Psychologie collective et Analyse du Moi

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Sigmund Freud, “ Psychologie collective et analyse du moi ” (1921)

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l'attachement cessant dès que cette satisfaction est réalisée : c'est l'amour commun, sensuel. Nous savons cependant que la situation libidinale ne présente pas toujours cette simplicité. La certitude où on était que le besoin à peine assouvi ne tarderait pas à se réveiller à dû fournir la principale raison de l'attachement permanent à l'objet sexuel, de la persistance de l'« amour » pour cet objet, même dans les intervalles où on n'éprouvait pas le besoin sexuel. Une autre conséquence encore découle du développement si remarquable de la vie amoureuse de l'homme. Pendant la première phase de sa vie, phase qui finit généralement avec la cinquième année, l'enfant trouve dans un de ses parents son premier objet d'amour sur lequel se concentrent toutes ses tendances sexuelles exigeant satisfaction. Le refoulement qui se produit à la fin de cette phase impose le renoncement à la plupart de ces buts sexuels infantiles et entraîne une profonde modification d'attitude à l'égard des parents. L'enfant reste bien attaché à ses parents, mais ses tendances primitives sont entravées dans leur but. Les sentiments qu'il éprouve désormais pour ces personnes aimées sont qualifiés de « tendres ». On sait que les tendances « sensuelles » antérieures persistent, avec plus ou moins d'intensité, dans l'inconscient et que, par conséquent, le courant primitif continue à couler, dans un certain sens 1. Avec la puberté, surgissent de nouvelles tendances, très intenses, dirigées vers des buts sexuels directs. Dans les cas défavorables, elles restent, en tant que tendances sensuelles, séparées du courant persistant de sentiments « tendres ». On obtient alors le tableau dont les deux aspects ont été très volontiers idéalisés par certains courants littéraires. L'homme voue un culte chimérique à des femmes pour lesquelles il est plein de respect, mais qui ne lui inspirent aucun sentiment amoureux, et il ne se sent excité qu'en présence d'autres femmes, qu'il n' « aime » pas, qu'il estime peu, lorsqu'il ne les méprise pas. Très souvent, l'adolescent réussit, dans une certaine mesure, à opérer la synthèse de l'amour platonique, spirituel, et de l'amour sexuel terrestre, auquel cas son attitude à l'égard de l'objet sexuel est caractérisée par l'action simultanée de tendances libres et de tendances entravées. C'est d'après la part qui revient dans la vie sexuelle de l'homme aux unes et aux autres, qu'on peut mesurer le degré de l'amour véritable, en opposition avec le désir purement sexuel. C'est dans le cadre de cet « amour véritable » 2 que nous avons été dès le début frappés par le fait que l'objet aimé se trouve, dans une certaine mesure, soustrait à la critique, que toutes ses qualités sont appréciées plus que celles de personnes non aimées ou plus qu'elles ne l'étaient alors que la personne en question n'était pas encore aimée. Lorsque les tendances sensuelles se trouvent plus ou moins efficacement refoulées ou réprimées, on voit naître l'illusion que l'objet est aussi aimé sensuellement, à cause de ses qualités psy-

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Voir Sexualtheorie, l. c. Ueber die allgemeine Erniedrigung des Liebeslebens, in Sammlung, 4e Série, 1918.


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