MEMOIRES D'UN VIEUX CHASSEUR

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MEMOIRES D’UN VIEUX CHASSEUR

hommes ont l’ordre de frapper les chevaux avec leurs sabres, s’ils hésitent ou s’ils veulent prendre le pas. Au signal donné, les pièces et caissons partent au galop; hommes et chevaux se confondent en un élan désespéré; de tous côtés, sous le poids de ces lourdes masses, la terre se fend, les pierres détachées roulent en bondissant; les servants se penchent sur les zones qui creusent dans les terres de dangereux sillons; parfois les chevaux tremblent et frémissent sur leurs jarrets, mais rien n’arrête et ralentit le mouvement, et le Général Bosquet pousse une exclamation de joie, quand il voit les premières pièces sur la hauteur. Le Commandant Barral et le Capitaine Fiève qui commande la 1ère Batterie marchent en tête; les pièces sont placées à 1OO mètres environ du point où elles ont débouché sur le plateau. Aussitôt que chaque pièce est dégagée de son avant-train elle commence le feu sans attendre l’arrivée des autres; c’est l’artillerie française qui tira le premier coup de canon dans cette mémorable journée!

C’est au mouvement de la Division Bosquet, qu’il faut attribuer la plus grande part du succès de la journée. Il parait que le Prince Menschikoff, commandant en chef de l’Armée russe, avait engagé les dames à venir de Sébastopol pour assister, à cheval ou en voiture, à la déroute des Alliés qu’il devait porter à la mer. Tout ce qui sort de la plume du Baron de Bazancourt étant beaucoup plus intéressant que ce que je puis écrire moi-même au risque d’être taxé de plagiaire, je lui emprunte encore un épisode qui égaya la fin de la bataille:

L’Armée russe était en retraite, les deux Batteries à cheval de notre artillerie de réserve qui couronnaient les crêtes du côté où les Anglais attaquaient la droite de l’Armée ennemie, s’étaient portées en avant pour s’opposer aux charges de Cavalerie, par lesquelles, sans nul doute, les Russes voudraient protéger leur mouvement rétrograde. Le Commandant de la Boussinière, en batterie dans cette position, vit déboucher, à une distance de 600 mètres, une voiture attelée de trois chevaux de front et qui venait en ligne droite, à toute vitesse. Reconnaissant l’artillerie française, elle voulut changer de direction, mais le Commandant se mit à sa poursuite avec 20 servants et l’atteignit, lorsqu’elle n’était plus qu’à cent mètres d’escadrons russes. Les artilleurs, se mettant à la tête des chevaux, leur firent rebrousser chemin et ramenèrent l’équipage avec les cinq personnes qu’elle contenait et la conduisirent au Grand Quartier Général; cette voiture


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