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Reporters en colère

Le journaliste Taha Bouhafs lors d’un rassemblement organisé par Reporters en Colère à Paris. ©REC

Reporter en colère : être

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En 2019, un petit groupe de solidaire journalistes décide de lancer un collectif. Un collecPartant d’un constat simple, les deux journalistes accompagnés de deux « Malheureusement ce groupe ne portait pas ses fruits, une visibilitif pour que les journalistes confrères créent le collectif Repor- té grand public était nécessaire ». couvrant des manifestations ter en colère, REC, en 2019. « On Après un changement de stratégie, ne soient plus seuls. Une union de reporters en cos’est rendu compte que nous étions tous confrontés aux mêmes problématiques. On part sur le terrain la page devient publique, et seuls les membres actifs sont conservés. « Les mois passant, on a évolué lère pour lutter. REC est né. tout seul. Sur Paris on est une petite vers une démarche plus syndicale ». cinquantaine à se croiser et à être

Lidentifiables. On se côtoie toutes La trentaine de journalistes en coa solitude. Si le métier de jounaliste a pour vocation de mettre en lumière, il isole cependant ces travailleurs de l’ombre. Noman les semaines, on se salue, mais on ne sait pas qui nous sommes ». L’objectif du collectif est simple : se rassembler et surtout se connaître. lère décide alors d’organiser des rassemblements pour toucher le grand

Cadoret et Amanda Jacquel ont des parcours différents. Pour No- « Lutter contre la répression « Se rassembler et se man, son histoire d’amour avec la policière » connaître » photo a commencé dès ses 15 ans.

Âgé de 32 ans aujourd’hui, le pho- À l’origine, le collectif portait un tographe de presse est fier d’avoir enfin reçu sa carte de presse. Amanda Jacquel a travaillé pendant deux années pour France 2 en Inde. Sa volonté d’indépendance l’a poussée à devenir journaliste freelance. Si les deux journalistes n’avaient aucune raison de se croiser, c’est au cours de la couverture des mouvements sociaux qu’ils ont créé un lien. nom moins marketing, mais plus équivoque : Journalistes contre la précarité et les violences policières. Lors de la première réunion organisée par le collectif les deux journalistes dénombraient une trentaine de leurs confrères. Réuni sur une page Facebook privée, le groupe va très vite prendre de l’ampleur en atteignant les 300 membres. public. « Nous avons décidé de défiler dans Paris avec des bandeaux ensanglantés. C’est un moyen de signifier notre existence, notre force et notre ras-le-bol face à la violence des policiers à notre encontre ». Au-delà des actions « coup de poing », REC a décidé de recenser tous les abus commis par les forces de l’ordre sur les journalistes. 10 - Les maux bleus

Ce travail qui a pris énormément de temps permet pour les cofondateurs de « mettre en lumière les violences ». « Un journaliste qui rentre chez lui, avec un hématome, peut constater que cinq, dix, voire vingt autres journalistes ont subi les mêmes violences ». Si la lutte menée par REC est médiatique, elle se fait essentiellement entre journalistes. En organisant une séance avec une psychologue, les membres fondateurs de REC ont pu constater l’importance de leur démarche. « Quand on a demandé aux journalistes si ça les intéressait de faire une séance sur les traumatismes psychologiques, ils n’ont pas répondu oui ou non, mais quand est-ce que la réunion est organisée ». Cette séance collective d’analyse psychologique menée par une femme qui travaille avec les reporters de guerre aura permis à beaucoup de journalistes de mettre des mots sur des blessures.

« Inverser le rapport de force ».

Le 5 décembre 2019, le collectif des reporters en colère se réunit avant la manifestation pour passer les barrages policiers. Pour ces journalistes, les barrages policiers ne sont jamais des parties de plaisir. « Entre les intimidations, les casses de matériel et même les refus d’accéder à la manifestation, ce n’est jamais facile pour nous. Si tu as un casque, un masque à gaz, tu peux aller en garde à vue parce qu’ils ne reconnaissent pas nos statuts. » En arrivant à 50 journalistes de front, unis et solidaires, REC a inversé le rapport de force.

Cette union, c’était la volonté principale de Noman Cadoret lorsqu’il a lancé REC. « Avec Gaspard Glanz on a couvert tous les deux des conflits très violents et de manière assez naturelle, on a souhaité garder un œil l’un sur l’autre. REC a permis de recréer un mouvement de solidarité ». Avec beaucoup de lucidité, les deux journalistes ne prétendent cependant pas avoir changé drastiquement la condition des journalistes en manifestation.

Les manifestations dans son ADN

« Ma protection ? Mon sac à dos ». Noman et Amanda sont fiers d’avoir lancé REC. La charge mentale que doivent gérer les journalistes qui couvrent les manifestations est assommante. Le collectif a permis à certains « d’oser se dire que les veilles et les lendemains de manif, ils ne dorment pas parce que des traumatismes remontent. » Pour les deux journalistes, « notre profession est ciblée par les policiers ».

Au moment d’évoquer leur avenir, Noman Cadoret et Amanda Jacquel expliquent ne pas vouloir arrêter la couverture des conflits sociaux. « J’ai gouté aux violences policières quand j’avais 14 ans et aujourd’hui je mesure la portée de mon travail. J’ai les manifestations dans mon ADN » clame le trentenaire. Déterminé, mais lucide, Noman explique que « beaucoup de journalistes ont arrêté de venir en manifestations, après l’insulte de trop, le coup de matraque de trop ». En ne faisant qu’un, REC s’est donné une chance de ne jamais couper la caméra.

U.M

Noman CADORET et Amanda JACQUEL : Interview réalisée le 12 mars 2021 par téléphone

Vivantes, stimulantes et vioVivantes, stimulantes et violentes. lentes. Les manifestations font Les manifestations font office de office de catalyseurs des tencatalyseurs des tensions entre policiers et journalistes. Retour sur sions entre policiers et journaquatre années où la violence est listes. Retour sur quatre années devenue la norme pour les journaoù la violence est devenue la listes. norme pour les journalistes. u printemps 2016, les manifestations contre la loi travail sont marquées par la violence des affrontements entre policiers et manifestants. Quelques mois plus tard, le mouvement des gilets jaunes va donner une dimension encore plus intense à la violence des manifestations. Premier témoin de ces violences, les journalistes. Au cœur des manifestations, armées d’une caméra, d’un appareil photo ou d’un simple téléphone, ils vont couvrir ces weekends de violences. Montrant, des images choquantes et parfois dignes de clichés de terrain de guerre, les reporters de terrain vont jouer un rôle capital dans la perception de ces évènements par le grand public. Pour certains, une vocation va naitre. De Rouen à Paris, Simon Louvet a toujours apprécié l’ambiance des manifestations. Depuis 2013, il couvre « ces lieux pertinents pour parler d’un problème ». En créant son propre média, Actu Paris, il décide de se rendre « aux manifestations importantes » dès 2017. Aujourd’hui, le journaliste de 27 ans fait partie des journaDonner corps aux revendications de listes influents de la couverture médiatique des manifestations. la société Jeunes, motivés et parfois engagés. Les conflits sociaux des cinq dernières années ont fait éclore une nouvelle génération de journalistes. Des reporters ayant fait des manifestations leur terrain de jeu principal. Clément Lanot découvre les manifestations en 2016, à l’occasion du mouvement de contestation contre la loi travail. Alors qu’il est encore en BTS info-COM, Clément décide de ne pas poursuivre ses études et devient journaliste indépendant. Lors de ces cinq dernières années, le journaliste va couvrir un très grand nombre de mouvements

Au printemps 2016, les manifestations contre la loi travail sont marquées par la violence des affrontements entre policiers et manifestants. Quelques mois plus tard, le mouvement des gilets jaunes va donner une dimension encore plus intense à la violence des manifestations. Premier témoin de ces violences, les journalistes. Au cœur des manifestations, armés d’une caméra, d’un appareil photo ou d’un simple téléphone, ils vont couvrir ces weekends de violences. Montrant des images choquantes et parfois dignes de clichés de terrain de guerre, les reporters de terrain vont jouer un rôle capital dans la perception de ces évènements par le grand public. Pour certains, une vocation va naître.

Donner corps aux Donner corps aux revendications revendications de la société de la société

Jeunes, motivés et parfois engagés. Les conflits sociaux des cinq dernières années ont fait éclore une nouvelle génération de journalistes. Des reporters ayant fait des manifestations leur terrain de jeu principal. Clément Lanot découvre les manifestations en 2016, à l’occasion du mouvement de contestation contre la loi travail. Alors qu’il est encore en BTS info-COM, Clément décide de ne pas poursuivre ses études et devient journaliste indépendant. Lors de ces cinq dernières années, le journaliste va couvrir un très grand nombre de mouvements sociaux avec son appareil photo et son téléphone. 12 - Les maux bleus

Dossier : les manifestations l’apogée de la violence

Arrestation «arbitraire» de Noman Cadoret le 10 décembre 2019, à la fin d’une manifestation.

©RémyBuisine

Rémy Buisine a commencé par des mouvements sociaux. Depuis, le journaliste a notamement interviewé Emmanuel Macron.

« Parler des revendications et des violences » - Rémy Buisine

Dossier : les manifestations l’apogée de la violence

Arrestation «arbitraire» de Noman Cadoret le 10 décembre 2019, à la fin d’une manifestation. ©REC

Faire du journalisme pour donner la parole aux gens ». En 2017, Rémy Buisine rejoint le média en ligne Brut. Le journaliste originaire du Nord avait découvert les manifestations quelques mois auparavant. « Raconter la situation de vie et les difficultés rencontrées est ma vocation », confie Rémy. Désormais identifié compte tenu de sa popularité sur les réseaux sociaux, Rémy Buisine s’attache à donner une visiond’ensemble des cortèges : « parler des revendications, mais aussi des violences qui ont lieu ».

Une cible ?

Témoins et victimes de violences. Au cours de ces quatre dernières années, les violences lors des manifestations se sont intensifiées. Plongés au cœur du rapport de force, les journalistes semblent avoir basculé dans la catégorie des acteurs. Les tensions entre force de l’ordre et reporters ont augmenté de manière exponentielle. Jusqu’au point de non-retour ?

Diffuseurs d’images de violences, les journalistes sont devenus des cibles. Rémy Buisine ne cache pas une certaine fatigue quant à ces actes de violence. « Je suis une cible. Quand un policier fonce sur moi pour me donner un coup de matraque, cela laisse peu de place au doute. » Cette impression d’être une cible des forces du maintien de l’ordre est partiellement partagée par Simon Louvet. Le 17 novembre dernier, il est violemment pris à partie : « Je ne sais pas si j’étais visé parce que journaliste par contre il n’en avait rien à faire que je le sois ». Pour le journaliste d’Actu Paris, cette journée fut particulièrement difficile. Malgré de nombreux journalistes appelant le policier à arrêter, Simon a subi de nombreux coups de matraque. « Le simple fait de se prendre un coup de matraque c’est extrêmement grave et c’est devenu de plus en plus fréquent », témoigne le reporter. Clément Lanot modère les propos de ses confrères. Pour le journaliste freelance, les violences subies par les journalistes « sont assez logiques». « On se retrouve au cœur des violences et on est logiquement touchés. En disant cela, je ne veux absolument pas justifier l’usage abusif de la violence par les forces de l’ordre. »

Une violence intégrée

La force des maux. Si la violence subie par Rémy, Clément et Simon est physique, elle est également psychologique.

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©Clément Lanot

Simon Louvet a lancé son média Actu Paris en 2017. En rencontrant un large succès, le journaliste a décidé de créer des antennes régionnales dans plusieurs villes de France, comme Marseille ou Nantes.

Souvent mésestimés, les impacts psychologiques des coups sont plus brutaux que les hématomes. « Ça ne doit pas prendre le dessus, la motivation doit être plus forte », explique Rémy Buisine. Le journaliste de Brut explique être en décalage. « Quand les gens me parlent des violences que j’ai subies, je ne pense pas à moi. Mais quand je rentre chez moi, je pense aux manifestants qui étaient présents et qui souffrent beaucoup plus que moi ». Le journaliste très suivi sur les réseaux sociaux confesse avoir vu « des images choquantes qui nous ont tous glacés ». « Lors des gilets jaunes, quand je rentrais chez moi, j’étais content de rentrer sans blessure ou avec quelques hématomes. J’étais chanceux ».La violence existe et touche les journalistes. Simon Louvet avoue « avoir eu peur » lors d’une manifestation. Une peur qui va obliger le journaliste à « prendre une pause de trois semaines ». Les coups et les insultes sont désormais intégrés par les journalistes.

Clément Lanot évoque de manière très naturelle « un tir de LBD » qu’il a reçu.

©Simon Louvet

Pour Rémy Buisine, l’évacuation de migrants place de la République a été une soirée particulièrement difficile. « Ces violences me motivent 100 fois plus. Cinq jours après l’action menée place de la République, j’étais présent et motivé ». Une motivation qui ne va pas empêcher les déconvenues. « Ma motivation n’a pas permis d’éviter un énième coup de matraque dans l’épaule ».

Des torts partagés ?

« Les journalistes font parfois entrave au travail des forces de l’ordre ». Les mots de Simon Louvet sont lourds de sens.

S’il ne légitime en aucun cas la violence exercée contre les forces de l’ordre, il reconnaît les torts de son corps de métier. Le 17 novembre 2020, des gendarmes sont coincés dans un proche d’immeuble. Face à eux un rideau de journalistes se dresse flairant la bonne image. Simon Louvet, aux premières loges de cet évènement précise que « l’organisation du maintien de l’ordre est catastrophique ce jour-là. « Je comprends que cela puisse déplaire, mais celui qui filme n’est pas responsable des violences qu’il peut observer ». Rémy Buisine n’arrêtera pas de filmer et s’attriste de voir la restriction de ce droit fondamental.

Sources : Brut / RSF / Un Pays qui se tient sage (David Dusfrenes) / Esquisse d’une théorie de la pratique (Pierre Bourdieu) / Max Webber « La France est 34e * au classement de la liberté de la presse, c’est n’est pas très reluisant pour un pays comme le nôtre ». Le journaliste de Brut refuse d’utiliser des termes comme « dictature », mais appelle à une grande vigilance quant « à la réduction de nos libertés ».

U.M

Clément LANOT: Interview réalisée le 22 avril 2021 par téléphone Rémy BUISINE : Interview réalisée le 28 avril 2021 par téléphone Simon LOUVET : Interview réalisée le 6 mars 2021 par téléphone

Interview : Sébastien Couturier, CRS

Depuis 2005, Sébastien Couturier fait partie d’une brigade motorisée des Compagnies Républicaines de Sécurité, à Lyon. Le CRS revient sur les tensions actuelles.

Au cours de vos missions, avez-vous eu des contacts avec les journalistes ?

Un journaliste qui travaille est venu nous suivre pendant une semaine. Tout s’est très bien passé. C’est un citoyen comme nous. Il était uniquement là pour voir notre quotidien. Évidemment, certains ont des a priori et ont refusé d’être filmés. La gestion du maintien de l’ordre est catastrophique. Pour intervenir, il faut de multiples autorisations. Pendant quatre heures, on se prend des projectiles. Donc quand les CRS chargent, ils ne font plus attention à ce qu’il y a devant. Maintenant ni moi ni aucun de mes collègues n’avons eu à faire face à des journalistes qui gênent notre travail.

Une loi qui interdit de filmer la police, est-ce une solution ?

De nous filmer non. Mais l’interdiction de diffuser ces images sur les réseaux sociaux est une bonne chose. Les images, on leur fait dire ce que l’on veut.

Êtes-vous déjà intervenu en manifestation ?

Même si je n’ai jamais fait de maintien de l’ordre, il m’arrive de sécuriser des manifestations. Pendant les gilets jaunes, j’ai des collègues qui ont eu peur. Sébastien COUTURIER : Interview réalisée le 8 mars 2021 par téléphone

Classement Liberté de la Presse Reporters Sans Frontières 2021

Tous les ans, Reporters Sans Frontières publie un baromètre sur la liberté de la presse dans le monde. L’organisation établit ce classement en fonction de critères précis parmi lesquels on peut retrouver le pluralisme de la presse, son indépendance ou encore la censure. Selon les différents indicateurs la France se positionne à la 34e place de ce classement. Une place similaire au classement de l’année 2020.

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