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ADRIEN BALNY D'AVRICOURT

La Guerre Froide a sonné le glas de la neutralité politique du sport. Au cours de cette période, il apparaît comme important terrain de jeu politique où s’affrontent les virilités athlétiques des mondes capitalistes et socialistes. En effet, si le sport maintient jusque-là un caractère apolitique précaire, les insinuations évocatrices d’équipes gagnantes et perdantes l’amènent à devenir un outil diplomatique de grande envergure parmi les nombreux fronts concurrentiels de la Guerre Froide. En particulier, l’Union Soviétique développe une affinité proche pour l’athlétisme comme embléme de la tenacité et de la bravoure de l’homo sovieticus, le menant à manier le sport comme instrument politique et symbolique tout au long de son existence.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis et l’Union Soviétique mènent une guerre idéologique sur de nombreux fronts dont celui du sport. Plus encore que son rival, la fitzkultura est une véritable institution sociale chez les soviétiques, un outil fortement politisé au service d’une propagande cherchant à promouvoir les valeurs socialistes et le rayonnement de l’URSS sur la scène internationale (Washburn 490). Notamment, le parti communiste se sert du sport comme lubrifiant diplomatique afin de nouer des liens avec des nations possédant une importance stratégique pour Moscou dans le contexte de l’agrandissement du monde socialiste. Exemple notoire— l’URSS envoie l’équipe de football du Lokomotiv Moscou jouer en Birmanie et en Indonésie avant les voyages diplomatiques de Khrouchtchev et Boulganine en 1956 (Washburn 491).

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Dans le même esprit, l’URSS organise des compétitions sportives entre les armées de ses alliés pour consolider leurs ententes militaires (Riordan 338). Le soft-power soviétique se propage aussi par l’envoie d’entraîneurs dans plus de trente pays du tiers monde, facilitant entre autres la domination Cubaine sur les évènements sportifs organisés en Amérique Latine (Riordan 339). Cette stratégie permet à Moscou d’intégrer des pays socialistes dans son giron en les liant à ses institutions, renforçant sa position géopolitique de fait son influence sur ces pays.

L’Union Soviétique se sert donc du sport d’une part pour forger des alliances, mais aussi pour concurrencer et faire impression sur ses adversaires idéologiques et politiques. En effet, les événements sportifs présentent la possibilité pour ces grandes puissances de se livrer l’opportunité d’affrontements pacifiques mais profondément symboliques—nous dirions candidement, de troquer les armes pour les relais ou les grenades pour les échanges de ballon… Les Jeux Olympiques devenaient ainsi le théâtre de rivalités diplomatiques où les acteurs profitaient de l’aura de la compétition pour faire jouer leurs muscles à des fins politiques. Les États-Unis et certains de ses alliés boycottent les Jeux de 1980 en guise de protestation contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan (Smothers). Réciproquement, l’URSS refuse de participer aux Jeux de Los Angeles en 1984 sous prétexte qu’un sentiment chauvin et hostile se propage à leur égard sur les terres du pays hôte (Burns). Et lorsque ces deux super-puissances participaient aux mêmes Olympiades, celles-ci furent le théâtre de nombreuses controverses, notamment à l’image de la finale de basket à Munich en 1972 lorsque les américains accusent les soviétiques d’avoir triché en fin de partie pour rafler la médaille d’or (Frommers). Ces tensions sportives se procurant dans les stades deviennent donc un symbole important des animosités frustrées de la Guerre Froide, gardant en compte l’impossibilité de vrais engagements militaires entre ces puissances.

Pour en venir au présent, dans le contexte du développement des conflits russo-ukrainiens, le sport semble retrouver son importance comme front politique majeur presque trente-ans après la chute de l’URSS. Cette fois-ci, le sport russe est de nouveau « victime » des décisions de l’Occident, dont le bannissement sert de méthode d’isolation dans les sphères géopolitiques. Ces initiatives cherchent à punir la Russie pour son invasion, entre autres n’oublions pas les innombrables scandales de dopage— en privant ces athlètes de participer à de nombreux évènements sportifs et en limitant l’influence économique des oligarques russes dans le sport international. Alors que les soviétiques démontrent jadis leur férocité et leur capacité à nouer des liens avec d’autres nations à travers le sport, la Russie se retrouve désormais dos au mur, impuissante face aux sanctions des Comités Olympiques et des fédérations sportives occidentales. En effet, ces sanctions, qui fragilisent l’économie russe en plaçant d’importantes limitations sur leur capacité d’investissement, opèrent également dans l’espace symbolique des apparences, de la représentation. Leur excommunication de « l’universel » communauté des démocraties libérales dont le sport et divers spectacles médiatiques constituent entre autres son expressivité et sa vivacité— se développe aujourd’hui comme instrument de grande importance pour influencer les opinions sur la Russie parmi les nations du monde. Malgré tout, cette stratégie d’isolement sportif ne fait pas l’unanimité au sein des institutions du sport international, certains estimant les athlètes russes non-responsables des actions cyniques de leur gouvernement, et qu’ils devraient être autorisés à par- ticiper aux jeux Olympiques sous une bannière neutre (Hidalgo). Si tel est le cas, comme aux Jeux de Tokyo 2020, nous pourrions voir des athlètes russes sous bannière Olympique aux Jeux de Paris en 2024.

Bien que le conflit russo-ukrainien n’en est visiblement et malheureusement qu’à ses débuts, le sport pourrait être amené à jouer un rôle déterminant parmi les guerres de propagande démarquant les géopolitiques au XXIème siècle. Aujourd’hui, le blanchiment par le sport, plus communément appelé sports-washing a été remis au goût du jour. A l’instar d’Hitler qui organisa les Olympiades d’été et d’hiver en 1936 pour camoufler les dangers du nazisme, de nombreux despotes contemporains organisent des événements sportifs afin d’améliorer leur réputation. Cela leur permet de dissimuler les macabres réalités de leurs régimes; à l’image de l’organisation de la Coupe du Monde de football 2022 au Qatar, une monarchie constitutionnelle négligeant certains droits de l’Homme. En ce qui concerne la Russie, elle se retrouve présentement orpheline de son atout diplomatique, rendu inerte de par son implication dans le conflit Ukrainien. Sa prééminence sur la scène sportive est derrière elle, et le pays est désormais contraint d’élaborer des alternatives s’il souhaite continuer d’étendre son soft-power à l’étranger. Le fruit de sa création—la diplomatie du sport—s’est retourné contre elle.

Works cited

Burns, John F. “MOSCOW WILL KEEP ITS TEAM FROM LOS ANGELES OLYMPICS.” The New York Times, 9 May 1984,

Colucci, Michelle and Sean Cottrell. “Sport and Diplomacy In the Aftermath of the Russia Ukraine War.” A Sports Law And Policy Centre & LawInSport Joint Survey, 2022, pp. 4-7. Frommer, Frederic J. “50 years later; the chaotic end of a US-USSR basketball game still stings.” The Washington Post, 19 October 2022.

Riordan, James. “Soviet sport and Soviet foreign policy.” Soviet Studies no. 3, vol. 26, 1974, pp. 322–343.

Smothers, Ronald. “Bitterness Lingering Over Carter’s Boycott.” The New York Times, 19 July 1996.

Washburn, John N. “Sport as a Soviet Tool.” Foreign Affairs no. 3, vol. 34, April 1956, pp. 490-499.

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