du terroir des musulmans d'Algérie, s'unissant intimement et pour jamais à tous les autres de la métropole et de notre colonie, ajoutera à cette âme française une force plus grande et une originalité nouet fondues

ment du

terroir subsiste

:

velle.

Seulement, il faut le répéter sans cesse et de la plus haute voix tout égoïsme doit, pour toujours, être banni, et les appétits, depuis trop longtemps déchaînés sur notre terre natale, doivent disparaître, entraînant avec eux les jalousies secrètes et les haines sourdes, :

les préjugés et les barrières

;

l'instruction doit être

répandue et la justice doit souverainement régner. Autrement, il en sera fait de l'avenir et de la grandeur de la France en Algérie et, par conséquent, sur tout le

continent d'Afrique.

La concurrence, au

sens noble du mot. fait le développement, la prospérité et la richesse d'une nation. Le plus digne doit l'emporter. Il n'y a plus de tare originelle. Il n'y a que la suprématie française dans la pensée, dans l'idéal et dans l'action de chacun,

comme taire.

elle est

dans sa

loi civile et

dans sa force mili-

^


XIII LES CONSÉQUENCES NULLES DES BOMBARDEMENTS DE BONE ET PHILIPPE VILLE

Ainsi, fidèle à sa grande idée dont elle ne met pas en doute la féconde réalisation, l'Allemagne veut empêcher le transport dans notre métropole du XIXe corps d'armée et surtout, par un soulèvement

des indigènes algériens, créer à la France une guerre intérieure. Aussi, dès 19 13, envoie-t-elle

dans la Médi-

terranée deux de ses meilleurs et plus rapides croiseurs, le

Gœben

et le Breslau.

Mais les espérances germaniques ne se réalisent pas. L'Allemagne n'a pas la maîtrise méditerranéenne si convoitée, les troupes africaines, sans difficulté, se

rendent à Marseille.

Il

ne reste donc plus que

le

projet

de fomenter des troubles en Algérie, en frappant l'esprit des indigènes par des bombardements successifs.

Le Gœben

et le Breslau s'en

d'ailleurs sans défense

:

Bône

prennent à deux

villes

et Philippeville. Ils

y

causent quelques morts et quelques insignifiants dégâts le

4 août 19 14.

Là non plus, ment atteintes.

les visées

allemandes ne sont nulle-

Tout d'abord, ces bombardements ne donnent qu'à des actes de courage.

Il suffit

lieu

de citer celui du


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

186

sergent réserviste Courtois, du 3 e zouaves, à Philippeville. Il est ainsi rapporté par la Dépêche de l'Est :

:

Alphonse Courtois ne fut pas atteint par le bombardement, mais celui-ci mit le feu au baraquement! où étaient les zouaves et le sergent Courtois s'élança' au secours de ses camarades. Des munitions entreposées dans le baraquement explosèrent. Courtois fut atteint par un éclat d'obus qui lui enleva le pied et la cheville gauches. Il ne laissa entendre aucune plainte % il sortit son couteau, trancha les chairs qui pendaient et se fit un pansement, pour arrêter l'hémorragie, avec son mouchoir et sa musette. Alors, seulement, il demanda du secours et fut transporté à l'hôpital où il reçut les soins du docteur Noël Martin et des médecins militaires. L'amputation de la j ambe fut jugée nécessaire et Alphonse Courtois subit courageusement l'opération, déclarant n'avoir qu'un seul regret celui de n'avoir pu tirer un coup de fusil sur les ennemis de sa patrie. » Dès qu'il apprit le bombardement de nos côtes, le Gouverneur général de l'Algérie rédigea cette proclamation «

il

\

\

:}

1

:

:

«

Algériens, l'heure décisive, a sonné.

«

L'Allemagne a ouvert

et pacifique France.

les hostilités

Vous

contre la noble

enregistrerez avec orgueil, [

dans votre histoire, l'immense honneur d'avoir reçu le premier choc. Ce matin, Bône a été bombardée à 4 heures, Philippe ville a eu le même sort à 5 heures il y a peu de victimes. « Je vous notifie d'urgence ces événements parce que je sais qu'ils ne vous feront pas trembler. Ils exalteront simplement l'héroïsme dont vos ancêtres ont donné tant de preuves et que vous êtes prêts à ;

déployer à votre tour.


BONE ET PHILÏPPEVILLE «

1S7

Vous défendrez

qu'elle est le

disparaissait,

la France jusqu'à la mort parce grand foyer de l'idéal, parce que, si elle la civilisation reculerait de plusieurs

Vous défendrez

siècles.

l'Algérie

jusqu'au sacrifice

suprême parce que cette terre est votre création, parce que les fermes blanches, les moissons et les vignes qui en sont la parure représentent le fruit de votre intrépide labeur. «

Dans

de plus

ces circonstances tragiques, justifiez

les

Soyez calmes panique,

une

fois

espérances que la patrie a fondées sur vous. et

comme

résolus

;

abstenez-vous

de toute

de toute manifestation bruyante.

»

un autre manifeste, s'adressant particulièrement aux indigènes, il fit savoir « Musulmans, l'Allemagne nous déclare la guerre, et, Puis, dans

:

honneur suprême, c'est la terre d'Algérie, votre terre natale, que vous contribuez tous les jours à rendre si

belle et si féconde, qui reçoit les premières atteintes. «

Aussi ressentirez-vous avec indignation cet acte

accompli par des ennemis jaloux de notre grandeur

de notre puissance. Pourquoi ont-ils choisi pour une population sans défense, plutôt que d'aller

et

cible

heurter tout d'abord à nos bataillons de fer?

se

Auraient-ils escompté quelques défaillances ou quelque

trahison ? «

Ce

serait

pour vous un sanglant outrage

:

ils

oublieraient les paroles qu'a prononcées votre grand

prophète et dont vous vous inspirez « pas les traîtres. »

:

«

Dieu n'aime

Quelle fut la réponse de l'Algérie indignée au bombardement de Bône et de Philippeville ? Le Gouverneur général l'indique dans son adresse aux musulmans :


L'ALGERIE ET LA GUERRE

iSS «

De nombreux

indigènes sollicitent ardemment,

depuis quelques jours, l'honneur de servir J'avais

vœu.

demandé à

la

France.

République d'accéder à leur; leur sera donné satisfaction. Gloire à eux et

Il

merci au

nom

la

de la patrie.

»

Voici ce que dit le maire de Bône, le 12 août 19 14 « La situation politique et l'état d'esprit des indi:

gènes n'ont pas changé depuis l'ouverture des hostilités

en ce qui concerne

ma commune.

Les indigènes con-

tinuent en général à faire preuve de leur attachement

à la France et le meilleur garant des sentiments qu'ils manifestent à cet égard paraît résider tout entier dans les

nombreux engagements

volontaires qu'ils

con-

tractent journellement dans l'armée française. J'ajouterai, en outre, que jusqu'à ce jour, aucun fait de nature à faire douter de leur loyalisme ne m'a été

signalé.

»

Les actes correspondent aux nobles sentiments. Faut-il faire connaître que le petit- fils du gouverneur

de Bône qui remit en 1832, aux Français, les clefs de M. Ali Ahmed Cheikh, s'engage au 7 e régiment de tirailleurs et qu'il est blessé dans un des combats

la ville,

de la Marne ? M. Bou Maïza, conseiller général de Bône, et fils du caïd Tahar, prend une part active à l'organisation, du Comité de secours algérien, et déclare « Nous avons été à Bône les premiers insultés par les Allemands. Nous avons actuellement à Bône plus de huit cents engagés volontaires. Tous les indigènes ont tenu à payer leurs impôts. Nous sommes heureux d'avoir eu cette occasion de prouver notre dévouement :

absolu à notre mère patrie, la France.

»

Enfin, on annonce de nombreuses manifestations du


BONE ET PHILIPPEVILLE

189

revêtent une patriotisme musulman et l'on en cite qui Bône, plusieurs forme particulièrement touchante. A engagement pour la indigènes qui ont contracté un toucher la prime. Une durée de la guerre refusent de soldats, employés au trentaine de dockers, anciens le montant chargement des phosphates, abandonnent trop âgés camarades de la prime au profit de leurs

pour porter

les

D'un autre

armes.

côté, voici ce qu'explique le sous-préfet

août 1914 dans toutes les communes « La situation est calme de mon arrondissement. mixtes de plein exercice et parvenus établissent sont me qui Les renseignements beaucoup d'intérêt avec suivent qui que les indigènes, tenu à ce jour aucun n'ont guerre, la les nouvelles de contraire. Leur Au défavorable. soit nous propos qui permet plus correctes jusqu'à présent, nous

de Philippeville,

le 7

:

attitude,des

que nous n'aurons à redouter aucun mouvebien compte ment de leur part, car ils se rendent très que puissantes que la France et ses fidèles alliées, plus comEn dernière. auront raison de cette

d'espérer

l'Allemagne,

mune de

plein exercice et en

commune

mixte, aussi

réquisitionnés pour bien les goums que les indigènes services ont autres la garde des voies ferrées ou

entendre

répondu à toutes les convocations sans faire la moindre protestation. » jours après, de Le maire de Philippeville, quelques dire à son tour qui m'ont été fournis « D'après les renseignements :

notamment par M.

«

La

commissaire de police et l'ad-

que

de ma commune

est

joint indigène,

gènes 3

le

résulte

il

l'état d'esprit des indi-

excellent.

panique occasionnée par

le

bombardement du


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

i9o

4 août courant ne les a nullement impressionnés. Ils ont conservé le calme le plus absolu. Ils sont animés des meilleurs sentiments envers la France et sont disposés à verser leur sang pour elle. Ils se tiennent d'ailleurs à la disposition des autorités locales et sont prêts à répondre aux réquisitions qui pourraient leur être adressées.

Un

I

I

»

seul fait hostile s'est produit à Philippeville

;

ne concerne pas un indigène et revêt un caractère original et comique. C'est un muet, suspecté plusieurs fois de vols, qui manifeste en faveur de l'Allemagne. il

Il est

arrêté en fin août 19 14. Mais écoutons le

missaire de police

comb

:

mis à la disposition de l'autorité militaire, après information judiciaire, pour manifestation séditieuse, le nommé Franck Léon, âgé de trente-trois ans, «

J'ai

portefaix, demeurant à Philippeville. Cet individu est d'origine alsacienne et a vécu ses premières années

en pays annexé, où son père, retraité du P.-L.-M., s'était retiré. « Il est de nationalité française. Il est muet. Il a manifesté, à plusieurs reprises, à sa façon, sa sympathie pour la nation allemande. En proie à une surexcitation visible depuis les premiers événements, il

a,

une première fois, arraché rageusement une affiche qui portait une nouvelle favorable à nos armes. «

Quelques jours après,

il

artilleur territorial sa haine

manifestait auprès d'un

pour l'armée française en

crachant sur son képi, en faisant le simulacre d'un écrasement de nos troupes par les Allemands en dessinant trois drapeaux, un français, un anglais et un alle-

mand et en indiquant par geste sa préférence pour ce dernier et son mépris pour les autres. »


BONE ET PHILIPPEVILLE

191

Le commissaire de police établit encore que ce muet, par des mots obscènes écrits sur une feuille l'appui, de papier et par des gestes significatifs à l'Allemagne. pour sympathie sa de témoigne Depuis cette époque, la guerre sous-marine a fait les plus émouses ravages sur la côte algérienne. Parmi

du Calvados torpillé mort de sept cents le 4 novembre 19 15 et causant la soldats qui revenaient du front et celui, en mai 19 17,

vants sinistres,

de la Medjerda

il

faut citer celui

s' engloutissant

à son tour, avec plu-

sieurs centaines de soldats permissionnaires. M. Broussais dit à la tribune de la Chambre des

députés, le 26

mai 19 17

:

sur la côte « L'audace des pirates austro-allemands Comme extraordinaire. véritablement algérienne est

au cours d'une interruption, mon collègue M. Trouin, nous avons vu, le 26 avril, entre Tenès et Alger, en suivant la côte, dans les villages de Dupleix, de Villebourg et de Gouraya, les témoins du torpillage du navire anglais Rinaldo, survenu le 18 avril à

l'indiquait,

20 milles dans l'ouest de Cherchell. et n'était « Le sous-marin avait envoyé sa torpille L'équipage sorti de l'eau qu'un quart d'heure après. anglais une fois débarqué, le pirate avait tiré quarante

coups de canon sur le bateau anglais. Puis, le bateau embarcoulé, le sous-marin s'était dirigé vers les deux avait les et voisines cadères des mines' de fer les plus sont se l'équipage détruits. Ensuite les hommes de de feu, du fait ont installés sur le pont, ont déjeuné, Gouet Villebourg Dupleix, la photographie devant raya.

ne sont partis qu'à 6 heures du soir. » L'Allemagne espère ainsi que, principalement, «

Ils

la


192

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

population indigène de notre Nord-Africain ressentira une pénible impression de tous ces faits et finira par être ébranlée dans sa conviction qu'elle a que la France et l'Angleterre ont la' maîtrise des mers.

Sans doute, il y a, de 19 15 à mai 19 17, quatre-vingtquatre navires coulés le long de la côte algérienne. Notre colonie en a été, chaque fois, douloureusement affectée, mais, indigènes aussi bien qu'Européens, tous se sont vite ressaisis, et, là encore, l'Allemagne en

j

est

v

pour la honte de

ses crimes.


* \

*••

XIV

l'insurrection de 187i et la guerre de 1914-191-8 :

eut en 1871'^ten Algérie, une insurrection qui causa les plus vives inquiétudes à la France et la mort d'un nombre considérable d'êtres humains c'est celle de la Grande et Petite Kabylie. Il nous a Il

y

:

paru intéressant de rechercher quelle est actuellement la conduite des descendants de ces révoltés et quelle est actuellement aussi l'attitude des principaux centres qui fuient cruellement ensanglantés, il y a quarantesept ans.

'

A

de la France d'avoir su attirer l'amour de tous ces descendants, c'est le très grand honneur de ces derniers de s'être noblement ralliés à notre pays, et c'est un des résultats de la C'est

une des

gloires éternelles

guerre actuelle de mettre ces Jleux points en lumière. L'insurrection de 1871 éclate à la voix de Mokrani, bach-agha de la Medjana, et se généralise à l'appel du chef de la zaouïa rahmania de Seddouk, le cheikh

El-Haddad, proclamant la guerre sainte. Il est à remarquer que le tombeau de Mokrani est un lieu de pèlerinage, non pas en sentiment hostile à la France, mais en souvenir du chef dont le nom est populaire en notre colonie. Ce tombeau, qui est dans la


i

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

94

commune mixte d'Akbou, a été

restauré quelques mois avant la guerre, en février 1914. Cette restauration a occasionné une dépense de 500 francs couverte par souscription publique indigène. Or, dès le commencement d'août 19 14, on annonce officiellement de Bou-Saada « Douze cavaliers d'El-Hamel, commandés par Si Brahim ben El Hadj M'Hammed, frère du cheikh de la zaouïarahmania d'El-Hamel, viennent de partir pour le front. Le départ de Si Brahim, avec le goum, produit :

une excellente impression parmi

la population indi-

gène, d'autant plus que, parmi ses cavaliers, se trouve le fils

de Mokrani,

le

bach-agha de

la

Medjana, chef de

De nombreux engagements ont au siège de la commune mixte. »

l'insurrection de 1871. lieu journellement

Un de ses neveux, M. Mokrani, muphti de la mosquée d'Orléans ville, fils de Mokrani ben Megrak, qui, lui aussi, se révolta en 1871, est attaché à l'hôpital musulman de Nogent-sur-Marne près de Paris, et, par un des plus

ses paroles et ses écrits, est

fidèles parti-

sans de la cause française. Enfin,

un des

petits-fils

de Mokrani, caporal à la

compagnie du 4e régiment de tirailleurs, écrit au Gouverneur général de l'Algérie la lettre suivante, dont le capitaine Pérot, commandant cette i re comi re

pagnie, certifie la signature «

Meknès,

le

8 juin 19 15.

faire connaître que nous

:

J'ai l'honneur

sommes

six frères

de vous au 4e régi-

ment des tirailleurs indigènes et que j'ai plusieurs membres de ma famille actuellement au 3 e tirailleurs algériens. Nous sommes honorés par notre République française

réservés

qui nous a conféré les grades aux plus dignes de ses enfants.

militaires,


INSURRECTION DE

1S71

ET GUERRE

1914-191S

195

« C'est grâce à Dieu, grâce à nos alliés, et grâce à nos vaillantes armées que nous marchons et que nous sommes heureux pour la victoire. Aujourd'hui la

Mokrani est devenue une famille militaire Après une lutte sanglante, je rejoindrai mes frères qui sont au front et, avec eux, j'enfoncerai nos baïonnettes jusqu'au bout au cœur de nos en-

famille de française.

nemis...

Le

»

du cheikh El Haddad qui proclama la en 187 i, M. Bel-Haddad Ahmed, devenu

petit- fils

guerre sainte

à son tour chef de la zaouia de Seddouk, va, dès le commencement des hostilités, trouver l'administra-

commune mixte d'Akbou de laquelle il l'assurer de tout son dévouement à la pour dépend que « si le gouvernement français déclare il et France, en cas de besoin, il s'engage à lui, à appel faire veut prêcher la bonne parole à tous ses khouans avec l'espoir que ceux-ci le suivront partout où la France

teur de la

l'enverra.

»

Les indigènes d'Akbou, principal centre dé la Kabylie dans la vallée de Bougie, où l'insurrection de 187 1 mit tout à feu et à sang, et où le bach-agha Mokrani trouva la mort, écrivent au maire de cette commune, en novembre 19 14

:

musulmans de la commune de d'Akbou tiennent à vous exprimer l'indignation qu'a fait naître en eux l'attitude agres«

Tous

plein

les

indigènes

exercice

sive de la Turquie vis-à-vis de la France et témoigner de leur attachement plus que jamais ferme à leur

patrie adoptive.

Ces Kabyles élevés par des Français avec leurs propres enfants ne considèrent plus ces derniers que comme des frères et méprisent ensemble tout ce qui «


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

io6

porte atteinte à la dignité et aux intérêts de la France. n'ignorent pas que leurs malheureux coreligion-

Ils

naires d'Orient sont leurrés et entraînés à leur perte fausse panislamiste inté-

par l'Allemagne brutale, ressée, et protestent

énergiquement contre l'interven-

tion de la Turquie, pour

que

celle

une cause aussi injuste telle de la Germanie, notre ennemie à mort. Ils

regrettent que le gouvernement

ottoman

agir avec discernement et se ranger,

n'ait pas su

comme

c'est son dans l'intérêt même de l'Islam, pour combattre avec la France et ses alliés qui ont pour eux un si grand nombre de musulmans.

devoir,

Cependant, cette odieuse agression ne change en bons Français et ils vous affirment une fois de plus leur fidélité et leur entier dévouement à la France. » Le fils du bach-agha de Chellala, qui se rangea du côté du bach-agha de la Medjana, M. Ben Aly Chérif, «

rien leurs sentiments de

est aujourd'hui

un des délégués

financiers de la Kabylie qu'un fonctionnaire des plus dévoués à la France, et Chellala, où son père commanda en 1871 jusqu'au moment où il se révolta, est une des communes mixtes où l'état d'esprit des indigènes est

en

même temps

excellent et qui a fourni de

nombreux engagements M. Mokhtari (Mokhtar ben Boulanoir), frère du marabout de Chellala, n'est-il pas devenu spahi, comme preuve du loyalisme de sa famille, et l'iman de la mosquée de Chellala ne s'est-il pas disvolontaires.

tingué par ses appels en faveur de la France? D'autres fils de chefs indigènes ayant participé à l'insurrection de 1871 donnent actuellement le plus bel exemple.

En

fin

août 1914, un boucher indigène de passage


INSURRECTION DE à Marceau,

1871

ET GUERRE

commune mixte de

avoir lu dans

les

journaux que

les

1914-1918

197

Cherchell, annonce

Prussiens sont près

ont lancé des bombes sur la capitale. de Mohammed, cheikh de la section Tahar Sahraoui M. ces paroles, proteste énergientendant Marceau, de quement, invective le propagateur de mauvaises nouParis et qu'ils

en lui disant que ces renseignements doivent de la peine à chacun et qu'il serait mieux inspiré en ne les répandant pas. Or, M. Sahraoui Tahar Mohammed est précisément le fils de l'un des chefs qui fomentèrent en 1871 la révolte des Beni-Menasser. velles

faire

Le 10 novembre 19 14, M. Charles Lutaud cette adresse

reçoit

:

sa Seigneurie, Monsieur le Gouverneur général de. l'Algérie, que Dieu fasse durer sa puissance. «

A

«

Tous

les

indigènes des Beni-Menasser

du Nord,

aussi bien que les fils, de ceux qui commirent l'erreur de se révolter en 1871, que ceux dont les ancêtres

furent toujours fidèles, unis dans un même sentiment d'amour pour la patrie et de reconnaissance pour l'administration, adressent à Monsieur le Gouverneur général la nouvelle assurance de leur respectueux

dévouement

et

de leur inaltérable attachement à la

France. «

Ils

font des

vœux pour

le

lesquelles leurs enfants

succès des armées alliées combattent pour l'hon-

dans neur du drapeau français, qui est leur seul drapeau. comme ils Ils prient Dieu (qu'il soit exalté !) de châtier,

Turcs, qui, après avoir été tyrans de leurs pères, sont devenus les complices de leurs ennemis. » Et de Cherchell d'où dépendent les Beni-Menasser

le méritent, les traîtres, les les

on

fait

remarquer

:


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

i9§

« Depuis 1871, la juxtaposition plus intime des deux races a produit un rapprochement des esprits. Le colon, implanté sur les terres séquestrées, a fourni

aux dépossédés du

sol

une main-d'œuvre

souvent

et

des avances qui leur ont permis de vivre. En fréquentant son patron, le Kabyle a parfois appris sa langue, les échanges de vues et d'informations ont alors pu se produire avec plus de facilités. Les brutalités alle-

mandes qui hantaient l'esprit de tout Français après nos désastres ont fait l'objet de conversations qu'approuvaient toujours les anciens tirailleurs. Sur ce

point, les

Kabyles n'ont donc jamais

même

impression qui leur Allemands. »

fait

accueilli

qu'une

redouter de devenir

De Cherchell même, on assure également La situation politique des indigènes est

«

:

toujours

excellente. Les réquisitions de blé se poursuivent dans le plus grand ordre. Elles se font non seulement sans

récrimination, mais

même

avec empressement. Nomqui nous ont déclaré « Demandez-nous tout ce que vous voudrez, tout ce « que nous avons est au baylik. » Les anciens tirailleurs ont répondu sans défaillance à l'appel des réservistes. »

breux

sont

les

Kabyles

:

Comme

M. Morinaud, maire de Constantine, le félienvoyé son fils, des parents et des amis comme goumiers en France, le bach-agha Ali Bey citait d'avoir

répondit

En

:

71, des indigènes

mal inspirés ont fait une tache à notre burnous, nous voulons l'enlever pour «

toujours.

»

A Telergma, où population a toujours été plus remuante qu'ailleurs et qui s'est soulevée il y a quarante-sept ans, l'état Faut-il citer d'autres exemples?

la


INSURRECTION DE d'esprit des lent.

1871

ET GUERRE

1914-1918

m

excel-

indigènes est depuis longtemps

'

des région de Beni-Mansour a été, en 1871, l'un ont tribus les principaux foyers de l'insurrection et considéfourni, toutes, sans exception, des contingents

La

Mokrani. D'aucuns ont était encore populations affirmé que l'esprit de ces des loyalisme Le mobile. extraordinairement

rables et acharnés

aux

frères

demeuré

l'épreuve par la tribus de Beni-Mansour est mis à une impression rapporte en chacun guerre actuelle. Or, des tribus sont populations les Partout réconfortante.

animées

des

meilleurs

sentiments,

les

autorités

de nombreuses marques d'attacheet, là aussi, se font d'impordévouement, ment et de volontaires. engagements tants La commune mixte de Souk-Ahras a été aussi en par les spahis 1871 le théâtre d'une révolte provoquée

reçoivent d'elles

Gambetta. de la smala d'Aïn-Guettar, aujourd'hui de la partie Ceux-ci avaient entraîné la plus grande des tribu la tribu des Hanancha et une partie de appartenaient Ouled-Khiar. Les chefs du mouvement encore, à l'importante famille des Resgui, qui existe région la dans prépondérante et dont l'influence était les tous fidèle actuellement Or, cette famille nous est longtemps, depuis observent, descendants des insurgés engagements l'attitude la plus correcte. De nombreux mixte de commune la dans volontaires ont eu lieu ;

beaucoup d'indigènes se sont fait inspas toucher la crire en déclarant qu'ils ne voulaient prime d'argent. Dans la nuit du 16 au 17 mars 1871, Bordj-bousignal de Arreridj était pillé et incendié. C'était le Souk-Ahras

et

l'insurrection, celle-ci éclatait

de tous côtés,

la

Kabylie


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE entière se soulevait,

et, principalement, les Européens de Palestro étaient massacrés. Or, à Bordj-bou-Arreridj, les opérations de la conscription se font, durant la guerre, sans incidents

les

jeunes conscrits musulmans manifestent de l'enthousiasme dans la viUe, des engagements volontaires se produisent, les indigènes font des commentaires des nouvelles qu'ils apprennent et sont heureux des succès de nos armes.

A Palestro, l'état d'esprit

des indigènes donne toute dans le douar Beni-Khalfoun que se trouve la population la plus remuante et que les Européens craignent le plus depuis le massacre des habitants de Palestro en 1871, c'est aussi dans ce douar que s élèvent les plus belles et importantes forêts en valeur Or, nen n'est venu, dans la guerre actuelle, susciter une émotion quelconque. Les zaouïas satisfaction. C'est

fonctionnent régulièrement, les chefs religieux sont animés des meilleures intentions. L'autorité militaire réquisitionne les

mulets et l'on constate de la part des indigènes un empressement marqué à se rendre aux lieux fixés pour le rassemblement des bêtes. Les descendants des insurgés de 1871 souhaitent publiquement et vivement le triomphe des armées françaises. On leur fait confiance et il est décidé que les quatorze mille indigènes desservis par le pont de Palestro pourront y circuler en toute saison.

Veut-on un exemple collectif? C'est celui que donnent les musulmans d'Azeffoun (Port-Gueydon) Ils adressent, en effet, au Gouverneur de l'Algérie dès les « «

premiers jours d'août 1914, l e message suivant Louange à Dieu seul.

La population indigène de

la

:

commune mixte


INSURRECTION DE

1871

ET GUERRE

1914-1918

201

voyant la situation dans laquelle se offrir au gouvernement français, en échange des bienfaits à eux rendus par ce dernier, son appui dans le cas où d'Azeffoun,

trouve leur chère patrie adoptive, vient

son intervention serait jugée nécessaire et utile. « Pour dissiper l'ombre de doute qui peut exister chez quelques Français, doute fondé et créé par 4a faute

commise par

ses ancêtres

en 1871,

les adjoints

de la commune susdite, soussignés, se portent garants de tout ce qui peut se produire dans leur douar de nature à troubler la tranquillité et le indigènes

prestige de leur patrie adoptive. «

De nombreux

indigènes de la région sont prêts à

tenir leur place auprès de leurs frères déjà sous les

drapeaux

et seraient très

triompher. et

Ils

heureux de voir ses couleurs

veulent prendre une part à ce triomphe

pouvoir ainsi racheter la faute commise par leurs

ancêtres. «

Animés de

ce sentiment

;

ils

sont décidés à verser

jusqu'à la dernière goutte de sang pour défendre leur chère Algérie rendue

si

convoitée.

Persuadé que toutes les régions de l'Algérie, principalement la Kabylie, sont animées des mêmes sentiments, le gouvernement français peut donc, sans arrière-pensée, concentrer ses forces pour défendre le sol français et être assuré que ses sujets algériens, désireux, eux aussi, de manifester leurs sentiments patriotiques, défendront de pied ferme leur chère Algérie... » Veut-on un exemple individuel? M. Kaci Abdallah Salah ben Belkacem dit à l'Echo d'Alger du 16 septembre 19 14 « Mon père prit part au mouvement insurrectionnel de 1871 mais depuis il a reconnu les bienfaits de la «

:

;


L'ALGERIE ET LA GUERRE

202

de se dévouer à la

civilisation française et n'a cessé

France. « Quant à moi, je me suis fait un devoir d'aider à la propagation de tout ce qui peut servir la cause française je suis membre fondateur de plusieurs sociétés de gymnastique et de prévoyance sociale je travaille de mon mieux à éduquer la jeunesse musulmane dans ;

j

;

;

un

esprit français...

Toute ma famille est animée comme moi de sentiments qui se résument en ce cri « Vive la France, ma « patrie Vive l'Algérie française » «

I

:

!

j

!

La conquête de la Kabylie a été la plus dure expéLa France se trouvait devant un pays dont

dition. les

montagnes formaient autant d'inexpugnables citadont les habitants, farouchement attachés

delles et

à leurs rochers, épris de liberté battait leurs

comme

de soldats de l'armée

de

l'air

formaient

robustes poitrines,

qui

autant

la plus décidée à vaincre

ou à

mourir.

Les Romains, qui entreprirent dans

le

nord de

l'Afrique les plus gigantesques travaux, à tel point

que

l'on retrouve encore partout leurs traces invulné-

rables, se sont pourtant brisés à ces inaccessibles

La

mon-

Kabylie ne se laissa pas dompter par les anciens maîtres du monde et quand, bien des siècles après, une nouvelle nation, la France, éteignit les feux qui, de rochers en rochers, affirmaient, contre tous les tagnes.

fière

conquérants, l'indépendance kabyle, quand sions de

Mac-Mahon, de Renault

et

les divi-

de Yusuf

attei-

audacieusement les cimes vierges des montagnes enfin domptées, un marabout en prière ne put s'empêcher de s'exclamer « Les Français sont un grand peuple ils sont montés là-haut » Son cœur était gnirent

si

:

;

!

!


INSURRECTION DE

1871

ET GUERRE

1914-1918

203

empli de la plus profonde tristesse et de la plus

humble

résignation.

Mais l'âme encore farouche de la Kabylie rejetait toute tristesse et proclamait que la résignation n'est l'attribut que des cœurs veules. Elle voulait âprement reconquérir son indépendance et la France dut, une fois de plus, la soumettre en 187 1. Le sort en était enfin jeté. Les nobles vaincus rendaient

hommage à la puissance française et se ralliaient elle. De ces pics abrupts de l'énorme

loyalement à

Djurdjura, de Fort-National, cœur de la

d'où l'on découvre

le

des crêtes découpées

fière

Kabylie,

spectacle magnifique et terrible ,

de Michelet, situé plus haut

encore, d'où l'on ne peut s'empêcher de songer

aux

de la conquête, car il y fallut vaincre jusqu'à la nature même, les fils des anciens révoltés descendent jusqu'à Tizi-Ouzou, qui fut naguère le plus difficultés

vaste entrepôt

fortifié,

accourent à l'appel de notre

patrie devenue la leur, lui offrent l'élan de leur

âme

indomptable, l'appui de leur endurance trempée à

même de leurs vaillants rochers, et vont, soit comme soldats, soit comme travailleurs, affirmer au celle

front ou dans les usines de la défense nationale que les

enfants de ceux qui, jadis, ne s'étaient pas inclinés

devant les aigles romaines n'ont, à jamais, pour drapeau, que celui de la France. Dès le premier jour de la déclaration de la guerre, ils manifestent leur attachement à la patrie attaquée par l'Allemagne. Les patrouilles effectuées par les goumiers assurent la sécurité, l'état d'esprit se montre excellent, et, en août 1914, c'est

un

spectacle inou-

la perception des impôts ne que de voir pouvant se produire, faute de personnel dans le service

bliable


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

204

les douars descendre des contributions diverses de la crête des montagnes où sont accrochées leurs habitations et gravir les hauteurs éloignées de Michelet pour payer ce qu'ils doivent à l'État. Que de Kabyles, dans le ferme enthousiasme de contracter un engagement volontaire et soucieux tout d'abord d'échapper aux reproches et aux récriminations de leurs mères craintives, s'en vont des massifs du Djurdjura ou quittent Fort-National pour s'enrôler dans des garnisons très distantes de leur résidence, à Tizi-Ouzou ou à Dra-el-Mizan, à Blida ou à Maison-

Carrée

!

Que de Kabyles s'en vont en France, comme travailleurs. Il y en a des milliers à tel point que ce patriotique exode va changer toute la face de notre colonie. Cette assimilation

que d'aucuns imaginaient

impossible ou certifiaient très lointaine pourra donc

même si sûrement que l'étude du problème algérien s'impose enfin, le plus favorablement, sans crainte de heurt, au seul point de vue de la prédominance française par l'esprit, par la loi, par le cœur, par toute la façon de penser, par toute la manière de vivre s'opérer le plus rapidement, s'opère

I


XV LA DÉCLARATION DE GUERRE AVEC LA TURQUIE

Un des faits les plus angoissants pour la prépondérance française dans l'Afrique du Nord éclate en novembre 19 14. Les agissements de la Turquie sont tels que la France est dans l'obligation de lui déclarer la guerre. Or, d'un côté, la Turquie compte sur la puissance spirituelle de son sultan pour déchaîner la guerre sainte parmi les musulmans de l'Afrique du et ceux-ci, au dire de l'Allemand Becker comptent sur la Turquie contre leurs maîtres ». Est-il vrai que les croyants du monde entier considèrent encore les Turcs comme leurs protecteurs naturels? Une supplique en vers « composée par les Andalous pour solliciter l'intervention du sultan ottoman à l'époque où les Espagnols conquirent leur pays et les forcèrent à abjurer l'Islam » comporte « N'êtesvous pas généreux, glorieux, élevé et le secours suprême des serviteurs d' Allah dans tous les moments cri-

Nord, «

:

tiques?

»

C'est là l'origine de ce qu'on a appelé le panisla-

misme. Tous

les

musulmans, en quelque

terre qu'ils habitent, relèvent d'un

verains

musulmans eux-mêmes,

État

de la Les sou-

lieu

idéal.

fussent-ils d'Egypte,


L'ALGERIE ET LA GUERRE

2o6

de Tunisie ou du Maroc,

comme

autrefois d'Algérie,

doivent reconnaître l'un d'entre eux

comme

chef

suprême. Ce chef est le porte-drapeau de la communauté musulmane contre les infidèles, quels qu'ils soient, et c'est le sultan ottoman. Il descend, assuret-il, du Prophète et il se considère comme le successeur des khalifes orthodoxes de l'ancien empire arabe.

Ce panislamisme a atteint un caractère aigu depuis que l'Allemagne a voulu jouer un grand rôle dans le monde de l'Islam et s'est habilement, pour étendre sa politique de domination, inféodé la Turquie elle-

même. Ses savants ont développé, commenté pagé

les doctrines

et pro-

panislamiques, son gouvernement a

distribué tout l'argent nécessaire, et cela principa-

lement pour jeter la perturbation et semer un esprit de révolte parmi les populations musulmanes qui vivent à l'ombre du drapeau de la France. Le Temps du I er novembre 1912 donne, en effet, par la plume de son correspondant du Caire, les renseigne-

ments suivants «

La

:

plus active des sociétés panislamiques dans

du Nord est une Union Maghrébine » dont

l'Afrique

société secrète,

«

le titre seul

dénommée

indique qu'elle

tend à englober tous les musulmans du Maghreb, c'est-à-dire non seulement la Tripolitaine, mais la Tunisie, l'Algérie, le

Maroc

tale française. Cette société,

et

même l'Afrique

occiden-

d'abord organisée au Caire,

au cours de ces dernières années, a

fixé

son siège à

Alexandrie « Ses principaux membres sont deux Égyptiens,

Mohamed Pacha trésorier est

Cherei et Cheikh Ali Youssef

un Algérien, Amin Bey

el

Maghrebi.

;

le

On


DÉCLARATION DE GUERRE

A LA

TURQUIE

207

assure aussi que la société a fondé une section à Alger et à Tunis.

Sa principale agence, à Constantinople, serait « El Montada el Adabi », qui recrute des officiers dans les régiments de l'armée cette société s'était donné pour objet, à turque l'époque de sa formation, de restaurer l'empire musulman dans l'Afrique du Nord, sous les auspices de l'Al«

actuellement la Société

;

lemagne... «

L'activité de l'Union

Maghrébine

est

également

dirigée contre l'Algérie et la Tunisie. D'après des ren-

seignements que

je crois dignes de foi, une réunion du Comité de l'Union s'est tenue le 20 septembre dernier afin d'examiner la proposition alléchante que lui faisait le représentant d'une grande puissance européenne. La puissance en question s'engagerait à verser immédiatement à la société une somme de 600000 francs, afin de préparer un soulèvement général dans l'Afrique en cas de guerre européenne. « Il s'agissait de répandre en Algérie et en Tunisie un grand nombre d'agents provocateurs turcs, syriens ou arabes. Ces agents devaient travailler la population musulmane et lui distribuer des armes en cas de guerre

européenne.

»

L'Allemagne estime qu'elle peut d'autant plus compter sur le succès de ses projets qu'il y a encore en Algérie des indigènes dont les ascendants turcs vinrent se fixer en notre colonie en 15 17 lors de l'expédition de Baba-Arroudj qu'il y a aussi un grand nombre soit de Hadris qui n'ont d'ailleurs de commun avec les Turcs que la religion, soit de Koulouglis, descendants issus de l'union des Turcs avec les femmes mauresques et dont beaucoup ont encore ,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

208

le pays de leurs ancêtres. Donc, une action universelle s'engage. Bien avant l'ouverture déclarée des hostilités, les journaux turcs s'appliquent à préparer tous les esprits musulmans, et beaucoup d'entre eux s'adressent spécialement à leurs coreligionnaires de l'Afrique du Nord.

conservé des relations avec

Le périodique

religieux Selilurrichad (Droit chemin),

en octobre 19 14, publie la traduction en langue arabe d'une proclamation qui, par les soins du comité panislamique de Stamboul, est envoyée au Maroc, en Algérie et en Tunisie pour être distribuée aux tirailleurs et

aux

spahis.

Après avoir cité plusieurs versets du Coran, la proclamation exhorte longuement les musulmans à ne pas se battre à côté des Français, car ce sont les ennemis d'Allah. Ceux qui combattent avec eux encourront la malédiction de Dieu. S'ils veulent mériter la récompense céleste, les musulmans doivent, au contraire, prendre les armes contre les Français. La proclamation les convie à la guerre sainte et conclut ainsi «

:

Soldats musulmans, attendrez- vous encore jusqu'à

ce que ces barbares nous tuent, nous volent notre patrie et mettent fin à votre religion, à votre patri-

moine d'honneur et de vie? » La fameuse agence Wolf, toujours aux aguets pour amplifier dans le monde entier les nouvelles favorables à l'Allemagne, télégraphie jle 23 novembre 1914 « D'après une communication officielle du Cheikhul-Islam, eut lieu dimanche une réunion à laquelle :

prirent part trois anciens cheikhs-ul-islam et plusieurs

autres dignitaires religieux et ulémas.

On

décida à

l'unanimité qu'un appel serait adressé à la corporation


^DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE

209

des ulémas pour qu'elle annonçât au peuple musulman que la guerre sainte était proclamée. » Un des principaux manifestes répandus dans le nord de l'Afrique et qui a le mérite, en prônant la guerre sainte, de bien démontrer de quelle nature sont les excitations

Tous

«

dérer

les

comme

panislamiques, est

le

suivant

musulmans du monde doivent frères et s'entr'aider

:

se consi-

en conséquence.

Celui qui ne donne pas son appui à un frère sur lequel pèse la tyrannie des infidèles est honni par la Pro-

vidence. Depuis la proclamation de la guerre sainte, tous, petits et grands, doivent se considérer

comme

des

soldats...

Dès aujourd'hui, la guerre sainte est pour tous musulmans une obligation fondamentale, Il faut, c'est un devoir absolu, porter en conséquence, tous les coups possibles, en public ou en secret, aux a

les

infidèles

ennemis qui se trouvent dans la patrie. Selon

du Coran, tuer un infidèle est un acte aux yeux du Tout-Puissant. Tout bon musulman doit s'efforcer d'en exterminer au moins trois ou quatre, car il est sûr qu'il en aura sa récompense au jour du jugement... « Vous ne devez plus vous soumettre à la domination des ennemis de Dieu et du Prophète, pas même à leur Et même si vos parents, vos frères se soututelle le

verset 88

méritoire

!

mettent à eux, vous ne devez plus les considérer comme vos frères. Il faut que vous n'ayez, comme amis, que les vrais

croyants.

La position des musulmans, aujour-

d'hui, est remarquablement favorable à la guerre sainte, alors

que l'Angleterre aux Indes,

la

France au Maroc

en Algérie, l'Italie en Tripolitaine et la Russie en Perse et au Caucase sont dans une tout autre situation.

et


L'ALGERIE ET LA GUERRE

210

« Le but de tous les musulmans doit être la libération de leurs territoires de l'esclavage des infidèles... « En conséquence, aucun musulman ne doit payer aux infidèles des impôts, qui sont un déshonneur pour la religion. Aucun ne doit faire d'affaires avec ceux qui ont envahi le territoire musulman et avec les ennemis de l'Islam. Aucun ne doit leur obéir... « Les musulmans doivent lutter jusqu'au sacrifice pour atteindre le but suprême, celui de leur vie, ils doivent s'efforcer de former des bandes de fixé

;

partisans et prendre une part active à la guerre régulière,

en. distinguant cependant les amis des ennemis

ceux avec lesquels il existe une convention ou un pacte. » La Tribuna italienne, du 25 février 19 15, annonce qu'un groupe d'agitateurs panislamiques est envoyé à Algésiras, qu'il doit s'y établir à demeure et qu'il a pour mission de susciter des troubles au Maroc et dans toute l'Algérie. On annonce aussi que des émissaires à la solde de la Turquie et de l'Allemagne, entre autres le panislamiste dangereux Soliman el Baronni, vont parcourir nos régions. Celui-ci est accompagné d'un voyageur allemand, d'un Tunisien nommé Mohammed Kamoun et d'un officier turc du nom d'Abdul Salem bou Géchiat, et qui est porteur d'une forte somme donnée par le comité jeune-turc à l'instigation de l'Allemagne et de l'Autriche. Les bruits courent dans nos milieux indigènes, que, la Turquie entrant en guerre avec la France, le Gœben et le Breslau vont revenir bombarder les côtes algériennes, et, dans ces milieux, il y a l'action de certains meddah ou conteurs publics ambulants, sortes de trouvères religieux, qui, grâce au prestige qu'ils et aussi


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE

211

exercent sur la foule toujours crédule, facile à émouvoir et à entraîner, peuvent être de dangereux agents de propagande antifrançaise. On assure que des croyants habitant l'Algérie ont fait un jeûne de trois jours pour prévenir une calamité qui menacerait les musulmans. L'explication publique est que cette calamité serait une grande chute de neige qui ferait périr nombre d'hommes et d'animaux, mais le motif secret est que toutes les mortifications sont préconisées pour conjurer l'attaque éventuelle de Cons-

tantinople.

D'aucuns, dit-on, espèrent, parmi nous, tout au fond de leur cœur, car il serait trop dangereux de se découvrir publiquement, que le sort de l'empire turc sera préservé et, au bruit de la détonation des premiers obus lancés sur les forts des Dardanelles, ils vont,

parmi

leurs coreligionnaires, entretenir la croyance

enracinée, passée au dogme, que, malgré l'effort de

toutes les forces des infidèles, Constantinople ne tom-

bera pas.

L'image de

la destinée

de cette

ville, racontent-ils,

se traduit par cette phrase qui constitue toute la foi « Les ennemis pourront arriver jusque devant Stamboul, mais, à ce moment, s'élèvera de la Grande Mosquée un immense drapeau et tout ce qui est ennemi sera pulvérisé et disparaîtra. » La propagande antifrançaise va jusqu'à s'adresser aux Français d'Algérie. Certains de ceux-ci n'ont-ils pas reçu, sous enveloppe affranchie à dix centimes dans les premiers mois de 19 15, un libelle portant la signature « Youssef Fehmi, 26, avenue Duquesne, à Paris, publiciste turc, auteur de nombreux ouvrages, domicilié à Paris pendant dix-neuf années consécutives, pos-

islamique

:


L'ALGERIE ET LA GUERRE

2i2

sédant un casier judiciaire immaculé et des certificats d'honorabilité des autorités françaises elles-mêmes

» ?

comporte entre autres aménités « Français, écoute bien ceci. Toute l'immonde clique militaire et politico- financière qui gouverne la France fait la guerre pour le profit des forbans de l'Angleterre et des cannibales de la Russie. L'Angleterre, la perfide ennemie de tous ceux qui ne servent pas ses intérets, vient de déclancher la plus grande boucherie des temps modernes... « Marchez, pioupious de France et moujicks de Russie Et vous aussi, braves Belges, mourez pour la plus grande gloire des inventeurs des balles doumCe

libelle

:

[

|

!

doum «

!...

Hip, hip, hourra

!

Découvrez-vous devant l'avant-

••

garde de la civilisation. Laissez passer les Cosaques qui portent à la semelle de leurs bottes la « haute culture

moderne

éventrez

outragez

Délicieux Cosaques

».

les

combattants,

!

Scalpez, écorchez,

souffletez

les filles, piétinez les vieillards

les !

femmes,

Vous portez

flambeau de la civilisation Vous venez, soutenus par la France et protégés par l'Angleterre, apporter le

!

aux Allemands

les

méthodes nouvelles de

la

plus

exquise sensibilité. «

A bas les Gœthe, les

Schiller, les

Gluck,

les

Beetho-

ven. les Mozart, les Wagner, les Leibnitz, les Kant, les

Hegel, les Frédéric A bas les Allemands Vivent les hommes-loups » Le conseil général de Constantine s'émeut de cet !

!

!

état de choses,

MM

suivant «

et, le

27 avril 1915, à la demande de

Vallet, Bardedette, Dussaix, etc.,

Le

émet

le

vœu

:

conseil général appelle respectueusement l'at-

i


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE tention

mettre

213

du gouvernement français sur la nécessité de par une surveillance constante et efficace

fin,

dont l'absence a été regrettée bien souvent, et par des conventions diplomatiques dont la formule est à

aux complots d'origine turco-germanique, tramés au cours de ces dernières années par des puissances européennes, complots qui, sous le couvert de propagande religieuse, auraient pour but d'entraver rechercher,

l'œuvre de civilisation et de régénération entreprise

dans

le

monde

jeter des

islamique de l'Afrique du Nord et de

ferments de discorde et de haine entre

ment indigène de nos populations arabes

l'élé-

et l'élément

européen qui administre ces populations. » Que vont faire, dans le conflit turco-français,

les

indigènes algériens ?

Beaucoup d'hommes politiques ou d'écrivains de notre colonie ont cru de leur devoir de se méfier de certaines parties de nos populations ce,

mahométanes,

et

sous prétexte de guerre sainte, de panislamisme

ou de nationalisme musulman. M. Broussais, député et président du Conseil général d'Alger, n'explique-t-il pas, en décembre 1911 « Quant à la grande masse des' indigènes ignorante et travaillée par les émissaires orientaux, elle pourrait être assez facilement détournée de son loyalisme actuellement encore très sincère. Elle observe, avec conviction, toutes les obligations imposées par le Prophète, elle ne peut pas oublier qu'un des devoirs essentiels textuellement prescrit par Mahomet est celui de combattre les infidèles jusqu'à leur complète :

soumission à la «

foi islamique...

L'indice de la volonté de Dieu est dans la force mili-

taire

même

qu'il

donne à l'oppresseur. Dès que cette


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

2i 4

force faiblit

ou disparaît,

les fidèles

ont l'obligation

impérieuse de proclamer la guerre sainte et de chasser l'étranger, quel qu'il soit...

Rien à espérer par conséquent d'une action paciappuyée sur une force militaire redoutée. Et encore faut-il que l'armée «

fique et persuasive qui ne serait pas

d'occupation contienne des éléments et des cadres français bien constitués et nombreux...

M. André

»

en chef de la Dépêche de Constantine, ne va-t-il pas, en 1912, jusqu'à écrire tout un volume sur le Nationalisme musulman, que Servier, rédacteur

commentent en ces termes Le livre qu'a publié notre distingué confrère démontre de façon frappante et avec une documentation

ses partisans

:

«

musulman

irrécusable l'existence d'un nationalisme

s'opposant, en Algérie

comme

française et constituant,

un élément de

si

ailleurs, à la

domination

on ne réagit sérieusement,

trouble, sinon de danger, dans le déve-

loppement normal de notre œuvre et de nos efforts en ce pays. » Le 11 août 19 13, dans la Dépêche algérienne, M. Jules Rouanet n'amrme-t-il pas, en s'inspirant de son confrère constantinois «

par

:

L'idée nationaliste est cultivée les

comme un dogme,

Jeunes- Algériens, ambitieux, désireux de jouer

un

rôle, exaspérés d'orgueil par la conscience qu'ils ont de leur supériorité intellectuelle. Elle est servie par la presse indigène, dont le plan général d'action

consiste à discréditer l'administration française, exas-

pérer les indigènes et prêcher la solidarité musulmane. Elle est exprimée par les revendications des JeunesAlgériens. «

Et cette unité de vues, de tendances

et de

ma-


DÉCLARATION DE GUERRE

A LA

TURQUIE

215

nœuvres constatée en Egypte, en Tunisie et en Algérie, jette une vive lumière sur l'âme musulmane que rien ne désarme et qui n'abdique jamais ses espérances dans le triomphe de sa foi sur l'univers et dans la reprise des pays occupés par l'infidèle. » Le péril est-il donc si immense? On semble le croire.

Pourtant, un jeune indigène très instruit, caïd de Port-Gueydon,

fils

d'un

M. Mehenni Zaïd, a bien

soin,

dès le 29 septembre 19 14, d'écrire patriotiquement dans l'Echo d'Alger : « Au moment où la Turquie, poussée par de sourdes menées, semble s'apprêter à prendre part aux graves événements qui se déroulent en Europe, il est intéressant de faire connaître d'une manière précise la posture que prend, à tort, cet État aux yeux du monde musul-

man. «

La

lignée des Osmanlis

(les

sultans de Turquie)

n'est pas le vrai soutien, elle n'est pas la descendance

directe

du prophète Mahomet,

et si elle détient

son

étendard, cause de sa popularité, c'est par usurpation

par la mainmise sur l'Arabie et en parti-

et surtout

culier sur la Mecque...

»

Et M. Mehenni Zaïd de conjurer gionnaires

ainsi ses coreli-

:

Musulmans, ne vous laissez pas prendre au piège que vous a tendu l'Allemagne Luttez de toute votre force pour l'anéantissement complet de cette race germanique, indigne de pitié Soyez grands comme l'émir Abd-el-Kader qui, après la conquête, a su reconnaître les bienfaits que la France apporterait «

grossier

!

!

en Algérie et qui a si bien soutenu ses intérêts en Syrie L'Allemagne est jalouse de la grandeur de la France,

!


L'ALGERIE ET LÀ GUERRE

2i6

vous avez à venger en 1870 »

les tirailleurs et les

Français morts

!

Un

des chefs

Morsly, ne

du

s'est-il

parti jeune-algérien, le docteur

pas noblement appliqué à prévenir

qu'en cas d'une agression turque, la France n'avait rien à redouter des indigènes algériens bien au :

contraire

;

et n'a-t-il

pas écrit dans,

le

Républicain

du 16 octobre 19 14 un article intiPauvre Turquie, malheureux Ottomans » et dans lequel il est admirablement et magnifiquement de Constantine

tulé

«

:

spécifié «

!

:

Jupiter rendra-t-il donc toujours fous ceux qu'il

veut perdre sans rémission?...

Et voilà que

la Turquie retombe encore entre les de l'Allemagne et cette fois pour ne plus en sortir. Au lieu de garder sa neutralité dans les événements actuels et de panser ses blessures béantes et non encore cicatrisées, elle prend rang avec les ennemis «

griffes

de la France. Pauvre Turquie, malheureux Ottomans Quelle malédiction vous poursuit, quel démon pousse à votre ruine a Quant à nous, musulmans algériens, tant que vous n'avez eu qu'à guerroyer contre des peuples qui nous étaient indifférents, nous vous avons aidé de nos sympathies, de nos vœux et même de nos deniers. « Nous ne pouvions pas oublier, en effet, malgré tous les mauvais souvenirs qu'a laissés votre gouvernement dans ce pays, que vous êtes musulmans comme !

!

nous. « Mais aujourd'hui, malgré les fonds avancés par la France pour vous sauver de la mort, vous vous mettez contre elle, vous marchez avec les Allemands, ah ça !

non

!

!


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE «

Ne comptez donc

connaissons pas «

plus sur nous

:

217

nous ne vous

!

Nous ne sommes

ni jeunes-turcs, ni vieux -turbans,

ni turcs-musulmans. «

Nous sommes

et resterons toujours

:

Français-

musulmans. M. le docteur Morsly le dit admirablement il faut rester Français-musulman, car la France ne peut être tenue pour responsable des tragiques événements qui se produisent. Elle a de tout temps aimé la Turquie, et, au moment même où elle s'apprête à la combattre, elle estime de sa justice de rendre hommage au peuple turc et de proclamer, malgré tout, sa sympathie pour )>

:

lui.

Le manifeste du Gouverneur général de

l'Algérie,

en

date du 5 novembre 19 14, spécifie en effet « Sachez toutefois que la France ne nourrit aucune :

colère contre le peuple turc, brave, loyal, digne de

sympathie. Elle ne

tirera vengeance,

qu'ils

se

cachent, que des Allemands ou de ceux qui, se faisant leurs esclaves

ou leurs complices, violeraient

les droits

de la France et entraîneraient la Turquie hors de ses destinées et de sa politique traditionnelle. «

Vous n'ignorez pas

l'amitié séculaire qui a régné

entre la Turquie et la France, amitié désirée, recherchée,

obtenue par

le

grand Soliman, dès l'arrivée du peuple Vous vous rappelez les services rendus

turc en Europe.

par la France à la Turquie, l'an dernier encore, quand l'or

de la France, guérissant

les plaies

balkanique, sauva la Turquie de la «

de la guerre

faillite...

Et aujourd'hui, l'ambition personnelle de quelques

ministres jeunes-turcs,

musulman,

faciliterait,

ayant renié tout sentiment à l'ombre du Croissant, les


L'ALGERIE ET LA GUERRE

2i8

Allemands? Cela n'est pas possible! La France aime le peuple turc. Elle hait le kaiser allemand qui déchaîne les plus effroyables maux sur l'humanité. Elle veut abattre à tout prix sa puissance infernale. Malheur à lui et malheur à ceux qui se feraient les instruments de ses perfidies !... Et aujourd'hui la Turquie lui prêterait la main Ce serait de l'égarement et de la démence !... » forfaits des

!

Que répondent,

tout d'abord, ces Jeunes-Algériens

que, pour employer

un mot de M. Philippe

pamphlétaires dénués de sens critique

»

Millet, « des

s'acharnent,

pour maintenir d'injustes privilèges en leur faveur, pour se refuser à tout esprit de réformes en faveur des indigènes, à dénoncer comme ennemis de la France? Ah îles admirables réponses de ces grands calomniés, les réponses-, à la patrie française, de tous ces nobles cœurs Elles ne se font pas attendre Le 6 novembre 1^14, au Conseil municipal d'Alger, M. l'Admirai donne, en effet, en son nom et au nom de ses collègues musulmans, MM. Omar Bouderba, Bentami, Mustapha Hadj Moussa et Oulid Aïssa, lecture de la déclaration suivante « Hier, dans un éloquent et patriotique langage, M. le Gouverneur général, à raison d'événements soit soit

!

!

:

récents, adressait

un appel à la loyauté des musulmans

d'Algérie. «

Nous venons répondre

Au nom

à cet appel

de la population indigène qui nous a donné le mandat de la représenter au milieu de vous, nous tenons à affirmer publiquement et plus fortement que jamais ses sentiments d'inaltérable fidélité et d'attachement absolu à la France. Et nous tenons «


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE

pouvoirs publics qu'aucun événement,

à assurer

les

quel qu'il

soit,

mans de

219

ne pourra jamais détourner

les

musul-

leurs devoirs et de leurs obligations envers le

généreux pays qui a fait d'eux ses enfants. « A l'heure où la France envahie, menacée dans son existence même par une horde de barbares forcenés, sonnait le ralliement, la voix des musulmans, des premières, est «

la

Pour

montée vers

la France,

formule d'hier

:

elle pour lui crier présents L. en avant et toujours C'était là :

!

ce sera, encore, croyez-le, le geste

de demain. « Et voilà la déclaration bien nette, bien formelle que nous sommes chargés de vous apporter... « Un mot encore l'aspiration, pour tout cœur français, en ce moment, surtout, est de travailler à faire une France plus grande, plus forte, plus prospère à cette aspiration, laissez-nous vous l'affirmer, l'indigène s'associe sans réserve. Car une France plus grande, c'est son propre patrimoine qui s'enrichit. Une France forte et prospère, c'est son bien-être qui s'affirme, en même temps que l'assurance pour lui de pouvoir vivre et travailler dans le calme et dans la paix. « Et c'est pourquoi, demain comme aujourd'hui, vous le trouverez aux côtés de son frère français, la main dans la main, grossissant cette cohorte de héros lutter jusqu'à la qu'une unique résolution anime mort pour la libération complète du territoire et pour le triomphe de la grande cause de la civilisation devenue :

:

:

la nôtre...»

Des étudiants, comme MM. Omar Cadi

et

Mehamed

Djendi, télégraphient, de Bône, le 6 novembre 1914, à M. Charles Lutaud « Lâche agression Turquie sera :

pour nous occasion prouver patriotisme jeunesse uni-


L'ALGERIE ET LA GUERRE

220

versitaire indigène, prête à verser son

fendre intégrité France immortelle

;

sang pour dé-

sera heureuse con-

du

tribuer écrasement jeunes-turcs laquais kaiser.

Le président Rachidia «

sinistre

»

Dans

»

et les

membres du

Conseil de

écrivent au Gouverneur général

les circonstances actuelles, les

Conseil d'administration de

«

à vous assurer de leur loyalisme l'entrée de la

Turquie dans

sentiments n'ont pas varié

le

»

tiennent

plus pur. Malgré

le conflit

européen, leurs

plus que jamais,

et,

la

membres du

Rachidia

la

«

:

ils

sont attachés à la France qu'ils aiment et pour laquelle ils

sont prêts à tous les sacrifices pour la servir.

»

Les conseillers municipaux indigènes de Constantine,

hommes

épris de progrès et qui,

comme

leurs

collègues d'Alger, prônent l'évolution de leur race

dans la

civilisation française, remettent

Constantine la motion qui suit

au préfet de

:

Les conseillers municipaux indigènes de Constanpar le gouvernement turc dans la guerre provoquée par l'Allemagne et l'Autriche... affirment plus que jamais leur attachement et leur fidèle amitié pour la Fiance et ses alliés... et expriment, à nouveau, leur foi inébranlable dans le triomphe final des armées alliées qui sera celui de la «

tine, regrettant l'attitude prise

civilisation et

du

droit...

»

MM. Mehenni

Zaïd et Morsly, dont nous avons cité les paroles qu'ils ont prononcées avant que la Turquie ne se range définitivement du côté de l'Allemagne, écrivent ensuite, quand le sort en est jeté, le premier,

dans l'Echo d'Alger du 22 novembre 19 14 « Les Allemands ont soif de sang et veulent que toutes les nations du globe entrent dans le conflit :


DÉCLARATION DE GUERRE européen.

ont cru, et en cela

A LA

TURQUIE

221

trommusulmans se solidariseraient et se lèveraient en bloc pour essayer de les sauver de l'impasse où le fol orgueil Ils

pés, qu'en forçant la

ils

se sont bien

main du Turc, tous

les

et la rapacité de leur kaiser les a entraînés. Mais le but qu'ils se proposaient d'atteindre est manqué, car tous les musulmans réfléchis se sont au contraire levés

du côté du droit et de la justice... Les musulmans du nord de l'Afrique, comme on le sait, n'ont rien de commun avec le Turc dont ils se rappellent le joug cruel et humiliant... Aussi, c'est avec joie qu'ils s'enrôlent dans les tirailleurs et dans et rangés «

les

goums pour

l'univers entier.

Et

le

se

défendre contre les ennemis de

»

second, dans

le

Républicain de Constantine du

28 novembre 19 14 « On craignait à tort que les musulmans du :

monde

entier se solidariseraient avec la Turquie... Mais

ceux

qui pensaient ainsi ne connaissaient pas l'âme musul-

mane

et oubliaient

que nous sommes au vingtième

siècle. «

L'unité islamique n'existe plus depuis longtemps.

Les Turcs n'ont aucune influence sur

en général,

ils

les

musulmans

ont perdu tout prestige aux yeux de

leurs coreligionnaires... «

Ces

mêmes musulmans ne

craignent pas de se

battre contre leurs coreligionnaires, les Turcs, qui se

sont jetés aveuglément dans les bras de la perfide

Allemagne pour le plus grand malheur de leur pays. » S'il est exact, comme le prétend le panislamisme, que le sultan ottoman, successeur des khalifes orthodoxes de l'ancien empire arabe, soit le chef suprême et le porte-drapeau de la communauté musulmane


L'ALGERIE ET LA GUERRE

222

contre les infidèles,

lui-même

s'il

est exact

est issu des préceptes

et qu'il revêt ainsi

enfin exact qu'au

un

que

de la

le loi

panislamisme

mahométane

caractère d'ceuvre pie,

s'il

est

nom

de la guerre sainte officiellement proclamée par le Cheikh-ul-Islam à la Grande Mosquée de Constantinople, les vrais croyants sont dans l'obligation absolue de rejeter le joug des infidèles et qu'ils obtiendront d'autant plus, au jour du jugement, les récompenses du Tout-Puissant, qu'ils auront, même sanguinairement, agi contre ceux qui ne pratiquent pas leur religion, il faut donc, en notre Afrique du Nord, tout redouter de l'action des mara-

bouts et des zaouïas.

Ne

l'oublions pas, en effet

assuré que tant qu'il ;

l'Algérie,

:

que de

fois

nous a-t-on

y auia parmi nous un marabout,

en particulier, sera toujours à la

veille des

plus graves événements et que les zaouïas sont à sur-

rigoureusement parce qu'elles sont des centres

veiller

et des foyers d'insurrection.

jamais patriotes ont eu, au cours de cette une conduite admirable dont l'ardeur ne s'est pas démentie un seul instant, ce sont bien les maraOr,

si

guerre,

bouts.

Nous avons

nettement hostile à fois, par ses émissaires dans le Sud- Algérien notamment, essaya de les attirer à sa cause. Leur attitude contre la Turquie n'est pas moins significative. C'est là un des faits les plus considérables de notre histoire nord-africaine. Les proclamations en faveur de la guerre sainte comportent, avons-nous dit, que tuer un infidèle est un acte méritoire aux yeux du Tout-Puissant. Les marabouts d'Algérie repoussent énergiquement ces dit leur attitude

l'Allemagne qui, pourtant, plus d'une

j


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE

223

tous publient que la France, par chacun de ses actes, a droit à la reconnaissance du monde musulman et font de nouveau preuve du plus grand et noble esprit de tolérance. Sid Mohamed El Hamel ben Azzouz, chef de la confrérie des Rahmania, à Souk-Ahras, ne conseillet-il pas à ses frères musulmans, à ses moqquadem et à appels sanguinaires

;

ses élèves, après les avoir conviés à rester indifférents

Faction de la Turquie «

Comparez

les

à

:

beaux principes de

la civilisation

française avec ceux adoptés par les Allemands qui ont

profané l'antique cathédrale de Reims. » Sid Ali ben Sid Ahmed Tedjani, chef de la zaouïa

mère d'Aïn-Mahdi, adresse à le

noble appel qui suit

ses

nombreux

affiliés

:

Nous avons appris avec une profonde tristesse que gouvernement turc s'était engagé dans la guerre actuelle aux côtés de l'Allemagne, nation barbare et que Dieu l'extermine, la couvre de confusauvage, Et comment ne sion et la conduise à sa perte serions-nous pas peines de voir le gouvernement turc «

le

!

épouser la cause de l'Allemagne contre la France, l'Angleterre et la Russie? effet,

que

N'est-il pas

certain, en

cette aventure aboutira à la ruine complète

de l'empire ottoman?... «

Vous n'ignorez

pas, ô Tidjania,

comment

se

com-

portèrent les Turcs lorsqu'ils exercèrent leur domination sur l'Algérie...

Dans

ces conditions, qu'y a-t-il

d'étonnant à ce que nous soyons, tous,

du gouvernement turc?

Il

nous

les

suffit d'ailleurs

ennemis de nous

rappeler les paroles de l'Être sincère et loyal entre tous, notre prophète

Mohammed,

— que Dieu répande — lequel

sur lui ses bénédictions et lui accorde

le salut,


L'ALGERIE ET LA GUERRE

22 4

a dit

:

«

Détournez- vous des Turcs tant

qu'ils

«

laisseront tranquilles, mais combattez-les

«

attaquent.

s'ils

vous vous

p

»

« Peut-on trouver une preuve plus éclatante et un argument plus probant pour démontrer que les Turcs

sont un peuple pervers dont l'avenir est condamné d'avance?... « La France est pour nous une tendre mère, pleine de bonté et de compassion et, nous tous musulmans, nous avons le devoir impérieux de l'aider de nos personnes, de nos biens et de nos enfants contre son ennemie l'Allemagne et contre l'Autriche et la Turquie qui se sont jointes à cette dernière. A tout instant du jour et de la nuit, nous devons prier pour le triomphe de la France et de ses alliées, l'Angleterre et la Russie, de même que nous devons demander à Dieu d'assurer

de l'Allemagne, de l'Autriche de la Turquie. » Les autres chefs Tidjania, également descendants du grand saint Sid Ahmed Ettidjani, Sid Mohamed El Kebir et Sid Mahmoud, tous deux d'Aïn-Mahdi Sid Mphamed El Bechir, cheikh de la zaouïa de Temacine Sid Mohamed El Arroussi, cheikh de la zaouïa de

la défaite et la ruine et

!

!

;

;

Guemar, tiennent

le

même

j

t

langage.

Les chefs des confréries des Rahmania Sid Mohael Kamel ben Azzouz, de la zaouïa de SoukAhras Sid Amor ben Ali ben Othman, de la zaouïa de Tolga Sid Mohamed Esseghir, de la zaouïa des Ouled-Djellal, expriment les mêmes sentiments que Sid El Mokhtar, de la célèbre zaouïa rahmania d'El:

j

med

;

j

i

;

I

I

Flamel.

Ce dernier dit à tous les musulmans en général khouans en particulier

ses

et à ;

:

j


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE «

225

Je vous félicite d'avoir su, au cours des événements témoigner votre parfaite fidélité et votre

actuels,

dévouement à notre chère France... La Turquie dans une terrible épreuve qui la mènera engagée s'est inévitablement à sa perte... Les Ottomans avaient le devoir de se souvenir des bienfaits de la France et de ne pas se laisser circonvenir par les intrigues alleentier

mandes... «

Ces circonstances nous fournissent à nous, musul-

mans algériens, une nouvelle occasion de montrer

et de au gouvernement français et de lui marquer notre attachement en déployant tous les efforts dont nous sommes capables pour

prouver notre

fidèle amitié

l'aider contre ses ennemis...

Tous

les chefs

»

des autres ordres maraboutiques, que

ce soit le chérif Sid

Tekkoud Ahmed

Charef, cheikh

de la confrérie des Senoussia, à la zaouïa des OuledChefaa ; que ce soient les chérifs de l'illustre maison

d'Ouezzan, confrérie des Taibia, et en particulier Sid Ahmed ben El Hosni Sid Mohamed El Hachein, ;

cheikh de la confrérie des Chadoulia, à la zaouïa de Boghari Sid El Hadj Ahmed ben El Mebkhout, de tous, dans leurs l'ordre des Derkoua, à Mecheria, ;

que la folie s'est emparée des dirigeants de la Turquie, qu'à l'époque de la domination ottomane l'Algérie gémissait sous le poids de l'arbitraire, de l'injustice, des méfaits et des iniquités de toutes sortes, que l'entrée de la Turquie dans la guerre ne peut aboutir qu'à sa ruine et surtout qu'il faut énergiquement aider la France bien-

solennelles proclamations, écrivent

aimée, mettre à sa disposition

hommes, enfants

et

biens et être prêts à marcher contre ses ennemis où qu'ils soient. 15


L'ALGERIE ET LA GUERRE

226

Le clergé officiel musulman d'Algérie ne se laisse pas, non plus, émouvoir parce que le sultan ottoman est dogmatiquement le gardien des Saints Lieux et parce qu'il se déclare le

commandeur des

croyants.

Deux

exemples suffisent. Si Bennaceur Mohamed Arezki, muphti maléki à la Grande Mosquée d'Alger, dit dans une interview parue

novembre 1914, dans VÉ clair eur algérien : Les musulmans du nord de l'Afrique n'ont rien de commun avec les Turcs que leur religion... Assez d'équivoque. Qu'on ne nous confonde pas avec nos le

15

«

Pour mille raisons, nous ne saurions nous solidariser avec eux. Mais il en est une qui les prime toutes, c'est que nous avons apprécié le cœur de la France et que nous lui sommes par gratitude indissolublement attachés... » Et voici l'appel fait à la population musulmane, à l'issue de la prière du vendredi, à la Grande Mosquée et à la Mosquée de la Pêcherie, à Alger, par les muphtis des deux rites maléki et hanéfi coreligionnaires de Constantinople.

:

«

Sacrifiant ses intérêts vitaux et le véritable rôle

qu'elle aurait

s'assigner dans le

la Turquie, obéissant à la parole et

monde musulman, au geste de son cri-

minel fondateur, vient, par une agression des plus lâches, de se jeter dans la mêlée et de déclarer la guerre

aux

trois

grandes puissances de la Triple-Entente

la France, l'Angleterre et la Russie.

En

:

agissant ainsi

gouvernement turc a commis une lourde supportera toutes les conséquences. Sa lâche agression ne peut avoir aucune excuse. Elle est surtout contraire à la parole de Dieu Combattez dans la voie de Dieu contre ceux qui vous font mal, mais ne commettez point d'injustice... à la légère,

le

faute dont

il

:


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE «

227

Que nos coreligionnaires algériens sachent que nous musulmans algériens, aucun intérêt à

n'avons, nous,

nous solidariser avec les Turcs dans l'abominable forfait qu'ils viennent de commettre. Au contraire, notre intérêt nous recommande, pour^ notre salut et pour le salut de notre patrie, la France... »

Tous les chefs indigènes, aghas, caïds, cadis, membres du Conseil supérieur, délégués financiers, conseillers généraux ou municipaux, tous réprouvent, de leur côté, l'attitude de la

Turquie et tiennent, à cette

occasion, à affirmer leur profond attachement à la

France et au gouvernement de la République. Leurs il en est plus d'une centaine, adresses, ont presque toutes été publiées dans l'Echo d'Alger du 6 au 28 novembre 19 14. Elles se résument toutes dans la mâle et patriotique dépêche que l'agha Djelloul, le caïd des caïds Benaouda,

membres de du célèbre bach agha Lakhdar envoient collectivement, de Laghouat, au Gouverneur général, le 8 novembre 19 14 « Nous avons appris avec indignation l'agression caïd des caïds Daïlis et tous les autres

le

la famille

:

inqualifiable de la Turquie contre les puissances alliées et,

plus particulièrement, contre la France, sa bien-

faitrice. «

Nous tenons, dans

cette circonstance, à vous don-

ner une nouvelle assurance de notre loyalisme et à

vous dire que nous sommes prêts à marcher contre Turcs, comme nous marchons contre les Allemands et tous les ennemis de notre patrie, la France. » Et le peuple? Il est certain que beaucoup de cœurs ont été impressionnés en considérant l'étendue des conséquences qui pouvaient résulter pour l'avenir de les


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

228

T Islam en Europe, du fait de l'entrée de la Turquie dans la guerre, le khalife étant le représentant de Mahomet sur la terre comme le pape est le vicaire de Jésus-Christ. L'atavisme turc a, en outre, encore laissé des racines profondes dans les familles des Koulouglis. Aussi a-t-on accusé les Jeunes-Turcs d'être auteurs responsables des calamités qui allaient

les

fondre sur l'empire ottoman et a-t-on espéré qu'une révolution se produirait à temps qui, en renversant le parti germanophile, permettrait de signer la paix avec les Alliés

Bien des croyants ont

même compté

sur

un pouvoir

surnaturel pour sauver la patrie des ancêtres. Mais rien, durant cette guerre, n'a modifié l'attitude de ces Hadris et de ces Koulouglis, qui est restée, en fait,

sinon en intention, parfaitement loyaliste.

Ils se

sont

rigoureusement abstenus de tout acte ou de tout propos susceptible de porter ombrage à la France et se sont toujours montrés déférents et respectueux envers les

agents de l'autorité.

Il

faut ajouter que le plus grand

d'origine turque

dès

le

ou passant pour

début des

nombre des

familles

telles s'est appliqué,

hostilités, à être des plus

prompts

à manifester son attachement et son dévouement à

notre pays.

Quant aux indigènes

ils ont vu sans émodu côté de l'Allemagne.

algériens,

tion la Turquie se ranger

un pays lointain, sur lequel, ne sont plus habitués à compter

C'est qu'elle est pour eux

depuis longtemps,

ils

et, malgré le lien religieux qui les unit à elle, ils ne se souviennent que des iniquités et des vexations du pouvoir arbitraire des Turcs en Algérie.

En beaucoup

d'endroits, le souvenir néfaste des


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE anciens dominateurs

229

ainsi que, dans y a un lieu, dit Guelter-rous (le sac des Têtes), qui prit ce nom-là à la suite d'un châtiment infligé aux Ouled Meriem auxquels il coûta environ trois cents têtes. A Tlemcen, le pacha turc laissait toute liberté à ses seïdes pour commettre

survit.

commune mixte d'Aumale,

la

C'est

il

pires exactions et l'on se raconte encore, par exemple, l'histoire d'un jeune berger surpris dans la montagne par des gendarmes turcs, gorgé et gavé de lait par eux. Puis ils percèrent, du bout de leur poignard effilé, l'estomac ballonné et congestionné du les

malheureux et se délectèrent au spectacle répugnant du mélange de sang et de lait qui giclait par la blessure.

Aussi la propagande turco-allemande que tentent certains émissaires est-elle sans effet. Les indigènes

arabes et kabyles demeurent inébranlablement atta-

même au nom entamer leurs sentiments, et l'exemple le plus admirable, durant cette guerre, est celui qu'ont fourni nos soldats musulmans. Le communiqué officiel du 17 mai 1915 relate en chés à la Fiance. Aucune propagande,

du

Croissant, ne peut parvenir à

effet: «

Sur

l'Oise,

près de Bailly, les Allemands, pour

impressionner sans doute nos

devant nos le Croissant.

lignes,

tirailleurs,

ont placé,

un drapeau ottoman,

vert, avec

Nos troupes

sitôt à cette provocation,

africaines ont

en abattant

répondu ausdrapeau à

le

coups de fusil. Un tirailleur est ensuite allé le chercher et l'a apporté dans nos lignes. » Ce tirailleur se nomme Menas Ali ben Djarallah. C'est un engagé volontaire, originaire du douar Hamemcha, commune mixte de la Se fia, département


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

230

de Constantine, soldat de 2 e classe à la 5 e compagnie du 3 e régiment de marche. Sa citation, avec médaille militaire, relate «

Voyant

les

:

Allemands arborer, à quelques mètres

en avant de leurs tranchées, l'étendard turc, s'est élancé brusquement en avant du réseau de fils de fer et est allé, malgré un feu violent des mitrailleuses, prendre ce drapeau que ses camarades venaient d'abattre à coups de fusil. » Dilmi Ahmed, tirailleur de 2 e classe au 2 e régiment de marche, et Athman Belaïd ben Mohamed, clairon au même régiment, sont cités, à leur tour, pour ce fait « Les Allemands, ayant placé à l'avant de leurs tranchées une pancarte incitant les tirailleurs à la désertion, se sont présentés comme volontaires pour aller chercher cet .écriteau. Ont parcouru ainsi deux cents mètres de terrain découvert et battu par le feu ennemi. Ont ramené la pancarte à la tranchée. » Rien n'a été épargné, en Allemagne, à nos soldats musulmans pour leur faire abandonner la cause de la France et les engager à aller combattre dans les rangs :

de leurs coreligionnaires turcs. Pour atteindre ce but, on use soit de la séduction, soit de la brutalité. Dans certains camps de prisonniers, Guillaume II fait construire à ses frais des mosquées ces prisonniers musulmans sont séparés des autres prisonniers et deviennent l'objet de soins constants, on les comble de promesses, principalement d'argent. Le côté alimentaire joue un grand rôle. On leur fait de la cuisine selon leurs rites. N'a-t-on pas reçu dans nos douars algériens des cartes postales de militaires indigènes détenus en Allemagne et portant en tête, écrit en arabe, et imprimé ou lithographie le menu des ;


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE

231

repas qui leur auraient été servis, entre autres, du

29 août au 4 septembre 19 16? Ces cartes postales n'avaient vraisemblablement d'autre but que d'influencer les musulmans appelés à en prendre connaissance et de leur démontrer que leurs coreligionnaires

étaient l'objet d'une attention toute spéciale de la

part des autorités allemandes.

Ferid

Bey

et divers autres agitateurs panislamistes

camp de Wiïnscommandé par cinq

résidant à Genève se rendent au dorff, près Zossen,

ou

six officiers

camp qui

est

allemands qui parlent couramment uniquement dans cette langue

l'arabe et s'entretiennent

avec

les prisonniers

l'empereur,

ils

musulmans à

qui,

de la part de

font maintes promesses. Ferid

Bey

et

compagnons sont conduits au camp avec une mission spéciale. Ils causent longuement avec les prisonniers, les catéchisent, leur font longuement ressortir ses

indignement trompés par la France et qu'un seul but replacer les terres ottomanes sous l'étendard indépendant du Prophète. L'émir Ali Pacha, fils de l'émir Abd-el-Kader et vice-président de la Chambre ottomane, et le cheikh Ahmed el Kouzbari visitent à leur tour les prisonniers musulmans et les haranguent en ces termes « Soldats musulmans, vous vous trouvez sous les ordres de l'ennemi du droit et de la croyance. Avec lui, vous allez en guerre. Mais, ce faisant, vous commettez un péché qui provoquera contre vous la colère qu'ils sont

l'Angleterre et que l'Allemagne ne poursuit :

:

de Dieu. « Les soldats musulmans qui tombent sur un champ de bataille à côté des ennemis de la foi devront languir à perpétuité dans l'enfer où ils seront associés aux


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

232

égarés et aux pécheurs. Car les Français ont foulé

aux pieds votre croyance et déclaré la guerre à Dieu et au ciel. « Mais Allah déclare dans le Coran qu'il détruira ceux qui font la guerre avec un peuple scélérat. Il est donc de notre devoir d'exterminer les Français et de lever contre eux l'étendard de la révolte. Tous les

maux

qui ont atteint l'Islam ont été causés par l'An-

gleterre,

la

Russie et

la

France.

Les temps sont

accomplis. Révoltez- vous contre ceux qui vous ont ravi votre honneur et votre fierté.

»

L'émir Ali Pacha ajoute ensuite « Les Français ont pris vos terres.

:

Ils

vous accablent

d'impôts et vous maltraitent. Croyez-moi, allez combattre cette nation maudite.

»

Pourtant en 19 13 l'émir Ali Pacha, après avoir combattu dans les rangs des Turcs en Tripolitaine, passa à Tunis, se rendant en Algérie et en France. Avant de quitter cette ville, il adressa en janvier de la même année, à M. Alapetite, résident général de France à Tunis, une lettre dans laquelle il disait « J'ai été vraiment rempli d'admiration pour l'œuvre colossale que la France a accomplie dans ce pays et j'ai constaté avec joie les rapports cordiaux qui régnent entre les populations françaises et musulmanes. « Je garderai un souvenir ineffaçable de cette brillante armée française à laquelle pendant quelques instants j'ai eu l'honneur d'appartenir et qui me retrouverait dans ses rangs le jour où le drapeau de la France serait en danger... » Les prisonniers indigènes algériens donnent à ce fils renégat du noble Abd-el-Kader la leçon la plus digne :


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE à la fois et la plus méprisante que puisse inspirer

plus pur patriotisme. Ils lui répondent «

233 le

:

Nous sommes des

soldats français, nous avons été de guerre, qu'on nous traite comme Si Ton veut nous faire plaisir, qu'on nous renvoie

faits prisonniers tels.

chez nous. Ils fils

»

suivent ainsi l'exemple de fidélité de cet autre

d'Abd-el-Kader, l'admirable et vénéré émir Omar,

qui fut pendu en Syrie, par les Turcs, en décembre 19 16, à cause de son inébranlable amour pour notre pays.

Furieux de cette réponse, l'émir Ali Pacha les menace en déclarant que Guillaume II les enverra de force contre les Russes. Mais les prisonniers musulmans se et cela est confirmé par les promettent entre eux, dépositions des grands blessés rapatriés en France, qu'ils saisiront la première occasion pour passer du

côté des Russes.

La séduction n'ayant eu aucun résultat, on a recours A Ohrdruff, nombreux sont les tirailleurs qui ont le bas du dos lardé de coups de baïonà la brutalité.

n'empêche pas de les exposer à la curiomoqueuse du public, et, tous les dimanches, la population des régions avoisinantes est admise, moyennette, ce qui

sité

nant 20 pfennigs, à circuler autour des grillages dans lesquels sont enfermés les prisonniers et qui forment «

la

cage des coloniaux

».

Le journal arabe El Ahram,

d'avril 1915, rapporte de l'attitude patriotique de nos soldats musulmans, les Allemands les menacent des pires représailles. « Vous irez de force chez les Turcs puisque

que, furieux

vous ne voulez pas vous y rendre volontairement, finirent-ils par dire. » Et alors, toutes les vexations possibles furent infligées à nos malheureux frères. Ils


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

234

furent soumis aux travaux les plus durs et les plus

répugnants, on alla jusqu'à

lès priver

de nourriture.

Et ce ne sont pas que les hommes qui menaçaient, les femmes allemandes, que Ton pourrait croire plus accessibles à la pitié, en faisaient autant.

El Ahram ajoute qu'il lui a été rapporté par un grand blessé rapatrié qu'une religieuse allemande lui « Lorsque tu seras guéri, tu iras comdit un jour battre contre la France dans les rangs des Turcs. » Devant les protestations indignées du tirailleur, elle entra dans une violente colère et lui dit « Eh bien, :

:

tu iras de force, Il est

reconnu que

l'émir Ali

a

fait

comme

Pacha

tous tes frères.

la pression exercée

et le cheikh

»

par Ferid Bey,

Ahmed ben Kouzbari

impression sur quelques-uns de nos soldats

cains. L'autorité

allemande a

même

afri-

préparé l'évasion

de certains et a vu, en eux, pour l'avenir, de précieux émissaires auprès de nos populations arabes ou auprès

de nos troupes indigènes dans le cas où ils seraient renvo} és sur le front. Mais cela n'a donné aucun résultat. 7

M. Mokhrani Boumezraq, dans sa brochure sur l'Islam dans l'armée française, écrit

:

que des militaires musulmans de l'Afrique du Nord ont été envoyés à Constantinople. Qu'ils y soient venus volontairement ou contraints, ils ont encore pu se rendre compte, là-bas, du degré de confiance que l'on doit accorder aux Allemands et à leurs alliés. Nous avons, en effet, été informés que «

Il

est certain

des tirailleurs algériens et tunisiens, trouvés à Constan-

abandonnés à la charité publique et mourant de misère dans les rues et les fondoucks de la ville, avaient dû être secourus par l'ambassade d'une puis-

tinople,

sance neutre.

»


DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE

235

Mais, en face de ces défaillances isolées et qui furent négatives, mettons ce qu'écrit

un

journaliste neutre,

M. R. Payot, dans la Gazette de Lausanne, en décembre 1916 « La loyauté des musulmans, qui souffraient cependant du climat, ne laissa pas d'impressionner leurs gardiens. Ils introduisirent dans le camp des espions qui s'aperçurent que les indigènes obéissaient docile:

ment à quelques grands

chefs arabes, possesseurs d'un

grade dans l'armée française. «

Parmi ceux-ci

se trouvaient, entre autres, le sous-

fils du grand marabout Sidi Mokhtar, de Chellala, qui s'était engagé à l'âge de quinze ans. Ces chefs, qui usaient de leur influence pour prêcher la fidélité à leurs coreligionnaires, furent dispersés dans toute l'Allemagne et très durement traités. Mais leur bel exemple et leurs exhortations avaient fructifié. Malgré les offres renou-

officier

Taouti, de Laghouat, et le

velées et les insidieuses tentations, les indigènes ne faillirent pas.

musulmans, eux, furent séparés de Allemands se montrèrent d'une grande prévenance à leur égard. A Krefeld, où se trouvaient des membres de familles arabes connues, telles que les Ben Gana, les Ben Bonsid, les Ben Chérif, chaque officier reçut une chambre particulière. On ne les sollicitait pas ouvertement de déserter, mais on les nourrissait de fausses nouvelles par le moyen de la Gazette des Ardennes et du Bruxellois. Tous les jours, leurs gardiens les interpellaient familièrement « Vous savez, leur disaient-ils, quand vous le voudrez, on vous laissera partir. » «

Les

officiers

leurs soldats, mais les

:

«

A

ces discrètes invitations, se joignaient mille


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

236

amabilités. Les

madan

musulmans purent observer

et leurs aliments étaient préparés

Rha-

le

par un cui-

sinier indigène. « Mais toutes ces avances restèrent stériles. C'était, en vérité, mal connaître le caractère chevaleresque de la race arabe que de s'imaginer qu'elle trahirait la foi jurée. Loyale dans son pays, elle le resta dans sa captivité. Un lieutenant, le caïd Ben Chérit, de Djelfa, refusa même les privilèges qu'on voulait lui accorder et réclama d'être traité comme ses camarades français. » M. Taouti ben Yahia, dont parle M. R. Payot, fut, ainsi que nous l'avons déjà dit, rapatrié le 15 juin 1917. Il nous raconte qu'étant, le 31 décembre 1914, interné au camp de Merseburg, il fut avec deux cent cinquante de ses compagnons l'objet de certaines sollicitations. « Nous répondîmes aux autorités allemandes que nous étions tous Algériens et que nous ne comprenions pas ce qu'on attendait de nous, que plusieurs de nous occupaient des postes, soit dans la magistrature fran-

çaise, soit

dans l'administration française,

et

qu'au

surplus nous avions juré fidélité à la France qui protégeait nos biens et nos familles

:

« ...

Vous voulez bien

«

nous parler de religion, mais vous savez aussi bien que nous que les questions de nationalité passent avant les questions de religion et qu'avant d'être les disciples de Mahomet, nous sommes et resterons

«

surtout Français.

«

« «

»

M. Taouti ben Yahia nous rapporte les paroles de M. Ben Houra Bouzare, fils du caïd de Ténès, en réponse à Cheikh-Salah qui l'engage à passer, avec ses cointernés, dans les rangs de l'armée turque

:

«

L'en-

fant ne doit pas lutter contre sa mère, sans quoi serait

un

lâche,

»

et cette

mère, c'est la France.

il


DÉCLARATION DE GUERRE

A LA

TURQUIE

•27

Le goumier Benhabid Abdelmajid, de l'Oued Amizour en Kabylie, objet de la même pression turco-allemande, « Les Kabyles ont fourni répond courageusement volontairement la plus grande masse combattante algé:

neuvième de ma famille sous les « Pourquoi attaquez- vous l'Allemagne, puisque vous n'êtes que des sujets français? » Benhabid répond « Les Allemands connaissaient rienne et je suis

drapeaux.

»

A

le

la question

:

:

si

bien notre solidarité nationale qu'ils ont bombardé

les

ports de Kabylie les premiers jours de la décla

ration de guerre.

»

Le panislamisme, le nationalisme musulman sont donc choses qui n'ont existé que dans l'esprit leurré ou intéressé de certains agitateurs eu de certains pamphlétaires.

Ce qu'on appelle

le réveil

commune,

n'est pas la sortie

selon

de l'Islam, ce

un mot

d'ordre,

de la torpeur de leur race de deux cents millions de

musulmans. Et comment a-t-on pu s'imaginer ou oser faire croire que cette race est une de par le monde, comme si elle ne formait qu'un bloc avec une même

âme

et des

mêmes

sentiments?

ses membres répartis en Europe, en Afrique et en Asie, ont des nationalités différentes, avec des chefs différents, avec un langage propre seulement aux mêmes agglomérations et ayant

Cette race est multiple

des aspirations que

;

le lieu, le

climat et les traditions

rendent très dissemblables. Il

n'y a rien de

commun entre le Marocain et l'Égyp-

tien, entre l'Algérien et le Persan, si ce n'est le lien

religieux, mais, à ce point

plus d'influence que

le

de vue, l'islamisme n'a pas

christianisme ou

le

judaïsme.

ne se bat plus au nom d'une religion, mais au nom d'un pays, et, s'il y a, en 1914-1918, une croisade fran-

On


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

238

de la France, à la fois chréles ennemis du droit,

çaise, c'est la croisade

tienne, juive,

musulmane, contre

de la justice et de la liberté. L'exemple de la Turquie, proclamant en vain la guerre sainte et essayant, par ses agitateurs et avec le concours de l'Allemagne, de débaucher, à son profit, nos soldats indigènes, prisonniers affaiblis par les privations et les maladies, désorientés par

un climat

néfaste, en proie à toutes les sollicitations, victimes

de toutes si

les

menaces

inébranlables et

France,

Le

le

et

de toutes les cruautés, mais dans leur amour pour la

si fidèles

prouve à jamais.

réveil de l'Islam, ce n'est, en réalité, pas autre

chose que l'entrée dans

le

monde civilisé et dans le monde qui semblait, aux

progrès moderne de tout un esprits ignorants

ou peu clairvoyants, encore

réfrac-

taire à toute idée, à tout élan, à toute aspiration

de

notre époque.

Mais chaque individu évolue dans son milieu social, le tempérament que lui assigne son climat, avec la tournure que lui implique en quelque sorte, l'expression géographique dont il dépend par hérédité et depuis des siècles, et suivant le régime national et avec

politique sous lequel

il

est né.

Vers cette évolution, tout

l'attire,

c'est l'irrésistible attraction des

de lui il secoue sa séculaire apathie, à la vie de son époque. ;

L'indigène,

comme

même

malgré

temps. C'en est il

lui,

fait

veut participer

tout autre être humain, sent

instinctivement que cette évolution l'appelle à un

nouveau où il y aura pour lui, comme aux temps heureux de ses ancêtres, plus de lumière, de bienêtre et plus de bonheur. sort


DÉCLARATION DE GUERRE C'est

une évolution

A LA

TURQUIE

239

comme comme elles,

naturelle, impérieuse

toutes les choses de la création, forte

parce qu'elle est imprescriptible, et vouloir, soit l'étouf-

par des théories fabriquées de le panislamisme ou le nationalisme musulman, c'est ignorer la vie de son temps, c'est méconnaître l'éternelle ascension de l'esprit humain fer,

soit la retarder

toutes pièces,

comme

vers des perfections toujours nouvelles.

Cette évolution, c'est la grande loi de l'humanité, c'est

son honneur, c'est sa raison d'être.

Il est

de notre

intelligence raisonnée, de notre dignité française, de

notre devoir, de la favoriser, de hâter car ce siècle, pas plus que

temps d'attendre, car

il

même sa marche,

le siècle dernier,

n'a pas le

y a des étapes que l'homme

peut franchir d'un seul coup, il y a l'œuvre de plusieurs siècles dont il peut s'imprégner en quelques années, car on peut, de la pénombre d'hier, passer sans transition dans la clarté d'aujourd'hui, et l'exemple de toutes les Amériques et l'exemple le plus récent du Japon sont là pour attester qu'il faut faire confiance à tous les êtres humains.

Comment ne

ferions-nous pas confiance à ceux qui

peuplent notre Afrique du Nord?

A

ceux qui hésiteraient encore dans la sincérité de et de Français, faisons remarquer que cette évolution des âmes et des peuples, parce que naturelle, doit tout d'abord être acceptée par chaque leur

cœur d'homme

esprit clairvoyant et doit ensuite être saluée

comme

ne s'opère et ne peut uniquement s'opérer qu'au contact d'une nation civilisée, c'està-dire qu'elle ne peut se produire, pour ce qui concerne l'Afrique du Nord, qu'au contact de la France, et que celui qui subit, même malgré lui, ce contact, en est à

un

bienfait, car elle


2 4o

L'ALGERIE ET LA GUERRE

jamais imprégné

;

il

en a l'empreinte ineffaçable

et

en

porte la marque jusqu'en son cœur. C'est pourquoi,

même

s'il

n'est pas

degré quelconque de culture,

il

parvenu à un

se sent néanmoins,

confusément que ce soit, solidaire de tout ce qui se autour de lui dans la pensée de la nation qui le gouverne il s'élève, dans son humble ignorance, jusqu'à l'idée de patrie, et, si alléché même qu'il soit par la prime d'argent qu'il puisse toucher en signant son engagement volontaire, de par le fait qu'il y a engagement volontaire, il y a, en l'indigène algérien, le désir, sans doute indéfinissable, mais certain, de participer, lui aussi, au grand drame qui va fixer la destinée nouvelle du pays devenu le sien. C'est donc la France qui est la souveraine maîtresse et l'indigène algérien veut penser, non pas en car au point de vue social et politique, musulman, comme pour le chrétien ou le juif, c'est chose impossible, et parce que le monde se divise en nations, mais en français uniquement, comme son coreligionnaire du Caucase, par exemple, de par la force même des choses, pense en russe. Cette guerre avec la Turquie, considérée au commencement avec tant d'appréhension, au point de vue religieux, montre que l'idée de guerre sainte a disparu tout autant que celle des croisades chrétiennes, que le bloc universel musulman n'a pu être établi que par une généralisation d'idées tout à fait chimérique, par des rêveurs ou par des intéressés, que, si l'islamisme, tout comme le christianisme ou le judaïsme, n'a pas de patrie, le musulman, tout comme le chrétien ou le juif, en a une à laquelle il tient par-dessus tout, et que, pour le musulman nord-africain, c'est uniquement la France. si

fait et s'agite

;


XVI DE QUELQUES TROUBLES

A PROPOS

Ainsi donc,

hommes

ils

étaient de faux prophètes et des

d'État peu clairvoyants ceux qui allaient

déclamant partout

«

qu'en cas de guerre nous aurions

sur les bras une formidable insurrection en Algérie

Et

qu'une

».

de plus l'on songe à ce que Jésus, monté sur une barque où il s'était assis, disait au peuple qui se tenait devant lui, debout sur le faudra-t-il

rivage

:

«

Leurs

fois

oreilles

sont devenues sourdes et

ils

ont fermé leurs yeux, de peur que leurs oreilles n'entendent, que leurs yeux ne voient, que leur cœur ne

comprenne

»?

Mais d'autres avaient heureusement déjà compris, quand le petit-fils d'Abd-el-Kader, le capitaine émir Khaled, avait dit en décembre 19 13 « Que la France ait demain besoin de nous sur ses frontières et nous serons encore là, au premier rang. » « Vienne le moment des Il avait noblement ajouté sacrifices et ceux qui ont donné donneront encore et rappeceux qui ont marché marcheront encore, » et, lant magnifiquement l'inébranlable fidélité de son grand-père qui, Vercingétorix de l'Afrique du Nord, lutta jusqu'au bout pour l'indépendance de son pays, et comme son Dieu avait prononcé son jugement en :

:

16


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

242

faveur de la France, se rallia à suite, jusqu'à ouvrir

elle et

alla,

dans la

aux chrétiens menacés en Syrie

il prononçait ce serment de sa maison, au péril de sa vie, dans les tranchées de première ligne « Nous serons avec vous aux heures

les portes

qu'il a respecté,

:

du danger. » Tous les indigènes algériens, grands chefs, muphtis ou marabouts, Jeunes-Algériens ou gens du peuple, jusqu'à ces admirables femmes musulmanes priant dans les mosquées ou sur les tombeaux de leurs saints triomphe de nos armées, se sont sans cesse France attaquée, car tous, sans même vouloir envisager de quel côté serait finalement la victoire, se sont fondus en elle « Quand nous pouvions croire notre histoire terminée, avait également expliqué l'émir Khaled, elle recommençait avec vous, comme la vôtre, au temps de vos ancêtres gaulois, recommença avec Rome. » Aussi, est-ce que les incidents parfois graves qui se sont produits sur quelques points de notre colonie peuvent jeter une ombre indélébile sur l'ensemble

pour

le

sentis solidaires de la

:

de l'Algérie musulmane patriote et fidèle à la France? Il ne vient à l'idée de qui que ce soit de nier que des faits douloureux ont éclaté çà et là, mais les conséquences parfois sanglantes, qui découlent du malaise créé par l'état de guerre, feront-elles que les exceptions locales l'emporteront sur la règle générale, si

admirable, observée par

les

divers éléments de la

population algérienne, notamment indigène?

Enfin faudra-t-il

faire des distinctions

que

le

sou-

venir de certains heurts ne pourra jamais faire disparaître et l'abîme

demeurera- t-il toujours ouvert? Dans faire, en ce qui

nos départements algériens, va-t-on


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

concerne

le

monde

243

indigène, d'irréparables sépara-

tions, va-t-on se livrer à des calculs

que d'aucuns se sont

laissés aller

mesquins, et parce à la violence, va-t-on

oublier toutes les circonstances atténuantes, c'est-

même de la générosité frande diminuer le fraternel élan cjui rapproche irrésistiblement la France de l'Algérie musulmane, et, par là, tenter aussi d'amoindrir l'immortel à-dire ce qui est l'apanage

çaise, va-t-on essayer

exemple de bravoure

et

de

sacrifice

leurs qui furent sans cesse les

de tous ces

tirail-

aux rudes combats dont

régiments sortaient tous décimés?

C'est cette crainte de se voir victimes d'un ressen-

timent injustifié qui

coup d'indigènes.

Si

chef de la confrérie

assaille parfois l'esprit

de beau-

Abderrahman ben El Hamlaoui, Rahmania à la grande mosquée

Aïn-el-Ars, à Oued-Athménia, dans

une proclamation

adressée à tous ses adeptes, énonce tout d'abord avec la plus admirable fidélité et le patriotisme le plus

élevé «

:

Nous prions avec une énergique

mokkadems

et tous les

insistance nos

adeptes de notre confrérie,

que tous nos coreligionnaires, d'indiquer aux chemin qui les conduira à la paix et protégera leurs intérêts, de leur expliquer intelligemment qu'une opposition quelconque à l'exécution des lois formelles du gouvernement n'est qu'un crime incomparable, car elle n'occasionnerait au pays et aux habitants que la ruine et la calamité... « Ce que chacun de nous doit savoir, c'est que notre devoir vis-à-vis du gouvernement français n'est pas seulement de souhaiter sa victoire, ainsi que celle de ses alliés, et de rester inactifs en jouissant de la paix et de la liberté, mais que notre devoir sacré, à ainsi

gens

le droit

,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

244

nous tous, musulmans, est de lui venir de bon cœur en aide et faire pour lui des sacrifices de corps et de biens.

»

Mais Si Abderrahman ben El Hamlaoui ne peut s'empêcher, en déplorant la manière d'agir de certains de ses coreligionnaires d'Aïn-Touta, dont nous parlerons plus loin, de faire remarquer « Cette façon nous cause beaucoup de peine et certainement beaucoup d'inquiétude, car, en parlant des indigènes d'une façon générale, on pourrait étendre à tous le déshonneur de pareil acte. « Mais nous avons le grand espoir que les Français intelligents, ainsi que les hommes éminents qui représentent l'autorité, se garderont bien, au moment d'adresser de justes blâmes, de les généraliser et de faire retomber une responsabilité épouvantable sur le peuple arabe. » C'est ce que le Gouverneur général de l'Algérie a également bien soin de faire remarquer dans son dis:

cours du 8 mars 19 17, à l'assemblée plénière des

Délégations financières «

J'ai dit

:

que nous ne devions pas commettre

la folie

de rendre la population indigène solidaire des excès commis par quelques-uns et que nous ne devions pas méconnaître les manifestations de dévouement de nos sujets au milieu de la crise la plus effroyable et la plus propice aux trahisons.

»

Quatre faits ont causé en notre colonie des émotions dont chacun reconnaît le profond caractère, et des troubles, dont la gravité a douloureusement affligé le cœur de tous ceux qui veulent une Algérie irrépro chablement belle. Au surplus, ils sont de notoriété publique. Ils ont


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

eu leur écho dans

les

Nous

notre colonie.

assemblées et

les

journaux de

allons les exposer avec la plus

sincère impartialité, et aussi avec la brièveté

commandent

245

que

présentes. L'histoire

les .circonstances

plus tard fera la lumière sur tous ces points et décidera

en toute

justice.

— général départements — Ce sont — C'est

fait

qui s'est étendu à nos trois

l'insécurité.

faits particuliers

qui ne se sont produits

les engagements volonqu'en quelques milieux taires, le recrutement, par voie de réquisition, des travailleurs destinés à participer en France, soit à des travaux urbains ou agricoles, soit à ceux des usines

fonctionnant pour la défense nationale, et la conscription militaire.

L'insécurité.

Toujours, cette question s'est posée en Algérie, soit

comme attentats communs à l'espèce humaine et délits envers les personnes

ou

crimes

:

les choses, soit

comme

attentats d'un ordre national, contre la domination française, c'est-à-dire la révolte

ou

l'insurrection.

D'un côté donc, sécurité privée, de l'autre, sécurité politique. Or, à aucun moment, cette dernière, durant cette guerre, n'a été menacée en Algérie, et c'est ce qui beauté intégrale de notre colonie et l'irréfutable de la métropole s'est créés la famille indigène. Sécurité privée tous les attentats sont, connus, le problème est sans cesse le même et il est discuté depuis fait la

et impérissable valeur des titres, qu'à l'égard

:

où notre patrie a conquis ce pays. M. Camille Sabatier, qui fut juge de paix en

l'heure

Algérie,


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

246

commune mixte, avant de en 1882, condensé en quelques mots l'opinion générale qu'en notre colonie la misère puis administrateur de

devenir député d'Oran,

a,

est la cause la plus active de la criminalité. suffit

« Il

que l'année

soit

exceptionnellement sèche.

En effet, l'Arabe n'a d'autres ressources que les céréales et l'élève du bétail. En tarissant les sources, en desséchant prématurément les pâturages, en portant obstacle à la germination des semailles ou à leur croissance, la sécheresse a pour objet de priver l'Arabe en même temps de tous ses moyens d'existence et la famine ne tarde pas à éclater avec son cortège habituel

:

le

choléra et

le

typhus.

»

Dès le lendemain du 2 août 19 14, on fait connaître que l'état d'esprit des indigènes est calme et satisfaisant, mais qu'il y a une circonstance fâcheuse qu'il importe de

faire ressortir

de suite

:

la perspective

de

une fois de plus déficitaires, et les tempêtes de neige éprouvant fortement, par une mortalité continue, les troupeaux déjà mis en état de moindre résistance par l'insuffisance des

la misère, les récoltes de céréales étant

On constate, à propos de la difficulté qu'il dans certains centres, à faire rentrer l'impôt, qu'il faut en chercher la cause, non dans les événements suscités par les hostilités entre la France et l'Allemagne, mais dans la misère extrême des populations qui ont souffert de plusieurs mauvaises récoltes suc-

pâturages.

y

a,

cessives.

On rien à

établit

qu'il

manger,

les

faut craindre que, n'ayant

plus

indigènes ne se livrent à quelques

méfaits, et le résultat, presque au lendemain de la

guerre, ne se fait malheureusement

sur beaucoup de points,

il

pas attendre

y a recrudescence

:

d'atten-


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

247

tats contre la propriété privée, et le motif est partout le

même

:

la misère.

Le Gouverneur général de l'Algérie ne dissimule pas l'intensité du mal. Le 7 juin 19 15, à l'assemblée plénière des Délégations financières,

il

dit,

en

effet,

après

avoir hautement proclamé que, depuis le 2 août 19 14, toute notre colonie a rempli tous ses devoirs patriotiques

:

Pendant ce temps, l'Algérie était aux prises avec des difficultés que d'autres provinces n'ont pas con«

nues.

Elle n'avait point seulement

à seconder ses

agriculteurs et ses commerçants, elle avait la charge

redoutable de pourvoir aux besoins de quatre millions cinq cent mille indigènes.

Nos indigènes étaient

atteints

sous deux formes. « L'année 19 14, parachevant le désastre d'une longue période de sécheresse, avait anéanti la plus grande

partie de leur récolte de céréales. le

moyen de «

En

ïl fallait

leur donner

vivre et d'ensemencer.

second

lieu,

les

débouchés sur lesquels

ils

avaient coutume de compter se sont trouvés subite-

ment

fermés. C'est ainsi que la guerre a interrompu

brusquement

la

campagne

ovine.

L'Algérie n'avait

que 650 000 moutons, il en restait plus de 400 000 que nos indigènes ont vainement offerts en août et en septembre ce reliquat est resté invendu, soit par suite de la mobilisation des acheteurs, soit par la suppression du crédit dans les banques, soit par l'interruption des transports. « Les indigènes ont ainsi subi une perte sèche qu'il faut évaluer à un minimum de 10 millions de francs. encore exporté

le

31

juillet

;

Pendant

ce temps, les dattes, les figues, les caroubes,

les huiles,

produits indigènes par excellence, se heur-


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

248

taient à la fermeture de tous les marchés habituels

de consommation, dont beaucoup étaient en Alle-

magne

et

en Autriche.

»

M. Charles Lutaud ajoute « Quels mois rudes et pénibles il nous a fallu traverser, lorsque les indigènes, dépourvus de toute nourriture, tendaient désespérément leurs bras vers nous » :

!

On

s'efforce d'organiser partout l'assistance

travail,

admirablement,

de prévoyance indigènes justifient

en ces douloureuses circonstances,

leur raison d'être

;

administrateurs des

les

communes

mixtes reçoivent la mission de faire de larges butions de céréales et de semences

Gouverneur général de «

Il

le

de remédier au chômage, d'ouvrir des chan-

tiers; les sociétés

le

par

;

distri-

on espère, mais

l'Algérie de déclarer encore

:

sera écrit que, jusqu'au bout, nous aurons à

compter avec

la fatalité.

Voici qu'une invasion de

inconnue jusqu'à ce jour, inonde les territoires du nord et du sud, et des orages de grêle viennent anéantir, dans la province de Constansauterelles, d'une intensité

tine, les plus légitimes espérances.

»

Cet état de misère des indigènes ne tuer.

En 1917,

c'est la

Aux intempéries les

famine

toires

que s'accen-

qui détruisent les récoltes et déciment

troupeaux s'ajoute

Celle-ci se fait

fait

même qu'il faut conjurer.

la

hausse de toutes

les denrées.

principalement sentir dans

les terri-

du Sud qui sont presque tous privés de moyens

de communication. Les indigènes vivent, là-bas, dans

une poignante misère qui accentue leur mortalité. Mais il ne faudra jamais oublier, et ce sera là le plus grand enseignement, que, chaque fois qu'un mieux-être s'est tant soit peu fait sentir, il y a eu aussitôt diminution de vols et de crimes. Sur ce point,


A il

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

y a unanimité dans tous

des administrateurs de et des

les

249

rapports hebdomadaires

commune

mixte, des maires

commissaires de police.

Faut -il

un exemple? L'administrateur de

citer

commune mixte de Tebessa écrit « La situation économique des

la

10 avril 19 15 indigènes commence le

:

à s'améliorer sensiblement. Le commerce des laines très rémunérateur, l'abondance des pâturages favorisée

par

les pluies

sont autant de facteurs nouveaux

qui contribuent à la prospérité de la région

si

éprouvée

nombre des crimes et délits va-t-il en diminuant depuis le commencement du mois. Cette semaine, on n'a eu encore à enregistrer aucun attentat contre les personnes ni contre les

par

les rigueurs

propriétés.

de

Aussi

l'hiver.

le

»

La Commission

instituée en

causes de l'insécurité et les

composée des sous-préfets la présidence

du

vue de rechercher

les

moyens d'y remédier,

et des administrateurs, sous

préfet, réunie à Constantine, le 27 fé-

19 15, n'avait-elle pas déjà voté tout d'abord « La Commission, considans son ordre du jour i° dans dérant que les causes d'insécurité résident la misère des indigènes qui est la conséquence de la crise économique provoquée par les événements actuels..., » et n'avait-elle pas émis, avant tout, le vœu « que des chantiers destinés à assurer du travail aux indigènes nécessiteux soient maintenus et augmentés vrier

:

:

et que toutes les mesures de nature à aider les indigènes à supporter la crise économique présente soient

prises »?

M. Camille Sabatier explique aussi

la

deuxième

cause de l'insécurité. «

Elle réside,

dit-il,

dans

le

plus ou moins de moralité


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

250

des populations indigènes qui, à cet égard rencient profondément entre

elles.

un honneur de

se font véritablement

,

se diffé-

Certaines

tribus

leurs habitudes

de vol et nous trouvons ce singulier préjugé non dans certaines tribus algériennes, mais

seulement

encore dans certaines autres appartenant à divers

Etats de l'Afrique

septentrionale.

Chez

les

nomades du Sahara, une expédition ayant

tribus le

vol

pour mobile rapporte autant d'honneur qu'une expédition militaire et, le plus souvent même, il est impossible de distinguer la seconde de la première, tant sont identiques, dans les deux cas, les procédés d'exécution,

Mais ce ce sont

b

qu'il

convient de faire remarquer, c'est que

non seulement

les

Européens mais surtout

les indigènes

qui sont les victimes de ces bandits.

tout temps

en a été

il

De

ainsi.

A travers les années,

les

mêmes

faits se

renouvellent

avec plus ou moins d'acuité. L'état de guerre est propice au réveil de tous les instincts, et il y a recrudescence d'attentats, mais presque toujours contre

les

choses. Les bandits établissent leur quartier général

dans des massifs inextricables et impénétrables qui recèlent des abris très sûrs et d'où

impossible de les déloger.

Ils

redoutables et leur audace est

jusque dans

Dans

les

la nuit

il

est à

peu près

s'organisent en bandes telle

qu'ils

opèrent

grands centres peuplés.

du 18 au 19

avril 19 15,

au

lieu dit

Bled-Deroua, douar de M'Fatha, commune mixte de Boghari, un djich de quinze personnes attaque la mecheta d'un nommé Guizane Rabah ben Lakhdar. Ce dernier et un nommé Azaïz Laichaoui ben Moham-

med

sont grièvement blessés. Les malfaiteurs enlèvent

-


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

251

un nombre considérable d'ovins 110 moutons, 412 agneaux, 5 chèvres et aussi 5 chevaux. A la même époque, un djich composé d'une douzaine :

d'individus de Djelfa et de Bou-Saada attaque, dans la région limitrophe des Ouled-Djellal-Djelfa, des ber-

gers de Mahilla et enlèvent 18

Dans

chameaux et 128 chèvres.

département de Constantine, un djich attaque, à 4 kilomètres de Barika, une caravane de grains, et l'un des conducteurs, Othman ben Gandouz, le

est tué.

Les vols surtout se multiplient qui aboutissent à une transaction sur béchara, le béchir étant un individu affilié à une bande de voleurs qui, contre récompense fixée par lui, offre de faire retrouver les objets volés dont il dit avoir découvert la piste, et la béchara étant la récompense que se partagent les malfaiteurs. C'est dans ce département de Constantine que sévit principalement, durant cette guerre, le banditisme. On attaque en plein jour le bordj de Belezma. Colons et indigènes sont en proie aux mêmes dangers. On pille les premiers, on va jusqu'à enlever les femmes des seconds pour exercer ensuite sur le père ou le mari le système fructueux de la béchara, ainsi que le raconte M. Carrât, le 27 avril 19 15, au Conseil général de Constantine.

Ce

jour-là,

et

dans cette assemblée, MM. Vallat, vœu tendant à mettre

Dussaix et Carrât formulent un

un terme à que

les

cette situation dangereuse,

«

considérant

colons et surtout les indigènes aisés sont l'objet

d'attaques nocturnes par d'importantes bandes organisées qui ont à leur actif

une longue

série

de vols et de

crimes presque tous restés impunis, considérant que l'audace grandissante de ces bandes inspire une véri-


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

252

table terreur dans le pays au point que dans certains mechtas (Oued Touidjine d'Aïn-Abessa, par exemple) les indigènes s'enfuient abandonnant leurs maisons et leurs récoltes.

»

L'état d'insécurité se prolonge de plus belle. L'ad-

Lamy écrit, le n juillet 19 15 mon devoir, en tant qu'adjoint

joint spécial de «

Je

crois

de

:

spécial

de Lamy, représentant les intérêts de ce centre, de venir vous faire connaître la situation que crée une toujours grandissante et contre laquelle

insécurité

aucune mesure réellement énergique semble avoir été prise jusqu'à ce jour. «

Dans notre région

les vols

et

radicale ne

succèdent aux vols,

attentats de toute sorte se font plus fréquents. trois routes sur

Bône,

la Calle et

les

Nos

Souk-Ahras sont

coupées par des bandes organisées de voleurs

de

grands chemins. Nul cultivateur n'est sûr de retrouver le lendemain, nul voyageur n'est certain au terme de son voyage sans avoir été dé-

son bétail d'arriver pouillé. «

Quant aux attentats commis sur

séminés dans notre massif plus.

les

forestier, ils

indigènes dis-

ne se comptent

Les brigands volent leurs bestiaux, violent leurs et, terrorisées par la menace de

femmes devant eux

représailles encore plus terribles, les victimes n'osent

même «

pas se plaindre...

Les indigènes honnêtes et travailleurs sont stu-

péfaits de ce qui se passe.

L'un d'eux

me

disait,

il

y a

quelque temps : « Qu'avez-vous donc, vous autres Français? Vous voyez que nous sommes rançonnés par des bandits et vous ne faites rien pour nous protéger. Vous les laissez tranquillement exercer leur profession ou si,


PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

A

253

ébauchant quelques timides mesures de répression, vous procédez à quelques arrestations, ce n'est pas pour longtemps. Avez-vous peur ou bien n'êtes-vous pas assez forts pour commander en Algérie? » Les indigènes de toute notre colonie, qui souffrent, tout autant, si ce n'est plus que les colons, de ces vols et de ces continuelles attaques, sont donc les premiers à demander l'énergique répression de ce banditisme de plus en plus audacieux et qui rappelle celui de la Calabre et de la Corse. L'histoire dira que les indigènes, durant ces années de guerre, sont même venus au secours des colons. particulier en ce qui concerne Le danger commun, les biens privés, national en ce qui concerne la patrie rapproche ces deux éléattaquée par l'Allemagne, ments que l'on affirmait si opposés les colons et les

:

indigènes. C'est ainsi que, à la plus grande joie de tous ceux

qui ne rêvent que

les

temps

les meilleurs

plus importante colonie, devient enfin

pour notre

un mariage de

sentiment ce mariage de raison dont Albin Rozet parlait le «

9 juin 1889

La question

:

algérienne est double

:

il

y a là-bas

des colons et des indigènes. Je prétends et je crois que je ne serai démenti par personne que, pour que les colons soient

soient, et que, il

heureux,

pour que

il

faut que les indigènes le

les indigènes soient

heureux,

faut que les colons le soient également. Cela a l'air

d'une vérité de La Palisse, mais cela indique

le

mariage

de raison désormais indissoluble qui, pour les gens de bonne foi, doit être conclu entre nos indigènes et nos colons. Il

»

ne faudra jamais, en

effet,

oublier que,

comme


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

254

un des fonctionnaires des plus

autorisés de ce département de Constantine où la sécurité est la plus menacée « Les inquiétudes manifestées au début par les familles privées de leurs défenseur^ et habitant les fermes isolées se dissipent rapidement en constatant l'écrit

même

:

campements indigènes voisins qui se eux-mêmes les gardiens des propriétés européennes que nous avons confiées à leur surveillance. »

l'attitude des

font

Un écrit «

maire de ce

de son côté

Dans

même

département de Constantine

:

la situation

où nous nous trouvons,

gènes se sont joints à nous,

ils

les indi-

souhaitent de grand

coeur que les événements actuels soient favorables à la

France. Le jour où les hostilités commencèrent, se sont offerts

eux-mêmes pour garder

les biens

ils

des

colons actuellement sous les drapeaux et font en ce

moment village.

des rondes de nuit, à tour de rôle, dans

le

»

Que de

colons, à l'appel de la mobilisation de leurs

classes, sont

partis

au régiment après avoir remis

leurs familles et leurs biens à l'unique et fraternelle

protection des indigènes

!

fermes isolées de l'Algérie,

Dans presque toutes les femmes des colons sont

les

demeurées, admirables, vaillantes à leur poste, et toutes, dans les travaux agricoles, remplacent leurs maris mobilisés,

«

grandement

aidées,

comme

le dit

encore un autre important fonctionnaire constanti-

par les indigènes ordinairement employés et dont aucun, jusqu'à ce jour, n'a fait défection. » Des goums sont organisés avec le concours de marabouts et de personnages influents musulmans pour des nois,

patrouilles nocturnes et qui visitent toutes les fermes


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

255

pour s'assurer que rien d'anormal n'est à signaler. Ce

goums qui de communication, les routes au moment des passages des courriers, les lignes télégraphiques et téléphoniques. Les habitations isolées sont gardées par des groupements de tentes et les maisons forestières par des assès.

sont les indigènes faisant partie de ces

gardent

les voies

Lorsqu'en fin septembre 1915, on a eu à déplorer, dans la commune mixte d'Aïn-Temouchent, département de Constantine, le meurtre du maréchal des logis Roucoules et du gendarme Chesneau, tombés victimes de leur devoir sous les coups de deux assassins qu'ils recherchaient, ce douloureux événement a jeté. la consternation dans les milieux indigènes aussi bien qu'européens, et de nombreux musulmans, avec le concours de l'autorité militaire, se sont mis à la poursuite des bandits.

Ainsi la pensée qu'exprimait Jules Ferry, dans son

rapport sur 1892, au

gouvernement général de

le

l'Algérie,

en

nom de la commission sénatoriale d'études sur

« L'Algérie est nécessahement livrée au conflit de deux races rivales l'européenne et l'indigène, » n'est plus que le souvenir d'une époque à

notre colonie

:

:

jamais disparue.

Le manque de

sécurité et le trouble qu'il jette par-

tout n'entachent en rien

le

patriotisme des indigènes.

M. Charles Lutaud, traçant

le tableau général de l'Aldevant les Délégations financières, déclare à ce propos « Il nous est impossible, dans ce tableau général, de ne pas effleurer la question de la sécurité. Elle a

gérie, le 7 juin 19 15,

:

laissé à désirer sur certains points et à diverses

Nous n'incriminons point cependant

la

époques.

masse des

indi-


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

256

gènes, chez qui nous n'avons surpris aucune entente

pour troubler l'ordre à la faveur des embarras de la France... Toutefois une recrudescence de crimes et de délits de droit commun a été remarquée, mais les propriétaires indigènes en ont été victimes plus souvent que les Français. Ces attentats ont été accomplis là où la misère avait été la plus grande, sur les Hauts Plateaux du département de Constantine et seulement pendant les mois ingrats de l'année. « Reconnaissons enfin loyalement que la répression ne pouvait avoir cette année son efficacité ordinaire. Répondant aux sollicitations pressantes des fonctionnaires des communes mixtes et plus particulièrement de ceux qui étaient investis d'un grade dans l'armée, j'ai consenti à l'incorporation de quarantesix administrateurs ou adjoints, ce qui représentait une diminution de vingt-cinq pour cent. En même temps un grand nombre de commissaires de police étaient mobilisés.

»

Le 27 juin 19 16, devant le Conseil supérieur de gouvernement, M. Charles Lutaud spécifie :

Les indigènes ont aussi apporté leur tribut à l'harmonie des efforts communs. Ils ont respecté le serment «

de

fidélité

que leurs chefs politiques ou religieux

avaient prêté spontanément en leur nom. Les atteintes

à la sécurité publique dont

les statistiques

la recrudescence

ne sont pas dirigés contre

nation française.

La

nistrateurs,

accusent la

domi-

dislocation des cadres des admi-

de magistrats, de fonctionnaires de la quelque encouragement aux

police, devait apporter

malfaiteurs indigènes ou européens

;

elle

a permis,

d'autre part, le réveil de quelques instincts ataviques et

de certaines

rivalités,

assouvies par la violence,


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

entre tribus

ou entre !

Mais la souveraineté demeurée incontestée, et

familles.

française, affirmons-le, est c'est l'essentiel

257

»

Enfin, le 8 mars 1917, le Gouverneur général de l'Algérie dit encore devant les Délégations financières

:

dans leur aridité, nous apprennent ont diminué dans une proportion notable en 19 16, non seulement comparativement à l'année 19 15, mais encore, ce qui est plus intéressant, aux années 1912 et 1913. De ces statistiques, minutieusement établies, devons-nous conclure à une amélioration très sensible? En l'affirmant, nous ne donnerions pas une image fidèle de la situation, La diminution de la criminalité a pu résulter de l'absence des engagés volontaires, de tirailleurs ou de travailleurs qui ne se recrutent pas. dans les» classes les plus policées de la population indigène. Par contre, la mobilisation d'un nombre considérable de commissaires, d'agents de police, d'officiers de police judiciaire de tous genres aurait pu constituer un encouragement poUr les malfaiteurs. On peut admettre aussi que cerLes

«

que

chiffres,

les affaires criminelles

tains crimes,

comme

celui

commis sur

les

deux gen-

darmes de Rabelais, bien que comptant pour de simples peuvent avoir une gravité particulière. Ce qu'on peut affirmer toutefois, toute proportion étant observée, c'est que Tétiage de la criminalité reste sta-

unités,

tionnaire.

»

Les engagements volontaires.

Deux ans la

encore avant la déclaration de la guerre, France ne recrutait ses soldats indigènes que par 17


258

L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

la voie des

engagements volontaires. Mais ce système

offre parfois des inconvénients.

En

d'un côté,

effet,

il

y a un grand nombre de

douars dans lesquels

les

habitués à s'engager,

même

indigènes

n'ont pas été

en temps de paix. D'un

autre côté, on ne permet pas aux indigènes de choisir leur corps.

Il

y en a qui considèrent

comme

les

régiments

de toutes les têtes folles et légères et éprouvent une répugnance à s'y enrôler. Cavaliers, ils désireraient s'engager dans un corps de spahis auxiliaires ou de goumiers, mais ou l'on refuse les engagements ou on les limite, sous prétexte, par exemple, de l'insuffisance des monde

tirailleurs

le réceptacle

tures.

Si la misère est, à certaine époque, un grand agent de recrutement, il arrive ensuite qu'il y a diminution dans le nombre des engagements volontaires sitôt que la situation économique s'améliore et que les travaux de la moisson et la vente des moutons procurent aux indigènes de nouvelles ressources. Il y a aussi que les indigènes des classes ouvrières, petits

artisans,

manœuvres,

terrassiers,

laboureurs,

dont un grand nombre se trouve déj à sous les drapeaux, ne se gênent pas pour dire que, si les engagements ont été considérables, ils l'auraient été davantage si les fils des notables ou commerçants avaient plus souvent donné l'exemple. Le iecrutement devenant ainsi parfois difficile, il et c'est un fait trop constaté sur lequel on a a y eu, presdéjà bien discuté pour le passer sous silence, sion de la part de certains agents de l'autorité, et le ministre de la guerre demandait, en fin décembre 19 14, qu'un zèle exagéré d'agents subalternes n'enlève pas


A à la

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

259

campagne en cours son caractère de recrutement

par engagements volontaires. Cette pression a donné lieu à des abus auxquels ont participé des adjoints indigènes ou des caïds. Contre ces agents, de l'autorité qui, d'après la déposition de

M. Baïlac, rédacteur en chef de l'Echo d' Alger, devant la Commission d'enquête parlementaire, le 27 janvier 1917, ont commis des maladresses, qu'a-t-on fait vraiment? Contre ces adjoints indigènes et ces caïds cou-

pables a-t-on pris suffisamment toutes

que commande

la justice?

Aussi a-t-on quelquefois

mesures

dans maintes

et déjà

discussions et maintes assemblées on

les

Ta reconnu

recruté sans considération, on a usé de mesures d in-

timidation, on a enrôlé en dépit d'un excès de jeunesse,

en dépit d'infirmités

même

très apparentes et en dépit

de toute moralité. N'a-t-on pas déclaré

:

«

Ces enga-

gements volontaires ont sur les appelés l'avantage de ne pas troubler les populations, de fournir des professionnels et de débarrasser la colonie des éléments les

plus turbulents?

A

»

qui, par conséquent, la faute,

des mécomptes?

s'il

Ne nous étonnons

y a

eu, ça et là,

pas que

popuque gagné quelques femmes musulles

lations indigènes aient été parfois indignées et

cette agitation ait

manes.

Nous dirons plus loin que, pour arracher leurs fils ou leurs frères à la conscription militaire, certaines mères et sœurs vendent, à vil prix, leurs bijoux et leurs lopins de terre. A propos des engagements, plusieurs vont, jusqu'aux portes des casernes ou des cantonnements, faire en sorte que, en entendant leurs plaintes ou leurs reproches, les enrôlés se décident à


L'ALGERIE ET LA GUERRE

260

fuir le régiment. S'ils

ne cèdent pas, des pierres sont,

moment du départ, lancées sur l'escorte. En fin septembre 1914, dans la commune mixte de

.au

Barika, trente-quatre indigènes des douars Seggana, Sefiàne, Barika et

Metkaouak contractent un engage-

ment pour

la durée

six heures

du

soir,

de la guerre ils sont dirigés, vers dans deux voitures sur Batna. A ;

vingt kilomètres de Barika, les parents

femmes

— des engagés de Seggana

sur la route

:

— dont

est environ dix heures

il

les

et Sefiane se postent

du

soir.

Ils

arrêtent les voitures sous prétexte de dire adieu à leurs enfants, puis, subitement, retentissent en arabe les cris « Descendez ne partez pas nous ne voulons pas que vous partiez » En vain, les cavaliers qui accompagnent les convois essaient-ils de faire comprendre aux parents la gravité de leur acte. Rien n'y fait. Trois ou quatre coups de fusil sont tirés en l'air pour effraj^er les conducteurs et les obliger à s'arrêter. Les jeunes gens, cédant aux sollicitations pressantes dont ils sont les objets,

de

:

!

!

!

sautent de voiture. enfants,

ils

Quand

les

parents

ont leurs

laissent les convois reprendre leur route

sans les inquiéter et tous, ensuite, pour se soustraire

aux investigations qui s'ensuivront, vont se cacher dans la montagne. C'est ainsi que les déserteurs, tenant la brousse, augmentent le nombre des bandits, commettent des vols de bestiaux qu'ils restituent, pour la plupart du temps, contre béchara et arrêtent des passants pour les dévaliser.

de la sécurité

De

même ce

quelquefois

fait, la

question

s'est aggravée.

M. Charles Lutaud l'explique dans son discours du 8 mars 1917

:


PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

261

faut reconnaître que certains crimes, ayant

un

A « Il

caractère collectif, ont plus particulièrement

ému l'opi-

nion publique. Des groupes de bandits, d'évadés des pénitenciers, auxquels se mêlaient des insoumis, ont

troublé la tranquillité publique dans diverses régions

que la frontière nord de la Tunisie, la Kabylie et Dahra. Des opérations de police, accomplies par le des détachements de zouaves, de tirailleurs et de spahis, ont eu raison de ces actes, pour la répression desquels telles

les

populations indigènes, dès qu'elles se sont senties

rassurées par la présence de la troupe, ont prêté leur

concours loyal et dévoué.

La

»

réquisition des travailleurs.

La France a eu, de tout temps, besoin de s'adresser à l'étranger pour l'exécution de beaucoup de ses travaux. Elle a puisé dans les réservoirs des pays voisins

;

et

de Belgique, d'Espagne et d'Italie surtout, et

aussi de Pologne et de Galicie, des travailleurs sont

accourus qui trouvaient en France des salaires qui

manquaient chez eux. Or, au lieu de s'adresser à des étrangers, alliés ou neutres, chose difficile en temps de guerre, on a songé à utiliser, dans notre métropole, la main-d'œuvre disponible en notre colonie, beaucoup plus qu'on ne l'avait fait antérieurement.

En puisant dans ses colonies la France ne voit diminuer ni ses ressources ni son épargne, et, si, par les procédés ingénieux de sa main-d'œuvre, elle élève en

même temps manuel de font,

le caractère intellectuel et le caractère

milliers

dans la

çaises. Ainsi se

de travailleurs, ces travailleurs en

suite,

bénéficier d'autres terres fran-

développe, dans

un grand rayonnement


L'ALGERIE ET LA GUERRE

262

d'économie nationale, la civilisation industrielle de la France en vue de la prospérité du pays, l'intérêt collectif se confond avec l'intérêt particulier, le patriotisme s'unit aux besoins privés de chacun. La France a donc eu raison de s'adresser principalement à ses ressources nord-africaines. L'Algérie, comme le dit M. Charles Lutaud dans une circulaire adressée aux préfets d'Alger, d'Oran et de Constan;

tine, est, grâce à sa natalité et à sa puissante vitalité,

un

réservoir

de trouver, nale,

d'hommes où

comme

la

mère patrie

est assurée

aujourd'hui, pour sa défense natio-

une entière collaboration pour

les

multiples

de restauration des ouvrages de toute nature détruits par la guerre. entreprises

Pour cette patriotique coopération, la France peut compter sur le peuple indigène. Chez ce dernier, en effet, se produit une merveilleuse et propice évolution, si bien que le Gouverneur général de l'Algérie est en droit d'écrire dans la préface d'une brochure de propagande algérienne, le Cinéma colonisateur, ce passage significatif «

:

Quelle sympathie irrésistible n'éveille-t-il pas, ce

peuple indigène «

!

Qu'il s'agisse de l'Arabe grave, contemplatif et

fataliste,

portant imprimées aux lignes du visage,

comme aux

plis du costume, toute la noblesse et toute de sa race, ou bien du paysan berbère, fruste, amoureux du gain, à l'âme démocratique et égalitaire, raisonneur et frondeur volontiers... Obstinément accroché aux flancs de sa montagne, juché dans

la fierté

ses villages

dont

ce berbère a

le

pittoresque défie toute description,

vu dénier toutes

les

dominations

:

phéni-

cienne, romaine, vandale, byzantine, ottomane.

Il les


A PROPOS DE

QUELQUES TROUBLES

263

a toutes secouées, et voici qu'il s'éprend de la domination française qui lui offre à la fois justice, généroVoici qu'il descend de sa déchéria sité et bénéfice (village) escarpée pour se répandre dans nos plaines, !

pour emplir nos usines de labeur

et

que nous comptons

sur lui pour relever, après la victoire, nos cités ruinées.

»

Mais la campagne en faveur du recrutement des travailleurs devient d'autant plus difficile et délicate qu'elle suit celle en faveur des taires et qu'ensuite elle coïncide

Dans

engagements volonavec

nombre

certains douars, le

elle.

se fait plus rare

bonne volonté. Aussi, le 14 septembre 1916, rapports des ministres de l'intérieur, de la

d'esprits de

sur

les

guerre et du travail, le gouvernement décrète-t-il «

Article premier.

Il est

:

constitué en France

des formations de travailleurs indigènes, recrutés en

aux travaux agriceux des usines et de toute autre exploitation industrielle ou commerciale travaillant pour la défense nationale. Ces indigènes ne participeront en aucun cas à des opérations de guerre. « Art. 2. Le recrutement des indigènes aura lieu par voie d'embauchages volontaires, et, s'il y a lieu, à titre complémentaire, par voie de réquisition. Les embauchages et les réquisitions seront acceptés et faites parmi les hommes de classes antérieures à la classe 1915 et âgés de quarante-cinq ans au plus... » Décret maladroit qui, immédiatement, émeut toute l'Algérie. Aussi le Conseil général de Constantine votet-il à l'unanimité et transmet-il aux conseils généraux Algérie, et destinés à participer soit

coles, soit à

d'Alger et d'Oran, qui l'adoptent sans retard,

suivant

:

le

vœu


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

26 4 «

Le Conseil général, tout en approuvant les mesures gouvernement pour rendre plus intensifs

prises par le les efforts

qui convergent vers une défense nationale

intégrale et en souscrivant largement dans ce sens

aux

prélèvements des travailleurs algériens destinés aux chantiers de la métropole, '

«

Appelle l'attention des pouvoirs publics sur

dangers graves que présente

les

système de réquisition directe des travailleurs dans les douars ou groupements de l'intérieur de la colonie, prévu par le décret du 14 septembre 1916, et les conjure, dans l'intérêt bien compris de la défense nationale et d'une prudente administration du pays, de n'employer la réquisition qu'avec la plus extrême réserve, et comme ultime ressource, le procédé des embauchages largement rétribués pouvant seul, sans froissements inutiles et dangereux, être vraiment pratiqué dans une population qui a gardé jalousement, à l'abri de tous les le

contacts, des susceptibilités particulières et des con-

ceptions familiales découlant d'un statut personnel et religieux aussi absolu qu'intolérant.

»

Les froissements inutiles et dangereux que craignent les conseils généraux d'Algérie sont impliqués dans le décret lui-même. Celui-ci ordonne, en effet, que la réquisition s'applique jusqu'aux hommes de quarantecinq ans. Or la famille heure. la

La plupart

musulmane

s'établit

de bonne

des indigènes se marient bien avant

vingtième année et

un caractère

le

patriarcat revêt dans toutes

haut qu'il devient, lui aussi, en quelque sorte, religieux. Réquisitionner jusqu'aux hommes de quarante-cinq ans, c'est décapiter la

les tribus

famille

si

musulmane.

Cette famille qui a déjà vu, pris par la conscription


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

265

militaire, par les engagements volontaires ou par le recrutement des travailleurs, tous ses jeunes gens, s'étonne et ne peut pas comprendre qu'en surplus on s'empare de ce chef sacré et respecté qu'est le père,

et sur ce point des

femmes

se

montrent

les plus déci-

dées et vont jusqu'à pousser à l'insoumission tous leurs parents.

A

une perturpour la réqui-

cette perturbation morale s'ajoute

bation matérielle sition est celui

:

le

moment

choisi

de l'ensemencement des

terres, et les

indigènes algériens sont surtout agriculteurs. Ainsi, on

va de

force les arracher à leurs labours.

La Jusqu'en

conscription militaire.

juillet

1912, l'indigène, au point de vue

militaire, était considéré

seulement

comme un

excel-

lent mercenaire, sensible à l'appât de la prime et à la

promesse de certaines faveurs administratives. Mais, en juillet 1912, pour compenser la diminution du nombre des soldats français par suite des ravages de plus en plus considérables de la dépopulation, on a décidé de faire appel au contingent indigène algérien. Le service militaire est, depuis, et jusqu'en 1916, obligatoire, non pas pour tous les jeunes gens musulmans ayant atteint l'âge de la conscription, mais seulement pour un pourcentage fixé d'avance. L'enrôlement a lieu par tirage au sort, le remplacement est admis. A partir de 19 16, le service militaire ne comprend plus ce pourcentage, il devient intégral, mais le remplacement n'est pas supprimé. L'impôt du sang à une population, qui a toujours été systématiquement tenue à l'écart de notre vie


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

266

nationale, est une telle nouveauté, contraire surtout

aux habitudes depuis longtemps acquises, à l'état en est résulté, aux mœurs locales et aux coutumes de toutes les tribus, qu'on n'ose pas tout d'esprit qui

d'abord en poursuivre partout l'application. D'aucuns font remarquer que celle-ci est d'autant plus

allant jusqu'au qu'en face des devoirs de la vie pour la défense d'un pays conquéimposés aux indigènes, il n'y a l'établissement

difficile

sacrifice

rant

d'aucun droit qui donne satisfaction à la population musulmane en général. Ils ajoutent que cette population demeure encore soumise à un régime de lois d'exception, à une organisation administrative et judiciaire qui parfois a donné lieu à des mécomptes, et à un système d'impôts lourds dont la France, en s 'emparant de l'Algérie, a hérité de la rapacité turque. Sur certains points donc, dès juillet 19 12, il y a des incidents. Le plus important est celui qui se produit à Nédroma. Les conscrits ne se présentent pas à l'appel de leurs noms devant le conseil de revision il faut envoyer des gendarmes et des chasseurs d'Afrique à ;

leur recherche. C'est dans ces conditions que, en pleine guerre, la

conscription militaire, par suite du besoin pressant

d'un plus grand nombre de soldats, est appliquée là même où elle ne l'a jamais été et dans des douars d'autant plus mal préparés à cette opération qu'ils ont toujours vécu en dehors de la vie et de la pensée françaises et que, chez eux, n'habite

même

aucun Européen, pas

fonctionnaire.

Ne nous étonnons donc pas plication

milieux.

des difficultés que l'ap-

de la conscription rencontre en quelques


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

267

parce que les indigènes ne commesures d'obligation militaire dont ils sont l'objet. Il y a aussi des malentendus dans l'interprétation des instructions. Il y a, en outre, des tribus qui n'ont jamais eu de goût pour le métier des armes. Ce ne sont pas les événements de la guerre qui les affectent, mais seulement l'état de leurs labours ou

Tout d'abord,

prennent pas

c'est

les

de leurs pâturages. Ces populations sont essentielle-

ment

pacifiques, elles se livrent

culture, à l'élevage

du

uniquement à

bétail et désirent

de ne pas être troublées dans leur vie conscription militaire

la

arrache

les

l'agri-

ardemment normale. Or

brusquement

à leurs séculaires habitudes et à leur paisible mentalité.

La question

des embusqués impressionne aussi les

indigènes. Ils ne peuvent comprendre que leurs enfants

emvoyés au front, alors que beaucoup d'autres jeunes soldats restent à l'abri en des

soient sans retard

fonctions faciles.

Faut -il

citer

un exemple?

Un

mune mixte de Sebdou, dont mieux assises et au début de la mobilisation,

comme

com-

de fortune qui a été incorporé à Oran

est des

lité

réserviste de la

la situation

est

renvoyé dans sa loca-

infirmier à la suite, paraît-il,

— ce sont —

du moins les membres de sa famille qui s'en vantent,

de l'intervention d'une haute personnalité politique.

Xes notables indigènes de Sebdou vont trouver administrateur pour lui exprimer leur indignation voir ce jeune

homme de vingt-sept

leur «

de

ans, fort et robuste,

preuve de lâcheté en se faisant embusquer dans sa famille, alors que la population musulmane ne demande, au contraire, qu'à aller se faire tuer à la frontière pour la patrie française et pour le succès de faire ainsi


L'ALGERIE ET LA GUERRE

268

ses

armées

L'impression produite est

».

qu'elle est signalée en

Une

si

déplorable

lieu.

autre question, la plus importante, qui a con-

sidérablement gêné celle des

Une

haut

les

opérations de recrutement est

remplaçants.

personnalité administrative très autorisée

du

département de Constantine, où ont eu lieu surtout les difficultés, écrit en effet « A propos de la conscription, veut-on une objection? Celle relative aux remplacements. Nous craignons que cette mesure, qu'on nous autorise le mot, antidémocratique, n'apporte dans nos populations indigènes, dont nous nous plaisons à reconnaître la grande quiétude d'esprit, un certain trouble en voyant les favorisés de la fortune échapper en ce moment à :

l'impôt

le

plus grand, le plus lourd, à celui

Nous verrons

les

du sang.

gens aisés payer très cher des rem-

plaçants, tarir ainsi la source des engagements et exciter la jalousie dans les douars des

devront, eux, payer de leur personne.

Un

malheureux qui

»

autre fait significatif est rapporté qui montre à

quel point

le

des familles

remplacement

est

dangereux. Le nombre

indigènes qui, dans une

commune du

département d'Oran, entreprennent les démarches réglementaires en vue d'obtenir le remplacement d'un conscrit, est de vingt-sept, alors que le nombre total des recrutés est de quarante et un. Les représentants de ces familles déploient la plus grande activité et n'épargnent aucun sacrifice. Mères et sœurs n'hésitent pas à vendre leurs bijoux et leurs lopins de terre pour libérer leurs fils et leurs frères de la caserne, et des familles, qui se sont ainsi séparées, à n'importe quel prix, de leurs biens, sont jetées dans la misère et le prolétariat.


PROPOS DE QUELQUES TROUBLES Il

ne

269

en résulte des pratiques que la durée de la guerre qu'aggraver. L'Écho de Bougie de fin décembre

fait

19 16 le signale ainsi qu'il suit «

La

faculté de

familles aisées,

:

remplacement qui

un

crée,

au profit des

véritable privilège, doit être con-

comme une erreur de la loi militaire actuelle. Son application est d'autant plus dangereuse qu'elle favorise, surtout en ce moment, la spéculation. Ces

sidérée

remplaçants sont achetés et revendus au poids par des maquignons qui parcourent les marchés indigènes on raconte publiquement que, dans notre arrondisse;

ment, cette chair humaine quatre-vingts et

même

s'est

payée trente-cinq,

au-dessus de cent francs

le

kilogramme. « Le gouvernement devrait bien supprimer définitivement cette faculté de remplacement qui ne profite qu'aux riches indigènes, c'est-à-dire à ceux qui doivent le plus à la France par le crédit qu'ils trouvent

dans nos établissements financiers, la sécurité dont jouissent dans leurs affaires et dans leurs biens, les faveurs enfin dont ils ont toujours! été comblés et qui, à cette heure où notre pays est en danger, continuent à faire preuve d'un dévouement trop verbal, alors que c'est aux actes que l'on aimerait juger leur gratitude. » D'autre part, ce n'est que bien des mois après le commencement des hostilités qu'on s'est décidé à lever l'interdiction aux soldats indigènes, blessés ou non, d'aller en congé de convalescence ou en permission en Algérie. Le résultat bienfaisant s'en est immédiatement fait sentir. Ne signale-t-on pas que des blessés

ils

indigènes, ayant participé à des offensives, racontent

hauts de notre

les

faits

d'armes de nos troupes, la puissance la confiance dans le résultat

artillerie et


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

2 7o

final et

que ces

impression dans

grande et favorable douars qui tout d'abord se mon-

récits font la plus les

traient rebelles à la conscription militaire?

Ne

se convainc-t-on pas enfin, après tant d'injustes

empêchements, que la présence des permissionnaires a l'avantage de prouver aux indigènes que tous ceux qui se sont enrôlés ne sont pas « immédiatement donnés en pâture aux canons », comme c'est la croyance générale dans ces douars, et qu'on n'envoie les soldats sur le front qu'après leur avoir donné l'instruction

En outre, de tous côtés, maires de commune mixte, même de celle où il y a eu quelque agitation, ne sont-ils pas d'accord pour affirmer que « les permissionnaires qui reviennent du front sont nos meilleurs agents de propamilitaire nécessaire?

et administrateurs

gande

»?

Les incidents de Beni-Chougrane

Nous savons

et

d'Aïn-Touta.

nous ne voulons rien celer. Les événe sont -ils pas d'ordre public? Oui, sur quelques points d'Algérie, des indigènes ont déclaré que leurs enfants ne partiraient pas au régiment, ils ont même rapporté les convocations individuelles que les conscrits inscrits avaient reçues par les soins des adjoints des douars à l'effet de se présenter à la mairie pour donner leur signalement et former toutes réclamations utiles.; et, parmi ces indigènes, plusieurs, sans mot dire, ont jeté les convocations aux pieds du

nements

et

d'ailleurs

maire. Oui,

il

a fallu arrêter certains musulmans,

ben M commune mixte de

marabout B B...-A....,

K...

,

M

comme le

de la fraction des ,

qui a dit aux


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

271

« Vous me prendrez plutôt que mon fils ne partiront pas. » Oui, on a été dans l'obligation de prendre des mesures à rencontre des conscrits qui se sont réfugiés dans la montagne ou que leurs parents ont cachés, et force a dû rester à la loi. Oui, il y a eu les deux douloureuses et sanglantes affaires de Beni-Chougrane et d'Aïn-Touta. Tout d'abord celle de Beni-Chougrane, tribu dépendant de la commune mixte de Mascara (Perrégaux). « Il y a là, écrit M. Augustin Bernard, un canton très isolé, demeuré très sauvage et sans contact direct avec les Européens peut-être aussi, dans cette région voisine de Mascara, faut-il tenir compte du ferment insurrectionnel déposé jadis par Abd-el-Kader. » Les Beni-Chougrane habitent, en effet, un massif montagneux et forment, au dire même de l'administration locale, « une population remuante et facilement

autorités

nos

:

;

fils

;

». La déclaration de guerre cause dans commune mixte de Mascara une émotion profonde,

impressionnable la

mais qui se calme entièrement quelques jours après. Dans les fermes isolées qui ont été évacuées un peu précipitamment, les travaux agricoles reprennent partout et les indigènes s'occupent, dans la plus grande tranquillité, au dépiquage de leurs récoltes ou au transport des grains.

Deux Makda,

indigènes influents, les frères Boulenoir, de signalés à l'administration supérieure

comme

suspects et dont l'attitude incorrecte a motivé l'arrestation par l'autorité militaire, sont remis en liberté,

quarante-huit heures après, vers

le

15 août 1914. Cette

décision produit la meilleure impression.

D'autre part, ordre est donné de mettre en état


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

272

d'arrestation les

nommés Benberi (Mohamed

ould

el

Kébir) et Reguig (Baghdad ould Kada), malfaiteurs des plus dangereux qui sont la terreur de Thiersville

de nombreuses plaintes se sont promesures de sévérité sont judicieusement prises et toute la population honnête des douars y applaudit. C'est à elles qu'il faut attribuer, en grande partie, la tranquillité qui règne au début de la guerre dans la commune mixte de Mascara. Ni crimes, ni délits contre les personnes ou les propriétés ne sont et contre lesquels

duites. Ces

signalés.

Mais pourquoi fait-on davantage? Sous prétexte de rassurer les colons et en imposer aux éléments sus-

pects de la population indigène, des démonstrations

sont continuées. Des colonnes, auxquelles s'est joint

un peloton de chasseurs d'Afrique, parcourent tout

le

massif montagneux des Beni-Chougrane. Dans cette

population nable

»,

«

remuante

et

facilement

impression-

ce déploiement de forces produit l'émotion

durable que l'on devine. Or, quelque temps après, au

commencement

d'oc-

tobre 1914, a lieu la conscription militaire des indigènes. L'histoire établira la vérité sur ces faits doulou-

reux,

trois chasseurs d'Afrique furent tués,

— trop

récents encore pour que des polémiques s'ensuivent.

Mais, déjà, l'on a écrit sur eux. C'est ainsi que M. Rodolphe Re}-', avocat à Alger, ancien conseiller général et ancien délégué financier, déclare dans la Revue hebdomadaire du 19 juin 1915 « Quant à l'échauffourée de Perrégaux, qu'on a cru :

devoir taire à l'époque, ce ne fut qu'une effervescence

de douar, causée, peut-être, par

le

manque de

doigté


A^PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

273

d'un fonctionnaire subalterne en tournée de conscription. Simple fait-divers, circonscrit à un village, et impuissant à entamer le sang-froid de nos cinq millions d'indigènes.»

La commune mixte d'Aïn-Touta, pour une

super-

de 283 852 hectares, et pour une population musulmane de 34 006 habitants, ne compte que 391 Français, dont 368 Français d'origine, 7 naturalisés, 16 israélites, et que '91 étrangers dont 82 Italiens, ficie

5 Espagnols et 2 Anglo-Maltais. Il faut tenir compte aussi des difficultés

du

terrain,

de la nature du sol, du climat, des routes mal commodes et peu sûres, des moyens de transport parfois presque impraticables.

Et rendons hommage à ces 391 Français, disséminés sur une étendue de 283 852 hectares et vivant parmi

une population, parfois encore ignorante et sur bien des points fermée au monde du dehors, de 34 006 indiils sont les pionniers des temps modernes et gènes :

les

apôtres de la civilisation française.

Perdus en des centres lointains ou dans les fermes de nos jours, le même courage, la même endurance et la même grandeur d'âme que les premiers colons venus au lendemain de la conquête et dont la vie de persévérance et de labeur constitue l'épopée de la France agricole en Algérie. Que de fois, lorsqu'on nous a annoncé certains incidents, n'avons-nous pas songé à tous ces Français épars sur le territoire de notre colonie, dont les plus jeunes étaient aux armées, dont les vieux demeuraient avec les femmes et les enfants, dans leur éloignement de toutes les villes et dans ces champs où s'abattent

isolées, ils ont,

tour à tour la sécheresse et la gelée, et la grêle, et cette 18


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

274

autre grêle encore plus dévastatrice que sont les sauterelles Il

!

n'y a pas eu, tout d'abord, un

A

Aïn-Touta, sur

mouvement

hos-

de la classe indigène de 1914, trois seulement manquent à l'appel, mais deux d'entre eux sont, le lendemain, ramenés par leurs propres parents, et le troisième ne tarde pas à être pris. Mais cet incident ne saurait atteindre « ni les parents ni les notables du douar qui viennent spontanément s'en excuser. Nous en trouvons la preuve dans ce fait que, quelques jours après, ayant à procéder dans ce même douar à l'examen des conscrits de la classe 16, nous n'avons constaté aucune tile.

défection.

On y

les vingt-sept appelés

»

constate aussi une augmentation progressive

d'engagements volontaires, et ce progrès est attribué « un peu à l'élévation de la prime d'engagement et surtout aux nouvelles qui parviennent dans les douars de militaires en garnison en Algérie ou sur le front, nous avons eu l'occasion d'en lire et qui, toutes, quelques-unes, tiques et élevés

— — manifestent des sentiments patrio».

Mais il faut remarquer que, dans quelques tribus, peu nombreuses d'ailleurs, l'état d'esprit se modifie, car la guerre dure et l'on affirme partout que les tirailleurs, participant à toutes les offensives et à toutes les

contre-attaques, sont particulièrement décimés. Ainsi,

chez quelques-uns de leurs coreligionnaires que rien n'a préparés à la vie militaire, naît la crainte du com-

bat cruel d'où l'on est presque certain de ne pas revenir. L'état d'esprit se modifie surtout dans le douar des

Ouled-Aouf où

les

la conscription

«

jeunes gens se montrent hostiles à non par mauvais esprit ou poussés


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

275

par un sentiment de rébellion, mais par peur d'être envoyés sur le front et d'y être tués », ainsi qu'en octobre 1915 l'avouent deux conscrits qui cherchent à s'y soustraire.

Or,

un an

même

ce

après, à la conscription suivante, c'est de

douar, et pour le

mouvement

même

entraînant avec lui

le

motif, que part douar Tilatou et

le le

douar El-Briket, où, nulle part, d'ailleurs, n'habite aucun Européen. M. Morinaud, maire et président du conseil général de Constantine, délégué financier et ancien député de ce département, dépose devant la délégation de la Commission des affaires extérieures de la Chambre, venue en Algérie pour enquêter sur ces incidents, en janvier 19 17

fin «

La

:

rébellion d'Aïn-Touta, de toute évidence, a

été occasionnée par le

mécontentement général des

indigènes provoqué par la conscription appliquée à

tous les conscrits et par la réquisition des travailleurs indigènes de vingt à quarante-cinq ans... « Pour atténuer les conséquences de la conscription, on a d'abord demandé une proportion infime de conscrits et l'on a admis le remplacement. Mais l'on en est arrivé avec la guerre actuelle à demander tous les conscrits valides, d'où explosion du mécontentement chez les indigènes. D'autre part, les remplacements ont été, de la part des cheikhs, une occasion de pillages nou-

veaux...

»

y a à déplorer la mort de M. Cassinelli, souspréfet de Batna, de M. Marseille, administrateur de la Il

commune

mixte, et de M. Terrezano, brigadier foresque d'une femme indigène. Dans son discours aux Délégations financières, le

tier, ainsi


L'ALGERIE ET LA GUERRE

276

mars 1917, le Gouverneur général déclare à ce propos 8

de l'Algérie

:

«

Ce sont

là des retours brusques à l'antique bar-

barie, tels qu'on peut les attendre

indigènes

quand

elles

de nos populations

n'ont pas été pénétrées par

l'ins-

dans les massifs montagneux, quasi impénétrables, où s'est fomentée cette manière de révolte. « Ainsi que je l'ai dit le lendemain même, sur la tombe du sous-préfet et de l'administrateur, une fissure insoupçonnée peut laisser échapper la lave d'un volcan mal éteint. Peut-on penser que la civilisation d'un peuple entier soit l'œuvre de quelques lustres? J'ai dit qu'il fallait observer, dans une répression nécessaire, la mesure qui convenait à des Français dignes de ce nom, conscients de leur rôle d'éducateurs, dépositaires d'un idéal de générosité qu'elle devait châtier les crimes commis, mais s'appliquer à transformer leségarés en collaborateurs de son œuvre finale de justice. » Après avoir exposé que nul ne devait commettre la folie de rendre la population indigène solidaire des excès commis par quelques-uns, paroles que nous avons citées plus haut, M. Charles Lutaud ajoute ces mots de réconfort « J'ai dit qu'aucune épreuve, aucune secousse ne devait détourner la France de l'œuvre de lumière et d'humanité qu'elle poursuivait ici, ni de son rôle de tutrice à l'égard d'un peuple attardé. » truction

;

c'est le cas

;

:

Regardons

les

beaux

faits présents.

Mais il faut chasser ces tristesses de notre cœur d'un œil confiant, regarder l'avenir et constater

et,


PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

A

277

tout d'abord que tout ne tarde pas à rentrer dans Tordre en ce département si éprouvé de Constantine. Le Gouverneur général de l'Algérie peut, en effet,

annoncer le 8 mars 19 17 « Les musulmans ont fait, ces derniers temps, pour servir la France un effort trop visible pour n'être pas souligné. Nous venons de lever l'intégralité de la :

classe 19 17.

»

Que d'admirables manifestations

il

y a à placer en

face de ces événements attristants, qui n'ont qu'une

importance locale, à cause déterminée, non contre la Fiance, mais contre un système nouveau auquel rien ne préparait, événements dont le nombre est excessivement restreint, insignifiant par rapport au chiffre considérable de douars où, pour beaucoup, répétons-le, la conscription fut, en pleine guerre, exercée pour la première fois, douars étrangers à notre existence et où ne vit aucun Européen. Nous avons dit qu'en juillet 1912, à Nédroma, les conscrits ne s'étaient pas présentés et que, pour rétablir l'ordre, il avait fallu y envoyer des gendarmes et des chasseurs d'Afrique. Or la guerre éclate, et les autorités reçoivent aussitôt des caïds et des djemâas

l'assurance que les indigènes

non seulement

facili-

teront par leur calme et leur tranquillité la tâche de l'administration, mais encore qu'ils collaboreront avec plaisir

aux mesures

qu'il

faudra prendre dans

l'in-

térêt public.

A

Nédroma,

payement de l'impôt est, en effet, septembre 1914, il s'accomplit dans des conditions exceptionnelles d'empressement et de rapidité une collecte, au profit de l'Union des Femmes de France et close trop tôt, réunit en quelques jours terminé dès

;

le

fin


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

278

la conscription se fait dans le plus 5 127 francs grand calme et le départ des conscrits a lieu, après qu'une grande diffa leur a été offerte ainsi qu'à leurs ;

familles.

Dans combien de

centres, après avoir

répondu à

l'appel de la commission de recrutement, les jeunes conscrits indigènes ont manifesté joyeusement leurs sentiments patriotiques, en parcourant les artères de

drapeaux tricolores en tête, précédés de et de leurs flûtes Puis ils sont partis, accompagnés jusqu'à la gare ou jusqu'à la diligence, en musique et aux acclamations de leurs coreligionnaires. Faut-il relater un exemple significatif? C'est en septembre 1914 que, pour la première fois, à Bou-Sâada, département d'Alger, ont lieu les travaux préparatoires pour l'établissement des listes de recensement militaire des indigènes. Cela cause une certaine émotion. D'aucuns vont jusqu'à juger impolitique, en raison des événements, de procéder à la conscription. On l'applique quand même, et le temps et le patrionos

villes,

leur

tam-tam

!

tisme des indigènes font leur œuvre six

mois après,

rienne insère

:

«Bou-Sâada.

le

13

si

novembre 19 16,

bien que, vingtla

Dépêche algé-

— Conscription des indigènes. — Les 30,

31 octobre et I er novembre, les opérations de la commission chargée du recrutement des indigènes se sont effectuées dans le plus grand calme, au bureau de la

commune mixte. dans

les

Conscients du devoir qui leur incombe

circonstances actuelles, de participer, à côté

de leurs frères d'armes européens, à la grande guerre soutenue par les Alliés, les indigènes ont manifesté une fois de plus, à l'occasion de ces opérations, leurs sentiments de dévouement et de fidélité à notre cause.


A

PROPOS DE QUELQUES TROUBLES

279

Les opérations n'étaient pas terminées qu'une vingtaine

de conscrits

contractaient

des

engagements

volontaires pour quatre ans, par devancement d'appel, et que,

au lendemain du départ de

d'autres conscrits, au

la

commission,

nombre d'une dizaine, suivant

le

exemple des premiers, contractaient à leur tour des engagements analogues à la suppléance de Bou-Sâada. » Autre exemple non moins caractéristique. Il se passe en janvier 1917, dans le département de Constantine, en la région de Sétif, limitrophe de celle de Batna, où il y a eu quelque temps auparavant de tragiques incidents, et dans les trois douars -communes de la grande tribu des Beni-Yala. Ces trois douars ont pour caïds des membres de l'illustre famille des Smati qui a fourni à cette région frontière de la Kabylie des aghas et des bach-aghas dévoués à la France depuis plus d'un demi-siècle. Les trois caïds Smati, dont l'un, ancien lieutenant de goumiers volontaires au début de la guerre, a fait une longue campagne en Belgique, ont si bien su inspirer à leurs administrés la confiance et le respect de la France, que toutes les jeunes recrues indigènes de la dernière classe, sans aucune exception, ont réclamé leur incorporation par devancement d'appel sous les bel

drapeaux.

Le même fait se produit dans la commune mixte des Eulmas et dans la commune mixte de Saint-Arnaud, qui sont également dans le département de Constantine.

Que de jeunes

enrôlés musulmans demandent que prenne la précaution de les éloigner immédiatement de leur commune d'origine pour les soustraire aux sollicitations de leurs parents qui ne veulent pas les voir partir, et que d'indigènes demandent qu'il

l'on


L'ALGÉRIE ET LA GUERRE

2 8o

leur soit permis de s'engager ailleurs que chez eux pour conserver ainsi toute indépendance même vis-àvis de leurs familles Que d'engagés volontaires, comme la population de leurs douars les accompagne, en les acclamant, à la gare ou à la diligence, disent aux administrateurs de leurs communes mixtes ou aux maires présents à leur départ, comme à ce maire d'une ville constantinoise « Nous partons le cœur léger et plein de courage. C'est avec fierté que nous allons combattre pour la France. Mais ce sont vos touchantes manifestations qui nous émeuvent. Nous partons en toute confiance et en toute quiétude, avec le ferme espoir de revenir vainqueurs, nous disant que, si notre heure a sonné, nous nous inclinerons devant le destin, sachant bien que les nôtres ne seront pas abandonnés par la France » !

:

!

Combien ont patriotiquement déclaré « Nous courons à la frontière où la victoire nous appelle et où nous sommes déjà en retard » Combien que le sort n'a pas encore désignés pour :

!

aller

au

front, impatients, veulent passer outre, et

des mesures doivent être prises pour qu'ils ne se glissent pas

dans

les

rangs des partants

L'avenir de la France

Nous avons vu, durant

est

!

en Afrique.

cette guerre, toute l'Algérie

au point mère patrie.

française, néo-française et israélite être digne qu'elle s'est indissolublement fondue en la

Nous avons vu pour que sur les

la

musulmane se menace allemande et,

aussi toute l'Algérie

dresser patriotiquement contre la

France

champs de

soit

à jamais victorieuse, envoyer,

bataille et

dans

les usines

de la


A PROPOS DE

QUELQUES TROUBLES

281

défense nationale, les plus vaillants et les plus robustes

de ses enfants. C'est là le grand

domine toutes

Quand

fait historique et

réconfortant qui

les autres considérations.

la guerre sera finie et qu'il faudra renaître,

chaque pays, dans son ancienne et formidable préoccupation de l'avenir, devra dresser le bilan de ses forces matérielles et morales.

On

verra que la France, qui, dans l'horrible mêlée,

même temps que sa suprême récompense,

sut tout sacrifier pour défendre, en liberté, la liberté

du monde,

est,

la nation privilégiée, parce que,

de par toutes ses pos-

sessions africaines, lui est réservé le plus radieux destin.

Elle a,

aux portes de sa métropole, des peuples

emplis de jeunesse, aux cœurs vaillants, aux muscles puissants, qui vont accourir pour le relèvement de sa force économique,

comme ils sont

dès l'heure du danger et

ils

accourus à son appel

lui assureront

des cadres

dans lesquels la France pourra compenser heureusement sa faible natalité, pourra éternellement puiser, parce que ces peuples sont très féconds. Ce n'est plus dans la vieille Europe usée et fatiguée que les nations européennes pourront trouver le complet développement de leur intelligence et de leur activité. Il faudra qu'elles débordent par-dessus les mers et qu'elles cherchent dans leurs colonies l'expansion nécessaire et les ressources indispensables.

encore, nulle nation ne sera plus favorisée que la

France. Notre continent africain recèle en son sein toutes les richesses. Celles-là s'offrent à perte de vue, il

n'y a qu'à se pencher pour

trésors

du monde sont

les exploiter

:

tous les

réservés à la patrie française.

Merveilleuse harmonie des

hommes

et des

chc^s

!


282

L'ALGERIE ET LA GUERRE

Tandis qu'elle trouvera jusqu'au cœur du continent un neuve d'ardente espérance et de vie toujours nouvelle, la France donnera à son tour à tous les peuples répandus sur ces immenses territoires des raisons à chaque instant multipliées d'espérer et d'exister, car elle les élèvera de plus en plus à son niveau. Déjà français par le sang répandu sur les champs de bataille, ils seront tout à fait français par la langue qui rend plus intime la communauté de la pensée et la France véritable, c'est-à-dire la et du cœur, plus grande France, dont les vastes routes familières franchiront la mer et le désert, aura deux capitales la vieille capitale historique, dont la clarté brille comme une étoile pour conduire le monde entier à travers tous les bienfaits de son génie et de sa civilisation, Paris, la ville-lumière mais aussi la ville-mère, et Alger s'épanouissant dans un formidable et heureux développement, s'ouvrant, dans toute sa jeunesse et dans toute sa blancheur, sur le continent noir, comme le plus beau portique sous lequel, pour aller à toutes noir

:

les utiles et

généreuses conquêtes, passeront toutes

les initiatives,

toutes les intelligences expertes, tous

cœurs dévoués. L'Allemagne devinait jalousement ce sublime destin africain réservé à la France quand elle formait le rêve brutal de s'emparer de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc. Mais, instruits par les visées rappelées au début de ce livre, nos peuples outre-méditerranéens ont compris le danger qui planait sur eux et se sont plus que

les

jamais rapprochés de la France. Nous avons exposé l'émotion et l'entrain à la

fois

suscités par la déclaration de guerre, décrit le spectacle de réconfort et d'enthousiasme offert en notre


A PROPOS DE

QUELQUES TROUBLES

chère Algérie par la mobilisation et célébré la le

2S3

fidélité,

patriotisme et la vaillance de toute cette complexité

de races qui ajoute une race nouvelle à la mère patrie. Parfois il y eut quelques ombres, mais combien légères à côté de la splendeur éternelle de l'ensemble Les détails se perdent, l'œuvre de la France, la paix, !

faisant de

nouveau

fructifier

tous ses bienfaits,

apparaîtra, en notre nord-africain, dans toute sa

ma-

dans toute sa gloire, prête à un définitif et incomparable essor. Le vieil Atlas porte, depuis la naissance du monde, le ciel lui-même sur ses rudes jesté et

épaules

;

il

va jusqu'à

la fin des siècles porter aussi

de la France. L'avenir de la France est en Afrique Ce sera le grand, le merveilleux, le sublime enseignement de enseignement que l'Allemagne n'avait cette guerre, pas prévu dans l'aveuglement de son cynique impéque l'Afrique, par son loyalisme inébranrialisme, lable et son indéfectible bravoure, ait prouvé qu'elle était digne de contenir cet avenir. L'Algérie en a fourni l'irréfutable exemple, la preuve le destin

!

historique la plus certaine siècles

futurs,

et

;

déjà, elle en appelle

aux

son cœur bat dans l'impatiente

attente qui verra de plus en plus se dresser tout le nord-africain pour aider, en solide, sa

fils

aîné,

indomptable

et

mère, la France, à demeurer encore et pour

jamais au premier rang de toutes

FIN

les nations.



TABLE DES MATIERES

— Les allemandes en Algérie. IL — La nouvelle de guerre à Alger — Le jour de mobilisation IV. — Les Français de France V. — Les néo-Français VI. — Les VIL — Les indigènes pour France dès premier jour VIII. — Les chefs indigènes IX. — Le clergé musulman X. — Les marabouts XL — Les Jeunes- Algériens XII. — Le peuple indigène XIII. — Les conséquences des bombardements de Bône^et de Philippe XIV. — L'insurrection de 1871 guerre XV. — La déclaration de guerre avec Turquie. XVI. — A propos de quelques troubles I.

visées

la

III.

la

israélites

la

Pages. i

23 33

40 50 72

le

officiel

83 100 115

126

144 160

nulles

ville

actuelle..

et la

la

.

.

.

.

185 193

205 241



PARIS TYPOGRAPHIE PLON-NOURRIT 8,

rue Garancière, 6 e

et C




A LA

MEME LIBRAIRIE

Dixmude, par Ch. Le Goffic. (Prix Lasserre 191 5)

par

Steenstraete,

Les Dessous de la politique en Orie rient

par Un Allemand. . 3 fr. r. 5 50 Souvenirs d'un agent secret de l'Al-

3 fr.

Le

Ch.

.

Gof-

.

femmes

Madelin

par 50 ***. Notes d'un témoin. Les Grands Jours de France en Amérique. Mission Viviani-J offre. 3 fr. 50 Journal d'une Française en Amérique, par E. Altiar. 3 fr. 50 La Jeunesse nouvelle, par Henry et

l'invasion,

3

3

Tombes,

par

Henry

et

le

fr.

50

De

Bor-

Monde. Angleterre Hugues Le

3

fr.

Majoration temporaire de 30

l'Arrière à l'Avant, par Charle 3

fr.

5

L'Œuvre

et le Prestige de Lord Ki chener, par H. Davray. 2 f ***. Amis de la France. Le servi de campagne de V ambulance américaine 3 fr. 50 .

.

Visions de guerre et de victoire, par

Enée Bouloc

Tu ne

3

fr.

50

tueras pas..., par <Enée Bou-

loc 3 fr. 50 Sentiments de la guerre, par A.BeauNIER 3 fr. 50 La Barbarie allemande, par P. Gaultier 3 fr. 50 Un Prophète Edgar Quinet, par Paul Gaultier 3 fr. 50 L'Algérie et la guerre, par Jean MÊlia 3 fr. 50 M. Jonnart en Grèce et l'abdication de Constantin, par R. Recouly. 3 fr. :

50

PLON-NOURRIT ET

sous-

les Anglais pendant la Gran Guerre, par H. Davray. 3 fr. 5

Plan pangermaniste démasqué, par André Chêradame ... 4 fr. TYP.

le

Chez

Etats-Unis, par

Hanotaux

Marne, par

Les Martyrs d'Alsace et de Lorrain par André FRIBOURG 2 f

MIANS 3 fr. Une Ambulance de gare, par José 2 fr. 50 ROUSSEL-LÊPINE Voyages au front, par Edith WharTON 3 fr. 50 Les Allemands à Louvain, par Hervé 2 fr. DE GRUBEN Croquis de Paris, par Maurice DeMAISON 3 fr. 50 L'Idéal français dans un cœur breton, par le c ,c G. de Robien. 3 fr. 50 Ainsi parla Venizélos, par Léon MACCAS. 3 fr. 50 Pendant la Grande Guerre, par Gabriel

la

Chenu

ROUX 3 fr. 50 Notes d'une infirmière, par M. DÊ-

Le

50;

lieutenant L. Madelin 2 fr. La Mêlée des Flandres. VYser et Ypres, par Louis Madelin. 3 fr. L'Expansion française. De la Syrie au Rhin, par L. Madelin. 3 fr. 50 La Politique marocaine de l'Aile magne, par Louis Maurice. 3 fr

deaux 3 fr. 50 Au Champ d'honneur, par Hugues Le Roux 3 fr. 50 La France

fr.

La Victoire de

.

Bordeaux Trois

1

fr.

.

.

.

tave BABIN 2 fr. L'Aveu, par le sous-lieutenant Louis

.

Marguerite Yerta

,

lemagne, par Graves 3 fr. 50 La Bataille de la Marne, par Gus-

FIC 3 fr. 50 Les Marais de Saint- Gond, par Ch. Le Goffic 3 fr. 50 3 fr. 50 1914, par Arthur-Lévy.

Les six

.

C"-',

/o

8,

sur

Majoration temporaire de 20°/ o sur

RUE GARAXCIÈRE.

le prix

les

des volumes à 3 50

volumes d'autres

(Dec. synd. février 191S.)

23023. f

H

prix.

i





Deacidified using the Neutralizing agent:

Treatment Date:

Bookkeeper process.

Magnésium

i

Ufft

PreservationTechnologies A

WORLD LEADER 111

IN

PAPER PRESERVATION

Thomson Park

Drive

Cranberry Township, (724)779-2111

PA 16066



LIBRARY OF CONGRESS

007 628 265

1


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.